TRAITÉ L
Précédente Accueil Remonter Suivante

 

Accueil
Remonter
TRAITÉ I
TRAITÉ II
TRAITÉ III
TRAITÉ IV
TRAITÉ V
TRAITÉ VI
TRAITÉ VII
TRAITÉ VIII
TRAITÉ IX
TRAITÉ X
TRAITÉ XI
TRAITÉ XII
TRAITÉ XIII
TRAITÉ XIV
TRAITÉ XV
TRAITÉ XVI
TRAITÉ XVII
TRAITÉ XVIII
TRAITÉ XIX
TRAITÉ XX
TRAITÉ XXI
TRAITÉ XXII
TRAITÉ XXIII
TRAITÉ XXIV
TRAITÉ XXV
TRAITÉ XXVI
TRAITÉ XXVII
TRAITÉ XXVIII
TRAITÉ XXIX
TRAITÉ XXX
TRAITÉ XXXI
TRAITÉ XXXII
TRAITÉ XXXIII
TRAITÉ XXXIV
TRAITÉ XXXV
TRAITÉ XXXVI
TRAITÉ XXXVII
TRAITÉ XXXVIII
TRAITÉ XXXIX
TRAITÉ XL
TRAITÉ XLI
TRAITÉ XLII
TRAITÉ XLIII
TRAITÉ XLIV
TRAITÉ XLV
TRAITÉ XLVI
TRAITÉ XLVII
TRAITÉ XLVIII
TRAITÉ XLIX
TRAITÉ L
TRAITÉ LI
TRAITÉ LII
TRAITÉ LIII
TRAITÉ LIV
TRAITÉ LV
TRAITÉ LVI
TRAITÉ LVII
TRAITÉ LVIII
TRAITÉ LIX
TRAITÉ LX
TRAITÉ LXI
TRAITÉ LXII
TRAITÉ LXIII
TRAITÉ LXIV
TRAITÉ LXV
TRAITÉ LXVI
TRAITÉ LXVII
TRAITÉ LXVIII
TRAITÉ LXIX
TRAITÉ LXX
TRAITÉ LXXI
TRAITÉ LXXII
TRAITÉ LXXIII
TRAITÉ LXXIV
TRAITÉ LXXV
TRAITÉ LXXVI
TRAITÉ LXXVII
TRAITÉ LXXVIII
TRAITÉ LXXIX
TRAITÉ LXXX
TRAITÉ LXXXI
TRAITÉ LXXXII
TRAITÉ LXXXIII
TRAITÉ LXXXIV
TRAITÉ LXXXV
TRAITÉ LXXXVI
TRAITÉ LXXXVII
TRAITÉ LXXXVIII
TRAITÉ LXXXIX
TRAITÉ XC
TRAITÉ XCI
TRAITÉ XCII
TRAITÉ XCIII
TRAITÉ XCIV
TRAITÉ XCV
TRAITÉ XCVI
TRAITÉ XCVII
TRAITÉ XCVIII
TRAITÉ XCIX
TRAITÉ C
TRAITÉ CI
TRAITÉ CII
TRAITÉ CIII
TRAITÉ CIV
TRAITÉ CV
TRAITÉ CVI
TRAITÉ CVII
TRAITÉ CVIII
TRAITÉ CIX
TRAITÉ CX
TRAITÉ CXI
TRAITÉ CXII
TRAITÉ CXIII
TRAITÉ CXIV
TRAITÉ CXV
TRAITÉ CXVI
TRAITÉ CXVII
TRAITÉ CXVIII
TRAITÉ CXIX
TRAITÉ CXX
TRAITÉ CXXI
TRAITÉ CXXII
TRAITÉ CXXIII
TRAITÉ CXXIV

CINQUANTIÈME TRAITÉ.

DEPUIS CET ENDROIT : « LA PAQUE DES JUIFS ÉTAIT PROCHE », JUSQU’À CET AUTRE : « BEAUCOUP S’EN ALLAIENT À CAUSE DE LUI ET CROYAIENT EN JÉSUS ». (Chap. XI, 55, 56 et XII, 1-11.)

LE VASE DE PARFUMS.

