SERMON POUR LE QUATRIÈME DIMANCHE DE L'AVENT.
SUR LA SÉVÉRITÉ DE LA PÉNITENCE.
ANALYSE.
Sujet. Le Seigneur fit entendre sa parole à Jean, fils
de Zacharie, dans le désert; et il alla dans tout le pays qui est le long du Jourdain,
prêchant le baptême de pénitence pour la rémission des péchés.
La
pénitence est un baptême, parce que c'est elle qui nous lave de nos péchés, et
qui nous purifie. Or le caractère de ce baptême ou de cette pénitence est
l'esprit de sévérité, comme nous l’allons voir dans ce discours.
Division. Sans examiner quelle doit être la sévérité de la
pénitence, considérée de la part des prêtres qui en sont les ministres, et sans
entrer dans ces fameuses contestations qui se sont élevées sur cette matière,
ne regardons ici la pénitence que par rapport an pécheur qui la doit pratiquer,
et qui se la doit imposer à lui-même. Or le grand principe qui doit animer et
régler cette pénitence, c'est la sévérité. Sévérité nécessaire, sévérité douce.
La pénitence prise par rapport à nous doit être sévère ; 1ère partie.
Mais afin de ne pas rebuter nos cœurs, ajoutons que plus elle est sévère, plus
dans sa sévérité même elle devient douce ; 2e partie.
Première
partie. Sévérité de la pénitence,
sévérité nécessaire. Qu'est-ce que la pénitence? C'est, dit saint Augustin, un
jugement que l'homme exerce contre lui-même, mais qu'il exerce en qualité
seulement de délégué, et comme tenant la place de Dieu ; qu'il exerce en vertu
de la commission que Dieu lui a donnée de se juger lui-même; qu'il exerce avec
toute la dépendance d'un juge inférieur à l'égard d'un juge souverain; d'où
nous devons former trois raisonnements qui nous convaincront que notre
pénitence doit être sévère. 1° L'homme dans la pénitence fait l'office de Dieu,
en se jugeant lui-même : il doit donc se juger dans la rigueur. 2° L'homme dans
la pénitence devient juge, non pas d'un autre, mais de lui-même : il doit donc
dans ses jugements prendre le parti de la sévérité. 3° Du jugement que l'homme
fait de lui-même, il y a appel à un autre jugement supérieur, qui est celui de
Dieu : il doit donc y procéder avec une équité inflexible.
1°
L'homme dans la pénitence fait l'office de Dieu ; c'est-à-dire, selon
Tertullien, que la pénitence fait en nous la fonction de la justice et de la
colère de Dieu. Or comment Dieu nous jugerait-il dans sa colère ? et peut-on dire qu'il y ait quelque proportion
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entre la pénitence d'un homme du monde et la justice de
Dieu vindicative? Notre pénitence ne peut donc être une pénitence recevable au
tribunal de Dieu, dès qu'elle n'est pas sévère.
Pour
mieux comprendre cette pensée, imaginons-nous que Dieu a fait un pacte avec
nous, et qu'il nous a dit ce que nous marque expressément l'Apôtre : Jugez-vous
vous-mêmes, et je ne vous jugerai point. En quoi nous pouvons remarquer l'excellence
et le mérite de la pénitence, qui nous affranchit en quelque sorte de la
juridiction de Dieu.
Cela
supposé, je dois faire dans ma pénitence ce que Dieu fera un jour dans son
jugement. Que fera-t-il ? Une recherche exacte de tonte ma vie : et telle est
la recherche que j'en dois faire moi-même en me présentant au tribunal de la
pénitence, et en m'accusant. Car si je me flatte moi-même, et si j'use de la
moindre dissimulation, ma pénitence ne peut plus être qu'une pénitence
chimérique, parce qu'elle n'est pas conforme au jugement de Dieu. En effet,
Dieu nous jugera bien avec une autre sévérité ; et si cela n'était pas, comment
son jugement serait-il si terrible?
C'est
pour cela que David demandait à Dieu, comme une grâce particulière, de ne pas
permettre que son coeur consentit jamais à ces paroles de malice, el à
ces prétextes que le démon nous suggère, pour nous servir d'excuses. Et parce
qu'il savait que le monde est plein de ces faux élus, qui, en traitant
avec Dieu, prétendent toujours avoir raison, ce saint roi ne voulait point de communication avec eux.
Qui sont ces élus du monde? Ce sont, répond saint Augustin, ces pécheurs qui
jugent toujours favorablement d'eux-mêmes, et qui ne s'imputent jamais à
eux-mêmes leurs propres péchés, et voilà ce que nous faisons.
Disons
plutôt à Dieu, comme le même prophète, en nous confessant criminels : Guérissez
mon âme, Seigneur, parce que j'ai péché contre vous. Ce n’est ni à mon
naturel, ni à mon tempérament, ni au monde, que je dois m'en prendre, mais à moi-même.
2°
L'homme dans la pénitence devient juge, non pas d'un autre, mais de lui-même.
Si nous avions à juger les autres, il ne faudrait pas nous exhorter à la
sévérité : car nous ne sommes que trop enclins à lus condamner. Mais comme nous
nous aimons nous-mêmes, la pénitence doit surmonter en nous ce fonds
d'amour-propre, et elle ne le peut faire que par une sainte rigueur. Sans cela,
à quelles illusions serons-nous sujets?
3°
Il y a appel du jugement que nous portons contre nous-mêmes; appel, dis-je, au
tribunal de Dieu; car Dieu, dans son jugement, ne jugera pas seulement nos
crimes, mais nos justices, et en particulier nos pénitences. Or que nous
servira-t-il alors de nous être tant épargnés? Que nous servira-t-il d'avoir
cherché et trouvé des ministres indulgents ? Nous nous
jugeons sévèrement, disait Tertullien, parce que nous savons qu'il y a une
justice supérieure qui nous jugera si nous ne nous jugeons pas bien nous-mêmes.
Aussi, ajoute saint Chrysostome, le juge inférieur doit toujours juger selon la
rigueur de la loi.
Sévérité
raisonnable : car en quoi consiste l'essentielle sévérité de la pénitence?
C'est à nous réduire aux bornes de la raison que Dieu nous a donnée; c'est à
nous faire combattre, retrancher et détruire dans nous ce que notre raison
condamne malgré nous. Voilà, pour user de cette expression, le raisonnable de
la pénitence : si raisonnable, que vous êtes les premiers à en convenir ; si raisonnable, que vous
seriez même scandalisés qu'on manquât à l'exiger de vous ; si raisonnable, que nulle autorité n'en peut dispenser.
Heureux
si nous goûtons cette vérité ! Heureux si, pour venger Dieu de nous-mêmes, et
pour le bien venger, nous faisons passer dans nous-mêmes toute sa colère; en
sorte que nous puissions lui dire comme David : In me transierunt
irœ tuœ !
Deuxième
partie. Sévérité de la pénitence,
sévérité douce. Quand la pénitence nous serait inutile, disait Tertullien;
quand elle serait seulement sévère sans nulle douceur, Dieu l'ordonnant, il
faudrait toujours nous y soumettre. Mais le même Tertullien a bien eu raison d’ajouter
que la pénitence était dans cette vie la félicité de l'homme pécheur ; car
j'appelle la félicité de l'homme pécheur dans cette vie, 1° ce qui produit en
lui la paix de la conscience; 2° ce qui le remplit de la joie du Saint-Esprit.
Or voilà les effets de la pénitence sévère, et il n'y a que la pénitence sévère
qui ait la vertu de les opérer.
1°
C'est la pénitence exacte et sévère qui produit la paix. Ainsi l'éprouva
Madeleine, lorsque Jésus-Christ, touché de la ferveur de sa pénitence, lui dit
: Vos péchés vous sont remis ; allez en paix. Mais comment une pénitence
sévère, qui fait en nous la fonction de la justice et de la colère de Dieu, peut-elle
nous donner la paix? C'est que par sa sévérité elle apaise Dieu ; qu'en
apaisant Dieu, elle nous remet en grâce avec Dieu ; et que nous remettant en
grâce avec Dieu, elle nous rassure contre les jugements de Dieu. Ainsi elle
fait, parce qu'elle est sévère, la fonction de la colère de Dieu, mais bien
plus efficacement que la colère de Dieu même : car la colère de Dieu toute
seule punit le péché, mais ne l'efface pas; ce qui se voit dans l'enfer : au
lieu que la pénitence fait l'un et l'autre.
2°
De cette paix intérieure naît une sainte joie : autre fruit de la sévérité de
la pénitence. Qui peut l'exprimer ? Il faut la sentir pour la connaître.
Exemple de saint Augustin.
Répondez-moi,
dit le mondain, de cette douceur de la pénitence, el je me convertirai. Vous
raisonnez mal, reprend saint Bernard. Tout ce que je vous en dirais ne ferait
nulle impression sur un cœur aussi sensuel que le vôtre. Mais commencez par vous
vaincre en faisant pénitence, et vous en sentirez la douceur. D'ailleurs,
fiez-vous aux promesses de votre Dieu ; si vous êtes généreux, il sera fidèle.
Mais
n'en voyons-nous pas qui, dans leur pénitence, ne trouvent que des sécheresses?
Je le veux; mais qui sont-ils? Ceux qui ne veulent faire qu'une fausse
pénitence, c'est-à-dire une pénitence aisée et commode ; et leur témoignage
nous apprend bien qu'il n'y a que la pénitence sévère
qui puisse avoir cette onction divine dont nous parlons.
C’est
donc un abus, quand nous faisons de la sévérité de la pénitence un obstacle à
la pénitence ; et l'artifice le plus dangereux dont se sert l'ennemi de notre
salut pour nous détourner des voies de Dieu, est de nous représenter la
pénitence sous des idées affreuses qui nous en donnent de l'horreur. Et parce
qu'il se trouve même des ministres de Jésus-Christ qui mettent tout leur zèle à
nous en faire des peintures effrayantes, qu'arrive-t-il ? Le libertin en
profite, et le faible s'en scandalise : le libertin en profite, ravi qu'on lui
exagère les choses, pour être en quelque sorte autorisé à n'en rien croire et
surtout à n'en rien faire ; et le faible s'en scandalise en se décourageant, et
en se laissant aller à un secret désespoir.
