Rois et Princes

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DE QUELQUES ROIS OU PRINCES ET DE L’EMPEREUR.

 

Il n'y a pas longtemps que le roi Ferdinand vint dans un monastère où j'étais, et il s'y trouvait tracé sur les murailles, en très-beaux caractères, les lettres suivantes :

 

M. N. M. G. M. M. M. M.

 

Le roi s'arrêta et regarda ces lettres, réfléchissant à ce qu'elles

  

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pouvaient signifier. Son secrétaire lui dit alors: «Si Votre Majesté voulait me le permettre et ne pas avoir de déplaisir, je pense que je pourrais lui indiquer la signification de ces lettres. » Le roi le lui permit et promit de ne pas s'offenser. Alors le secrétaire dit: «Mentitur Nausea (qui était alors évêque de Vienne); Mentitur Gallus (c'était le prédicateur de la cour) ; Mentiuntur Majores (les Franciscains), Minores (les frères Déchaux), Minotaurii (moines ainsi nommés et qui habitaient dans les Alpes); tous sont des menteurs. » Le roi se mordit les lèvres et passa outre. C'était une fort ingénieuse explication que celle de ce secrétaire.

 

Lorsque Dieu eut châtié le prince Georges de Saxe, frère aîné du prince Henri, ce prince, voyant que tous ses enfants étaient morts avant lui, envoya vers son frère qui était alors à Freyberg, et lui fit dire que s'il voulait abjurer sa foi et se faire papiste , il le déclarerait héritier de tous ses États ; sinon, que son intention était d'en disposer par testament en faveur de l'empereur et d'autres. A cela le prince Henri répondit et dit : « Par Marie (c'était son expression habituelle), plutôt que d'y consentir et de renier le Christ notre Sauveur, ma Catherine et moi nous prendrons chacun un bâton et nous irons mendier notre pain. » Il resta fidèle à la loi de Dieu, et, peu de temps après, par suite de la mort subite de son frère , il devint un grand et puissant prince, car il est très-certain que Dieu élève ceux qui l'honorent et qui sont fidèles à sa parole.

 

Philippe, landgrave de Hesse, est un homme admirable. S'il abandonnait l'Évangile , il obtiendrait du pape et de l'empereur ce qu'il voudrait, mais Dieu l'a jusqu'ici maintenu dans la fermeté. Il a une tête hessoise et ne peut rester inactif. Il m'a mandé à Weimar, ainsi que Philippe Melanchton, nous demandant notre avis au sujet, des guerres qu'il projetait ; mais nous le dissuadâmes, autant que nous le pûmes , de ses projets; nous

 

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tirâmes le meilleur parti de notre rhétorique et nous le suppliâmes de ne pas ternir l'Évangile et de ne pas troubler la paix de l'empire. Cela le vexa beaucoup et il devint fort rouge, quoique, d'ailleurs il fût d'un esprit fort juste.

Il vint sous un déguisement misérable à la conférence de Marpurg, en 1539, de sorte que personne ne savait que c'était le landgrave; il avait alors de grands projets. Il demanda un jour conseil à Philippe Melanchton, lui disant : «Cher Philippe, dois-je endurer que l'évêque de Mayence chasse mes prédicateurs de l'Évangile ?» Philippe répondit : « Si la juridiction de ces endroits appartient à l'évêque, voire seigneurie ne peut lui résister. »Le landgrave lui réplique : «Je reçois votre conseil, mais je ne le suivrai pas. » Vers cette époque, je demandai à Beilnerburg, l'un des confidents les plus intimes du landgrave, pourquoi il ne dissuadait pas le prince de ses stratagèmes. Il me répondit: « Nos avis ne servent de rien ; on ne peut le détourner d'une résolution qu'il a prise. Quand il se mit en campagne et qu'il voulut rétablir le prince de Wurtemberg dans ses États, chacun le supplia de ne pas attirer sur la liesse une ruine complète. « Soyez tranquilles, dit-il, laissez-moi faire , je ne la ruinerai nullement. » Il lança contre un château 350 boulets et il le prit.

