DIMANCHE CAREME III

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SERMON POUR LE DIMANCHE DE LA TROISIÈME SEMAINE.
SUR  L'IMPURETÉ.

ANALYSE.

 

Sujet. Lorsque l'esprit impur est sorti d’un homme, il va par des lieux arides cherchant du repos, et il n'en trouve point. Alors il dit : Je retournerai dans ma maison d'où je suis sorti ; et à son retour, il la trouve vide, balayée et ornée. Il part  aussitôt, et il va prendre avec soi sept autres esprits encore plus méchants que lui; ils rentrent dans cette maison, et ils y   habitent.

 

Il y a des démons de plusieurs espèces; mais entre tous les autres, celui que nous devons avoir particulièrement en horreur, c'est le démon d'impureté dont il est parlé dans notre évangile. Rien de plus ordinaire et de plus pernicieux que le vice qu'il entretient dans les cœurs, et c'est ce vice abominable que j'attaque dans ce discours.

Division. Impureté, signe de la réprobation, et principe de la réprobation. Signe visible de la réprobation, parce que rien ne nous représente mieux dès cette vie l'état des réprouvés après la mort : première partie. Principe efficace de la réprobation : parce que rien ne nous expose à un danger plus certain de tomber dans l'état des réprouvés après la mort : deuxième partie.

Première  partie.  Impureté, signe de la réprobation. Quatre choses marquées dans l'Ecriture expriment parfaitement l'état des réprouvés dans l'enfer, savoir : les ténèbres, le désordre, l'esclavage, et le ver de la conscience. Or, de tous les péchés, l'impureté est celui, 1° qui jette l'homme dans un plus profond aveuglement d'esprit; 2° qui l'engage dans des désordres plus funestes; 3° qui le captive davantage sons l'empire du démon; 4° qui forme dans son cœur un ver de conscience plus insupportable et plus piquant.

1° Aveuglement : car l'impureté rend l'homme tout charnel. Or, de prétendre qu'un homme charnel ait des connaissances raisonnables, c'est vouloir que la chair soit esprit : Animalis homo non percipit ea quae Dei sunt. En effet, dit saint Bernard, l'impudique se réduit à la condition des bêtes, lorsqu'il suit les mouvements d’une passion prédominante dans les bêtes. Par conséquent, il n'a plus ces lumières de l'esprit qui nous distinguent des bêtes, et qui nous font agir en homme. Aussi voyons-nous tant de voluptueux, au moment que la passion les sollicite, fermer les yeux à toutes les considérations divines et humaines. Venons au détail. Ils perdent surtout trois connaissances : la connaissance d'eux-mêmes, la connaissance de leur propre péché, et la connaissance de Dieu.

Ils perdent la connaissance d'eux-mêmes et de ce qu'ils sont.  Exemple de ces deux vieillards qui, sans se souvenir de leur dignité et de leur âge, tentèrent la chaste Suzanne. Aussi les poètes, selon la remarque de Clément Alexandrin, en décrivant les infâmes commerces de leurs fausses divinités, les représentaient toujours déguisées,  et souvent métamorphosées en bêtes : pour nous faire entendre que ces dieux prétendus n'avaient pu se porter à de telles extrémités sans  se méconnaître. Et certes n'est-il pas surprenant de voir jusques à quel point ce péché abrutit l'homme? On oublie tout. Un père oublie ce qu'il doit à ses

 

1

 

 

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enfants, un juge ce qu'il doit au public , un ami ce qu'il doit à son ami, un prêtre ce qu'il doit à Jésus-Christ, une femme ce qu'elle doit à son mari, une fille ce qu'elle se doit à elle-même.

Je dis plus. L'impudique perd la connaissance de son péché, ou plutôt de la grièveté de son péché. Dans les règles communes, c'est par l'expérience que nous parvenons à la connaissance des choses; mais dans le péché dont je parle, il arrive tout le contraire. Car nous ne le connaissons jamais mieux que quand nous n'en avons nul usage, et nous n'en perdons la connaissance qu'autant que nous nous licencions à le commettre. Une âme encore innocente et pure le regarde comme un monstre ; mais un pécheur par état le traite de galanterie, et s'en applaudit. Aurait-on jamais cru qu'il dût y avoir des chrétiens assez corrompus pour traiter de simple galanterie un péché de cette conséquence? Et qu'est-ce encore que d'entendre des femmes dans le christianisme tenir de semblables discours, et regarder comme des bagatelles de vrais crimes? Ces conversations libres, ces entretiens secrets et familiers, ces amitiés prétendues honnêtes, ces commerces assidus de visites et de lettres, ces artifices de la vanité humaine, cette détestable ambition d'avoir des adorateurs, ces douceurs vraies ou fausses témoignées à un homme mondain, ces habillements immodestes : tout cela n'est rien, dites-vous ; mais la question est de savoir si Dieu en jugera de la sorte, et si vous-mêmes, lorsqu'il faudra comparaître devant son tribunal, vous n'en jugerez pas autrement.

Enfin, ce péché nous fait perdre la connaissance de Dieu. On peut dire que les impudiques sont communément des esprits gâtés en matière de créance, et que le progrès de l'impiété suit presque toujours le progrès du vice. La raison est que la vue d'un Dieu troublant le voluptueux dans son plaisir, pour mieux goûter son plaisir il prend le parti de renoncer Dieu ; et ce fut ainsi que Salomon devint idolâtre. Les païens, selon la remarque de saint Augustin, ayant fait eux-mêmes leurs dieux, ils les ont fait selon leur caprice, et tels qu'ils les ont voulus : des dieux passionnés, emportés, adultères. Mais comme notre Dieu est indépendamment des hommes tout ce qu'il est; le voluptueux, désespérant de le changer, et le trouvant toujours contraire à sa passion, le désavoue. Or, y a-t-il rien de plus affreux dans les ténèbres de l'enfer que cet aveuglement ? Les ténèbres de l'enfer ne sont que des ténèbres extérieures: In tenebras exteriores; au lieu que l'aveuglement de l'impudique est tout intérieur.

2° Désordre et confusion. Dans le désordre même de l'enfer, il y a un ordre supérieur que la justice divine y a établi, puisque c'est là que Dieu punit ce qui est punissable : au lieu que le désordre de l'impureté est un pur désordre. Il consiste, selon saint Augustin, en ce que l'esprit se laisse gouverner par les sens. Il consiste, selon saint Chrysostome, en ce que l'impureté porte l'homme à des excès où la sensualité même des bêtes ne se porte pas. Exemple de ces villes abominables dont il est parlé au livre de la Genèse, et sur qui Dieu fit éclater sa colère. Enfin, selon Tertullien, il consiste en ce que l'impureté a une liaison presque nécessaire avec tous les autres vices, et que tous les autres vices sont, pour ainsi parler, à ses gages et à sa solde. De là les guerres et les dissensions, les discordes et les haines irréconciliables, les profanations et les sacrilèges, les empoisonnements et les assassinats, les trahisons et les noires impostures, les injustices et les violences, les dépenses excessives et la ruine des familles. C'est ainsi que l'impureté renverse tout.

L'indignité est qu'une femme perdue d'honneur et de conscience, par un renversement autrefois inouï, fasse elle-même les avances les plus criminelles et les plus honteuses. L'excès du désordre est que toutes les bienséances qui servaient de rempart à la pureté soient maintenant bannies comme incommodes. Le comble du désordre est que les devoirs les plus inviolables chez les païens mêmes soient parmi nous des sujets de risée. Un mari sensible au déshonneur de sa maison est le personnage qu'on joue sur le théâtre. Quel désordre encore qu'un mari, pourvu d'une femme prudente et accomplie, mais entêté d'une passion bizarre, aime avec obstination ce qui souvent n'est point aimable, et ne puisse aimer par raison ce qui mérite tout son amour!

3° Esclavage. Point de péché qui rende l'homme plus esclave du démon. Dans les premiers siècles de l'Eglise, remarque saint Augustin, cet ennemi de notre salut attaquait les chrétiens par les persécutions : pourquoi? parce que les chrétiens alors vivaient dans une entière pureté de mœurs, et que, ne pouvant s'en rendre maître par l'amour du plaisir, il tâchait à les vaincre par l’horreur des supplices. Mais depuis qu'il a trouvé moyen de s'introduire par les voluptés sensuelles, toutes les persécutions ont cessé. Car cette voie lui a paru bien plus courte et plus assurée. Triste esclavage, où gémit si longtemps saint Augustin !

4° Ver de la conscience et trouble. Trouble du côté de Dieu, que l'impudique envisage comme le juge de ses actions et de sa vie. Dans les autres péchés, on peut se faire plus aisément une fausse conscience, et le pécheur dans sa fausse conscience trouve une espèce de repos. Mais l'impureté est un vice trop grossier pour servir de sujet aux illusions d'une conscience erronée. Ainsi, pour peu qu'on ait encore de religion, il n'y a point de péché que le remords suive de plus près. Il est vrai que l'impudique perd assez communément la foi : mais en quelles incertitudes le jette alors son infidélité même ! et cette infidélité ne l'assurant de rien cl lui faisant hasarder tout, de quel secours lui peut-elle être pour avoir la paix ? Trouble encore plus sensible du côté de l'objet qu'il adore. Dans la naissance de cette passion, quel tourment est comparable à celui d'un esprit blessé qui aime, et qui s'aperçoit qu'il n'est pas aimé ! ou si l'on répond à ses assiduités, quelles craintes au moins qu'on n'y réponde pas également, qu’on n'y réponde pas sincèrement, qu'on n'y réponde pas constamment! Dans le progrès de cette même passion, que ne faut-il pas essuyer? caprices, fiertés, hauteurs, légèretés de la part de celle dont on a fait son idole. Surtout si la passion se tourne en jalousie, comme il arrive presque immanquablement ; quel enfer! Et quelle issue enfin, quel dénouement ordinaire ont ces criminelles intrigues? La seule vue de l'avenir n'est-elle pas une peine continuelle et toujours présente, quand on se dit à soi-même il qu'un se le dit avec assurance : Cette passion finira; et le succès le moins fâcheux que j'en puisse attendre, c'est qu'elle finira pas quelque chose de désagréable ? Ah! mon Dieu, nous ne le comprenions pas, mais nous sommes obligés de le reconnaître, que vous ne châtiez jamais plus rigoureusement le pécheur qu'en le livrant à ses appétits déréglés.

Deuxième partie. Impureté, principe de la réprobation. Opérer la réprobation dans une âme, c'est la conduire à l'impénitence finale. Or, il n'y a point de péché qui semble plus éloigné de la pénitence que l'impureté, et qui par conséquent, dans le cours ordinaire, soit plus irrémissible. Je ne dis pas irrémissible dans le sens que l'a entendu Tertullien, lorsqu'il prétendait que ce péché était absolument sans remède, et que quelque marque de pénitence que donnât le pécheur, l'Eglise ne le devait et ne le pouvait jamais recevoir ; mais j'entends qu'entre les péchés, il n'y en a point de plus difficile a guérir, et que par ses engagements criminels l'impudique se fait, pour ainsi parler, à lui-même un état d'impénitence, d'où il pourrait et d'où il ne veut presque jamais sortir. Voilà en quoi la vérité que j'établis est différente de l'hérésie de Tertullien. Hérésie qui, tout insoutenable qu'elle est, nous fait toujours connaître de quelle horreur on était alors prévenu contre le péché que je combats, et combien à l’égard de ce crime la discipline de l'Eglise était rigoureuse. Hérésie fondée sur des raisons en elles-mêmes très-solides, mais dont Tertullien tira des conséquences outrées.

Sans donc porter la chose si loin,je dis que l'impureté conduit à l'impénitence finale : comment? 1° parce qu'il n'est point de péché qui rende le pécheur plus sujet à la rechute ; 2° point de péché qui expose plus le pécheur à la tentation du désespoir ; 3° point de péché qui tienne le pécheur plus étroitement lié par l'habitude.

1° Rechute. Je retournerai dans ma maison d'où je suis sorti, dit l'esprit impur : je reprendrai dans cette âme tons les avantages que j'y ai perdus, et le dernier état où elle se trouvera sera pire que le premier. J'en appelle, Chrétiens, à votre expérience : et n'est ce pas là ce qui nous rend vos confessions suspectes quand vous avez recours à nous dans le sacré tribunal?

