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SERMON POUR LA FÊTE DE TOUS LES SAINTS.
SUR LA  SAINTETÉ.

ANALYSE.

 

SUJET. Dieu est admirable dans ses Saints.

Comme nous ne connaissons Dieu sur la terre que dans ses ouvrages, ce n'est aussi sur la terre, à proprement parler, que dans ses ouvrages qu'il est admirable pour nous. Or l'ouvrage de Dieu par excellence, ce sont les Saints. Mais en quoi Dieu, reprend saint Léon, est particulièrement admirable dans ses Saints, c'est de nous les avoir donnés tout à la fois, et pour nos protecteurs, et pour nos modèles. Ne les considérons dans ce discours que sous cette qualité de modèles, et faisons servir leurs exemples à notre sanctification.

Division.  La sainteté trouve dans les esprits et dans les cœurs des hommes trois grands obstacles à surmonter : le libertinage, l'ignorance et la lâcheté. Les libertins la censurent; les ignorants la prennent mal, et n'en ont que de fausses idées; enfin les lâches la regardent comme impossible, et désespèrent d'y parvenir. Or montrons aux premiers que, supposé l'exemple des Saints, leur libertinage est insoutenable, 1ère partie; aux seconds, que, supposé l'exemple des Saints,  leur ignorance est sans excuse, 2e partie : et aux derniers, que, supposé l'exemple des Saints, leur lâcheté n'a plus de prétexte, 3e partie.

Première partie. Libertinage insoutenable, supposé l'exemple des Saints. C'est de tout temps que les libertins ont combattu la sainteté. Saint Jérôme nous marque surtout deux artifices dont ils se sont servis contre elle. 1° Ils l'ont contestée comme fausse ; 2° Ils l’ont décriée comme défectueuse. Comme fausse, prétendant qu'il n'y avait point de vraie sainteté : comme défectueuse, se persuadant et voulant persuader aux autres qu'elle était au moins sujette à mille défauts. L'exemple des Saints détruit cet deux préjugés.

1° Le libertin ne veut point reconnaître de vraie sainteté, et traite tout ce que nous appelons sainteté d'hypocrisie. Malignité également injurieuse à Dieu et pernicieuse aux hommes. Injurieuse à Dieu, en lui ôtant la gloire de tant d'œuvres saintes, comme si la grâce n’en était pas le principe ; pernicieuse aux hommes, en les privant d'une des grâces les plus puissantes, qui est le bon exemple.

Mais quelque présomptueux que soit le libertinage, jamais il ne se soutiendra contre certains exemples irréprochables que Dieu lui oppose pour le confondre ; ce sont ceux des Saints. Il y a dans le monde des hypocrites, c'est-à-dire de fausses saintetés, il faut l’avouer; mais de  là même saint Augustin conclut qu'il y a donc aussi une vraie sainteté, puisque la fausse sainteté n'est qu'une imitation de la vraie, et que ce sont les vraies vertus qui, par l'abus qu'on en a fait en voulant se déguiser, ont produit les busses vertus. Cette vraie sainteté est rare, je le sais; mais n'y eût-il dans le monde qu'un vrai Saint, son exemple suffit pour Il condamnation du libertin. Or, par la providence de Dieu, il y en a toujours quelqu'un de ce caractère, dont le mondain lui-même n'oserait contester et désavouer la sainteté.

Cependant nous n'en sommes pas là ; et pour un Juste dont l'exemple suffirait, Dieu nous en découvre aujourd'hui une multitude innombrable ; ce sont ces Saints glorifiés dans le ciel, ces hommes en qui la grâce a opéré tant de merveilles, à qui elle a inspiré de si grands sentiments, à qui elle a fait faire de si grandes actions. Exemples mémorables, exemples convaincants.