 

En 1530, l'empereur Charles-Quint convoqua une diète à Augsbourg afin d'amener a fin toutes les difficultés relatives à la religion. Il essaya en même tempe, par toutes sortes de ruses, de faire renoncer le prince Jean, électeur de Saxe, à la profession de l'Évangile; mais, dédaignant toutes les paroles flatteuses et les menaces, le prince ne voulut pas s'écarter, pas même de l'épaisseur d'un cheveu, de la véritable religion et de la parole de Dieu, quoiqu'il fût eu butte aux dangers les plus imminents : au contraire, il encouragea et anima les docteurs qu'il avait amenés avec lui a la dicte, tels que Philippe Mélanchton , Juste Jonas, George Spalatin et Jean Agricola, et il chargea les personnes de son conseil de dire à ces docteurs qu'ils n'avaient qu'à agir avec droiture pour la louange et l'honneur de Dieu, et qu'ils

 

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ne s'inquiétassent ni de lui, ni de ses États, ni de son peuple. Ce prince resta fermement attaché à la parole de Dieu, avec un courage admirable. S'il avait hésité, tout son conseil aurait cède à l'instant et abandonné l'Évangile. Même, à cette époque, pour apaiser la colère de l'empereur, ses conseillers étaient disposés à entrer en arrangement, à faire des concessions. Mais le prince leur recommanda a maintes reprises de ne point se préoccuper de ses intérêts terrestres, mais d'agir et d'écrire conformément a ce qui était juste et équitable en présence de Dieu. Il dit à l'un de ses conseillers intimes, Jean de Minkwitz : «Vous avez entendu mon père dire que se tenir ferme et droit à cheval, était le moyen d'emporter le prix à une course de bagues ; s'il en est ainsi pour une chose temporelle, jugez combien il est plus louable d'être ferme et inébranlable dans la cause de Dieu! »

La constance admirable de ce prince est digne d'être à jamais conservée dans la mémoire et louée. Lorsqu'on lui fit savoir la détermination finale de l'empereur, il dit : « Deux partis nous ont offerts , renier Dieu, ou renoncer au monde. Que chacun considère ce qui est préférable. » Ce fut un vrai miracle et une grâce particulière de Dieu, de voir nu seul prince résister avec tant de fermeté à tous les autres et à l'empereur lui-même. Cet électeur avait six pages qui restaient près de lui dans son appartement, et durant six heures par jour ils lui faisaient la lecture de la Bible. En écoutant un sermon, il avait toujours des tablettes dans sa poche, et de sa propre main il écrivait ce que disait le prédicateur.

 

Le prince électeur de Saxe, Jean-Frédéric, m'a dit lui-même que le prince Jean (fils aîné du prince Georges de Saxe), étant près du moment de la mort, désira recevoir la communion sous les deux espèces. Lorsque son père en fut informé, il lui envoya un moine de l'ordre des augustins, pour lui donner des instructions au sujet du salut de son âme et pour lui conseiller de recevoir le sacrement sous une seule espèce, lui recommandant de dire à son fils qu'il était en relations intimes avec Martin Luther. Pour faire que le prince le crût mieux, il dit que Luther

 

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lui-même avait récemment conseillé à plusieurs personnes de recevoir la communion sous une seule espèce. Ce bon et vertueux jeune prince fut ainsi amené à ajouter foi aux faux renseignements que lui donna ce moine. Mais quand le prince, son père, vit que son fils était près de rendre le dernier soupir, il le consola en lui rappelant la doctrine de la justification par la foi en Jésus-Christ, et il le fit souvenir de ne penser qu'au Sauveur du monde et d'oublier entièrement ses propres œuvres et ses mérites, lui disant aussi de bannir de son cœur l'invocation des saints. Le fils ressentit une grande satisfaction dans sa conscience par suite des conseils de son père, et il lui demanda pourquoi il ne faisait pas prêcher dans tout le pays cette doctrine consolante. Le prince Georges lui répondit : « Mon cher enfant, nous devons parler ainsi aux mourants seulement, et non aux personnes qui sont bien portantes et pleines de vie.» Alors, ajouta le docteur Luther, je dis au prince électeur qu'il devait observer avec quel entêtement nos adversaires s'opposent à la vérité qu'ils reconnaissent. Albert, évêque de Mayence, et le prince Georges savent et confessent que notre doctrine est la parole de Dieu, et cependant, comme elle ne vient pas du pape, ils la repoussent, mais leur propre conscience les abat et les terrasse ; aussi je ne les crains pas.

