De la Guerre

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DE LA GUERRE ET DE DIVERS GÉNÉRAUX.

 

On raconta qu'un gentilhomme, Amman Ziegler, était mort dans le désespoir et qu'il avait dit durant son agonie : « Tiens, diable, prends possession de mon âme. » Le docteur Luther dit : «Ce sont d'horribles exemples, mais il y en a d'antérieurs. In gênerai vénitien assiégeait une ville, et, mourant durant le siège avant la victoire, il blasphéma contre la sainte Vierge, mère de Dieu. Un autre Italien dit eu mourant : « Je lègue au monde mes biens, « aux vers mon corps, à Satan mon âme. » Les blasphèmes des Italiens sont affreux. » 

La nouvelle se répandit qu'André Doria ayant été investi par les Turcs, après avoir été en proie aux horreurs de la famine, avait fait, avec quelques soldats, une trouée à travers l'armée ennemie, et qu'il s'était sauve en Italie; là, ayant réuni de nouvelles forces, il était revenu attaquer les Turcs derechef. Le docteur Luther dit : « C'est un bien haut fait d'armes que de percer ainsi l'armée ennemie. On dit que Jules-César en fit autant. J'aimerais mieux une année de cerfs conduite par un lion qu'une armée de lions commandée par un cerf; la décision du général a les plus grandes conséquences. » 

Conrad de Rose, secrétaire de Maximilien, homme d'un courage héroïque, étant en voyage, s'arrêta chez un hôte qui était

 

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un voleur ; il y reçut un bon accueil et il vit une jeune fille qui pleurait; il la questionna en secret, et elle lui dit qu'elle était forcée de résider parmi des brigands, et que l'hôte, dans la nuit, donnerait un signal qui ferait venir des paysans des environs, instruits qu'en pareil cas il y avait des voyageurs a égorger et a dépouiller. Conrad se tint sur ses gardes et passa la nuit tout arme; quand les paysans vinrent, il les attaqua avec l'aide de ses serviteurs, il en tua plusieurs et il emmena l'hôte bien garrotté. 

La guerre est la plus grande des calamités, et la sédition est ce qui peut arriver de plus funeste à une ville. En 1536, George Spalalin écrivit qu'il y avait eu de grands désordres à Cologne, ville supérieure eu étendue à Florence, à Rome, à Augsbourg et à Nuremberg. Les habitants s'étaient soulevés, avaient attaqué la cathédrale, mis en fuite les concubines des ecclésiastiques, maltraité plus de deux cents moines et religieuses, et pillé les reliques des saints. — Le docteur Luther ayant entendu la lecture de celle lettre, dit avec effroi : « Ah! ces violences scandaleuses ne seul pas un bon signe; elles arrêtent les progrès de l'Evangile; elles redoublent la colère des tyrans. Daniel et saint Paul ont dit cpte l'antéchrist devait être frappé de l'arme de la parole et renversé par le souffle des lèvres. C'est par ses propres armes et son propre glaive que le pape doit être misa mort; le royaume du pape n'a pas besoin qu'on emploie la force et la violence pour le détruire, puisqu'il repose sur le mensonge. C'est la parole de vérité qui doit détruire le règne de la superstition ; je déteste ceux qui nuisent par leur violence aux progrès de la vraie doctrine. Ils désobéissent à Dieu, qui enjoint de prêcher et d'attendre tout secours de lui; ils n'écoulent pas la parole et ils se livrent au scandale, tandis que nous devons recommander la paix nécessaire à l'édification de l'église. »

Lorsque le docteur Luther parlait des places fortes qu'il avait vues, il mettait au-dessus de toutes les autres la ville de

 

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Brunswick, comme étant très-difficile à prendre. «Cependant, dit-il, toute forte qu'elle est, un âne chargé d'or trouverait encore moyen de s'y introduire. » Il donnait ainsi à entendre qu'elle pourrait être prise par trahison. L'on dit que le roi de France dépense autant d'argent pour soudoyer des traîtres que pour lever et entretenir ses armées, et qu'il a dû beaucoup de ses succès à la trahison. Il y a quelques années, lorsqu'il était en guerre avec le pape Jules et avec les Vénitiens, il mit en déroute, avec quatre mille hommes, les troupes du pape composées de vingt mille hommes ; ce qui fut l'effet de la trahison. 

