TRAITÉ XXVII
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VINGT-SEPTIÈME TRAITÉ

DEPUIS CET ENDROIT: « IL DIT CES PAROLES DANS LA SYNAGOGUE, ENSEIGNANT À CAPHARNAÜM ». JUSQU’A CET AUTRE : « CAR C’ÉTAIT CELUI QUI DEVAIT LE TRAHIR, QUOIQU’IL FUT L’UN DES DOUZE ». (Chap. VI,60-72.)

C’EST L’ESPRIT QUI VIVIFIE.

 

            Les adversaires de Jésus ne furent pas seuls à murmurer de ses paroles : ses disciples en firent autant. Vous ne savez ce qu’est ma chair, ni ce qu’elle sera un jour, leur dit le Sauveur, car vous en jugez d’une façon matérielle et grossière c’est pourquoi vous en jugez faux mes paroles sont spirituelles, et quand je dis qu’il faut manger ma chair, j’entends qu’il faut faire un avec moi. Vous ne croyez pas en moi, voilà pourquoi vous ne me comprenez pas; et, si vous ne croyez pas en moi, c’est que mon Père ne vous en a pas fait grâce. — Beaucoup s’éloignèrent alors de Jésus; mais les douze qu’il avait choisis, même Judas malgré son indignité, restèrent avec lui, parce que la foi leur avait donné de saisir le vrai sens de son discours. Puissions-nous entrer dans leurs sentiments et suivre leur exemple!

 

1. Nous venons d’entendre dans l’Evangile les paroles du Sauveur qui viennent après celles dont nous vous avons précédemment entretenus: nous devons en parler à vos oreilles et à vos coeurs; notre discours d’aujourd’hui a toute raison d’être, car, en ce jour, nous célébrons la fête du corps du Seigneur, de ce corps qu’il nous a donné, disait-il aux Juifs, pour nous transmettre la vie éternelle. Il a expliqué la manière dont il nous communique ce bienfait que nous recevons de lui; il nous a dit comment il donne sa chair à manger. Voici ses paroles : « Celui qui mange ma chair et qui boit mon sang, demeure en moi, et je demeure en lui (1) ». Tel est le signe auquel nous reconnaissons que nous avons pris cet aliment et bu ce breuvage c’est que nous demeurons en Jésus-Christ, et qu’il demeure en nous; c’est que nous habitons en lui, et qu’il habite eu nous; c’est que nous nous attachons à lui pour ne pas le quitter. Par ces mystérieuses paroles, il nous a donc donné un enseignement : il nous a

 

1. Jean, VI, 57.

 

avertis d’appartenir à son corps, de faire partie de ses membres, de lui obéir comme à notre chef, de manger sa chair, de ne point nous écarter de son unité. Mais la plupart de ceux qui l’entendirent, ne le comprirent pas, et ils se scandalisèrent; comme ils étaient charnels, ils n’attribuaient qu’un sens charnel aux paroles du Sauveur. Mais l’Apôtre a dit, et c’est la vérité : « Juger des choses selon la chair, c’est mourir ». Le Seigneur nous donne sa chair à manger; mais, juger des choses selon la chair, c’est mourir; car il parle de sa chair, comme de la source de la vie éternelle: nous ne devons donc point juger non plus de sa chair d’une manière charnelle, comme faisaient ceux dont il est question dans ce passage.

2. « C’est pourquoi plusieurs », non pas de ses ennemis, mais « de ses disciples, l’ayant entendu, dirent : Cette parole est dure, et qui peut l’écouter? » Si cette parole parut dure à ses disciples, que parut-elle à ses ennemis? Et, pourtant, le Sauveur devait

 

1. Rom. VIII, 6.

 

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s’exprimer ainsi pour ne pas être compris de tous; car si Dieu nous communique ses secrets, il doit trouver en nous des auditeurs bien disposés, et non pas des adversaires; pour ceux-ci, ils se raidirent contre ses paroles, aussitôt qu’ils les entendirent tomber des lèvres du Seigneur Jésus. Il leur disait de merveilleuses choses, et, sous le voile de ses paroles, se cachait l’annonce d’une grande grâce; mais ils n’ajoutèrent aucune foi à ses discours : selon leur manière de voir, ils comprirent donc d’une façon tout humaine que Jésus avait le pouvoir ou l’intention de couper, pour ainsi dire, en morceaux, et de distribuer à ceux qui, croiraient en lui la chair dont te Verbe s’était revêtu. « Cette parole est dure », s’écrièrent- ils, « et qui peut  l’écouter ? »