 

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2° Désespoir. Desperantes semetipsos tradiderunt impudicitiœ. Mais de quoi surtout désespère l'impudique? il désespère de sa conversion, où il voit des difficultés presque insurmontables. Il désespère de sa persévérance, témoin qu'il est de ses légèretés passées. Il désespère de Dieu, et il désespère de lui-même : de Dieu, parce qu'il a si souvent abusé de sa miséricorde ; de lui-même, parce qu'il a de si sensibles convictions de sa faiblesse.

3° Habitude. Tout y contribue : les occasions beaucoup plus fréquentes, la facilité de commettre le péché beaucoup plus grande, les impressions qu'il laisse beaucoup plus fortes, le penchant beaucoup plus violent. Aussi combien voyons-nous d'impudiques par habitude et par profession qui se convertissent? une Madeleine, un Augustin pénitent, ce sont des espèces de prodiges. Ce n'est pas que ces voluptueux ne se présentent quelquefois au sacrement de la pénitence; mais de la manière dont ils s'y comportent, c'est plus pour leur condamnation qu'ils s'y présentent, que pour leur justification. Quand donc feront-ils pénitence? Dans cette vie? ils ne s'y déterminent jamais. Dans l'autre? elle est inutile. A la mort? c'est le péché qui les quitte, et non pas eux qui quittent le péché.

Cela seul me fait comprendre la vérité de cette terrible parole de Jésus-Christ : Beaucoup d'appelés et peu, d'élus. Car l'Apôtre nous apprend que les impudiques ne seront jamais héritiers du royaume de Dieu, et nous voyons d'ailleurs que le monde est plein de ces hommes sensuels et esclaves de leur plaisir.

C'est à vous, Chrétiens, a y prendre garde tandis qu'il est encore temps : car il est temps encore après tout, et je n'ai point prétendu dans ce discours vous ôter toute espérance, mais vous engager a une vigilance plus exacte, et vous porter a faire de nouveaux efforts. Nous avons besoin pour cela, Seigneur, d'une grâce victorieuse et toute-puissante. Grâce que je vous demanderai sans cesse, à laquelle je me disposerai, a laquelle je répondrai, et que je conserverai avec soin.

 

Cum immundus spiritus exierit ab homine, ambulat per loca arida, quœrens requiem, et non invenit. Tunc dicit : Revertar in domum meam unde exivi. Et veniens invenit eam vacantem, scopis mundatam, et ornatam. Tunc vadit, et assumit septem alios spiritus secum nequiores se, et intrantes habitant ibi.

 

Lorsque l'esprit impur est sorti d'un homme, il va par des lieux arides, cherchant du repos, et il n'en trouve point. Alors il dit : Je retournerai dans ma maison d'où je suis sorti ; et à son retour il la trouve vide, balayée et ornée. Il part aussitôt, et il va prendre avec soi sept autres esprits plus méchants que lui ; ils rentrent dans cette maison, et ils y habitent. (Saint Matthieu , chap. XII, 43-45.)

 

Sire,

 

C'est une doctrine communément reçue, et fondée sur l'Ecriture même, qu'il y a des démons de plusieurs espèces ; et cette différence, remarque saint Grégoire, pape, vient des différentes espèces de péchés où ces esprits de ténèbres ont coutume de nous porter. Il y a des démons d'orgueil, il y a des démons de vengeance, il y a des démons de jalousie et d'envie, il y a des démons de mensonge, d'illusion et d'erreur ; et tous ont leur caractère particulier, aussi bien que leurs fonctions propres. Celui qui nous est aujourd'hui représenté dans l'Evangile est le démon d'impureté, cet esprit immonde dont l'exercice est de souiller les âmes purifiées par la grâce de Jésus-Christ, et, toutes spirituelles qu'elles sont, de les rendre toutes charnelles, en les infectant de la contagion de leurs corps : Cum immundus spiritus exierit ab homine (1). Or le Fils de Dieu veut qu'entre tous les autres démons nous ayons particulièrement horreur de celui-ci, et c'est pour cela qu'il entreprend lui-même de nous le faire connaître. C'est donc, mes chers auditeurs, de cet esprit impur que je dois aujourd'hui vous parler; et il est important de vous en découvrir la malignité, puisque le même saint Grégoire nous assure que ce démon, ou plutôt que le vice qu'il entretient dans nos cœurs, est la cause la plus générale de la damnation des

 

1 Matth., XII, 43.

 

hommes, et que c'est lui qui, tous les jours, fait périr tant de pécheurs : Hoc maxime vitio periclitatur genus humanum. Je vous en donnerai une idée , dont vous ne pourrez tirer d'autre conséquence que de le détester et de vous en préserver. Car, en traitant cette matière, je me souviendrai toujours que la parole du Seigneur, dont je suis le ministre quoique indigne, doit être une parole chaste, plus épurée que l'argent qui passe par le feu, et qu'on éprouve jusques à sept fois : Eloquia Domini, eloquia casta, argentum igne examinatum, probatum terrœ, purgatum septuplum (1). Plaise à Dieu que vos cœurs, aussi purs que cette divine parole, soient disposés à en profiter ! c'est la grâce que je vais demander d'abord au Saint-Esprit, par l'intercession de la reine des vierges. Ave, Maria.

 

Saint Thomas, parlant du caractère que nous impriment certains sacrements de la loi de grâce, lui donne deux qualités, en quoi il fait consister toute son essence. C'est, dit-il, et un signe spirituel et une puissance spirituelle, Signaculum et potestas. Un signe spirituel, pour représenter dans nous les effets invisibles du sacrement; et une puissance spirituelle, pour nous rendre capables d'opérer les actions propres du sacrement : telle est la doctrine de cet ange de l'école. Or, je dis, Chrétiens (permettez-moi de faire cette comparaison), que l'impureté a pareillement son caractère, mais un caractère de réprobation, et qu'en cela cet abominable péché est une parfaite image de l'enfer. C'est ce que j'entreprends de vous montrer dans ce discours ; et pour en faire d'abord le partage, je trouve que ce caractère de réprobation que nous découvrons dans l'impureté, quoique infiniment opposé au caractère des

 

1 Psalm., XI, 7.

 

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sacrements institués par Jésus-Christ, ne laisse pas de lui ressembler en deux manières; je toux dire en ce qu'il a tout à la fois, et la vertu de représenter, et la vertu d'opérer ce qu'il représente. Car je prétends qu'il représente dans l'homme l'état de la réprobation future; voilà sa première propriété : et j'ajoute, si je puis m'exprimer de la sorte, qu'il opère dans l'homme cette même réprobation, en le conduisant à l'impénitence finale ; c'en est la seconde propriété. En deux mots, impureté, signe de la réprobation, et principe de la réprobation. Signe visible de la réprobation, parce que rien ne nous représente mieux, dès cette vie, l'état des réprouvés après la mort : vous le verrez dans la première partie. Principe efficace de la réprobation, parce que rien ne nous expose à un danger plus certain de tomber dans l'état des réprouvés après la mort : je vous le ferai voir dans la seconde partie. Ce sujet est d'une grande étendue, mais d'une extrême conséquence. Je ne dirai rien qui ne soit pour vous une leçon salutaire, et qui ne mérite toutes vos réflexions.

 

PREMIÈRE PARTIE.

 

Quatre choses, Chrétiens, que nous marque l'Ecriture, expriment parfaitement l'état d'une âme réprouvée dans l'enfer. Les ténèbres et l'obscurité, au milieu d'un feu dévorant : Mittite eum in tenebras exteriores (1). La confusion et le désordre dans le séjour de toutes les misères : Terrant miseriœ, ubi nullas ordo, sed sempiternus horror inhabitat (2). L'esclavage et la servitude du démon : Exeat condemnatus, et diabolus stet a dextris ejus (3). Enfin, le ver immortel d'une conscience cruellement et continuellement déchirée : Vermis eorum non moritur (4). Voilà l'idée sensible que le Saint-Esprit a prétendu nous donner d'une parfaite réprobation. Or, c'est ce que nous trouvons, dès cette vie même, dans l'impureté ; car il n'y a point de péché, ni qui jette l'homme dans un plus profond aveuglement d'esprit, ni qui l'engage dans des désordres plus funestes, ni qui le captive davantage sous l'empire du démon, ni qui forme dans son cœur un ver de conscience plus insupportable et plus piquant; et tout cela par une vertu qui lui est propre. D'où je conclus que ce péché est donc un signe manifeste de l'état malheureux de la réprobation : en voici la preuve, appliquez-vous.

Non, il n'y a point de péché qui jette l'homme

 

1 Matth., XXII, 13. — 2 Job, X, 22. — 3  Psalm., CVIII, 6. — 4 Marc, IX, 47.

 

dans un aveuglement plus profond; et saint Chrysostome en apporte une raison bien évidente : parce que ce péché, dit-il, est un attachement déréglé, et même un assujettissement honteux de l'esprit à la chair, et que par là il rend, pour ainsi dire, l'esprit tout charnel. D'où vient que saint Paul, en parlant d'un impudique, ne l'appelle plus absolument homme, mais homme charnel : Animalis homo. Or, de prétendre qu'un homme charnel puisse avoir des connaissances raisonnables, c'est vouloir que la chair soit esprit; et voilà pourquoi l'Apôtre conclut qu'un homme possédé de cette passion , quelque intelligent qu'il paraisse d'ailleurs, ne connaît plus les choses de Dieu, parce qu'elles ne sont plus de son ressort : Animalis homo non percipit ea quœ sunt Dei (1).

En effet, Chrétiens, prenez garde à cette réflexion de saint Bernard, qui me semble également solide et ingénieuse : Quand l'homme se laisse emporter à l'ambition, c'est un homme qui pèche, mais qui pèche en ange : pourquoi ? parce que l'ambition est un péché tout spirituel, et par conséquent le propre des anges. Quand il succombe à l'avarice et à la tentation de l'intérêt, c'est un homme qui pèche, mais qui pèche en homme, parce que l'avarice est un dérèglement de la convoitise qui ne convient qu'à l'homme. Mais quand il s'abandonne aux sales désirs de la chair, il pèche et il pèche en bête, parce qu'il suit le mouvement d'une passion prédominante dans les bêtes. Or s'il pèche en bête, il n'a donc plus ces lumières de l'esprit qui le distinguent des bêtes, et qui le font agir en homme; il est donc réduit à l'ignominie de Nabuchodonosor, il est dégradé de sa condition, il est même au-dessous de la condition des bêtes, puisque entre les bêtes et lui il n'y a plus d'autre différence, sinon qu'il est criminel dans son emportement, ce que les bêtes ne peuvent être : Homo cum in honore esset, non intellexit; comparatus est jumentis insipientibus, et similis factus est illis (2). C'est le raisonnement de saint Bernard, et l'expérience le justifie tous les jours : car nous voyons ces hommes esclaves de leur sensualité au moment que la passion les sollicite, fermer les yeux à toutes les considérations divines et humaines, ne convenir plus des choses dont ils étaient auparavant persuadés, ne croire plus ce qu'ils croyaient, ne craindre plus rien de ce qu'ils craignaient, n'être plus capables de remontrances, agir sans règle et sans conduite, devenir brutaux et insensés ; tant ce péché a de

 

1 1 Cor., II, 14. — 2 Psalm., XLVIII, 13.

 

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pouvoir et de force pour les aveugler. Venons au détail ; et c'est ici que je vous prie de m'écouter.  Ils perdent surtout trois connaissances : la connaissance d'eux-mêmes, la connaissance de leur propre péché, et la connaissance de Dieu. Est-il un aveuglement plus déplorable et plus affreux?