Mais
moi, mon Dieu, tandis que vous me confierez le ministère évangélique,
j'annoncerai tout à la fois à votre peuple, sans jamais les séparer, et votre
justice, et votre bonté : Misericordiam et judidum cantabo tibi. Gardant ces règles, je ne craindrai rien ; et
jusqu'en la présence des rois, je parlerai, comme David, sans confusion.
Je
conclus avec le divin Précurseur : Faites pénitence, parce que le royaume de
Dieu approche, c'est-à-dire parce que la mort vient, et qu'elle vient
bientôt. Combien touchent de près à ce dernier terme ? Si je le leur faisais
connaître, diffèreraient-ils à se convertir? Or, ce qu'ils feraient, pourquoi
ne le faisons-nous pas? Avons-nous une caution contre la mort ? Sommes-nous
certains de notre pénitence à la mort? Qui nous répond de Dieu? qui nous répond de nous-mêmes? Et tant d'exemples que nous
avons eus, et que nous avons encore devant les yeux, ne doivent-ils pas nous
faire trembler?
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Factum est verbum Domini super Joannem, Zachariœ filium, in deserto ; et venit in omnem regionem Jordanis, prœdicans baptismum pœnitentiœ in remissionem peccatorum.
Le Seigneur fit entendre sa
parole à Jean, fils de Zacharie, dans le désert ; et il alla dans tout le pays
qui est le long du Jourdain, prêchant le baptême de pénitence pour la rémission
des péchés. (Saint Luc, chap. III, 3.)
Sire,
Ce n'était pas en vertu du
baptême de saint Jean que les péchés étaient remis; mais le baptême de saint
Jean était une préparation nécessaire pour parvenir à la rémission des péchés,
et, sans la rémission des péchés, on ne pouvait participer à la rédemption de
Jésus-Christ, ni profiter de ce bienfait inestimable. C'était par la pénitence
qu'il fallait se disposer à le recevoir ; et cette pénitence, depuis
l'établissement de la loi chrétienne, est communément appelée un second baptême
; comme le baptême , suivant la doctrine des Pères,
était autrefois appelé la première pénitence.
Voilà pourquoi le divin
précurseur prêche aujourd'hui le baptême de la pénitence avec tant de zèle; et
puisque nous sommes à la veille de cette grande solennité où nous devons
célébrer nous-mêmes la naissance du Sauveur des hommes et la venue de ce Messie
que Jean-Baptiste annonçait aux Juifs, je me trouve engagé, mes chers
auditeurs, à vous faire la même prédication. Le caractère de ce baptême, je
veux dire de cette pénitence chrétienne dont j'ai à vous parler, est, selon
tous les docteurs de l'Eglise, l'esprit de sévérité. Car c'est en cela
particulièrement, dit Pacien, évêque de Barcelone,
que la pénitence est différente du premier baptême. Matière importante, et
instruction nécessaire que je vous prie de ne pas négliger. H n'est rien de
plus ordinaire, ni rien de plus étrange, que de voir le relâchement se glisser
jusque dans notre pénitence même ; et c'est ce désordre que j'attaque dans ce
discours, et que j'entreprends de corriger, après que nous aurons demandé le
secours du ciel par l'intercession de Marie. Ave Maria.
Il y a longtemps, et ce n'est pas
seulement de nos jours, qu'il s'est élevé dans le monde ,
je dis dans le monde chrétien, des contestations touchant la sévérité de la
pénitence considérée de la part des prêtres, qui sont les vicaires de
Jésus-Christ, et qui ont été établis de Dieu pour en être les ministres et les
dispensateurs. Il n'est rien de plus fameux, dans l'histoire de l'Eglise, que
le différend qui s'émut sur ce point entre les novatiens et la secte qui leur
était opposée. Les uns voulaient que l'on admît indifféremment à la pénitence
toutes sortes de pécheurs, et les autres prétendaient, au contraire
, qu'on n'y en devait recevoir aucun. Ceux-là corrompaient la pénitence
par un excès de relâchement, et ceux-ci en détruisaient tout à fait l'usage par
un excès de sévérité. L'Eglise , inspirée du
Saint-Esprit, suivant sa conduite ordinaire, prit le milieu entre ces deux
extrémités ; et, par le tempérament qu'elle y apporta en modérant la rigueur
des uns et en corrigeant la trop grande facilité des autres, elle réduisit la
pénitence, disons mieux, l'administration du sacrement de la pénitence, aux
justes bornes où le souverain prêtre Jésus-Christ avait prétendu la renfermer.
Or cette importante question,
tant agitée alors, s'est ensuite renouvelée presque dans tous les siècles, et
nous l'avons vue se réveiller dans le nôtre, non pas avec le même éclat, ni
avec des suites si funestes, à Dieu ne plaise ! mais
toujours avec le même partage de sentiments et la même diversité de conduite.
Ceux-là ont pris le parti de la sévérité, mais d'une sévérité sans mesure ; et
ceux-ci le parti de la douceur, mais d'une douceur quelquefois dangereuse , soit pour le ministre de la pénitence, soit
pour le pécheur pénitent.
Je n'ai garde, Chrétiens, de
m'engager aujourd'hui dans cette controverse, ni d'entreprendre de décider un
point qui ne vous regarde pas directement, et qui ne peut servir à votre
édification. Car il vous serait bien inutile de savoir comment et par quelles
règles les prêtres doivent administrer la pénitence, pendant que vous ignorez
de quelle manière vous devez vous-mêmes la pratiquer : et d'ailleurs,
l'expérience nous apprend assez que ces sortes de matières, traitées dans la
chaire, et par là soumises au jugement du public, n'ont point d'autre effet que
de diviser les esprits, et de faire que les peuples, qui doivent être jugés par
les prêtres dans le saint tribunal, deviennent eux-mêmes les juges des prêtres;
car voilà souvent où tout aboutit.
Tel s'inquiète de ce que les prêtres ne font pas leur devoir
dans le sacrement de la pénitence, qui se met très-peu
en peine d'y faire le sien ; tel accuse les prêtres de faiblesse et de
corruption dans leur morale, qui n'accomplit pas même ce que lui impose la
morale la moins étroite. On voudrait en général des prêtres sévères et zélés,
tandis qu'en particulier on n'a pas le moindre zèle, ni la moindre sévérité
pour soi-même. Cependant, Chrétiens, c'est surtout dans le
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pécheur que doit être la sévérité
de la pénitence, puisque c'est dans le pécheur qu'est le désordre du péché. Si
les prêtres doivent avoir de la sévérité, ce n'est que pour suppléer à celle
qui nous manque. Car que peut servir toute la sévérité des prêtres, quelque
pure et quelque sainte qu'elle soit, si elle n'est pas précédée ou du moins
accompagnée de la nôtre?
Ne parlons donc point de la
sévérité de la pénitence par rapport aux ministres que Dieu a choisis, et qu'il a revêtus de son pouvoir, pour être dans
le sacré tribunal comme ses lieutenants et les défenseurs de ses intérêts. S'il
y a dans l'exercice de leur ministère quelque abus à réformer, laissons-en le
soin aux prélats et à ceux qui ont autorité dans l'Eglise.
Mais nous, ne pensons qu'à
nous-mêmes, puisque nous ne devons répondre que de nous-mêmes. Or je dis que le
grand principe qui doit animer et régler notre pénitence, c'est la sévérité ;
sévérité nécessaire, et sévérité douce. Appliquez-vous, et concevez mon
dessein. Je prétends que la pénitence, prise par rapport à nous, doit être
sévère : c'est de quoi il faut convaincre vos esprits, et ce que je ferai dans
le premier point. Mais parce que cette sévérité paraît rebuter vos cœurs,
j'ajoute que plus notre pénitence est sévère, plus dans sa sévérité même elle
devient douce : je vous le montrerai dans le second point. Nécessité d'une
pénitence sévère, douceur d'une pénitence sévère : c'est tout le sujet de votre
attention.
PREMIÈRE PARTIE.
Quelque relâchement que le péché
ait introduit dans le christianisme, il est aisé de comprendre, pour peu que
l'on connaisse la nature de la pénitence, qu'elle doit être sévère de la part
du pécheur; et la raison qu'en apporte saint Augustin est convaincante. Car,
dit ce Père, qu'est-ce que la Pénitence? c'est un
jugement, mais un jugement dont la forme a quelque chose de bien particulier.
Et en effet, si vous me demandez quel est celui qui préside en qualité de juge,
je vous réponds que c'est celui qui y paraît en qualité de criminel ; je veux
dire, le pécheur même : Ascendit homo adversum se tribunal mentis suae
(1) ; l'homme s'érige un tribunal dans son propre cœur ; il se cite devant
soi-même, il se fait l'accusateur de soi-même, il rend des témoignages contre
soi-même, et enfin, animé d'un zèle de justice, il prononce lui-même son arrêt.
Voilà
la véritable et parfaite idée de la
pénitence chrétienne.
Mais, me direz-vous, saint
Augustin, parlant ailleurs du jugement de Dieu, dit qu'il n'appartient qu'à
Dieu d'être juge dans sa propre cause. Il est vrai,
Chrétiens, il n'appartient qu'à lui de l'être d'une
manière indépendante, de l'être avec un pouvoir absolu, de l'être
souverainement et sans appel. Or, l'homme, en se jugeant lui-même par la
pénitence, est bien éloigné d'avoir ce caractère de juridiction : il se juge,
mais en qualité seulement de délégué, et comme tenant la place de Dieu; il se
juge, mais en vertu seulement de la commission que Dieu lui en a donnée ; il se
juge, mais avec toute la dépendance d'un juge inférieur à l'égard d'un juge
souverain. Différences bien essentielles, et qui servent à établir la vérité
que je vous prêche : savoir, que notre pénitence doit être exacte et
rigoureuse. Car, écoutez trois raisonnements que je forme de ce principe.
