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LES PROPOS DE TABLE DE MARTIN LUTHER.

 

LE DIABLE, LES SORCIERS, LES INCUBES, ETC.

 

La plus grande punition qu'on puisse infliger aux impies, c'est lorsque l'Eglise, pour les châtier, les livre à Satan (1), qui avec la

 

1 On sait que! rôle important joue le diable dans la vie de Luther; nous aurons occasion d'eu reparler ; la vie du père de la réforme, telle qu'il la raconte lui-même, n'aurait été qu'une suite de combats toujours terminés au désavantage du malin. Nous ne traduirons pas toutes les horrifiques histoires que Luther racontait à ses commensaux épouvantés, nous ne répéterons pas tout ce qu'il a dit sur un sujet qu'il trouvait inépuisable: dans l'édition de Walch, le chapitre consacré au diable (et il est loin de renfermer loin ce qui se rencontre dans d'autres éditions) ne remplit pas moins de 65 colonnes. Un critique distingué nous semble avoir fort bien apprécié ce côté curieux de la vie du terrible antagoniste de la papauté, et nous ne pouvons mieux faire que de transcrire ses paroles : « Le diable commente avec Luther la Bible et les conciles ; on dirait que les sympathiques de l’orgueil et de la révolte rapprochent le réformateur et le démon. Que Luther écrive ou médite, qu'il veille ou qu'il dorme, le diable est près de lui qui l'encourage, le gourmande, l'approuve ou le désapprouve par des arguments tirés de saint Thomas, de Scott ou de saint Paul. Tantôt il encourage Luther à la guerre ; tantôt, comme effrayé des ruines qu'il prépare, il lui conseille la paix et lui demande avec des reproches amers : « Luther, qu'as-tu fait de l'autorité ? » Et par ces reproches il jette dans l'âme du réformateur cette souffrance du doute, cette tristesse de l'incertitude, que le réformateur avait jetées dans la conscience du monde catholique. C'était bien la peine de nier le pape et les saints, pour affirmer Satan ; c'était bien la peine d'évoquer l'esprit des temps modernes, pour se replonger dans les ténèbres du passé et se montrer plus crédule encore que ces docteurs du moyen âge dont l'hérésie insultait la foi: Pour Luther, le diable est le maître absolu, le prince de la terre; il est partout, dans l'air que nous respirons, dans le pain que nous mangeons. On dirait que Salan s'est relevé de son antique déchéance, et qu'il vient de conquérir l'ubiquité qui n'appartient qu'à Dieu. Ainsi se confondent souvent dans un même homme, dans un même temps, toutes les grandeurs, toutes les misères. Luther croit reconnaître le diable dans les mouches qui se posent sur sa Bible et sur son nez, et le retrouver même dans des noisettes. » (Ch. Louandre, Revue des Deux-Mondes, t. XXXI, p. 579.)

 

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permission de Dieu les tue, ou qui leur fait subir de grandes calamités. Il y a dans beaucoup de pays des lieux qui servent de demeure aux démons. La Prusse est pleine de démons; la basse Allemagne renferma une foule de sorciers. Dans la Suisse, près de Lucerne, sur une montagne très élevée, il y a un lac que l'on nomme le lac de Pilate, et Satan y déploie sa fureur. Dans mon pays, ajouta le docteur Luther, sur la haute montagne de Procknesberg, il y a un lac : si l'on y jette une pierre, il s'élève une grande tempête et tout le pays tremble aux environs. C'est un lieu qui sert de demeure à des dénions qui y sont retenus prisonniers.

 

 

Un pasteur, près de Torgau, vint trouver le docteur Luther, se plaignant que le diable le tourmentait sans relâche. Le docteur lui dit : Il me vexe et me tracasse aussi, mais je lui résiste avec les armes de la foi, et je lui oppose ce verset : « Mon Dieu est celui qui a crée l’homme , et toutes choses sont sous ses pieds. » Il lui raconta ensuite l'histoire d'une dame de Magdebourg qui avait mis Satan en déroute en faisant un pet (1). Ces exemples ne conviennent pas à tous les hommes; ils sont dangereux; car le diable est un esprit de présomption, et il ne cède pas facilement. On s'expose à bien des périls lorsqu'on veut faire plus qu'on ne peut; il en est des exemples. Un homme se glorifiait de son baptême, et le diable s'étant présenté à lui la tête munie de cornes, il lui arracha une de ses cornes; un autre voulut en faire autant, et le diable le tua.

 

 

Henning le Bohémien demanda au docteur Luther pourquoi le

 

1 Sathonam crepitu ventris fugavit.

 

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diable portait au genre humain une haine si furieuse; le docteur répondit : « Cela ne doit pas te surprendre; vois quelle haine a contre moi le duc George (1), qui ne peut rester en repos et qui songe, jour et nuit, aux moyens de me nuire. Le plus grand plaisir qu'il pourrait avoir serait de m’infliger des milliers de supplices. Si telle est la haine de l'homme , que ne doit pas être celle du diable ! »— Henning dit alors : «Je voudrais bien connaître le diable. »— Le docteur Luther répondit : « Prends le Décalogue au rebours, et tu auras la véritable image de Satan, car ses ordres sont précisément l'opposé des ordres de Dieu. »

 

Le diable séduit d'abord par l'attrait du péché, afin de nous pousser ensuite dans le désespoir; il réjouit la chair, afin d'attrister l'esprit. L'on n'éprouve aucune douleur en péchant, mais ensuite l'esprit demeure triste et la conscience reste troublée.

 

 

Celui qui veut avoir pour maître et pour roi Jésus-Christ qui est né d'une vierge, et qui a pris notre chair et notre sang, celui-là aura le diable pour ennemi.

 

Le docteur Luther dit : Le diable est un esprit plein d'orgueil , aussi ne peut-il souffrir d'être humilié; lorsqu'il se targue le plus, un pauvre prédicateur peut venir et rabaisser toute sa superbe. Nous lisons dans les Vies des Pères, qu'un jour un vieil anachorète était en prière; le diable vint derrière lui et fit un grand bruit, de sorte que l'anachorète croyait entendre une troupe de cochons qui l’entouraient en grognant et en faisant hou ! hou! Hou ! et le diable en usait ainsi pour effrayer le solitaire et pour le détourner de son oraison. L'anachorète dit alors : « Tu es bien ravalé, démon ; tu étais jadis un ange

 

1 Le duc George, souverain de Misnie et de Thuringe ; il montra toujours un grand zèle contre les luthériens.

 

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puissant, et voici que tu es devenu un cochon (1). » Alors le bruit cessa immédiatement, car le diable est tout hors de lui lorsqu'on lui témoigne du mépris. Et lorsqu'il s'attaque à un véritable chrétien, il est toujours repousse avec humiliation, car il ne peut rien gagner là où il y a foi et confiance dans le Seigneur.

 

 

Le ministre du village de Supz, près de Torgau, vint trouver le docteur Luther, se plaignit à lui que le diable faisait dans la nuit un grand vacarme dans sa maison, brisant toute sa vaisselle et tous les vases de bois, ne lui laissant aucun repos; il dit que le diable lui jetait à la tête les assiettes et la vaisselle, et souvent il l'entendait rire, mais il ne le voyait pas. Ce manège durait depuis un an , et la femme ainsi que les enfants du pasteur ne voulaient plus rester dans la maison, mais bien en sortir sans délai. Le docteur Luther parla ainsi a ce ministre : « Cher frère, sois ferme dans le Seigneur et sois certain de ta foi en Jésus-Christ ; ne t'inquiète pas de ce meurtrier, le diable ; souffre avec patience ses passe-temps, et résigne-toi au dégât qu'il peut occasionner à ta vaisselle et à tes assiettes, car il ne peut rien entreprendre contre ton corps ni contre ton âme. Tu l'as éprouvé jusqu'ici ; l'ange du Seigneur se tient à les côtes ; il te protège et veille sur toi. Laisse donc le diable s'amuser, s'il le veut, avec des plats et des assiettes ; pour toi, adresse tes prières au Seigneur

 

1 Le porc, ainsi que l'a judicieusement remarqué M. Alfred Maury, dans son Essai sur les légendes pieuses du moyen âge (Paris, 1813), le porc, animal impur frappé de réprobation par les Juifs et par les Egyptiens, le porc dans le corps duquel l'Evangile nous montre le démon allant chercher un refuge au sortir du corps du possédé, devait naturellement devenir un symbole du diable. Chez les Orientaux , le démon est désigné par le nom de porc : saint Jean Chrysostome dit que le diable qui occupait par intervalles le corps du religieux Stagyrus, paraissait sous la forme d'un pourceau couvert d'ordures. Dans les récits des légendaires, le diable se montre sans cesse transformé en ours, en cerf, en âne, en veau, en crapaud, en corbeau: il s'est même changé, ce qui est plus bizarre, en queue de veau. (Alio tempore transformat se daemon in caudam vituli.— Tissier, Bibliotheca Cisterciensis. II, 129.)

