Des Jurisconsultes

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Déclaration Justification

 

LES JURISCONSULTES, LE DROIT, LES USURIERS, ETC.

 

Les lois sont les sujettes de la parole de Dieu. Celles des Perses et des Grecs sont abolies ; celles des Romains ont encore quelque autorité. Quand un empire tombe, ses lois s'écroulent avec lui; lorsque les choses sont à terre, les mois ne restent pas debout. Si quelqu'un voulait appliquera ma femme les lois concernant les religieuses, il faudrait rire de lui, puisqu'elle est maintenant une mère de famille; c'est comme si je me mettais à déclamer contre les souliers a la poulaine qui ne sont plus en usage; je serais digne d'être bafoué. 

Le docteur Luther dit que la profession des juristes était si féconde en périls, qu'eut-il cent enfants, aucun d'eux ne l'embrasserait. 

Le 17 janvier 1539, eut lieu la promotion du docteur Basile, et l'abbé de Neubourg y assista et il eut la place d'honneur après le recteur. Le jeune Jean Luther fit un discours sur la question de savoir si l'empereur Honorius avait bien agi en ôtant aux hérétiques les biens de l'Église et en les donnant aux catholiques. H. Schurff fut offensé, et après l'acte, il sortit du temple et ne revint pas pour le diner. Un juriste dit à Philippe Mélanchton : « Vous autres théologiens, vous écrivez et vous avancez ce que vous voulez; mais nous autres juristes, nous réglons et établissons ce qui nous convient, et, au nom du diable, il faut que vous autres théologiens vous soyez soumis à nos constitutions. » — Le docteur Luther dit alors : « Leurs constitutions ne dureront pas toujours; car la parole de Dieu change le monde entier. Quand le Roi des rois viendra, il confondra tous les royaumes, rejetant la jurisprudence et toutes les institutions politiques. » 

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Le 13 février 1539, le docteur Luther parla avec beaucoup de force sur l'excommunication ; Il attaqua ensuite vivement les juristes et les canonistes qui méprisaient les doctrines de l'Évangile, et qui égaraient par les leçons des décrétales et les abominations des papistes les étudiants encore sans connaissance; de plus, ils parlaient avec beaucoup de mépris des théologiens, les appelant têtes d'ânes. « Pendant trois ans je me suis tu, mais je ne tolérerai plus semblable chose ; s'ils veulent me condamner, qu'ils tâchent de le faire en s'appuyant sur la parole de Dieu et non sur les lois du pape; alors, je serai en effet condamné. Us devraient respecter notre doctrine qui se fonde sur la parole de Dieu, telle qu'elle est sortie de la bouche de l'Esprit saint. Quoiqu'il y ait beaucoup de canons qui soient bons, je ne voudrais pas cependant être lie par eux. Nous n'adorerons pas les excréments du pape à cause des juristes. Je leur accorde de défendre leur droit, mais que ce ne soit pas au détriment de notre Église. » 

Le principal argument des canonistes contre nous, est celui-ci : «Notre affaire est d'enseigner ce qui est approuvé par l'empereur et par les rois. Les luthériens ne sont pas approuvés, mais condamnés. » Moi, je réponds que Dieu prévaudra sur les rois, sur l'empereur et sur les juristes, car Balde a dit : « La loi divine doit vaincre tous les empereurs. » Si Balde et Barthole avaient vécu de nos jours, ils nous auraient donné raison. Balde était le plus actif de tous les juristes; il a laissé beaucoup d'excellents ouvrages, bien qu'il soit mort à quarante-six ans (1). On dit 

1 Balde de Ubaldi, natif de Pérouse, mort en 1400, des suites de la morsure d'un chien enragé. Il a été durant près de deux siècles l'oracle de la jurisprudence. Ses leçons sur les Institutes et le Digeste ont, de 1403 à 1615, reparu au moins soixante-dix fois (voir Graesse, Lehrbuch einer allg. litterargesch., n, 3, p. 533-536; et Savigny, Gesch. der romischen Rechts, VI, 185-218;. Quant à Barthole, il mourut en 1343. Sans cesse réimprimés durant le premier siècle qui suivit la naissance de la typographie, ses écrits ont été réunis à Venise, en 1615, en onze volumes in-folio. Le seul qui ne soit pas plongé dans l'oubli le plus complet, c'est un bizarre ouvrage intitulé ; Quœstio inter virginem Mariam et diabolum.