 

J'ai appris dernièrement qu'Henri VIII, roi d'Angleterre, a de nouveau abandonné l'Évangile, qu'il a commandé, sous peine de mort, à ses sujets de ne recevoir la communion que sous une seule espèce, et qu'il exige que les moines et religieuses accomplissent leurs vieux et ne vivent plus dans l'état de mariage, tandis qu'autrefois il avait enjoint tout le contraire. Cela réjouira les papistes et les mettra en gaieté. C'est un grand tort qu'à eu ce monarque, mais laissons-le faire. Il est toujours ce qu'il était jadis, ainsi que je l'ai dépeint dans mon premier livre. Il trouvera a coup sûr qui le jugera : je n'ai jamais aimé sa détermination ; il voulait hier le corps du pape, mais en conserver l'âme , c'est-à-dire la fausse doctrine.

 

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Le 10 juillet 1539 , le docteur Luther rendit grâce à Dieu de ce qu'il avait délivré notre Eglise de ce pernicieux roi d'Angleterre , qui chercha avec beaucoup d'ardeur à se liguer avec les personnes de notre parti, mais qui ne fut pas accepté. C'est Dieu, sans doute, qui en a ainsi disposé, dans sa miséricordieuse providence, car ce roi a toujours été inconstant et indécis (1).

 

On demanda au docteur Luther si sir Thomas Monts avait été exécuté pour la cause de l'Évangile ou non; il répondit « : nullement ; c'était un cruel tyran (2). Il était le premier conseiller du mi et il était fort savant; mais il a versé le sang d'un grand nombre de chrétiens innocents qui confessaient l'Evangile; il lésa torturés avec d'affreux instruments de supplice, comme s'il était un bourreau. Il les examinait d'abord verbalement sous un arbre chargé de verdure, ensuite il les torturait cruellement en prison; enfin, il s'est opposé à l'édit du roi et de tout le royaume. Il a été désobéissant et il a été puni.

 

1 Henri Mil avait commencé par écrire contre Luther un ouvrage célèbre :  Assertio septem sarramentorum, dont la première édition vit le jour à Londres en 1521,et dont les réimpressions se multiplièrent rapidement: une des plus remarquables est celle de Rome, 1521, in-4°; on lit

sur le titre : Librum hunc Angliœ regis, firfei defentoris.....legentibus, decem annorum et totidem XL indulgentia, apostolica authoritate, concessum est. Luther répondit avec aigreur, Henri répliqua derechef. Le docteur saxon parle de son adversaire couronné avec une irrévérence difficile à surpasser ; il soupçonne le roi de n'avoir fait que mettre son nom à un livre qui est l'œuvre d'un gros cochon de thomiste (crassi porci Thomistœ), le pamphlet de Luther, écrit en quelques heures, parut à la fois en latin et en allemand : voici des échantillons de cette polémique : « Si ce roi barbouille de sa fiente (schmieret sein dreck) la couronne de mon roi, devra-t-il s'étonner que j'en use de même pour son diadème , et que

je lui dise qu'il est un menteur et un coquin… Il dit, sans perdre haleine,

tant d'injures amères et empoisonnées, que dans un accès de colère aucune p—n de la rue ne saurait engueuler comme lui (als keine offentliche zornige Hure schelten mag).

 

2 Thomas Morus , le célèbre chancelier et l'auteur de l’Utopie, décapité en 1535. Luther se fait ici l'écho d'une calomnie longtemps répandue, mais à tort. Morus ne fut point persécuteur. Voir la remarquable notice de M. Nisard, dans le Dictionnaire de la Conversation.

