FÊTE DE PAQUES

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SERMON POUR LA FÊTE DE PAQUES.
SUR LA RÉSURRECTION DE JÉSUS-CHRIST.

 

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ANALYSE.

 

Sujet. Il a été livré pour nos péchés, et il est ressuscité pour notre justification.

 

Il semble que Jésus-Christ, ayant achevé sur la croix l'ouvrage de notre rédemption, ne devait plus penser qu'à sa propre grandeur, et qu'étant mort pour nous, il ne devait ressusciter que pour lui-même. Mais c'est un Dieu, dit saint Bernard, qui veut nous appartenir entièrement, et dont la gloire et la béatitude se rapportent à nous aussi bien que ses humiliations et ses souffrances. Si donc il ressuscite, c'est pour notre sanctification, et pour nous apprendre à ressusciter spirituellement avec lui.

 

Division. Jésus-Christ par le mérite de sa mort nous a justifiés. Mais, outre ce mérite, il nous fallait un modèle sur qui nous pussions nous former, et que nous eussions sans cesse devant les yeux, pour travailler nous-mêmes à l'accomplissement de ce grand ouvrage de notre justification, ou, si vous voulez, de notre conversion, à laquelle, selon l'ordre de Dieu, nous devions coopérer. Or, ce modèle, c'est la résurrection du Sauveur. Car comme Jésus-Christ est ressuscité, disait l'Apôtre, nous devons entrer nous-mêmes dans une vie nouvelle. Cette vie nouvelle doit donc avoir les deux caractères de la résurrection du Fils de Dieu, que l'Evangile nous a marqués. Le Seigneur est vraiment ressuscité : Surrexit Dominus vere ; et il s'est fait voir à Pierre : Et apparuit Simoni. Ainsi, être converti, premier caractère de notre résurrection spirituelle : première partie. Paraître converti, second caractère de notre résurrection spirituelle : deuxième partie.

Première partie. Etre converti comme Jésus-Christ est ressuscité. Jésus-Christ est vraiment ressuscité, et après sa résurrection il n'a plus vécu en homme mortel, mais en homme tout céleste. De même il faut, 1° que nous soyons vraiment convertis ; 2° qu'après notre conversion nous ne vivions plus en hommes charnels et mondains, mais d'une vie toute spirituelle et toute sainte.

1° Jésus-Christ est vraiment ressuscité, principe incontestable, et dont le Sauveur du monde, avant toutes choses, prit soin de bien convaincre ses apôtres, voulant que cette résurrection véritable nous servit d'exemple. Car, c'est ainsi que nous devons être vraiment convertis. Or, ne pourrais-je pas bien dire de notre résurrection spirituelle et de notre conversion, ce que saint Paul disait de la résurrection future de nos corps : Mes Frères, voici un important secret que je vous déclare : nous ressusciterons tous, mais nous ne serons pas tous changés. En effet, dans cette solennité de Pâques et jusques dans le tribunal de la pénitence, nous mentons souvent au Saint-Esprit, nous imposons au monde, et nous nous trompons nous-mêmes par une fausse conversion. Ce n'est point par là qu'on ressemble à Jésus-Christ ressuscité ; mais par une vraie conversion, c'est-à-dire par une conversion sincère et sans déguisement, par une conversion surnaturelle, et dont Dieu soit le principe, l'objet et la fin.

Conversion sincère et sans déguisement. Ce qui nous perd devant Dieu, et ce qui nous empêche de ressusciter en esprit, comme Jésus-Christ est ressuscité selon la chair, c'est communément un levain de péché que nous fomentons dans nous, et dont nous ne travaillons pas à nous défaire. C'est pourquoi saint Paul nous avertit que nous devons célébrer cette fête, non avec le vieux levain, avec un levain de dissimulation et de malice : Non in fermento veleri, neque in fermento malitiœ et nequitiœ ; mais dans un esprit de sincérité et de vérité : Sed in azymis sinceritatis et veritatis.

Conversion surnaturelle et dans la vue de Dieu. Autrement qu'est-ce devant Dieu que notre conversion, si ce sont des motifs humains, la prudence de la chair, la crainte du monde, l'intérêt, qui l'animent ? Jésus-Christ ressuscita par une vertu toute divine, et c'est par un principe tout divin que nous devons ressusciter. Loin de moi, disait l'Apôtre, cette fausse justice que je pourrais trouver dans moi, et qui serait de moi et non de Dieu ! Ainsi tous les vrais pénitents se sont-ils élevés au-dessus d'eux-mêmes et de la chair, et ont-ils envisagé Dieu dans leur pénitence.

2° Jésus-Christ après sa résurrection n'a plus vécu en homme mortel, mais en homme tout céleste. Il avait un corps, et ce corps revêtu de gloire semblait être de la nature et de la condition des esprits. Ce qui faisait dire à l'Apôtre : Quoique auparavant nous ayons connu Jésus-Christ selon la chair, maintenant nous ne le connaissons plus de la même sorte, ni selon cette même chair. Appliquons-nous ces paroles, et concluons que si nous sommes vraiment convertis, il faut qu'on ne nous connaisse plus selon la chair, ni selon les désirs de la chair, mais comme des hommes tout spirituels. C'est par là que nos corps participent dès cette vie à la gloire de Jésus-Christ ressuscité. C'est par là qu'ils deviennent incorruptibles, pleins de vertu, de force, d'honneur. Mais souvenons-nous qu'ils ne sont rien de tout cela qu'autant que nous y coopérons par notre vigilance et par nos soins. Quelque affermis que nous soyons dans le bien, nous ne sommes pas inébranlables. Que faut-il donc faire, et comment devons-nous vivre dans le monde? Saint Paul nous l'apprend : Quœ sursum sunt sapite ; N'ayez plus de goût que pour les choses du ciel : Quœ sursum sunt quœrite; Ne cherchez plus que les choses du ciel.

Deuxième partie. Paraître converti comme Jésus-Christ parait ressuscité. Pourquoi Jésus-Christ demeure-t-il encore quarante jours sur la terre après sa résurrection ? pour la faire connaître à ses disciples et pour les en convaincre. C'est pour cela qu'il se fait voir à eux sous tant de ligures différentes. Belle leçon pour nous. Car, comme ce n'est point assez de paraître convertis si nous ne le sommes en effet, aussi ne suffit-il point de l'être et de ne le pas paraître. Etre et paraître, ce sont doux obligations; et accomplir l'une sans se mettre en devoir de satisfaire à l'autre, ce n'est qu'une justice imparfaite. Si Jésus-Christ n'eût pas paru ressuscité, il eût laissé notre foi dans le trouble ; et si nous ne paraissons pas convertis, nous ne faisons qu'à demi notre devoir et l'œuvre de Dieu. Je dis plus : être et paraître converti, ce sont tellement deux obligations différentes, qu'elles sont néanmoins inséparables. Car, paraître converti, remarque saint Thomas, est une partie de la conversion même. Comment cela?

 

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parce qu'être converti, c'est embrasser tous les devoirs de l'homme chrétien. Or, un devoir de l'homme chrétien est de paraître ce qu'il est; et s'il a été pécheur et rebelle à Dieu, un de ses devoirs est de paraître obéissant et soumis à Dieu. Ce devoir est fondé, 1° sur l'intérêt de Dieu; 2° sur l'intérêt du prochain ; 3° sur notre propre intérêt.

1° Obligation de paraître converti, fondée sur l'intérêt de Dieu qu'on a offensé. Sans cela quelle réparation lui ferez-vous de tant de crimes, et comment lui rendrez-vous la gloire que vous lui avez ravie en les commettant ? Le juste même, quoique juste, dit saint Chrysostome, est obligé de se déclarer pour Dieu : combien plus le pécheur qui se convertit doit-il non-seulement confesser le Dieu qu'il sert, mais faire justice au Dieu qu'il a déshonoré ? Il faut donc, conclut le même Père, que la vie de ce pécheur, dans l'état de sa pénitence, soit comme une amende honorable qu'il fait à son Dieu. Aussi, quand saint Pierre, après la résurrection du Sauveur, paraissait dans les synagogues et dans les places publiques, prêchant le nom de Jésus-Christ, d'où lui venait surtout ce zèle ? du souvenir de son péché. Vous reconnaissez comme lui que vous avez outragé votre Dieu : n'est-il pas juste que par une vie exemplaire vous effaciez les impressions que votre impiété a pu donner contre sa loi ? Le Fils de Dieu voulut que ses apôtres, qui l'avaient abandonné dans sa passion, lui servissent ensuite de témoins : Eritis mihi testes. Voilà ce que vous devez être au milieu du monde, surtout à la cour. Bien loin que vos désordres passés affaiblissent votre témoignage, c'est au contraire ce qui le fortifiera et le rendra plus convaincant.