Ils perdent la connaissance de ce qu'ils sont, dit saint Augustin, parce que, dans cet état de libertinage, ils cessent d'être ce qu'ils étaient. A quoi j'ajoute, en renversant la proposition, ils cessent d'être ce qu'ils étaient, parce que, dans cet état de libertinage, ils perdent la connaissance de ce qu'ils sont. Ces deux pensées reviennent au même principe. En voulez-vous un des plus illustres, mais au même temps des plus terribles exemples? Je le tire de l'Ecriture. Par où commença la dissolution de ces deux vieillards qui attentèrent à la chasteté de la vertueuse Suzanne, et qui furent si hautement confondus par le prophète Daniel? Le texte sacré nous l'apprend : Everterunt sensum suum, et declinaverunt oculos suos, ut non viderent cœlum (1); Ils perdirent le sens, et ils détournèrent leurs yeux pour ne point voir le ciel. Car avec quel front l'auraient-ils pu voir, et en venir jusqu'à cet excès ? des magistrats, des juges, des hommes vénérables dans la Synagogue par leur âge, et qui devaient servir de modèles au peuple. Ah ! Chrétiens, ils ne l'auraient jamais fait, et le seul souvenir des qualités dont ils étaient revêtus les aurait tenus dans le respect. Il fallut donc qu'ils s'oubliassent eux-mêmes, avant que de se résoudre à une telle déclaration : et parce que la conscience ne peut être séduite ni corrompue tandis qu'elle a des yeux, il fallut l'aveugler absolument, afin qu'elle ne fût plus en état de se révolter. Ce qu'il y a d'étonnant, c'est qu'ils eussent pu de la sorte, et en si peu de temps, effacer de leur esprit toute la connaissance d'eux-mêmes. Mais , reprend saint Chrysostome, comme la lumière est d'une nature à se répandre en un moment dans l'immensité des airs, et qu'elle en dissipe tout à coup toutes les ténèbres, ainsi, dans un instant, le péché que je combats, ce péché grossier et charnel, couvre, pour user de cette figure, une âme des plus noires ombres, et obscurcit toutes les vues de la raison et de la foi.

C'est de là, remarque Clément Alexandrin, que les poètes, qui furent les théologiens du paganisme, lorsqu'ils décrivaient les pratiques honteuses et les infâmes commerces de leurs

 

1 Dan., XIII, 9.

 

fausses divinités, ne les représentaient jamais dans leur forme naturelle, mais toujours déguisées et souvent métamorphosées en bêtes. Pourquoi' cela? Nous les blâmons, dit ce Père, d'avoir ainsi déshonoré leur religion, et outragé la majesté de leurs dieux ; mais, à le bien prendre, ils en jugeaient mieux que nous : car ils voulaient nous dire par là que ces dieux prétendus n'avaient pu se porter à de telles extrémités, sans se méconnaître ; et qu'en devenant adultères, non-seulement ils s'étaient dépouillés de l'être divin, mais qu'ils avaient même renoncé à l'être de l'homme.

Et en effet, n'est-il pas surprenant de voir jusqu'à quel point ce péché abrutit les hommes? car il n'y a point d'intérêt qu'on ne méprise, point d'honneur qu'on ne foule aux pieds, point de dignité qu'on ne prostitue, point de fortune qu'on ne risque, point d'amitié qu'on ne viole, point de réputation qu'on n'expose, point de ministère qu'on ne profane, point de devoir qu'on ne trahisse pour satisfaire sa passion. Un père oublie ce qu'il doit à ses enfants, et ne se met plus en peine de les ruiner par ses débauches ; un juge, ce qu'il doit au public, et ne fait plus scrupule de sacrifier le bon droit à ses plaisirs ; un ami, ce qu'il doit à son ami, et ne compte plus pour rien d'abuser de l'accès qu'il a dans une maison pour la déshonorer ; un prêtre, ce qu'il doit à Jésus-Christ, et ne craint plus de scandaliser son sacerdoce par des actions abominables ; une femme, ce qu'elle doit à son mari, et ne se souvient plus de la foi qu'elle lui a jurée ; une fille, ce qu'elle se doit à elle-même, et ne rougit plus de perdre sa plus belle fleur, et de se rendre un sujet d'opprobre. Si, dans chacun de ces états , on faisait cette réflexion : Qui suis-je, et à quoi vais-je m'engager? il n'y a point d'âme, pour' abandonnée qu'elle puisse être à la violence de ses désirs, que les seules raisons humaines ne fussent capables de contenir. Mais on a les yeux bandés; et tandis que cette passion domine, on ne sait ni ce qu'on est, ni ce qu'on n'est pas, parce que le démon d'impureté nous aveugle, et nous ôte d'abord la première de toutes les vues, qui est la vue de nous-mêmes.

Je dis plus : ce même démon n'ôte pas seulement à l'homme la connaissance de ce qu'il est, mais la connaissance de ce qu'il fait, c'est-à-dire de son propre péché, et ne lui en laisse qu'autant qu'il faut pour le rendre coupable devant Dieu. Sur quoi saint Chrysostome fait une observation bien judicieuse, et nous

 

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découvre une espèce de prodige qui se passe tous les jours dans nos esprits, mais dont il y a bien de l'apparence que nous ne nous apercevons pas : le voici. Dans les règles communes, c'est par l'expérience que nous parvenons à la connaissance des choses : ce que nous n'avons jamais expérimenté ,   à peine le  connaissons-nous; mais à mesure que nous le pratiquons, que nous l'éprouvons, il se montre à nous, et nous apprenons à le connaître. Voilà l'ordre de la nature. Mais dans le péché dont je parle, il arrive tout le contraire ; car nous ne le connaissons jamais mieux que quand nous n'en avons nul usage ; et nous n'en perdons la connaissance qu'autant que nous nous licencions à le commettre. C'est ce que j'appelle prodige. Est-il rien de plus vrai et rien de plus ordinaire ? Car voyez, mes Frères, dit saint Chrysostome, quels sont les sentiments d'une âme pure et innocente : elle regarde l'impureté connue un monstre, elle s'en préserve comme d'une peste et d'une contagion mortelle, elle en fuit les occasions, elle en déteste les intrigues, elle en condamne les moindres libertés, parce qu'elle est  prévenue que c'est le plus dangereux écueil de son salut. D'où lui vient cette prévention ? de la nature, c'est-à-dire de Dieu même, lequel a imprimé l'horreur de ce vice clans les esprits de tous les hommes, sans en excepter les païens. L'homme donc encore chaste, et dans la première intégrité de ses mœurs, a une véritable idée de ce péché. Il ne l'a jamais commis, et c'est pour cela qu'il le connaît parfaitement. Mais qu'il s'y laisse entraîner, bientôt cette connaissance s'affaiblira, bientôt cette idée s'effacera : après quelques chutes, les péchés les plus monstrueux ne lui paraîtront plus si griefs : des actes il passera à l’habitude, de l'habitude à l'endurcissement, de l'endurcissement au scandale, et du scandale à la dernière impudence. Il n'envisagera plus sa passion que comme une faiblesse pardonnable à l'humanité ; il n'en aura plus aucun remords, il ne la traitera plus que de galanterie, il s'en glorifiera, il s'en applaudira, il en triomphera. Car ce sont là, dit Guillaume de Paris, dans son admirable traité sur cette matière, les progrès de l'impureté.

Mais l'aurait-on jamais cru, si le débordement du siècle ne nous le montrait pas, qu'il dût y avoir des hommes dans le monde, et dans le monde chrétien, d'un sens assez perverti pour qualifier de simple galanterie un crime de cette conséquence? Si les païens, si les idolâtres s'en étaient expliqués de la sorte, le scandale de notre religion serait de tenir ce langage après eux et comme eux. Mais que les plus dissolus d'entre les païens et les idolâtres aient eu sur ce point plus de modestie que nous ; qu'on voie des hommes faire profession de l'Evangile, et cependant ne garder nulles mesures, n'avoir ni honnêteté ni pudeur dans leurs expressions, mettre au nombre de leurs conquêtes les engagements les plus criminels, en tirer avantage, se vanter hautement de ce qu'ils font, et souvent même de ce qu'ils ne font pas : ah ! mes Frères, disait saint Chrysostome, c'est un aveuglement pire que celui des démons.

Mais qu'est-ce de voir des femmes dans le christianisme s'accoutumer à de semblables discours, en faire un divertissement et un jeu, en aimer la raillerie et les équivoques, se plaire à les entendre , ou ne témoigner là-dessus qu'une fausse répugnance , et d'un air qui , bien loin d'arrêter la licence, ne sert qu'à la rendre encore plus hardie, et qu'à l'exciter? Car je ne parle pas seulement ici, femmes chrétiennes, de ces derniers désordres dont le seul honneur du monde vous fait abstenir, et à l'égard desquels on peut dire que Dieu doit peu compter vos victoires, puisque si vous remportez des victoires, c'est moins pour lui que pour vous-mêmes. Je parle de ces autres désordres, moins odieux, ce semble, mais qui sont toujours autant de crimes, et qui, tout irrépréhensibles que vous vous flattez d'être selon le monde, ne fournissent à Dieu que trop de matière pour vous damner : je parle de ces conversations libertines, d'où naissent tant de maux, et qui portent à une âme de si mortelles atteintes ; je parle de ces entretiens secrets et familiers, mais dont la familiarité même et le secret sont de si puissants attraits aux plus funestes attachements ; je parle de ces amitiés prétendues honnêtes, mais dont la tendresse est le poison le plus subtil et le plus présent, pour infecter les cœurs et pour les corrompre ; je parle de ces commerces assidus de visites , de lettres, de parties, que saint Jérôme appelait si bien les derniers indices d'une chasteté mourante : Moriturœ virginitatis indicia; je parle de ces artifices de la vanité humaine, employés à relever les agréments d'une beauté pernicieuse ; je parle de cette détestable ambition d'avoir des adorateurs au préjudice du souverain Maître, à qui seul tout culte et tout hommage appartient ; je parle de ces douceurs vraies ou fausses, témoignées à un homme mondain, dont on entretient par là les criminelles

 

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espérances, pour être un jour responsable de ses iniquités les plus secrètes : je parle de ces habillements immodestes, que ni la coutume ni la mode n'autoriseront jamais, parce que ni la mode ni la coutume ne feront jamais de prescription contre le droit divin. Ce ne sont là, dites-vous, que des bagatelles : mais la question est de savoir si Dieu en jugera comme vous, et si vous-mêmes, lorsqu'il faudra comparaître devant son tribunal, vous n'en jugerez pas autrement. Vous prétendez que ce sont des choses indifférentes, et moi je soutiens que ce sont autant de crimes ; vous prétendez que, pour vivre dans les règles, il faut vivre de la sorte, et moi je soutiens que vivre de la sorte , c'est violer toutes les règles de la religion que vous professez. Et parce que cette conduite ne peut s'accorder avec la connaissance d'un Dieu (car le moyen de connaître Dieu , et de ne pas connaître ce qui l'offense ? ), de l'oubli de soi-même et de l'ignorance de son péché, l'homme sensuel tombe dans l'ignorance et l'oubli de Dieu, et voilà le fond de l'abîme où le plonge l'impureté.

C'est de là, disait le savant Pic de la Mirande, que de tout temps tous les athées ont été, d'une notoriété publique, des hommes corrompus par les passions charnelles : l'athéisme, remarque ce grand personnage, n'étant pas ce qui conduit à l'impudicité, mais l'impudicité étant la voie ordinaire qui conduit à l'athéisme. C'est de là que tous les impudiques, par profession et par état, sont communément des esprits gâtés et libertins en matière de créance, et qu'ils se préoccupent aisément contre la religion, qu'ils aiment à en disputer, à y trouver des difficultés, à ne pas savoir ce qui les résout ; et qu'à peine verra-t-on même une femme du grand monde, et dans la débauche, qui ne fasse l'esprit fort, et qui ne se pique de raisonner sur les vérités du christianisme. Pourquoi? parce qu'elle voudrait bien se persuader, en raisonnant, qu'il n'y a point de Dieu, suivant ce beau mot de saint Augustin, que personne ne doute qu'il y en ait un, sinon ceux à qui il serait expédient qu'il n'y en eût point. C'est de là que les progrès de l'impiété suivent presque toujours les progrès du vice ; et qu'au contraire le retour de l'impiété à la foi ne commence presque jamais dans une âme que par le retour du vice à la vertu, c'est-à-dire que lorsque le feu des désirs impurs vient à s'amortir et à s'éteindre. La raison, encore une fois, est bien naturelle ; car le voluptueux se trouvant dans une espèce d'impuissance de croire et de se satisfaire, la vue

d'un Dieu le troublant dans son plaisir, et son plaisir étant contredit sans cesse par la vue d'un Dieu, il prend enfin le parti de renoncer à l'un pour se maintenir dans la possession de l'autre, et de ne plus croire ce Dieu qu'il regarde comme l'ennemi irréconciliable de son plaisir et de son désordre.