L'homme dans la pénitence fait l'office de Dieu en se jugeant lui-même ; il
doit donc se juger dans la rigueur. L'homme dans la pénitence devient juge, non
pas d'un autre, mais de soi-même ; il doit donc dans ses jugements prendre le
parti de la sévérité. Du jugement que l'homme fait de lui-même dans la
pénitence, il y a appel à un autre jugement supérieur, qui est celui de Dieu :
il doit donc y procéder avec une équité inflexible. Développons ces trois
pensées, et suivez-moi.
Je le dis, Chrétiens, et il est vrai; l'homme pécheur tient
la place de Dieu quand il se juge lui-même par la pénitence, et c'est ce que Tertullien nous déclare en termes formels. La pénitence,
dit-il, est une vertu qui doit faire en nous la fonction de la justice de Dieu,
et de la colère de Dieu ; de la justice de Dieu pour nous condamner, et de la
colère de Dieu pour nous punir : car c'est là le sens de ces admirables paroles
: Pœnitentia Dei indignatione
fungitur (1) : une vertu qui doit prendre contre
nous les intérêts de Dieu, qui doit réparer en nous les injures faites à Dieu;
qui, aux dépens de nos personnes, doit
venger et apaiser Dieu; qui, à mesure que nous sommes plus ou moins coupables,
doit nous faire plus ou moins sentir l'indignation et la haine de Dieu : je dis
cette haine parfaite qu'il a du péché, et cette sainte indignation qu'il ne
peut s'empêcher, parce qu'il est Dieu,
de concevoir contre le pécheur. Si la pénitence est conforme à la droite
raison, c'est-à-dire si elle est ce qu'elle doit être, en
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voilà le vrai caractère. Or je vous
demande, ce caractère peut-il lui convenir, à moins qu'elle ne penche vers la
rigueur, et qu'elle ne nous inspire contre nous-mêmes ce zèle de sévérité qui
lui est si propre?
A parler simplement et dans les
termes les plus éloignés de l'amplification, à quoi, dans le sujet que je
traite,, je fais profession de renoncer, dites-moi, Chrétiens, une lâche et molle pénitence
a-t-elle quelque chose qui ressemble à
cette indignation de Dieu? Entre la pénitence d'un homme mondain et la justice
de Dieu vindicative, y a-t-il quelque proportion ; ou plutôt, dans l'énorme et
monstrueuse opposition qui se trouve entre l'extrême sévérité de celle-ci et
les honteux relâchements de celle-là, l'une peut-elle être substituée à
l'autre, et, s'il m'est permis de m’exprimer de la sorte, devenir l'équivalent
de l'autre? Ah ! mes chers auditeurs, oserions-nous le
dire? oserions-nous même le penser? Il s'ensuit donc
que notre pénitence alors, non-seulement n'est point
dans ce degré de perfection qui en pourrait relever infiniment le mérite et la
gloire devant Dieu, mais qu'à la bien examiner dans ses principes et selon
l'exacte mesure qu'elle doit avoir, elle n'est pas même absolument recevable :
pourquoi ? parce qu'elle n'a nulle conformité à son
souverain modèle, et que la règle de Tertullien ne peut lui être appliquée ; Pœnitentia Dei indignatione
fungitur. Quand je ne consulterais que le bon
sens, c'est ainsi que je conclurais.
Approfondissons cette pensée; et
puisque la fin de la vraie pénitence doit être de condamner et de punir le
péché, imaginons-nous, mes Frères, reprend saint Augustin, que Dieu a fait un
pacte avec nous, et qu'il nous a dit : Il faut, ou que vous vous jugiez
vous-mêmes, ou que malgré vous-mêmes vous soyez jugés ; que vous vous jugiez
vous-mêmes dans cette vie, ou que malgré vous vous soyez jugés à la mort. Je
vous en laisse le choix. Il est impossible que vous évitiez l'un et l'autre,
parce que tout péché attire un jugement après soi ; mais l'un ou l'autre me
suffira, et je m'en tiendrai également satisfait. Il dépend donc maintenant de
vous, ou d'être jugés par moi, ou de ne l'être pas.
Car si vous vous jugez vous-mêmes par la pénitence, dès là vous n'êtes plus
responsables à ma justice, et, tout pécheurs que vous êtes, ma justice n'a plus
d'action contre vous. Au
contraire, si vous ne vous jugez pas, ou si vous vous jugez mal, le droit que
j'ai de vous juger subsiste nécessairement, et comme Dieu, je suis obligé par
le devoir de ma providence à le maintenir dans toute son étendue. C'est ainsi
que Dieu nous parle ; et en quel endroit de l'Ecriture nous propose-t-il une
telle condition? dans tous les livres des prophètes,
mais plus expressément dans cet excellent passage de l'Epître aux Corinthiens
où saint Paul, instruisant les premiers fidèles, leur donnait cet important
avis : Quod si nosmetipsos dijudicaremus,
non utique judicaremur
(1) : sachez, mes Frères, que si nous voulions bien nous juger nous-mêmes, nous
ne serions jamais jugés de Dieu. C'est pour cela que les Pères de l'Eglise ont
si hautement exalté le mérite de la pénitence, en disant qu'elle a le pouvoir
de nous affranchir en quelque sorte de la juridiction de Dieu. Ah ! s'écriait saint Bernard, que ce jugement que je fais de
moi-même m'est avantageux , puisqu'il me soustrait au jugement de mon Dieu, qui
est si terrible ! Quam bonum
pœnitentiœ judicium quod districto Deijudicio me subdicit (2) ! Oui, ajoutait cet homme de Dieu,
je veux, quoique pécheur, quoique
chargé d'iniquités, me présenter devant ce formidable juge, mais je veux m'y
présenter déjà tout jugé, afin qu'il ne trouve plus rien à juger en moi, parce
que je sais bien, et qu'il m'a lui-même assuré qu'il ne jugera jamais ce qui aura
une fois été jugé : Volo
vultui irœ judicatus prœsentari, non judicandus quia bis non judicat
in idipsum (3).
Or, cela supposé, Chrétiens,
n'ai-je pas raison de dire que la sévérité du pécheur envers lui-même est une
qualité essentielle à la pénitence ? Car que fais-je, poursuit saint Bernard
(et voici ce que chacun de nous doit s'appliquer pour se mettre dans les
dispositions que demande la solennité prochaine) : que fais-je, soit lorsque je
me présente devant Dieu au tribunal de la pénitence, soit lorsque je pratique
cette sainte vertu dans le secret de mon âme ? Je fais ou je dois vouloir faire
ce que Dieu fera un jour, quand il me jugera : et que fera-t-il alors? Un
jugement sévère de ma vie, qui ne pourra être ni obscurci par l'erreur, ni
affaibli par la passion, ni corrompu par l'intérêt. Un jugement où Dieu , pour être irréprochable dans ses arrêts, emploiera
toute la pénétration de son entendement divin, et toute l'intégrité de sa
volonté adorable : Ut vincas cum judicaris (4). En un mot, un jugement où Dieu, malgré
moi-même, découvrira toute mon iniquité et ne me fera nulle grâce ; car il est
de la foi qu'il me jugera ainsi. Il faut donc, si je veux prendre l'esprit de
pénitence, que je fasse
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quelque chose de semblable. Et
puisque voici le temps où je dois entrer en jugement avec moi-même pour me
préparer à la naissance de mon Sauveur, il faut, autant qu'il m'est possible,
que j'imite les procédures de la justice de Dieu contre moi-même, c'est-à-dire
que je commence dès aujourd'hui à bien connaître l'état de mon âme, à en
développer les plis et les replis les plus cachés, à sonder la profondeur de
mes plaies ; que je considère cet examen comme devant être pour moi un
supplément île celui «le Dieu, et, par conséquent, comme l'affaire de ma vie la
plus importante, et relie qui exige île moi une attention plus sérieuse ; que
pour cela je ramasse toutes les lumières de mon esprit, afin de méjuger, s'il
se peut, aussi parfaitement que Dieu méjugera, afin de discerner mes fautes
aussi exactement el avec la même équité qu'il les discernera, afin d'exercer
sur moi la même censure qu'il exercera ; que pour faire cette action dignement,
je sois résolu de n'y consulter ni mon amour-propre, ni la prudence de la
chair, ni la politique du monde, ni l'exemple, ni la coutume, ni les idées du
siècle, ni mes préjugés, mais d'y écouter ma seule conscience, la foi seule, la
religion seule : que je prenne la balance en main, non pas celle des enfants
des hommes, qui est une balance trompeuse : Mendaces
filii hominum in stateris (1), mais la balance du sanctuaire, où je dois
être pesé, aussi bien que l'infortuné roi de Babylone.
Car si j'y procède autrement,
c'est-à-dire si, jusque dans le sacré tribunal, je me flatte moi-même, si j'use
de dissimulation avec moi-même, si je suis d'intelligence avec ma passion, si
je me prévaux contre Dieu de ma fragilité, si je qualifie mes péchés de la
manière qu'il me plaît, adoucissant les uns, déguisant les autres, donnant à
ceux-ci l'apparence d'une droite intention , couvrant ceux-là du prétexte d'une
malheureuse nécessité ; si je décide toujours en ma faveur, si, dans les doutes
qui naissent sur certaines injustices que je commets, et qui attirent après
elles des obligations onéreuses, je conclus dans tous mes raisonnements à ma
décharge, en sorte que, quelque injure ou quelque dommage qu'ait reçu de moi le
prochain, je ne me trouve jamais obligé, selon mes principes, à nulle réparation
; enfin si, pour ne me pas engager dans une discussion et une recherche qui me
causerait un trouble fâcheux, mais un trouble salutaire, mais un trouble
nécessaire, je me contente d'une revue
précipitée, et, pour user de cette
manière de parler, j'étourdis les difficultés de ma conscience, plutôt que je
ne les éclaircis ; si c'est ainsi que je me comporte, ah ! ma
pénitence n'est plus qu'une pénitence chimérique et réprouvée de Dieu :
pourquoi ? parce qu'elle n'est pas, comme elle le doit
être, conforme au jugement de Dieu. Dieu et moi, nous avons deux poids, deux
mesures différentes; et c'est ce que l'Ecriture appelle iniquité et
abomination.