 

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ainsi que ta femme et tes enfants, et dis : « Retire-toi, Satan ; ce n'est pas toi qui es le maître dans cette maison; c'est moi.»

 

 

Le diable ne peut être que notre ennemi, car nous combattons contre lui avec la parole de Dieu ; nous jetons le trouble dans son empire, etc. Il est le maître et le dieu du monde, et il a on pouvoir supérieur à celui de tous les rois, princes et seigneurs de la terre: aussi veut-il se venger de nous, ce qu'il tente sans relâche et ce que nous voyons et sentons.

 

***

 

Nous avons contre le diable un grand avantage; car, quelque méchant, puissant et ruse qu'il soit, il ne peut nous nuire, puisque ce n'est pas contre lui que nous avons péché, mais contre Dieu seul, ainsi que le dit David (psaume 51, v. 6) : « J'ai péché contre toi seul. » Dieu est plein de boute, de miséricorde et de douceur pour ceux qui sont fidèles à Jésus-Christ, car il leur a donné le salut.

 

***

 

Quelqu'un dit un jour : « Maître N... a dit en chaire que le diable ne connaissait pas les pensées des hommes» ; le docteur Luther répondit : «Je ne pense pas qu'il ait pu s'exprimer ainsi, car l'Ecriture montre clairement que le diable inspire aux hommes de mauvaises pensées et qu'il suggère les projets des méchants. Il est écrit dans l'Evangile de saint Jean que le diable entra dans le cœur de Judas et lui inspira la volonté de trahir Noire-Seigneur. El ce fui à son instigation que Caïn non-seulement conçut une haine violente contre Abel , mais encore qu'il le tua. Mais Satan ne connaît pas les pensées des justes ; il ne pouvait savoir ce que Jésus-Christ pensait en son cœur, et il ne peut savoir non plus ce. qui se passe dans le cœur des fidèles où habite Jésus-Christ. C'est un esprit puissant déchu, car Jésus-Christ l'appelle le prince du monde (saint Jean, ch. XIV, v. 30) ; il décoche jusque dans le cœur des justes des flèches ardentes, c'est-à-dire de mauvaises pensées, des sentiments de désespoir, de haine

 

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contre Dieu, de colère, etc. Saint Paul a bien ressenti ses assauts

et il s'en plaint amèrement. »

 

Il est très-certain que quant aux hommes qui se sont pendus ou se sont donne la mort de quelque autre façon, c'est le diable qui a pris la corde et qui l'a mise à leur cou ou à leurs mains ; divers exemples le prouvent. Un nommé Muschanz fut ainsi tenté jusqu'au désespoir, et, allant à cheval dans la campagne , il se pendit à un licou de dessus son cheval, ses pieds touchant la ferre. Un jeune homme de Goldberg, un étudiant, fut trouvé dans sa Chambre pendu à une poutre bien peu forte ; il s'y était attaché, se tenant debout sur la terre.— Un homme avait coutume, toutes les fois qu'il tombait, de dire : « Voilà qui s'est fait au nom du diable. » On lui conseilla de renoncer à cette mauvaise habitude, de peur que le diable, ainsi appelé, ne vint. Il promit de le faire et d'employer d'autres expressions ; mais un jour, ayant fait une chute, il invoqua, selon sa coutume, le nom du diable, et il fut tué sur-le-champ, étant tombé sur un morceau de bois qui le perça.

 

Un ministre écrivit à maître Georges Rorer, à Wittemberg , pour lui dire qu'une femme étant morte dans un village et ayant été enterrée, elle s'était dévorée elle-même dans son tombeau , et que tous les hommes qui habitaient ce village étaient morts (1);

 

1 C'est une histoire de vampires. Il est rare d'en trouver ailleurs que dans les provinces qui arrosent le bas Danube ; là, ils se sont multipliés outre mesure. En 1725 notamment, la Servie se plaignit d'en être infestée, et la question de l'existence de ces hideux fantômes donna lieu à grand nombre d'écrits publiés en Allemagne; maints érudits de Francfort, de Vienne, de Leipzig, de Nuremberg, prirent part à une vive controverse qui s'éleva à ce sujet. On trouvera de fort curieuses particularités dans le recueil de G. C. Horst, Zauber-Bibliothek (Mayence, 1821, in-8°), t. I, p. 25.-278; t. V, p. 381-394. Voici l'indication de quelques écrits spéciaux bons à consulter à l'égard des vampires :

Dissertatio physica de cadaveribus sanguisugis ; Jenae, 1732.

J. H. Zopff, Dissertatio de Vampiris Servitiensibus ; Hallae, 1733.

J. M. Rantff, Dissert. I et II de Vampiris et de masticatione mortuorum in tumulis; Lipsiae, 1739.

J. C. Pohl, Dissert, de hominibus post mortem sanguisugis ; Lipsiae, 1742. H. C. Haremberg, Von Vampyren, 1728.

Pour l'indication d'autres ouvrages de vampirologie, nous renvoyons à la Bibliotheca magica de Grasse Leipzig, 1813, in-8°), p. 21.

 

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il le priait en même temps de demander au docteur Luther son opinion à cet égard. Le docteur Luther dit : « C'est l'effet de la malice et de l'imposture du diable; s'ils n'avaient pas cru et n'avaient pas été effrayés, ils n'auraient eu aucun mal. Leur mort a été la suite de leur superstition. On n'aurait pas dû tellement se presser d'enterrer ces gens : il fallait dire : « Tiens, diable, mange, voilà de la viande pour toi ; tu ne nous tromperas plus. » — Et le docteur Luther ajouta : « Avant peu, le diable sera redouté, honoré et adoré comme Dieu. Il faut écrire à ce ministre de se tenir pour convaincu que tout cela est l'ouvrage de Satan. Qu'ils aillent tous ensemble à l'église et qu'ils prient Dieu de leur pardonner leurs pèches au nom de Jésus-Christ et de terrasser le diable. »

 

Le docteur Luther dit qu'il tenait de l'électeur de Saxe , Jean Frédéric, qu'une puissante famille d'Allemagne avait le diable pour ancêtre , ayant été engendrée par un succube (1). Voici ce qui était également arrivé ailleurs : « Un gentilhomme avait une femme jeune et belle qui mourut et qu'il fit ensevelir. Peu de temps après, ce gentilhomme et un de ses valets étant couchés dans la même chambre , la femme qui était morte vient dans la unit et se penche sur le lit du gentilhomme comme si elle s'entretenait avec lui. Le valet ayant vu semblable chose arriver deux fois, demanda à son maître s'il savait que toutes les nuits

 

1 C'est également un démon succube ou une fée qui, d'après la légende, est la souche de la maison de Haro ; elle avait un pied de biche d'où elle tira son nom. Plus d'un arbre généalogique célèbre dans le monde idéal ou dans le monde réel, a ses racines dans l'enfer. La vanité féodale s'est emparée de celle croyance pour ennoblir ses blasons, et la famille des Jagellons se vantait de descendre des fées, qui sont elles-mêmes les collatérales du diable ; elle portail sur ses armes les emblèmes de l'ange des ténèbres.

 

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une femme Vêtue de blanc venait se placer à côté de son lit. Le maître répondit qu'il dormait la nuit entière et qu'il ne s'apercevait de rien. La nuit suivante, cependant , il se tint sur ses gardes et il resta éveillé dans son lit ; la femme revint et le gentilhomme lui demanda qui elle était et ce qu'elle voulait. Elle répondit qu'elle était sa femme. Il lui répliqua : « Tu es morte et tu as été enterrée. » Elle répondit qu'elle avait voulu mourir à cause de ses péchés, mais que s'il consentait à la recevoir de nouveau , elle redeviendrait sa femme. Il dit que si la chose était possible il en serait bien lise, et elle l'avertit de bien se gardera l'avenir de jurer comme il en avait l'habitude , car elle mourrait bientôt derechef s'il jurait. Il le promit, et la morte habita dans sa maison , coucha avec lui, but et mangea avec lui, prit soin du ménage et eut des enfants. Un jour qu'il avait des convives à dîner, la femme alla chercher des épiceries qui étaient renfermées dans une boite dans un autre appartement, et elle resta longtemps absente. Le gentilhomme s'impatienta et lâcha son ancien juron, et la femme disparut. On fut étonné de voir qu'elle ne revenait point ; on alla dans l'appartement où elle avait passé, et l'on trouva par terre les vêtements qu'elle portait. On ne la revit jamais depuis. C'est l'œuvre du diable, qui peut revêtir la figure d'un homme ou d'une femme. Il fabrique un fantôme qui trompe les yeux , de sorte que l'on croit coucher avec une femme véritable et il n'en est rien. De même quand il prend les traits d'un homme ; car le diable est puissant auprès des enfants de l'incrédulité, ainsi que le dit saint Paul. Quant aux enfants qui résultent de ces unions, je crois que ce sont aussi des diables. C'est une chose bien horrible et effroyable que le diable ait le pouvoir d'engendrer des enfants. Il en est de même des nixes dans l'eau (1) ; ils attirent les vierges et les jeunes filles et ils ont commerce avec elles, et ils engendrent des diablotins. Engendrer des enfants est une oeuvre divine, et là Notre-Seigneur

 

1 Il existe sur les nixes une dissertation spéciale de J. V. Merbitz, de nymphis germanis Wassernixen ; Lips., 1678, in-1° : Jenae, 1744, in-8°. Consultez surtout à l'égard du nichus le savant travail de Jacob Grimm sur la mythologie allemande (Gottingue, 1835, p. 275-281), et Keightley. Fairy Mythology, t. I, p. 224 et suiv.

