De la Patience

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DE LA PATIENCE, DE LA TRISTESSE, DE LA COLÈRE, ETC.

 

Le docteur Juste Jonas (1) demanda un jour au docteur Luther si les pensées et les paroles du prophète Jérémie, lorsqu'il maudit le jour de sa naissance, étaient dignes d'un chrétien. Le docteur 

1 La correspondance de Luther éditée par Aurifaber (Eisleben, fol. 271) renferme un billet difficile à rendre dans notre langue, et qui montre que Jonas attachait peu de prix aux bienséances de la société : » Non de cloaca papyrum sumo, quemadmodum Jonas noster, qui le nihil pluris estimat quam ut dignus sis qui schedas natales, hoc est de natibus purgatis, legas. » 

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lui répondit : « Il nous faut de temps à autre presser le Seigneur par de semblables paroles. Jérémie avait raison de murmurer ainsi. Notre Seigneur Jésus-Christ n'a-t-il pas dit : « O vous, génération perverse et infidèle, combien de temps serai-je avec vous, et jusqu'à quand vous supporterai-je ! » Moïse aussi mit a Dieu le marche à la main (pour employer ici un proverbe ), lorsqu'il dit (Nombres, ch. XI, v. 11 : « Pourquoi as-tu affligé ton serviteur? Est-ce moi qui ai conçu tout ce peuple, ou l’ai-je engendré? » 

Il est impossible qu'un homme ne soit pas plongé dans une amère affliction, lorsqu'au fond de son cœur il veut le bien, et lorsqu'il reste délaissé. Je ne puis jamais me défaire de ces pensées, en désirant que je n'eusse jamais commencé mes discussions avec le pape. De même, je désire être mort plutôt que d'entendre mépriser la parole ou les serviteurs de Dieu ; c'est la fragilité de notre nature qui nous livre ainsi, par moments, au découragement. 

Ceux qui condamnent les mouvements de colère contre des antagonistes, sont des théologiens qui ne s'occupent que de spéculations; ils jouent avec les mots, et ne s'occupent que de subtilités ; mais lorsqu'ils commencent à se réveiller et à prendre un intérêt réel à l'affaire, alors ils s'échauffent et ils montrent qu'ils peuvent être piqués au vif. 

Le docteur Luther dit un jour : « Il y a peu de temps qu'un prêtre papiste, un flatteur hypocrite, me réprimanda et me blâma très-vertement de ce que j'avais mis tant de colère dans mes écrits, et de ce que j'avais si rudement gourmande le peuple. Je 

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lui répondis « : Le Seigneur notre Dieu doit envoyer d'abord un violent orage accompagné de tonnerre et d'éclairs, et le faire suivie d'une pluie douce ; alors le sol est complètement humecté. De même, je puis aisément trancher avec mon couteau une branche de saule; mais s'il s'agit d'un gros chêne, ce n'est pas trop d'employer des haches, des pioches pour l'abattre et le déraciner, et l'on n'en vient pas à bout sans peine. »

            Il y a beaucoup de personnes qui se plaignent de moi, trouvant que je suis trop emporté et trop violent contre le papisme. Moi, au contraire, je me plains, hélas ! que je suis beaucoup trop doux; je voudrais pouvoir souiller des foudres contre le pape et le papisme, et que chacune de mes paroles fût un coup de tonnerre. 

On demanda au docteur Luther pourquoi le Christ maudit avec tant de rigueur dans le psaume CIX, tandis qu'il a défendu de maudire, et le docteur répondit : « Un chrétien ne maudit point et ne se venge pas s'il s'agit de sa propre personne, mais la foi maudit et se venge elle-même. Pour comprendre ceci exactement, nous devons faire une distinction entre Dieu et l'homme, entre la personne et la cause. Pour ce qui concerne Dieu et sa cause, nous ne devons point avoir de patience, et nous ne devons point bénir. Ainsi, par exemple, lorsque les impies persécutent l'Evangile, cela concerne Dieu et sa cause ; alors nous ne devons pas bénir ni souhaiter une heureuse réussite, mais nous devons maudire et anathématiser les persécuteurs et leurs efforts, C'est ce qu'on appelle les malédictions de la foi, et, plutôt que de souffrir que la parole de Dieu fût supprimée et l'hérésie établie, la foi voudrait que toutes les créatures périssent dans les supplices; car l'hérésie nous l'ait perdre Dieu lui-même. Mais les hommes ne doivent pas se venger eux-mêmes; ils doivent tout endurer et faire du bien à leurs ennemis, ainsi que le recommandent  

