LUNDI CAREME II

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SERMON POUR LE LUNDI DE LA DEUXIÈME SEMAINE.
SUR L'IMPÉNITENCE FINALE.

ANALYSE.

 

Sujet. Je m'en vais ; vous me chercherez, et vous mourrez dans votre péché.

 

Le souverain mal, c'est le péché et la mort unis ensemble. Mort dans le péché, que nous avons à craindre aussi bien que la Juifs, et qui fera la matière de ce discours.

Division. Trois sortes de pécheurs meurent dans l’impénitence : les uns dans une impénitence criminelle, les autres dans l’impénitence malheureuse, et les derniers dans une impénitence secrète et inconnue. Les premiers, ayant tous les secours nécessaires, meurent volontairement dans le désordre actuel de l'impénitence : impénitence criminelle. Les seconds, privés de ces

 

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secours, meurent sans nul sentiment et nulle démonstration de pénitence : impénitence malheureuse. Enfin, plusieurs, croyant faire pénitence fila mort, et la faisant en apparence, ne font qu'une pénitence trompeuse et fausse : impénitence secrète et inconnue. Ce n'est pas assez. J'ajoute que l'impénitence de la vie conduit à l'impénitence criminelle de la mort par voie de disposition ; première partie : que l'impénitence de la vie conduit à l'impénitence malheureuse de la mort par voie de punition; deuxième partie : et que l'impénitence de la vie conduit à l'impénitence secrète et inconnue, ou à la fausse pénitence de la mort, par voie d'illusion; troisième partie.

Première partie. Impénitence criminelle. On y meurt, 1° ou par une volonté délibérée de renoncer absolument à la pénitence, lors même qu'on se trouve aux approches de la mort ; 2° ou par une omission criminelle des moyens ordinaires, et marqués de Dieu pour rentrer en grâce avec lui et pour faire pénitence.

1° Volonté délibérée de renoncer absolument à la pénitence. Ce que j'entends par là, ce n'est pas une révolte expresse et positive contre Dieu, lorsque le pécheur, même à la mort, ne veut pas reconnaître le Créateur dont il a reçu la vie, et qui lui en va demander compte. Je parle seulement de ces pécheurs dont l'impénitence est aussi souvent un effet de la faiblesse que de la malice de leur erreur, ou plutôt est un effet tout ensemble de l'une et de l'autre. Je parle, par exemple, d'un homme qui, rempli de fiel et d'amertume, refuse de se réconcilier à la mort. Or, combien voyons-nous de pareilles morts dans le christianisme? etc. Voilà ce que j'appelle mourir avec réflexion et avec vue dans le péché d'impénitence.

2° Du moins, omission criminelle des moyens ordinaires et marqués de Dieu pour rentrer en grâce avec lui et pour faire pénitence. On se rassure contre le péril pressant où l'on est, on temporise, on remet au lendemain, et cependant on meurt sans sacrements et dans l'inimitié de Dieu.

J'ajoute que l'impénitence de la vie conduit a cette impénitence de la mort par voie de disposition, c'est-à-dire par voie d'habitude, par voie d'attachement, par voie d'endurcissement. Par voie d'habitude : car des habitudes contractées pendant la vie ne se détruisent pas tout à coup aux approches de la mort, et communément nous mourons comme nous avons vécu. Par voie d'attachement : les péchés de la vie, dit le Sage, forment comme une chaîne qui tient le pécheur presque malgré lui dans la servitude, même à la mort. Par voie d'endurcissement : le cœur, toujours criminel et ne se repentant jamais, s'est enfin endurci de telle sorte que rien ne le peut plus toucher.

Deuxième partie. Impénitence malheureuse. Il ne suffit pas, pour mourir dans l'état de la grâce, que le pécheur soit résolu de recourir un jour à la pénitence; car le temps pour cela et les moyens peuvent lui manquer sans même qu'il l'ait voulu, mais par un juste châtiment de Dieu. Son impénitence finale n'est donc point précisément alors un nouveau péché, mais un malheur, et le plus grand de tous les malheurs.

Or, qu'y a-t-il de plus fréquent et de plus universel que ces morts imprévues, où le pécheur tombe tout à coup dans un état qui le rend incapable de conversion et de pénitence.

Que dirai-je de ceux qui meurent dans une ignorance non coupable, mais funeste, du danger prochain où ils sont? On trompe un malade. Supposons même qu'il connaisse son état, et qu'il soupire après le remède ; on cherche un prêtre, mais on ne le trouve point. Je dis plus : ce prêtre se trouvera ; mais, par un autre jugement de Dieu, il n'aura pas le don d'assister un pécheur mourant.

Affreux, mais juste châtiment du ciel : et c'est ainsi que l'impénitence de la vie conduit à cette seconde impénitence de la mort par voie de punition. Combien Dieu s'en est-il expliqué de fois dans l'Ecriture ? Combien de fois le Fils de Dieu nous en i-t-il menacés dans l'Evangile?

Troisième partie. Impénitence secrète et inconnue, ou fausse pénitence. Bien loin qu'après l'impénitence de la vie, un pécheur à la mort puisse compter sur sa pénitence, il doit positivement s'en défier : pourquoi?  1° parce que rien en soi n'est plus difficile à l'homme que la vraie pénitence ; 2° parce que de tous les temps celui où la vraie pénitence est plus difficile, c'est le temps de la mort ; 3° parce que, entre tous les hommes à qui la vraie pénitence est difficile aux approches de la mort, il n'en est point pour qui elle doive plus l'être que pour ceux qui ne l'ont jamais faite pendant la vie.

1° Rien de plus difficile en soi que la vraie pénitence; car pour cela il faut se changer entièrement soi-même.

2° De tous les temps, celui où la vraie pénitence est plus difficile, c'est celui de la mort. Ce n'est point vous qui quittez le péché ; c'est le péché qui vous quitte. Or, l'homme n'est jamais plus ardent pour les objets qui entretiennent sa cupidité, que quand ces objets lui échappent.

3° Entre tous les hommes à qui la vraie pénitence est difficile aux approches de la mort, il n'en est point pour qui elle doive plus l'être que pour ceux qui ne l'ont jamais faite pendant la vie : pourquoi? parce qu'ils sont plus endurcis dans leur péché. De la souvent ils ne fout qu'une fausse pénitence. 1° Pénitence forcée; 2° pénitence toute naturelle.

Pénitence forcée, parce qu'on n'agit souvent que par une crainte servile et une nécessité inévitable.

Pénitence naturelle et tout humaine, c'est-à-dire qui n'a ni Dieu ni le péché pour objet. Que craignent-ils, ces prétendus pénitents? de brûler, dit saint Augustin. Voilà ce qui les touche.

Du reste, vous me demandez comment l'impénitence de la vie conduit à la fausse pénitence de la mort. Je dis que c'est par voie

d'illusion. Car le pécheur n'ayant jamais fait nul exercice de la pénitence pendant qu'il a vécu, il n'a jamais appris à la connaître : d'où je conclus qu'il doit y être aisément trompé à la mort.

 

Ego vado, et quœretis me, et in peccato vestro moriemini.

 

Je m'en  vais ; vous me chercherez , et vous mourrez dans votre péché. (Saint Jean, chap. VIII, 21.)