S. Tract, procuratoris editus sub nomine diaboli, quando petiit justitiam coram Deo, et beata Virgo Maria se opposuit contra Ipsum : et obtinuit necnon obmutuit pugna contra genus humanum. On connaît six éditions exécutées au quinzième siècle; c'est d'ailleurs une imitation du Liber Belial de Jacques de Theramo, ouvrage souvent réimprimé avant 1520, traduit en diverses langues et au sujet duquel on peut recourir au Dictionnaire de Prosper Marchand, t. II, p. 117-123 ; à un article de Jaucourt  dans l’ Encyclopédie ; au Dictionnaire des Anonymes de Barbier, n° 14884, etc. 

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qu'il ne mangeait qu'après avoir pesé; ses aliments. Nos canonistes sont des agents du diable qui crient sciemment : ils scandalisent l'Église, et n'ont jamais été sincères. 

Entre les juristes et les théologiens, il y a un combat perpétuel; c'est la même lutte qu'entre la loi et la grâce. La jurisprudence est une belle fiancée, mais il ne faut pas qu'elle sorte de son lit nuptial. Si elle entre dans un autre lit, et si elle veut prendre la supériorité sur la théologie, elle n'est plus qu'une grande p— n. Le droit doit ôter son bonnet et s'incliner devant la théologie.

 

Qu'est-ce qu'un juriste? Un cordonnier, un fripier, un tailleur de soupes, qui fait métier de disputer les choses qui ni' sentent guère bon, du sixième commandement de Dieu, par exemple. Je n'aurais pas cru qu'ils pussent être si papistes qu'ils le sont; je crois qu'ils sont dans la m.... jusqu'au cou, lourdauds qui ne savent pas distinguer le sucre de la m...... Omnis jurista est aut nequista, aut ignorista. Quand un juriste veut disputer avec vous, dites-lui : « Écoute, mon garçon, un juriste ne doit jamais parler avant d'entendre p..... un cochon (1). » 

1 Nous nous sommes servi de la version de M. Audin pour ce passage, extrait du feuill. 5.17 de l'édition d'Eisleben. Il ne faudrait pas en trouver beaucoup de semblables pour justifier ce qu'avant la publication des Tischreden écrivait Cochlœus (vita et scripta Lutheri, 1565, feuill. 62): « Qui nihil habet in ore, praeter latrinas, merdas, stercora, quibus fœdius et spurcius quant ullus unquam scurra scurratur. »

 

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Il se présente des cas sur lesquels les jurisconsultes diffèrent, et que les lois ne décident point Apposez qu'une fille fut violée, étant couchée sur la frontière d'un pays, laquelle frontière se trouverait juste à sa ceinture, de sorte que la tête serait dans un pays, les pieds dans un autre; quel serait le pays qui aurait le droit de punir? Le docteur Luther répondit : « Le corps entier est là où est la tête. C'est la règle pour les cadavres que l'on peut rencontrer. » 

Quelqu'un devant être promu au grade de docteur en droit, le docteur Luther dit : « Demain une nouvelle vipère acharnée contre les théologiens recevra l'existence. » 

Juristes, j'ai un conseil à vous donner: laissez dormir le vieux chien ; vous ne pouvez nous régenter, nous autres théologiens ; la direction et la supériorité dans l'Eglise nous appartiennent. Voudriez-vous nous refuser vos bons offices, vous seriez tout de. même contraints de nous servir, et le diable ne vous en aurait nulle obligation. 