 

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Jésus-Christ joue le rôle de créateur, car nous lui donnons le nom de père de tous les hommes.

 

 

Tout ce que Dieu fait, il le fait dans le but de la vie, comme dit le prophète Jerémie. Mais le diable s'appelle le père de la mort; car, que fait-il sinon éloigner les hommes de la vraie et pure religion, causer des séditions, des pestes et autres fléaux?

 

Lorsque je n'étais encore qu'un jeune garçon , quelqu'un me raconta celle histoire : « Satan avait en vain mis toutes ses ruses enjeu pour séparer deux époux qui vivaient ensemble dans une grande union , et qui s'aimaient cordialement ; alors il vint auprès d'eux sous la ligure d'une vieille femme et il cacha un rasoir sous leur oreiller; il parla ensuite à chacun en particulier, lui disant que l'autre avait tonne le projet de le tuer, et alléguant pour preuve que Ton trouverait un rasoir sous le traversin. Le mari le trouva le premier, et dans sa colère il coupa la gorge à sa femme. » On voit ainsi combien le diable est puissant dans sa malice.

 

Le docteur Luther raconta l'histoire suivante : « Un lansquenet avait déposé de l'argent dans les mains d'un homme chez lequel il logeait, dans le Brandebourg. L'hôte, quand le lansquenet lui redemanda cet argent, prétendit n'avoir rien reçu. Le lansquenet, irrité, se jeta sur lui et le maltraita ; mais le fripon le fit arrêter par les magistrats et l'accusa d'avoir violé la paix domestique. Or, tandis que le lansquenet était en prison, le diable vint le trouver et lui dit : « Tu seras demain condamné et exécuté; mais je puis te délivrer, pourvu que tu veuilles me vendre ton corps et ton âme. » Le lansquenet s'y refusa, et le diable lui dit: «Si lu ne veux pas m'écouter, écoute du moins le conseil que je te donne. Demain, lorsque tu seras en présence des juges, je me tiendrai auprès de toi, la tête couverte

 

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d'un bonnet bleu avec une plume blanche. Dis alors aux juges qu'ils me laissent plaider pour toi, et je te tirerai d'affaire. » Le lansquenet dit au diable qu'il suivrait son conseil ; et comme l'hôte continuait de nier, l'avocat au bonnet bleu lui dit : « Mon ami, comment as-tu l'audace de te parjurer ainsi? l'argent que tu prétends ne pas avoir reçu est caché sous le traversin de ton lit. Si les juges y envoient, ils verront que j'ai dit la vérité. » L'hôte entendant cela , s'écria en jurant : « Si j'ai reçu l'argent, je veux que le diable m'emporte aussitôt. » Mais les gens envoyés chez lui trouvèrent l'argent à l'endroit désigné, et ils l'apportèrent devant le tribunal. Alors l'homme au bonnet bien se mit à rire et il dit : « Je savais bien que j'aurais le lansquenet ou l'aubergiste, un des deux devait me revenir. » Et il tordit le cou à l'homme qui s'était parjuré et l'emporta à travers les airs. » Il faut bien se garder de jurer de par le diable, comme font beaucoup de gens ; ce coquin-là n'est pas loin de nous ; pour qu'il soit présent, point n'est besoin de peindre son image sur les murailles.

 

Une servante avait eu, durant plusieurs années, un esprit familier et Invisible qui s'asseyait près d'elle au foyer, où elle lui avait fait une petite place , et ils conversaient ensemble familièrement durant les longues soirées de l'hiver. Un jour elle demanda à Heinzehen (c'est ainsi qu'elle nommait l'esprit) de se laisser voir sous sa forme véritable. Heinzehen refusa d'abord de le faire ; enfin , après de longues instances, il y consentit, et il dit à la servante de descendre à la cave, où il se montrerait à elle. La servante prit un flambeau et descendit à la cave, et là, dans un tonneau ouvert, elle vit un enfant mort qui flottait au milieu de son sang, et plusieurs années auparavant, elle était en secret accouchée d'un enfant qu'elle avait égorgé et qu'elle avait caché dans un tonneau (1).

 

1 Heinzchen rappelle, à certains égards, et sauf l'horreur du dénoûment, la charmante nouvelle de Ch. Nodier - Trilby ou le Lutin d'Argail. La croyance en ces esprits follets, serviables et espiègles, a fait le tour du monde; elle se retrouve partout,

 

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On raconta un jour que des gentilshommes allant de compagnie a cheval, l'un d'eux s'était écrié en piquant sa moulure : «Au diable le dernier! » Il avait deux chevaux et il en lâcha un, celui-ci resta en arrière et le diable l'emporta dans les airs. Le docteur Luther dit : « N'appelons pas Salait à notre table, il vient sans être invité ; tout est plein de diables autour de nous; nous veillons et prions continuellement, et cependant nous avons bien affaire avec lui. »

 

Le docteur Luther trouva une chenille, et il dit : « Voilà bien la manière de marcher ou de ramper du diable; cette bête présente des couleurs variées comme si elle portait la livrée de Satan ; elle voit et marche comme lui. »

 

Cerbère en grec, Scorphur en hébreu , signifie le chien infernal à trois gueules   Ce sont le péché, le jugement et la mort.

 

Job a décrit dans deux chapitres ( le XLe  et le XLIe), le Behemoth ou baleine devant laquelle nul n'est en sûreté. Que feras-tu du Leviathan? dit-il ; penses-tu qu'il tombera à les pieds et te suppliera ? — Ce sont des figures, des images qui désignent le diable.

 

Le diable couche beaucoup plus souvent avec moi que Ketha (2). Il m'a causé plus de tourments qu'elle ne m'a donné de joies.

 

Le docteur Luther raconta ceci : « Un jeune homme impie et corrompu buvait et faisait bombance dans un cabaret avec

 

1 Synesius, évêque de Plolémaïs, qui florissait au commencement du cinquième siècle, place encore, dans son hymne IX, le chien à la garde de l'enfer chrétien.

 

1 Ketha, c'est-à-dire, Catherine Borra, la femme de Luther.

 

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quelques-uns de ces compagnons. Lorsqu'il n'eut plus d'argent il dit: « Si quelqu'un voulait m'en donner, je lui vendrais bien volontiers mon âme. » Il vint alors un autre voyageur qui se mit à table avec eux et qui dit au jeune homme : « Etes-vous disposé, comme vous le disiez, tout à l'heure , à vendre votre âme? » — Le jeune homme répliqua que oui, et l'inconnu paya pour lui à boire durant toute la journée. Le soir, le jeune homme étant ivre, le voyageur dit a celui qui se trouvaient là : « Mes amis, lorsqu'on achète un cheval, est-ce que la selle et la bride ne font pas partie du marché? » Les assistants furent d'abord fort effrayés , et ils n'osaient pas répondre ; mais l'inconnu les interrogeant de nouveau, ils répondirent : « Oui, la selle et la bride appartiennent à l'acheteur. » Aussitôt le diable (car c'était lui) emporta le jeune homme à travers le plancher, et jamais l'on n'a eu depuis nulle nouvelle de ce malheureux.

 

Le docteur Luther parla beaucoup de la sorcellerie et des fascinations; il dit que sa mère avait eu beaucoup à souffrir d'une de ses voisines qui était sorcière, et pour laquelle elle était forcée de montrer beaucoup d'égards et d'attentions , car cette sorcière jetait un sort sur les enfants, et ils criaient jusqu'à ce qu'ils fussent morts. Un prédicateur l'ayant punie un jour, elle fit un charme qui lui occasionna une maladie mortelle, sans qu'aucun remède pût le soulager, car elle avait pris de la terre sur laquelle il avait marché étoile l'avait jetée à l'eau.