 

On se trouvait à la fête de Pâques, figure de la vraie Pâque, et les Pharisiens incrédules voulaient se saisir de Jésus pour le perdre et se perdre du même coup. Puissent leurs descendants mériter par leur foi de le saisir pour se sauver ! Sur ces entrefaites, Jésus vint souper à Béthanie, et Marie versa sur ses pieds un vase de parfums. Ces parfums étaient l’emblème des bonnes oeuvres du chrétien, qui portent la vie ou la mort dans l’âme de ceux qui en sont témoins, suivant les intentions qu’ils apportent à les voir : témoin Judas, qui prit scandale de l’action méritoire de Marie. A ses réflexions déplacées, Jésus fit une réponse qui dut lui donner occasion de rentrer en lui-même.

 

1. Sur ce qui nous a été lu hier du saint Evangile, je vous ai dit ce que le Seigneur m’a inspiré : sur la leçon d’aujourd’hui, qui suit celle d’hier, je vous dirai ce que le Seigneur me donnera. Il se trouve dans les Ecritures des choses si claires, qu’il suffit de [670] les entendre pour les comprendre. Nous ne nous appesantirons point sur ces passages, afin d’avoir le temps de nous arrêter sur ceux qui le demanderont.

2. « Or, la Pâque des Juifs était proche». Ce jour de fête, les Juifs voulaient l’ensanglanter du sang du Seigneur. En ce jour de fête fut mis à mort l’Agneau qui pour nous a consacré par son sang ce même jour de fête. Les Juifs tenaient conseil entre eux sur la mise à mort de Jésus. Et lui, qui n’était venu du ciel que pour souffrir, voulut se rapprocher du lieu de sa passion, parce que l’heure de sa passion approchait. « Et plusieurs de cette contrée-là montèrent à Jérusalem avant Pâques, pour se purifier». Les Juifs agissaient ainsi pour obéir au commandement du Seigneur, qui leur avait été donné par Moïse dans la loi. Ce commandement leur prescrivait de se réunir de toutes parts en cette fête de Pâques, et de se purifier pour la célébration de ce grand jour. Mais cette célébration n’était que l’ombre de ce qui devait venir. Qu’est-ce à dire, l’ombre de ce qui devait venir? C’était une prophétie de la venue de Jésus-Christ, une annonce des souffrances qu’il devait endurer en ce jour-là pour nous, afin que l’ombre cessât et que la lumière vînt; pour que la figure passât et nous mît en possession de la vérité. La Pâque que célébraient les Juifs était donc l’ombre, et la nôtre est la lumière. Car à quoi bon leur ordonner d’immoler un agneau en ce jour de fête, sinon parce que le Sauveur est celui dont un Prophète a dit : « Il a été conduit à la mort comme un agneau (1) ? » Du sang de l’agneau immolé, les Juifs marquèrent les portes de leur maison : nos fronts sont marqués du sang de Jésus-Christ. Et comme cette marque était un signe, nous lisons qu’elle éloigna l’ange exterminateur des maisons sur lesquelles elle était empreinte (2). De même en est-il du signe de Jésus-Christ : il éloigne de nous l’exterminateur, si cependant notre coeur reçoit le Sauveur. Pourquoi cette condition? Parce qu’il en est plusieurs qui ont leur porte marquée, tandis que personne ne réside dans leur âme : il leur est facile de recevoir sur le front le signe de Jésus-Christ, mais dans leur coeur ils ne reçoivent pas la parole de Jésus-Christ. C’est pourquoi, mes frères, j’ai dit et je répète que le signe de Jésus-Christ

 

1. Isa. LIII, 7.— 2. Exod. XII, 22, 23.

 

chasse loin de nous l’exterminateur, si notre coeur a pour habitant Jésus-Christ. Et j’ai dit cela, afin que personne ne se mit en peine de. rechercher ce que signifiait cette fête des Juifs. Le Seigneur est donc venu comme une victime, pour que nous ayons une vraie pâque, en célébrant sa passion à l’image de l’immolation de l’Agneau.