C'est ainsi que le plus sage des princes, Salomon, cet homme comblé de tous les dons du ciel, cet homme qui, depuis le cèdre jusqu'à l'hysope, n'ignorait rien de tout ce qu'il y avait dans le monde dont il était l'oracle, en méconnut l'auteur. Il n'eut plus de peine à se prosterner devant des idoles de pierre, depuis qu'il eut adoré des idoles de chair ; et il perdit les plus belles lumières de son esprit, dès qu'il eut donné son cœur à d'infâmes créatures.

Saint Augustin fait une réflexion bien ingénieuse touchant la différence du vrai Dieu et des faux dieux du paganisme, ou, pour mieux dire, touchant l'aveuglement des païens à l'égard de leurs faux dieux, et notre aveuglement à l'égard du vrai Dieu que nous adorons : ceci convient parfaitement à mon sujet. Car en quoi, demande ce saint docteur, a consisté l'aveuglement du paganisme ? le voici : c'est que les hommes, dans le paganisme, ayant fait eux-mêmes leurs dieux, ils les ont faits selon leur caprice, et tels qu'ils les ont voulus ; et parce qu'ils craignaient que ces prétendus dieux ne fussent des juges trop sévères, et qu'ils ne condamnassent avec trop de rigueur les dérèglements de leur vie, ils en ont fait des dieux passionnés, des dieux colères et emportés, des dieux sujets aux mêmes crimes que nous, afin que chacun les pût commettre sans honte, et même avec honneur. Voilà jusqu'où la passion parmi les nations païennes, a porté l'aveuglement : mais le Dieu des chrétiens, poursuit ce Père, est bien d'une autre condition ; car n'ayant pas été fait par les mains des hommes les hommes, avec tous leurs artifices, n'ont pu l'accommoder à leurs sentiments ; et lui-même ne s'étant pas fait ce qu'il est, mais étant sain pas la nécessité de son être, il était incapable de se conformer à leurs inclinations corrompues. Que fait donc l'impudique? Le connaissant tel, et désespérant de le pouvoir changer, il le désavoue pour son Dieu ; et, au lieu de donner dans les erreurs de l'idolâtrie et de la superstition, il s'abandonne à l'irréligion ; c'est-à-dire, au lieu d'attribuer à Dieu des choses indignes de Dieu, comme ceux qui présentaient de l'encens à un Jupiter incestueux, il efface de son esprit toutes les idées de la Divinité.

 

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Mais ce Dieu, qui par essence est la pureté même et qui ne peut en rien se démentir, aime mieux que les hommes ne le connaissent point, que de le connaître pour un Dieu fauteur de leurs passions honteuses. Non, non, dit-il dans l'Ecriture, je ne serai plus votre Dieu, et je me ferai même une gloire de cesser de l'être. Vous affecterez de ne me plus connaître, et j'affecterai de n'être plus connu de vous, puisque, dans l'état d'abomination où le péché vous a réduits, la connaissance que vous auriez encore de moi ne serait qu'un surcroît d'outrage à ma sainteté ; mais aussi souvenez-vous que cet oubli doit mettre le comble à votre malice, et qu'il en sera, dès cette vie même, la plus terrible punition.

En effet, Chrétiens, y a-t-il rien de si affreux dans les ténèbres de l'enfer que cet aveuglement? L'enfer a des ténèbres, il est vrai; mais la même foi qui me l'enseigne m'apprend d'ailleurs que ce ne sont que des ténèbres extérieures : Mittite eum in tenebras exteriores (1); au lieu que les ténèbres d'une aveugle concupiscence sont des ténèbres renfermées, et, pour ainsi dire, concentrées dans l'homme, et aussi intimes à l'homme que l'homme l'est à lui-même. Les démons sont dans le séjour des ombres et de l'obscurité; mais ils sont eux-mêmes remplis de clarté, car ils ne comprirent jamais mieux, ni ce que c'est que Dieu, dont ils ressentent la main vengeresse, ni ce que c'est que le péché, dont ils portent la peine éternelle, ni ce qu'ils sont eux-mêmes, et pour quelle fin ils avaient été créés. Ils sont donc extérieurement investis de ténèbres, mais intérieurement pénétrés de lumières; et l'impudique, au contraire, est investi de lumières et pénétré de ténèbres ; il a hors de lui toutes les lumières de la foi, qu'il n'aurait qu'à consulter, el qui lui feraient voir la dignité de son âme sanctifiée par le sacrement de Jésus-Christ, l'opprobre du péché qui la déshonore et qui la souille, l'excellence de Dieu, à qui il doit se soumettre, et contre qui il se révolte ; mais au dedans, ce n'est qu'une sombre nuit, et voilà pourquoi il ne voit rien. Ne faut-il donc pas conclure qu'il est encore dans de plus épaisses ténèbres que les réprouvés mêmes?

Allons plus loin. Le désordre qui règne dans l'enfer règne-t-il également dans l'impureté? Egalement, Chrétiens, et d'autant plus que le désordre de l'enfer est nécessairement accompagné d'un ordre supérieur que la justice divine y a établi, puisque, dans la doctrine des

 

1 Mallh., XXII, 13.

 

Pères, l'enfer, tout enfer qu'il est, est le lieu destiné par la Providence, où Dieu, comme créateur de l'univers, rappelle toutes choses à l'ordre, punissant ce qui est punissable, et tirant de ses créatures rebelles les satisfactions qui lui sont dues; au lieu que le désordre de l'impureté est simplement un désordre, et rien de plus. De vous expliquer dans toute son étendue la nature de ce désordre, ce serait un discours infini. Saint Augustin le fait consister en ce que l'esprit de l'homme, qui, par un droit de supériorité naturelle, doit gouverner et régir le corps, se laisse au contraire gouverner lui-même par les sens. Ce qui n'arrive pas, dit-il, dans les autres vices, ni dans les autres passions, où l'esprit au moins, s'il est vaincu, n'est vaincu que par soi-même, au lieu qu'il est ici vaincu par la chair. Ce sont les termes de ce saint docteur : In aliis quippe affectibus, animus a se ipso vincitur ; hic autem pudet animum sibi resisti a corpore, quod ei inferiore natura subjectum est. Mais cette pensée est trop spirituelle pour exprimer le désordre d'un péché aussi grossier que celui-là. Saint Chrysostome nous en donne une idée plus sensible, lorsqu'il nous dit que le désordre de l'impureté dans l'homme est de porter l'homme à des excès où la sensualité même des bêtes ne se porte pas. Car il est certain que l'homme faisant servir sa raison, j'entends sa raison dépravée, à sa concupiscence, a inventé, pour se satisfaire, des crimes que la seule concupiscence ne lui aurait jamais inspirés; et que comme il n'y a que l'homme entre les animaux capable d'être chaste par vertu et au-dessus des lois de la nature, aussi n'y a-t-il que l'homme capable d'être vicieux et emporté au-delà des bornes de la nature même. Ainsi saint Chrysostome le déclarait-il, dans l'exemple de ces villes abominables dont il est parlé au livre de la Genèse, et sur qui Dieu fit éclater l'ardeur de sa colère. Villes infortunées, dont l'exécrable péché en a perverti tant d'autres ! car combien Dieu n'en voit-il pas d'aussi criminelles, peut-être jusques au milieu du christianisme ! et s'il ne les punit pas en faisant pleuvoir sur elles le soufre et le feu, combien de vengeances secrètes, mais encore plus terribles, n'exerce-t-il pas tous les jours sur ceux qui renouvellent de pareilles abominations ? N'est-ce pas ce que nous veut faire entendre saint Paul, quand il nous les représente abandonnés de Dieu, et livrés aux passions les plus honteuses? et quoique l'Apôtre n'ait pas fait difficulté de s'en expliquer ouvertement,

 

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oserais-je, tout ministre que je suis de l'Evangile, user ici des mêmes expressions ? Je craindrais que, toutes consacrées qu'elles sont, elles ne blessassent votre pudeur ; et plût à Dieu que le démon de la chair ne vous eût jamais ouvert les yeux pour comprendre ce que je ne puis dire, et qu'il fût toujours dangereux d'en parler, de peur d'apprendre aux chrétiens ce qu'ils ignorent ! Car malheur à moi si, sous prétexte de confondre les pécheurs, je scandalisais jamais une âme simple et innocente! Mais disons la vérité, Chrétiens : où est aujourd'hui l'innocence et la simplicité? Si l'on ne fait pas tout le mal, on veut le pouvoir et le savoir faire. Vous diriez que la nature ne soit pas assez corrompue, et qu'il faille y ajouter l'étude, pour se faire une science de ses désordres mêmes. Paraît-il un livre diabolique qui révèle ces mystères d'iniquité, c'est celui que l'on recherche, celui que l'on dévore avec tout l'empressement d'une avide curiosité. Que l'imagination en soit infectée, qu'il fasse des impressions mortelles dans le cœur, que le venin qu'il inspire aille jusqu'à la partie de l'âme la plus saine, qui est la raison, il n'importe; c'est le livre du temps qu'il faut avoir lu, et cela sans égard au péril qui s'y rencontre ; comme si l'on était sûr de la grâce, et qu'on eût fait un pacte avec Dieu, pour avoir droit de s'exposer sans présomption aux occasions les plus prochaines. Car celle-ci (je dis cette curiosité de savoir ce qui doit faire horreur à penser) est une de ces tentations que nulle excuse ne justifie, et dont cependant, avec toute la prétendue réforme dont on se pique, on ne peut presque gagner sur soi de se faire un point de conscience.

Mais achevons, s'il est possible, de développer ce que j'appelle désordre de l'impureté. Tertullien semble l'avoir conçu d'une manière plus figurée, et par conséquent plus propre à un discours qui n'a pour but que votre édification. C'est dans le livre de la Chasteté, où j'avoue que ce grand homme, emporté par la force de son génie, parlait déjà en hérétique, mais en hérétique, remarquent ses commentateurs, qui ne l'était au moins que par un excès de zèle, et dont on ne peut nier que les erreurs n'aient été mêlées des plus saintes et des plus solides vérités. Il dit donc, et c'est une de ces vérités, que l'esprit impur a comme une liaison nécessaire avec tous les vices, et que tous les vices sont, pour ainsi dire, à ses gages et à sa solde, toujours prêts à le servir pour le succès de ses détestables entreprises. C'est pour lui, par exemple, que l'homicide répand le sang humain, pour lui que la perfidie prépare des poisons, pour lui que la calomnie est ingénieuse à inventer, pour lui que l'injustice est toute-puissante quand il s'agit de solliciter, pour lui que l'avarice épargne, pour lui que la prodigalité dissipe, pour lui que le parjure trompe, pour lui que le sacrilège attente sur ce qu'il y a de plus saint. Voilà, disait Tertullien, la pompe infernale que je m'imagine voir, quand je considère les démarches de cette dangereuse passion : Pompam quamdam atque suggestum aspicio mœchiœ. L'impudicité est à la tête de tout cela, et tout cela lui fait escorte. Pensée qui s'accorde parfaitement avec celle du Fils de Dieu, lorsqu'il nous représente dans l'Evangile l'esprit impur, accompagné de sept autres esprits, ou aussi méchants ou encore plus méchants que lui, puisqu'il est certain que le démon d'impureté est presque toujours suivi du démon de vengeance, du démon de discorde, du démon d'impiété, du démon d'injustice, du démon de médisance, du démon de prodigalité, du démon d'effronterie et de licence. Et combien pourrais-je en joindre d'autres? mais arrêtons-nous à ceux-là, pour vérifier, même à la lettre, la parole de Jésus-Christ : Et assumit septem alios spiritus secum nequiores se.