L'empereur Maximilien a battu avec peu de forces les Vénitiens, nation très-fière et superbe. L'empereur n'avait que quatre mille hommes, et le général en chef, Barthélémy de Schabatto, marcha contre lui à la tête d'une nombreuse et puissante armée, et, Maximilien ayant pris la fuite, il le poursuivit jusque dans une vallée. Les Impériaux étant investis de tout côté et se trouvant sans issue, le lier Vénitien dit : «Je battrai les Allemands, que Dieu le veuille ou non. » Et il envoya des messagers à Padoue et à tous les lieux voisins, afin que tous vinssent voir quel carnage il allait faire des botes d'Allemagne, et hommes et femmes accoururent, revêtus de leurs plus riches habits. Voyez quel stratagème et quel expédient Dieu employa ; tandis que les Impériaux étaient réduits au désespoir et hors d'état de s'enfuir delà vallée, il permit qu'un chariot chargé de poudre se brisât; la poudre se répandit par terre et sur le terrain où les Vénitiens avançaient; elle prit feu, il y eut une grande explosion, et les Vénitiens reculèrent dans un désordre extrême. Alors les Allemands se précipitèrent sur eux, les massacrèrent tous et prirent les riches bourgeois et les belles dames qui étaient venus croyant assister à une victoire assurée. C'est ainsi que Dieu accorde la victoire et le succès. Pensez à Annibal, le plus célèbre et le plus entreprenant des capitaines, lui qui déconfit si bien les Romains, les chassa de l'Afrique, de la Sicile, de l'Espagne, de la France, et qui parcourut en maître toute l'Italie. Je crois qu'il n'a guère 

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existé d'homme plus remarquable. S'il avait eu un bon historien qui lui eût consacré sa plume, nous connaîtrions de lui de bien beaux exploits. 

Le dimanche après la fête de sainte Marguerite, on voulut faire une levée de gens de guerre, sous prétexte de les envoyer retrouver le margrave à Ratisbonne, pour de là marcher contre les Turcs, mais on soupçonnait fort que c'était pour servir contre l'électeur de Saxe. Aussi beaucoup de gens ne voulurent pas se laisser inscrire et se retirèrent.-Un d'eux vint trouver le docteur Luther et lui demanda ce qu'il avait à faire, et le docteur Luther lui répondit : « Vous êtes des gens de guerre soldés, et si vous combattez contre les Turcs, faites de votre mieux, et comportez-vous vaillamment; mais si l'on veut vous faire combattre contre la parole de Dieu, alors arrêtez-vous, car vous ne devez agir en rien contre votre conscience. » 

Les armes à feu sont des instruments cruels et condamnables, ainsi que le canon; il jette à bas les murailles, il fait voler les gens en l'air. Je crois que c'est l'œuvre du diable en enfer, et que c'est lui qui l'a inventé. Contre les balles, il n'est vaillance ni courage qui serve ; l'on est mort sans avoir rien vu. Si Adam avait vu les instruments que fabriquent ses enfants, il serait mort de chagrin. 

Maximilien et le roi de France, Louis, avaient ensemble fait un traité auquel ils désirèrent que le pape accédât. Et lorsqu'ils eurent conclu leurs conventions et que, pour les ratifier plus solennellement, ils se furent partagé entre eux trois une hostie consacrée, chacun en prenant sa part, le pape rompit l'alliance et se ligua avec les Vénitiens. Lorsque l'empereur l'apprit, il dit. « Nous sommes trois qui prétendons être les chefs de la chrétienté, et nous sommes les plus grands scélérats, sans foi ni loi, qu'il y ait sous le soleil ; non-seulement nous nous manquons réciproquement de parole, mais encore nous voulons tromper Dieu.»