 

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Lorsque je vivais à Magdebourg, un prince d'Anhalt se fit moine mendiant; il allait publiquement à travers la ville et il demandait l'aumône, et quoiqu'un antre grand et robuste fainéant vint avec lui, le prince portait toujours le sac; son but, en agissant ainsi , était de faire admirer son humilité. C'est ainsi qu'on se jouait de nous du temps de la papauté. Cet exemple ne doit pas être oublié, quia est notable.

 

L'empereur dit un jour: «Mon frère fait grand cas d'Eck et de Faber et il a pour eux une grande estime. Quels défenseurs a en eux la doctrine de Jésus-Christ ! l'un est ivre toute la journée, l'autre est un fou, un coureur de p-ns. » — C'était parler en prince sage.

 

Sadolet (1), qui a été durant quinze ans le secrétaire du pape, et qui était un homme instruit et habile, écrivit à Mélanchton, employant les expressions les plus amicales et usant de beaucoup de rose et d'adresse à l'italienne ; il cherchait peut-être à l'attirer de son côté par l'offre d'un chapeau de cardinal, et il agissait sûrement par l'ordre du pape. Ce Sadolet a été fait cardinal a cause de sa dextérité et de son talent, mais il n'a nulle connaissance de l'Ecriture sainte; c'est ce qu'on voit bien clairement dans son commentaire sur le psaume LI, où il met toutes sortes de choses inutiles et sottes. Ah! bon Pieu! que Ion esprit nous dirige dans la droite vide !

 

1 Jacques Sadolet, l'un des écrivains les plus distingués qu'ait possédés l'Italie au seizième siècle; il fut, avec Bembo, l'un des secrétaires de Léon X; nommé en 1517 évêque de Carpentras, il mourut à Rome en 1517, à l'âge lie soixante-dix ans. Son esprit de conciliation lui attira l'estime et l'attachement de ses adversaires eux-mêmes ; l'édition la plus complète de ses œuvres a vu le jour à Vérone, en 1537, 4 vol. in-4°.

 

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Le duc François de Lunebourg, souffrant à la jambe les douleurs les plus aiguës, dit, à ce que l'on assure, peu avant sa mort :« Tous ces tourments sont peu de chose en comparaison de ce que méritent mes pèches; mais ne me rejetez pas , Seigneur, et ayez pitié de moi, en vue des mérites de votre Fils. » Il est très-rare que les princes s'expriment ainsi; ce sont des oiseaux qui sont rares dans le ciel.

 

Le docteur Luther dit que lorsqu'après la diète d'Augsbourg le cardinal Campège cuira, avec Ferdinand, dans la ville de Vienne, ou habilla en cardinal un petit homme de bois, et, après lui avoir attaché au cou des indulgences et le sceau du pape, on le mit sur un chien à la queue duquel on avait lié une vessie de porc pleine de pois. On donna la chasse à ce chien dans toutes les rues de la ville.

 

Pourrons-nous, sans craindre d'offenser Dieu, et en bonne conscience, nous défendre contre l'empereur, s'il entreprend de nous subjuguer? Cette question doit être portée devant les jurisconsultes, et non devant les théologiens.

Si l'empereur se met à nous faire la guerre, son intention est, ou de détruire notre religion et d'empêcher nos prédications, ou bien de troubler et envahir l'économie et la police, c'est-à-dire l'administration temporelle et intérieure; s'il eu est ainsi, ce n'est plus comme l'empereur des Romains, légalement élu, qu'il faut le regarder, mais comme un tyran. Il est donc complètement inutile de demander si nous pouvons combattre pour la doctrine droite, pure, et pour la religion. C'est pour nous une loi et un devoir de combattre pour nos femmes et pour nos enfants, pour nos serviteurs et nos sujets; oui, nous sommes tenus de les protéger contre un pouvoir malfaisant.

 

Si je vis, j'écrirai à tous les Étals du monde chrétien au sujet de la défense forcée; je montrerai que chacun est obligé de défendre soi et les siens contre une puissance inique. D'abord,

 

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l'empereur est la tête du corps dans le royaume temporel, corps dont chaque sujet, chaque particulier est un membre et une partie, et auquel le droit de la défense forcée revient comme à une personne civile et temporelle ; car, s'il ne se défend pas, il est de fait l'assassin de sa propre personne.