En effet, Chrétiens, Dieu nous
jugera bien autrement : cette lâche et molle procédure que nous observons à
notre égard dans la pénitence, n'est point celle que Dieu suivra dans son
jugement : si cela était, en vain voudrait-on nous le faire craindre, en vain
aurait-il fait aux Saints et ferait-il encore aux âmes vertueuses tant de
frayeur. Car s'il pouvait s'accorder avec tous nos ménagements
, avec tous nos déguisements, avec tous nos adoucissements, qu'aurait-il
alors de si terrible, et comment serait-il vrai que les jugements de Dieu sont
si éloignés de ceux des hommes ? Mais la foi m'empêche bien de me flatter d'une
si vaine espérance. Car elle me représente sans cesse ces deux vérités
essentielles, que le jugement de Dieu est infiniment rigoureux, et que le
jugement de Dieu doit être le modèle et la règle de ma pénitence : d'où elle me
fait conclure malgré moi que ma pénitence est donc fausse et imaginaire, si
elle n'est accompagnée de cet esprit de zèle et de rigueur avec lequel je dois
me juger moi-même et me condamner.
Et voilà, mes chers auditeurs, ce
qui faisait faire à David cette prière si sensée, lorsqu'il demandait à Dieu,
comme une grâce particulière, de ne permettre pas que jamais son cœur consentît
à ces paroles de malice, c'est-à-dire à ces prétextes que le démon nous suggère
pour notre propre justification, et pour nous servir d'excuse dans nos péchés :
Ne declines cor meum in
verba malitiae, ad excusandas
excusationes in peccatis
(1). Et parce que l'expérience lui avait appris que la plupart des hommes
donnent dans ce piège, et que le monde est plein de ces faux élus (car c'est
ainsi qu'il les appelait), qui, en traitant même avec Dieu ,
ont toujours raison, ou prétendent toujours l'avoir, ce saint roi protestait à
Dieu qu'il ne voulait point de communication ni de société avec eux: Cum hominibus operantibus iniquitatem, et non communicabo
cum electis eorum (2).
Mais qui sont ces élus du siècle,
demande
62
saint Augustin , expliquant ce
passage du psaume: Qui sunt isti
electi sœculi (1) ? Ce
sont, répond ce Père, certains esprits prévenus, aussi bien que le pharisien,
d'un orgueil secret, qui, ne se connaissant pas, jugent toujours favorablement
d'eux-mêmes et se tiennent sûrs de leur probité ; qui ne se délient ni de leurs
erreurs ni de leurs faiblesses ; qui de leurs vices se font des vertus ; qui, séduits
par leurs passions, prennent la vengeance pour un acte de justice, la médisance
pour zèle de la vérité, l'ambition pour attachement à leur devoir; qui
s'avouent bien en général les plus grands pécheurs du monde, mais ne
conviennent jamais en particulier d'avoir manqué; en un mot, qui se justifient
sans cesse devant Dieu, et se croient irrépréhensibles devant les hommes. Car
c'est l'idée que nous en donne saint Augustin, par où il nous fait entendre que
de tout temps il y a eu des esprits de ce caractère ; élus du siècle qui,
cherchant à autoriser leurs désordres, dès là n'ont nulle disposition à s'en
repentir, beaucoup moins à y renoncer, en quoi néanmoins consiste la pénitence.
L'un, ajoutait le même docteur, impute aux astres le dérèglement de sa vie,
comme si la constellation de Mars était la cause de ses violences
, ou celle de Vénus de ses débauches : Venus in me adulterium fecis,sed non ego (2). L'autre, imbu de l'erreur des
manichéens, soutient que ce n'est pas lui qui pèche, mais la nation des
ténèbres qui pèche en lui : Non ego peccavi, sedgens tenebrarum (3). Tel
était alors le langage des hérétiques, qui, comme remarque saint Augustin,
n'allait qu'à fomenter la présomption et l'impénitence de l'homme, et à rendre
Dieu même auteur du péché ; et tel est encore aujourd'hui ,
quoique sous d'autres expressions et sous des termes plus simples, le langage
des mondains : j'entends de ces mondains si indulgents pour eux-mêmes, et si
lâches dans la pratique et l'usage de la pénitence.
Car, dites-moi, Chrétiens, quand
un pécheur, aux pieds du ministre de Jésus-Christ, confesse qu'à la vérité il
est sujet à tel désordre, mais que ce désordre est un faible qui mérite plus de
compassion que de blâme, que c'est l'effet d'un tempérament, d'une complexion
qui prédomine en lui et dont il n'est pas le maître; quand il parle de la
sorte, ne tombe-t-il pas dans le sentiment de ceux qui s'en prenaient à la
fatalité de leur étoile, et qui disaient : Venus in me adulterium
fecit, sed non ego ? Et
quand un autre, pour se disculper de ses
crimes, reconnaît d'abord qu'il les
a commis, mais, du reste, ajoute que dans le monde il y a une certaine
corruption dont on ne peut se préserver, que c'est le malheur du monde, et
qu'il faudrait n'être pas du monde pour en être exempt, qu'est-ce que le monde
dans sa pensée , sinon la nation des ténèbres dont parlait le manichéen ? Non
ego peccavi, sed gens tenebrarum. Voilà les prétendues défenses des élus du
siècle : Defensiones istœ
sunt electorum sœculi (1). Défenses, encore une fois, aussi
injurieuses à la sainteté de Dieu , qu'elles sont
propres à entretenir le libertinage de l'homme.
Ah ! mes
Frères, concluait saint Augustin, jugeons-nous plutôt dans la rigueur de la
pénitence, et par là nous glorifierons Dieu en nous condamnant nous-mêmes.
Disons à Dieu comme David, dans l'esprit d'une humilité sincère: Guérissez mon
âme, Seigneur, parce que j'ai péché contre vous : Sana animam
meam, quia tibi peccavi (2). Oui, j'ai péché, et ce n'est ni mon
naturel ni mon tempérament que j'en accuse; il ne tenait qu'à moi de le régler,
et je savais assez quand je voulais, les tenir dans l'ordre : cette passion qui
m'a dominé au préjudice de votre loi, n'a jamais eu sur moi d'empire au
préjudice de mes intérêts. Elle était souple et soumise à ma raison quand j'en
craignais les conséquences devant les hommes, et elle n'avait ni emportements
ni saillies que je ne réprimasse quand je croyais qu'il y allait de ma
réputation ou de ma fortune. J'ai péché contre vous : Peccavi
tibi; et j'aurais tort de m'en prendre au monde,
car le monde tout pernicieux qu'il est, n'a eu d'ascendant sur moi qu'autant
qu'il m'a plu de lui en donner. Et en effet, cent fois, pour me satisfaire
moi-même, je l'ai méprisé ; cent fois, par vanité et par caprice, je me suis
affranchi de son empire, et je me suis mis au-dessus de ses coutumes et de ses
lois. Si je vous avais aimé, ô mon Dieu, autant que j'aimais une gloire
mondaine, autant que j'aimai s des biens périssables, autant que j'aimais la
vie, le monde, avec toute sa malignité, ne m'aurait jamais perverti. Je ne
serais donc pas de bonne foi, si je prétendais par là justifier mon infidélité.
Voyez-vous, pécheur, dit saint Augustin, comment vous honorez votre Dieu à
mesure que vous vous faites justice, et une justice sévère en vous resserrant
dans les bornes étroites de la pénitence ? Vides quomodo sic pateat laus Dei, in qua augustiabaris, cum te velles
defendere (3).
63
Mais est-il rien de plus naturel
que de se l'aire grâce à soi-même? et puisque dans la
pénitence, où je liens la place de Dieu, je deviens moi-même mon juge, qu'y
a-t-il de plus pardonnable que de ne pas agir contre moi avec toute la rigueur de
la justice? Ah! Chrétiens, je l'avoue, il n'est rien de plus naturel que de
s'épargner soi-même. Mais c'est justement de là que je tire une seconde raison,
pour nous convaincre que la pénitence doit être sévère de notre part; je dis
parce que nous avons tant de penchant, et que nous sommes si fortement portés à
nous aimer nous-mêmes et à nous ménager; car il faut que la pénitence surmonte
en nous ce fonds d'amour-propre ; et elle ne le peut faire que par une sainte
ligueur. En effet, s'il était question de juger les autres et de prononcer sur
les actions du prochain, je n'aurais garde de tous exhorter à la sévérité; je
sais qu'alors nous ne sommes que trop exacts et trop enclins à censurer et à
condamner ; mais quand il s'agit de nous-mêmes, dont nous sommes idolâtres et
pour qui nous avons, non pas seulement des tendresses, mais des délicatesses
infinies, quel parti plus raisonnable et plus sûr puis-je vous proposer, que
celui d'une rigueur sage , mais inflexible?
N'avez-vous pas éprouvé cent fois
que les injures les plus légères nous paraissent des outrages îles qu'elles
s'adressent à nous, et qu'au contraire les outrages les plus réels, quelquefois
même les plus sanglants, s'anéantissent, pour ainsi dire, dans notre estime, et
se réduisent a rien quand ils ne touchent que les autres. Qui fait cela, sinon
cet amour de nous-mêmes, qui nous aveugle dans nos jugements? et le moyen de le combattre, que par une pénitence
rigoureuse? Hélas! mes Frères, nous savons si bien
colorer nos défauts, nous sommes si adroits à les couvrir et à les excuser! ce que Dieu, ce que les bommes condamnent en nous, c'est
souvent ce qui nous y plaît davantage , et de quoi nous nous applaudissons. Que
sera-ce donc de notre pénitence, si nous ne corrigeons pas cet instinct de la
nature corrompue par une règle plus droite, quoique moins commode? A quelles
illusions serons-nous sujets? combien de péchés
laisserons-nous impunis? combien d'autres ne
condamnerons-nous qu'à demi? Défions-nous de nous-mêmes; ne nous écoutons
jamais nous-mêmes. Avec une telle précaution, nous ne serons encore que trop
exposés aux pièges et aux artifices de cet amour-propre qui se glisse partout,
et dont nous ayons tant de peine à nous défendre.