 

Ce sont deux grands maux que le péché et la mort : le péché, par où la mort est entrée dans le monde; et la mort, par où Dieu a puni le péché : le péché, qui dégrade l'homme dans l'ordre de la grâce; et la mort, qui le détruit dans l'ordre de la nature : le péché, qui nous a fait tomber de ce bienheureux état d'innocence, où Dieu nous avait créés; et la mort, qui nous dépouille de tous les biens temporels dont Dieu après le péché nous a encore laissé l'usage. Mais après tout, Chrétiens, ni la mort ni le péché, pris séparément, ne sont point des maux extrêmes; et j'ose même dire qu'ils peuvent avoir leur avantage et leur utilité. Car la mort sans le péché peut être sainte et précieuse devant Dieu ; et le péché sans la mort peut servir de matière aux plus excellentes vertus qui rendent l'homme agréable à Dieu. La mort sans le péché fut dans Jésus-Christ une

 

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source de grâces et de mérites ; et le péché sans la mort, comme l'enseigne la théologie, a été dans les prédestinés et un principe et un effet de leur prédestination. La mort sans le péché acheva de sanctifier Marie ; et le péché sans la mort devint un motif de conversion pour Madeleine. Mais le souverain mal et ce qu'il y a de plus affreux, c'est le péché et la mort unis ensemble : la mort, qui met le dernier sceau à l'impénitence du pécheur; et le péché qui imprime à la mort le caractère de sa malice : la mort, qui rend le péché pour jamais irrémissible ; et le péché, qui rend la mort pour toujours criminelle et réprouvée. La mort dans le péché, la mort avec le péché, la mort même, comme il arrive souvent, par le péché : voilà, mes chers auditeurs, ce qui m'effraie et ce qui doit vous effrayer comme moi ; voilà ce que Dieu a de plus terrible dans les trésors de sa colère ; voilà de quoi le Fils de Dieu menace aujourd'hui les Juifs, et de quoi nous avons aussi bien que les Juifs à nous préserver. Pour bien entrer dans ces sentiments, implorons le secours du ciel par l'intercession de la Vierge, que nous prions tous les jours de nous être favorable à la mort, et disons-lui : Ave, Maria.

C'était, Chrétiens, une triste vérité pour les Juifs, mais une vérité fondée sur la parole même de Jésus-Christ, qu'après avoir vécu dans le péché, ils mourraient dans l'impénitence : In peccato vestro moriemini. Or, en quel sens cet oracle doit-il être entendu? car il nous importe de le bien savoir, puisque le Sauveur du monde nous parlait à nous-mêmes dans la personne des Juifs, et qu'il n'y va pas moins que d'une éternelle réprobation. Est-ce une simple menace que Jésus-Christ faisait à cette nation incrédule, pour les obliger à se reconnaître ? Est-ce un arrêt définitif qu'il portait contre eux ; et prétendait-il leur signifier que la mesure de leurs crimes était remplie, et qu'ils n'avaient plus de grâce à espérer de la part de Dieu? Saint Chrysostome l'a pris dans le sens le plus favorable ; et ce Père estime que ce fut seulement comme une sentence comminatoire qui déclarait aux Juifs ce qu'ils avaient à craindre, s'ils demeuraient plus longtemps dans leur infidélité; de même que Jonas, en prêchant aux Ninivites, leur annonça qu'après le terme de quarante jours, Ninive serait détruite : Adhuc quadraginta dies et Ninive subvertetur (1). Saint Jérôme s'est attaché à la lettre;

 

1 Jon., III, 4.

 

et sa pensée est que le Fils de Dieu ne parlait pas seulement aux Juifs en prophète pour les intimider, mais en juge et en souverain, pour les condamner : c'est-à-dire qu'il ne leur manquait pas seulement le danger où ils étaient d'une réprobation prochaine ; mais qu'il leur intimait expressément que leur réprobation était déjà consommée. Car, reprend ce saint Docteur, quand Dieu dans l'Ecriture veut seulement menacer, il ajoute toujours à ses menaces des conditions qui en suspendent l'effet et qui les modifient. Ainsi dit-il à Adam : Si tu manges de ce fruit, tu mourras : In quo enim die comederis, morte morieris (1). Au lieu que le Sauveur du monde faisait une proposition absolue, en disant, aux Juifs : Vous mourrez dans votre péché : In peccato vestro moriemini.

Mais du reste, Chrétiens, soit que ce soit un arrêt, ou que ce soit précisément une menace, n'est-ce pas assez pour nous faire trembler, que ce soit la menace d'un Dieu? d'un Dieu, qui ne parle point en vain; d'un Dieu, qui ne parle point par passion ; d'un Dieu, qui ne parle point sans connaissance ; mais qui pénétrant dans le fond des cœurs, et découvrant d'un coup d'œil tout l'avenir, voit par avance à quoi se doit terminer notre vie, et quelle en sera la fin : In peccato vestro moriemini. Ne nous en tenons pas là néanmoins ; mais consultons l'expérience, et voyons si l'expérience vérifie à l'égard des pécheurs cette prédiction de Jésus-Christ : car, après la parole de Dieu, la preuve la plus convaincante et la plus sensible, c'est l'expérience. Comment donc meurent presque tous les pécheurs du siècle ; je dis ces pécheurs d'état et de profession, ces pécheurs obstines dans leurs désordres, qui jamais n'ont fait une vraie pénitence pendant la vie; comment meurent-ils? Ah! mes Frères, c'est ici que nous devons reconnaître une providence bien sévère et bien terrible sur les impies, comme il y en a une tout aimable et toute bienfaisante sur les justes. Ils meurent, ces pécheurs invétérés, comme ils ont vécu. Ils ont vécu dans le péché, et ils meurent dans le péché. Ils ont vécu dans la haine de Dieu, et ils meurent dans la haine de Dieu. Ils ont vécu en païens, et ils meurent en réprouvés : voilà ce que l'expérience nous apprend.

Mais pour vous en donner une idée plus juste, et pour partager ce discours, je les divise en trois espèces différentes. Car les un» meurent dans le désordre actuel de l'impénitence ; les autres  meurent sans nul sentiment

 

1 Genes., II, 17.

 

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et nulle démonstration de pénitence ; et les   derniers   meurent   dans   l'exercice, on, pour mieux dire, dans l'illusion d'une fausse pénitence. Les premiers sont les plus criminels, parce qu'ils ajoutent à tous les péchés de leur vie celui de l'impénitence finale ; par où il est vrai de dire qu'ils se réprouvent eux-mêmes, et qu'ils consomment positivement leur damnation. Les seconds sont plus malheureux, et par là même plus dignes de compassion, parce que, sans le vouloir et sans y penser, ils se trouvent privés des secours de la pénitence. Les derniers participent à la condamnation des uns et des autres ; et sans être, ni si criminels que les premiers, ni si malheureux que les seconds, ils sont toutefois, et malheureux parce qu'ils sont aveugles, et criminels parce qu'ils sont pécheurs et impénitents. Ainsi j'appelle l'impénitence des premiers, une impénitence criminelle.  J'appelle l'impénitence des si ronds, une impénitence malheureuse; et j'appelle l'impénitence des derniers, une impénitence secrète et inconnue, ou, si vous voulez, une fausse pénitence, qui n'est au fond qu'une véritable impénitence. Ce n'est pas tout. Car après avoir marqué ces trois caractères de pécheurs qui meurent dans leur péché, je dois ajouter trois réflexions, pour vous faire connaître comment l'impénitence de la vie conduit à l'impénitence de la mort : comprenez ceci. Je dis que l'impénitence de la vie conduit à l'impénitence criminelle de la mort par voie de disposition, ce sera la première partie. Je dis que  l'impénitence  de la vie  conduit à l’impénitence  malheureuse   de  la mort par voie de punition , ce sera la seconde partie. Enfin je dis que l'impénitence de la vie conduit a l'impénitence secrète et inconnue, ou à la fausse pénitence de la mort, par voie d'illusion ; ce sera la troisième partie. Commençons.

 

PREMIÈRE PARTIE.