Secondement, l'empereur n'est pas le seul monarque ou le seul seigneur en Allemagne; mais les princes électeurs sont, avec lui, les membres temporels de l'empire que chacun est tenu et obligé de protéger; le devoir de chaque prince est de veiller au bien de l'empire, d'y contribuer, et d'empêcher tout ce qui pourrait lui nuire ou lui être préjudiciable. C'est surtout le devoir du chef principal, de l'empereur. Quoique les princes électeurs soient égaux en pouvoir à l'empereur, ils ne sont pas gn égaux en dignité et en prérogatives. Mais les princes électeurs et les autres princes de l'empire sont tenus de résister à l'empereur, en cas qu'il entreprenne quelque chose qui tende directement au détriment de l'empire ou qui soit contre Dieu et le droit légitime. De plus, si l'empereur entreprenait de déposa un des princes électeurs, alors il les dépose tous, ce qui ne doit ni ne peut être permis.

Ainsi, avant de répondre formellement à cette question, si l'empereur peut déposer les princes électeurs ou s'ils peuvent déposer l'empereur, nous devons d'abord et nettement distinguer : un chrétien se compose de deux sortes de personnes, C'est-à-dire, une personne croyante ou spirituelle, et une personne civile ou temporelle. La personne spirituelle ou croyante doit tout souffrir et tout endurer; elle ne mange, ni ne boit; elle n'engendre pas d'enfants, elle n'a aucune part aux actions et aux faits temporels. Mais la personne civile et temporelle est sujette aux lois et aux droits temporels, elle est assujettie à l'obéissance; il faut qu'elle se protège et défende, elle et les siens, suivant ce que les lois et les droits demandent.

Par exemple, si un misérable essayait de faite violence a Ira femme ou à ma fille, en ma présence, alors, vraiment, je mettrais de côté la personne spirituelle et je ferais usage de la temporelle; je le tuerais sur place ou j'appellerais au secours, car, en l'absence des magistrats, et lorsqu'on ne peut avoir recours

 

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à eux, alors la loi de la nation est dans la force et nous permet d'appeler le voisin à notre assistance; car le Christ et l'Evangile n'abolissent pas les droits et les ordonnances temporelles, mais les confirment.

Pour conclure, l'empereur n'est pas un monarque absolu qui gouverne seul et selon sa volonté, mais les princes électeurs sont ses égaux en pouvoir; il n'a donc pas le droit et l'autorité de faire seul des lois et des ordonnances; il a encore bien moins le pouvoir, le droit ou l'autorité de tirer l'épée pour subjuguer les sujets et les membres de l'empire sans la sanction de la loi ou sans le consentement de l'empire entier, ou à son insu. Ainsi, l'empereur Othon fit très-sagement en réglant qu'il y aurait sept princes électeurs qui, avec l'empereur et auprès de lui, dirigeraient et gouverneraient l'empire, et, sans cela, l'empire n'aurait jamais subsisté comme il l'a fait.

Enfin, nous devons savoir que lorsque l'empereur entend faire la guerre contre nous, il n'agit pas de lui-même et pour lui, mais bien dans les intérêts du pape auquel il a prête serment d'obéissance, et il entreprend de défendre et d'appuyer la tyrannie et abominable idolâtrie du pape : car le pape n'a nul égard pour l'Évangile, et il veut seulement faire usage de l'empereur pour défendre sa propre puissance et conserver sa tyrannie. Nous ne devons pas, en pareille circonstance, rester dans le silence et dans l'inaction.

Mais quelqu'un peut présenter des objections et dire , quoique David eût été choisi de Dieu pour être roi, et que Samuel l'eût sacré, il ne voulut pas cependant résister au roi Saul, ni mettre la main sur lui ; nous ne devons donc pas résister à l'empereur, etc. A cela je réponds: David, à cette époque, n'avait que la promesse de son royaume, il ne l'avait pas en sa possession, il n'était pas établi dans son gouvernement. Donc, en pareille cause, nous ne nous armons pas contre Saül, mais contre Absalon, auquel David fit la guerre, et le rebelle fut tué de la main de Joab. »

 