Parlons sans figure. Avouons que ce péché est en effet le grand désordre du monde, puisqu'il attire après lui tous les autres désordres. Je dis que c'est pour lui que se répand le sang humain ; écoutez-moi. D'où sont venues les guerres les plus cruelles et les plus fatales ara peuples, sinon d'une passion d'amour? Une femme enlevée par un insensé fut l'étincelle qui excita les plus violents incendiés, et qui consuma des nations entières. Parce qu'un homme était impudique, il fallut que des milliers d'hommes périssent par le fer et pur le feu. Mais ne remontons point si haut pour avoir des preuves de cette vérité : notre siècle, ce siècle si malheureux, a bien de quoi nom en convaincre; et Dieu n'a permis qu'il engendrât des monstres que pour nous forcer à en convenir. Nous les avons vus avec effroi, et tant d'événements tragiques nous ont appris, plus que nous ne voulions, ce qu'un commerce criminel peut produire, non plus dans les Etats, mais dans les familles, et dans les familles les plus honorables. L'empoisonnement était parmi nous un crime inouï; l'enfer, pour l'intérêt de cette passion, l'a rendu commun. On sait,

 

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disait le poète, ce que peut une femme irritée ; mais on ne savait pas jusqu'à quel excès pouvait aller sa colère, et c'est ce que Dieu a voulu que nous connussions. En effet, ne vous fiez point à une libertine dominée par l'esprit de débauche : si vous traversez ses desseins, il n'y aura rien qu'elle n'entreprenne contre vous, les liens les plus sacrés de la nature ne l'arrêteront pas; elle vous trahira, elle vous sacrifiera, elle vous immolera. C'est par l'homicide, poursuivait Tertullien, que le concubinage se soutient, que l'adultère se délivre de l'importunité d'un rival, que l'incontinence du sexe étouffe sa honte, en étouffant le fruit de son péché.

Je dis que c'est pour ce péché qu'on devient profanateur. L'aurait-on cru, si la même Providence n'avait fait éclater de nos jours ce que la postérité ne pourra lire sans en frémir ; aurait-on cru, dis-je, que le sacrilège eût dû être l'assaisonnement d'une brutale passion? que la profanation des choses saintes eût dû entrer dans les dissolutions d'un libertinage effréné? que ce qu'il y a de plus vénérable dans la religion eût été employé à ce qu'il y a de plus corrompu dans la débauche; et que l'homme, suivant la prédiction d'Isaïe, eût fait servir son Dieu même à ses plus infâmes voluptés: Verumtamen servire me fecisti in peccatis tuis, et laborem mihi  prœbuisti in iniquitatibus tuis (1) ? Disons des choses moins affreuses, et que celles-là demeurent, s'il est possible, ensevelies dans un éternel oubli. Je dis que c'est l'esprit impur qui entretient les dissensions et les querelles d'une ville, d'un quartier. Vous le savez, trois ou quatre femmes décriées et célèbres par l'histoire de leur vie en font presque immanquablement toute l'intrigue : et de la naissent les inimitiés de ceux qui les fréquentent, de là les emportements de ceux qui s'en croient méprisés, de là les haines irréconciliables entre elles-mêmes, de là les discordes domestiques, les furies d'un mari à qui cette plaie une fois ouverte ne laisse plus que des aigreurs, et le ressentiment le plus profond et le plus amer. Je dis que c'est l'impureté qui rend la calomnie ingénieuse à former des accusations et à suborner des témoins : la mémoire n'en est que trop récente. Du moins, n'est-ce pas de cette source empoisonnée que viennent les plus sanglantes railleries, les médisances atroces, les libelles injurieux et diffamatoires, mille autres attentats contre la réputation du prochain et contre la charité? Je dis

 

1 Isa., XLIII, 24.

 

que c'est cette passion qui rend l'injustice toute-puissante dans les sollicitations ; et l'usage que vous avez du monde vous permet-il d'en douter? On sait que ce magistrat est gouverné par cette femme, et l'on sait bien au même temps le moyen d'intéresser cette femme et de la gagner; c'est assez : car avec cela il n'y a point de bon droit qui ne succombe, point de chicane qui ne réussisse, point de violence et de supercherie qui ne l'emporte. Combien de juges ont été pervertis par le sacrifice d'une chasteté livrée et abandonnée, et pour combien de malheureuses la nécessité de solliciter un juge impudique n'a-t-elle pas été un piège et une tentation? Je dis que c'est ce vice qui désole les maisons, et qui en dissipe tous les biens : n'en avez-vous pas vu cent exemples ? heureux si vous n'en avez pas fait l'épreuve, ou par votre propre péché, ou par le péché d'autrui I Le désordre ancien et commun était de voir avec compassion un insensé, sous le nom d'amant prodigue, et prodigue jusqu'à l'extravagance, contenter l'avarice et entretenir le luxe d'une mondaine qu'il idolâtrait; mais le désordre du temps est de voir au contraire une femme perdue d'honneur aussi bien que de conscience, par un renversement autrefois inouï, faire les avances et les frais, s'épuiser, s'endetter, se ruiner, pour un mondain à qui elle est asservie, dont elle essuie tous les caprices, qui n'a pour elle que des hauteurs, et qui ordonne de tout chez elle en maître. L'indignité est que ce désordre s'établit de telle sorte, qu'on s'y accoutume, le domestique s'y fait, on obéit à cet étranger, ses ordres sont respectés et suivis, parce qu'on s'aperçoit de l'ascendant que son crime lui donne, tandis que celle-ci, ne gardant plus de mesures, et libre du respect humain dont elle a secoué le joug, se fait une vanité de ne ménager rien, et un plaisir de sacrifier tout, pour se piquer du ridicule avantage et de la folle gloire de bien aimer.

Ne vous offensez pas, Mesdames ; et quand il y aurait de l'imprudence à pousser trop loin ces reproches, souffrez qu'à l'exemple de saint Paul, je vous conjure de la supporter : Utinam sustineretis modicum quid insipientiœ meœ, sed et supportate me (1). Dieu , témoin de mes intentions, sait avec quel respect pour vos personnes , et avec quel zèle pour votre salut, je parle aujourd'hui ; mais Dieu a ses vues, et il faut espérer que sa parole ne sera pas toujours sans effet. C'est  de vous, Mesdames (le

 

1 2 Cor., XI, 1.

 

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savez-vous, et jamais y avez-vous bien pensé devant Dieu?), c'est de vous que dépend la sainteté et la réformation du christianisme ; et si vous étiez toutes aussi chrétiennes que vous devez l'être , le monde, par une bienheureuse nécessité , deviendrait chrétien. Le désordre qui m'afflige est que l'on prétend maintenant, et peut-être avec justice, vous rendre responsables de ce débordement de mœurs que nous voyons croître de jour en jour : et que l'on n'en accuse plus simplement vos lâchetés, vos complaisances, vos faiblesses; mais qu'on l'impute à vos artifices et à la dépravation de vos cœurs. N'est-il pas étonnant qu'au lieu de cette modestie et de cette régularité que Dieu vous avait données en partage, et que le vice même respectait en vous, il y en ait parmi vous d'assez endurcies pour affecter de se distinguer par un enjouement et une liberté, à quoi tant d'âmes se laissent prendre comme à l'appât le plus corrupteur ? L'excès du désordre, c'est que toutes les bienséances qui servaient autrefois de rempart à la pureté soient aujourd'hui bannies comme incommodes. Cent choses qui passaient pour scandaleuses, et qui auraient suffi pour rendre suspecte la vertu même, ne sont plus de nulle conséquence. La coutume et le bel air du monde les autorise, tandis que le démon d'impureté ne sait que trop s'en prévaloir. Le comble du désordre, c'est que les devoirs, je dis les devoirs les plus généraux et les plus inviolables chez les païens mêmes, soient maintenant des sujets de risée. Un mari sensible au déshonneur de sa maison est le personnage que l'on joue sur le théâtre, une femme adroite à le tromper est l'héroïne que l'on y produit; des spectacles où l'impudence lève le masque, et qui corrompent plus de cœurs que jamais les prédicateurs de l'Evangile n'en convertiront, sont ceux auxquels on applaudit. Assujettissement , dépendance, attachement à sa condition , tout cela est représenté comme une espèce de tyrannie dont le savoir-faire doit affranchir. C'est ce qu'on ne se lasse point d'entendre , et tel qui, par sa triste destinée, y a le plus d'intérêt, est le premier à s'en divertir. Imaginez-vous d'ailleurs un mari qui, pourvu par le don de Dieu d'une femme prudente et accomplie, ne laisse pas de s'entêter d'une passion bizarre ; aime par obstination ce qui souvent n'est point aimable, et ne peut aimer par raison ce qui mérite tout son amour ; ne se rebute de ce qui lui est permis que parce qu'il lui est permis, et ne s'attache avec ardeur à ce qui lui est défendu que parce qu'il lui est défendu ; traite avec dureté et avec rigueur ce qui devrait être l'objet de sa tendresse, et adore opiniâtrement ce qui est la cause visible de tous ses malheurs. Voilà ce que j'appelle désordres ; et combien encore y en a-t-il d'autre) que je passe, et que je ne puis marquer?

Cependant, à l'aveuglement et au désordre, l'impureté ajoute encore l'esclavage, troisième trait de ressemblance dans l'impudique avec l'état des réprouvés dans l'enfer. Car il n'y a point de péché qui rende l'homme plus esclave du démon. Dans les autres péchés, dit saint Grégoire, pape, l'esprit de ténèbres nous attaque comme un ennemi, il nous sollicite comme un tentateur, il nous surprend comme un séducteur ; mais dans celui-ci, il nous domine comme un tyran. S'il nous corrompt, poursuit ce Père, par une autre passion, malgré sa victoire il est toujours dans la défiance, il craint toujours quelque changement, et que la grâce ne lui arrache sa proie; mais s'il nous a fait tomber dans une impureté, s'il nous a engagé dans un commerce criminel, c'est alors le fort armé de l'Evangile ; il tient une âme dans ses filets , il est sûr de sa conquête, et il s'en croit paisible possesseur : In pace sunt ea quœ possidet (1). Pourquoi, demande saint Augustin , suscitait-il dans les premiers siècles de l'Eglise tant de persécutions contre les chrétiens? Ah ! répond ce saint docteur, c'est que les chrétiens vivaient dans une entière pureté de mœurs , c'est qu'ils étaient chastes par état, et par conséquent affranchis de la domination du péché. Comme donc le démon ne pouvait s'en rendre maître par l'amour du plaisir, il tâchait de les vaincre par l'horreur des supplices; mais depuis qu'il a trouvé moyen de s'introduire dans le christianisme par les voluptés sensuelles, toutes les persécutions ont cessé. Car cette voie lui a paru bien plus courte et plus assurée. En exerçant sa cruauté contre les martyrs, il tourmentait les corps, mais les âmes étaient perdues pour lui ; au lieu que l'impureté lui assujettit, sans effusion de sang, et les âmes et les corps. Et je puis bien dire ici ce que disait saint Hilaire à l'empereur Constance, lorsque, par des flatteries dangereuses, il tentait et il ébranlait les fidèles : Plût à Dieu que nous eussions vécu au temps des persécuteurs ! nous devons beaucoup aux premiers Césars , puisque c'est par eux que nous avons triomphé de l'enfer : Plus crudelitali debemus, quia diabolum vicimus. Mais maintenant nous combattons avec un ennemi d'autant plus à

 

1 Luc, XI, 21.

 

craindre qu'il le paraît moins. Il ne déchire pas la chair, mais il la flatte : Non dorsa cœdit, sed membra palpat. En nous persécutant, il nous donnerait la vie ; mais il nous chatouille pour nous donner la mort : Non proscribit ad vitam, sed titillat in mortem. En nous confinant dans une prison, il nous donnerait la liberté, mais il nous retient dans son palais pour nous réduire en servitude : Non tradit carceri in libertatem, sed intra palatium retinet in servitutem.

Ainsi parlait ce saint évêque. Et voilà le triste état où saint Augustin gémit si longtemps, et sur quoi il se faisait de si sensibles reproches. Ce grand homme, avant sa conversion, sans être encore touché des puissants motifs qui, dans la suite, le ramenèrent à son devoir, soupirait néanmoins de se voir esclave de sa passion. Il ne voulait pas encore être à Dieu ; mais au moins eût-il voulu être à lui-même. Eh quoi! Augustin, se disait-il, seras-tu donc toujours maîtrisé par une aveugle concupiscence, et dominé par les sens? demeureras-tu toujours plongé dans d'infâmes plaisirs? après avoir goûté les délices de l'esprit, suivras-tu toujours les appétits du corps? Encore, si tu conservais quelque empire sur ta cupidité! mais que la chair te gouverne, que dans les plus nobles exercices de ton âme elle vienne te gourmander par un sentiment brutal, qu'elle ne te donne aucune trêve ni aucun relâche, et que tu sois toujours prêt à lui obéir : ah! c'est porter dans toi-même un enfer, puisque c'est y porter un démon qui sans cesse te fait éprouver sa plus impérieuse et sa plus cruelle tyrannie.