3. « Mais Jésus sachant en lui-même que ses disciples murmuraient ». Ils murmuraient entre eux de manière à ne pas être entendus de lui; mais il connaissait jusqu’aux plus secrets replis de leur âme : aussi, les entendant en lui-même, il leur répondit : « Cela vous scandalise ? » Parce que je vous ai dit: Je vous donne ma chair à manger et mon sang à boire, mes paroles vous révoltent? « Que sera-ce donc si vous voyez le Fils de l’homme monter où il était d’abord ? » Qu’est-ce ceci? Détruisait-il par là la cause de leur émotion ? Faisait-il disparaître à leurs yeux les obscurités qui avaient donné lieu à leur scandale? Evidemment, oui, s’ils avaient voulu le comprendre. Ils s’étaient imaginés qu’il leur distribuerait son corps, et il disait, lui, qu’il monterait au ciel dans tout son entier : « Lorsque vous verrez le Fils de l’homme monter où il était d’abord ». Oui, vous verrez, même alors, qu’il ne distribue point son corps de la manière que vous vous imaginez : oui, vous comprendrez, même alors, que l’on ne broie pas sa grâce sous les dents.

4. Et Jésus ajouta : « C’est l’esprit qui vivifie; la chair ne sert de rien ». Avant  d’expliquer ces paroles, aussi bien que le Seigneur nous le permettra, il est bon de ne point glisser légèrement sur ce passage : « Lorsque vous verrez le Fils de l’homme monter où il était auparavant ». Car le Christ est Fils de l’homme, il est né de la vierge Marie. Le Fils de l’homme a donc eu un commencement sur la terre; il a eu ce commencement au moment même où il s’était revêtu d’un corps terrestre. Aussi, le Prophète avait-il dit : « La vérité est sortie du sein de la terre (1) ». Que veut donc dire le Sauveur , quand il s’exprime ainsi

« Lorsque vous verrez le Fils de l’homme monter où il était auparavant ? » Il n’y aurait aucune difficulté, s’il avait dit : Si vous voyiez le Fils de Dieu monter où il était auparavant. Mais il dit : « Lorsque vous verrez le Fils de l’homme monter où il était auparavant ». Le Fils de l’homme, qui a eu un commencement sur la terre, pouvait-il être auparavant dans le ciel? Il dit: « Où il était auparavant », comme s’il n’y était plus au moment où il parlait. Mais il dit ailleurs : « Personne n’est monté au ciel, sinon celui qui est descendu du ciel, le Fils de l’homme qui est au ciel (2) ». Il ne dit pas: « le Fils de l’homme » qui était, mais : «qui est au ciel ». Quand il parlait, il était sur la terre, et il disait qu’il était au ciel. Telles ne sont pas ses paroles : Personne n’est monté au ciel, sinon celui qui est descendu du ciel, le Fils de Dieu qui est au ciel. En s’exprimant de la sorte, il veut évidemment nous faire comprendre ce que j’ai déjà expliqué à votre charité dans mon dernier discours, à savoir qu’en Jésus-Christ il y a, non pas deux personnes, mais une seule, qui est tout à la fois Dieu et homme : par là, l’objet de notre foi, c’est la Trinité et non une quaternité. Le Christ est donc un : il est composé du Verbe, d’une âme et d’un corps : il est, en même temps, Fils de Dieu et Fils de l’homme: Fils de Dieu dès toujours, Fils de l’homme dans le temps; il est un, parce qu’il n’y a en lui qu’une seule personne. Il était dans le ciel, pendant qu’il parlait sur la terre. Fils de l’homme, il était dans le ciel de la même manière que, Fils de Dieu, il était sur la terre: Fils de Dieu, il était ici-bas dans la chair dont il s’était revêtu : Fils de l’homme, il était au ciel par son union de personne avec le Verbe.