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Je désirerais soutenir une controverse sur cette question : Pouvons-nous ou non résister à l'empereur? Quoique les jurisconsultes, suivant leurs notions des droits temporels et naturels, te prononcent pour l'affirmative, c'est une question qui présente de bien graves difficultés pour nous théologiens, qui nous trouvons en présence de préceptes comme ceux-ci : « Si l'on te frappe sur la joue droite, présente l'autre », et «Serviteurs, soyez soumis, en toute crainte, à vos maîtres, non-seulement lorsqu'ils sont doux et bons, mais aussi lorsqu'ils sont rudes, etc. » (Saint Mathieu, ch. V, v. 39, et 1ère épître de saint Pierre, ch. II, v. 18.) Nous devons craindre d'agir contre la parole de Dieu. Mais nous

sommes cependant certains d'une chose, c'est que les temps où

nous vivons ne sont plot comme les temps des martyrs, lorsque Dioclétien régnait et sévissait contre les chrétiens; il y a une autre espèce de gouvernement et de royaume. L'autorité et le pouvoir de l'empereur, sans les sept princes électeurs, est sans valeur. Les jurisconsultes oui écrit : « Il a quitté le glaive et il l'a remis en notre possession. Il n'a donc sur nous qu'un seul glaive, gladium petitorium; il doit le chercher près de nous et nous le demander lorsqu'il a l'intention de. punir; car, en droit, il ne peut rien faire seul. Si son gouvernement était comme celui en vigueur au temps de Dioclétien, alors nous nous soumettrions volontiers à lui et nous souffririons »

J'espère que l'empereur ne nous fera pas la guerre en faveur du pape; mais s'il joue le rôle d'un Arien, et s'il combat ouvertement contre la parole de Dieu, non comme un chrétien, mais comme un païen, alors nous ne sommes plus tenus de nous soumettre et de souffrir, c’est de la ceinture du pape, non de celle de l'empereur, que je détache l'épée, et il est évident que le pape ne doit être ni un tyran, ni un maître.

 

Le 23 novembre, le docteur Luther se rendit, avec Philippe Mélanchton et C. Carlowitz, auprès des princes d'Anhalt. Et lorsqu'il fut de retour, il fit le plus grand éloge de la science et du talent de ces princes, disant que, sous le rapport de la retenue

 

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et de la décence de l'aspect, ils étaient supérieurs à bien des vierges; qu'ils étaient fort habiles dans la langue latine, fort instruits dans la bible, et qu'ils étaient à même de l'emporter facilement sur tous les papistes. A table, il n'avait été question que de la parole de Dieu : les propos de ces princes étaient remplis de bienveillance et d'éducation, et ils ne pouvaient manquer d'obtenir les trésors célestes s'ils persistaient dans la doctrine de l'Evangile. Les trois frères, Jean, Georges et Joachim sont également recommandables. Voilà le fruit de la bonne éducation que donnent îles parents pieux et fidèles, qu'accompagne la bénédiction de Dieu. Prions pour que ces princes résistent aux sollicitations des tyrans. Ils ont une grande puissance et de vastes domaines. Dans la partie de chasse qu'ils tirent ils prirent treize sangliers et deux cerfs, et dans une année ils ont pris quatorze cents chevreuils.

L'autre duc Wolfgang vit dans le célibat pour que la souveraineté leur reste. Le plus jeune parla en termes excellents de l'Ecriture sainte, disant : « Jésus-Christ est le seul prêtre pour l'éternité ; ni Pierre, ni pape n'est digne de ce titre.» Citant ensuite un passage de saint Bernard qui dit que l'humilité est la route qui nous mène à Jésus-Christ, il ajouta, que se délier de soi et de ses forces, c'était la véritable humilité. Ils ont lu tous mes livres, ceux de Zuingle et ceux d'Oecolampade.

 

Le docteur Luther fit un grand éloge du landgrave, qui l'ait régner une grande sécurité dans un pays couvert de bois et de montagnes, où il y avait autrefois une foule de voleurs; il a détruit leurs repaires, et il a fait rendre à un voyageur 3,000 florins dont on l'avait dépouillé. Ayant réuni les seigneurs du pays, il leur dit : «Si je vous permets de résider dans mes Etats, c'est pour que vous protégiez le peuple, et non pour que vous le dévalisiez. » Ce prince est belliqueux; il est petit de taille, mais puissant et habile.