3. « Ils cherchaient donc Jésus », mais ils le cherchaient dans de mauvaises intentions. Heureux ceux qui le cherchent, mais qui le cherchent bien ! Ils cherchaient Jésus, mais pour ne pas l’avoir, et pour nous en priver nous-mêmes; mais parce qu’il a été forcé par eux de s’éloigner de leurs personnes, nous l’avons nous-mêmes reçu. On blâme parfois ceux qui cherchent Jésus, et parfois on les loue. C’est en effet l’esprit avec lequel on cherche qui attire la louange ou le blâme. De fait, tu lis dans un psaume ces paroles : « Qu’ils soient couverts de honte et d’ignominie, ceux qui cherchent ma vie (1) » ; voilà ceux qui cherchaient mal. Mais, dans un autre endroit, il est dit : «Toute fuite m’échappe, et il n’est personne qui cherche ma vie (2) ». Blâmés sont ceux qui cherchaient, blâmés sont encore ceux qui ne cherchaient pas. Cherchons donc Jésus, mais pour le posséder; cherchons-le pour le garder, et non pour le tuer : les Juifs le cherchaient pour s’en emparer, et pour le perdre aussitôt : « Ils le cherchaient donc, et ils disaient entre eux : « Que vous semble-t-il qu’il ne soit pas venu à ce jour de fête ?»

4. « Or, les Pontifes et les Pharisiens avaient donné ordre que si quelqu’un savait où il était, il le déclarât, afin de le saisir ». C’est maintenant à nous de dire aux Juifs où est le Christ. Puissent-ils vouloir nous entendre et se saisir du Christ, tous les descendants de ceux qui avaient donné l’ordre ,de leur indiquer où il était ! Qu’ils viennent à l’Eglise, ils apprendront où est le Christ, et ils le saisiront qu’ils l’apprennent de nous, qu’ils l’apprennent de l’Evangile : il a été mis à mort par leurs pères ; il a été enseveli, il est ressuscité, il s’est fait reconnaître de ses disciples; en leur présence il est monté au ciel, où il est assis à la droite du Père; il a été jugé et il viendra comme juge : qu’ils écoutent donc et qu’ils le prennent ; ils répondront peut-être : Mais comment saisir celui qui est

 

1. Ps. XXXIX, 15.— 2. Id. CXLI, 5.

 

671

 

absent? Comment pénétrer jusque dans le ciel où il est assis, pour s’emparer de lui? Que ta foi s’élève jusqu’au ciel, et tu le saisiras. Tes pères l’ont saisi avec les mains de leur corps; pour toi, saisis-le avec ton coeur; car, bien qu’absent, Jésus-Christ est toujours présent : s’il ne l’était point, nous serions nous-mêmes dans l’impossibilité de le saisir: mais comme ce qu’il nous dit est vrai, « voici que je suis avec vous jusqu’à la consommation des siècles (1) » ; s’il s’en est allé, il est encore ici; s’il est retourné à son Père, il ne nous a pas abandonnés. Son corps s’est élevé dans les cieux, mais sa divinité ne s’est pas éloignée du monde.

5. « Jésus donc, six jours avant la Pâque, vint à Béthanie, où était mort Lazare, qu’il  avait ressuscité. On lui donna à souper, Marthe le servait et Lazare était un de ceux qui étaient à table avec lui ». De peur que les hommes ne s’imaginassent que sa résurrection d’entre les morts n’était qu’un vain fantôme, Lazare était du nombre de ceux qui étaient à table avec lui ; il était vivant; il parlait, il prenait part au festin : la vérité se manifestait ainsi au grand jour, et l’incrédulité des Juifs se trouait confondue. Le Seigneur était donc à table avec Lazare et les autres, et Marthe, une des soeurs de Lazare, les servait.

6. Or « Marie », l’autre soeur de Lazare, « prit une livre de vrai nard, parfum précieux, et le répandit sur les pieds de Jésus, et elle les essuya avec ses cheveux, et toute la maison fut remplie de l’odeur du parfum ». Vous avez entendu le fait, cherchons le mystère qu’il renferme. O âme, qui que tu sois, si tu veux être fidèle, avec Marie verse sur les pieds du Sauveur un parfum précieux. Ce parfum n’était autre que la justice, c’est pourquoi il y en avait une livre. C’était un parfum « de nard » précieux et éprouvé. Le nom donné à ce parfum indique, à ce que je crois, la contrée d’où il venait ; mais ce mot n’est pas exempt de mystère, et il convient bien à celui que nous voulons découvrir. En grec, pistis signifie la foi. Tu voulais savoir comment pratiquer la justice? « Le juste vit de la foi (2) ». Oins les pieds de Jésus par une vie sainte, suis les traces du Seigneur. Essuie ses pieds avec tes cheveux ; si tu as du superflu, donne-le aux pauvres, et tu auras essuyé les