2° Obligation de paraître converti, fondée sur l'intérêt du prochain que vous avez scandalisé. Car, devez-vous dire, il faut que je répare, par un remède proportionné, les scandales de ma vie : or, ce qui a scandalisé mon frère, ce n'est point précisément mon péché, mais ce qui a paru de mon péché. Pourquoi Jésus-Christ a-t-il paru ressuscité, ou plutôt à qui a-t-il paru ressuscité? aux uns, pour les consoler; aux autres, pour les ramener de leur égarement ; à ceux-là, pour vaincre leur incrédulité; à ceux-ci, pour leur reprocher l'endurcissement de leur cœur. C'est ainsi que nous devons paraître convertis, pour la consolation des justes, pour la conversion des pécheurs, pour la conviction des libertins. Pour la consolation des justes : combien d'âmes saintes pleuraient sur vous et étaient sensiblement touchées de votre état. Comme votre péché les a affligées, il faut que votre pénitence les réjouisse sur la terre, aussi bien que les anges dans le ciel. Pour la conversion des pécheurs : l'exemple de votre conversion sera un attrait mille fois plus puissant pour eux que celui des justes qui se sont toujours maintenus justes. Aussi Jésus-Christ choisit-il saint Pierre pénitent et converti pour ramener ses frères et pour les confirmer : Et tu aliquando conversus, confirma fratres tuos. Pour la conviction des libertins et des incrédules : saint Thomas eut une grâce d'autant plus spéciale pour prêcher la foi. qu'il avait été plus infidèle. Ce qui touche les impies, c'est d'entendre un impie comme eux dire : Je suis persuadé.

3° Obligation de paraître converti, fondée sur notre intérêt propre. On ne veut pas qu'il paraisse qu'on ait changé de conduite ; pourquoi ? parce qu'on sent bien que si ce changement venait une fois à éclater, on serait obligé de le soutenir, et que l'honneur même venant au secours du devoir, on ne pourrait plus dans la suite s'en dédire. D'où je conclus que nous devons regarder comme un avantage de paraître convertis, puisque, de notre propre aveu, le paraître et l'avoir paru est une raison qui nous engage à l'être toujours et à persévérer. Mais si je retombe en effet, que dira-t-on? Ne pensons point à cela, sinon autant que cette pensée nous peut être salutaire pour nous animer ; et du reste, prenons confiance et agissons.

Compliment au roi.

 

Traditus est propter delicta nostra, et resurrexit propter justificationem nostram.

 

Il a été livré pour nos péchés, et il est ressuscité pour notre justification. (Aux Romains, chap. IV, 25.)

 

SIRE,

 

C'est sur ce témoignage de saint Paul que s'est fondé saint Bernard quand il a dit que la résurrection du Fils de Dieu , qui est proprement le mystère de sa gloire, avait été au même temps la consommation de sa charité envers les hommes. Il n'en faut point d'autre preuve que les paroles de mon texte, puisqu'elles nous font connaître que c'est pour notre intérêt, pour notre salut, pour notre justification, que ce Sauveur adorable est entré en possession de sa vie glorieuse, et qu'il est ressuscité : Et resurrexit propter justificationem nostram. A en juger selon nos vues, on croirait d'abord que les choses devaient être au moins partagées; et que Jésus-Christ ayant achevé sur la croix l'ouvrage de notre rédemption, il ne devait plus penser qu'à sa propre grandeur, c'est-à-dire qu'étant mort pour nous, il devait ne ressusciter que pour lui-même. Mais non, Chrétiens, son amour pour nous n'a pu consentir à ce partage. C'est un Dieu, dit saint Bernard, mais un Dieu sauveur, qui veut nous appartenir entièrement, et dont la gloire et la béatitude ont dû par conséquent se rapporter à nous, aussi bien que ses humiliations et ses souffrances : Totus in usus nostros expensus. Tandis que ses humiliations nous ont été utiles et nécessaires, il s'est humilié et anéanti ; tandis que pour nous racheter il a fallu qu'il souffrît, il s'est livré aux tourments et à la mort. Du moment que l'ordre de Dieu exige que son humanité soit glorifiée, il veut que nous profitions de sa gloire même; car s'il ressuscite, poursuit le même saint Bernard, c'est pour établir notre foi, pour affermir notre espérance, pour ranimer notre charité ; c'est pour ressusciter lui-même en nous, et pour nous rendre capables de ressusciter spirituellement avec lui : en un mot, comme il est mort pour nos péchés, il ressuscite pour notre justification : Et resurrexit propter justifcationem nostram. Voilà le mystère que nous célébrons, et dont l'Eglise universelle fait aujourd'hui le sujet de sa joie : mystère auguste et vénérable, sur lequel roule non-seulement toute la religion chrétienne, parce qu'il est le fondement de notre foi, mais toute la piété chrétienne, parce qu'il doit être la règle de nos mœurs. C'est ce que j'entreprends de vous montrer, après que nous aurons imploré le secours de la Mère de Dieu, et que nous l'aurons

 

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félicitée de la résurrection de son Fils. Regina cœli.

 

Pour entrer d'abord dans mon sujet, je présuppose ici, Chrétiens, ce que la foi nous enseigne, et ce que nous devons regarder comme un point essentiel de notre religion ; savoir, que Jésus-Christ en mourant nous a parfaitement justifiés, et que, pour nous remettre en grâce avec Dieu, rien n'a manqué au mérite de sa mort. Mais, outre ce mérite, il nous fallait, dit saint Chrysostome, un exemplaire et un modèle sur qui nous puissions nous former et que nous eussions sans cesse devant les yeux, pour travailler nous-mêmes à l'accomplissement de ce grand ouvrage de notre justification, ou, si vous voulez, de notre conversion, à laquelle, selon l'ordre de Dieu, nous devons coopérer ; et c'est à quoi le Sauveur du monde a divinement pourvu par sa résurrection glorieuse.

Vous le savez, Chrétiens , et vous ne pouvez l'ignorer, puisque c'est un article de la foi même que vous professez : le péché du premier homme fut une présomption téméraire qui le porta jusqu'à s'élever au-dessus de lui-même , jusqu'à vouloir se mesurer avec Dieu, être éclairé comme Dieu, ressembler à Dieu : Eritis sicut dii (1). Mais vous savez aussi la sage conduite que Dieu a tenue à l'égard de l'homme, lorsque, par un secret bien surprenant de sa providence, il lui a ordonné pour remède ce qui semblait avoir été la cause de son mal, et qu'il l'a obligé à se sanctifier par ce qui l'avait rendu criminel : je veux dire, lorsque ce Dieu de gloire, s'incarnant et s'humanisant, s'est mis lui-même dans des états où non-seulement il est permis à l'homme de vouloir ressembler à son Dieu, mais eu son plus grand désordre est de ne le vouloir pas, et en effet de ne lui ressembler pas. Or, quel état surtout l'Ecriture nous marque-t-elle où le Fils de Dieu ait prétendu que nous dussions lui être semblables, et où ce ne fût plus un crime, mais un mérite et un devoir de nous conformer à lui ? l'état de sa résurrection.

Car c'est pour cela, dit expressément le grand Apôtre, qu'il est ressuscité d'entre les morts, afin que, sanctifiés par son exemple, nous prenions une nouvelle vie : Ut quomodo Christus surrexit a murtuis ; ita et nos in novitate vitœ ambulemus (2). Au reste, mes Frères, ajoute saint Chrysostome, ces paroles ne sont pas une simple instruction de l'Apôtre, mais un oracle

 

1 Genes., III, 5. — 2 Rom., VI, 4.

 

du Saint-Esprit, qui nous relève et qui nous fait comprendre le dessein de Dieu : d'où il s'ensuit que non-seulement la résurrection du Sauveur a eu d'elle-même toutes les qualités requises pour nous servir de modèle dans notre conversion, mais que Dieu a prétendu nous la proposer comme un modèle, et que c'est particulièrement dans cette vue qu'il a voulu que Jésus-Christ ressuscitât : Ut quomodo Christus surrexit, ita et nos ambulemus. Ce qui faisait dire à Tertullien que les pécheurs convertis et réconciliés par la grâce sont des abrégés et comme des copies de la résurrection de Jésus-Christ : Appendices resurrectionis. Car c'est ainsi qu'il les appelait : pourquoi? parce que tout pécheur qui se convertit et qui change de vie doit exprimer en soi-même par une parfaite imitation les caractères et les traits qui conviennent à l'humilité de Jésus-Christ dans l'état de sa résurrection. Voici donc quels ont été ces caractères ; et, par la comparaison que nous en allons faire, reconnaissons aujourd'hui ce que nous devons être devant Dieu : Surrexit Dominus vere, et apparuit Simoni (1) : Le Seigneur est vraiment ressuscité, disaient deux disciples du Sauveur parlant de leur Maître, et il s'est fait voir à Pierre. Voilà les deux règles que nous devons suivre, et en quoi consiste cette conformité qu'il doit y avoir entre Jésus-Christ et nous. Il est vraiment ressuscité, pour nous donner l'idée d'une conversion véritable; et il a paru ressuscité, pour nous donner l'idée d'une conversion exemplaire. Il est vraiment ressuscité, afin que nous nous convertissions véritablement et solidement, c'est la première partie : et il a paru ressuscité, afin que, si nous sommes convertis, nous le paraissions, pour la gloire de notre Dieu, librement et généreusement, c'est la seconde partie. L'un sans l'autre, dit saint Augustin, est défectueux; car paraître converti et ne l'être pas, c'est imposture et hypocrisie ; et ne le paraître pas, ou plutôt craindre de le paraître, c'est faiblesse et respect humain. Il faut donc l'être et le paraître : Surrexit et apparuit. L'être en esprit et en vérité, par une conversion de mœurs qui se soutienne devant Dieu : Surrexit vere. Le paraître avec une sainte liberté, en sorte que cette conversion soit encore, selon l'Evangile, comme une lumière qui luise devant les hommes : Et apparuit Simoni. Serai-je assez heureux, Chrétiens, pour vous bien persuader ces deux importantes obligations ? elles feront tout le partage de ce discours : commençons.