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la doctrine de Jésus-Christ et les préceptes de la charité. » 

Le docteur Luther dit un jour : « Si des pensées fâcheuses et inquiétantes se saisissent de loi, chasse-les en employant les meilleurs moyens que tu pourras ; parle et entretiens-toi avec de bons amis de choses dans lesquelles tu prends plaisir. On dit parfois : sans une pensée sérieuse, il ne peut s'effectuer rien de bon. A cet égard, je fais une distinction : il est des pensées de plus d'un genre. Les pensées de l'esprit ne produisent pas de mélancolie ; ce sont les pensées de la volonté qui causent de la tristesse, comme lorsqu'on s'afflige d'une chose ou lorsque l'on soupire et se plaint; mais l'entendement n'est pas mélancolique. » 

Lorsque j'écris contre le pape, je ne. suis pas mélancolique, car alors je travaille de tête et d'intelligence, et j'écris avec la joie dans le cœur. Le docteur Reisinbusch me disait il n'y a pas longtemps : « Je suis fort étonné que vous soyez aussi joyeux; si pareille situation était mienne, il s'en faudrait de peu qu'elle ne me tuât. » Je lui répondis : « Ni le pape ni toute sa bande rasée ne peuvent m'attrister, car je sais que ce sont les ennemis de Jésus-Christ ; aussi je combats contre eux avec une intrépidité singulière et pleine d'allégresse. » 

Depuis que Silvestre Prieriasa écrit contre moi et qu'il s'est intitule, au début de son livre, maître du sacré palais depuis que 

1 Prierias, dominicain, jouissant d'une haute faveur à la cour de Léon X. Il adopta, pour combattre Luther, la forme du dialogue. Le Saxon ne se piquait point de parler avec modération des écrits dirigés contre lui. Il qualifia l'ouvrage ultramontain d'epitomen tot tantisque blasphemiis a capite ad pedes usque refertum , ut in medio Tartaro, ab ipsomet Satana editum libellum existimem

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j'ai vu cet ivrogne barbouiller pareil fatras, je n'ai fait qu'en rire et je me moque de lui, de son maître le pape et de toute la bande de papistes. Rien ne dissipe la tristesse qui m'assaille parfois comme le spectacle de leur fureur. 

Maintenant, à mon âge, rien ne me vexe et ne me tourmente, si ce n'est les tribulations du diable qui marche avec moi dans la chambre où je couche; il se moque cruellement de moi. Quand il ne peut rien gagner sur mon cœur, il tombe sur ma tête et il me tourmente beaucoup. Souvent il me trouble au sujet de la prière. Il me glisse dans le cœur la pensée que je néglige de prier avec, assiduité; je sais pourtant que dans un seul jour je prie, plus que tous les prêtres papistes et que tous les moines; seulement, je ne bredouille pas autant qu'eux. Je conseille bien de ne pas mépriser les prières écrites; un homme qui récitera un psaume, en forme de prière, s'en trouvera tout échauffé. 

Souvent le diable me fait des objections contre la cause dont (avec l'aide de Dieu) j'ai entrepris la défense. Il fait aussi des objections contre le Christ; mais que le temple s'écroule plutôt que si Jésus-Christ y restait caché. 

Ce que j'enseigne, écris, prêche et prétends, tout cela je l'expose au grand jour, je ne le déguise pas dans un coin. Je règle et dispose tout d'après l'Évangile, d'après le baptême et d'après l'Oraison dominicale. C'est là qu'est Jésus-Christ; je ne peux le renier; c'est sur l'Evangile que j'assois ma cause. Nonobstant tout cela, le diable me tracasse tellement avec ses disputes subtiles et insidieuses, que la sueur de l'angoisse tombe souvent de mon front ; souvent je peux sentir et voir qu'il dort plus près de 

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moi que ne le fait ma femme Catherine, c'est-à-dire qu'il me tourmente plus qu'elle ne me console ou ne me satisfait. 

Tous ceux qui sont en proie à de semblables luttes spirituelles doivent fréquenter la compagnie de leurs connaissances et, pardessus tout, ne pas rester seuls, ne pas se cacher, se tourmenter, se mordre eux-mêmes de pareilles idées et de celles que suggère le diable; l'Esprit saint a dit : «Malheur à celui qui est seul!» Quand je me trouve mélancolique, triste, la tête lourde, alors je quitte ma retraite, je vais voir les gens et je cause avec eux. 