 

1. Matth. XXVIII, 20.— 2. Rom. I, 17.

 

pieds du Seigneur, car les cheveux sont pour le corps comme quelque chose de superflu. Tu vois ce qu’il faut faire de ton superflu ; il est superflu pour toi, mais il est nécessaire aux pieds du Seigneur. Peut-être que, sur la terre, les pieds du Seigneur se trouvent dans le besoin. De qui donc, sinon de ses membres, doit-il dire à la fin du monde: « Ce que vous avez fait au moindre des miens, c’est à moi que vous l’avez fait (1)? » Vous avez donné des choses qui né vous étaient pas nécessaires, mais vous avez soulagé mes pieds.

7. « Et toute la maison fut remplie de l’odeur ». Le monde se remplit de la bonne renommée; car la bonne odeur, c’est la bonne renommée. Ceux qui vivent mal et qui portent le nom de chrétiens font injure à Jésus-Christ ; c’est d’eux qu’il est dit : « A cause d’eux le nom du Seigneur est blasphémé (2) »; mais si à cause d’eux le nom de Dieu est blasphémé, à cause des bons le nom du Seigneur est comblé de louanges. Ecoutez l’Apôtre : « Nous sommes», dit-il, « la bonne odeur de Jésus-Christ en tout lieu ». Il est dit aussi au Cantique des cantiques : « Ton nom est un parfum répandu (3) » ; mais revenons à l’Apôtre : « Nous sommes», dit-il, « la bonne odeur de Jésus-Christ en tout lieu, et pour ceux qui se sauvent et pour ceux qui périssent; aux uns une odeur de vie pour la vie, et aux autres une odeur de mort pour la mort. Et qui est propre à ce ministère (4)? » La lecture de ce passage du saint Evangile nous fournit l’occasion de parler de cette bonne odeur, de telle sorte que nos paroles soient suffisantes, et que vous l’écoutiez avec attention ; car l’Apôtre lui-même nous dit : « Qui est propre à ce ministère ? » Donc, par cela seul que nous nous efforcerons de parler, serons-nous propres à le faire; et vous, serez-vous aptes à entendre ces choses ? Pour moi, en vérité, je n’en suis pas capable; mais il en est capable, celui qui par moi daignera vous dire des choses qu’il vous sera avantageux d’entendre. L’Apôtre « est une bonne odeur », comme il le dit lui-même ; mais bien qu’il soit une bonne odeur, et s’il est «aux uns une odeur de vie pour la vie, il « n’en est pas moins pour les autres une odeur de mort pour la mort ». Et cependant il est une bonne odeur, car il ne dit

 

1. Matth. XXV, 40.— 2. Rom. II, 24.— 3. Cant. I, 2.— 4.II Cor. II, 14-16.

 

672

 

point aux uns : Je suis une bonne odeur pour la vie; aux autres: une mauvaise odeur pour la mort; il dit qu’il est une bonne odeur et non une mauvaise, et cette même bonne odeur donne, selon lui, la vie aux uns et aux autres elle donne la mort. Heureux ceux que la bonne odeur fait vivre ; mais y a-t-il rien de plus malheureux que de trouver dans la bonne odeur un principe de mort?