 

1 Luc, XXIV, 34.

 

581

 

PREMIÈRE PARTIE.

 

C'est saint Paul qui l'a dit, et je n'ai rien moins prétendu, dans la première proposition (pie j'ai avancée, que d'établir un principe de religion dont il ne nous est pas permis de douter : Jésus-Christ est vraiment ressuscité, et sur ce modèle Dieu veut que nous soyons vraiment convertis. Mais j'ajoute, comme la suite naturelle de ce principe, que Jésus-Christ, après être sorti du tombeau n'a plus vécu en homme mortel, mais en homme céleste et ressuscité ; et que c'est une loi pour nous qu'après notre conversion nous ne vivions plus en hommes charnels et mondains, mais d'une vie toute spirituelle, et conforme au bienheureux état où se trouvent élevés par la grâce des hommes sincèrement et solidement convertis. Deux pensées auxquelles je réduis ces admirables paroles de l'Epître aux Romains, dont je fais toute la preuve des vérités que je vous prêche : Consepulti sumus cum Christo per baptismum in mortem; ut quomodo surrexit a mortuis, ita et nos in novitate vitœ ambulemus (1); Nous sommes, mes Frères, ensevelis avec Jésus-Christ par le baptême, pour mourir au péché, afin que, comme ce Dieu Sauveur est ressuscité par sa vertu toute-puissante , nous soyons animés du même esprit, et intérieurement ressuscites, pour mener cette vie nouvelle qui est l'effet d'une véritable conversion. Appliquez-vous, Chrétiens, et ne perdez rien d'une instruction si nécessaire. Surrexit Dominus vere (2); le Seigneur est vraiment ressuscité : principe, encore une fois, auquel vous et moi nous devons nous attacher d'abord, pour nous former une juste idée de la conversion du pécheur. Ne vous étonnez pas, mes chers auditeurs, que Jésus-Christ, selon le rapport des évangélistes, s'intéressât tant à prouver, et à prouver par lui-même, sa résurrection. Les apôtres étaient saisis de frayeur en le voyant, parce qu'ils croyaient voir un esprit : Conturbati et conterriti existimabant se spiritum videre (3) ; et il ne pouvait souffrir qu'ils demeurassent dans cette incertitude et dans ce trouble. Non, leur disait-il pour les rassurer, ce n'est point un esprit, c'est moi-même. Regardez mes pieds et mes mains, touchez mes plaies, et vous apprendrez que je ne suis point un fantôme, mais un corps solide et réel. Pourquoi, demande saint Chrysostome, ce soin si exact de leur faire connaître la vérité de sa résurrection? Ah ! mes Frères, répond

 

1 Rom., VI, 4.— 2 Luc, XXIV, 34.— 3 Ibid., 37

 

ce saint docteur, c'est qu'outre les autres raisons qu'il avait d'en user ainsi, il savait bien la loi qui nous était dès lors imposée, et l'engagement où nous devions être, en qualité de pécheurs, de ressusciter à la vie de la grâce, comme il était lui-même ressuscité à la vie de la gloire : Ut quomodo surrexit, ita et nos in novitate vitœ ambulemus. Or, il était à craindre que cette résurrection spirituelle de nos âmes, au lieu d'être une vérité, ne fût qu'une pure fiction, et que, passant pour des hommes convertis, nous ne fussions rien moins au dedans que ce que nous paraissions au dehors. De là vient qu'il n'omettait rien pour convaincre ses disciples qu'il n'était pas seulement ressuscité en apparence, mais en effet; voulant que cette résurrection véritable nous servît de modèle et d'exemple.

L'entendez-vous, Chrétiens, et aviez-vous jamais pénétré la conséquence de cette parole : Surrexit vere ? Voilà néanmoins à quoi elle se rapporte : à condamner tant de conversions imaginaires, qui n'ont d'une vraie conversion que l'extérieur et le masque, sans en avoir le fond et le mérite. Car, permettez-moi de vous faire ici une réflexion toute semblable à celle que faisait saint Paul, instruisant les Corinthiens sur la résurrection des corps : Ecce mysterium vobis dico : omnes quidem resurgemus, sed non omnes immutabimur (1); Voici, mes Frères, leur disait-il, un important secret que je vous déclare : nous ressusciterons tous à la fin des siècles, mais nous ne serons pas tous changés. Il voulait par là leur faire entendre que, quoique les réprouvés dussent avoir part à la résurrection future aussi bien que les élus , leurs corps n'y seraient pas transformés comme les corps des élus, ni rendus semblables au corps glorieux de Jésus-Christ ; différence terrible sur laquelle insistait l'Apôtre, pour donner aux fidèles une crainte salutaire du jugement de Dieu. Mais quelque terrible que doive être cette différence des réprouvés et des élus dans le jugement de Dieu, en voici une antre qui, pour être plus intérieure, n'en est pas moins fatale au pécheur, et qui, sans attendre la fin des siècles, se trouve aujourd'hui dans le christianisme selon les différentes dispositions des chrétiens à cette fête. Nous avons tous célébré la résurrection de Jésus-Christ; mais je ne sais si nous avons tous éprouvé ce bienheureux changement que cette sainte solennité,par une grâce qui lui est propre, devait opérer dans nos âmes. En recevant

 

1 1 Cor., XV, 51.

 

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l'adorable sacrement du Sauveur, nous avons tous paru spirituellement ressuscites ; mais peut-être s'en faut-il bien que nous ayons tous été renouvelés, et que dans ce grand jour nous puissions tous également nous rendre ce témoignage devant Dieu, que nous ne sommes plus les mêmes bommes. Voilà le mystère, mais le redoutable mystère que je vous annonce, et sur lequel chacun de nous doit s'examiner : Omnes quidem resurgemus, sed non omnes immutabimur (1).

Car, avouons-le de bonne foi, et puisqu'une expérience malheureuse nous force à le reconnaître, ne nous en épargnons pus la confusion. Le désordre capital qu'on ne peut assez déplorer ni trop vous reprocher, est que dans cette solennité de Pâques, abusant de la pénitence, qui, selon les Pères , est le sacrement de la résurrection des pécheurs, nous mentions souvent au Saint-Esprit, nous imposions au monde et nous nous trompions nous-mêmes. Oui, mes Frères, jusque dans le tribunal de la pénitence nous méfiions au Saint-Esprit, en détestant de bouche ce que nous aimons de cœur; en disant que nous renonçons au monde, et ne renonçant jamais à ce qui entretient dans nous l'amour du monde ; en donnant à Dieu des paroles que nous ne comptons pas de garder, et que nous ne sommes pas en effet bien déterminés à tenir, ayant avec Dieu moins de bonne foi que nous n'en avons avec un homme, et même avec le dernier des hommes. Nous en imposons au monde par je ne sais quelle fidélité à nous acquitter dans ce saint temps du devoir public de la religion, par l'éclat de quelques bonnes œuvres passagères, par une ostentation de zèle sur des points où, sans être meilleur, on en peut avoir ; par quelques réformes dont nous nous parons et à quoi nous nous bornons, tandis que nous ne travaillons pas à vaincre nos habitudes criminelles, et à mortifier les passions qui nous dominent. Nous nous trompons nous-mêmes, eu confondant les inspirations et les grâces de conversion avec la conversion même ; en nous figurant que nous sommes changés, parce que nous sommes touchés du désir de l'être ; et, sans qu'il nous en ait coûté le moindre combat, en nous flattant d'avoir remporté de grandes victoires ; et parce qu'en fait de pénitence tout cela n'est qu'illusion et que mensonge, à tout cela l'Evangile oppose aujourd'hui cette seule règle : Surrexit vere; il est vraiment ressuscité; et, par cette règle, nous donne à juger combien nous sommes

 

1 1 Cor., XV, 51.

