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CONTES, APOLOGUES ET JOYEUX DEVIS (1).

 

Quoiqu'un chrétien doive être circonspect dans ses propos, afin de n'offenser personne , cependant, pour délasser l'esprit, une conversation enjouée est permise entre amis.

On raconta divers exemples de procès singuliers. L'âne d'un

 

1 Parmi les joyeusetés dites à la table de Luther, il s'en rencontre qui rendent la tache d'un traducteur bien difficile; il court le risque d'être beaucoup trop clair, ou de ne donner qu'une bien fausse idée du texte qu'il a sous les yeux. Nous prenons le parti de laisser en latin le récit suivant, qui a tout l'air d'une page des Facéties de Pogge ou des Nouvelles de Morlino égarée au milieu des Tischreden.

« Deinde dicebant de quodam magistro, quem Erasmus Roterodamus filio  ducis Georgii paedagogum ex Flandria miserat : is cum in balnea publica ivisset, sine femorali, cui cum ancilla obviasset, femorale offerens, induit, ita tamen ut testes tegerentur, priapo eminente ; ibi secunda ancilla consueto more, ei femorale induit. Respondit De Martinus Lutherus : Majoremne industriam habere deberet quam dux Johannes suus discipulus, qui cum semel in mensa sedisset, ejusque priapus ex tibialibus prodisset nec eum tegeret, ibi admonuit eum suus architriclinus his verbis : Domine clementissime, quale erat animal quod hodie emptum est a patre tuo? Respondit illi : Taurus erat. Alter e contra baculo illius priapum tangens, dixit : Credo Clementiam magnam partem de carne tauri comedisse. — Tales sunt principum mores, qui ingenio et virtute aliis anteire debent.»

 

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meunier était entré dans une vigne au moment de la vendange, et il avala une bonne gorgée dans un vaisseau plein de vin nouveau. Le propriétaire de la vigne cita le meunier en justice, réclamant de lui des dommages. Sentence fut rendue, portant que l'âne n'ayant l'air que boire une gorgée en passant, et sans s'asseoir, le meunier n'était tenu de rien payer. — L'âne d'un autre meunier entra dans la barque d'un pêcheur, et la barque se détachant du rivage s'en fut, avec l'âne, entraînée par le courant. Les deux propriétaires s'accusèrent mutuellement ; l'un dit : L'âne a fait perdre ma barque; l’autre réplique : La barque a emporté mon âne ; et l'affaire n'est pas encore jugée : adhuc sub judice lis est.— On cita aussi l'exemple d'un avare qui, lorsqu'il envoyait son serviteur chercher du vin à la cave, exigeait qu'il s'y rendit la bouche pleine d'eau et qu'il crachai celle eau à son retour, afin de démontrer ainsi son abstinence. Mais le serviteur mit à la cave une cruche pleine d'eau, et après avoir rejeté celle qu'il avait prise avant de descendre, il buvait le vin qu'il voulait et il se remplissait de nouveau la bouche ; et il avoua depuis qu'il n'aurait jamais songé à boire du vin, s'il n'y avait été excite par la ladrerie de son maître.

 

Un Allemand était sur le point de partir pour l'Italie; mais ayant entendu dire qu'il n'y trouverait pas de bière de Torgau , il changea aussitôt d'avis, disant : «Je ne puis ni vivre, ni habiter là où je n'aurai pas de cette bière, et je ne visiterai jamais les pays étrangers.»

 

Un étudiant d'Erfurt n'était jamais sorti de cette ville, et ayant le désir de voir Nuremberg, il fit marché avec un cavalier pour l'y conduire. S'étant mis en route, et ayant à peine fait un demi-mille,

 

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l'étudiant demanda a son compagnon s'ils arriveraient bien têt à Nuremberg ; l'autre lui répondit : «Nous en sommes encore bien loin, puisque nous venons a peine de quitter Erfurt. » L'étudiant ayant plusieurs fois répété sa question et recevant toujours semblable réponse , dit enfin : « Renonçons à notre voyage et revenons chez nous, puisque le monde est si vaste et si grand. »

 

Le docteur Gomeranus raconta qu'un moine avait secrètement introduit une p...  dans sa chambre pendant la nuit, et se rendant à matines, il se frottait le visage d'eau parfumée. La p... voulut en faire autant, mais dans l'obscurité elle prit une bouteille d'encre, et se barbouilla toute la face. Le moine, trouvant à son retour ce visage tout noir, crut que le diable était la en personne , et, agité par la peur et par les reproches de sa conscience, il se mit à pousser de grands cris. Sa p..... voulut le rassurer, mais il n'en fut que plus épouvanté et il voulut s'enfuir. A ce bruit tout le couvent accourut, et l’intrigue du moine fut découverte.