Mais la grande et dernière
raison, mes chers auditeurs, celle qui nous engage plus indispensablement à la
sévérité de la pénitence, et qui demanderait seule un discours entier, c'est
que le jugement que nous portons contre nous-mêmes n'est point un jugement
souverain , ni définitif, mais un jugement subordonné, un jugement dont il y a
appel : appel, dis-je, au tribunal de Dieu ; un jugement dont les nullités et
les abus doivent servir de matière à un autre jugement supérieur que nous ne
pouvons éviter. Car c'est là, Chrétiens, c'est à ce redoutable tribunal où nous
comparaîtrons tous, que nous devons être jugés en dernier ressort ; c'est là
que notre Dieu, qui, par sa prééminence et par sa grandeur, est le juge de tous
les jugements, réformera un jour les nôtres : Cum accepero
tempus, ego justitias judicabo (1). A quoi surtout s'attachera-t-il dans ce
dernier jugement, et quelle sera sa principale occupation ? sera-ce
de juger nos crimes? Non, répond saint Chrysostome ; mais sa première fonction,
celle qui marquera davantage la supériorité de son être et sa suprême puissance,
sera de juger les jugements que nous aurons rendus contre nos crimes, de
rechercher les accusations que nous en aurons faites, de condamner, pour ainsi
dire, nos condamnations, de nous punir de nos punitions, en un mot, de nous
faire repentir de nos repentirs mêmes : car voilà proprement le sens de cette parole , Ego justitias judicabo. Nous nous croyons à
couvert et en sûreté sous le voile de ces prétendues pénitences ; mais ce voile
n'aura caché que notre confusion et notre honte. Nous regardons ces confessions
de nos péchés, suivies de quelques satisfactions légères qu'on nous a imposées,
comme autant de justices envers Dieu ; mais Dieu nous fera voir que souvent
ç'ont été d'énormes injustices; et c'est de ces fausses justices, ou plutôt de
ces injustices véritables, qu'il nous demandera compte.
Ah! Chrétiens, que nous servira
de nous être tant flattés et tant épargnés? que nous
servira d'avoir trouvé et peut-être cherché dans les ministres de Jésus-Christ
des hommes indulgents et faciles? De dispensateurs qu'ils étaient des mystères
de Dieu, que nous servira d'en avoir fait les
complices de notre lâcheté? Les condescendances qu'ils auront eues pour nous,
ces grâces précipitées que nous en aurons obtenues, de quel usage nous
seront-elles? Dieu les ratifiera-t-il? ce qu'ils
auront délié sur la terre, en relâchant ainsi les droits de Dieu,
64
sera-t-il délié dans le ciel? le pouvoir des clefs, qui leur a été donné, va-t-il
jusque-là? Non, non, dit l'ange de l'école, saint Thomas, le tribunal de la
pénitence où ils président est bien, dans un sens , le tribunal de la
miséricorde , mais le tribunal de la miséricorde de Dieu, et non de leur
miséricorde ni de la nôtre ; moins encore de la nôtre. Car si, par un défaut de
zèle, leur miséricorde vient à s'y mêler, ou si, par un aveuglement d'esprit,
nous y faisons entrer la nôtre (je le répète, Chrétiens, et malheur à moi si je
ne vous en avertissais pas, comme dit l'Apôtre, à temps et à contre-temps), de ce tribunal de la miséricorde de Dieu,
nous devons passer au tribunal de la justice, mais d'une justice sans
miséricorde. Voilà le fondement que vous devez poser, fondement sur lequel les
premiers fidèles appuyaient cette sévérité de discipline qui s'observait parmi
eux. Apud nos, disaient-ils, au rapport
de Tertullien, districte judicatur, tanquam apud certos de divino judicio (1) : nous nous jugeons exactement et
sévèrement, parce que nous savons qu'il y a une justice rigoureuse qui nous
attend, et que nous avons toujours en vue. Aussi, ajoute saint Chrysostome, le
juge inférieur et subalterne doit toujours juger selon la rigueur de la loi :
il n'appartient qu'au souverain de pardonner, et le seul moyen d'obtenir grâce,
est de ne se l'accorder pas.
Sévérité raisonnable : car il ne
faudrait ici, Chrétiens, que notre seule raison pour nous convaincre. Si ces
heureux siècles de la première ferveur du christianisme duraient encore, où un
seul péché, de la nature même de ceux que notre relâchement a rendus si
communs, était expié par les exercices les plus laborieux et tout ensemble les
plus humiliants d'une pénitence de plusieurs années, peut-être nous pourrait-il
venir dans l'esprit qu'une telle sévérité passerait les bornes, et ce serait à
moi, comme défenseur des intérêts de Dieu, à la justifier ; ce serait à moi à
vous faire entendre que, bien loin qu'il y eût de l'excès dans cette sévérité
évangélique, les premiers chrétiens étaient au contraire fortement persuadés
que les droits de Dieu, qu'il s'agit de réparer dans la pénitence, vont encore bien
au delà ; que jamais l'Eglise n'a suivi des règles plus sages, et que si dans
les derniers temps notre extrême délicatesse l'a forcée en quelque sorte à les
mitiger, c'est ce qui relève ces règles mêmes ; je veux dire, d'avoir été, dans
leur institution, aussi raisonnables que nous avons depuis cessé de l'être,
Mais nous n'en sommes plus là,
mes chers auditeurs, et je n'ai plus besoin ni de la docilité de votre foi, ni
de votre soumission à la conduite de l'Eglise, pour vous faire approuver ce
qu'il y a de plus sévère dans la pénitence. Encore une fois, elle n'a plus rien
de sévère que ce que votre raison même vous prescrit; ou, pour parler plus
juste, ce qu'elle a désormais de plus sévère, c'est ce que votre raison même
vous prescrit.
Oui, mes Frères, en quoi consiste
et a toujours consisté son essentielle sévérité, c'est de nous réduire aux
bornes étroites de la raison , que Dieu nous a donnée ; et quand nous en sommes
sortis, de nous y faire rentrer, en nous obligeant à être raisonnables contre
nous-mêmes et aux dépens de nous-mêmes, car c'est là ce qui nous coûte, et ce
que nous trouvons de plus difficile dans la pénitence ; de nous interdire tout
ce que notre propre raison nous fait connaître, ou péché ou cause du péché ;
d'arracher de nos cœurs des affections que nous jugeons nous-mêmes criminelles
et source du péché ; de renoncer à mille choses agréables, mais que nous savons
être pour nous des engagements au péché ; de nous assujettir de bonne foi à
tout ce que nous reconnaissons être des préservatifs nécessaires contre le
péché; de réparer par des œuvres toutes contraires les malheureux effets du
péché. C'est ce que je pourrai traiter avec plus d'étendue
une autre fois, et c'est en quoi, dis-je, la pénitence nous paraît sévère. Hors
de là, on se soumettrait à tout le reste ; et pourvu qu'on en fût quitte pour
ce qui était ordonné par les anciens canons, on consentirait sans peine qu'ils
fussent renouvelés, on jeûnerait, on se couvrirait du cilice et de la cendre,
on se prosternerait aux pieds des prêtres : mais d'étouffer une vengeance dans
son cœur, mais de pardonner une injure, mais de rendre un bien mal acquis, mais
de rétablir l'honneur flétri par une médisance, mais de sacrifier à son devoir
une passion tendre, mais de rompre un commerce dangereux et de se détacher de
ce qu'on aime, voilà ce qui révolte la nature, et ce qui désole le pécheur ;
voilà ce qu'on a tant de peine à obtenir de lui, et ce qu'on en obtient si
rarement ; voilà sur quoi vous vous défendez tous les jours contre les
ministres de Jésus-Christ, sur quoi votre résistance énerve si souvent leur
zèle, ou le rend inutile.
Cependant voilà ce que j'appelle
(souffrez cette expression), et ce qui est en effet le raisonnable de la
pénitence : si raisonnable, que vous êtes
65
les premiers à convenir qu'on ne
peut pas se dispenser de l'exiger de vous ; si raisonnable, que vous seriez
vous-mêmes scandalisés si l'on ne l'exigeait pas. Le reste était d'institution
humaine, mais ce raisonnable est de droit naturel et divin; le reste a pu
changer, mais ce raisonnable subsistera toujours , et
est en quelque manière aussi immuable que Dieu; le reste dépendait de l'Eglise,
mais ni l'Eglise, ni ses ministres, ne peuvent rien sur ce raisonnable : et il
n'y a point d'autorité sur la terre, il n'y en a point dans le ciel, qui puisse
nous décharger de l'obligation où nous sommes de L'accomplir.
Heureux si nous goûtons
aujourd'hui cette vérité! heureux si, suivant les lumières de celle droite
raison, à laquelle, malgré nous, nous sommes soumis, nous embrassons la
pénitence dans toute la sévérité de ses devoirs; si, pour venger Dieu de
nous-mêmes et pour le bien venger, nous faisons passer dans nous-mêmes toute la
colère de Dieu! en sorte que nous puissions lui dire
comme David : In me transierunt irœ tuœ (1) : Seigneur, il
s'est fait un transport admirable, et comme une transfusion bien surprenante :
du moment que j'ai couru la grièveté de mon péché, et que je l'ai détesté par
la pénitence, toute votre colère a liasse de votre cœur dans le mien : In me
transierunt irœ tuœ. Je dis votre colère, Seigneur, car il nie fallait
la vôtre, et il n'y avait que la colère d'un Dieu aussi grand que vous qui pût
détruire un mal aussi grand que le péché. La mienne aurait été trop faible,
mais la vôtre a toute la force et toute la vertu nécessaire. C'est pour cela
que vous l'avez toute répandue dans mon âme, parce que mon péché la méritait
tout entière. Une partie n'aurait pas suffi, mais il me la fallait dans toute
sa plénitude, pour pouvoir haïr et punir l'excès de mes désordres : In me transierunt irœ tuœ. Au reste, mon Dieu, c'est en cela même que je
reconnais votre miséricorde; je dis, en ce que vous avez fait sortir votre
colère de votre cœur pour la faire entrer dans le mien : car si elle était demeurée
dans vous, à quoi ne vous aurait-elle pas porté contre moi ? au
lieu que passant dans moi, elle s'y est, pour ainsi dire, humanisée. Encore,
Seigneur, n'avez-vous pas voulu qu'elle passât immédiatement de vous dans moi.