 

éloignés des voies de Dieu , puisque entre notre vie nouvelle et la vie glorieuse de Jésus-Christ, il y a une opposition aussi monstrueuse que celle qui se trouve entre l'apparent et le réel, entre le vide et le solide, entre le faux et le vrai. Ah ! mes chers auditeurs, combien de fantômes de conversion, ou, pour user du terme de saint Bernard, combien de chimères de conversions ne pourrais-je pas vous produire ici, s'il m'était permis d'entrer dans le secret des cœurs et de vous en découvrir le fond! Combien de conversions purement humaines, combien de politiques, combien d'intéressées, combien de forcées, combien d'inspirées par un autre esprit que celui qui nous doit conduire quand il s'agit de retourner à Dieu ! conversions, si vous voulez, fécondes en beaux sentiments , mais stériles en effets ; magnifiques en paroles, mais pitoyables dans la pratique; capables d'éblouir, mais incapables de sanctifier. Combien de consciences se sont présentées devant les autels comme des sépulcres blanchis, et sous cette surface trompeuse cachant encore la pourriture et la corruption ! Sont-ce là les copies vivantes de cet Homme-Dieu, qui renaît du sein de la mort, pour être, comme dit saint Paul, l'aîné d'entre plusieurs frères: Ut sit ipse primogenitus in multis fratribus (1). Non, non, Chrétiens, ce n'est point par là qu'on a le bonheur et la gloire de lui ressembler; il faut quelque chose de plus, et sans une conversion véritable on n'y peut prétendre. Or, qu'est-ce qu'une véritable conversion? Comprenez ceci, s'il vous plaît ; c'est-à-dire une conversion de cœur et sans déguisement, une conversion surnaturelle, dont Dieu soit le principe , l'objet et la fin. Que ne m'est-il permis de développer ces deux articles importants dans toute leur étendue!

Conversion sincère et sans déguisement; car, dit saint Bernard, pourquoi nous contrefaire devant Dieu, qui, nous ayant faits ce que nous sommes, voit mieux que nous-mêmes ce qui est en nous et ce qui n'y est pas? et pourquoi feindre devant les hommes, dont l'estime ne nous justifiera jamais, et dont l'erreur sur ce point fera même un jour notre confusion? N'est-ce pas pour cela que saint Paul, représentant aux chrétiens, comme autant d'obligations , les conséquences qu'ils devaient tirer de ce mystère, en revenait toujours à cette loi que Jésus-Christ, notre Agneau pascal, avait été immolé pour nous , et que nous devions célébrer cette fête, non avec le vieux levain, avec

 

1 Rom., VIII, 29.

 

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ce levain de dissimulation et de malice dont peut-être nos cœurs jusques à présent avaient été infectés : Non in fermento veteri, neque in fermenta malitiœ et nequitiœ; mais dans un esprit de sincérité et de vérité : Sed in azymis sinceritatis et veritatis (1) ; pourquoi ? parce que le Seigneur même avait dit que cette sincérité de conversion était la condition essentielle qui devait nous donner avec Jésus-Christ ressuscité une sainte ressemblance.

En effet, ce qui nous perd devant Dieu , et ce qui nous empêche de ressusciter en esprit, comme Jésus-Christ ressuscita selon la chair, c'est communément un levain de péché que nous fomentons dans nous, et dont nous ne travaillons pas à nous défaire. Je m'explique. On se réconcilie avec son frère et l'on pardonne à son ennemi, mais il reste néanmoins toujours un levain d'aigreur et de chagrin qui diffère peu de l'animosité et de la haine ; on rompt une attache criminelle, mais on ne la rompt pas tellement qu'on ne s'en réserve, pour ainsi dire, certains droits à quoi l'on prétend que la loi de Dieu n'oblige pas en rigueur de renoncer, certains commerces que l'honnêteté et la bienséance semblent autoriser, certaines libertés que l'on s'accorde, en se flattant qu'on n'ira pas plus loin : voilà ce que saint Paul appelle le levain du péché : Neque in fermento malitiœ et nequitiœ. Or, il faut, mes Frères, ajoutait l'Apôtre, vous purifier de ce levain si vous voulez célébrer la nouvelle pâque. Il faut vous souvenir que, comme un peu de levain, quand il est corrompu, suffit pour gâter toute la niasse, aussi ce qui reste d'une passion mal éteinte, quoique amortie en apparence, peut détruire et anéantir tout le mérite de notre conversion : Expurgate vetus fermentum, ut sitis nova conspersio (2).

Conversion surnaturelle et dans la vue de Dieu : car, que peuvent tous les respects humains et toutes les considérations du monde, quand il s'agit de nous faire revivre à Dieu, et de reproduire en nous tout de nouveau l'esprit de la grâce, après que nous l'avons perdu ? On nous dit que le désordre où nous vivons peut être un obstacle à notre fortune, que cette attache nous rend méprisables, que ce scandale nous rend odieux, et sur cela précisément nous nous corrigeons; on nous l'ait entendre que lu piété pourrait servir à notre établissement, et pour cela nous nous réformons. Qu'est-ce qu'une telle conversion, eût-elle d'ailleurs tout l'éclat de la plus exacte et de la

 

1 Cor., V,8. —2 Ibid.,7.

 

plus sincère régularité? On s'éloigne du monde par un dépit secret, par impuissance d'y réussir, par désespoir de parvenir à certains rangs que l'ambition y cherche; on se détache de cette personne parce qu'on en est dégoûté, parce qu'on en a découvert la perfidie et l'infidélité ; on cesse de pécher, parce que l'occasion du péché nous quitte, et non pas parce que nous quittons l'occasion du péché : tout cela, ombres de conversions. Il faut qu'un principe surnaturel nous anime, comme Jésus-Christ ressuscita par une vertu divine; il faut que sur le modèle de Jésus-Christ, qui, dans sa résurrection, selon le beau mot de saint Augustin, parut entièrement Dieu : In resurrectione totus Deus; parce qu'en vertu de ce mystère l'humanité fut tout absorbée dans la divinité ; aussi que dans notre conversion il n'y ait rien qui ressente l'homme, rien qui tienne de l'imperfection de l'homme, rien qui participe à la corruption de l'homme ; que l'intérêt n'y entre point, que la prudence de la chair ne s'en mêle point, et que si la créature en est l'occasion, le Créateur en soit le motif. Ainsi le pratiquait l'Apôtre, quand il disait : Loin de moi cette fausse justice que je pourrais trouver dans moi et qui serait de moi, parce que Dieu, dès lors , n'en serait pas l'objet ni le principe ! Il ne me suffit pas même d'avoir cette justice qui vient de la loi; mais il me faut celle qui vient de Dieu par la foi, celle qui nie fait connaître Jésus-Christ et la vertu de sa résurrection, afin que je parvienne, s'il est possible, à cette résurrection bienheureuse qui distingue les vivants d'avec les morts, c'est-à-dire les pécheurs justifiés d'avec ceux qui ne le sont pas : Ut inveniar in illo non habens meam justitiam quœ ex lege est, sed illam quœ ex fide est Christi Jesu : ad cognoscendum illum et virtutem resurrectionis ejus, si quomodo occurram ad resurrectionem quœ est ex mortius. Ainsi, après l'Apôtre, en ont usé tous les vrais pénitents en se convertissant à Dieu. Ils ont fermé les yeux à tout le reste, ils n'ont consulté ni la chair ni le sang, ils ont foulé le monde aux pieds, ils se sont élevés au-dessus d'eux-mêmes; et pourquoi? parce qu'ils cherchaient, dit saint Paul, une résurrection plus solide et plus avantageuse que celle qui nous est figurée dans la conversion prétendue des mondains : Ut meliorem invenirent resurrectionem (1). Car encore une fois, il y a maintenant une diversité de conversions, comme à la fin des siècles il y aura une diversité de résurrections;

 

1 Heb., XI, 35.

 

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et comme, selon l'Evangile, les uns sortiront de leurs tombeaux pour ressusciter à la vie, les autres pour ressusciter à leur condamnation et à la mort : Et procedent qui bona fecerunt, in resurrectionem vitœ ; qui vero mala egerunt, in resurrectionem judicii (1) ; de même voit-on des pécheurs sortir du tribunal de la pénitence, les uns vivifiés par la grâce et réconciliés avec Dieu , les autres par l'abus du sacrement, encore plus endurcis dans le péché et plus ennemis de Dieu. Heureux, conclut le Saint-Esprit dans l'Apocalypse , heureux et saint quiconque aura part à la première résurrection ! Il parle de la résurrection des justes : Beatus et sanctus qui habet partem in resurrectione prima (2) ! Je dis, par la même règle : Heureux et saint quiconque a eu part à la première conversion ! Heureux et saint celui qui, ressuscitant avec Jésus-Christ, selon la maxime de l'Apôtre, n'envisage dans sa conversion que les choses du ciel, détourne sa vue de tous les objets de la terre, ne cherche point les prospérités, s'élève au-dessus des adversités, est content de posséder Dieu, et s'attache à Dieu pour Dieu même ! Or, c'est cette conversion, Chrétiens, que Dieu vous demande aujourd'hui, et dont il vous propose le modèle dans la personne de son Fils.