2° Le libertin au moins tâche de décrier la sainteté, en lui imputant des défauts prétendus. Mais si les Saints ont des défauts, ce n'est pas à la sainteté qu'il faut s'en prendre, puisqu'ils ne sont pas saints par là. D'ailleurs est-il juste d'exiger de la vraie piété qu'elle rende tout à coup les hommes parfaits? Je pourrais m'en tenir là pour la confusion de l'impie ; mais l'Eglise va plus loin : elle lui fait voir, dans cette troupe glorieuse de Saints que nous honorons, des hommes vraiment irrépréhensibles au sens même que  le monde les veut. Leurs siècles les ont reconnus tels qu'on nous les dépeint, les siècles suivants les ont canonisés ; et c’est sur le témoignage du monde entier que nous leur rendons un culte si solennel.

Deuxième partie. Ignorance sans excuse, supposé l'exemple des Saints. On se laisse prévenir des erreurs les plus grossières touchant la sainteté. Mais l'exemple des Saints confond toutes ces erreurs, et rend notre ignorance inexcusable :  pourquoi? Parce que l'exemple des Saints nous fait connaître en quoi consiste la vraie sainteté, et nous apprend qu'elle est toute renfermée dans les devoirs de notre condition.  Sainteté raisonnable,  qui se fait estimer par elle-même, et que je ne puis envisager sans me dire à moi-même : Voilà ce que je dois être, et sans me sentir porté à le devenir.

Non, les Saints ne se sont point précisément sanctifiés par des œuvres éclatantes et particulières ; ce n'était point là le fond de leur sainteté, car, 1° ils pouvaient être Saints sans cela; 2° avec cela ils pouvaient n'être pas Saints. Ils pouvaient être Saints sans cela : combien de prédestinés n'ont jamais rien fait sur la terre qui leur ait attiré l'admiration ? Et ils pouvaient avec cela n'être pas des Saints : combien de réprouvés ont fait sur la terre des actions à quoi les hommes ont applaudi, tandis que Dieu les condamnait ? Il n'est pas parlé dans l'Evangile d'un seul miracle de la Mère de Dieu, ni de Jean-Baptiste; et l'Evangile, au contraire, parle des miracles que faisaient les faux prophètes.

Par où donc les Saints ont-ils été Saints? 1° Ils n'ont été Saints que parce qu'ils ont rempli les devoirs de leur état ; 2° et ils n'ont rempli les devoirs de leur état que parce qu'ils étaient Saints, et que parce qu'ils ont su accorder leur condition avec leur

 

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religion. Saints, parce que dans leur condition ils ont rendu a chacun ce qui lui appartenait. Saints, parce qu'ils ont honoré par leur conduite leurs ministères. Saints, parce qu'ils ont préféré en toutes choses la conscience aux intérêts humains. Saints, parce que, soumis à Dieu, ils se sont tenus dans l'ordre où Dieu les voulait. Ajoutons que, parce qu'ils étaient Saints, ils ont rempli tous leurs devoirs, parce qu'il n'y avait que la sainteté qui pût être une disposition générale et efficace à ce parfait accomplissement de leurs obligations. Sans la sainteté ils auraient succombé en mille rencontres ; mais leur sainteté les a soutenus.

Pourquoi saint Louis est-il au nombre de ceux que nous invoquons? parce qu'il s'est acquitté de tous les devoirs d'un roi. lit pourquoi s'est-il acquitté de tous les devoirs d'un roi? parce que c'était un saint roi. Aussi est-ce cette fidélité constante à nos devoirs qui nous coûte. Car, pour ne manquer à aucun de ses devoirs, il faut, en bien des occasions, se faire violence et se renoncer.

Troisième partie. Lâcheté sans prétexte, supposé l'exemple des Saints. Car l'exemple des Saints est une preuve convaincante : 1° que le sainteté n'a rien d'impraticable pour nous; 2° qu'elle n'a rien mémo de si difficile dont elle ne porte avec soi l'adoucissement.