De là naît le ver de la conscience et le trouble : quatrième et dernier rapport de l'impudique avec les réprouvés au milieu des flammes qui les brûlent. Car l'homme sensuel et voluptueux veut se satisfaire, et cherche un certain repos, qu'il croit se pouvoir procurer en suivant ses désirs criminels; mais, par un ordre tout contraire de la Providence, c'est en suivant ses désirs criminels qu'il perd le repos, et qu'il se met dans l'impuissance de le trouver : Quaerens requiem, et non invenit (1). D'où pourrait-il l'espérer? du côté de Dieu , son créateur et le juge de ses actions et de sa vie? du côté de la créature dont il est adorateur, de cet objet malheureux de son attachement et de sa passion? Or l'un et l'autre, s'il raisonne bien , et même quand il raisonnerait mal, lui devient une source d'inquiétudes, de chagrins, de

 

1 Matth., XII, 34.

 

remords, de désespoirs. Encore un moment de réflexion, et je conclus cette première partie.

Trouble du côté de Dieu, que l'impudique envisage comme le juge de ses actions et de sa vie. Car prenez garde, s'il vous plaît : tout péché, par la raison générale qu'il est péché, met entre Dieu et le pécheur tant qu'il est pécheur, une division, une guerre irréconciliable. Par conséquent, il est impossible que le pécheur, du moment qu'il se révolte contre Dieu, ne perde pas la paix : Quis restitit ei, et pacem habuit (1) ? Mais il faut avouer que cela même convient encore singulièrement et plus proprement au péché de la chair : pourquoi ? saint Chrysostome nous en donne la raison, et l'expérience la confirme : parce qu'il n'y a point de péché, dit ce Père, que l'homme soit d'abord plus déterminé à se reprocher, point de péché où il lui soit plus difficile de se flatter, et de se former une fausse conscience ; point de péché dont la confusion et la honte lui soit plus naturelle, et où le prétexte de l'erreur et de l'ignorance ait moins de lieu : donc point de péché que le remords suive de plus près, et qui, de sa nature, soit plus incompatible avec le repos et la tranquillité de l'âme : Quœrens requiem, et non invenit (2).

Dans les autres péchés, ajoute saint Chrysostome , à force de se préoccuper, on croit, en péchant même, avoir raison ; et par là on s'affranchit au moins du trouble présent que cause le péché, quand il est commis avec une conviction actuelle de sa malice. Ainsi la haine, ainsi l'ambition, l'avarice portent-elles tous les jours l'homme à des excès qui le rendent criminel devant Dieu, mais qui, dans lui-même, ne l'empêchent pas de jouir d'un calme profond. Comme ce sont des péchés plus intérieurs, l'amour-propre sait non-seulement les déguiser, mais les justifier, jusqu'à les faire paraître honnêtes; et de là souvent ou est rempli d'orgueil, on fait tort au prochain , on blesse la charité et la justice sans aucun scrupule : pourquoi, parce qu'on n'en convient pas avec soi-même, et qu'il est rare qu'en tout cela on se juge dans la rigueur. Tel est, dit saint Chrysostome, le caractère des péchés de l'esprit.

Il n'y a que le péché delà chair où l'homme, pour peu qu'il ait de religion, ne trouvant nulle défense et nulle excuse, est obligé malgré lui de se condamner. Car ce péché est trop grossier pour servir de sujet aux illusions d'une conscience erronée;   et l'âme, par un reste

 

1 Job, IX, 4. — 2 Matth., XII, 34.

 

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d'intégrité que ce péché ne détruit pas dans l'instant qu'elle y tombe, est forcée de se reconnaître coupable, de prononcer elle-même son arrêt, et commence déjà à l'exécuter par les horreurs d'une réprobation éternelle dont elle est saisie. A peine donc l'impudique a-t-il goûté le fruit de son incontinence, qu'il en éprouve l'amertume; à peine a-t-il accordé à ses sens ce que la loi de Dieu lui défend, qu'il demeure interdit, confus, livré, comme Caïn, à son propre péché, qui devient son supplice et son tourment. Il semble que le premier rayon de la foi qui l’éclaire aille à lui en découvrir l'énormité et la difformité, pour lui en ôter le plaisir. Tandis qu'il croit un Dieu vengeur des crimes, voilà son état : Quœrens requiem, et non invenit.

Je sais, et je l'ai dit, qu'à mesure qu'il se dérègle, il voudrait bien secouer le joug de cette foi qui l'importune, et qu'un des effets les plus naturels de la cupidité qui l'aveugle est d'affaiblir dans son esprit la créance des vérités qui le troublent, et qui, en le troublant, le contiennent dans le devoir. Mais s'il se délivre par là du trouble salutaire de la pénitence, ce n'est que pour tomber dans un autre encore plus triste et plus affreux; je dis celui d'un esprit emporté par la passion et chancelant dans la religion, car, ou le démon de l'impureté qui le possède l'a rendu absolument infidèle, ou non : c'est-à-dire, ou, malgré son désordre, il a encore quelque respect pour les oracles de la parole de Dieu, ou il n'en a plus : or, s'il en a, comment peut-il les écouter et ne pas trembler? et s'il n'en a plus , quelle assurance du reste peut-il avoir en n'écoutant que lui-même ?

En effet, s'il cesse d'être chrétien, dans quelle autre misère netombe-t-il pas, exposé, non plus aux alarmes que lui cause sa foi, mais aux incertitudes cruelles où le jette son infidélité même? Car cette infidélité ne l'assurant de rien, et lui faisant hasarder tout, de quel secours lui peut-elle être pour trouver la paix ? au défaut de la foi qu'il a rejetée , quels témoignages son âme, cette âme naturellement chrétienne, ne porte-t-elle pas contre lui, pour le déconcerter, pour le désoler jusque dans son libertinage? quels combats, quels retours secrets n'a-t-il pas à soutenir, quelles difficultés à surmonter? quels doutes à résoudre? et dans ces agitations et ces embarras , où est le prétendu bonheur qu'il se promettait? Quœrens requiem, et non invenit.

Trouble encore plus sensible du côté de l'objet qu'il adore : ne le voyons-nous pas tous les jours ; et en faudrait-il davantage que ce que nous voyons, pour apprendre à nous préserver d'une pareille maladie? Soit qu'on la considère dans sa naissance , soit qu'on la suive dans ses progrès, soit qu'on en juge par l'issue, n'est-elle pas, de tous les maux sans exception, le plus inquiet? Dans sa naissance : car quel tourment, par exemple, est comparable à celui d'un esprit blessé qui aime , et qui s'aperçoit qu'il n'est pas aimé; qui veut plaire, et qui pour cela même déplaît ; qui conçoit des désirs ardents , et qui ne trouve que des froideurs ; qui s'épuise en services et en soins, et qui n'est payé que de rebuts? Cette passion ridicule et bizarre, mais opiniâtre, quelque force qu'il ait d'ailleurs, n'est-ce pas ce qui le dessèche, ce qui le mine, ce qui le fait misérablement et inutilement languir ; et de quelque bon sens que Dieu l'ait pourvu, n'est-ce pas ce qui l'infatué , ce qui pousse sa raison à bout, ce qui le met dans l'impuissance de s'en aider? En sorte que , tout persuadé et tout convaincu qu'il est de sa folie, il ne peut la vaincre ni s'en défaire: d'autant plus malheureusement ensorcelé, pour ainsi dire, qu'il ne l'est qu'à ses dépens; tandis que les autres, peu touchés de ce qu'il endure, ou en raillent, ou en ont pitié.

Voilà, si l'on ne répond pas à sa passion, quelle est sa déplorable destinée. Mais quand on y répondrait, quelles inquiétudes et quelles craintes qu'on n'y réponde pas également,qu'on n'y réponde pas sincèrement, qu'on n'y réponde pas constamment! Qu'on n'y réponde pas également : car où trouver un retour parfait ; et lors même qu'il se trouve, où sont ceux qui, pour leur repos, veulent s'en tenir assurés? en aimant, est-on jamais content de la personne qu'on aime ? Qu'on n'y réponde pas sincèrement : car dans ce commerce d'amitiés mondaines, et par conséquent impures, combien de fausses apparences? combien de dissimulations? combien de tromperies, de ruses, surtout quand l'ambition ou l'intérêt engage l'une à jouer tel personnage? et pour peu que l'autre soit éclairé, combien de soupçons justes et légitimes, mais affligeants et désolants, doivent lui déchirer l'âme et le consumer ?

Je dis plus, et dans la suite de cette même passion que ne faut-il pas essuyer? Ou celle dont on a fait son idole est vaine et indiscrète, ou elle est fière et orgueilleuse, ou elle est capricieuse et inégale , ou elle est légère et inconstante. Or, à quelles épreuves, à quelles bassesses, à quelles misères n'est-on pas alors réduit? Que la passion, comme il arrive presque

 

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immanquablement, se tourne en jalousie : quel enfer ! Dieu peut-il mieux se venger d'un impudique qu'en le laissant venir là? Du moment que la jalousie s'est emparée de son cœur, lui faut-il un autre bourreau que lui-même, pour le mettre à la torture et à la gène? Que de veilles qui le fatiguent, qui l'accablent ! que de tristes et d'affreuses nuits, toujours occupé qu'il est à combattre des fantômes, et à se remplir de fiel et de venin contre des rivaux peut-être imaginaires? Mais si sa curiosité lui découvre en effet ce qu'il craignait de voir, quoiqu'il le cherchât avec tant d'empressement et tant de vigilance, quels dépits et quelles fureurs! et quelle image plus naturelle pourrais-je vous en donner que les pleurs des damnés et leurs grincements de dents : Fletus et stridor dentium (1) ? Enfin ,  quelle issue et quel dénoûment ordinaire ont ces criminelles intrigues? La seule vue de l'avenir n'est-elle pas une peine continuelle et toujours présente , quand on se dit à soi-même, et qu'on se le dit avec assurance : Cette passion finira ; et le succès le moins fâcheux que j'en puisse attendre, c'est qu'elle finira par quelque chose de désagréable ; c'est-à-dire, qu'elle s'usera et se changera en dégoût : mais ce que j'en dois plus craindre, c'est qu'elle finira peut-être par quelque chose de douloureux, par une infidélité qui me désespérera, par une ingratitude qui me consternera, par un mépris qui m'outragera, par une ignominie qui me comblera de confusion, qui me mettra hors d'état de paraître dans le monde dont je serai la fable, qui m'en bannira pour jamais: c'est qu'elle finira sans moi et malgré moi, avant que de finir en moi ; et qu'elle ne subsistera dans moi que pour me rendre la vie insupportable, et pour me faire goûter par avance toutes les horreurs de la mort. Ah! mon Dieu, nous ne le comprenions pas; mais il est vrai que vous ne châtiez jamais plus rigoureusement le pécheur, qu'en le livrant à ses appétits déréglés. Il croit y trouver sa félicité, et il y trouve une réprobation anticipée. Achevons. Impureté, signe de la réprobation, c'a été la première partie. Impureté, principe de la réprobation, c'est la seconde.

 

DEUXIÈME   PARTIE.

 

Pour parler le langage des Pères, et pour réduire aux principes de la théologie la seconde proposition que j'ai avancée, opérer la réprobation dans une âme, c'est la conduire à l'impénitence finale ,  puisqu'il est évident que

 

1 Matth., XXII, 13.

 

l'impénitence finale est la disposition la plus prochaine à la réprobation, ou plutôt le commencement de la réprobation même. En effet, dit saint Augustin, les pécheurs ne sont réprouvés que parce qu'ils ne sont plus dans la voie, ni en état de faire pénitence ; s'ils y pouvaient rentrer, ou que, dans le lieu même de leur tourment, ils pussent encore être touchés d'un sentiment de conversion, l'enfer ne serait plus enfer pour eux. et ils cesseraient d'être réprouvés : mais ils le sont et le seront toujours, parce qu'il n'y a plus pour eux de retour, et qu'une impénitence consommée a mis, pour ainsi dire, le dernier sceau à leur damnation. S'il y a donc un péché dont la vertu particulière et spécifique soit d'engager le pécheur dans cette malheureuse impénitence, c'est ce que j'appelle non plus un signe, mais un principe de réprobation.