Sortant de votre sein, elle aurait été trop ardente et trop allumée, et je
n'aurais pu la supporter : mais, pour la tempérer, vous l'avez fait passer
premièrement dans le cœur de votre Fils, où
elle a presque amorti tout son feu
, par les saintes et innocentes cruautés qu'elle a exercées sur lui. Et parce
que le cœur de votre Fils est la source de toutes les grâces, c'est là, c'est
dans ce centre de la sainteté et de la miséricorde qu'elle a pris une vertu
salutaire pour nie sanctifier : c'est ainsi, mon Dieu, qu'elle est venue en moi
; c'est ainsi que je l'ai reçue, et que je la veux conserver : In me transierunt irœ tuœ. Elle rendra ma pénitence sévère, et, par un
heureux retour, plus ma pénitence sera sévère, plus elle me deviendra douce.
C'est le sujet de la seconde partie.
DEUXIÈME PARTIE.
Tertullien, parlant de la
pénitence, a dit une chose bien glorieuse d'une part à Dieu, mais de l'autre
bien capable de rabattre la présomption et l'orgueil de l'homme. De quoi
s'agit-il, mon frère ? (c'est ainsi qu'il s'adresse à
un pécheur), vous êtes en peine de savoir si votre pénitence vous sera utile,
ou non, devant Dieu. Qu'importe ? Dieu vous commande de la faire : n'est-ce pas
assez pour vous obliger à lui obéir? Quand il n'y aurait que le seul respect dû
à son autorité, elle mérite bien que vous y ayez égard préférablement à votre
utilité : Bonum tibi
est pœnitere : an non, quid revolvis
? Deus imperat ; prior est auctoritas imperantis, quam utilitas servietitis
(1). Or ce que ce Père disait en général de la pénitence, je pourrais le dire
en particulier de la sévérité de la pénitence. Quand cette sévérité n'aurait
rien que de rebutant pour nous, et qu'elle serait telle que notre amour-propre
et l'esprit du monde nous la figurent, Dieu l'ordonnant, il n'y aurait point d'autre
parti à prendre que celui d'une généreuse soumission, et il serait juste que
notre délicatesse cédât à la nécessité et à la force du précepte : Prior est
auctoritas imperantis, quam utilitas servientis.
Mais Dieu, Chrétiens, n'en veut
pas user si absolument et si souverainement avec nous, et, par une
condescendance digne de sa grandeur, il sait si bien tempérer les choses, que non-seulement le poids ne nous accable pas, mais qu'il nous
devient même léger ; et s'il veut que nous nous condamnions à toutes les
rigueurs de la pénitence, il prend soin en même temps que nous y trouvions
toute l'onction qui nous la peut adoucir.
Le même Tertullien ne se trompait
donc pas ; et quoiqu'il ait eu du reste sur le sujet de la pénitence des
sentiments outrés, il a parlé juste
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quand il a dit ailleurs que la
pénitence était la félicité et la béatitude de l'homme pécheur : Pœnitentia hominis rei felicitas (1). A qui ne
connaîtrait pas les effets de cette vertu, ou plutôt, à qui n'en connaîtrait
qu'une partie, cette proposition semblerait un paradoxe. Car qu'y a-t-il en
apparence de moins propre à faire le bonheur de l'homme, que ce qui mortifie
son esprit, que ce qui crucifie sa chair, que ce qui combat ses passions, que
ce qui l'oblige à se renoncer lui-même ? Or ce sont les devoirs essentiels de
la pénitence. Il est néanmoins vrai, Chrétiens, qu'après l'innocence perdue,
rien ne peut rendre l'homme heureux, je dis même heureux dès cette vie, que la
pénitence ; et vous en conviendrez sans peine, quand vous m'aurez entendu. Car j'appelle
avec Tertullien la félicité du pécheur des cette vie, ce qui produit en lui la
paix et le calme de la conscience, ce qui le remplit de la joie du
Saint-Esprit, ce qui le met dans toute l'assurance où il peut être contre les
jugements de Dieu. Or voilà les effets naturels de la pénitence que je vous
prêche : première vérité, vérité incontestable et qui est de la foi. J'ajoute
qu'il n'y a que la pénitence exacte et sévère qui ait la vertu d'opérer ces
divins effets ; c'est-à-dire qui produise dans le pécheur cette tranquillité,
qui lui fasse goûter cette joie, qui lui donne cette assurance, ou du moins
cette confiance chrétienne: seconde vérité qui s'ensuit infailliblement de
l'autre. N'ai-je donc pas droit de conclure que la pénitence, dans sa sévérité
même, nous devient douce et aimable ? Ecoutez-moi : ceci vous édifiera plus que
tout ce qu'il y a d'effrayant et de terrible dans la religion.
Oui, c'est la véritable
pénitence, et par conséquent celle où le pécheur se flatte moins, où il
s'épargne moins, qui produit la paix : et de là vient que le Fils de Dieu ne
sépara point ces deux grâces qu'il accorda tout à la fois à la plus généreuse
et la plus fameuse pénitente, Marie-Madeleine ,
lorsqu'il lui dit au moment de sa conversion : Remittuntur
tibi peccata tua; vade in
pace (2) : vos péchés vous sont remis; allez en paix. Cette paix de Dieu,
comme l'appelle saint Paul, parce qu'elle est en effet souverainement et par
excellence le don de Dieu : Pax Dei (3); cette paix que le monde ne peut
donner, parce qu'elle n'est pas de son ressort : Quam
mundus dare non potest pacem (4) ; cette paix
qui surpasse tout autre sentiment, tout autre bien, tout autre plaisir, et sans
laquelle même il ne peut y avoir ni plaisir
ni bien dans la vie : Pax Dei quae
exsuperat omnem sensum (1) : cette paix qui met le repos dans un cœur,
qui en fait cesser les troubles, qui en apaise les remords; cette paix, dis-je,
fut le premier fruit des saintes dispositions avec lesquelles Madeleine vint se
présenter à Jésus-Christ. Jusque-là, rebelle à Dieu et livrée à elle-même, elle
avait eu de continuels combats à soutenir. Jusque-là, emportée par sa passion,
mais au même temps gênée et bourrelée par sa raison, elle avait senti
l'aiguillon du péché : c'est-à-dire elle en avait senti la confusion,
l'amertume, le repentir, bien plus qu'elle n'en avait goûté la douceur,
Jusque-là elle avait vécu dans des inquiétudes mortelles ; mais elle commença à
jouir enfin de la paix dès que , par sa pénitence ,
elle eut trouvé grâce devant Dieu. Car ce fut alors qu'elle entendit cette
divine parole, et qu'elle en éprouva l'effet : Vade in pace; allez en paix.
Comme si le Sauveur du monde, usant de l'empire absolu qu'il avait sur le cœur
de celle pécheresse , lui eût commandé , aussi bien
qu'aux vents et à la mer, de se calmer : Imperavit
ventis et mari, et facta est tranquillitas
magna (2).
Quoi qu'il en soit, je prétends,
mes chers auditeurs, qu'autant que nous pratiquons la pénitence avec cet esprit
de ferveur et cette exacte sévérité envers nous-mêmes, autant nous y trouvons
de consolation ; que ce qu'éprouva Madeleine convertie, Dieu, par sa
miséricorde, nous le fait sentir, puisqu'il nous dit comme à elle
intérieurement et même sensiblement, par la bouche de ses ministres : Tout vous
est pardonné : Remittuntur tibi peccata tua (3) ; ne
soyez plus en peine : Vade in pace.
Mais comment est-il possible
qu'une pénitence sévère, qui, selon la maxime de Tertullien, fait en nous la
fonction de la justice et de la colère de Dieu, nous donne néanmoins la paix?
Ah! Chrétiens, voilà le miracle que je vous prie de remarquer : car c'est par
sa sévérité même qu'elle apaise Dieu , qu'elle désarme Dieu , qu'elle nous rend
amis de Dieu, que d'un Dieu courroucé et irrité, lequel n'avait pour nous que
des rigueurs, et qui ne nous préparait que des châtiments, elle le force, tout
Dieu qu'il est, par une sainte violence et par une espèce de conversion qui se
fait en lui, à devenir un Dieu de bonté, un Dieu qui met sa gloire à nous
pardonner sans réserve tout ce que nous ne nous pardonnons : pas, qui ne se
souvient de nos offenses que
67
pour en faire le sujet et la matière de ses grâces, qui
n'est notre juge que pour nous montrer encore plus authentiquement qu'il est
notre père, puisqu'alors il nous juge en père, au
lieu qu'à la fin des siècles il nous jugera en maître ; enfin , un Dieu qui,
déposant toutes pensées, tous sentiments de vengeance, n'a plus désormais,
comme il s'en déclare lui-même, que des sentiments de compassion et de charité,
que des pensées de réconciliation et de paix : Dicit
Dominus : Ego cogilo cogitationes pacis, et non afflictionis (1).