1° Rien d'impraticable pour nous dans la sainteté. Dieu nous le fait connaître sensiblement, en nous mettant devant les yeux des millions de Saints qui ont été dans le monde ce que nous ne voulons pas qu'on y puisse être. C'est ce qui convertit saint Augustin, lorsque, dans cette merveilleuse vision qu'il nous a lui-même décrite, il crut entendre la sainteté, qui, lui montrant un nombre presque infini de vierges, lui disait : Eh quoi ! ne pourrez-vous pas ce que ceux-ci et celles-là ont pu? Voilà comment Dieu nous parle à nous-mêmes dans cette fête, et ce qui fera notre condamnation dans son jugement.

2° Rien même de si difficile dans la sainteté, qui ne porte avec soi son adoucissement. Tertullien disait que Jésus-Christ était la solution de toutes les difficultés d'un chrétien. Mais ce qu'il a dit de l'exemple de cet Homme-Dieu, il semble qu'on peut le dire encore avec plus de sujet de l'exemple des Saints ; car, sur l'exemple de Jésus-Christ, il restait une difficulté prise de Jésus-Christ même, savoir : qu'il était Dieu, et qu'étant, comme Dieu, la toute-puissance même, il était plus en état que nous de faire ce qu'il a fait, et de souffrir ce qu'il a souffert. Mais que puis-je répondre, quand on me fait voir dans les Saints des hommes comme moi, qui ont tout entrepris et tout souffert avec joie ? Saint Paul convainquait les premiers fidèles, en leur retraçant le souvenir de tous les Justes de l'ancienne loi; et que pouvons-nous dire quand on ajoute à ces exemples tous ceux de la loi nouvelle? surtout quand on y ajoute l'exemple de tant de martyrs à qui les plus rigoureux tourments sont devenus non-seulement supportables, mais agréables?

Non, nous n'avons plus de prétexte que l'exemple des Saints ne détruise. Ils avaient les mêmes soins que nous, les mêmes passions, les mêmes occasions, les mêmes obstacles ; ils ne servaient pas un autre maître ; et ils n'attendaient pas une autre gloire.

Mais, après tout, comment être Saint et vivre en certains états du monde? Comment? Si ces étals étaient incompatibles avec la sainteté, Dieu ne nous y aurait pas appelés, et il ne vous permettrait pas d'y demeurer. Point d'état où il n'y ait eu des Saints. Regardez dans votre état ceux qui s'y sont sanctifiés, et formez-vous sur ces modèles. C'est dans cette variété mystérieuse de sainteté, que la providence de notre Dieu nous doit paraître également aimable et adorable. Il a fait des Saints de tous les caractères et de toutes les professions, non-seulement afin qu'il n'y eût personne dans le monde qui eût droit d'imputer à sa profession les relâchements de sa vie, mais afin qu'il n'y eût personne à qui sa profession même ne présentât un portrait vivant de la sainteté qui lui est propre.

Compliment au roi.

 

Mirabilis Deus in Sanctis suis.

Dieu est admirable dans ses saints. (Psaume LXVII, 36.)

 

SIRE,

 

A considérer Dieu dans lui-même, nous ne pouvons dans lui-même l'admirer, parce qu'il est trop élevé au-dessus de nous et trop grand. Comme nous ne le connaissons sur la terre que dans ses ouvrages, ce n'est aussi sur la terre, à proprement parler, que dans ses ouvrages qu'il est admirable pour nous. Or, l'ouvrage de Dieu par excellence, ce sont les Saints ; et par conséquent, disait le Prophète royal, c'est surtout dans ses Saints qu'il nous paraît digne de nos admirations : Mirabilis Deus in Sanctis suis.