 

On demanda si les bons chrétiens et gens craignant Dieu pouvaient aussi être ensorcelés, le docteur Luther répondit : «Oui, car notre Corps est toujours exposé aux attaques de Satan. Je crois que les maladies que j'éprouve ne sont point naturelles, c'est ce coquin de Satan qui m'assaille par les ressources de la sorcellerie; mais Dieu sauve ses élus de pareils malheurs. »

 

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Il y avait à N. un magicien nommé Wildferer, qui avala un paysan avec un chevalet une charrette, et quelques heures plus tard , le cheval, la charrette et le paysan furent retrouvés dans un bourbier à quelque distance de là. Il y eut aussi un moine qui demanda à un paysan, lequel conduisait au marché une charrette chargée de foin , combien il demanderait pour laisser manger son foin. Le paysan demanda un kreuzer. Le moine se mit à l'œuvre, et il avait déjà avalé presque tout le foin, lorsque le paysan le chassa.

 

Un habitant de Berlin était en butte à l'inimitié de quelques sorcières, et elles avaient jeté un sort, de sorte que ses moissons périssaient et qu'il était réduit à la misère. Il s'adressa au diable pour savoir ce qu'il avait à faire, mais sa conscience n'était pas tranquille. Le docteur Luther, consulté à cet égard , dit : « Il a agi d'une manière répréhensible et contraire à la loi de Dieu ; pourquoi n'a-t-il pas suivi l'exemple du saint patriarche Job, en prenant patience et en implorant l'assistance du Seigneur ? Donc , qu'il fasse pénitence et qu'il ne s'adresse plus à Satan, mais qu'il se résigne au bon plaisir de Dieu. »

 

Le 25 août 1538 on parla beaucoup des sorcières qui volaient des oeufs dans les poulaillers, du lait et du beurre. Le docteur Luther dit : « Je n'aurais aucune compassion à leur égard, je voudrais les faire brûler On lit dans l'ancienne loi que les prêtres étaient les premiers à lapider les malfaiteurs. On dit que ce beurre volé est très-puant et qu'il tombe par terre lorsqu'on veut en manger. Celui qui veut s'opposer à ces sorcières et les châtier, est lui-même tourmenté corporellement par le diable. Des maîtres d'école et des curés de village en ont fait l'expérience. Nos pèches irritent et offensent Dieu ; quel doit donc être son courroux contre la sorcellerie, que l'on peut nommer à juste titre un crime de lèse-majesté divine, une révolte contre la puissance infinie de Dieu! Les jurisconsultes qui ont si doctement et pertinemment traite de la rébellion, affirment que le

 

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sujet qui se révolte contre son souverain est digne de mort. La sorcellerie ne mérite-t-elle donc pas la mort, puisqu'elle est une révolte de la créature contre le Créateur, puisqu'elle refuse à Dieu une autorité qu'elle accorde au démon?

 

On parla à la table du docteur Luther de deux sorcières qui, étant dans une auberge, avaient, le soir, déposé en nu certain coin deux vases remplis d'eau, et qui discutaient ensuite l'une avec l'autre si elles en feraient du grain ou du vin. L'aubergiste , qui s'était caché dans un coin et qui les entendait, se saisit des deux vases, et, lorsque ces femmes se furent couchées, il leur jeta cette eau dessus et elles expirèrent sur l'heure. Le docteur Luther dit : « Le diable a un grand empire sur les sorcières. »

 

L'empereur Frédéric, père de Maximilien, invita à dîner un nécromancien, et, par ses connaissances en magie, il fit que les mains de ce nécromancien se changèrent en pieds de bœuf avec des griffes. L'empereur lui dit alors de manger, mais i| avait honte et il cachait ses pattes sons la table. Cependant , lorsqu'il ne put plus les cacher plus longtemps, il fut obligé de les laisser voir. Alors il dit à l'empereur : « Je ferai aussi quelque chose à Votre Majesté, si elle le permet. » L'empereur répondit qu'oui, et le magicien fit par son art qu'un grand bruit se fit entendre dans la cour ; l'empereur mit la tête à une croisée pour voir ce que c'était , et aussitôt il lui poussa à la tête de grandes cornes de cerf, de sorte qu'il ne pouvait retirer la tête de la fenêtre. Le docteur Luther dit: «Je suis charmé lorsqu'un diable en vexe et en tourmente un autre; ils ne sont pas tous de force égale. »

 

En 1338, le docteur Luther dit : « Le diable a emporté à Suwen , le jour du vendredi saint, trois écuyers qui s'étaient donnés à lui. »

 

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Le diable a jure de nous tourmenter sans relâche , mais il mordra dans une noix creuse.

 

Voici ce qui s'est passé à Erfurt : il y avait deux étudiants, et l'un d'eux conçut pour une jeune fille une si violente passion qu'il en était devenu comme fou. L'autre , qui était magicien, lui dit : « Si tu promets de ne point l'embrasser, je ferai en sorte qu'elle vienne te trouver. » Son camarade le promit, et le sorcier fit que la jeune fille vint en effet dans la chambre de son ami; il était un fort beau garçon ; il la reçut avec une extrême joie, et ils eurent une conversation fort tendre, et le nécromancien craignait toujours qu'il ne l'embrassât. Et ne pouvant résister à l’amour qui le pressait, l'étudiant embrassa enfin la jeune fille, et elle tomba aussitôt par terre et mourut. En la voyant privée de vie, ils furent saisis d'effroi. Le nécromancien dit alors : « Nous devons avoir recours aux moyens extrêmes. » Et il fit que le diable rapporta la jeune fille chez elle, et elle continua de faire tout ce qu'elle faisait auparavant dans la maison; mais elle était extrêmement pâle et ne parlait pas. Au bout de trois jours, les parents allèrent trouver les théologiens et leur demandèrent leur conseil sur ce qu'il convenait de faire. El ceux-ci avant parle à la jeune fille avec autorité, le diable s'enfuit et l'abandonna, et le cadavre tomba par terre en répandant une odeur extrêmement infecte. Car le sang est ce qui donne une bonne couleur, et quant à l'esprit qui l'anime, il n'est pas au pouvoir du diable de le produire ; c'est Dieu seul qui en est l'auteur.

 

Il y a quelques années, dans le pays de Thuringe, le diable voulut emporter un jeune homme ; mais il se défendit vaillamment et lutta si longtemps que le diable dut céder. Le jeune homme fit pénitence et s'amenda , et il n'ont pas de mal.

 

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Vraiment, ce ne sont pas des histoires oiseuses et inventées à plaisir pour faire peur aux gens ; ce sont des récits effroyables et non des enfantillages, comme les appellent les épicuriens. Prions donc, mettons notre confiance en Dieu, et craignons d'avoir le diable pour hôte ; il est beaucoup plus près de nous que nous ne l'imaginons. Souvenons-nous aussi de ce qu'a dit saint Jean : « Le Fils de Dieu est venu afin de détruire les œuvres du diable. »

Le docteur Luther raconta une histoire qu'il tenait de maître Nicolas d'Amsdorf, qui lui en avait garanti l'exactitude. Il s'était arrête durant une nuit dans une auberge, et il vit entrer dans sa chambre deux nobles qui étaient morts depuis quelque temps, et que suivaient deux valets munis de flambeaux; ils allèrent vers lui, le réveillèrent, lui dirent de se lever, l'assurant qu'il ne lui serait fait aucun mal. Quand il se fut levé, ils lui firent écrire une lettre qu'ils lui dictèrent et qu'ils lui recommandèrent de remettre au vieux M.; ils disparurent ensuite: il remit fidèlement la lettre au Prince. Amsdorf m'a rapporté cela comme lui étant arrivé. L'on voit aussi dans beaucoup d'histoires et de récits, que le diable ne se repose pas ; il est souvent à nos côtés sans que nous l'imaginions, et puisqu'il peut troubler et vexer nos âmes, à plus forte raison a-t-il pouvoir sur le corps.

 

Dans les mines, le diable tourmente et tracasse les ouvriers; il leur présente des fantômes , de sorte qu'ils croient trouver de riches liions d'argent et il n'y a rien du tout. Il peut en plein jour, sur la terre et à la clarté du soleil, faire croire aux gens qu'ils voient ce qui n'existe pas, et il trompe ainsi leurs sens; dans les mines il agit bien souvent de la sorte. Parfois il a été trouve de véritables trésors ; c'est un effet de la grâce de Dieu, mais ce n'est pas donne à chacun. Je sais bien que je n'ai eu aucun succès dans les mines , mais puisque telle a été la volonté de Dieu , j'en suis content.