8. Mais, dira quelqu’un, quel est celui que la bonne odeur fait mourir ? C’est là que s’applique ce que dit l’Apôtre : « Et qui est capable d’un tel ministère? » Par quel incompréhensible secret Dieu agit-il de manière à ce que la même bonne odeur fasse vivre les bons et mourir les méchants? Comment cela se fait-il ? Je vais tâcher de vous l’indiquer, autant, du moins, que Dieu daignera me le découvrir (peut-être y a-t-il sous ces paroles un sens plus profond que je ne saurais dévoiler); néanmoins je ne dois pas vous cacher ce que j’ai pu y voir. L’apôtre Paul était connu partout comme un homme de bien,, vivant saintement, soutenant par sa bonne vie la justice qu’il annonçait par ses paroles, comme un docteur admirable et un fidèle dispensateur. Pour ce motif, les uns l’aimaient, d’autres lui portaient envie ; car en un certain endroit il dit lui-même de quelques-uns qu’ils annonçaient Jésus-Christ non avec pureté d’intention, mais par jalousie, «croyant», dit-il, « ajouter des peines à mes liens »; mais qu’ajoute-t-il ? « Peu importe que Jésus-Christ soit annoncé par occasion ou par un vrai zèle, pourvu qu’il soit annoncé (1) ». Ceux qui m’aiment l’annoncent, ceux qui me portent envie l’annoncent aussi - les uns vivent de la bonne odeur, les autres en meurent; cependant, que par les uns et par les autres le nom de Jésus-Christ soit annoncé, et que le monde soit rempli de son odeur si précieuse. Aimes-tu celui qui fait le bien? la bonne odeur te fait vivre ; portes-tu envie à celui qui fait le bien? la bonne odeur te fait mourir. Mais parce que tu as voulu mourir, as-tu pour cela rendu mauvaise cette odeur? Ne porte envie à personne, et la bonne odeur ne te fera pas mourir.

9. Enfin, écoutez encore comment ce parfum fut pour les uns une bonne odeur pour la vie, et pour les autres une bonne odeur pour la mort. Lorsque Marie, dans sa piété,

 

1. Philipp. I, 17, 18.

 

eut fait cela pour marquer son respect à l’égard du Seigneur, aussitôt « un de ses disciples, Judas Iscariote, qui devait le trahir, dit : Pourquoi ce parfum n’a-t-il pas été vendu trois cents deniers, et ne les a-t-on pas donnés aux pauvres ? » Malheur à toi, misérable, la bonne odeur t’a tué ! Pourquoi a-t-il tenu ce langage? c’est ce que le saint Evangéliste nous découvre. Si l’Évangile ne nous avait fait connaître son intention, nous nous serions imaginé qu’il avait ainsi parlé par amour pour les pauvres; mais non: quoi donc? Écoute ce que dit un témoin véridique : « Il dit cela, non qu’il eût souci des pauvres mais parce qu’il était larron; il portait la bourse et gardait ce qu’on y mettait ». Le portait-il ou bien l’emportait-il? Il le portait comme économe, il l’emportait comme larron.

10. Vous apprenez par là que ce Judas ne commença pas à se pervertir au moment où, gagné par les Juifs, il leur livra le Seigneur. Plusieurs, n’étudiant pas l’Évangile, croient que Judas se perdit alors seulement qu’il reçut des Juifs de l’argent pour leur livrer le Seigneur. Non, ce n’est pas alors qu’il se perdit,: il était déjà voleur, et bien qu’il marchât à la suite du Sauveur, il était déjà perdu; c’est qu’il le suivait, non de coeur, mais de corps. Il complétait le nombre douze qui était celui des Apôtres; mais il n’avait pas la grâce des Apôtres, il n’était le douzième qu’en apparence. A sa mort, un autre lui succéda, et le nombre apostolique fut complété, et il demeura, intact (1). Qu’est-ce donc, mes frères, que Notre-Seigneur Jésus-Christ a voulu apprendre à son Eglise, en permettant qu’un homme ainsi pervers se trouvât parmi les douze Apôtres? n’a-t-il pas voulu nous apprendre à supporter les méchants et à ne pas diviser son corps ? Voilà Judas au milieu des saints, et Judas est un voleur ; fais-y attention, ce n’est pas un voleur ordinaire, il est voleur et sacrilège ; voleur d’argent, mais de l’argent du Seigneur; voleur d’argent, mais d’argent sacré. En justice, on distingue entre le vol ordinaire et le péculat : le péculat est le vol de ce qui appartient au public, et le vol d’une chose privée n’est pas jugé aussi grave que celui d’une chose appartenant à l’État : avec quelle sévérité ne sera donc pas jugé le voleur sacrilège, qui ose enlever non

 

1. Act. I, 26.

 