 

Il n'y a rien de ridicule comme l'arrogance de certains êtres sans force. Une mouche s'était posée sur une charrette chargée de foin; et comme cette charrette, en cheminant, faisait lever delà poussière, la mouche dit avec orgueil: «Oh! diable, comme une mouche peut soulever dépoussière!...» C'est comme un moucheron qui, s'étant posé sur un chameau, lui dit en s'envolent : «Je pense que tu t'aperçois de quel poids tu es allégé?» C'est ainsi que Cochlœus croit avoir fait de grands exploits et avoir donné de l'embarras à Luther.

 

Le docteur Luther raconta une histoire facétieuse : Un gentilhomme ayant été interrogé par sa femme sur la vivacité de l'attachement qu'il avait pour elle, lui répondit : «Je t'aime autant qu'une bonne décharge de ventre. » Elle fut courroucée de

 

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cette réponse; mais le lendemain il la fit mouler à cheval et il l'y retint toute la journée sans qu'elle put satisfaire ses besoins; alors elle lui dit : « O seigneur, je sais maintenant à quel point tu m'aimes; je te conjure de t'en tenir là dans l'attachement que tu me portes. »

 

Il y a des poètes qui veulent passer pour hors d'eux-mêmes, et qui feignent des transports d'enthousiasme. Je me rappelle que Richius en agissait ainsi: il était assis sur une croisée, et il appelait le diable avec force malédictions et imprécations. Stiegel passait par la par hasard ; il prit le poêle par le pied , et le tirant à lui, il le fit tomber; Richius eut une peur effroyable, croyant que le diable venait en effet le saisir, et ce fut pour toute la ville un grand sujet de risée.

 

Un étudiant étant revenu de l'université chez son père, quand vint l'heure de souper, la mère posa trois œufs sur la table; le mari dit : « Pour qui sers-tu si peu de chose, lorsque notre fils est de retour chez nous ? tu aurais dû lui faire faire meilleure chaire. » Le fils répondit : « Nous n'avons pas à nous plaindre; il y a six œufs. » Le père repartit : « Comment cela? » Et le fils dit : « Est-ce qu'un, deux, trois, ne font pas six ? » Le père réplique : « C'est juste; aussi, je donne un œuf à ta mère, j'en prends deux pour moi et je te laisse les trois attires. »

 

Maître Forstheim dit qu'un Vaudois, nommé Laurent, s'était châtré dans sa jeunesse, mais que dans sa vieillesse il s'en repentit ; et il avoua qu'il était plus enflammé qu'auparavant. Le docteur Luther dit : « Les eunuques ont plus d'ardeur que les autres hommes, car c'est le pouvoir qui périt, non le désir, qui s'irrite par l'impuissance. »

 

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Le poète Lœmmichès ayant fait une pièce de vers, le docteur Luther lui répondit par une autre pièce de dix vers dans le même style (1).

 

Un ermite ayant vu un homme tué dans un champ, un ange s'approcha de lui pour lui montrer les justes jugements de Dieu, et ils firent route ensemble Et d'abord l'ange déroba à son hôte, qui l'avait très-bien accueilli, une coupe d'or; secondement, il donna cette coupe à un scélérat ; troisièmement, il convertit un ermite qui l'avait accueilli et qui voulait apostasier, et, après l'avoir converti.  Il le tua; quatrièmement, il tua le fils unique d'un hôte dont il avait été parfaitement reçu. L'ermite, regardant comme injustes ces actions de l'ange, l'ange lui dit : «Ce sont de justes jugements de Dieu. Le premier hôte, ayant perdu cette coupe, a conçu la pensée de s'en procurer plusieurs ; le second est un impie , et j'ai fait qu'il eut sa récompense en ce monde ; j'ai tué le troisième au moment où il venait de se convertir, et il est allé dans le ciel; quant au quatrième, il était autrefois charitable, mais depuis qu'il avait ce fils, il ne songeait qu'à thésauriser pour lui et il n'assistait plus les malheureux. C'est ainsi que procèdent les jugements de Dieu. »

 

On parla de l'histoire de Tobie, et on arguait de cet exemple qu'il ne fallait pas toucher à sa femme les trois premières nuits

 

1 Ce morceau, connu sous le nom de Dysenteria Martini Lutheri in merdipoetam Lœmmichen, est intraduisible au premier chef; voici le texte reproduit dans toute sa pureté :

 

Quam bene conveniunt tibi res et carmina, Leche ;

Merda tibi tes est, carmina merda tibi;

Dignus erat Leche merdosus carmine merdae,

Nam vatem merdœ non nisi merda decet.

Infelix princeps, quem laudas carmine merdae,

Merdosum merda quem facis ipse tua.

Ventre urges merdam, vellesque cacare libenter

Ingentem. Facial merdipoeta nihil.

At meritis si digna tuis te pœna sequitur.

Tu miserum corvis merda cadever eris.

 

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des noces. Le docteur Luther dit en riant : «Ce n'est pas une ordonnance; on est libre de le faire ou de s'en dispenser.» On dit qu'il est arrivé ceci dans la basse Allemagne: « Un mari avait été séparé, le jour de sa noce, de sa femme , et des religieuses les gardaient. Allant se coucher, il trouva au lit une religieuse et il prit son plaisir avec elle. Le lendemain cela se sut , mais la religieuse dit pour s'excuser qu'elle n'avait pas dû enfreindre la loi du silence, car il lui était défendu de parler après complies.»