Tel est le péché d'impureté : pourquoi ? parce qu'entre les péchés qui précipitent l'homme dans l'abîme de perdition, il n'y en a aucun qui semble plus éloigné de la pénitence chrétienne, et qui par conséquent, dans le cours de la Providence, était plus irrémissible. Je dis, Chrétiens, irrémissible, non pas dans le sens que l'a entendu Tertullien, lorsqu'il prétendait que ce péché soit sans remède ; que l'Eglise n'avait reçu, pour l'abolir, aucun pouvoir, et que tout impudique devait être abandonné à la rigueur des jugements de Dieu ; exclu de toute réconciliation, et visiblement réprouvé, par une séparation entière et sans ressource, du corps de Jésus-Christ. Car l'entendre de la sorte, c'était une erreur ; et cette erreur, pour la distinguer de la vérité que je prêche , consistait en deux points. Premièrement, en ce que Tertullien voulait que l'impureté fût d'elle-même et absolument irrémissible, ce que je n'ai garde de penser ; mais je dis seulement que c'est un péché très-difficile à guérir ; de sorte que les remèdes même institués par le Fils de Dieu, et commis à la dispensation de l'Eglise , quoiqu'ils le puissent effacer, ne l'effacent néanmoins qu'assez rarement, parce que mille obstacles, presque invincibles, en arrêtent l'effet salutaire. Secondement , la pensée de Tertullien était que l'impénitence habituelle dont l'impureté est suivie ne dépendait point de la volonté du pécheur ; car selon ses maximes, quand le pécheur aurait fait les derniers efforts, et donné les preuves les plus sensibles d'une pénitence parfaite, l'Eglise n'y devait point avoir égard, pour le rétablir dans l'usage des divins

 

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mystères et dans la communion des fidèles, autre article que condamne l'Eglise, et que je condamne avec elle, reconnaissant que si le plus emporté et le plus scandaleux des hommes se convertissait à Dieu de bonne foi, qu'il en donnât des marques solides, qu'il justifiât sa contrition par la régularité de sa vie ; l'Eglise alors, en lui imposant les satisfactions légitimes, aurait droit de l'admettre à la pénitence, et de lui accorder la grâce qu'il aurait demandée avec gémissements et avec larmes. Mais j'ajoute au même temps que, par les désordres de son habitude criminelle, l'homme se fait, pour ainsi parler, à lui-même un état d'impénitence, et d'une impénitence volontaire, d'une impénitence à laquelle il ne veut pas renoncer, dont il entretient la cause, et qui lui endurcit le cœur, d'autant plus dangereusement, qu'elle lui est agréable et qu'elle lui plaît.

Voilà, dis-je, en quoi la vérité que j'établis est différente de l'hérésie de Tertullien ; hérésie où je vous prie, en passant, de remarquer avec moi deux choses importantes, et qui peuvent être pour vous d'une grande édification ; savoir, le principe d'où elle procédait, et le fondement sur lequel on l'appuyait. D'où procédait cette hérésie ? appliquez-vous à ceci : d'une sainte horreur dont l'Eglise était prévenue contre le péché que je combats ; mais horreur que Tertullien outra, pour user de ce terme, en déférant trop à ses lumières et à son sens ; car voici comment il raisonna : « L'Evangile m'assure qu'il y a des péchés monstrueux, qui ne se pardonnent ni dans le siècle présent, ni dans le siècle à venir. Rien de plus monstrueux dans un chrétien que le dérèglement d'une chair sensuelle et impure; par conséquent il faut que l'impureté soit un de ces péchés irrémissibles dont parle le Saint-Esprit.» Il se trompait dans la première proposition, ne la prenant pas au sens orthodoxe qui la modifie ; mais pour la seconde, il ne supposait rien qui ne fût universellement reçu ; et nous jugeons assez de là que l'impureté était donc alors regardée comme un crime bien énorme, puisqu'il se trouvait même des hommes savants et zélés qui ne pouvaient consentir que la pénitence la plus juste et la plus complète fût suffisante pour l'expier. De plus on juge de cette hérésie combien, à l'égard de ce crime, la discipline de l'Eglise était rigoureuse, et avec quelle sévérité l'on procédait contre les impudiques. Car il fallait bien que cela fût ainsi, puisque la constitution du pape Zéphyrin, qui promettait grâce aux simples fornicateurs (souffrez ce terme),  quelque prudente qu'elle fût, ne laissa pas de partager les esprits, de déplaire à plusieurs, et d'en révolter quelques-uns, entre lesquels Tertullien se déclara le plus hautement. J'apprends, disait-il dans la chaleur de cette controverse, que le souverain Pontife, l'évêque des évêques, a publié une ordonnance, mais décisive et absolue, en vertu de laquelle les fornicateurs, après les exercices ordinaires d'une pénitence laborieuse, peuvent espérer une entière rémission : Audio edictum, et quidem peremptorium : Pontifex scilicet maximus, episcopus episcoporum, dicit : Ego fornicationis  delicta pœnitentia functis dimitto. Ensuite il s'écrie : O indignité ! ô prévarication ! ô abus ! qui ouvre la porte à toutes sortes de licences ! Prenez garde, Chrétiens : cette conduite le scandalisa, et il aima mieux se séparer du corps de l'Eglise, en l'accusant de relâchement, que de souscrire à celle ordonnance et de l'approuver. Il fallait donc que la simple fornication eût été jusque là sujette à de grandes peines. Mais encore, sur quoi Tertullien se fondait-il pour porter les choses à cet excès, et pour traiter d'irrémissible le péché, selon le monde, le plus pardonnable? Sur des raisons, Chrétiens, toutes essentielles, quoiqu'il soit vrai qu'il en abusa. Par exemple, il ne pouvait souffrir qu'un chrétien apportât pour excuse de son désordre la faiblesse de la chair. Ah!  mon Frère,  reprenait-il, ne me dites pas que la chair a été faible en vous; elle n'a été que trop forte, puisqu'elle l'a emporté sur l'esprit : Nulla enim tam fortis est caro, quam quœ spiritum elisit. Eh quoi ! ajoutait-il, nous refusons la grâce de la pénitence à celui qui a succombé dans la persécution, et nous l'accorderons à celui qui, dans la paix, succombe à sa passion ? Nous ne pardonnons pas à une chair que le supplice a effrayée, et nous pardonnerons à celle qu'un faux plaisir a corrompue ? Non, non, poursuivait-il, il y aurait en cela de l'injustice; car une chute libre et volontaire mérite bien moins de compassion qu'une lâcheté involontaire et forcée. Or, l'apostasie d'un chrétien par la crainte de la mort, toute criminelle qu'elle est, est l'effet d'une violence étrangère; au lieu que le désordre de l'impudique vient d'une pure infidélité. Le chrétien lâche et déserteur de sa religion peut alléguer pour sa défense la cruauté des bourreaux ; mais le sensuel et le voluptueux ne peut s'en prendre qu'à lui-même. Et qui des deux, à votre avis, fait un plus grand outrage à Jésus-Christ, ou celui qui l'abandonne

 

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dans les tourments, ou celui qui le renonce dans les délices? ou celui qui souffre et qui gémit en lui manquant de foi, ou celui qui lui manque de foi pour se contenter et se satisfaire? Tous ces sentiments de Tertullien sont grands sans doute et élevés ; mais voici sa raison principale : écoutez-la, s'il vous plaît : c'est que la chair de l'homme ayant été adoptée, ennoblie, sanctifiée par l'incarnation divine, le péché qui la déshonore et qui la souille ne devait plus seulement passer pour un crime, mais pour un monstre. Car enfin, continuait-il au même endroit, que la chair se soit licenciée, et qu'elle se soit même perdue avant Jésus-Christ, on peut dire qu'elle n'était pas encore digne des dons du salut, et qu'elle n'était pas encore formée aux pratiques de la sainteté. Mais depuis que le Verbe de Dieu a contracté avec elle la plus intime alliance, en se faisant lui-même chair : Et Verbum caro factum est (1) ; ah ! mes Frères, concluait Tertullien, faisons état que cette chair a comme changé de nature, et qu'elle n'est plus ce qu'elle était : Exinde caro quœcumque alia jam res est. Pourquoi donc voudrions-nous la justifier par ce qu'elle nous paraît avoir de fragile? Quid ergo illam nunc depristino excusas? Que L'impureté ait été rémissible dans la loi ancienne, c'était un temps où l'homme ne portait pas encore la qualité de membre de Jésus-Christ, et où notre chair n'avait pas l'honneur d'être incorporée à la sienne : mais depuis qu'elle lui est unie personnellement, depuis qu'elle a été lavée par le baptême et dans le sang de l'Agneau, depuis qu'elle est devenue le sujet des plus excellentes opérations de la grâce, il est juste, ou que vous la conserviez vous-mêmes, ou que vous soyez éternellement réprouvés de Dieu.

C'était ainsi que raisonnait ce défenseur de la pureté, mais, après tout, défenseur trop obstiné et trop ardent. C'était ainsi qu'il frappait l'impudique d'un anathème éternel; et moi, Chrétiens, sans aller si loin, j'ai dit et je le dis, que l'impureté n'exclut point encore absolument, et dès maintenant, le pécheur de la miséricorde divine, mais j'ajoute qu'il s'en exclut lui-même par un attachement opiniâtre à son péché. En voulez-vous les preuves? je les réduis à trois. Car il est vrai qu'il n'est point de péché qui rende le pécheur plus sujet à la rechute, point de péché qui expose plus le pécheur à la tentation du désespoir, point de péché qui tienne le pécheur plus étroitement

 

1 Joan., 1, 14.

 

lié par l'habitude. Encore un moment d'attention, et je finis.

Point de péché qui rende le pécheur plus sujet à la rechute. Ecoutez là-dessus ce que se dit à lui-même, dans notre évangile, l'esprit impur : Revertar in domum meam unde exivi (1); Je retournerai dans ma maison d'où je suis sorti; car quoique je l'aie quittée, par la facilité que je trouve à y rentrer dès que je le veux, elle ne laisse pas d'être à moi ; et quand je la quitte, je ne la quitte que pour un temps, sans cesser pour cela d'en être le maître : j'y retournerai : Revertar; et j’y reprendrai tous les avantages que j'y avais ; je la trouverai nettoyée et parée, mais je la souillerai tout de nouveau, et le dernier état de cette âme sera pire que le premier : Et fiunt novissima hominis illius pejora prioribus (2). Vous reconnaissez-vous, Chrétiens, et cette peinture n'est-elle pas une expression naturelle de ce qui se passe dans vous? Si vous êtes possédés de ce démon de la chair, ne sont-ce pas là les malheureuses épreuves que vous faites tous les jours de son pouvoir et de votre faiblesse ? Après que vous l'avez chassé en vous convertissant à Dieu, n'est-ce pas ainsi qu'il revient, et que, comptant sur votre fragilité, il n'a qu'à employer le charme trompeur d'une volupté passagère pour vous pervertir? Quelque soin que vous ayez de purifier vos consciences, de les orner et de les parer, n'est-ce pas ainsi qu'il commence tout de nouveau à les corrompre et à les infecter? Votre état alors n'est-il pas encore plus mortel qu'il ne l'était? N'en devenez-vous pas encore plus esclaves de la sensualité, encore plus incapables de vous modérer, encore plus emportés dans les occasions, encore plus lâches et plus changeants dans vos résolutions ? Ah ! mes Frères, permettez-moi de vous le dire avec douleur, voilà ce qui fait gémir les pasteurs de vos âmes, et ceux qui doivent en répondre! Quand vous avez recours à nous dans le sacré tribunal, voilà ce qui nous rend vos confessions suspectes, ce qui nous empêche de faire fond sur vos ferveurs ; voilà ce qui nous oblige, comme dispensateurs des mystères de Dieu, à prendre avec vous tant de précautions, à ne vous en pas croire sur votre parole, à nous défier de vos soupirs et de vos larmes, à vous suspendre la grâce du sacrement, et, après bien des délais, à ne vous l'accorder qu'avec peine; voilà ce qui nous met dans la nécessité de nous dépouiller même quelquefois de ces entrailles

 

1 Matth., XII, 44. — 2 Ibid., 45.

 

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de miséricorde que demanderait notre fonction, et de nous endurcir contre vous, en refusant absolument de vous délier et de vous absoudre.