 

On peut mourir dans le désordre actuel et dans le péché de l'impénitence finale en deux manières : ou par une volonté délibérée de renoncer absolument à la pénitence, lors même qu’on se trouve aux approches de la mort; ou par une omission criminelle des moyens ordinaires et marqués de Dieu, pour rentrer en avec lui, et pour faire pénitence. Or, ces feux genres de mort sont si communs dans le monde, qu'ils pourraient suffire pour justifier la prédiction du Fils de Dieu : In peccato vestro morienimi. Entrons, Chrétiens, dans cet abîme d'iniquité ; tâchons d'en pénétrer la profondeur ; et pour nous rendre cette considération plus utile, ne craignons point de descendre à un détail qui seul servira de preuve à la plus terrible de toutes les vérités du christianisme.

Quand je dis mourir dans une volonté délibérée de renoncer absolument à la pénitence, prenez garde, s'il vous plaît, à ce que j'entends. Je ne parle pas de ce qui peut arriver, et de ce qui arrive en effet quelquefois par une impénitence affectée, lorsque le pécheur, se voyant forcé de quitter la vie, ne veut pas reconnaître celui dont il l'a reçue, et qui lui en va demander compte ; et que, prêt à paraître devant le tribunal de Dieu, il ose encore se révolter contre Dieu même, en disant comme ce peuple infidèle : Non serviam (1) ; Non, je ne m'humilierai point. Car quoique nous en ayons des exemples, et que ceux qui passent pour athées, et qui le sont au moins de mœurs et de conduite, soient sujets à mourir de la sorte; ces exemples , dit judicieusement saint Chrysostome, sont si monstrueux, qu'ils inspirent par eux-mêmes de l'horreur, et qu'un ministre de l'Evangile, pour ne pas blesser la piété de ses auditeurs, doit plutôt les omettre que d'entreprendre de les combattre. Ainsi mourut un Julien l'Apostat, vomissant mille blasphèmes contre le ciel, tandis qu'il vomissait avec son sang son âme impure et sacrilège. Ainsi sont morts tant d'ennemis de Dieu, dont la fin, aussi funeste qu'impie, a tant de fois malgré eux rendu témoignage au souverain pouvoir et à la divinité de ce premier Etre qu'ils avaient méconnu, ou, plus vraisemblablement, qu'ils avaient tâché, mais en vain, à méconnaître. Ainsi meurent tous les jours, au milieu de nous, je ne sais combien de mondains qui sont encore, après avoir vécu sans foi, sans loi, sans religion, sans conscience, assez téméraires et assez emportés pour vouloir couronner l'œuvre par une persévérance diabolique dans leur libertinage. Mais, encore une fois, ce sont des monstres, dans l'ordre de la grâce, sur qui nous ne devons jeter les yeux qu'autant qu'il est nécessaire pour les détester et pour les avoir en exécration.

Ce n'est donc point par de semblables exemples que je veux vérifier l'oracle de Jésus-Christ; mais je parle seulement de tant d'autres pécheurs en qui cet état d'impénitence, tel que je l'ai marqué, est aussi souvent un effet de la faiblesse que de la malice de leur cœur, ou plutôt est un effet tout ensemble de l'un et de

 

1 Jerem., II, 20.

 

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l'autre : et pour vous faire comprendre plus distinctement et plus précisément ma pensée, je parle d'un homme qui, rempli de fiel et d'amertume, après avoir passé sa vie dans des haines et des inimitiés scandaleuses, meurt sans jamais vouloir se réconcilier, protestant qu'il ne le peut ; ou s'il le fait en apparence, se disant intérieurement à lui-même qu'il ne le veut pas : témoin ce chrétien qui, sur le point même d'endurer le martyre, refusa d'embrasser son ennemi; quoique son ennemi, humilié à ses pieds, lui demandât grâce. Or, sans nous arrêter à ces circonstances particulières, combien voyons-nous de pareilles morts dans le christianisme, de morts sans réconciliation, de morts accompagnées de toute l'aigreur du ressentiment et de la vengeance; do morts, où tous ces prétendus accommodements qui se négocient, toutes ces entrevues qui se ménagent quelquefois avec tant de pompe, et presque toujours avec si peu de fruit, ne sont que de pures et de trompeuses cérémonies ; de morts, où, par une maxime de politique, et par une force d'esprit mal entendue et poussée néanmoins jusques au bout, l'on se rend plus intraitable et plus inflexible que jamais ? pourquoi? pour autoriser en mourant la conduite qu'on a tenue jusque-là, et l'animosité où l'on a vieilli ; disons mieux, pour exécuter l'arrêt prononcé par le Sauveur du monde : In peccato vestro moriemini.

Je parle d'un homme qui se trouvant chargé à la mort de biens injustement acquis, dont il s'est fait un état et une fortune, ne veut pas même alors les restituer; gémissant d'une part sous la pesanteur du péché qui l'accable, et de l'autre refusant de se dépouiller ; partagé entre l'enfer qu'il craint, et la cupidité qui le domine ; mais du reste aimant mieux abandonner son âme que de réparer les injustices qu'il a commises, que de pourvoir au dédommagement de ceux qu'il a trompés, que de reconnaître des dettes dont sa mauvaise foi l'a toujours empêché de convenir, que de satisfaire à des obligations qu'il ne peut ignorer, et dont les remords secrets de sa conscience ne l'avertissent que trop ; en un mot, que de relâcher la proie dont il est saisi, et que Dieu, malgré lui, va bientôt lui arracher. Or, qu'y a-t-il dans le monde de plus ordinaire, que cette aveugle obstination à conserver ce qu'on n'a pu légitimement posséder? De tant de riches, injustes usurpateurs du bien d'autrui, où sont ceux qui, pour mourir en chrétiens, se déterminent à mourir pauvres ? et par conséquent

ne semble-t-il pas que la malédiction de l'Evangile soit particulièrement attachée leur  état? In peccato vestro moriemini.

Je parle d'un homme qui, tyrannisé de sa passion, la porte jusqu'au tombeau, et meurt idolâtre d'un objet dont rien ne peut le résoudre à se détacher, au moment même que la mort le va détacher de tout; qui par la plus damnable fidélité, ou par le plus abominable sacrifice, sans égard aux feux éternels dont la justice de Dieu le menace, achève, pour ainsi dire, de se consumer dans les ardeurs, d'un feu impudique. Or, vous savez, mes chers auditeurs, si ce n'est pas là le sort de tant de chrétiens sensuels et voluptueux. Je vous renvoie à vos propres connaissances. N'est-ce pas là qu'aboutissent ces engagements criminels : n'est-ce pas, dis-je, à une mort plus que païenne, où le pécheur en expirant soupire encore pour ce qu'il a si follement aimé, où, constant jusques à l'extravagance, jusques à la fureur, il donne. encore ses derniers soins, il consacre ses derniers vœux à une passion dont il s'est fait presque une religion ; où la seule et la vive douleur qui le touche, tout mourant qu'il est, n'est pas d'avoir tant recherché par inclination le sujet malheureux de ses désordres, mais de le quitter par nécessité ? car ce sont là ses dispositions et ses sentiments ; et en de tels sentiments, en de telles dispositions, vous jugez assez quelle doit être sa mort : In peccato vestro moriemini.