 

 

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Louis, landgrave de liesse, tut un insigne tyran et un brigand; il finit par tomber au pouvoir de l'évêque de Magdebourg, et il fut enfermé dans la citadelle de Halle ; mais il s'échappa en sautant par une fenêtre, du haut du rocher, dans la Saale. Tandis qu'il faisait peser sur ses sujets une tyrannie affreuse, son cuisinier lui servit de la viande un vendredi, et comme il refusait d'y toucher, sa femme lui dit : « Vous craignez, de commettre semblable péché , et vous ne reculez pas devant de bien plus grands crimes! » Elle fut enfin obligée de s'enfuir, abandonnant ses enfants ; mais au moment de se séparer du plus jeune, elle le mordit à la joue dans un accès de tendresse maternelle, et elle s'évada, se laissant glisser, connut par miracle, le long d'une montagne élevée. Ce prince étant mort enfin, on le revêtit d'un habit monastique, et les seigneurs de sa cour, à l'aspect de son cadavre, disaient entre eux, par dérision : «Voyez comme ce moine observe pieusement la loi du silence! »

 

Le docteur Luther, étant à table, reçut des lettres du landgrave de Hesse, et les ayant lues, il dit : «Ce prince est fou; il demande à l'empereur la permission d'avoir deux femmes; les papistes vont bien crier, mais ce sera à leur détriment. Notre cause est bonne et notre vie irréprochable. Si le landgrave a pèche, que son péché reste en objet de scandale. Nous avons souvent dit aux papistes de regarder la boute de noire doctrine et l'innocence de notre conduite, et c'était une bonne réponse à leur faire; mais ils n'ont rien voulu contempler de pareil, aussi sont-ils obligés de regarder au derrière du Hessois (1). Les impies ne doivent point voir la gloire de Dieu, mais les scandales doivent les faire périr, parce qu'ils n'ont pas voulu écouter la parole de Dieu. Si nous sommes témoins de scandales, Jésus-Christ n'en a-t-il pas aussi souffert? Si le landgrave nous quitte, Jésus-Christ nous reste. »

 

1 Hesso in culum inspicere.

 

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Je crains beaucoup de scandales, que de nouveaux et de plus grands suivront encore. Si je pouvais faire que ce qu'a fait l'électeur ne fût pas, je m'estimerais bien heureux, mais il faut me contenter de remettre ces scandales dans les mains de Dieu ; il conservera dans son Église la concorde de la doctrine, l'unité de la foi et la sincérité de la profession. Se levant de table, d'un air fort sévère, le docteur Luther ajouta : «Je dissimulerai, à cause du diable et des papistes, la douleur que cela me cause; Dieu mènera tout au mieux ; remettons-nous en à lui. »

 

La bigamie du landgrave de Hesse faisant grand bruit de plus en plus, le docteur Luther dit d'un air fort triste : « Cet homme est étonnant ; il a une étoile à lui ; je crois qu'il veut obtenir, par le moyen du pape et de l'empereur, l'accomplissement de ses souhaits. Peut-être cette affaire l'amènera-t-elle à s'éloigner de nous. » Le docteur Jonas répondit : « Beaucoup de gens le tiennent pour suspect et révoquent en doute sa constance. » Le docteur Luther repartit : « Il est vraiment surprenant , mais jusqu'ici il a montré une grande constance à notre égard, lia mieux aimé rester fidèle à l'Evangile qu'obtenir les bonnes grâces de l'empereur et du pape, qui lui auraient fait de grands avantages. Il a une tête hessoise; il ne peut rester tranquille. Il se jette dans beaucoup d'entreprises, il les mène à heureuse fin. Ce fut de sa part une grande audace de combattre les évêques, une plus grande de rétablir le prince de Wurtemberg, et de chasser le roi Ferdinand. Philippe (Mélanchton et moi, nous le dissuadâmes, par noire rhétorique, de troubler la paix publique. »

 

Après que l'empereur Charles eut été élu, l'électeur de Saxe demanda à son conseiller, le seigneur Fabien de Feilitzsch, s'il trouvai) à propos que l'on eût élu pour empereur le roi d'Espagne. Cet homme prudent répondit : « Il convient qu'il y ait un vautour pour les corbeaux. » Il y a beaucoup de sagesse, dans cette réponse.