Voilà, dis-je, le miracle de la
pénitence. Elle lait donc, parce qu'elle est sévère (appliquez-vous à cette
pensée, qui n'est que la suite de celle de Tertullien), elle fait donc, parce
qu'elle ( si sévère, la fonction de la colère de Dieu ; mais elle la fait bien
plus efficacement que la colère de Dieu même, ou, plutôt, elle fait en nous ce
que la colère même de Dieu toute seule n'y peut faire : pourquoi? c'est qu'au
lieu que la colère de Dieu punit en nous le péché sans l'effacer, la pénitence
l'efface en le punissant; c'est que la colère de Dieu toute seule, quelque
satisfaction qu'elle exige et qu'elle tire du pécheur, ne peut jamais faire que
Dieu soit satisfait; ce qui se voit dans l'enfer, où l'éternité tout entière
des peines que soutirent les réprouvés ne satisfait jamais Dieu, parce que dans
l'enfer, dit saint Bernard, il n'y a que la colère de Dieu qui agit. Au lieu
que la pénitence, par un heureux mélange de la colère et de la miséricorde
divine, de la colère divine dont elle fait l'office, et de la miséricorde
divine qu'elle attire, est la juste et entière satisfaction que Dieu attend du
pécheur. Par conséquent, c'est la pénitence sévère qui nous remet bien avec
Dieu, et, par une suite non moins infaillible, qui nous remet bien avec
nous-mêmes. Car comment serons-nous en paix avec nous-mêmes, tandis que nous
sommes en guerre avec Dieu'? Or qu'y a-t-il, que peut-il y avoir pour nous dans
la vie de plus avantageux et de plus doux que celte double paix? Quoi qu'il
nous en coûte pour l'avoir, la pouvons-nous trop acheter? et
quelque austère que nous paraisse et que soit même la pénitence, pouvons-nous
ne la pas aimer quand il s'agit de rentrer en grâce avec le maître de qui
dépend tout notre bonheur, et de rétablir dans nous-mêmes une paix qui, sur la
terre, est le souverain bien, et qui ne peut compatir avec le péché? Avançons.
De cette paix intérieure naît une
sainte joie :
autre fruit de la sévérité de la
pénitence, autre don de l'Esprit de Dieu, qui pour cela même est appelé dans
l'Ecriture la joie du Saint-Esprit : Gaudium
in Spiritu Sancto (1).
Qui peut l'exprimer, Chrétiens, qui peut la connaître sans l'avoir sentie? qui peut comprendre la consolation dont est remplie une âme
criminelle, mais pénitente, quand, par un généreux effort, elle est enfin
parvenue à remporter sur elle-même la victoire d'où dépendait sa conversion ?
quand elle a fait à Dieu le sacrifice de la passion dont elle était auparavant
esclave; quand elle a une fois rompu ses liens; qu'elle commence à respirer la
liberté des enfants de Dieu, et qu'elle peut lui dire comme David : Dirupisti vincula mea; tibi sacrificabo hostiam laudis (2); c'est
vous qui avez brisé mes chaînes, et qui m'avez tiré de la servitude où mon
péché m'avait réduite : je vous bénirai, Seigneur, je vous louerai, je vous
rendrai d'éternelles actions de grâces. Elle s'est fait violence pour en venir
là; et la résolution qu'elle a prise de rompre ce commerce qui la perdait, de
s'arracher l'oeil qui la scandalisait, de sortir de l'occasion où elle se
damnait, cette résolution chrétienne, mais si difficile à prendre, mais encore
plus difficile à exécuter, a été pour elle une espèce d'agonie, et c'est sans
doute ce qu'il y a de plus sévère dans la pénitence : mais aussi le coup une
fois porté, l'ouvrage une fois achevé, de quelle abondance de joie Dieu ne la
comble-t-il pas? C'est un mystère impénétrable pour l'homme charnel et animal.
Comme il n'a là-dessus nulle expérience, il ne m'entend pas; mais c'est
justement, dit saint Chrysostome, parce qu'il n'en a nulle expérience, qu'il ne
doit ni s'en croire, ni eu être cru; c'est parce qu'il ne l'a jamais éprouvé
qu'il doit s'en rapporter à ceux qui l'éprouvent.
Or quelle épreuve, n'en font pas
ceux qui se convertissent de bonne foi, et avec quel épanchement de cœur ne
s'en expliquent-ils pas? Combien tout à coup, disait saint Augustin, surpris du
changement miraculeux que la grâce avait fait en lui, et racontant, non plus
ses misères, mais les miséricordes du Seigneur, combien tout à coup trouvai-je
de plaisir à renoncer aux plaisirs criminels du monde, et combien nie fut-il
doux de quitter ce que j'avais tant craint de perdre? Car vous, ô mon Dieu, qui
êtes le seul vrai et souverain bien capable de remplir une âme, vous me teniez
lieu de tous les plaisirs ; et la joie de me
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voir enfin soumis à vous, la joie
de m'être surmonté moi-même, était pour moi quelque chose de plus délicieux que
toutes mes délices passées. Ainsi la pénitence de saint Augustin vérifiait-elle
la promesse du Fils de Dieu : Mundus gaudebit, vos autem contristabimini, sed tristitia vestra vertetur in gaudium (1) : le
monde sera dans la joie, et vous serez dans la tristesse ; mais votre
tristesse, c'est-à-dire votre pénitence, qui est proprement et uniquement celte
tristesse salutaire dont saint Paul félicitait les Corinthiens, votre tristesse
se tournera en joie, et cette joie sera le centuple de toutes les joies du
monde, dont vous vous serez privés.
Répondez-moi, dit le mondain, de
cette douceur de la pénitence, et dès aujourd'hui je me convertirai.
Assurez-moi que cette joie ne me manquera pas, et je me condamnerai à tout ce
que la pénitence a de plus rigoureux. Vous vous
trompez, reprend saint Bernard, et vous raisonnez mal. Infidèle et mondain au
point que vous l'êtes, j'aurais beau vous en répondre, ce que j'en dirais ne
ferait sur vous nul effet, et l'attachement actuel que vous avez à ce qui vous
pervertit, vous rendrait inutile l'assurance que je vous donnerais d'un bien
dont vous n'auriez qu'une connaissance de spéculation, mais dont vos sens ne
seraient pas touchés. Douceurs pour douceurs, vous vous en tiendriez à celles
que vous goûtez, parce qu'elles sont présentes, et que les autres ne seraient
encore pour vous qu'en idée et en espérance. Il faut commencer par vous vaincre
: car cette joie dont je vous parle est la manne cachée qui n'est réservée
qu'au vainqueur : Vincenti dabo marina absconditum (2).
Il faut exercer sur vous-même et contre vous-même les rigueurs de la pénitence,
et alors la pratique vous convaincra, et dans un moment vous en découvrira plus
que tous les discours. Qu'est-il même nécessaire d'ailleurs que je parle et que
je renouvelle des promesses que Dieu tant de fois lui-même vous a faites?
Fiez-vous-en à votre Dieu ; il n'a jamais trompé personne ; si vous êtes
généreux, il sera fidèle.
Mais n'en voyons-nous pas qui,
jusque dans leur pénitence, ne trouvent que des sécheresses, et ne parviennent
jamais à ce centuple bienheureux d'une joie pure et secrète? Ne le
confessent-ils pas les premiers, et ne se plaignent-ils pas de leur état comme
s'ils reprochaient en quelque sorte à Dieu qu'il ne leur a pas tenu parole?
Oui, il y en a; mais qui sont-ils communément? Ah ! répond
saint Bernard,
il n'est point vrai qu'à ceux qui,
généreusement et de bonne foi, se sont condamnés aux exercices d'une pénitence
sévère, cette joie solide et spirituelle ait manqué. S'il y a des âmes dans le
monde trompées sur ce point, et frustrées de leur attente, grâce à la
Providence et à la justice du Dieu que nous servons, ce ne sont pas celles qui
pratiquent la pénitence dans toute son austérité, mais celles, au contraire,
qui la modèrent autant qu'elles peuvent, et plus qu'elles ne doivent ; mais
celles qui ne la veulent pratiquer que selon leur gré ; mais celles qui lui
ôtent tout ce qu'elle a de pénible et d'incommode, et ne s'en réservent que la
cérémonie et la figure ; mais celles dont la pénitence peut-être, avec tout son
éclat et un certain extérieur de sévérité, ne laisse pas d'être accompagnée de
mille relâchements. Que chacun de nous s'examine ; et pour peu que nous ayons
de lumières, nous découvrirons dans nous-mêmes le principe du mal, et ce qui
nous empêche de sentir au fond de notre cœur cette onction de la pénitence
chrétienne : nous reconnaîtrons que nous ne devons souvent nous en prendre qu'à
nous-mêmes; nous nous écrierons avec le Prophète royal : Justus
es, Domine, et rectum judicium tuum
(1) ; vous êtes juste, Seigneur ; et il n'est pas surprenant qu'aussi lâche que je suis dans
l'usage de la pénitence, je n'y trouve pas ce qu'y ont trouvé et ce qu'y
trouvent encore tous les jours tant d'âmes ferventes. Dès que j'aurai le même
courage, le même zèle, la pénitence aura pour moi le même goût.
C'est donc, Chrétiens, un abus,
et un étrange abus, quand nous nous faisons de la sévérité de la pénitence un
obstacle à la pénitence même : et l'un des artifices les plus ordinaires et les
plus dangereux dont se sert l'ennemi de notre salut pour endurcir les hommes
dans le péché, et pour les détourner des voies de Dieu, est de leur représenter
la pénitence sous des idées affreuses, qui leur en donnent de l'horreur et qui
les rebutent. Il semble même qu'on prenne plaisir à se la figurer comme telle,
pour avoir droit de s'en dispenser; et parce qu'il se trouve quelquefois, entre
les ministres de Jésus-Christ et les pasteurs de son troupeau , des hommes
zélés, mais d'un zèle qui n'est pas selon la science, des esprits toujours
portés aux extrémités, qui, pour ne pas rendre la pénitence trop facile, la réduisent
à l'impossible, qui n'en parlent jamais que dans des termes capables
d'effrayer, qui la proposent crûment et d'une
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manière sèche, sans y mettre jamais
ce. tempérament d'amour et de confiance qui en doit être inséparable, qui
croient avoir beaucoup fait quand ils ont, non pas redressé, mais embarrassé et
troublé une conscience faible, et qui, manquant dans le principe, ne font
jamais envisager Dieu au pécheur que sous une forme terrible, comme s'ils
craignaient qu'il n'y eût, pour ainsi dire, du danger pour Dieu à paraître
miséricordieux et aimable, et qu'ils souhaitassent eux-mêmes qu'il le lût moins
; parce qu'il se trouve, dis-je, des esprits préoccupés de ces sentiments, et
encore plus déterminés à les inspirer aux autres, qu'arrive-t-il? Le libertin
en profite, et le faible s'en scandalise; le libertin en profite, ravi qu'on
lui exagère les choses pour l'Ire eu quelque manière autorisé par là à n'en
rien croire ou à n'en rien faire, et qu'on lui en demande trop, pour avoir un
spécieux prétexte de renoncer à tout : c'est-à-dire que de ces caractères
outrés de la pénitence, qu'il parait néanmoins estimer, et à quoi il donne de
faux éloges, il ne tire point d'autre conclusion que de se confirmer dans son
impénitence.