Les pensées fâcheuses amènent des indispositions ; lorsque l'âme est troublée et que le cœur est inquiet, le corps se ressent de ce triste état. Saint Augustin l'a bien dit : « L'âme est là où elle aime, plus que là où elle anime. » Quand les soucis, les tracas, les inquiétudes l'emportent, le corps s'en trouva; tout affaibli ; sans l'âme, il est mort ou comme un cheval privé de conducteur. Mais quand le cœur est tranquille et en repos, alors il prend soin du corps et lui donne ce qui lui revient. Nous devons donc résister aux pensées fâcheuses et les chasser par tous les moyens possibles. La plus grande lutte que j'aie à soutenir est lorsque le diable m'assaille avec mes propres pensées. 

J'ai éprouvé par moi-même que dans mes plus vives tribulations (qui tourmentaient et épuisaient mon corps au point que je pouvais à peine respirer) j'étais sec et pressé comme une éponge. Aucune créature n'était capable de me consoler, au point que je disais : « Suis-je donc le seul homme réserve à de semblables tribulations spirituelles? » Mais il y a de ceci dix ans, lorsque j'étais solitaire et isolé, Dieu me consola par le  

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ministère de ses anges et il m'anima à combattre et à lutter contre le pape. 

Le docteur Jérôme Weller étant en proie à de grands accès de mélancolie, le docteur Luther lui dit : « Prends courage; tu n'es pas le seul qui endures la tribulation ; je suis dans le même cas; et quant aux péchés, j'en ai sur moi de plus grands que toi et ton père, car j'ai blasphémé mon Dieu quinze ans de suite, en célébrant cette abominable cérémonie idolâtre de la messe; je voudrais de tout mon cœur avoir été plutôt, durant tout ce temps-là, un voleur ou un débauché. » 

Lorsque je suis troublé d'idées mélancoliques concernant les affaires temporelles ou domestiques, alors je prends un psaume ou une sentence de saint Paul et je me couche pour me reposer et pour dormir. Mais les pensées qui me viennent du diable me sont bien plus à charge ; il faut que je veille alors rigoureusement sur moi et que je me mette fortement à l'œuvre pour m'en débarrasser. 

Je ne fais nulle meilleure besogne que celle que m'inspirent le zèle et la colère. Que je veuille dicter, écrire, prier, prêcher, il faut que je sois en colère ; alors tout mon sang s'allume, mon intelligence devient plus perçante, toutes les tentations et les pensées malhonnêtes me laissent en paix.

 

La patience est la plus excellente des vertus ; le Saint-Esprit la recommande très-fortement en maint passage des Ecritures; quoique les philosophes l'aient beaucoup louée, ils ne pouvaient connaître sa véritable base. Epictète a dit une belle maxime ; « Supporte et abstiens-toi. » 

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Quelqu'un se plaignait d'être en butte à la haine de beaucoup de gens, quoiqu'il vécût en paix avec tous; le docteur lui dit : « Prends patience et ne te courrouce pas, si tu es haï. Quel mal avons-nous fait au diable pour qu'il nous déteste et s'acharne après nous comme il le fait ? Si le Seigneur te donne de la nourriture, mange ; s'il t'inflige des privations, résigne-t'y; s'il t'envoie des honneurs, reçois-les; s'il te jette en prison, souffre-le, s'il veut que lu sois roi, suis son appel ; s'il t'abat, n'en aie point de souci. » 

Veillons et prions, parce que Satan ne s'endort pas. — Comme l'on parlait au docteur Luther des trêves stipulées à Francfort, il dit : « Je ne puis me persuader qu'entre nous et les papistes il puisse y avoir de trêve ; c'est une guerre continuelle, comme celle entre la semence de la femme et le serpent. Lorsque les mis sont épuisés par de longues guerres, ils concluent entre eux une trêve de quelques années. Mais, pour ce qui nous concerne, cela ne peut avoir lieu, parce que nous ne pouvons renoncer, connue les papistes le demandent, à observer l'Évangile ; eux, ils ne veulent point renoncera leurs idolâtries et à leurs abominations; le diable ne veut pas consentir à ce qu'on lui coupe les pieds. Jésus-Christ ne veut point laisser arrêter le cours de sa parole; il ne peut donc être question d'aucune trêve entre Jésus-Christ et Bélial. » 

Le 11 mai, le docteur Luther harangua le peuple avec beaucoup d'allégresse, l'engageant à rendre grâces pour la paix qui avait duré cette année, parce que Dieu veillait pour nous protéger contre les sanguinaires papistes qu'anime contre nous une haine diabolique et qui, chaque année, respirent la guerre, altérés qu'ils sont de notre sang; mais Dieu les a souvent confondus et les confondra. Il nous a déjà maintenus en paix d'une panière miraculeuse, l'impie due George ayant péri. Ainsi, rendons grâce, prions et faisons pénitence, car il n'y a aucune paix à espérer tant que régnera le pape, et la clarté de l'Évangile attire, 

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de la part des impies, une haine perpétuelle. Prions afin que Dieu nous protège contre les hommes de sang. 