En effet, de quelque manière que nous envisagions les Saints, Dieu est admirable en eux : et quand je m'en tiendrais au seul évangile de ce jour, qu'y a-t-il de plus admirable que d'avoir conduit des hommes à la possession d'un royaume par la pauvreté? que de leur avoir fait trouver la consolation et la joie par les pleurs et l'adversité? que de les avoir élevés par les humiliations au comble de la gloire, et, pour me servir de l'expression de saint Ambroise, de les avoir béatifiés par les misères mêmes ? Car voilà , si je puis user de ce terme, les divins paradoxes dont le Saint-Esprit nous donne l'intelligence dans cette solemnité , et que nous n'aurions jamais pu comprendre, si les Saints que nous honorons n'en étaient une preuve sensible : voilà les miracles que Dieu a opérés dans ses élus : Mirabilis Deus in Sanctis suis.

J'ajoute néanmoins, mes chers auditeurs, après saint Léon, pape, une chose qui me semble encore plus propre à nous toucher, par l'intérêt que nous y devons prendre comme chrétiens. Car Dieu, dit ce Père, est particulièrement admirable dans ses Saints, parce qu'en les glorifiant il nous a pourvus d'un puissant secours, c'est celui de leur protection; et qu'en même temps il nous a mis devant les yeux un grand modèle, c'est l'exemple de leur vie : Mirabilis Deus in Sanctis suis, in quibus et praesidium nobis constitua, et exemplum. Je m'attache à cet exemple des Saints pour établir solidement  les importantes vérités que

 

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j'ai à vous annoncer; et sans rien dire du secours que nous pouvons attendre d'eux, et que nous en recevons, je veux vous l'aire admirer Dieu dans la conduite qu'il a tenue en nous proposant ces illustres prédestinés, dont la sainteté doit produire en nous de si merveilleux effets pour notre sanctification. Vierge sainte, reine de tous les Saints, puisque vous êtes la mère du Saint des Saints; vous en qui Dieu s'est montré souverainement admirable, puisque c'est en vous et par vous qu'il s'est fait homme et qu'il s'est rendu semblable à nous, faites descendre sur moi ses grâces. Il s'agit d'inspirer à mes auditeurs un zèle sincère , un zèle efficace d'acquérir celle sainteté si peu goûtée, si peu connue, si peu pratiquée dans le monde, et toutefois si nécessaire pour le salut du monde. Je ne puis mieux réussir dans cette entreprise que par votre intercession, et c'est ce que je vous demande, en vous adressant la prière ordinaire. Ave, Maria.

 

En trois mots j'ai compris, ce me semble, trois sujets de la plus juste douleur, soit que nous soyons sensibles aux intérêts de Dieu, soit que nous ayons égard aux nôtres, quand j'ai dit que la sainteté, si nécessaire pour notre salut, était peu goûtée, peu connue et peu pratiquée dans le monde. Mais je prétends aussi vous consoler, Chrétiens, quand j'ajoute que bien, par son adorable sagesse, a su remédier efficacement à ces trois grands maux, en nous mettant devant les yeux la sainteté de ses élus, et en les prédestinant pour nous servir d'exemples. Je m'explique.

Cette sainteté que Dieu nous commande, et sans laquelle il n'y a point de salut pour nous, par une déplorable fatalité, trouve dans les esprits des hommes trois grands obstacles à vaincre, cl qu'elle a peine souvent à surmonter, savoir, le libertinage, l'ignorance et la lâcheté. Parlons plus clairement et plus simplement. Trois sortes de chrétiens dans le monde, par l'aveuglement où nous jette le péché et par la corruption du monde même, sont mal disposés à l'égard de la sainteté : car les libertins la censurent et lâchent à la décrier; les ignorants la prennent mal, et, dans l'usage qu'ils en font, ou, pour mieux dire, qu'ils en croient faire, ils n'en ont que de fausses idées; enfin, les lâches la regardent comme impossible, et désespèrent d'y parvenir. Les premiers, malins et critiques, la rendent odieuse, et de là vient qu'elle est peu goûtée; les seconds, grossiers et charnels, s'en forment des idées, non selon

la vérité, mais selon leur goût et selon leur sens, et de là vient qu'elle est peu connue. Les derniers, faibles et pusillanimes, s'en rebutent et y renoncent, dans la vue des difficultés qu'ils y rencontrent, et de là vient qu'elle est rare et peu pratiquée : trois dangereux écueils à éviter dans la voie du salut, mais écueils dont nous nous préserverons aisément, si nous voulons profiter de l'exemple des Saints.