 

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J'aime mieux que ce soit le diable plutôt que l'empereur qui me fasse périr ; si je succombe , ce sera du moins sons un puissant seigneur. Le diable me mord, mais je prendrai bien ma revanche quand viendra le jugement dernier.

 

Aucune maladie ne vient de Dieu , qui est bon et qui veut le bien de tous; elles viennent du diable, qui cause et produit tous maux et qui est l'auteur de la peste , de la vérole, de la  lèvre , etc. Lorsqu'il se mêle parmi les jurisconsultes il enfante toutes sortes de discordes et de trames; il change la justice en injustice et l'injustice en justice. S'approche-t-il des grands seigneurs, des princes, des rois, il enfante des guerres et des massacres. A-t-il accès auprès des théologiens, il en résulte des maux qu'aucune expression ne peut rendre; de fausses doctrines séduisent et corrompent les âmes. Il n'y a que Dieu qui puisse mettre une digue à tant de calamités.

 

Le diable a deux occupations auxquelles il s'applique sans relâche, et qui sont les bases de son empire : le mensonge et l'homicide. Dieu a dit : « Tu ne tueras pas, tu n'auras pas d'autres dieux. » Satan agit de tontes ses forces contre ces deux préceptes. Il n'a d'autre but que celui de tromper les hommes en les attirant dans l'idolâtrie et de les faire périr.

 

Le 6 novembre 1538, le docteur Luther dit : « Je tiens d'un exorciste qu'un jour il demanda au diable dans quel endroit se trouvait un objet qui avait été perdu ; le diable lui désigna la ville , mais sommé de désigner la maison , il répondit : « Je ne le peux , car un brouillard épais me la cache. » Mais Dieu voit bien ce que le diable fait et ce qu'il projette, tandis que le diable ne peut connaître les pensées de Dieu et des saints. »

 

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Le docteur Grégoire Bruck, chancelier de Saxe, raconte au docteur Luther l'histoire que voici : « Doux nobles, de la cour de l'empereur Maximilien, étaient ennemis déclarés et avaient jure de se tuer l'un l'autre. Il arriva que durant la nuit, le diable tua l'un d'eux avec l'épée de l'autre, et cependant on la retrouva rentrée dans le fourreau et suspendue au chevet du lit, mais tachée de sang. Le survivant fut mis en prison comme véhémentement soupçonne d'être l'assassin, mais il put prouver par des témoignages irrécusables, qu'il n'était pas, cette nuit-là, sorti de son auberge; ou pensa alors que c'était le diable qui avait commis le meurtre , et le survivant fut condamné à mort; mais sa peine fut mitigée de la manière suivante : on le mena sur la place publique, on enleva la terre que couvrait son ombre et on le bannit du pays. C'est ce qu'on appelle la mort civile , et il la méritait, parce qu'il avait eu l'intention de tuer son ennemi. » — Le docteur Luther répondit : « Il en arrive toujours mal à ceux qui font alliance avec le diable et qui se laissent induire à péché par lui ; il fait d'abord semblant de les flatter et de les seconder, puis il les fait tomber dans l'abîme. »

On demanda au docteur Martin, si Samuel, qui apparut au roi Saül à l'invocation de la Pythonisse (1), ainsi qu'il est rapporté au 1er livre des Rois (ch. XXVIII, v. 14), était véritablement le prophète. Il répondit : Non, c'était un spectre et un mauvais esprit qui avait revêtu cette forme. Ce qui le prouve, c'est que

 

1 On formerait une collection considérable si l'on parvenait à rassembler une partie des écrits qui ont eu pour but de discuter le problème que soulève l'apparition de Samuel. Indiquons les principaux d'entre eux.

G. Lesseus, Solutio quaestionis : quomodo venefica Endorea Saülem regem viso Samuele agnoscere potuerit? Jenae, 1754.

W. Chrysander, De vero Samuele post mortem suam cum Saüle loquente. Weimst., 1749.

A. G. Waener, De Endorensi prœstigiatrice. Gotting., 1738.

Nous laissons de côté diverses dissertations en allemand de Bieber Wittemberg, de Kleberg (Brême, 1754) , de Schroer (Leipzig,

1756).

 

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Dieu avait défendu, dans la loi de Moïse, que l'on interrogeât les morts; ce fut donc un démon qui se montra sous la forme de l’homme de Dieu. De même un abbé de Spanheim, qui était sorcier et nécromancien, fit apparaître devant l'empereur Maximilien tous les empereurs ses prédécesseurs et les héros célèbres, et ils défilèrent devant lui avec les traits et le costume qui les caractérisaient de leur vivant, et parmi eux il y avait Alexandre le Grand , Jules-César, ainsi que la fiancée de l'empereur que le. roi de France, Charles, lui avait enlevée; mais toutes ces apparitions étaient l'œuvre du démon.

 

Le 15 janvier 1539, on parla de la grande sécurité dont on jouissait dans ces derniers temps. Et le docteur Martin dit: « Ah! l'on ne doit pas se regarder comme si tranquille, car nous avons un grand nombre d'ennemis et d'antagonistes déchainés contre nous; ce sont les diables, dont la multitude est telle qu'il n'y a pas moyen de les compter; et ce ne sont pas seulement des diables enchaînés dans l'enfer, mais des diables qui résident sur la terre, des diables qui sont à la cour et auprès des princes, et qui, depuis très-longtemps , sont bien habiles ; ils ont une pratique et expérience de cinq mille ans. Satan a mis sans relâche tout son pouvoir en œuvre pour tenter et tromper Adam, Mathusalem, Enoch, Noé, Abraham, David, Salomon, les prophètes, les apôtres, notre Seigneur Jésus-Christ lui-même et tous les fidèles. »

 

Le diable est un esprit triste, et il afflige les hommes; aussi ne peut-il souffrir que l'on soit joyeux. De là vient qu'il fuit au plus vite lorsqu'il entend la musique, et qu'il ne reste jamais lorsque l'on chante surtout de pieux cantiques. C'est ainsi que David délivra, avec sa harpe. Saül qui était en proie aux attaques de Satan.

 

Le docteur Luther dit, en 1541, que la musique était un don de Dieu qui était tout à fait en opposition avec le diable, et qu'on

 

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pouvait s'en servir pour éloigner les pensées et les tentations dont il nous assaille, car le diable ne peut souffrir la musique. Et le docteur, se tournant vers un de ceux qui étaient à table avec lui, lui dit : «Gardez-vous bien d'entrer en contestation et en controverse avec le diable; ne disputez pas avec lui sur la loi, car il a plus de mille tours de passe-passe, et il peut tromper les hommes de la façon la plus merveilleuse.»

 

Là-dessus, maître Leonhard, le ministre de Guben , dit que lorsqu'il était prisonnier, le diable l'avait bien tourmenté, et que plus d'une fois, lorsqu'il avait pris un couteau à la main , Satan lui avait dit : « Allons, frappe-toi, » mais qu'il avait jeté le couteau loin de lui. Et il ajouta que le diable l'avait tracasse au point qu'il ne pouvait plus réciter l'oraison dominicale ni dire des psaumes, bien qu'i les sût parfaitement. — Le docteur Luther répondit qu'il lui en était arrive de même, et que le diable lui avait souvent troublé la mémoire au point qu'il ne se souvenait plus de ses prières.

 

Le docteur Luther dit un jour : «Le diable met à la place des enfants d'autres enfants, que les savants appellent suppositi, et les Allemands des killecroffs. Il vient parfois trouver de jeunes filles dans l'eau ; il les engrosse, et il est près d'elles lorsqu'elles accouchent; alors il emporte ces enfants et il les substitue à d'autres qu'il dérobe à leurs mères dans les six premières semaines de leur naissance. Mais, à ce que l'on assure, ces enfants du diable ne peuvent vivre au delà de dix-huit ou dix-neuf ans.

 

Il y a huit ans, à Dessau, je vis et touchai un enfant qui avait été changé en nourrice par les esprits , et qui avait douze ans ; il avait les yeux et tous les membres comme un autre enfant : il ne faisait que manger, et il consommait chaque jour autant qu'auraient pu le faire deux paysans ou deux batteurs en grange. Si quelqu'un venait à le toucher, il criait : lorsque quelque malheur

 

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survenait dans la maison , il riait et était joyeux ; mais lorsque tout allait bien, il pleurait et il manifestait une grande tristesse. Je dis au prince d'Anhalt que si j'étais souverain du pays, je me hasarderais à être homicide en pareil cas, et que je jetterais l'enfant dans la Moldau. J'exhortai les habitants de l'endroit à prier Dieu avec ferveur pour qu'il les débarrassât du diable; ce qui fut fait, et la seconde année après, l'enfant mourut. Les enfants de cette espèce ne sont, à mon avis, que des masses de chair privées d'âme.