Cependant n'en demeurons pas là : j'ai dit que le Sauveur du monde, après être sorti du tombeau, n'avait plus vécu en homme mortel, mais en homme céleste et ressuscité; et que c'est une loi pour nous de mener après notre conversion une vie nouvelle, et conforme à l'heureux état où sont élevés par la grâce des hommes vraiment convertis : Ut quomodo surrexit a mortuis, ita et nos in novitate vitœ ambulemus (3). Mais en quoi consiste cette nouvelle vie? Retournons à notre modèle. Le voici. Jésus-Christ, en qualité d'homme, était composé d'un corps et d'une âme, mais son corps, au moment qu'il ressuscita, par un merveilleux changement, de matériel et de terrestre qu'il était dans sa substance, devint un corps tout spirituel dans ses qualités; et son âme, en vertu de la même résurrection, se trouva, par un autre prodige, parfaitement séparée du monde, quoiqu'elle fût encore au milieu du monde : deux traits de ressemblance que Jésus-Christ ressuscité doit nous imprimer pour faire en nous ce renouvellement, qui est la preuve nécessaire mais infaillible de notre conversion. Il avait un corps, et ce corps, revêtu de gloire, semblait être de la nature et de la condition

 

1 Joan., V. 29  — 2 Apoc., XX, 6., — 3 Rom., VI, 4.

 

des esprits ; vérité si constante que saint Paul, envisageant le mystère que nous célébrons, ne craignait point de dire aux Corinthiens : Itaque, etsi cognovimus secundum carnem Christum, sed nunc jam non novimus (1). C'est pourquoi, mes Frères, quoique autrefois nous ayons connu Jésus-Christ selon la chair, maintenant qu'il est ressuscité d'entre les morts, nous ne le connaissons plus de la même sorte, ni selon cette même chair. Que dites-vous, grand Apôtre? reprend là-dessus saint Chrysostome ; quoi ! vous ne connaissez plus votre Dieu selon cette chair adorable dans laquelle il a opéré votre salut? cette chair formée par le Saint-Esprit, conçue par une vierge, unie et associée au Verbe divin ; cette chair qu'il a immolée pour vous au Calvaire, qu'il vous a laissée pour nourriture dans son sacrement, et qui doit être un des objets de votre béatitude dans le ciel, vous ne la connaissez plus? Non, répond l'Apôtre sans hésiter; depuis que cet Homme-Dieu, dégagé des liens de la mort, a pris possession de sa vie glorieuse, je ne le connais plus selon la chair : Etsi cognovimus secundum carnem Christian, sed nunc jam non novimus (2). Ainsi le disait le Maître des Gentils ; et n'en faites-vous pas d'abord l'application? C'est-à-dire que si vous êtes vraiment convertis, il faut que l'on ne vous connaisse plus, ou plutôt que vous ne vous connaissiez plus vous-mêmes selon la chair; que vous ne cherchiez plus à satisfaire les désirs déréglés de la chair; que vous ne soyez plus esclaves de cette chair qui vous a jusques à présent dominés; que cette chair, purifiée par la pénitence, ne soit plus désormais sujette à la corruption du péché ; et que nous, les ministres du Seigneur, qui gémissions autrefois de ne pouvoir vous regarder que comme des hommes sensuels et charnels, maintenant nous ayons la consolation, non-seulement de ne vous plus connaître tels que vous étiez, mais de vous connaître là-dessus divinement changés et transformés; en sorte que nous puissions dire de vous par proportion : Etsi cognovimus vos secundum carnem, sed nunc jam non novimus.

Car c'est par là, mes chers auditeurs, que nos corps, selon la doctrine de saint Paul, participent dès cette vie à la gloire de Jésus-Christ ressuscité; c'est par là qu'ils deviennent spirituels, incorruptibles, pleins de vertu, de force, d'honneur : mais souvenons-nous qu'ils ne sont rien de tout cela qu'autant que nous y coopérons, et que, par une pleine correspondance,

 

1 1 Cor ,V, III. — 2 Ibid.

 

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nous travaillons, selon la règle du Saint-Esprit, à en faire des hosties pures et agréables aux yeux de Dieu. Les corps glorieux possèdent toutes ses qualités par une espèce de nécessité; mais ces qualités ne conviennent aux nôtres que dépendamment de notre liberté : c'est ce qui fait sur la terre notre mérite; mais c'est aussi ce qui doit redoubler notre crainte, et ce qui demande toute notre vigilance. Car, quelque affermis que nous puissions être dans le bien, nous ne sommes pas inébranlables : les grâces qui nous ont fortifiés dans notre conversion ne sont point des grâces à fomenter notre paresse, beaucoup moins à autoriser notre présomption. Quelque confiance que nous devions avoir dans la miséricorde et dans le secours de Dieu, il est toujours vrai que nous pouvons nous démentir de nos plus fermes résolutions, et que nos infidélités peuvent nous faire déchoir de cet état de pureté où la pénitence nous a rétablis. Que faut-il donc faire, et comment devons-nous vivre désormais dans le monde? comme Jésus-Christ après sa résurrection. Il était dans le monde, mais sans y être, c'est-à-dire sans prendre part aux affaires du monde, aux intérêts du monde, aux assemblées cl aux conversations du monde ; ne s'entretenant qu'avec ses disciples, et ne leur parlant que du royaume de Dieu. Vous donc, mes Frères, concluait saint Paul, et je le conclus après lui, si vous êtes ressuscites avec Jésus-Christ : Si consurrexistis cum Christo; n'ayez plus désormais de goût que pour les choses du ciel : Quœ sursum sunt sapite; ne cherchez plus désormais que les choses du ciel : Quœ sursum sunt quœrite (1). Séparez-vous du monde, vivez hors du monde, non pas toujours en sortant du monde, puisque votre condition vous y retient, mais n'y soyez ni d'esprit ni de cœur : surtout si vous vous montrez clans le monde, que ce soit pour l'édifier par votre changement. Etre converti, c'est le premier devoir, et c'a été le sujet de la première partie. Paraître converti, c'est l'autre devoir, dont j'ai à vous parler dans la seconde partie.

 

DEUXIÈME PARTIE.

 

C'est un mystère, Chrétiens, mais ce n'est point un mystère obscur ni difficile à pénétrer, savoir, pourquoi Jésus-Christ après sa résurrection voulut encore demeurer parmi les hommes durant l'espace de quarante jours. Dans l'ordre naturel des choses, du moment qu'il était ressuscité, le ciel devait être son séjour,

 

1 Colos., III, 1, 2.

 

et la terre n'était plus pour lui qu'une demeure étrangère. Pourquoi donc diffère-t-il cette ascension triomphante qui le devait mettre en possession d'un royaume dû à ses mérites; et pourquoi suspend-il en quelque sorte cette félicité consommée, qui lui était si légitimement acquise, et par tant de titres? Pourquoi ? une raison supérieure le fait consentir à ce retardement : la voici, mes chers auditeurs, prise de l'Evangile même. C'est qu'il veut soutenir toujours son caractère de Sauveur, et rapporter à notre justification aussi bien les mystères de sa gloire que ceux de ses humiliations et de ses souffrances, afin qu'il soit vrai de dire en foute manière : Traditus est propter delicta nostra, et resurrexit propter justificationem nostram (1). Or, pour cela, dit saint Chrysostome, il ne se contente pas d'être ressuscité, mais il veut paraître ressuscité ; il veut se faire voir au monde dans l'état de cette nouvelle vie où il est entré ; il veut, par ses apparition?, répandre au dehors les rayons de cette divine lumière dont il vient d'être revêtu. Voilà, dis-je, pourquoi il emploie quarante jours à se montrer, tantôt à tous ses disciples assemblés, tantôt à quelques-uns en particulier, tantôt dans une pêche miraculeuse, tantôt dans un repas mystérieux, tantôt sous la forme d'un jardinier, tantôt sous celle d'un voyageur, agissant, parlant, se communiquant, et donnant partout des preuves sensibles du miracle opéré dans sa personne, et de son retour d'entre les morts. Excellente leçon pour nous, Chrétiens, si nous en savons profiter. Tout ceci nous regarde, et nous apprend que, comme ce n'est point assez de paraître convertis si nous ne le sommes en effet, aussi ne suffit-il point de l'être et de ne le pas paraître.

Car, pour développer cette importante morale, ce sont, mes chers auditeurs, deux obligations différentes que d'être converti et de paraître converti ; et notre erreur est de ne les pas assez distinguer. Comme ce sont deux espèces de désordres que d'être impie et de paraître impie (car être impie, disait Tertullien, c'est un crime, et le paraître , c'est un scandale ) ; aussi devons-nous être bien persuadés qu'il y a deux préceptes dans la loi divine, dont l'un nous oblige à nous convertir, et l'autre à donner des marques extérieures de notre conversion ; en sorte que d'obéir à l'un de ces deux préceptes, sans se mettre en devoir d'accomplir l'autre, ce n'est qu'une justice imparfaite. En effet, si Jésus-Christ, après être sorti du tombeau,

 

1 Rom., IV, 25.

 