5. Mais pourquoi ajoutait-il : « C’est l’esprit qui vivifie : la chair ne sert de rien ? » Disons-lui donc {car il nous permet de lui parler, non dans l’intention de le contredire, mais dans le désir de nous instruire) : O Seigneur, ô bon maître ! Comment se fait-il que « la chair ne serve de rien », quand vous avez dit vous-même : « Quiconque ne mangera pas ma chair et ne boira pas mon sang,

 

1. Ps. LXXXIV, 12. — 2. Jean, III, 13.

 

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n’aura pas la vie en lui? » La vie ne servirait-elle non plus de rien ? Pourquoi sommes-nous ce que nous sommes, sinon pour avoir la vie éternelle, que vous promettez comme fruit de la manducation de votre chair ? Qu’est-ce donc à dire : « La chair ne sert de rien ? » Elle ne sert de rien, mais dans le sens que les Juifs y attachaient; car, dans leur idée, il s’agissait, non d’une chair animée, vivante, mais d’une chair morte, comme celle d’un cadavre, que l’on partage par morceaux, ou que l’on vend sur le marché. C’est pourquoi le Sauveur a dit : « La chair ne sert de rien», comme l’Apôtre a dit lui-même: « La science enfle ». Devons-nous, pour cela, détester la science ? Pas du tout. Qu’est-ce à dire: « La science enfle ? » La science seule, sans la charité; aussi ajoute-t-il : « Mais la charité édifie (1)». A la science joins donc la charité, et elle te sera profitable, non par elle-même, mais par la vertu qui l’accompagnera. Ainsi en est-il de ce passage : « La chair ne sert de rien ». La chair seule qu’on y joigne l’esprit comme on joint la charité à la science, et alors elle est grandement utile. Car si elle ne pouvait servir de rien, le Verbe ne se serait pas fait chair pour habiter parmi nous. Et si, par la chair, le Christ nous a fait tant de bien, pourrait-on dire qu’elle ne sert de rien? Mais l’esprit s’en est servi pour opérer notre salut. La chair est devenue un vase : fais attention, non à ce qu’elle était, mais à ce qu’elle contenait. Les Apôtres ont été envoyés dans le monde: leur chair ne nous a-t-elle été d’aucun profit? Si elle nous a été grandement utile, celle du Seigneur ne nous aurait-elle servi de rien? Qui est-ce qui nous fait entendre la parole, sinon la voix de la chair ? Qui est-ce qui tient le stylet? Qui est-ce qui écrit ? Ce sont autant d’oeuvres opérées par la chair, mais sous l’action de l’esprit qui s’en sert comme d’un instrument à lui propre. « C’est » donc « l’esprit «qui vivifie, et la chair ne sert de rien ». Ils ont donné au mot de chair un sens tout différent de celui dans lequel je donne la, mienne à manger.

6. Aussi, dit-il, « les paroles que je vous ai adressées, sont esprit et vie ». Nous vous l’avons dit, mes frères, le Sauveur nous a appris que manger sa chair et nous abreuver de son sang, c’est demeurer en lui et lui servant

 

1. I Cor. VIII, 1.

 

de demeure. Nous demeurons en lui, lorsque nous sommes ses membres; il demeure en nous, lorsque nous sommes son temple. Pour que nous soyons ses membres, nous nous unissons intimement à lui, et ne faire plus qu’un avec lui, c’est l’effet de la charité seule. Et l’amour de Dieu, d’où nous vient-il ? Interroge l’Apôtre, il te l’apprendra: « L’amour de Dieu a été répandu dans nos coeurs par le Saint-Esprit qui nous a été donné (1)». « C’est » donc « l’esprit qui « vivifie », car c’est l’esprit qui donne la vie aux membres; mais il ne peut les rendre vivants qu’à la condition de les trouver unis au corps dont il est la vie. En effet, ô homme, l’esprit qui t’anime et te distingue des brutes, peut-il communiquer la vie à un membre séparé de ton corps? Par ton esprit, j’entends ton âme : or, ton âme ne vivifie que les membres unis à ton corps; ôtes-en un, c’en est fait; il ne puise plus en ton âme le mouvement, parce qu’il ne fait plus un avec ton corps. Je vous parle ainsi, pour vous faire aimer l’union avec le Christ, pour vous faire craindre d’en être séparés. Rien ne doit faire trembler un chrétien comme l’appréhension de se voir retranché du corps du Sauveur; car s’il en est retranché, il n’est plus du nombre de ses membres; et, s’il n’est plus un de ses membres, son esprit ne l’anime plus. « Mais », dit l’Apôtre, « celui qui n’a pas l’esprit de Jésus-Christ, n’est point à lui (2)». « C’est » donc « l’esprit qui vivifie, mais la chair ne sert de rien. Les paroles que je vous ai adressées sont esprit et vie ». Qu’est-ce à dire : « Esprit et vie ? » Elles doivent être entendues dans un sens spirituel. Les as-tu comprises en ce sens ? « Elles sont » pour toi « esprit et vie »; si tu les as comprises d’une manière charnelle, «elles» n’en « sont » pas moins « esprit et vie »; mais ce n’est pas pour toi.