 

En Saxe , près d'Halberstadt, était un homme qui avait aussi un de ces killecroffs ou enfants changes. Il tétait au point qu'il ne laissa pas une goutte de lait à la mère et à cinq autres femmes, et, en outre, il mangeait énormément. On conseilla à cet homme d'aller en pèlerinage a Balberstadt, dévouer l'enfant à la vierge Marie et de le faire bercer en cet endroit. L'homme suivit ce conseil et il apporta l'enfant dans un panier ; et comme il passait une rivière sur un pont, un autre diable qui était dans l'eau se mit à crier : « Killecroff! killecroff ! » L'enfant qui était dans le panier, et qui jusqu'alors n'avait pas proféré un mot, répondit : « Oh! oh! oh! »— Le diable qui était dans la rivière lui cria :«Où vas-tu? »et l'enfant répliqua : « Je vais à Halberstadt, vers notre mère chérie, pour m'y faire bercer. » Le paysan, saisi d'épouvante , jeta enfant et panier dans la rivière ; et alors les diables se mirent à crier ensemble : « Oh .' oh ! oh ! » puis, après avoir fait quelques cabrioles, ils disparurent.

 

Un gentilhomme alla voir un paysan qui était possédé du diable, et il dit au démon : « Pourquoi tourmentes-tu ainsi ce pauvre homme? que ne vas-tu plutôt t'en prendre aux grands seigneurs de la cour? Laisse ce malheureux tranquille. » Le diable répondit : « Je le ferai bien volontiers, pourvu que tu me laisses passer en toi. » Le gentilhomme répondit : «Garde-t'en bien! «Alors le diable dit : « Permets-moi du moins de demeurer dans la doublure de ton habit; tu n'en ressentiras aucun inconvénient, et

 

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dans tous les tournois et exercices tu remporteras la victoire. » Le gentilhomme le lui permit : et en effet, dans tous les tournois et rencontres il fut vainqueur, et il s'acquit beaucoup de gloire. Lorsque cela eut duré quelque temps, il se dit à lui-même : « Cela va bien en ce moment, mais je prévois bien ce qui m'attendrait après ma mort; il faut donc changer de vie. » Et il donna congé au diable; puis, quittant la cour, il se retira dans un hôpital et s'y voua au service des pauvres.

 

On dit au docteur Luther que N. (1) voyait le diable qui se montrait à lui sous la forme d'un homme. — Il répondit : «Tant pis pour celui qui reçoit le diable chez lui. Le docteur Luc Gauric, le magicien qu'il a fait venir d'Italie , m'a souvent dit sans détour que N. avait des intelligences avec le diable. »

 

On demanda à table, au docteur Luther, si l'on baptisait les killecrofs. Il répondit : «Oui, puisque d'abord on ne peut les reconnaître pour ce qu'ils sont ; mais l'on s'en aperçoit bientôt, parce qu'ils épuisent leurs nourrices. »

 

Un jeune ouvrier, qui exerçait la profession de maréchal ferrant, était poursuivi par un spectre qui le suivait de ça et de là dans toutes les rues de la ville. Il fut amené chez le docteur Luther qui l'examina depuis six jusqu'à huit heures «lu malin, en présence de plusieurs personnes doctes, et qui lui demanda s'il savait le catéchisme. L'ouvrier répliqua que le spectre lui avait reproché d'avoir péché contre Dieu en recevant la communion sous les deux espèces, et qu'il avait fini par lui dire : « Si tu retournes dans la maison de ton maître, je te tordrai le cou. » C'est pourquoi il n'était pas rentre depuis plusieurs jours. — Le

 

1 Il est probable qu'il s'agit ici du due George de saxe , adversaire déridé de Luther.

 

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docteur Luther nous dit : « Il ne faut pas ajouter légèrement foi à chacun , car il y a beaucoup d'imposteurs; et d'ailleurs, quelle que fut l'injonction donnée par le spectre à ce jeune homme, il ne devait pas cesser son travail. » — Et il lui dit : « Garde-loi bien de mentir ; crains Dieu; écoule avec assiduité la parole de Dieu; retourne chez ton maître, et vaque aux travaux de la profession; si le diable revient, dis-lui : Je ne l'écoute pus, je fais la volonté de Dieu , qui m'a appelé à ce métier, et un ange viendrait du ciel pour m'en détourner que je ne lui obéirais point. »

 

L'apôtre donne au diable le titre de possesseur de la puissance et de la force de la mort (Epître aux Hébreux, ch. II, v. 15), et Jésus-Christ l'appelle un meurtrier (saint Jean , ch. VIII, v. 44). Il est si habile, que d'une petite feuille d'arbre il peut tirer la mort. Il a plus de vases et de flacons remplis de poisons avec lesquels il lue les hommes, qu'il ne s'en trouve chez tous les apothicaires de l'univers entier. Si un poison ne lui réussit pas, il essaye d'un autre. En somme, le pouvoir du diable est plus grand que nous ne pouvons nous l’imaginer; il n'y a que le doigt de Dieu qui puisse le surmonter.

 

Je maintiens que Satan produit toutes les maladies qui affligent les hommes (1), car il est le prince de la mort. Saint Pierre a dit: « Le Christ a guéri tous ceux qui étaient au pouvoir du diable.» Jésus-Christ ne guérit pas seulement ceux qui étaient possédés, mais encore rendit-il la vue aux aveugles, l'ouïe aux sourds, la parole aux muets, la force aux paralytiques; aussi je pense que toutes les graves infirmités sont des coups et des plaies, œuvre de Satan. Il les emploie comme des instruments naturels, tout comme un assassin se sert d'une épée ou de toute autre arme. De même Dieu emploie des moyens naturels pour maintenir la

 

1 Itaque, dit Tertullien en parlant des démons (Apolog., c. 22), corporibus quidem et valitudines infligunt et aliquos casus acerbos.

 

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vie et la santé de l'homme, tels que le sommeil, le boire, le manger, etc. Le diable nuit aussi à l'homme et le tue par des moyens qui lui sont propres; il empoisonne l'air, etc.

 

Un médecin répare l'ouvrage de Dieu, il assiste le corps; nous autres théologiens, nous venons au secours de l'âme que le diable a endommagée. Le diable donne du poison pour tuer les hommes, un médecin donne de la thériaque ou toute autre drogue; il emploie la créature pour assister la créature, c'est-à-dire le remède pour soulager le malade.

 

 Il est surprenant que des remèdes que donnent et appliquent de grands princes et seigneurs soient efficaces et salutaires, et qu'ils demeurent sans effet lorsqu'on médecin les emploie. J'ai appris que les deux électeurs de Saxe, le due Frédéric et le dur Jean, ont une eau qui guérit les maux d'yeux lorsqu'ils la donnent, que le mal vienne, du chaud ou du froid. Aucun médecin ne saurait l'employer. C'est ainsi que dans les matières spirituelles, un prédicateur a plus d'onction, remue plus les consciences qu'un autre. Nous pouvons donc employer les remèdes pour le corps comme une bonne chose que Dieu a créée.

Notre bourgmestre me demanda un jour s'il était contre la volonté de Dieu d'employer des remèdes. Car le docteur Carlstadt avait publiquement prêché que celui qui était malade ne devait employer aucun remède, mais offrir son mal à Dieu et prier le Seigneur que sa volonté s'accomplisse. Je lui demandai s'il mangeait lorsqu'il avait faim; il me répondit qu'oui. Alors, je lui dis : «Vous devez de même avoir recours aux remèdes qui ont été créés par la puissance de Dieu, aussi bien que ce qu'on mange, ce qu'on boit, etc., et que toutes les autres choses que nous employons aux usages de la vie. »

Dieu emploie le diable pour châtier les hommes de leurs péchés et de leur ingratitude par beaucoup de maladies, de maux, de fléaux, tels que la peste, la guerre; de sorte que c'est le diable,

 

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et non pas Dieu , qui est l'auteur de toutes les calamités que nous éprouvons. Tout ce qui donne la mort, sous quelque nom qu'on l'appelle? est un instrument dont le diable fait usage et qu'il emploie sans cesse contre le monde. Par contre, tout ce qui sert à la vie est un don, une grâce et un bienfait de Dieu. Il tue quelquefois, mais c'est pour donner la vie, ainsi que le dit sainte Anne dans son cantique: « Le Seigneur tue et fait revivre»; mais lorsque l'impiété et les péchés de tout genre prévalent partout, alors le diable est le bourreau du Seigneur. Dans les temps de peste, il souffle sur une maison et il y répand la désolation.

 

Satan trouble et poursuit les hommes de toute manière : durant leur sommeil, il les vexe et les effraye avec des songes pénibles et des apparitions, et le corps tout entier est en sueur par suite de l'extrême anxiété du cœur. Il conduit parfois les gens endormis hors de leur lit et de leur chambre, dans des lieux élevés et dangereux ; et, si ce n'était à cause de l'assistance et de la protection des saints anges qui sont auprès d'eux, il les précipiterait en bas afin de les tuer.