Le docteur Luther dit : « L'homme adonné à la colère sera éternellement malheureux ; le diable se trouve bien à son aise là où règne la tristesse, ainsi que Syrach a fort bien dit, ch. XXXVIII.» Il cita ensuite quelques exemples de gens en proie à la mélancolie. Un homme s'était persuadé qu'il était malade au point de ne plus pouvoir boire ni manger; plus on l'engageait à prendre de la nourriture, plus il s'y refusait, disant : «Ne voyez-vous pas que je suis mort? comment donc puis-je manger?» Après avoir passé quelques jours dans une abstinence entière, il se retira dans une cellule écartée, et il y vint un moine très-vorace qui, trouvant une table fort bien servie, se mit à manger de grand appétit et à boire avec fracas ; alors le malade irrité s'approcha et dit : « Je ne puis m'empêcher, fussé-je cent fois mort, de boire avec toi. » Et, ayant avalé un coup, il s'en trouva bien ; il voulut alors manger, et il fut bientôt guéri de sa mélancolie. — Le docteur Gaspard Lindeman raconta alors l'histoire d'un hypocondriaque qui se croyait change en coq; il soutenait qu'il avait une crête sur la tête, un bec au visage, et on ne pouvait le dissuader de cette idée. Il courait à la façon des coqs. D'après le conseil des médecins, on mit avec lui quelqu'un qui prétendit aussi être un coq et qui, après avoir passé quelques jouis à sauter et à chanter ensemble, dit : « Je ne suis plus un coq, mais un homme, et tu as éprouvé le mémo changement. » Et de la sorte le malade fut persuadé. — Un troisième cas d'hypocondrie est celui d'un homme de loi qui entendit un moine dire en chaire qu'un certain saint s'était tenu trois ans de suite sur un seul pied, et qu'un autre avait pris pour demeure le sommet d'une colonne et qu'il était resté trois ans 

1 Saint Siméon Stylite, mort en 459, à l'âge de soixante-douze ans. Il s'était retiré, vers l'an 423, sur une colonne dont le dessus était entouré d'une balustrade» et d'où il adressait deux fois par jour des exhortations aux auditeurs qui se pressaient pour l'entendre. Il changea trois fois de demeure aérienne, et elles étaient placées dans une enceinte dont les femmes n'avaient pas la liberté d'approcher. Ce fut sur une colonne qui avait quarante coudées de hauteur que cet anachorète passa les vingt-deux dernières années de sa vie, dans le diocèse d'Antioche. Théodoret a écrit sa Vie ; elle se trouve, avec d'autres écrits relatifs au même saint, dans les Acta Sanctorum, recueillis par les Bollandistes, t. 1er de janvier. F. G. Lautensach a publieé en 1700, à Wittemberg, une Dissertatio de Simeone Stylita. A l'exemple de ce solitaire, on a vu, dans l'Orient, des stylites jusqu'à l'époque où le mahométisme établit sa domination. Dans l'Occident, on ne cite que saint Vulfilaïc qui mena quelque temps, non loin de Trêves, ce genre de vie, au rapport de Grégoire de Tours.  

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sans boire ni manger, au point que des vers tombaient de ses pieds et se changeaient en pierres précieuses aussitôt qu'ils touchaient la terre ; ce moine conclut par dire : « Ce n'est qu'ainsi et à force de mortifications que vous ferez la conquête du royaume des cieux. » Et l'homme de loi résolut de ne plus pisser, et on ne put le persuader de renoncer à cette détermination durant trois jours entiers; il disait qu'il avait fait un vœu. Il vint quelqu'un qui lui dit : «Tu as raison de te mortifier pour entrer dans le royaume des cieux et de persévérer dans ce que tu as promis. Moi aussi, j'avais fait un vœu semblable, mais comme je tirais vanité de mon vœu, j'ai vu que je commettais un plus grand péché et j'ai cédé (1). Tu seras accusé d'arrogance et d'orgueil ; satisfais donc un besoin de la nature. » Et ce raisonnement convainquit l'hypocondriaque. 

1 Ideo minxi.

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