 

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Le pape fut battu à Ravenne par les Français le jour de Pâques et, découragé, abattu, il envoya en secret le cardinal Matthias Lange, qui était alors évêque de Salzbourg, vers l'empereur, et ils s'allièrent derechef contre les Français. Les Suisses enlevèrent aussi Milan aux Français. Il a été répandu bien du sang pour décider à qui passerait Milan , cette belle fiancée dont la dot est de plus d'un million de florins de revenu par an ; c'est une ville fort riche et la clef de l'Italie ; le roi de France offrit à l'empereur Charles, s'il voulait lui en laisser la possession, de lui paver un tribut annuel; l'empereur consentait seulement à ce que Milan fut cédé au second fils du roi de France, et pour la durée de sa vie uniquement. La guerre s'ensuivit. Lorsque les Français et les Allemands lurent en présence, les premiers furent battus ; car l'Allemagne fournit les meilleurs et les plus braves soldats ; ils se contentent de leur solde et protègent le peuple ; ils ne sont pas comme les Espagnols qui veulent être maîtres au logis, avoir les clefs de tout, qui fouillent dans tous les coffres et qui abusent des femmes et des filles. Aussi Antoine de Lève, l’un des plus grands généraux de l'empereur et qui était né en Espagne , lui conseillait bien , au moment de mourir, de ne rien négliger pour s'attacher ses soldats allemands et pour Conserver leur amour et leur dévouement. 

Les papistes ne déposeront pas les armes qu'ils tournent contre la pauvre Allemagne. Je ne crois pas que nos descendants soient en paix. Que Dieu détourne sa colère de dessus nous, car la guerre est un des plus grands fléaux ; elle ébranle et détruit la religion: elle bouleverse les États et les familles. Il n'est rien qui ne lui soit préférable. La famine et la peste ne peuvent lui être comparées ; la peste est le moindre et le plus tolérable de ces fléaux. Aussi David, ayant le choix des trois, choisit-il la peste; il aima mieux tomber dans les mains de Dieu que dans celles de l'homme ; on y trouve plus de miséricorde.

 

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La guerre est comme un hameçon doré; si l'on veut pécher avec, on n'y gagne pas grand'chose. Et le landgrave, qui est un bon guerrier, me dit un jour en parlant comme un prince et comme un chrétien : « J'ai deux fois fait la guerre; je neveux plus l'entreprendre. De notre côté, nous nous tiendrons en repos; si nous sommes attaques, alors nous nous défendrons en invoquant l'assistance de Dieu. » «Ces paroles de ce bon prince lurent pour moi une grande consolation, dit le docteur Luther.» 

L'an 1539, comme les princes étaient réunis à Francfort à la diète, le docteur Luther dit : « Il n'y a nulle paix à espérer tant que les papistes seront si arrogants et irrités ; ils nous sont bien supérieurs en puissance, en richesse et en force; mais il n'est pas bon de combattre contre Dieu, car il est le maître de répandre la terreur dans de grandes armées et de les faire battre par un petit nombre d'hommes, ainsi que l'Ecriture Sainte en lire de nombreux exemples. Ah ! si nous n'étions pas aussi corrompus que nous le sommes! Grâce à Dieu, notre cause est  juste et sainte, mais malheureusement nous sommes ingrats et pervertis. Aussi Dieu viendra-t-il et punira-t-il les bons avec les méchants.

Jules César a assisté à cinquante-deux batailles, et onze cent mille hommes ont péri dans ces mêmes batailles. 