Car voilà, mes chers auditeurs,
le raffinement du libertinage de notre siècle : on veut une pénitence extrême,
sans adoucissement, sans attrait, parce qu'on n'en veut point du tout. Si je la
faisais, dit-on, c'est ainsi que je la voudrais faire; mais on en demeure là,
et l'on se sait bon gré de cette disposition prétendue où l'on est de la bien
faire, supposé qu'on la fit, quoiqu'on ne la fasse jamais. Ou tout, ou rien,
dit-on; mais bien entendu qu'on s'en tiendra toujours au rien, et qu'on n'aura
garde de se charger jamais du tout.
Ainsi raisonne le libertin; et,
d'ailleurs,que conclut le faible? rien
autre chose que de se décourager, de s'attrister, de s'abandonner à de secrets
désespoirs, de regarder la pénitence comme impraticable, de se persuader qu'il
ne la soutiendra jamais, qu'elle l'accablera d'un ennui mortel, et qu'il y
succombera; de dire sans cesse, comme l'Israélite prévaricateur : Quis nostrum valet ad cœlum ascendere (1) ? Et quel
est l'homme sur la terre qui puisse espérer de parvenir là, et de s'y maintenir?
car c'est ainsi que notre lâcheté se prévaut des
erreurs du monde pour secouer le joug de Dieu.
Mais faudra-t-il, Seigneur,
qu'une illusion aussi grossière que celle-là nous trompe et nous perde, et que
notre ignorance sur ce point nous tienne toujours lieu d'excuse? Non, mon Dieu
; car tandis que vous me confierez le
ministère de votre sainte parole,
je prêcherai ces deux vérités sans les séparer jamais : la première, que vous
êtes un Dieu terrible dans vos jugements, et la seconde, que vous êtes le père
des miséricordes et le Dieu de toute consolation. Je ne serai jamais assez
téméraire pour prêcher votre miséricorde sans prêcher votre justice, parce que
je sais les conséquences dangereuses qu'en tirerait l'impiété; mais aussi me
ferais-je un crime de prêcher les rigueurs de votre justice sans parler en même
temps des douceurs de votre miséricorde, parce que la foi m'apprend, et que
c'est vous-même qui me l'avez révélé, que votre miséricorde sauve les pécheurs,
au lieu que votre justice seule ne peut que les damner et les réprouver. Je
joindrai donc l'un et l'autre ensemble, pour pouvoir toujours dire, comme David
: Misericordiam et judicium
cantabo tibi, Domine (1)
: Seigneur, je chanterai vos bontés et vos jugements ; et quand les pécheurs du
siècle devraient abuser de cette inépuisable miséricorde que je leur annoncerai
pour votre justification, Seigneur, je ne cesserai point de la publier
hautement, afin que vous soyez reconnu pour ce que vous êtes, c'est-à-dire pour
un Dieu également juste et bon ; et qu'à l'égard des impies mêmes vous soyez à
couvert de tout reproche, quand l'excès de leurs désordres vous forcera un jour
à les condamner : Ut justificeris in sermonibus tuis, et vincas cum judicaris (2). Je
dirai à votre peuple, que par le péché nous contractons une dette infinie ;
mais je ne manquerai pas aussitôt de l'avertir que, par le secours de votre
grâce, il nous est aisé de nous acquitter, parce que vous nous donnez vous-même
de quoi vous payer. Je lui dirai que la pénitence doit être sévère, afin qu'il
ne se perde pas par une malheureuse présomption ; mais aussi, afin qu'il ne
tombe pas dans un funeste désespoir, je le consolerai en lui disant que la plus
sévère pénitence devient la plus douce, par l'onction qui y est attachée : et
vos promesses, ô mon Dieu, les oracles de votre Ecriture, sont les preuves
touchantes et convaincantes que je lui en apporterai. Je lui dirai, pour ne le
pas tromper, que cette sévérité de la pénitence est un joug; mais je
n'oublierai pas de lui dire, pour l'animer à le porter, que c'est votre joug,
et que vous vous êtes obligé à le porter vous-même avec nous; que, selon
l'expression de votre Apôtre, c'est votre esprit qui pleure en nous, qui
s'afflige en nous, qui fait, si j'ose parler ainsi, pénitence en nous,
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parce que c'est par lui que nous la
faisons, et que c'est lui qui, pour nous mettre en état de la faire, nous élève
au-dessus de nous-mêmes.
Gardant ces règles, mon Dieu, je
ne craindrai rien ; et jusqu'en présence des rois de la terre, je parlerai sans
confusion, aussi bien que David, des obligations de votre loi : Loquebar de testimoniis
tuis in conspectu regum, et non confundebar (1).
Je parle ici, Seigneur, devant le premier roi du monde : et jamais ministre de
l'Evangile eut-il l'honneur de porter votre parole à un aussi grand prince?
Non-seulement c'est le plus grand roi du monde, mais, ce qui me rend sa
personne encore bien plus auguste, c'est le plus chrétien des rois; c'est le
protecteur le plus puissant de votre Eglise ; c'est un roi zélé pour sa
religion, ennemi de l'impiété, et qui ne souffrira jamais que le libertinage
s'élève impunément contre vous ; un roi qui aime la vérité, et dont je puis
bien dire ce que saint Ambroise disait de Théodose, qu'il approuve plus celui
qui reprend les vices, que celui qui les flatte : Qui magis
arguentem probat, quam adulantem (2). Eloge qui
ne convient qu'aux grandes âmes, et qui les distingue des autres. Tel esi le monarque devant qui je parle : mais quand je
parlerais devant les rois du monde les plus infidèles et les plus ennemis de
votre nom, je leur dirais avec une confiance respectueuse ce que vous voulez
qu'ils sachent : que vous êtes leur Dieu, qu'ils doivent se soumettre à vous,
et que, puisqu'ils sont pécheurs comme le reste des hommes, la pénitence est un
devoir pour eux aussi bien que pour le reste des hommes : Loquebar
de testimoniis tuis in conspectu regum.
Voilà ce que Jean-Baptiste
prêchait dans la Judée. A qui? non seulement au simple
peuple, mais aux grands du monde et de la cour, qui menaient l'écouter, et à
ceux-ci encore plus qu'aux autres, parce qu'il savait que la pénitence leur
était encore plus nécessaire. Comme les grands de la cour, selon le rapport de
l'Evangile, i'ailaient chercher dans le désert, il ne sortait point de son
désert pour leur annoncer ces vérités. Maintenant que les prédicateurs sont
obligés de quitter leur solitude pour venir les faire entendre à la cour, voilà
ce que je vous prêche, mes chers auditeurs, avec un mérite bien inférieur à
celui de Jean-Baptiste, mais de la part du même Dieu : Pœnitentiam
agite ; appropinquavit enim
regnum cœlorum (3) :
faites pénitence, parce que le royaume du ciel est proche.
Il est proche, Chrétiens, puisque nous touchons de près au
grand mystère de notre rédemption . Mais dans un autre
sens, il est peut-être encore plus proche que vous ne le pensez. Le terme de
notre vie, l'instant de la mort, le jugement qui la suit, c'est ce que
l'Ecriture eu mille endroits veut nous marquer par cette proximité du royaume
de Dieu. Or, à l'entendre de la sorte, combien y en a-t-il dans cette assemblée
pour qui il est proche, et combien de ceux même qui s'en croient les plus
éloignés? Si Dieu, au moment que je parle, me les désignait en particulier, et
que, m'adressant à chacun d'eux, je leur
dise de celle chaire : C'est vous, mon cher auditeur, qui n'y pensez pas, c'est
vous qui devez mettre ordre à votre conscience, car vous mourrez dès demain, et
voici le dernier avertissement que Dieu vous donne: si je leur parlais ainsi,
et qu'ils fussent certains de la révélation que j'en aurais eue de Dieu, il n'y
en aurait pas un qui ne se convertît, pas un qui ne renonçât dès aujourd'hui à
tous ses engagements, pas un qui n'acceptât la pénitence la plus sévère que je
pourrais lui imposer: pourquoi? parce qu'ils seraient
assurés que leur dernier jour approche, et qu'ils ne voudraient pas perdre le
temps qui leur resterait, Ah! Chrétiens, pourquoi ne faites-vous pas ce que
feraient ceux-ci, et pourquoi ne font-ils pas eux-mêmes dès maintenant ce
qu'ils feraient alors? Avons-nous une caution contre l'inconstance de la vie et
l'incertitude de la mort? Ce que nous ne voulons pas faire présentement, et ce que
nous pouvons néanmoins faire utilement, sommes» nous certains que nous aurons
dans la suite le temps de le faire, et les moyens de le bien faire? Qui vous
répond de Dieu? qui vous répond de vous-mêmes? Les exemples de tant d'autres qui
ont été surpris, et des exemples présents, des exemples domestiques, ne
doivent-ils pas vous faire trembler? Les avez-vous déjà oubliés? Pour un pécheur
qui trouve encore à la mort le
temps de faire pénitence après l'avoir perdu pendant la vie, ne peut-on pas
dire qu'il y en a cent qui ne le trouvent pas? Et de cent qui l'ont, n'est-il
pas vrai et ne puis-je pas ajouter qu'il n'y en a presque pas un qui fasse une
bonne pénitence? Pœnitentiam agite.
Faisons-la donc, Chrétiens, et faisons-la promptement, et faisons-là sans
ménagement, afin qu'elle nous obtienne grâce devant Dieu, et qu'elle nous
mérite la gloire que je vous souhaite, etc.