 

Le diable est non-seulement un habile docteur, mais encore plein d'expérience et d'habileté; voici six mille ans qu'il est à l'œuvre, qu'il exerce son métier et qu'il déploie son savoir-faire. Personne ne l'emporte sur lui, si ce n'est Jésus-Christ. Il a aussi tenté d'employer son habileté vis-à-vis du Sauveur, puisqu'il lui dit, ainsi que le rapporte saint .Matthieu (ch. IV, v. 9) : « Si tu le prosternes devant moi, et si tu m'adores, je te donnerai tous les royaumes du monde.» Il ne disait plus, comme précédemment : « Es-tu le fils de Dieu?» mais il disait: « Je suis Dieu, tu es ma créature, car toutes les puissances et souverainetés du monde ont à moi, et j'en dispose ainsi que je l'entends; si tu veux m'adorer je te les donnerai. » Jésus-Christ ne put souffrir ce blasphème ; il appela le tentateur par son véritable nom, et il le chassa : « Retire-toi, Satan. »

 

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A Muhlbourg, dans le pays de Thuringe, non loin d'Erfurt , il y avait un musicien qui allait jouer aux noces pour de l'argent; il se plaignit au ministre de sa paroisse d'être tous les jours attaqué par le diable qui l'avait menace de l'enlever, parce qu'un jour il avait bu dans un grand verre où quelques gens avaient mêlé, par espièglerie, du crottin de cheval avec du vin. Le ministre le consola , pria pour lui et l'instruisit, lui exposant beaucoup de passages de l'Écriture, sainte qui sont dirigés contre le diable. Le musicien fut tellement rassuré qu'il ne douta plus du salut de son âme et qu'il dit : « Le diable ne peut faire aucun mal a mon aine, mais il emportera mon corps. » Il reçoit donc le saint sacrement du véritable corps et du sang de Jésus-Christ. Le diable lui annonça à l'avance quand il viendrait et l'emporterait. Alors on lui donna des gardiens pour veiller avec lui dans cette crise ; ils priaient avec lui et lisaient la parole de Dieu. Cela dura pendant quelques jours. Un samedi, à minuit, les gardiens étant à leur poste et quelques-uns se tenant auprès du musicien avec des lumières, il vint un grand ouragan qui éteignit toutes les lumières , et il enleva le musicien et le mena , eu traversant «les chambres qui étaient cependant fermées , jusqu'à une petite et étroite croisée d'où il tomba dans la rue. Et l'ou entendit un grand bruit, un vacarme comme celui que feraient un grand nombre de gros armes de pied en cap qui combattraient ensemble. Et le musicien avait disparu, si bien que personne ne savait où il était. Le malin on le chercha de çà et de là, et on le trouva gisant les bras étendus, mort et noir comme du charbon, dans un petit ruisseau qui coule près de Mohlbourg. Celte histoire est très-certaine, dit le docteur Martin; c'est ainsi que me l'a racontée Frédéric Mecum, pasteur à Gotha; et il la tenait de Jean Becken, qui était alors ministre à Mohlbourg.

 

Le docteur Luther dit en 1543: « Il y a  vingt ou vingt-sept ans que vivait à Eisenach un musicien qui était aux prises avec diable ; Satan voulait l'enlever parce qu'il avait joué à la noce

 

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d'une mariée qui avait été promise à un autre homme que celui qu'elle épousa. Dans son angoisse, ce musicien s'adressa ajuste Menius et à plusieurs pasteurs, qui tous le consolèrent avec des sentences tirées de l'Écriture sainte, lui donnèrent le sacrement et l'absolution, veillèrent nuit et jour auprès de lui et scellèrent les fenêtres et les portes afin qu'il ne fût pas emporté. Enfin il dit : « Il ne peut faire aucun mal à mon âme , mais il emportera mon corps aujourd'hui à huit heures. » L'on redoubla de surveillance , mais le diable vint et il fracassa deux ou trois des carreaux du poêle et il enleva le musicien. Le matin on le chercha de tous cotés, et on le trouva, non loin de la ville, roide mort et accroché à un coudrier. »

 

Un noble, non loin de Torgau , alla un jour se promener, et il rencontra un homme auquel il demanda s'il voulait se mettre a son service , car il avait besoin d'un serviteur. Celui-ci lui répondit qu'oui et qu'il le servirait. Le noble lui demanda comment il appelait, et l'homme répondit qu'en bohémien on l'appelait N. N. « Eh bien! dit le noble, viens avec moi.» Et il le mena à ses écuries, et il lui montra les chevaux qu'il avait à soigner.

Ce noble était un homme sans pitié et adonné à la rapine. Il s’absenta un jour et il ordonna à son serviteur d'avoir grand soin d'un cheval auquel il était fort attaché. Dès qu'il se fut éloigne, le serviteur conduisit le cheval au sommet d'une tour élevée ; quand le noble revint, le cheval l'aperçut et le reconnut , et il se mit à hennir et étendre la tête. Le noble demanda où était son cheval, et le valet répondit qu'il avait agi de la sorte pour mieux accomplir les intentions de son maître. On ne put jamais faire repasser le cheval par où il était monté, et il fallut le descendre du haut de la tour par le moyen de cordes et de poulies. — Quelque temps après, ce noble ayant été fait prisonnier et étant retenu en prison , demanda à son valet s'il ne pouvait pas le secourir. Celui-ci lui répondit : « C'est en mon pouvoir: mais n'étends pas ainsi les bras devant toi, car je ne peux le

 

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souffrir. » Il parlait ainsi parce que le noble avait étendu Set bras en forme décrois. Puis il le prit et remporta à travers les airs avec toutes ses chaînes et ses fers. Le noble épouvanté s'écria : « Bon Dieu, où suis-je? » Aussitôt le valet le laissa tomber dans une mare; il alla ensuite trouver la femme de ce gentilhomme et lui dit : « Ton mari est en tel endroit. » Elle ne voulut pas d'abord y croire, mais il lui dit: «Eh bien! vas-y voir. » Elle y fut, et elle trouva son mari enfoncé dans le bourbier; elle le débarrassa de ses liens et le ramena à son château.

 

Satan essaya de faire périr notre prieur, il fit tomber sur lui un pan de mur; mais Dieu le préserva miraculeusement de ce danger.

 

Le diable fait courir certaines gens, durant leur sommeil, de côté et d'autre; on dirait, à les voir agir, qu'ils veillent. Les papistes prétendaient, dans leur superstition , que ces gens-là n'avaient pas été bien baptisés, ou que le prêtre était ivre lorsqu'il leur administra ce sacrement.

 

Nous ne pouvons aujourd'hui chasser les démons avec certaines cérémonies et certaines paroles, comme le faisaient les prophètes, Jésus-Christ et les apôtres. Nous devons prier, au nom de Jésus-Christ, pour que le Seigneur veuille bien, dans sa miséricorde, délivrer les possédés. Et si cette prière est faite avec foi, ainsi que l'assure Jésus-Christ ( Saint Jean, ch. XVI, v. 23), elle est si puissante et si efficace que le diable ne peut y résister, ainsi que je pourrais en rapporter des exemples. Mais nous ne pouvons nous-mêmes chasser les mauvais esprits, nous ne pouvons même l'entreprendre.

 

Les hommes sont possédés de deux manières, les uns en

 

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corps, les autres en esprit, comme tous les impies. Quant aux furieux qu'il possède corporellement, il a , par la permission de Dieu, puissance sur le corps qu'il agite et qu'il vexe, mais il ne peut rien sur l'âme , qu'il est forcé d'épargner. Les impies qui persécutent la doctrine divine et qui traitent la vérité de mensonge, ceux-là sont malheureusement bien nombreux de nos jours, et ils sont en esprit possédés du diable; ils ne peuvent en être délivrés, mais ils demeurent ( c'est horrible à entendre ) ses prisonniers, comme, du temps de Jésus-Christ, Anne, Caïphe et tous les Juifs impies que Jésus-Christ lui-même ne pouvait délivrer du diable, et tel qu'est aujourd'hui le pape avec ses évêques, ses partisans, ses satellites et ses tyrans cruels.

 

Le diable peut être expulsé par les prières de l'Église entière, lorsque tous les chrétiens se mettent de concert à genoux et adressent à Dieu une oraison fervente, laquelle est si puissante qu'elle s'élève au-delà des nues et qu'elle est exaucée, ou bien celui qui veut expulser le diable doit être très-éclairé en esprit et avoir une ferme et constante résolution , et alors il est certain d'être entendu, ainsi qu'il est arrivé à Élie, Elisée, Pierre , Paul, etc.