 

Le 10 juillet 1538, le docteur Luther, étant malade, prit un clystère d'après l'avis des médecins, et il dit : « Les médecins jouent avec les patients comme les mères avec leurs enfants, et ils se trompent l'un l'autre. » Il raconta alors ce qui était arrive à un médecin d'Heidelberg. Un jeune homme qui avait engrossé une fille vint le trouver et lui porta de l'urine de cette fille, afin que le médecin examinât si elle était malade. Le docteur considérant longtemps cette urine, le jeune homme, cédant à un remords de conscience, dit : « Maître, dites-moi si celle fille est enceinte, car alors je l'épouserai. »

 

Le docteur Luther dit que dans la Flandre et dans la basse Allemagne les hommes sont très-grossiers ; jusqu'à douze ans ils montrent beaucoup d'intelligence, et ensuite ils deviennent tout à fait stupides. Il raconta l'histoire de l'un d'eux qui traversait une place, et un autre, faisant ses besoins par la fenêtre (1), lui couvrit le visage d'ordures ; après s'être essuyé, il dit : «Je te vois bien, à présent; oh ! que lu as une grosse face et un long nez! »

 

On cita diverses reparties plaisantes , telles que celle de ce bourgeois qui menait sa femme sur un chariot, et quelqu'un voulant se moquer de lui, lui demanda : « Combien demandes-lu de cette oie? » Il répondit : « De cette oie , je ne vends que les

 

1 Alius per fenestram cacasset.

 

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œufs. » — Un moine, étant aux latrines, récitait son office, et le diable vint et lui dit : «Lorsqu'un moine est aux latrines, il ne doit pas prier, » Mais le moine lui repartit : « Ce qui monte en haut est pour Dieu , ce qui tombe en bas est pour loi ; je purge mon ventre et j'honore le Dieu tout-puissant. » — Un prêtre paresseux, au lieu de réciter son bréviaire, récitait l'alphabet, et il disait : « Mon Dieu! recevez cet alphabet, et, avec ses lettres, faites l'office canonique. »

 

Un roi d'Angleterre, étant à la chasse s'égara, et il entra dans la chaumière d'un pauvre paysan qui ne le connaissait point, mais qui l'accueillit de son mieux et qui lui servit de quoi manger. Le roi ayant manifeste du dégoût pour cette nourriture , le paysan lui donna un soufflet, en lui disant : « Ne sais-tu pas que chacun est roi chez soi ? » —Quelque temps après, le roi invita le paysan à sa cour; et l'ayant fait mettre à table, il lui fit servir une multitude de plats, et le paysan mangea un peu de chacun d'eux. Alors le roi lui dit en riant : « Tu es plus sage que moi, autrement tu aurais reçu un soufflet. » El il le renvoya.

 

Le jour de la fête de saint André, déjeunes filles priaient durant la nuit, couchées par terre et dépouillées de leurs vêlements, afin de savoir quel mari elles devaient avoir. Elles faisaient celle oraison : « O saint André, fais que j'aie bientôt un bon mari, et montre-moi qui il doit être. » L'une d'elles faillit mourir de froid, et cependant il ne vint personne. De même les servantes vont, la veille de Noël, écouter à la porte de l'étable à pourceaux; si c'est un petit porc qui grogne le premier, cela signifie qu'elles auront un mari jeune; sinon, qu'elles épouseront un homme figé.

 

Une femme fort bavarde, et qui se croyait très-habile, alla trouver le docteur Luther, disant qu'elle avait entendu un sermon du docteur Jonas sur ce passage : « Le Verbe s'est fait

 

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chair, » et que c'était un grand mystère. Le docteur Luther Se tut et la renvoya; il dit ensuite : «C'était un grand esprit qui était là, je n'aurais pas eu moyen de parler; s'il fallait dispute  avec de telles personnes, on tomberait facilement de l'esprit dans la chair. »

 

Lorsque nous offrons aux épicuriens d'à présent les mets exquis de l'Eglise, la grâce, le salut, la rémission des péchés, ils font fi de tout cela et ne veulent que des écus. Je voudrais être un ange pour trois jours seulement, je leur enlèverais tous leurs trésors et je les jetterais dans la rivière ; oh ! alors, il y aurait disette de biens dans le pays, ils voudraient tous se pendre. Je lis avec plaisir l'apologue du loup qui trompa le renard : il est bon qu'un loup trompe un loup: rien n'est agréable comme de voir un impie trompé par un impie. On lit aussi qu'un loup ayant rencontré un cheval. lui demanda comment il se nommait. Le cheval répondit : « Je n'en sais rien, mais mon père a écrit sons mon sabot qui je suis et d'où je viens. » Le loup ayant voulu y voir, le cheval lui lança une bonne ruade au milieu du front; alors le loup dit : « J'ai été bien trompé; je n'étais pas fait pour être un scribe, mais un chasseur. »

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