 

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L'empereur n'est pas connue le roi de France, qui a une grande passion peur les femmes. Lorsqu'il traversa la France, en 1544, après un festin splendide, il trouva dans son lit une noble et jeune fille que le roi de France y avait fait amener. L'empereur la renvoya honorablement auprès de ses parents.

 

On montra au docteur Luther un écrit venant des banquiers Fugger d'Augsbourg, et forme de lettres d'une forme si bizarre, que personne ne pouvait les lire; il dit : «C'est une invention qui indique des hommes sages et prudents, mais c'est aussi l'indice d'une époque bien corrompue. Il est rapporté que Jules César faisait usage de pareilles lettres. On m'a assuré que l'empereur ne se lie pas a ses secrétaires, et, dans les occasions les plus importantes, il les fait écrire de deux manières qui se contredisent ; ils ignorent ensuite quel est l'écrit auquel l'empereur met son sceau. »

 

Le roi Ferdinand, étant à Nuremberg, interrogea un des principaux magistrats de la ville sur la façon dont ils s'y prenaient pour gouverner une si grande multitude. Le magistrat répondit : « Sire, c'est par de bonnes paroles et des châtiments rigoureux. » Cette réponse fort sage venait d'un homme fort habile.

 

Un prince a dit : « Si j'étais à la place de l'empereur, je rassemblerais les théologiens les plus habiles des deux partis, papistes et luthériens, et je lesterais renfermer dans une maison bien gardée, en leur faisant donnera boire et à manger, et je les y tiendrais jusqu'à ce qu'ils se fussent mis d'accord sur les points de doctrine qu'ils débattent. Ensuite, je leur demanderais s'ils sont bien fermement convaincus de ce qu'ils viennent de décider et s'ils sont prêts à sacrifier leur vie pour le défendre. Et, lorsqu'ils auraient dit oui, je ferais mettre le feu à la maison, afin qu'ils brûlassent tous. »

 

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Les princes de Bavière sont remplis de fierté et de superbe, et tellement ennemis de l'Autriche, que l'empereur Maximilien dit un jour que si l'on versait dans un même vase du sang autrichien et du sang bavarois, plutôt que de rester ensemble , l'un des deux s'élancerait de lui-même hors du vase. La maison de Bavière, voit avec peine la dignité impériale dévolue à l'Autriche, et elle se vante d'être du bois dont on fait les empereurs.

 

Il n'est pas de gens plus pauvres sur la terre que les princes, et plus dignes de compassion; aussi noire Seigneur a-t-il dit, par l'organe de saint Paul : Orate pro illis qui in sublimitatibus constituti sunt.

Dieu se sert des rois, des princes et des grands seigneurs Comme les enfants se servent d'un jeu de caries. Quand ils jouent ils les tiennent dans leurs mains, ensuite ils les jettent dans un coin de la chambre ou sous la table. C'est ainsi que Dieu en use avec les potentats.

 

Le docteur Martin Luther dit un jour : « Les princes ont à présent fort peu d'ordre dans l'administration de leur maison et dans leurs repas. A la cour de Salomon tout cela était parfaitement règle; ce qu'il fallait pour la consommation de chaque jour était présent d'avance, et le roi se rendait compte de chaque objet, ainsi que nous le montre ce passage du premier livre des Rois (ch. IV, v. 22) : « Les vivres de Salomon, chaque jour, étaient trente cores de farine et soixante cores d'autre farine , dix bœufs gras, et vingt bœufs des pâturages et cent moutons.» Aujourd'hui en un seul jour, quatre villes impériales dépensent en objets de luxe inutile et déréglé, en débauche, en repas de confréries, plus que Salomon ne dépensait en un mois dans tout son royaume.

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