Enfin je parle d'un homme qui depuis longtemps rebelle à Dieu, après avoir vécu sans crainte de ses jugements, meurt sans rien espérer de sa miséricorde ; qui, lorsque les prêtres l'exhortent à la confiance, se faisant à soi-même, comme dit saint Augustin, une justice, non pas exacte et rigoureuse, mais cruelle et insensée, puisqu'il se la fait indépendamment de la rédemption et de la grâce de Jésus-Christ, tombe dans un désespoir semblable à celui de Caïn, et conclut avec ce frère parricide : Major est iniquitas mea, quam ut veniam merear (1) ; Non, il n'y a plus de pardon pour moi; mon iniquité m'en a rendu indigne, et s'il y a un Dieu, je suis réprouvé. Or, n'est-il pas vrai que c'est là le grand et le fameux écueil où échoue une multitude innombrable de pécheurs, surtout de ceux qui, par des rechutes fréquentes et habituelles, non-seulement ont perdu toute espérance, mais auraient honte même, si je puis m'exprimer ainsi, de se tourner vers Dieu et de se confier en lui? Car cette honte qu'ils

 

1 Genes., IV, 13.

 

309

 

n'ont pu surmonter durant la vie, se réveille tout de nouveau, et vient les accabler à la mort; et trop fortement touchés alors de leur indignité, trop vivement frappés de la grandeur et de la justice de Dieu, ils se troublent, ils renoncent à leur salut, et se font aussi bien que Judas, de leur contrition et même de leur repentir, un dernier titre  de  réprobation. Voilà, dis-je, ce que j'appelle mourir avec réflexion et avec vue dans le péché d'impénitence : In peccato vestro moriemini.

On y meurt encore d'une autre manière non moins commune ni moins funeste, quand par une omission criminelle, sans être directement volontaire, on se prive de la grâce de la pénitence et des moyens nécessaires pour l'obtenir. Car enfin, mon Frère, dit saint Augustin raisonnant avec un pécheur, si, lorsque la mort vous touche de près, et que Dieu vous appelle, tous ne vous disposez pas au plus tôt à paraître devant lui ; si, lorsque vous avez un port aussi assuré que celui d'une prompte et sincère pénitence, qui vous est ouvert, vous négligez de vous y mettre en sûreté ; si vous laissez échapper les moments précieux et les temps favorables que la Providence vous ménage dans le cours d'une maladie ; si, par une trop grande attention au soulagement de votre corps, vous oubliez les besoins de votre âme, et si vous rejetez les remèdes salutaires qu'on vous présente, bien loin de les rechercher; si, par une crainte servile de la mort, vous en éloignez, autant qu'il est possible, le souvenir, fermant l'oreille à tous les avertissements qu'on vous donne, et voulant être flatté et trompé sur la chose même où vous avez plus d'intérêt à ne l'être pas; si, par une faiblesse naturelle, vous ne faites pas effort pour surmonter là-dessus vos frayeurs, et pour vaquer au moins dans celle extrémité à votre plus importante affaire ; si tous écoutez des parents et de faux amis qui vous en détournent ; si, par un renversement de conduite le plus déplorable, vous pensez encore à votre famille, lorsqu'à peine il vous reste de quoi pourvoir à votre éternité : ah ! mon cher Frère, conclut saint Augustin, changez alors de langage, et corrigez vos idées. Dire que la mort dans cet état d'impénitence est le plus grand de tous les malheurs , c'est mal parler : mais il faut dire que c'est le plus grand et le plus inexcusable de tous les crimes. Dire que vous mourez dans votre péché, c'est ne s’expliquer qu'à demi; mais il faut dire que vous mourez dans votre péché par un dernier péché, qui surpasse tous les autres. Car qu'est-ce que tous les péchés de la vie, en comparaison de ce seul péché ? Où l'homme peut-il porter plus loin son injustice envers Dieu et envers lui-même ? Se voir à ce terme fatal après lequel il n'y a plus de terme, et vouloir encore différer ; se voir aux portes de l'enfer, et ne travailler pas encore à s'en retirer ; se voir sur le point de périr , et balancer encore à se rendre le plus pressant devoir de la charité, en prenant de sages mesures pour ne périr pas : cela se peut-il comprendre, ou cela se peut-il pardonner? Cependant, Chrétiens, voilà jusques où va l'égarement de l'esprit mondain, quand on s'abandonne à le suivre. On est investi, comme parle l'Ecriture, des douleurs de la mort et des périls de l'enfer, et toutefois on ne laisse pas de risquer, de se rassurer, de temporiser, de se reposer sur le lendemain : on chicane, on élude, on dissimule avec soi-même; enfin, on meurt dans la disgrâce et dans l'inimitié de Dieu. Mort doublement criminelle, et par l'impénitence de la vie qui l'a précédée, et par l'impénitence de la mort qui l'accompagne : In peccato vestro moriemini.

Or, j'ai ajouté qu'il y a entre ces deux sortes d'impénitence, entre l'impénitence de la vie et l'impénitence de la mort, une telle liaison, que l'une conduit presque immanquablement à l'autre ; et cela comment ? par voie de disposition, c'est-à-dire par voie d'habitude, par voie d'attachement, par voie d'endurcissement : trois degrés que marquent les Pères dans la description qu'ils nous font de ce premier ordre de pécheurs impénitents : vérité constante, et dont la seule exposition va nous convaincre.

Par voie d'habitude : car de prétendre que des habitudes contractées durant la vie se détruisent aux approches de la mort, et que dans un moment on se fasse alors un autre esprit, un autre cœur, une autre volonté ; c'est, Chrétiens, la plus grossière de toutes les erreurs. Je l'ai dit, et vous ne l'ignorez pas : nous mourons comme nous avons vécu, et la présence de la mort, bien loin d'affaiblir les habitudes déjà formées, semble encore davantage les réveiller et les fortifier. Car si jamais nous agissons par habitude, c'est particulièrement à la mort. Vous avez mille fois pendant la vie différé votre conversion, vous la différerez encore à la mort ; vous avez dit mille fois pendant la vie : Ce sera dans un mois ou dans une année ; vous direz encore à la mort : Ce sera dans un jour ou dans une heure ; vous avez été pendant la vie un homme de projets, de désirs, de résolutions, de promesses sans exécution ; vous mourrez encore

 

310

 

en désirant, en proposant, en promettant, mais en ne faisant rien. Et ne dites point que le danger extrême vous déterminera : abus. Il vous déterminera à désirer, parce que vous en avez l'habitude ; il vous déterminera à proposer et à promettre, parce que vous vous en êtes fait une coutume : mais en désirant par habitude, en proposant et en promettant par habitude, et par habitude n'exécutant rien, vous mourrez dans votre péché : In peccato vestro moriemini.

Par voie d'attachement : car l'impénitence de la vie, selon la parole du Sage, forme comme une chaîne de nos péchés, et cette chaîne nous tient presque malgré nous dans l'esclavage et la servitude : Iniquitates suœ capiunt impium, et funibus peccatorum suorum constringitur (1). Je sais que Dieu peut user de son absolu pouvoir , et rompre au moment de la mort cette chaîne ; mais je sais aussi que pour la rompre dans un moment, il ne faut pas moins qu'un miracle de la grâce, et que Dieu ne fait pas communément de tels miracles. Et en effet, nous voyons un pécheur mourant dans l'état funeste où se représentait saint Augustin, quand il disait, en parlant de lui-même : Suspirabam ligatus, non ferro alieno, sed mea ferrea voluntate. Je soupirais , ô mon Dieu, après le bonheur des justes, convaincu qu'il n'était plus temps de délibérer, et qu'il fallait enfin renoncer à mon péché pour me convertir à vous ; mais je soupirais, et cependant j'étais toujours attaché, non par des fers étrangers, mais par ma volonté propre. L'ennemi la tenait en sa puissance; et cette suite de désordres compliqués, et comme autant d'anneaux en-entrelacés les uns dans les autres, m'arrêtait presque malgré moi, et malgré toutes les frayeurs de la mort, sous le joug et la loi du péché.