En 1538, on écrivit au docteur Luther qu'il s'était passé le fait suivant : un habitant de la campagne avait porté son grain à la ville pour le vendre, mais il le tinta si haut prix que personne ne voulut l'acheter, et il dit : « Je ne le donnerai pas à moins, dussé-je le rapporter chez moi pour le voir manger par les rats.» Aussitôt il se présenta dans l'édifice où était déposé le grain, une immense quantité de rats, et ils dévorèrent tout. Le propriétaire revint chez lui, et il trouva que d'autres rats avaient dévasté ses moissons, tandis qu'ils n'avaient pas touché aux champs de ses voisins. Le docteur Luther dit : « Si la chose est vraie, elle indique un juste châtiment de Dieu et une malédiction très-certaine. Le Seigneur punit l'avarice. » 

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En 1539, le docteur Luther s'emporta très-vivement contre la cupidité des cultivateurs qui cachaient leurs grains dans l’attente d'une disette. Dieu a donné aux hommes ce qu'il leur fallait, mais le diable leur inspire des pensées d'avarice, et de là résultent des vols et de grands malheurs. Jésus-Christ a dit :«J'ai eu faim et vous ne m'avez point nourri»: c'est la condamnation de ceux qui font renchérir les denrées nécessaires, et celui qui est cause que son prochain meurt de faim sera sévèrement puni. Que tous les gens pieux mettent donc leur confiance dans le Seigneur, le suppliant de leur accorder le pain quotidien, et de confondre ceux qui causent la famine, ou de leur inspirer des sentiments de pénitence. 

Le 7 avril 1539, l'électeur envoya au sénat un ordre de veiller à ce que les pauvres ne périssent pas de faim; car telle était la disette, que l'on ne pouvait acquérir ni pain de froment, ni pain de seigle. Le soir, le consul T. K. se rendit chez le docteur Luther, et lui dit que les grains étaient arrêtés dans la marche, et qu'on ne les laissait pas venir jusqu'à la ville. Le docteur Luther répondit: «Ah! où notre prince n'est pas en personne, les nobles se montrent bien perfides; ils achètent tous les blés des cultivateurs et ils les cachent ; ils ne veulent pas qu'on en apporte ici pour en vendre; ils amènent ainsi une famine qui n'a pas de cause raisonnable. Croyez-vous que Dieu laissera impunie une telle méchanceté? Ah! Seigneur! puisque telle est la malice des hommes, je suis prêta mourir avec joie.» 

Le docteur Luther dit un jour : « Les lois civiles elles-mêmes prohibent l'usure. Echanger quelque chose avec quelqu'un en gagnant sur l'échange, ce n'est pas faire œuvre charitable, c'est voler. Tout usurier est un voleur digne du gibet. J'appelle usuriers ceux qui prêtent à cinq et six pour cent. Aujourd'hui, à Leipzick, celui qui prête cent florins en exige quarante au bout d'une seule année pour l'intérêt de son argent. Croyez-vous que 

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Dieu tolérera semblable chose? Il n'y a rien sous le soleil que je haïsse autant que cette ville de Leipzick, tant il y a là d'usure, d'avarice, d'insolence, de supercherie et de rapacité (1). » 

On ne doit pas observer les promesses faites aux usuriers; il ne put point les admettre aux sacrements, ni les ensevelir en terre sainte.

Le docteur Henning demanda : « Si j'avais ramassé une somme d'argent dont je ne voulusse pas disposer, et qu'un homme vint me prier de la lui prêter, pourrais-je lui répondre : « Je n'ai point d'argent?» — Le docteur Luther répondit: « Oui, c'est comme si l'on disait : « Je n'ai point d'argent dont je veuille disposer.» Jésus-Christ nous a recommande de faire l'aumône, mais il ne nous enjoint pas de donner à tous les dissipateurs et à tous les prodigues. Voyez dans notre ville de Wittemberg; il n'y a rien qui y soit dans une indigence pire que les étudiants. Ils sont pauvres, mais ils sont encore plus fainéants et libertins. Je n'irai pas priver ma femme et mes enfants de pain, afin de faire l'aumône à des drôles à qui rien ne profite. »

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