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s'était tenu caché dans le monde, et qu'il n'eût point paru ressuscité, il n'aurait, si je l'ose dire, exécuté qu'à demi le dessein de son adorable mission ; il aurait laissé notre foi dans le trouble, et par rapport à nous, la religion qu'il voulait établir n'aurait point eu de solide fondement. De même, si nous négligeons après notre conversion, ou si nous craignons de paraître convertis, nous ne faisons qu'imparfaitement l'œuvre de Dieu; et, bien loin de lui plaire, nous encourons la malédiction prononcée par l'apôtre saint Jacques, quand il dit que quiconque viole un commandement, quoiqu'il en observe un autre, est censé coupable, comme s'il avait transgressé toute la loi : Qui peccat in uno factus est omnium reus (1). Je dis plus : être et paraître converti, sont tellement deux obligations différentes, qu'elles sont néanmoins inséparables , et qu'à prendre la chose dans la rigueur, il est impossible de s'acquitter de la première sans satisfaire à la seconde, parce qu'il est constant, comme l'ange de l'école, saint Thomas, l'a judicieusement remarqué, que paraître converti est une partie de la conversion même. Je m'explique. Vous avez pris enfin, dites-vous, là résolution de changer de vie et de renoncer à votre péché, mais vous avez du reste, ajoutez-vous, des mesures à garder, et vous ne voulez pas qu'on s'aperçoive de votre changement. Mais moi , je soutiens qu'il y a de la contradiction dans ce que vous vous proposez, parce qu'une des circonstances les plus essentielles de ce changement de vie, qui doit faire votre conversion, est qu'on s'en aperçoive et qu'il paraisse. Je dis que tandis qu'il ne paraîtra pas et qu'on ne s'en apercevra pas, quelque idée que vous en ayez, c'est un changement équivoque et suspect, ou même chimérique et imaginaire : pourquoi? parce qu'une conversion, pour être complète, doit embrasser sans exception tous les devoirs de l'homme chrétien. Or, un des devoirs de l'homme chrétien est de paraître ce qu'il est ; et s'il a été pécheur et rebelle à Dieu, un de ses devoirs les plus indispensables est de paraître obéissant et soumis à Dieu. Je dis que ce devoir est fondé sur l'intérêt de Dieu que vous avez offensé, sur l'intérêt du prochain que vous avez scandalisé, sur votre intérêt propre, j'entends l'intérêt de votre âme et de votre salut, que vous avez ouvertement abandonné ; trois preuves invincibles de la vérité que je vous prêche , et dont je puis me promettre que vous serez touchés.

 

1 Jac., II, 10.

 

Obligation de paraître converti, prise de l'intérêt de  Dieu qu'on a offensé; autrement, Chrétiens, quelle réparation ferez vous à Dieu de tant de crimes, et comment lui rendrez-vous la gloire que vous lui avez ravie en les commettant?  Quoi!  pécheur qui m'écoutez, vous avez outragé mille fois ce Dieu de majesté, et vous rougirez maintenant de paraître humilié devant lui? Vous avez méprisé hautement sa loi, et vous croirez en être quitte pour un secret repentir? Votre libertinage, qui l'irritait, a été public, et votre pénitence, qui doit l'apaiser, sera obscure et cachée? Est-ce traiter Dieu en Dieu? Non, non, mes Frères, dit saint | Chrysostome, en user ainsi, ce n'est point proprement se convertir. Quand nous n'aurions jamais péché, et que nous aurions toujours conservé l'innocence de notre baptême, Dieu veut que nous nous déclarions ; et en vain lui protestons-nous dans le cœur qu'il est noire Dieu, si nous ne sommes prêts à nous en expliquer devant les hommes, et même devant les tyrans, par une confession libre et généreuse : Quicumque confessus fuerit me coram hominibus (1). Telle est la condition qu'il nous propose, et sans laquelle il  nous réprouve comme indignes de lui. Or, si le juste même, quoique juste, reprend saint Chrysostome, est sujet à cette condition, combien plus le pécheur qui se convertit, puisqu'il s'agit pour lui non-seulement de confesser le Dieu qu'il sert et qu'il adore, mais de faire justice au Dieu qu'il a déshonoré? Et comment la lui fera-t-il cette justice, si ce n'est par une conversion qui édifie, par une conversion  dont on voit les fruits, par une  conversion aussi exemplaire qu'elle doit être de bonne foi et sincère? Il faut donc, conclut saint Chrysostome, que la vie de ce pécheur, dans l'état de sa pénitence, soit désormais comme une amende honorable qu'il fait à son Dieu. Il faut que son respect dans le lieu saint, que son attention à l'adorable sacrifice, que son assiduité aux autels, que sa fidélité aux observances de l'Eglise, que ses discours modestes et religieux, que sa conduite régulière, que tout parle pour lui, et réponde à Dieu de la contrition de son âme : pourquoi? afin que Dieu soit ainsi dédommagé, et que ceux qui, voyant autrefois cet homme dans les désordres d'une vie impure et libertine, demandaient où était son Dieu, et doutaient presque qu'il y en eût un, non-seulement n'en doutent plus, mais le glorifient d'une conversion si visible et si éclatante : Nequando dicant

 

1 Luc, XII, 8.

 

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gentes : Ubi est Deus eorum (1) ? Car voilà ce que j'appelle l'intérêt de Dieu.

En effet, quand saint Pierre, après la résurrection du Sauveur, paraissait dans les synagogues et dans les places publiques, prêchant le nom de Jésus-Christ avec une sainte liberté, d'où lui venait surtout ce zèle? de la pensée et du soutenir de son péché. J'ai trahi mon maître, disait-il dans l'amertume de son cœur, et mon infidélité lui a été plus sensible que la cruauté des bourreaux qui l'ont crucifié : il faut donc qu'aux dépens de tout je fasse voir maintenant ce que je lui suis, et que je me sacrifie moi-même pour effacer de mon sang une tache si honteuse. Voilà ce qui l'excitait, ce qui le déterminait à tout entreprendre et à tout souffrir pour cet Homme-Dieu qu'il avait renoncé. Or, c'est dans ce sentiment, mon cher auditeur, que vous devez entrer aujourd'hui. Comme le prince des apôtres, vous reconnaissez, et vous êtes obligé de reconnaître, qu'en mille occasions où le torrent du monde vous entraînait, vous avez renoncé votre Dieu; vous confessez que votre vie, si je puis parler de la sorte, a été un sujet perpétuel de contusion pour Jésus-Christ : n'est-il donc pas juste qne vous vous mettiez en état de lui faire honneur, et que, par une vie chrétienne, vous effaciez au moins les impressions que votre impiété a pu donner contre sa loi? N'est-il pas juste (autre pensée bien touchante), n'est-il pas juste que vous honoriez la grâce même de votre conversion? Car savez-vous, Chrétiens, quel sentiment la grâce de la pénitence vous doit inspirer? savez-vous ce que vous devez être dans le monde en conséquence de cette grâce, si vous y avez répondu? Je dis que vous devez être dans le monde ce que furent les apôtres et les premiers disciples, après la résurrection du Fils de Dieu. L'Ecriture nous apprend que leur principal, ou plutôt leur unique emploi, fut de lui servir de témoins dans la Judée, dans la Samarie, et jusques aux extrémités de la terre : Eritis mihi testes in Jerusalem et in omni Judœa et Samaria (2). Ainsi, mes Frères, devez-vous être persuadés qu'en qualité de pécheurs convertis et réconciliés avec Dieu par la grâce de son sacrement, Dieu attend de vous un témoignage particulier, un témoignage que vous lui pouvez rendre, un témoignage qui lui doit être glorieux. Comme s'il vous disait aujourd'hui : Oui, c'est vous que je choisis pour être mes témoins irréprochables, non plus dans la Samarie ni dans la Judée,  mais dans un lieu

 

1 Psalm., CXIII, 2. — 2 Act., I, 8.

 

où il m'est encore plus important d'avoir des disciples qui soutiennent ma gloire ; mais à la cour, où ce témoignage que je vous demande m'est beaucoup plus avantageux : Eritis mihi testes. Vous, hommes du monde, qui vous êtes livrés aux passions charnelles, mais-en qui j'ai créé un cœur nouveau, vous à qui j'ai fait sentir les impressions de ma grâce, à tous que j'ai tirés de l'abîme du péché, c'est vous qui me servirez de témoins ; et où ? au milieu du monde, et du plus grand monde; car c'est là surtout qu'il me faut fies témoins fidèles : Eritis mihi testes. Il est vrai, vous avez jusques à présent vécu dans le désordre ; mais bien loin que les désordres de votre vie affaiblissent votre témoignage, c'est ce qui le fortifiera et ce qui le rendra plus convaincant; car en vous comparant avec vous-mêmes, et voyant des désordres si publics, suivis d'une conversion si édifiante, le monde, tout impie qu'il est, n'en pourra conclure autre chose sinon que ce changement est l'ouvrage de la grâce, et un miracle de la main toute-puissante du Très-Haut : Eritis mihi testes. Et en effet, Chrétiens, si vous aviez toujours vécu dans l'ordre, quelque gloire que Dieu en tirât d'ailleurs, il n'en tirerait pas le témoignage dont je parle. Vous seriez moins coupables devant lui ; mais aussi seriez-vous moins propres à faire connaître l'efficace de sa grâce. Pour lui servir à la cour de témoins, il fallait des pécheurs comme vous ; et c'est ainsi qu'il vous fait trouver dans votre péché même de quoi l'honorer.