Par voie d'endurcissement : car cette volonté toujours criminelle, comme je le suppose, et ne se repentant jamais, s'est enfin endurcie dans le péché. Si, touché du sentiment de sa misère, ce pécheur s'était de temps en temps tourné vers Dieu, et que, par de généreux efforts, il se fût relevé de ses chutes autant de fois qu'il succombait aux tentations du monde et de la chair, avec tout le malheur de son inconstance il aurait néanmoins profité de l'usage de la pénitence. La pénitence, quoique suivie de faiblesses et de rechutes, aurait détruit en lui ce que le péché y avait édifié. Mais ayant toujours mis pierre sur pierre, et entassé iniquité sur iniquité, le moyen que son cœur ne soit pas

 

1 Prov., V, 22.

 

arrivé au comble, et qu'il n'ait pas contracté dans l'état du crime, non-seulement toute la solidité, mais toute la dureté que le crime est capable de produire? et quelle apparence qu'endurci de la sorte, il devienne tout à coup, quand la mort approche, souple et flexible aux mouvements de la grâce? On meurt donc dans le péché, parce qu'on a vécu dans le péché; et l'on y meurt, comme j'ai dit, par un nouveau péché, parce que cette impénitence même est la consommation de tous les péchés. Voilà ce que j'ai appelé une impénitence criminelle: passons à l'impénitence malheureuse, qui fera le sujet de la seconde partie.

 

DEUXIÈME  PARTIE.

 

Ce n'est point assez pour mourir dans l'état de la grâce que le pécheur soit résolu de recourir un jour à la pénitence, et qu'il se propose de sortir au moins à la mort de son péché. Comme cette grâce de la pénitence finale ne dépend point absolument de lui, et que, par un secret jugement de Dieu, elle est attachée à mille circonstances qui ne sont point en son pouvoir, il faut, afin qu'il ait le bonheur de se reconnaître en mourant, que toutes ces circonstances concourent ensemble à sa conversion. Qu'une seule vienne à manquer, le voilà frustré de son espérance ; et eût-il mille fois désiré de mourir de la mort des justes, eût-il dit cent fois à Dieu : Moriatur anima mea morte justorum (1), ses désirs sont inutiles et ses espérances vaines. Pourquoi? parce que, dans le cours de la Providence, qu'il n'a pas plu à Dieu de changer, il s'est trouvé un obstacle, qui par des causes en apparence naturelles, mais d'un ordre divin et supérieur, lui a rendu impossible cette pénitence, sur laquelle il faisait fond, et qu'il regardait comme sa dernière ressource. Il peut donc arriver que l'homme, sans devenir coupable d'un nouveau péché, meure dans son péché, parce qu'il peut mourir dans un défaut involontaire et même forcé de toute pénitence; et c'est ce que j'appelle impénitence malheureuse, et ce que je considère comme un autre abîme, non plus de la corruption et de la malice du cœur humain, mais de la justice adorable et impénétrable de Dieu, qui paraît tout entière dans la mort de ces pécheurs surpris, trompés, délaissés, exclus même dès cette vie de la voie du salut, et en qui s'accomplit encore plus sensiblement cette vérité évangélique : In peccato vestro moriemini. Renouvelez, Chrétiens, votre attention.

 

1 Num., XXIII, 10.

 

311

 

Quand on vous rapporte l'exemple d'une mort subite, et que dans la consternation où de pareils événements jettent les esprits, on vous dit que cet homme, qui jouissait d'une parfaite santé, vient d'être enlevé tout à coup sans avoir pu prononcer une parole ; qu'un tel, dans la chaleur d'une débauche, ou dans l'emportement d'une querelle, vient de rester sans sentiment et sans vie; qu'un assassinat vient d'être commis dans la personne de celui-ci, ou que la ruine d'un édifice vient d'envelopper et d'écraser celui-là ; quand on nous fait le récit de ces sortes de morts et de bien d'autres ; et que, selon toutes les règles de  la  vraisemblance, elles nous paraissent non-seulement subites, mais imprévues, parce que c'étaient des pécheurs publics et scandaleux, nous sommes saisis de frayeur ;  et sans   entreprendre de juger, nous ne doutons point que ce ne soit alors que se vérifie à la lettre la menace du Fils de Dieu : In peccato vestro moriemini. Mais vous vous  consolez au même temps, Chrétiens, par la pensée que ce sont des accidents extraordinaires;   et quelque fréquents qu'ils puissent être, vous ne manquez pas d'affaiblir ainsi  les salutaires impressions qu'ils pourraient et  qu'ils devraient faire  sur vos cœurs. Vous vous trompez, permettez-moi de tous le dire, vous vous trompez : ces genres de mort ne sont, ni si rares, ni si singuliers que vous voulez vous le persuader ; et je soutiens que, dans la rigueur même du terme, eu égard à la conscience et au salut, il n'est rien de plus commun qu'une mort subite : en voici la preuve.

Car j'appelle avec saint Augustin mort subite et imprévue, celle où le pécheur tombe tout à coup dans un état qui le rend pour jamais incapable de conversion et de pénitence. Or qu'y a-t-il dans le monde de plus ordinaire et même de plus universel?  que voit-on  autre chose tous les jours ? Au lieu qu'une chute, qu'une apoplexie, qu'un meurtre fait plus d'éclat et donne plus d'effroi; combien d'autres causes dont nous sommes moins frappés, nous réduisent à cette   impénitence malheureuse?  un transport dans le feu d’une fièvre ardente, un délire sans intervalle, une léthargie dont on De revient point, un égarement d'esprit, un assoupissement mortel; tout cela n'opère-t-il pas sans cesse le même effet, et n'ôte-t-il pas à un moribond le pouvoir de se convertir, en lui ôtant le pouvoir de se connaître? Mettez un pécheur dans tous ces états, n'est-il pas vrai qu'il est déjà mort comme chrétien, s'il n'est pas absolument mort comme homme? Je veux qu'il dispute encore des journées entières un reste de vie animale, qui ne sert plus qu'à le faire languir : qu'importe, si la vie raisonnable et la vie surnaturelle sont éteintes ? que peut la grâce, toute puissante qu'elle est, lorsque la nature, qui devait lui servir de fonds, ne peut plus agir?

Sans même parler de ces symptômes où la raison est tout à fait obscurcie, le seul épuisement de toutes les forces, la seule douleur du corps ne suffit-elle pas pour ôter à l'esprit toute sa réflexion, et par conséquent pour nous fermer les voies de la pénitence? Combien de pécheurs, jusque dans le cours des maladies les plus réglées, meurent ainsi d'une mort subite, non selon le monde, mais selon Dieu? Ils meurent, dit saint Chrysostome, sans un nouveau péché, parce qu'ils ne sont plus en état d'en commettre; ils meurent sans qu'on leur puisse reprocher d'abuser alors du temps que Dieu leur donne, parce qu'ils ne peuvent plus proprement ni en abuser ni s'en servir; ils meurent dans une impénitence qui, quoique finale, ne leur est pas par elle-même imputée, parce qu'elle ne leur est ni connue ni libre ; cependant ils meurent dans leur péché, et la malédiction de Jésus-Christ n'en est pas moins consommée : In peccato vestro moriemini.