7. « Mais », ajoute le Sauveur, « il y en a parmi vous qui ne croient pas ». Il ne dit pas : il y en a parmi vous qui ne comprennent pas, mais il fait connaître le motif pour lequel ils ne comprennent point. « Il en est parmi vous qui ne croient pas ». La raison pour laquelle ils ne comprennent pas, c’est qu’ils ne croient pas; car, dit le Prophète, « si vous ne croyez point, vous ne comprendrez pas (3) ». La foi nous unit, l’intelligence nous

 

1. Rom. V, 5 .— 2. Id. VIII, 9. — 3. Isa. VII, 9 suiv. les Septante.

 

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communique la vie, commençons par nous attacher à Jésus-Christ, et l’intelligence trouvera en nous de quoi vivifier. Celui qui ne s’attache pas à lui, lui résiste, et quiconque lui résiste, ne croit pas à lui. Comment recevoir la vie de celui à qui on résiste? On met obstacle au rayon de lumière qui doit pénétrer; on n’en détourne point les feux, mais on lui ferme l’accès de son âme. « Il en est donc qui ne croient pas ». Qu’ils croient et ouvrent leur esprit, qu’ils ouvrent leur esprit, et la lumière les pénétrera. « Car Jésus savait dès le commencement quels seraient ceux qui ne croiraient point et le trahiraient». Judas en effet se trouvait là. Il y en eut qui furent scandalisés; mais, pour lui, il resta près de son maître afin de lui tendre des piéges et non pour le comprendre, et, parce qu’il était resté, le Sauveur parla de lui: sans le nommer expressément, il laissa entendre qu’il le connaissait, et, par là, il voulait inspirer de la crainte à tous, quoiqu’un seul dût périr. Après avoir parlé et distingué les croyants d’avec les incroyants, il fit connaître le motif pour lequel quelques-uns ne croyaient pas : « C’est pourquoi », dit-il, « je vous assure que nul ne peut venir à moi, si ce pouvoir ne lui a été donné par mon Père ». Aussi la foi est un don qui nous est accordé, car la foi n’est- pas chose de nulle valeur, et parce qu’elle est précieuse, réjouis-toi de l’avoir reçue, mais n’en conçois aucun orgueil : « Qu’as-tu, en effet, que tu n’aies pas reçu (1)? »

8. « Dès ce moment, plusieurs de ses disciples se retirèrent en arrière et ne marchèrent plus avec lui. Ils se retirèrent en arrière e, non pour suivre le Christ, mais pour suivre le démon. Un jour, le Seigneur Jésus donna à Pierre le nom de Satan, mais parce qu’il voulait prendre le pas sur son maître, et lui conseiller de ne pas mourir, quoique le Christ fût venu en ce monde pour subir la mort et nous empêcher, par là, de périr éternellement. Et il lui dit: « Arrière, « Satan ; retire-toi de moi, parce que tu ne comprends pas ce qui est de Dieu, mais ce qui est des hommes (2) » Quoiqu’il l’appelât Satan, il ne le força pas néanmoins à se retirer en arrière pour suivre le démon; mais il le fit marcher derrière lui, afin qu’en suivant les traces de son maître, il ne devînt pas

 