 

Un moine était en voyage, et il rencontra un homme qui était bien armé et qui portait une arquebuse. Le moine fut bien content d'avoir rencontré un compagnon de voyage, car la roule n'était pas sure. Lorsqu'ils eurent fait une partie du chemin , le moine demanda à son compagnon s'ils étaient dans la bonne voie, et celui-ci répondit: «Non. » Le moine, se voyant sur une route qui lui était tout à fait inconnue, commença à avoir grand peur. Son compagnon lui dit : « Moine , donne-moi ton manteau. » Et il lui sembla alors qu'un tourbillon de vent furieux lui enlevait son manteau. Il prit la fuite à toute jambe et il courut jusqu'au village le plus proche, où il arriva à demi mort et il raconta ce qui lui était arrivé.

 

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Le prieur d'un monastère se mit en voyage avec un autre frère, et quand ils furent arrivés à une auberge, l'hôte leur dit qu'ils étaient les bienvenus et qu'ils lui porteraient bonheur, car il avait dans une chambre un malin esprit que personne ne pouvait chasser, et ceux qui logeaient là étaient battus et tourmentés de toutes façons. Et il ajouta qu'il ferait placer, pour les respectables pères, un bon lit dans cette chambre, car le diable n'aurait aucune prise sur d'aussi saints personnages. La nuit, lorsqu'ils se furent couchés et qu'ils voulaient dormir, l'esprit commença à faire du bruit et à les tourmenter; les moines se dirent alors l'un à l'autre : « Mon frère , demeure en repos et laisse-moi dormir. » Le diable revint une seconde fois et il prit le prieur par la tête, et celui-ci s'écria : « Retire-toi, au nom du Père , et du Fils et du Saint-Esprit, et reviens nous trouver dans le couvent. » Et après qu'il eut ainsi parle ils restèrent en repos et ils s'endormirent. Lorsqu'ils revinrent dans le couvent, le diable était assis sur le seuil de la porte et il se mit à crier : « Sois le bienvenu , père prieur. » Ils ne furent point troublés, car ils voyaient qu'il était en leur puissance et en leurs mains, et ils lui demandèrent ce qu'il voulait. Il répondit qu'il désirait les servir dans le couvent, et il demanda qu'on lui indiquât un endroit où ils pourraient le trouver lorsqu'ils auraient besoin de son service. El ils lui assignèrent un coin de la cuisine ; et afin qu'on pût le reconnaître, ils lui donnèrent un froc auquel ils attachèrent une petits clochette, comme un signe auquel on le distinguât. Ensuite ils l'appelèrent pour qu'il leur apportât de la bière. Alors ils l'entendirent courir et dire : « Donnez-moi de la bonne bière, et je vous apporterai de bons écus. » Il fut connu dans la ville entière. Lorsqu'il allait chez un débitant et qu'on ne lui donnait pas la quantité convenable , il disait : « Donnez-moi pleine mesure et bonne bière, je vous ai donné de bon argent. » Ces papistes pensaient qu'il y avait de bons esprits qui pouvaient obtenir le salut et qui servaient les hommes ; c'est ainsi que les païens envisageaient leurs dieux lares, ignorant qu'ils n'adoraient que des démons. Un cuisinier du couvent se plut à tourmenter cet esprit en jetant des plats et des débris dans le coin où il était, et ayant continué, quoique averti plusieurs

 

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fois de cesser, l'esprit le blessa en faisant tomber sur lui une poutre de la cuisine ; alors le prieur le força de partir.

 

Le docteur Luther raconta un jour que le diable était, en un certain village, entré dans le corps d'un paysan. Un moine avait voulu le chasser, et il s'était réuni à d'autres moines, et tous ensemble s'acheminèrent professionnellement et en grande pompe vers la maison du possédé, et quand ils y entrèrent, le diable s'écria par la bouche du paysan : « O mon peuple, que t'ai-je fait ? »

 

Le docteur Luther dit que l'on pouvait singulièrement fâcher les sorcières qui volent du lait et du beurre, en s'emparent de ces objets et en les mettant sur des charbons ardents ; alors Satan tourmente tellement les sorcières qu'elles sont forcées de venir; mais le moyen qu'employait Pomeranus était la meilleur de tous : il satisfaisait ses besoins dans le chaudron et mêlait ses excréments au lait (1), de sorte que ces coquines ne pouvaient tirer aucun parti de ce qu'elles avaient dérobé.

Quant aux possédés, je pense que tous les blasphémateurs et les usuriers sont tourmentés par le diable. Les médecins attribuent beaucoup de ces cas à des causes naturelles, et parfois leurs remèdes apportent quelque soulagement, mais ils ignorent quelle est la puissance et la force des démons. Est-ce que Satan ne pourrait pas rendre les hommes frénétiques et insensés, lui qui remplit les cœurs de fornication, de meurtre, de rapine et de tout penchant déréglé ?

 

L'on a brûlé, à Erfurt, un magicien qui, durant quelques années, était en proie à la tristesse , parce qu'il se trouvait dans une grande pauvreté. Satan lui apparut sous une forme visible, et lui promit de le combler de biens s'il voulait  renoncer au

 

1 Cacabat enim in ollam et immiscebat lac et siercus.

 

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baptême et à la rédemption par Jésus-Christ, et promettre de ne jamais faire pénitence. Le malheureux souscrivit à ces conditions; Satan lui donna aussitôt un miroir avec lequel il pouvait deviner l'avenir, et il devint renommé et riche, car l'on s'adressait beaucoup à lui. Enfin le diable le poussa à déclarer, par l'inspection de son miroir, coupables d'un vol des gens qui étaient innocents, ce qui le fit mettre en prison; et là , violant l'engagement qu'il avait pris envers Satan, il fit appeler un ministre de l'Évangile, et il fit une pénitence sérieuse, exhortant ensuite le peuple à profiler de son exemple pour ne pas s'écarter de l'obéissance due à Dieu ; il subit son supplice avec joie.

 

Lors de la messe que l'on célèbre le matin de la fête de Noël les sorciers et les sorcières emploient bien des sortilèges, et en voici un entre autres : Un sorcier s'assoit, après le coucher du soleil, dans un endroit où quatre chemins se croisent; il prend trente florins et trace un cercle autour de lui, et il ne regarde point derrière lui, autrement le diable lui tordrait le cou sur-le-champ. Il se met ensuite à compter cet argent jusqu'à ce que sonne l'heure de la messe, comptant d'abord dans l'ordre régulier, et ensuite à rebours 30, 29, 28, 27, etc. S'il se trompe dans l’énonciation de ces chiffres. Le diable lui tord aussitôt le cou. Ensuite le diable s’approche de lui, et lui montre beaucoup de gens décapités, pendus et des supplices horribles. Il reçoit enfin du diable un florin magique qui, chaque nuit, en produit un autre. L'on a eu la preuve de cela dans le village de Pantzschdorff,

 

1 La nuit de Noël joue un grand rôle dans l'histoire de la sorcellerie; c'est une tradition que l'on rencontre dans toute l'Europe, en Italie comme en Suède. Bornons-nous à un seul exemple que nous fournit la France et que nous empruntons aux savantes et curieuses Recherches de M. Alfred Maury sur les Fées du moyen âge (1843 , p. 59). En allant d'Aluyes à Dampierre, deux ou trois cents pas environ avant d'arriver à la montée qui conduit de Chartres à fouis, on remarque, à gauche sur le gazon, une pierre plate d'environ trois pieds ; c'est le fameux perron de Carême-prenant, où, d'après le dire des gens du pays, tous les chats des hameaux voisins ou plutôt les diables, sous cette forme qu'ils aiment à revêtir, viennent faire le sabat la nuit de Noël.

 

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où notre sénat a fait arrêter une vieille femme qui possédait un semblable florin. Voici comment elle a été découverte. Elle, allait s'absenter pour quelque temps, et elle avait recommandé à sa servante, lorsqu'elle aurait Irait sa première vache, de faire bouillir le lait et de le verser dans un pot, et de le serrer ensuite dans un coffre. La servante, pensant que la chose ne pressait pas, trait toutes les vaches; elle apporte ensuite le lait, et ouvrant le coffre, elle aperçoit un veau tout noir qui ouvre une gueule effroyable; saisie de surprise et d'épouvante, elle lui jette a travers le poêlon plein de lait. Le diable, caché sous la figure de ce veau, s'enfuit alors, et le feu prit à cette maison, mais ce fut la seule qui fut brûlée. La vieille, et la servante ayant été arrêtées, cette dernière raconta tout ce qui s'était passé. Le juge promit à la vieille qu'elle aurait la vie sauve si elle avouait tout; et dans sa confession , elle raconta ce qui concernait le florin magique.

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