Que dirai-je de ceux qui meurent dans une ignorance non coupable, mais funeste, du danger prochain où ils se trouvent? car de là s'ensuivent les mêmes conséquences et les mêmes effets de réprobation. Si l'on avait averti ce malade qu'il était temps de penser à lui, il aurait mis ordre à sa conscience, et il serait mort chrétiennement. Mais parce qu'on lui a fait entendre le contraire, et que par de faux ménagements on l'a trompé, il meurt sans retour à Dieu et sans conversion. De n'avoir pas su le péril où il était, est-ce un crime dans lui? Non, Chrétiens, car il souhaitait de le savoir. Mais à qui il faut s'en prendre, c'est à la faiblesse d'un confesseur, c'est à la trompeuse conjecture d'un médecin , c'est au vain respect d'un domestique, c'est à la passion aveugle d'une femme ; c'est à l'intérêt des uns, à la négligence des autres; c'est à tout ce qu'il vous plaira, mes Frères, dit saint Augustin : mais après tout, le mourant en porte la peine; et pour avoir ignoré l'extrémité où il était, il meurt dans la haine de Dieu et en réprouvé. Quoi donc! me direz-vous, était-il juste qu'il pérît par la faute d'un autre? Ah ! répond ce Père, si c'est par la faute d'un autre qu'il périt, ce n'est point pour la faute d'un

 

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autre qu'il est condamné, mais pour son propre péché. Dieu, à qui il appartient d'en ordonner, permet que son propre péché, qui pouvait être expié à la mort, par la faute d'un autre ne le soit pas, et que du domaine de la grâce et de la miséricorde sous lequel il était encore, il passe pour l'éternité tout entière sous celui de la justice : In peccato vestro moriemini.

Mais si le pécheur lui-même, en mourant, soupire après le remède, s'il le demande, et qu'il témoigne de l'empressement pour l'avoir, qu'arrive-t-il souvent? Hélas ! Chrétiens, voici le comble du malheur, et c'est ici que nous devons nous écrier : O altitudo (1) ! O profondeur des conseils de Dieu ! Semblable à l'infortuné Esaü, qui, comme dit l'Apôtre, ne trouva point cette pénitence qu'il cherchait, quoiqu'il la cherchât avec larmes : Non enim invenit pœnitentiœ locum, quamquam cum lacrymis inquisisset eam (2); ce pécheur mourant, tout empressé qu'il est de recourir aux sources publiques de la grâce, c'est-à-dire aux sacrements de Jésus-Christ, peut encore être de ceux sur qui tombe l'anathème du Sauveur des hommes ; et parce que ces sources ouvertes à tout le monde ne le sont pas pour lui, il meurt dans son péché : In peccato vestro moriemini.

C'est de quoi, nous avons cent fois été témoins, ou de quoi cent fois nous avons entendu parler. Un homme est surpris lorsqu'il s'y attendait le moins : il se voit aux portes de la mort, et dans l'horreur d'un danger si pressant, il voudrait ménager ce qui lui reste de vie. Toute sa foi se réveille, l'image d'un Dieu irrité le frappe, le saisit; et frappé, saisi de cette image, il semble conjurer tous ceux qui l'approchent de le secourir, et leur dire comme Job : Miseremini mei, miseremini mei, saltem vos amici mei (3). Pensez à moi, vous au moins qui êtes mes véritables amis; et pendant que les autres s'occupent en vain auprès d'un corps que la mort va mettre au tombeau, aidez-moi à sauver mon âme. En effet, on s'y emploie, on y travaille, on cherche un prêtre, un confesseur : mais ce prêtre, ce confesseur ne se trouve point; mille contre-temps conspirent à l'éloigner ; ce qui ne l'avait jamais arrêté l'arrête à cette heure : il vient enfin, mais trop tard, et lorsque le malade, sans connaissance et sans parole, ne peut plus ni l'entendre ni lui répondre. Et cela pourquoi? pour accomplir l'autre partie de la prédiction de Jésus-Christ : Quœretis me, vous me chercherez; non

 

1 Rom., XI, 33. — 2 Hebr., XII, 17. — 3 Job, XIX, 21.

 

plus dans ma personne, mais clans celle de mes ministres et des dispensateurs de mes sacrements, et vous ne me trouverez pas ; et parce que vous ne me trouverez pas dans mes ministres, et que vous n'aurez pas d'ailleurs de quoi suppléer au défaut de leur ministère par un pur et parfait amour, vous mourrez dans votre péché : In peccato vestro moriemini.

Je dis plus : ce prêtre, vicaire et ministre de Jésus-Christ, se trouvera ; mais, par un autre secret de réprobation encore plus terrible, avec tout le pouvoir de l'Eglise dont il est muni, il n'aura pas le don d'assister un pécheur mourant. Au lieu de le toucher, il le rebutera; au lieu de l'éclairer, il l'embarrassera, il le troublera; il aura les clefs du ciel entre les mains, mais il n'aura pas la clef de ce cœur pour y entrer. Car Dieu, Chrétiens , ne se sert pas de toutes sortes d'instruments pour opérer ses miracles : comme il ne nous convertit pas, tout Dieu qu'il est, par toutes sortes de grâces, aussi ne lui plaît-il pas de nous convertir par toutes sortes de personnes. Si, dans la disposition où était ce malade, il eût eu un homme éclairé, zélé, expérimenté , plein de l'Esprit de Dieu et de son onction, il serait mort en saint ; mais parce que cet homme lui a manqué, et qu'il a pu faire la même plainte que le paralytique de l'Evangile : Hominem non habeo (1), il est mort en impénitent. Encore une fois, tous ces malheurs l'ont-ils rendu devant Dieu plus criminel? Non; mais ses crimes passés, dont il était coupable, joints à ces malheurs, dont il a été innocent, l'ont fait mourir sans un nouveau péché dans l'impénitence : In peccato vestro moriemini.

Affreux, mais juste châtiment du ciel; et c'est ainsi que l'impénitence de la vie conduit à cette seconde impénitence de la mort, par voie île punition. Combien Dieu s'en est-il expliqué de fois dans l'Ecriture ? combien de fois le Fils de Dieu nous en a-t-il avertis dans l'Evangile ? Car, que signifient autre chose ces menaces si expresses et si souvent réitérées : Je vous ai appelé, et vous avez fermé l'oreille à ma voix, vous m'avez méprisé : viendra le temps et le jour où je vous mépriserai, où, sans vous appeler, je vous surprendrai, où, sans vous parler je vous frapperai? Que veulent dire ces figures si bien marquées des vierges folles qui s'endorment, et dont les lampes se trouvent éteintes au moment que l'époux arrive ; de ce maître qui paraît tout à coup dans sa maison, et qui, témoin du désordre où elle est par les violences

 

1 Joan., V, 7.

 

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et les débauches d'un domestique, le fait jeter dans les ténèbres ; de ce voleur qui se cache , et qui vient dans la nuit? Quel sujet avons-nous de nous plaindre, quand Dieu nous punit de la sorte? Ne peut-il pas user de son droit, et nous prendre en telles conjonctures qu'il lui plaît? ne le peut-il pas, surtout après avoir si longtemps attendu, après avoir si fortement pressé et sollicité? Vous ne vous êtes pas servi du temps qu'il vous donnait, il vous l'ôtera ; vous avez lassé, fatigué et épuisé sa patience, sa colère éclatera ; vous n'avez pas voulu retourner à lui quand vous le pouviez, vous ne le pourrez plus quand vous le voudrez ; vous l'avez oublié pendant la vie, il vous oubliera à la mort. Car ce retour est bien naturel, dit saint Augustin ; et tout fatal qu'il peut être, il vous est bien dû : mépris pour mépris , oubli pour oubli. Ce n'est pas que Dieu ne laisse quelquefois encore aux plus grands pécheurs tout le temps et tous les moyens nécessaires ; mais s'ils ne meurent pas alors dans une pénitence criminelle, dans une impénitence malheureuse, au moins meurent-ils communément dans une impénitence secrète et inconnue ; c'est la troisième partie.

 

TROISIÈME  PARTIE.