Obligation de paraître converti, fondée sur l'intérêt du prochain, que vous avez scandalisé ; car, comme disait saint Jérôme, je me dois à moi-même la pureté de mes mœurs, mais je dois aux autres la pureté de ma réputation : Mihi deheo meam vitam, aliis debeo meam famam. Or, ce sentiment convient encore plus à un pécheur qui se convertit : Je me dois à moi-même ma conversion, mais je dois aux autres les apparences et les marques de ma conversion : et pourquoi les apparences? pour réparer par un remède proportionné les scandales de ma vie; car ce qui a scandalisé mon frère, peut-il ajouter, ce n'est point précisément mon péché, mais ce qui a paru de mon péché. Je ne fais donc rien si je n'oppose à ces apparences criminelles de saintes apparences; et je me flatte si je me contente de détester intérieurement le péché, et que je n'en retranche pas les dehors. Il faut, mon cher auditeur, que ce prochain pour qui vous avez été un sujet de

 

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chute profite de votre retour, et. qu'il soit absolument détrompé des idées qu'il avait de vous; il faut qu'il s'aperçoive que vous n'êtes plus cet homme dont les exemples lui étaient si pernicieux; que vous n'entretenez plus ce commerce, que vous ne fréquentez plus cette maison ; que vous ne voyez plus cette personne, que vous n'assistez plus à ces spectacles profanes, que vous ne tenez plus ces discours lascifs, en un mot que ce n'est plus vous : car, d'espérer, tandis qu'il vous verra dans les mêmes sociétés, dans les mêmes engagements, dans les mêmes habitudes, qu'il vous croie, sur votre parole, un homme changé et converti, ce serait à lui simplicité de le penser, et c'est à vous une présomption de le prétendre. Ne sortons point de notre mystère : la résurrection du Fils de Dieu, que nous avons devant les yeux, sera pour vous et pour moi une preuve sensible de ce que je dis.

Pourquoi Jésus-Christ a-t-il paru ressuscité, ou plutôt à qui a-t-il paru ressuscité? ceci mérite votre attention. Il a paru ressuscité, dit saint Augustin, aux uns pour les consoler dans leur tristesse, aux autres pour les ramener de leurs égarements, à ceux-là pour vaincre leur incrédulité, à ceux-ci pour leur reprocher l'endurcissement de leur cœur. Madeleine et les autres femmes qui l'avaient suivi, pleurent auprès du sépulcre, pénétrées de la vive douleur que leur cause le souvenir et l'image encore toute récente de sa mort : il leur apparaît, dit l'Evangéliste, pour les remplir d'une sainte joie, et pour faire cesser leurs larmes. Les disciples faibles et lâches l'ont abandonné, et ont pris la fuite, le voyant entre les mains de ses ennemis : il leur apparaît pour les rassembler comme des brebis dispersées, et pour les faire rentrer dans le troupeau. Saint Thomas persiste à être incrédule, et à ne vouloir pas se rendre au témoignage de ceux qui l'ont vu : il lui apparaît pour le convaincre, et pour ranimer sa foi presque éteinte. Les autres, quoique persuadés de la vérité, sont encore froids et indifférents : il leur apparaît pour leur reprocher leur indifférence, et pour réveiller leur zèle. Encore une fois, modèle divin sur quoi nous devons nous former ; car c'est ainsi que nous devons paraître convertis pour la consolation des justes, pour la conversion des pécheurs, pour la conviction des libertins. Méprenons.

Pour la consolation des justes. Car, dans l'état de votre péché, mon cher auditeur, vous étiez mort; et combien d'âmes saintes pleuraient sur vous ! quelle douleur la charité qui les pressait ne leur faisait-elle pas sentir à la vue de vos désordres! avec quel serrement, ou, si vous voulez, avec quel épanchement de cœur n'en ont-elles pas gémi devant Dieu ! par combien de pénitences secrètes n'ont-elles pas lâché de les expier! et depuis combien de temps ne peut-on pas dire qu'elles étaient dans la peine, demandant grâce à Dieu pour vous, et soupirant après votre conversion ! Dieu enfin les a exaucés, et, selon leurs vœux, vous voilà spirituellement ressuscité ; mais on vous dit que l'étant, elles ont droit d'exiger que vous leur paraissiez tel, afin qu'elles s'en réjouissent sur la terre comme les anges bienheureux en triomphent dans le ciel; que c'est une justice que vous leur devez ; que, comme votre péché les a désolées, il faut que votre retour à Dieu les console. Cela seul ne doit-il pas vous engager à leur en donner des preuves, mais des preuves assurées, qui d'une part les comblent de joie, et qui de l'autre mettent comme le sceau à l'œuvre de votre salut? Pour la conversion des pécheurs. Il y a de vos frères clans le monde qui se perdent, et qui, sortis des voies de Dieu, vivent au gré de leurs passions, et ne suivent plus d'autre voie que celle de l'iniquité. Il est question de les sauver, en les ramenant d'une manière douce, mais efficace, au vrai pasteur de leurs âmes, qui est Jésus-Christ; et c'est vous, vous, dis-je, pécheur converti, qui devez servir à ce dessein. Pourquoi vous? Je le répète, parce qu'après vos égarements, vous avez pour y réussir un don particulier que n'ont pas les justes qui se sont toujours maintenus justes. Aussi, remarque Origène, saint Pierre fut-il singulièrement choisi pour ramener au Fils de Dieu les disciples que la tentation avait dissipés : Et tu aliquando convenus, confirma fratres tuos (1); Et vous, Pierre, lui dit le Sauveur du monde, ayez soin d'affermir vos frères quand vous serez une fois converti vous-même. Il ne donna pas cette commission à saint Jean, qui s'était tenu inséparablement attaché à sa personne, ni à Marie, qui l'avait accompagné jusqu'à la croix; mais à saint Pierre, qui l'avait renoncé. Pourquoi cela? Adorable conduite de la Providence ! parce qu'il fallait, dit Origène, un disciple pécheur pour attirer d'autres pécheurs , et parce que le plus grand pécheur de tous était le plus propre à les attirer tous. Ah ! Chrétiens, combien de conversions votre exemple seul ne produirait-il pas, si vous vous regardiez, comme saint Pierre, chargés de l'honorable emploi de gagner

 

1 Luc, XXII, 32.

 

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vos frères a Dieu ! Et tu aliquando conversus, confirma fratres tuos. Cet exemple, épuré de toute ostentation, et soutenu d'un zèle également humble et prudent, quel succès merveilleux n'aurait-il pas, et que pourraient faire en comparaison tous les prédicateurs de l'Evangile? quel attrait surtout ne serait-ce pas pour certains pécheurs, découragés et tentés de désespoir, lorsqu'ils se diraient à eux-mêmes : Voilà cet homme que nous avons vu dans les mêmes débauches que nous; le voilà converti et soumis à Dieu? Y aurait-il un charme plus puissant pour les convertir eux-mêmes? et quand il ne s'agit pour cela que de paraître ce que vous êtes, ne craignez-vous point, en y manquant, d'encourir la malédiction dont Dieu, par son prophète, vous a menacés? Sanguinem autem ejus de manu tua requiram (1).

Pour la conviction des libertins et des esprits incrédules. L'apôtre saint Thomas, devenu fidèle, eut une grâce spéciale pour répandre le don de la foi ; et s'il n'eût jamais été incrédule (c'est la réflexion de saint Grégoire, pape), sa prédication en eût été moins touchante. Mais la merveille était de voir un homme non-seulement croire ce qu'il avait opiniâtrement combattu, mais l'aller publier jusque devant les tribunaux, et ne pas craindre de mourir pour en confirmer la vérité. Voilà ce qui persuadait le monde. Son incrédulité toute seule, dit saint Chrysostome, nous aurait perdus, sa foi toute seule ne nous aurait pas suffi ; mais son infidélité suivie de sa foi, ou plutôt sa foi précédée de son infidélité, c'est ce qui nous a faits ce que nous sommes. J'en dis de même, Chrétiens, en vous appliquant cette pensée : Si vous, à qui je parle, ne vous étiez jamais égarés, peut-être le monde aurait-il du respect pour vous; mais à peine le monde, dans le libertinage de créance où il est aujourd'hui plongé, tirerait-il de vous une certaine conviction dont il a particulièrement besoin. Ce qui touche les impies, c'est d'entendre un impie comme eux, surtout un impie sage d'ailleurs selon le monde, sans autre intérêt que celui de la vérité qu'il a connue, dire : Je suis persuadé, je ne puis plus résister à la grâce qui me presse ; je veux vivre en chrétien, et je m'y engage. Car cette déclaration est un argument sensible qui ferme la bouche à l'impiété, et dont les âmes les plus libertines ne peuvent se défendre.