On demanda au docteur Luther quelle différence il y avait entre Samson qui avait été si fort, et Jules César, ou tout autre homme célèbre qui aurait eu égale vigueur de corps et d'esprit. Il répondit : « La force de Samson était un effet de l'Esprit-Saint qui l'animait, car il fait accomplir de grandes choses à ceux qui servent Dieu avec obéissance. La force et la grandeur d'âme des païens étaient aussi une inspiration et une œuvre de Dieu, mais non pas de celles qui sanctifient. Je pense souvent avec surprise

 

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à l'exemple de Samson. Une force humaine n'aurait jamais pu accomplir ce qu'il a fait. » 

Le 11 avril 1542, Jean Matthesius, maintenant ministre à Joachimsthal, donna un dîner dans la maison de Gaspard Creuziger, et tous les professeurs de théologie et autres professeurs de l'Université y assistèrent, et, lorsqu'on était à table, maître Philippe Mélanchton dit : « Il fait aujourd'hui bien mauvais temps et l'air est bien froid et humide. » Le docteur Luther répondit : « Oui, car c'est le jour de la séparation de l'hiver et de l'été. » Philippe Mélanchton dit : « C'est un triste temps pour les pauvres soldats qui couchent sur la terre. » Le docteur Luther répondit : « On n'y peut rien ; pourquoi les princes jouent-ils à ce jeu-là?» Philippe Mélanchton : « On dit que chaque prince a des forces considérables avec lui. » — Le docteur Luther : « II ne s'agit pas tant d'avoir beaucoup de soldats et un grand appareil de guerre qu'une bonne et juste cause à défendre. Les païens eux-mêmes l'ont dit : 

Frangit et attollit vires in milite causa,
Quae nisi justa subest, excutit arma pudor. 

Le motif de la guerre donne du cœur et de la vaillance à un soldat ou bien lui brise le courage ; si la cause pour laquelle il se bat n'est pas juste, il en a honte et il manque d'énergie.»

 

Bernard de Milo envoya au docteur Luther une grande pancarte où il y avait une ligure mystérieuse destinée à préserver de toute blessure celui qui en était porteur. Le docteur dit : « Cette superstition est répandue chez les Turcs, les Tartares et les idolâtres, et elle parvient enfin parmi les chrétiens.»

 

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L'empereur Maximilien montrait une grande superstition dans les campagnes (1). Dans les périls il vouait à Dieu et il égorgeait le premier être vivant qui s'offrait à lui. — Le docteur Luther raconta ensuite l'histoire d'un Tartare qui fut contraint de tuer une jeune fille fort belle qui était tombée en son pouvoir et pour laquelle il avait une vive passion. « Nous autres chrétiens, nous avons en combattant un grand privilège, celui de la foi dans la prière ; tandis que les impies sont complètement étrangers à l'oraison et à la foi. Jephté fit un vœu superstitieux et insensé, et il lui fallut, après sa victoire, tuer sa fille. S'il s'était trouvé en ce temps-là quelque homme pieux, il aurait recommandé à Jephté de ne point commettre ce meurtre.» Maître Vitus demanda alors pourquoi la fille de Jephté avait demandé deux mois pour pleurer sa virginité. Le docteur Luther répondit : « c'est qu'elle mourait sans postérité, ce qui passait, parmi les Juifs, comme la plus grande des calamités, ainsi que nous le montre l'exemple d'Anna , la mère de Samuel. La stérilité est une chose qui engendre la haine, surtout entre des époux vertueux.» 

1 L'empereur Maximilien manifesta, sur le déclin de sa vie, des idées bizarres ; il reste de lui une lettre fort singulière écrite à sa fille Marguerite; devenu veuf, il manifesta le projet d'abdiquer en faveur de Charles, son petit-fils, de se faire nommer pape, et d'être canonisé plus tard. Cette dépêche, écrite en très-mauvais français, mérite que nous en rapportions quelques passages.

« Ne trouvons point pour nulle résun (raison) bon que nous nous devons franchement marier, mais avons mis nostre délibération et volonté de jamès plus hanter facme nue... Après la mort du pape pourunt estre assure de auver le papat, et après estre sainct, et que il vous sera de nécessité que, après ma mort, vous serés contraint me adorer dont je me trouuerè gloryoes... Je commence aussy practiker les cardinaulx don II. C ou III. C (200 ou 300) mylle ducas me ferunt un grand seruice... Tenez cette matière secrète, pour laquelle il faut avoir de tant de gens et d'argent secours et pratique; et adieu, fait de la main de vostre bon père, Maximilianus, futur pape.

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