 

Il en faut convenir, Chrétiens, et l'expérience nous le l'ait voir, que Dieu laisse encore quelquefois aux pécheurs du siècle, après une vie passée dans le crime, le temps et les moyens de se reconnaître à la mort. Je sais même, et il est vrai que plusieurs alors ont en effet recours à la miséricorde de Dieu, se tournent vers Dieu, semblent revenir à Dieu par la pénitence. Mais ce que j'ajoute, et ce qui vous doit paraître, comme à moi, bien terrible, c'est que toute pénitence n'est pas recevable au tribunal de Dieu : pourquoi ?parce que toute pénitence n'est pas une pénitence efficace , mais qu'il y a mille pénitence fausses et trompeuses, sur quoi l'on ne peut compter, et dont nous ne pouvons attendre nul fruit de salut. Si donc le pécheur, séduit par de précieuses apparences, s'égare jusque dans sa pénitence même, où en est-il? Etat bien déplorable! savoir avec assurance qu'on est criminel, et ne savoir pas si l'on est pénitent ! avoir tous les dehors de la pénitence, et peut-être n'en avoir pas le fond ! D'où il s'ensuit que ce qui devait être un principe de confiance pour le pécheur, est la matière de ses inquiétudes; que ce qui paraît le devoir sauver, est souvent ce qui le doit perdre, et qu'en mourant dans l’exercice de la pénitence, il peut encore être réprouvé , parce qu'il peut encore mourir dans son péché. Voilà mes chers auditeurs, ce que la religion nous enseigne, et sur quoi est fondé cet avis que nous donne le Sage, de trembler même pour les péchés remis, parce qu'à notre égard, dit saint Chrysostome, ils ne peuvent être tout au plus que présumés tels : De propitiato peccato noli esse sine metu (1).

Or, si cela convient à tous les pécheurs, on peut dire, et il est vrai, que c'est le caractère propre de ceux qui ne reviennent jamais à Dieu durant la vie, et qui persévèrent dans leurs désordres jusques à la mort. Car, bien loin qu'ils puissent compter sur leur pénitence, ils doivent positivement s'en défier. Je n'en dis point encore assez; j'ajoute que de la manière dont ils se proposent de la faire, cette pénitence, ils ont presque tout lieu d'en désespérer. Pourquoi? J'en donne, après saint Augustin, trois raisons. Premièrement, parce que rien en soi n'est plus difficile à l'homme que la vraie pénitence. Secondement, parce que, de tous les temps, celui où la vraie pénitence est plus difficile, c'est le temps de la mort. Troisièmement, parce qu'entre tous les hommes à qui la vraie pénitence est difficile aux approches de la mort, il n'en est point pour qui elle doive plus l'être que pour ceux qui ne Font jamais faite pendant la vie. Trois propositions incontestables, et qui, bien pénétrées, ne laissent plus aux pécheurs du siècle d'autre parti à prendre que celui d'une prompte et d'une sincère conversion à Dieu. Encore un moment d'attention : ceci le demande.

Rien de plus difficile à l'homme que la vraie pénitence ; car pour cela il faut qu'il change de cœur, il faut qu'il se haïsse lui-même, qu'il se renonce lui-même, qu'il se dépouille de lui-même, qu'il se détruise en quelque sorte et qu'il s'anéantisse lui-même; c'est-à-dire qu'il cesse d'être ce qu'il était, et qu'il devienne un homme nouveau. Il faut qu'il ait horreur de ce qui lui paraissait le plus aimable, et qu'il commence à aimer ce qu'il avait le plus en horreur; qu'il n'ait plus de passions que pour les combattre, plus de sens que pour les captiver, plus d'esprit que pour le soumettre, plus de corps que pour lui déclarer la guerre et le mortifier. Car c'est en quoi consiste, je ne dis pas la perfection, mais l'essence et le fond de la pénitence chrétienne. Or, vous savez s'il est aisé à un pécheur d'en venir là.

Point de temps où cette pénitence soit plus difficile, et par conséquent plus rare, que le

 

1 Eccli., V, 5.

 

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temps de la mort ; car à la mort, dit saint Augustin, ce n'est point vous proprement qui quittez le péché, c'est le péché qui vous quitte ; ce n'est point vous qui vous détachez du monde, c'est le monde qui se détache de vous; ce n'est point vous qui rompez vos liens, ce sont vos liens qui se rompent par un effet de notre commune fragilité : Si vis agere pœnitentiam, quando jam peccare non potes, peccata te demiserunt, non tu illa. Or, afin que votre pénitence fût devant Dieu ce qu'elle doit être, il faudrait que cette séparation, que ce détachement, que ce divorce vînt de vous-mêmes. Vous me direz que l'un sert à l'autre, et qu'on a moins de peine à se détacher des choses quand elles-mêmes elles nous abandonnent; mais moi je vous réponds avec saint Ambroise qu'il en va tout autrement, et que le cœur de l'homme n'est jamais plus passionné, jamais plus ardent pour les objets qui entretiennent sa cupidité, que quand ces objets lui échappent, et qu'une force supérieure nous les arrache, ou qu'elle nous arrache à eux. Tout ce que nous pouvons faire alors, c'est de souffrir; mais de s'en détacher volontairement soi-même, ce qui néanmoins est essentiel à la pénitence, c'est à quoi nous sentons des répugnances infinies, et ce qui demande les plus grands efforts.

Mais enfin, et en particulier, pour qui la vraie pénitence doit-elle à la mort avoir des difficultés plus insurmontables, et pour qui peut-on dire qu'elle est quelquefois comme impossible? Ah ! Chrétiens, n'est-ce pas pour ces pécheurs obstinés qui n'en ont eu nul usage dans la vie, et qui se sont fait de leur impénitence une habitude et un état? Car que s'ensuit-il de cet endurcissement de cœur où ils ont vécu, et de cette présomption d'esprit qui leur fait croire à la mort qu'ils veulent se convertir? c'est que leur pénitence alors n'est communément, pour ne rien dire de plus, qu'une pénitence insuffisante : pourquoi ? parce qu'elle n'est ni volontaire dans son principe, ni naturelle dans son motif. Pénitence forcée, et pénitence toute naturelle : deux qualités de la pénitence des démons dans l'enfer, et des pécheurs à la mort.

Pénitence forcée : j'ose défier le pécheur même le plus présomptueux de n'en pas convenir. Car où est la liberté, quand le cœur, si je puis parler ainsi, n'est mu que par les ressorts ou d'une crainte servile, ou d'une nécessité inévitable? Est-ce un renoncement libre au péché, quand on n'y renonce que parce qu'on n'est plus en état de le commettre? Est-ce une soumission libre à Dieu, quand on ne s'y soumet que parce qu'on est déjà sous le glaive de sa justice, et qu'on ne peut plus s'en défendre? Est-ce une séparation libre du monde, quand on ne s'en sépare que parce qu'il n'y a plus de monde pour nous? Cependant la pénitence, pour être efficace et vraie, doit être volontaire et libre; et dès qu'elle ne l'est pas, fut-elle d'ailleurs aussi vive, aussi touchante que celle d'Esaü, qui, selon l'expression de l'Ecriture, le fit, non pas gémir, mais rugir : Irrugiit clamore magno (1), c'est une pénitence de réprouvé. De là vient que les Pères, d'un consentement si universel, ont parlé de la pénitence des mourants en des termes propres, non-seulement à consterner, mais à désespérer les pécheurs. De là vient que l'Eglise, à qui il appartient d'en juger, s'est autrefois montrée si peu favorable à ces sortes de pénitences, et que sans les rejeter absolument, ce qu'elle n'a jamais cru devoir faire pour ne pas borner la miséricorde de Dieu, elle a, au reste, usé de toute la rigueur de sa discipline à l'égard de ces pénitents de la mort, pour nous apprendre combien leur pénitence lui était suspecte. De là vient que, suivant les anciens canons rapportés dans les conciles, ceux qui ne demandaient le baptême qu'à l'extrémité de la vie n'étaient, ce semble, reconnus chrétiens qu'avec réserve, jusque-là même qu'on les tenait pour irréguliers ; et saint Cyprien en apporte la raison : c'est, dit-il, qu'on les regardait comme des hommes qui ne servaient Dieu que par contrainte, et qui n'étaient à lui que parce qu'ils n'avaient pu éviter d'y être. Et en effet, reprend saint Augustin, celui qui ne condamne les dérèglements de sa vie que lorsqu'il faut malgré lui qu'il sorte de la vie, fait bien voir que ce n'est pas de bon gré, mais par nécessité qu'il les condamne : Qui prius a peccatis relinquitur quam ipse relinquat, non ea libere, sed quasi ex necessitate condemnat.