1. Cor. IV, 7. —  2. Matth. XVI, 23.

 

démon. Pour les disciples, dont il est ici question, ils se retirèrent en arrière, comme ces femmes dont parle l’Apôtre: « Quelques-unes se sont égarées pour suivre Satan (1) ». Ils ne marchèrent plus désormais avec le Sauveur; ils perdirent la vie, en se séparant du corps auquel ils n’avaient peut-être d’ailleurs jamais appartenu: car s’ils portaient le nom de disciples, ils n’en devaient pas moins être rangés au nombre des incroyants; et ces hommes, qui se retiraient en arrière, n’étaient pas en petit nombre: on en comptait beaucoup. Dieu a voulu qu’il en fût ainsi, pour notre consolation. Parfois, en effet, il arrive qu’un homme dise la vérité, et que, pourtant, ses paroles ne soient pas goûtées, et que ses auditeurs se scandalisent et s’éloignent. Cet homme se repent d’avoir tenu des discours conformes à la vérité; il se dit eu lui-même: J’aurais dû ne pas m’exprimer ainsi, j’aurais dû m’exprimer autrement. Pareille chose est arrivée au Sauveur : il a parlé, et plusieurs l’ont quitté, et il est resté avec quelques-uns seulement; mais il ne s’en est nullement ému, car il savait, dès le commencement, quels étaient ceux qui croyaient en lui et ceux qui n’y croyaient pas; et nous, nous nous troublons en cas pareil. Cherchons donc alors, dans l’exemple du Seigneur Jésus, un adoucissement à notre peine, mais n’oublions pas de montrer une grande prudence, lorsque nous parlons.

9. Le Christ s’adressa aux rares disciples qui lui étaient restés fidèles; « Jésus dit donc aux douze », c’est-à-dire aux douze qui étaient restés près de lui : « Et vous aussi, voulez-vous vous en aller?» Judas lui-même ne s’était pas éloigné; mais le motif pour lequel il était resté, le Sauveur le connaissait déjà: nous avons, depuis, appris à le connaître. Au nom de tous, seul pour plusieurs, représentant dans l’unité de sa personne l’universalité des autres, Pierre prit la parole : « Simon Pierre lui répondit : Seigneur, à qui irons-nous? » Vous nous éloignerez de vous; donnez-nous un autre vous-même. « A qui irons-nous? » Si nous nous éloignons de vous, à qui irons-nous? « Vous avez les paroles de la « vie éternelle». Voyez comment, par ta grâce de Dieu, et sous l’inspiration de l’Esprit Saint, Pierre comprit les paroles de son maître. D’où lui en vint l’intelligence, sinon de sa foi?

 

1. I Tim. V, 15.

 

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« Vous avez les paroles de la vie éternelle ». Vous avez les paroles de la vie éternelle, puisque vous nous donnez votre corps et votre sang. « Et nous avons cru, et nous avons « connu ». Il ne dit pas: Nous avons connu et nous avons cru, mais : « Nous avons cru et nous avons connu ». Nous avons cru, afin de connaître; car si nous voulions connaître d’abord, pour croire ensuite, nous ne parviendrions ni à connaître, ni à croire. Qu’avons-nous cru, et qu’avons-nous connu? « Que vous êtes le Christ, Fils de Dieu», c’est-à-dire, que vous êtes la vie éternelle, et que mous ne donnez dans votre corps et votre sang que ce que vous êtes.