673

 

ce qui appartient à un particulier, mais ce qui appartient à l’Église? Celui qui vole l’Église doit être comparé au traître Judas. Tel était ce Judas, et cependant il entrait dans l’assemblée des onze autres disciples qui étaient des saints, et il en sortait. Comme eux il prit part à la cène du Seigneur; il pouvait vivre avec eux, mais il ne pouvait les souiller. Pierre et Judas reçurent du même pain, et cependant qu’y a-t-il de commun entre le fidèle et l’infidèle ? Pierre a reçu ce pain pour la vie, Judas pour la mort. Cette bonne nourriture, en effet, est comme la bonne odeur dont nous parlions. Et comme la bonne odeur, cette bonne nourriture donne la vie aux bons et la mort aux méchants. « Car celui qui la mange indignement, mange et boit sa propre condamnation (1) ». « Sa condamnation », et non pas la tienne, puisque c’est sa propre condamnation et non la tienne. Toi qui es bon, supporte les méchants pour arriver à la récompense des bons, et ne pas tomber dans le supplice des méchants.

11. Faites attention aux exemples que le Seigneur nous a donnés pendant qu’il était sur la terre. Pourquoi avait-il une bourse, celui que les anges servaient, sinon parce que son Eglise devait, elle aussi, en avoir une? Pourquoi a-t-il admis un voleur, si ce n’est pour que son Eglise supportât patiemment les voleurs? Mais l’homme habitué à voler l’argent de la bourse qu’il porte, n’hésite pas, pour recevoir de l’argent, à vendre le Seigneur lui-même. Voyons ce que le Seigneur lui répond. Remarquez-le, mes frères, il ne lui dit pas : C’est afin de pouvoir voler que tu parles ainsi; il le savait voleur, mais il ne le fit point connaître pour tel, il le supporta, nous donnant ainsi un exemple de patience et nous apprenant à supporter les méchants qui se trouvent dans l’Église. « Jésus donc lui dit : Laisse-la faire, afin qu’elle conserve ce parfum pour le jour de ma sépulture ». Il leur prédit ainsi qu’il allait bientôt mourir.

12. Or, que signifie ce qui suit : « Vous aurez toujours des pauvres avec vous, mais vous ne m’aurez pas toujours avec vous? » Je comprends bien : « Vous aurez toujours des pauvres ». Ce qu’il dit est bien vrai. Quand l’Église a-t-elle été dépourvue de pauvres? Mais que veut dire : « Pour moi, vous

 

1. I Cor. XI, 29.

 

ne m’aurez pas toujours »; comment comprendre ces mots : « Vous ne m’aurez pas toujours? » Cependant, ne vous en effrayez pas, c’est à Judas que Jésus s’adressait. Alors pourquoi n’a-t-il pas dit : « Tu auras » ; mais bien : « Vous aurez? » C’est qu’il n’y a pas qu’un seul Judas. Un seul méchant représente le corps des méchants, comme Pierre représente le corps des bons, et même le corps de l’Église, mais dans les bons. Car si en la personne de Pierre ne se fut pas trouvée la figure mystique de l’Église, le Seigneur ne lui aurait pas dit : « Je te donnerai la clef du royaume des cieux; tout ce que tu délieras sur la terre sera délié dans le ciel, et tout ce que tu lieras sur la terre sera lié dans le ciel (1) ». Si ces paroles n’avaient été adressées qu’à Pierre, l’Église ne pourrait exercer ce pouvoir. Néanmoins, ce pouvoir s’exerce dans l’Église, de sorte que ce qui est lié sur la terre est lié dans le ciel, et que ce qui est délié sur la terre est délié dans le ciel; en effet, quand l’Église excommunie, l’excommunié est lié dans le ciel; lorsque l’Église le réconcilié, il est délié dans le ciel. Si donc cela se fait ainsi dans l’Église au moment où Pierre reçut les clefs, il représentait la sainte Eglise. De même que, dans la personne de Pierre, se trouvaient représentés les bons qui font partie de l’Église; ainsi, les méchants qui sont dans l’Église, se trouvaient représentés par la personne de Judas. C’est à eux qu’il a été dit : « Vous ne m’aurez pas toujours ». Que veut dire : « Pas toujours? » Et que signifie ce mot : « Toujours? » Si tu es bon, si tu appartiens au corps que Pierre représente, tu auras Jésus-Christ et dans le présent et dans l’avenir; dans le présent par la foi, dans le présent par son signe, dans le présent par le sacrement du baptême, dans le présent par l’aliment et le breuvage de l’autel. Tu as Jésus-Christ dans le présent, mais tu l’auras aussi toujours, parce que, quand tu sortiras de ce monde, tu iras vers celui qui dit au bon larron : « Aujourd’hui tu seras avec moi dans le paradis (2)». Mais si tu vis mal, il semblera que tu possèdes Jésus-Christ dans le présent, parce que tu entreras dans l’Église, tu te marqueras du signe de Jésus-Christ, tu seras baptisé du baptême de Jésus-Christ, tu te mêleras à ses membres, tu t’approcheras de son autel, tu auras Jésus