Pénitence naturelle et tout humaine, c'est-à-dire qui n'a ni Dieu ni le péché pour objet. Car que craignent-ils, ajoute saint Augustin, ces pénitents prétendus? craignent-ils de perdre Dieu, de déplaire à Dieu, d'encourir la disgrâce de Dieu? Non, mes Frères, répond ce saint docteur, ils ne craignent rien de tout cela; et la preuve en est évidente, puisque, tandis qu'ils n'ont eu rien autre chose à craindre, ils n'ont jamais pensé à se convertir; ils craignent de brûler, et ils ne craignent point de

 

1 Genes., XXVII, 34.

 

pécher : Ardere metuunt, peccare non metuunt. Or, dès là leur pénitence est vaine : pourquoi? parce que ce n'est plus la grâce ni le Saint-Esprit, mais l'amour-propre qui l'excite; il suffit de s'aimer soi-même sans aimer Dieu, pour faire une telle pénitence ; mais il ne suffit pas de s'aimer soi-même pour faire une pénitence chrétienne, ni pour se remettre en grâce avec Dieu. On meurt donc dans l'exercice de la pénitence, et néanmoins on meurt dans son péché, parce que le péché n'est pas détruit par toute pénitence, et que s'il y en a une incapable de le détruire, c'est celle-là. Ce qui faisait conclure à saint Grégoire, pape, qu'il y avait plus de pécheurs dans le christianisme qui périssaient par la fausse pénitence, que par l'impénitence même : et qu'ainsi la prédiction de Jésus-Christ avait toute une autre étendue que lions ne pensons, quand il nous dit: In peccato vestro moriemini.

Cette conséquence vous trouble ; mais est-ce moi, Chrétiens, qui l'ai tirée? et pouvais-je ou la supprimer, ou l'affaiblir, sans être prévaricateur de mon ministère? Puis-je faire parler les Pères autrement qu'ils n'ont parlé, et effacer de l'Evangile ce qui y est écrit? Effrayé que je suis moi-même, dois-je vous laisser dans une sécurité trompeuse, sans vous donner la même frayeur que je ressens? Je n'ignore pas, nus chers auditeurs, que ce qui est impossible aux hommes ne l'est point à Dieu, et qu'il peut, maître qu'il est des cœurs, opérer, dans le cœur même le plus impénitent, une pénitence parfaite. Je n'ignore pas que ce fut ainsi que ce laineux criminel, crucifié avec Jésus-Christ, fit pénitence sur la croix, et qu'il mourut dans la grâce après avoir vécu dans le péché. Mais je sais aussi ce que remarque saint Ambroise, que c'était alors le temps des miracles ; que Dieu était engagé à faire des coups extraordinaires pour honorer la mort de son Fils ; qu'il fallait au Sauveur des hommes de tels prodiges pour prouver sa divinité, et que cette conversion, qui dans tous les siècles a passé pour un exemple singulier, doit par là même, bien loin de consoler les pécheurs et de les rassurer,  répandre au contraire dans leurs âmes une sainte frayeur. Voilà ce que je sais et ce qui me continue encore davantage dans la créance de cette triste vérité, que presque tous ces pécheurs du monde, qui ne font pénitence qu'à la mort, avec toute leur pénitence meurent dans leur péché : In peccato vestro moriemini.

Vous me demandez comment ce dernier mystère de réprobation s'accomplit, et par quelle voie l'impénitence de la vie les conduit à cette fausse pénitence de la mort? Je réponds, et c'est ce que je vous conjure de méditer sans cesse ; car voici un des points les plus solides et les plus importants : je réponds, et je dis que l'impénitence de la vie conduit les pécheurs à la fausse pénitence de la mort par voie d'illusion, et il n'y a, ce me semble, personne qui n'entre d'abord dans ma pensée. Je m'explique néanmoins, et je veux dire que le pécheur n'ayant jamais fait nul exercice de la pénitence, que ne l'ayant jamais pratiquée pendant qu'il a vécu, il n'a jamais appris à la connaître : d'où je conclus qu'il y doit être trompé à la mort, et que , par une conséquence très-naturelle , il doit alors aisément confondre la vraie pénitence avec une pénitence imparfaite et défectueuse. Car comment pourrait-il bien juger de ce qu'il n'a jamais connu? et s'il n'en peut bien juger, comment n'y sera-t-il pas surpris? comment, dis-je, ne le sera-t-il pas, surtout dans une matière aussi délicate que celle-là, et où il s'agit de discerner les mouvements les plus secrets et les plus intérieurs de l'âme? Si dans le cours de la vie cet homme avait fait quelque pénitence , en la faisant il s'en serait formé peu à peu l'idée, et à force de s'éprouver soi-même, il aurait enfin reconnu en quoi diffère une douleur efficace , de celle qui ne l'est pas; mais il n'en a jamais fait l'essai, et il se trouve là-dessus à la mort sans habitude et sans expérience ; est-il surprenant que l'ennemi lui impose, que son propre sens l'égaré, qu'il prenne la figure pour la vérité, l'accident pour la substance ; qu'il compte les désirs pour les effets, les grâces et les inspirations pour les actes , et que, préoccupé de ses erreurs, tout pénitent qu'il est en apparence, il meure en effet dans son péché? In peccato vestro moriemini.

C'est à vous maintenant, Chrétiens, à délibérer ; ou plutôt y a-t-il à délibérer un moment, et la juste conclusion, n'est-ce pas de vous disposer par la vraie pénitence de la vie à la vraie pénitence de la mort? Car de prétendre que vous serez tout à coup maîtres dans une science où les illusions sont si fréquentes, si subtiles, si dangereuses, de croire que votre coup d'essai sera un chef-d'œuvre, c'est la plus aveugle témérité. Vous pleurerez, mais vous ne vous convertirez pas; vous pousserez des soupirs, vous gémirez devant Dieu, mais vous ne vous convertirez pas ; vous lèverez les mains au ciel, vous tendrez les bras vers le crucifix, mais vous ne vous convertirez pas : pourquoi ?

 

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parce que , sous ces dehors spécieux d'une douleur apparente, vous aurez toujours un cœur de pierre, et c'est là que j'applique ces paroles du Prophète : De medio petrarum dabunt voces (1). Vous tromperez, sans le vouloir, ceux qui vous verront et qui vous entendront ; vous tromperez jusques au ministre qui vous donnera ses soins, et qui pensera les avoir utilement employés pour vous ; vous vous tromperez vous-même, mais vous ne tromperez pas Dieu ; et en sortant de ce monde, au lieu de trouver, ainsi que vous l'espériez, un Dieu de miséricorde, vous ne trouverez qu'un Dieu vengeur. Le temps de le chercher, ce Dieu de miséricorde, c'est la vie ; le temps de le trouver, c'est la mort ; et le temps de le posséder, c'est l'éternité bienheureuse, que je vous souhaite, etc.

 

1 Psalm., CIII, 12.

 

 

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