Point de péché qui expose plus le pécheur à la tentation du désespoir. C'est saint Paul qui nous l'apprend : Desperantes semetipsos tradiderunt impudicitiœ (1). Je vous conjure, mes Frères, disait-il aux Ephésiens, de ne plus vivre comme ces pécheurs qui, perdant toute espérance, s'abandonnent à toutes sortes- de dissolutions : In operationem immunditiœ omnis (2). Car l'effet le plus ordinaire de l'impureté est de ruiner dans une âme tout l'édifice de la grâce, et d'en renverser jusques au fondement, qui est l'espérance chrétienne. Mais encore, demande saint Chrysostome, de quoi l'impudique désespère-t-il, et de qui désespère-t-il? Il désespère, reprend ce saint docteur, de sa conversion, il désespère de sa persévérance, il désespère du pardon de ses crimes ; et quand on lui promettrait le pardon de ses crimes, il désespère de sa volonté propre, il désespère de Dieu, et il désespère de lui-même. Est-il de plus tristes et de plus désolantes extrémités? Il désespère de sa conversion, car le moyen, se dit-il à lui-même, ou plutôt lui fait dire l'esprit impur, le moyen que je rompe mes chaînes, le moyen que je m'arrache du cœur une passion qui fait toute la douceur de ma vie, le moyen que je renonce de bonne foi à ce que j'aime encore de meilleure foi ? Si je disais que je le veux, ne mentirais-je pas au Saint-Esprit? et si je n'ai pas la force de m'y résoudre et de le vouloir, ne suis-je pas le plus infortuné des hommes et le plus délaissé de Dieu? Supposé même sa conversion, il désespère de sa persévérance : car que puis-je attendre de moi, poursuit-il, après tant de légèretés et de changements? Quand je dirai aujourd'hui à Dieu que je veux sortir de ma misère, et que la résolution que j'en ai formée sera éternelle; pour le dire et pour le penser, serai-je plus en état de l'exécuter? N'ai-je pas dit cent fois la même chose ; et cent fois après l'avoir dite, ne me suis-je pas trouvé le même que j'étais? Pourquoi prétendre que ce que je dirai maintenant sera plus solide? et pourquoi me flatter que je ne serai plus ce roseau agité du vent, qui cède et qui plie dès qu'il est ébranlé par le moindre sou fie? En le voulant ainsi, en m'y engageant, changerai-je de naturel, aurai-je une autre trempe d'esprit, serai-je pourvu de plus grands secours, me fournira-t-on

 

1 Ephes., IV, 19. — 2 Ibid.

 

des remèdes plus présents et plus efficaces que ceux mêmes que j'ai si souvent rendus inutiles? Enfin, il désespère tout à la fois, et de Dieu et de lui-même : de Dieu, parce que c'est un Dieu de sainteté, qui ne peut approuver ni souffrir le mal ; de lui-même, parce qu'étant tout charnel, et vendu, comme dit saint Paul, au péché : Venumdatus sub pecccato (1); il ne peut presque plus désormais aimer le bien : de Dieu, parce qu'il a si souvent abusé de sa miséricorde et de sa patience; de lui-même, parce qu'il a les plus sensibles convictions de son instabilité et de son inconstance : de Dieu et de lui-même, parce qu'il voit entre Dieu et lui des oppositions infinies, qu'il ne croit pas pouvoir surmonter, et qui lui font prendre le parti de se livrer aux désirs de son cœur : Desperantes, semetipsos tradiderunt impudicitiœ (1).

Aussi, Chrétiens, est-il vrai que nul autre péché ne tient le pécheur si étroitement lié par l'habitude. Tout y contribue : les occasions de ce péché beaucoup plus fréquentes, la facilité de commettre ce péché beaucoup plus grande, le penchant naturel vers ce péché beaucoup plus violent, les impressions que laisse ce péché beaucoup plus fortes. Ne cherchons point tant déraisons, mais tenons-nous-en à la seule expérience. Je vous le demande, mes chers auditeurs, combien voit-on d'impudiques dans le monde, je dis d'impudiques par état qui se convertissent? En connaissez-vous beaucoup dans qui la grâce ait opéré ce changement? Je trouve bien, disait autrefois saint Chrysostome, et j'ai plus droit encore de le dire aujourd'hui ; je trouve bien des âmes pures qui se sont tout à fait préservées de la contagion du péché. Il y en a eu de tout temps, et il y en aura toujours, pour l'édification de l'Eglise et pour la gloire de Jésus-Christ. Je vois dans le christianisme des sociétés d'hommes crucifiés au monde et à la chair, qui, sur la terre, semblent vivre comme les anges du ciel; j'y vois des assemblées de vierges, qui, selon l'expression de saint Jean, ont blanchi leurs vêtements dans le sang de l'Agneau ; j'y vois des femmes pleines de vertus, des veuves d'une réputation et d'une vie irréprochables : mais des chrétiens chastes et réglés, après avoir vécu dans le désordre ; mais des hommes autrefois lascifs et voluptueux, qui aient cessé de l'être; mais des âmes libertines et dissolues, qui recouvrent le don de la pudeur après l'avoir perdu par l'incontinence : ah ! mes Frères, reprenait saint

 

1 Rom., VII, 14. — 2 Ephes., IV, 19.

 

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Chrysostome, c'est ce que je cherche dans le monde, mais assez inutilement; et c'est ce qui nie fait douter si, lorsqu'il s'agit de ce crime, la pénitence n'est pas encore plus rare que l'innocence, et s'il n'est pas plus facile de ne tomber point du tout, que de se relever après sa chute. Je sais, mes chers auditeurs, que l'un et l'autre est possible à Dieu ; je sais que l'Ecriture et la tradition ne laissent pas de nous en fournir de célèbres exemples ; mais comment vous les propose-t-on ? comme des prodiges de la grâce, comme des faits extraordinaires et singuliers : un Augustin, une Madeleine, quelques autres spécialement élus pour être des vases de miséricorde, mais dont le petit nombre est cent fois plus capable de vous faire trembler que de vous donner de la présomption.

Cependant, me direz-vous, on voit ces hommes esclaves de la chair se présenter avec douleur au sacrement de la pénitence. Avec douleur, Chrétiens ? Ah ! quelle douleur ! car, pour vous en découvrir l'abus ordinaire,  si vous l'ignorez, ils se présentent, dit le chancelier Gerson, à ce sacrement de la pénitence, bien plus communément pour être condamnés de Dieu, que pour être absous de ses ministres : ils s'y présentent,   mais avec des circonstances  qui  font  bien   connaître   que   leur dessein n'est pas de déraciner le mal.  Car pourquoi ces craintes, ces réserves en s'accusant? pourquoi ces vains ménagements d'une prudence tout humaine? pourquoi ces changements de confesseurs? pourquoi même ce choix affecté des moins sévères et des plus commodes? Le grand secret pour un chrétien en qui ce péché prédomine, est de se mettre sous la conduite d'un homme de Dieu intelligent, exact, zélé; mais c'est ce qu'ils ne veulent pas. Enfin ils s'y présentent faisant trêve avec leur passion, et ne rompant jamais avec elle. Car, observez-les dans la suite, et vous verrez si j'ai raison de me défier de leur pénitence. Us détestent, ce semble, leur péché; mais ils ne cessent pas pour cela d'en aimer l'objet et d'en entretenir les occasions. Ils se défont d'un engagement, mais ce n'est que pour en former un autre. La fréquentation de celte personne leur devenant même nuisible selon le monde,  ils s'en éloignent,  mais ils prennent parti ailleurs : au défaut de celle-ci, ils trouveront celle-là. Je dis plus, au défaut de tout le reste, ils se trouveront toujours eux-mêmes, et ce sera assez. Ainsi, ils changent de sujets, mais ils ne changent pas de sentiments; il malgré leur douleur prétendue, leur péché subsistera toujours. Quand donc feront-ils une vraie pénitence? Dans cette vie? ils ne s'y déterminent jamais. Dans l'autre, elle y est inutile et sans effet. A la mort? c'est alors le péché qui les quitte, et non pas eux qui quittent le péché. Les voilà donc sans pénitence et dans le temps et dans l'éternité, et par conséquent dans un état de réprobation. Or, qui les réduit en cet état? l'impureté. Mais si cela est, il s'ensuit donc que le monde est plein de réprouvés, puisqu'il est plein de voluptueux et d'impudiques? A cela, mon cher auditeur, je n'ai pour toute réponse que deux paroles à vous dire, mais qui sont d'une autorité si vénérable, et au même temps d'une décision si expresse, qu'elles ne souffrent nulle réplique.

La première, de saint Paul : que les impudiques ne seront jamais les héritiers du royaume de Dieu : Neque fornicarii, neque adulteri, neque molles... regnum Dei possidebunt (1). La seconde, de Jésus-Christ même : Que nous sommes tous appelés au royaume de Dieu, mais qu'il y en a peu d'élus : Multi vocati, pauci electi (2). Or, comparant entre elles ces deux grandes vérités, quelque indépendantes qu'elles semblent d'abord l'une de l'autre, j'y découvre un enchaînement admirable : car quand je m'imagine, d'une part, beaucoup d'appelés et peu d'élus, et que, de l'autre, je vois tant d'âmes sensuelles çt si peu de chastes, je n'ai plus de peine à voir la liaison de la parole du Sauveur du monde avec celle de l'Apôtre, et je ne cherche point d'autre dénoûment de ce terrible mystère de la prédestination et de la réprobation des hommes. Le seul partage que font dans le monde l'incontinence et la chasteté suffit pour nous le faire comprendre. Car, s'il y avait beaucoup d'âmes pures, ou si beaucoup d'impudiques se convertissaient, je ne pourrais presque plus me persuader qu'il y eût si peu d'élus. Au contraire, s'il était vrai qu'il y eût beaucoup d'élus malgré le petit nombre d'âmes pures, ou le nombre encore plus petit d'impudiques convertis , il faudrait dire que les impudiques auront donc place dans le royaume de Dieu. Mais un nombre infini de voluptueux et d'impudiques, et d'ailleurs nul impudique reçu dans l'héritage céleste, voilà ce qui vérifie et ce qui me fait parfaitement entendre l'oracle du Fils de Dieu : Plusieurs d'appelés, peu d'élus : Multi vocati, pauci electi.

C'est à vous, mes chers auditeurs, à y prendre garde, tandis qu'il est encore temps pour vous.

 

1 1 Cor., VI, 10. — 2 Matth., XX, 14.

 

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Car il est temps encore après tout, et à Dieu ne plaise que je vous renvoie sans espérance ! En vous proposant des vérités si terribles, mon dessein n'a été que de vous les rendre salutaires. Si j'ai dit que l'impureté est de tous les péchés celui qui rend le pécheur plus sujet à la rechute, ce n'est que pour vous engager à une plus exacte pratique de la vigilance chrétienne. Si j'ai dit qu'il n'y a point de péché qui expose plus le pécheur à la tentation du désespoir, ce n'est que pour vous élever au-dessus de vous-mêmes, et pour vous portera implorer le secours de Dieu avec plus d'ardeur et plus de confiance. Si j'ai dit que nul autre péché ne tient le pécheur plus étroitement lié par l'habitude , ce n'est que pour vous inspirer des sentiments plus héroïques, et pour vous déterminer à faire de plus généreux efforts. Votre salut les demande, et Dieu les attend de vous : mais pour cela, mon Dieu, nous avons besoin de votre grâce, d'une grâce prévenante, d'une grâce victorieuse et toute-puissante. Grâce que je demanderai sans cesse : elle est précieuse et j'en connais le prix ; mais toute précieuse qu'elle est, je puis l'obtenir, et Dieu ne la refusera point à ma prière. Grâce à laquelle je ne mettrai nul obstacle ; ce n'est pas assez : à laquelle je me disposerai ; et par où? par la fuite des occasions, par la mortification de mes sens, par la fréquente confession, par la lecture des bons livres, par d'utiles entretiens avec un directeur sage et zélé ; par les aumônes, par les sacrifices, par tous les moyens que la religion me fournit. Grâce à laquelle je répondrai fidèlement et sans me tromper, promptement et sans hésiter, pleinement et sans rien réserver. Grâce que je n'exposerai jamais ; car l'exposer, ce serait vouloir la perdre. Mais aussi, mon Dieu, grâce avec laquelle je me promettrai une sainte persévérance, jusqu'à ce que j'arrive à la gloire où nous conduise, etc.

 

 

 

 

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