10. Le Seigneur Jésus leur dit donc: « Ne vous ai-je pas choisis au nombre de douze, et l’un de vous est un démon?» Ne devrait-il pas dire: « J’en ai choisi onze? » Car le démon a-t-il été aussi choisi, et se trouve-t-il au nombre des élus? On ne parle d’élus qu’en bonne part; or, le Sauveur a-t-il pu choisir un homme pour lui faire opérer des merveilles en fait de bonnes oeuvres, malgré lui et sans qu’il le sache? Oui, car si les méchants agissent différemment, c’est le propre de Dieu d’agir ainsi. De même, en effet, que les méchants font mauvais usage des bienfaits de pieu, de même aussi, mais par contre, Dieu emploie-t-il pour le bien les mauvaises actons des méchants. Combien il est avantageux pour nous que les membres de notre corps soient tels que le divin architecte a pu seul les créer; et pourtant, quel triste usage les effrontés font-ils de leurs yeux? et les fourbes, de leur langue? Avec leur langue, les faux témoins commencent par tuer leur âme, et quand ils se sont donné la mort spirituelle, ils s’efforcent de blesser les autres. De ce qu’ils l’emploient à mal faire, il ne s’ensuit nullement que la langue soit une mauvaise chose: c’est l’oeuvre de Dieu ; mais cette oeuvre, toute bonne qu’elle soit, la méchanceté humaine en tire un mauvais parti. fuel usage font de leurs pieds ceux qui cousent pour commettre le crime? Et les homicides, à quoi emploient-ils leurs mains? Et les êtres excellents, sortis des mains de Dieu, qui nous environnent de toutes parts, comme les mauvais chrétiens les détournent de leur destination première ! Avec l’or, on corrompt la justice, on opprime les innocents. Les méchants emploient au mal la lumière du jour. En effet, dans leurs écarts de moeurs, ils vont jusqu’à se servir de cette lumière qui éclaire leurs pas, comme d’un moyen de perpétrer plus sûrement leurs crimes. Dans les démarches qu’il fait pour accomplir ses pernicieux desseins, le pécheur emploie les rayons du soleil à ne se butter à aucun obstacle extérieur, quoiqu’intérieurement il se soit déjà frappé à une pierre d’achoppement et soit tombé; l’inconvénient qu’il redoute pour son corps, il l’a déjà rencontré dans son coeur. Il serait trop long d’énumérer tous les bienfaits de Dieu ; mais il n’y en a pas un seul dont les méchants ne fassent abus; et par une raison toute contraire, l’homme de bien fait tourner au bien la méchanceté même des méchants. Et, de fait, y a-t-il un seul être aussi bon que Dieu? Le Seigneur lui-même ne dit-il pas, en effet : « Dieu seul est bon (1)? » Aussi, meilleur il est, meilleur est l’emploi qu’il fait de nos mauvaises dispositions. Vit-on jamais homme aussi pervers que Judas? Préférablement à tous les adhérents du divin Maître, choisi même parmi les douze Apôtres, il reçut la mission de garder la bourse commune et de distribuer les aumônes aux pauvres; mais un tel bienfait, un si grand honneur ne trouva en lui qu’un ingrat; on lui donna de l’argent, et il perdit la justice ; il était mort, et il livra la vie, et il poursuivit comme un ennemi celui qu’il avait suivi en qualité de disciple. Telle fut l’abominable conduite de Judas voyez le bel usage qu’en fit le Seigneur ! Il se laissa trahir pour nous racheter, et ainsi fit-il contribuer à notre bien le crime de Judas. Combien de martyrs ont été persécutés par Satan; s’il avait cessé de se montrer persécuteur, nous ne célébrerions point aujourd’hui l’admirable victoire de saint Laurent. Dieu tire donc avantage des oeuvres coupables du démon; quand un méchant fait un mauvais emploi des bienfaits de Dieu, il se fait du mal à lui-même, mais il n’infirme en rien la bonté divine. Un ouvrier se sert d’un méchant; mais si le grand ouvrier ne s’en servait pas, il ne lui permettrait pas même d’exister. Aussi le Sauveur dit-il: « Je vous ai choisis au nombre de douze, et l’un d’entre vous est un démon ». Il a pu dire encore : « Je vous ai choisis au nombre de douze » , par cette raison que le nombre douze est sacré ; et parce que l’un des douze a péri, il ne s’ensuit

 

1. Marc, X, 18.

 

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nullement que ce nombre ait perdu de sa valeur; car un autre a pris la place de celui qui a péri (1). Le nombre consacré, c’est-à-dire le nombre de douze, est demeuré intact, parce que les douze devaient annoncer un Dieu en trois personnes par tout le monde, c’est-à-dire aux quatre coins du monde; ils sont donc au nombre de trois fois quatre. Judas s’est tué lui-même, mais il n’a porté aucune atteinte au nombre de douze; il a abandonné son maître, mais Dieu lui a donné un successeur.