Enfin, obligation de paraître converti, fondée sur notre intérêt propre. Car cette prudence charnelle qui nous fait trouver tant de

 

1 Ezech., III, 18.

 

prétextes pour ne nous pas déclarer, n'est qu'un artifice, grossier, dont se sert l'ennemi de notre salut pour nous tenir toujours dans ses liens, au moment même que nous nous flattons d'être rentrés dans la liberté des enfants de Dieu. En effet, on ne veut pas qu'il paraisse à l'extérieur qu'on ait changé de conduite ; pourquoi ? parce qu'on sent bien que si ce changement venait une fois à éclater, on serait obligé de le soutenir, qu'on ne pourrait plus s'en dédire; et que l'honneur même venant au secours du devoir et de la religion, on se ferait de la plus difficile vertu, qui est la persévérance, non pas un simple engagement, mais comme une absolue nécessité. Or, en quelque bonne disposition que l'on se trouve, on veut néanmoins se réserver le pouvoir de faire dans la suite ce que l'on voudra. Quoiqu'on renonce actuellement à son péché, on ne veut passe lier, ni s'interdire pour jamais l'espérance du retour. Cette nécessité de persévérer paraît affreuse, et l'on en craint les conséquences : c'est-à-dire, on ne veut pas être inconstant, mais on veut, s'il était besoin, le pouvoir être; et parce qu'en donnant des marques de conversion, on ne le pourrait plus, ou qu'on ne le pourrait qu'aux dépens d'une certaine réputation dont on est jaloux, on aime mieux dissimuler, et courir ainsi les risques de son inconstance, que de s'assurer de soi-même en s'ôtant une pernicieuse liberté. Car voilà, mes chers auditeurs, les illusions du cœur de l'homme. Mais je raisonne tout autrement, et je dis que nous devons regarder comme un avantage de paraître convertis, puisque, de notre propre aveu, le paraître et l'avoir paru est une raison qui nous engage indispensablement à l'être, et à l'être toujours. Je dis que nous devons compter pour une grâce d'avoir trouvé par là le moyen de fixer nos légèretés, en faisant même servir les lois du monde à l'établissement solide et invariable de notre conversion. Mais si je retombe, par une malheureuse fragilité, dans mes premiers désordres, ma conversion, au lieu d'édifier, deviendra la matière d'un nouveau scandale. Abus, Chrétiens : c'est à quoi la grâce de Jésus-Christ nous défend de penser, sinon autant que cette pensée nous peut être salutaire pour nous donner des forces et pour nous animer. Je dois craindre mes faiblesses et prévoir le danger, mais je ne dois pas porter trop loin cette prévoyance et cette crainte ; elle me doit rendre vigilant, mais elle ne me doit pas rendre pusillanime ; elle doit m'éloigner des occasions par une sainte défiance

 

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de moi-même, mais elle ne doit pas m'ôter la confiance en Dieu jusqu'à m'empêcher de faire des démarches pour mon salut, sans lesquelles la résolution que j'ai [irise d'y travailler sera toujours chancelante. Si je me déclare , on jugera de moi, on en parlera : eh bien ! ce sera un secours contre la pente naturelle que j'aurais à me démentir, de considérer que j'aurai à soutenir les jugements et la censure du monde. On m'accusera de simplicité , de vanité, d'hypocrisie , d'intérêt : je tâcherai de détruire tous ces soupçons ; celui de la simplicité , par ma prudence ; celui de l'orgueil, par mon humilité; celui de l'hypocrisie, par la sincérité de ma pénitence ; celui de l'intérêt, par un détachement parfait de toutes choses. Du reste, disait saint Augustin, le monde parlera selon ses maximes , et moi je vivrai selon les miennes : si le monde est juste, s'il est chrétien , il approuvera mon changement, et il en profitera ; s'il ne l'est pas, je dois le mépriser lui-même et l'avoir en horreur.

Quoi qu'il en soit, être et paraître converti, être et paraître fidèle, être et paraître ce qu'on doit être, voilà, mes chers auditeurs, la grande morale que nous prêche Jésus-Christ ressuscité. Heureux , si je vous laisse, en finissant ce discours, non-seulement instruits, mais persuadés et touchés de ces deux importantes obligations ! Après cela, quelque indigne que je sois de mon ministère, peut-être pourrai-je dire, aussi bien que saint Paul quand il quitta les chrétiens d'Ephèse et qu'il se sépara d'eux . que je suis pur devant Dieu et innocent de la perte des âmes , si parmi ceux qui m'ont écouté il y en avait encore qui dussent périr : Quapropter contester vos, quia mundus sum a sanguine omnium (1). Et pourquoi? parce que vous savez, ô mon Dieu , que je ne leur ai point caché vos vérités ; mais que j'ai pris soin de les leur représenter avec toute la liberté, quoique respectueuse , dont doit user un ministre de votre parole. Quand vous envoyiez autrefois vos prophètes pour prêcher dans les cours des rois, vous vouliez qu'ils y parussent comme des colonnes de fer et comme des murs d'airain, c'est-à-dire comme des ministres désintéressés, généreux et intrépides : Ego quippe dedi te hodie in columnam ferream, et in murum œreum, regibus Juda (2). Mais j'ose dire, Seigneur, que je n'ai pas même eu besoin de ce caractère d'intrépidité pour annoncer ici votre Evangile, parce que j'ai eu l'avantage de l'annoncer à un roi chrétien , à un roi qui honore sa religion,

 

1 Act., XX, 26. — 2 Jerem., I, 18.

 

qui l'honore dans le cœur, et qui fait au dehors une profession ouverte de l'honorer : en un mot, à un roi qui aime la vérité. Vous défendiez à Jérémie de trembler en présence des rois de Juda : Ne formides a facie eorum (1) ; et moi, j'aurais plutôt à me consoler de ce que la présence du plus grand des rois, bien loin de m'inspirer de la crainte, a augmenté ma confiance ; bien loin d'affaiblir mon ministère, l'a fortifié et autorisé. Car la vérité , que j'ai prêchée à la cour, n'a jamais trouvé dans le cœur de ce monarque qu'une soumission édifiante et qu'une puissante protection.

Voilà, Sire , ce qui m'a soutenu ; mais voilà ce qui élève Votre Majesté, et ce qui doit être pour elle un fonds de mérite que rien ne détruira jamais : l'amour et le zèle qu'elle a pour la vérité. L'Ecriture nous apprend que ce qui sauve les rois , ce n'est ni la force, ni la puissance , ni le nombre des conquêtes, ni la conduite des affaires , ni l'art de commander et de régner, ni tant d'autres vertus royales qui font les héros et que les hommes canonisent : Non salvatur rex per multam virtutem (2). Il a donc été de la sagesse de Votre Majesté et de la grandeur de son âme de n'en pas demeurer là, mais de se proposer quelque chose encore de plus solide. Ce qui sauve les rois, c'est la vérité ; et Votre Majesté la cherche, et elle se plaît à l'écouter, et elle aime ceux qui la lui font connaître, et elle n'aurait que du mépris pour quiconque la lui déguiserait ; et, bien loin de lui résister, elle se fait une gloire d'en être vaincue : car rien , dit saint Augustin , n'est plus glorieux que de se laisser vaincre par la vérité. C'est, Sire, ce que j'appelle la grandeur de votre âme, et tout ensemble votre salut. Nous estimons nos princes heureux, ajoutait le même saint Augustin, si, pouvant tout, ils ne veulent que ce qu'ils doivent; si, élevés par leur dignité au-dessus de tous, ils se tiennent par leur bonté redevables à tous ; s'ils ne se considèrent sur la terre que comme les ministres du Seigneur ; si, dans les honneurs qu'on leur rend, ils n'oublient point qu'ils sont hommes; s'ils mettent leur grandeur à faire du bien ; s'ils font consister leur pouvoir à corriger le vice ; s'ils sont maîtres de leurs passions aussi bien que de leurs actions ; si, lorsqu'il leur est aisé de se venger, ils sont toujours portés à pardonner ; s'ils établissent leur religion pour règle de leur politique ; si, se dépouillant de la majesté, ils offrent tous les jours à Dieu dans la prière le sacrifice de leur

 

1 Jerem., I,17. — 2 Psalm., XXXII, 16.

 

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humilité. Portrait admirable d'un roi vraiment chrétien, et que je ne crains pas d'exposer aux yeux de Votre Majesté, puisqu'il ne lui représente (pie ses propres sentiments et que ce qui doit être le sujet de sa consolation. C'est vous, ô mon Dieu, qui donnez à votre peuple des hommes de ce caractère pour le gouverner, vous qui tenez dans vos mains les cœurs des rois, vous qui présidez à leur salut, et qui vous glorifiez dans l'Ecriture d'en être spécialement l'auteur : Qui das salutem regibus (1). Montrez, Seigneur, montrez que vous êtes en effet le Dieu du salut des rois, en répandant sur notre invincible monarque l'abondance de vos bénédictions et de vos grâces, mais particulièrement la grâce des grâces, qui est celle du salut éternel. Quand nous vous prions pour la conservation de sa personne sacrée, pour la prospérité de ses armes, pour le succès et la gloire de ses entreprises, quoique ces prières soient justes et d'un devoir indispensable, elles ne laissent pas d'être en quelque sorte intéressées; car nos fortunes, nos vies étant attachées à la personne de ce grand roi, noire gloire étant la sienne et ses prospérités les nôtres, nous ne pouvons sur cela nous intéresser pour lui sans faire autant de retours vers nous. Mais quand nous vous conjurons de verser sur lui ces grâces particulières qui font le salut des rois, c'est pour lui que nous vous prions, puisqu'il n'y a rien pour lui ni pour tous les rois du monde de personnel et d'essentiel que le salut. Tel est, Sire, le sentiment que Dieu inspire au dernier de vos sujets pour votre auguste personne; tel est le souhait que je forme tous les jours, et le souhait le plus sincère et le plus ardent. Dieu l'écoutera, et après vous avoir fait régner avec tant d'éclat sur la terre, il vous fera régner encore avec plus de bonheur et plus de gloire dans le ciel, où nous conduise, etc.

 

1 Psalm., CXLII, 10.

 

 

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