 

1. Matth. XVI, 19.— 2. Luc, XXIII, 43.

 

674

 

Christ dans le présent; mais si tu vis mal, tu ne l’auras pas toujours.

13. On peut donner encore un autre sens à ces paroles : « Vous aurez toujours des pauvres avec vous, mais moi, vous ne m’aurez pas toujours ». Et les bons peuvent le comprendre ainsi, mais sans aucune inquiétude pour eux-mêmes. Jésus-Christ ne voulait parler que de la présence de son corps. En effet, relativement à sa majesté, à sa providence, à sa grâce invisible et ineffable, s’accomplit ce qu’il a dit lui-même : « Voici que je suis avec vous jusqu’à la consommation des siècles (1) ». Mais quant à la chair que le Verbe a prise, selon laquelle il est né de la Vierge, selon laquelle il a été saisi parles Juifs, attaché au bois de la croix, descendu de l’instrument de son supplice, enveloppé d’un linceul, enfermé dans le tombeau, manifesté à sa résurrection, « vous ne l’aurez pas toujours  avec vous » . Pourquoi? parce que corporellement il ne conversa que quarante jours avec ses disciples, et il monta au ciel où ils le conduisirent sinon du corps, du moins des yeux. Par conséquent, il n’est plus ici, car il est au ciel  (2); il y est assis à la droite du Père; il est ici en même temps, car sa majesté n’a pas cessé de se trouver présente. En d’autres termes, par rapport à sa divinité, nous ».vous toujours Jésus-Christ avec nous; mais quant à sa présence corporelle, c’est avec raison qu’il a dit à ses disciples : « Vous ne m’aurez pas toujours ». L’Eglise n’a joui de sa présence charnelle que l’espace de peu de jours;

 

1 Matth. XXVIII, 20.— 2. Act. I, 3, 9, 10.

 

maintenant elle le possède par la foi, sans le voir des yeux du corps. Donc, que ces paroles : « Vous ne m’aurez pas toujours », doivent s’entendre dans ce sens ou dans un autre, la question ne me semble plus difficile à résoudre, puisqu’on peut la faire de deux manières.

14. Ecoutons le peu qui nous reste. « Une grande multitude de Juifs apprit donc qu’il était là, et ils y vinrent, non pas seulement à cause de Jésus, mais aussi pour voir Lazare qu’il avait ressuscité ». Ce fut la curiosité qui les amena, et non la charité; ils vinrent et ils virent. Mais admirez la résolution que leur inspira leur vanité: Ils virent Lazare ressuscité, et comme ce grand miracle du Seigneur avait été publié avec une évidence manifeste, comme le bruit s’en était répandu partout; comme d’ailleurs ils ne pouvaient ni le cacher ni le nier, voici ce qu’ils imaginèrent. « Cependant les Princes des Prêtres pensèrent à faire mourir aussi Lazare, parce que beaucoup s’éloignaient des Juifs à cause de lui et croyaient en Jésus ».  O folle imagination, ô aveugle cruauté ! Le Seigneur Jésus-Christ, qui avait pu ressusciter cet homme mort de maladie, ne pouvait-il pas le ressusciter quand ils l’auraient tué? En donnant la mort à Lazare, enleviez-vous au Seigneur sa puissance ? Si, pour vous, autre chose est un homme mort, autre chose un homme tué, le Seigneur a ressuscité l’un et l’autre; il a ressuscité Lazare qui était mort, il s’est ressuscité lui-même après avoir été tué par les Juifs.

 

 

Haut du document

 

 

 

 

Précédente Accueil Suivante