11. Le Sauveur nous a parlé de son corps et de son sang; il nous a promis qu’en lei recevant, nous recevrions aussi la vie éternelle; il a voulu nous faire comprendre que ceux qui mangent son corps et boivent sou sang, sont ceux-là mêmes qui demeurent eu lui et lui servent de demeure : ceux qui ne crurent point à ses paroles n’en saisirent pas le sens, à des choses spirituelles ils donnèrent un sens charnel; aussi s’en scandalisèrent-ils ; et quand ils se furent scandalisés et éloignés de la source de la vie, le Sauveur consola ceux de ses disciples qui étaient restés avec lui. Pour les éprouver, il leur adressa cette question: « Et vous aussi, voulez-vous vous en aller? » Par la réponse qu’il provoquait, il voulait nous faire connaître leur constante fidélité à sa personne. Comme résultat de ces différentes circonstances, puissions-nous, nos très-chers frères, ne pas nous contenter, à l’exemple d’un grand nombre de mauvais chrétiens, de recevoir le sacrement du corps et du sang de Jésus-Christ! Mangeons son corps et buvons son sang de manière à participer à son esprit : par là, nous demeurerons dans le corps du Seigneur en qualité de membres; son esprit nous animera, et nous ne nous scandaliserons point; quoique beaucoup d’autres mangent et boivent maintenant avec nous, et dans un sentiment tout charnel, le corps et le sang du Sauveur, se condamnant ainsi, pour la fin de leur vie, à d’éternels supplices. Aujourd’hui les membres du Christ se trouvent mêlés les uns aux autres comme des grains de froment dans une aire. Mais Dieu connaît ceux qui lui appartiennent (2). Si tu connais ce que tu foules aux pieds, si par conséquent, tu sais que, sous tes pieds se trouvent des grains cachés, et qu’en les

 

1. Act, 1, 26. — 2. II Tim, II, 19.

 

foulant tu ne les détruis pas, mais que plus tard le vent séparera les mauvais d’avec les bons; c’est un fait pour nous hors de doute, mes frères, que nous devons tous, nous qui sommes les membres du Christ, et qui demeurons en lui afin de lui servir de demeure, à notre tour, nous devons tous, ici-bas, vivre jusqu’à la fin au milieu des méchants. Et, par ces méchants, je n’entends pas ceux qui blasphèment Jésus-Christ ; car il en est peu, de notre temps, pour l’injurier de bouche: je veux parler de ceux, hélas! trop nombreux, dont la conduite est un blasphème continue.

12. Mais qu’est-ce que le Sauveur dit par ces paroles : « Celui qui demeure en moi, je  demeure moi-même en lui (1)?» Que dit-il, sinon ce qu’entendaient les martyrs: « Celui qui persévérera jusqu’à la fin, sera sauvé (2)?» Comment est resté en lui saint Laurent, dont nous célébrons aujourd’hui la fête? Il y est resté jusqu’au moment de l’épreuve, de l’interrogatoire du tyran, des menaces les plus effrayantes, jusqu’à la mort. Que dis-je? Jusqu’au plus douloureux martyre. Car on ne l’a pas fait mourir tout de suite : on lui a fait subir le supplice du feu , on l’a laissé vivre longtemps ; ou plutôt, on ne l’a pas laissé vivre longtemps, mais on l’a forcé à mourir lentement. Dans cette longue agonie, au milieu de ces tourments, il ne ressentit point la douleur, parce qu’ayant mangé le corps et bu le sang du Christ avec des dispositions parfaites, il était comme engraissé de cet aliment et enivré de ce breuvage ; car en lui se trouvait celui qui a dit : « C’est l’esprit qui vivifie ». Son corps subissait les ardeurs du feu, mais l’esprit soutenait son âme : il ne défaillit point, aussi entra-t-il dans le royaume éternel. Le saint martyr Xiste, dont nous avons solennisé la mémoire il y a cinq jours, lui avait dit : « Mon fils, ne t’attrista pas ». (Xiste était l’évêque, et Laurent son diacre.) « Mon fils, ne t’attriste pas: tu me suivras après un triduum ». Il donnait le nom de triduum à l’intervalle qui devait se trouver entre son martyre et celui de saint Laurent, que nous célébrons aujourd’hui. Trois jours, voilà l’intervalle. O consolation ! Il ne dit pas Ne t’attriste pas, mon fils ; la persécution aura un terme, et tu seras en sécurité ; mais ne t’attriste pas : où

 

1. Jean, VI, 57; XV, 5. — 2. Matth. XXIV, 13.

 

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je vais le premier, tu me suivras : ton voyage n’est pas, à vrai dire, retardé; car dans l’intervalle de trois jours tu seras avec moi. Saint Laurent reçut cette promesse prophétique, remporta la victoire sur le démon et parvint au triomphe.

 

 

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