Car je soutiens, et voici le partage de ce discours, je soutiens que l'exemple des Saints est la plus invincible de toutes les preuves pour confondre la malignité du libertin, et pour justifier contre lui la vraie sainteté ; je soutiens que l'exemple des Saints est la plus claire de toutes les démonstrations pour confondre les erreurs du chrétien séduit et trompé , et pour lui faire voir en quoi consiste la vraie sainteté; je soutiens que l'exemple des Saints est le plus efficace de tous les motifs pour confondre la tiédeur, beaucoup plus le découragement du chrétien lâche, et pour le porter à la pratique de la vraie sainteté. De là n'aurai-je pas droit de conclure que Dieu est admirable dans ses Saints, lorsqu'il nous les donne pour modèles? Mirabilis Deus in Sanctis suis. Je parle, encore une fois, à trois sortes de personnes dont il est aujourd'hui question de rectifier les sentiments sur le sujet de la sainteté chrétienne : aux libertins qui la combattent, aux ignorants qui ne la connaissent pas, aux lâches qui n'ont pas le courage de la pratiquer ; et, sans autre raisonnement, je montre aux premiers que, supposé l'exemple des Saints, leur libertinage est insoutenable; aux seconds, que leur ignorance est sans excuse ; aux derniers, que leur lâcheté n'a plus de prétexte : trois vérités que je vais développer : appliquez-vous.

 

PREMIÈRE PARTIE.

 

C'est de tout temps que la sainteté, et même la plus solide et la plus vraie, a été en butte à la malignité des libertins et à leur censure. C'est de tout temps qu'ils l'ont combattue comme ses plus déclarés ennemis; et c'est pour cela , ou qu'ils ont tâché de se persuader et de persuader aux autres qu'il n'y avait point dans le monde de vraie sainteté, ou qu'ils ont au moins affecté, en la confondant avec la fausse, de la décrier. Deux artifices dont ils se sont servis pour défendre, et, s'ils avaient pu, pour autoriser leur libertinage contre la sainteté chrétienne , qui néanmoins a toujours été et sera toujours, devant Dieu et devant les hommes, leur condamnation. Deux artifices

 

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que saint Jérôme a subtilement démêlés dans une de ses Epîtres, où il s'en explique ainsi : Lacerant sanctum propositum, et nequitiae suœ remedium arbitrantur, si nemo sit sanctus , si turba sit pereuntium, si omnibus detrahatur. Ce Père parlait en particulier de certains esprits prétendus forts, qui, témérairement et sans respect, blâmaient la conduite de sainte Paule, et le courage qu'elle avait eu de quitter Rome pour aller chercher son salut dans la retraite et dans l'éloignement du monde. Ces paroles sont remarquables, et d'autant plus dignes d'être pesées, qu'elles expriment ce que nous voyons tous les jours arriver dans notre siècle. Lacerant sanctum propositum : parce qu'ils raisonnent en mondains, disait saint Jérôme, ils déchirent par leurs railleries, et même par leurs médisances, tout ce que les serviteurs de Dieu font de plus édifiant et de plus louable pour honorer Dieu. Et nequitiœ suœ remedium arbitrantur si nemo sit sanctus ; ils croient leur libertinage bien à couvert, quand ils ont la hardiesse de soutenir qu'il n'y a point de Saints sur la terre ; que ceux qu'on estime tels ont comme les autres leurs passions et leurs vices, et des vices même grossiers; que les plus gens de bien sont comme eux dans la voie de perdition , et qu'on a droit de dire de tout le monde que tout le monde est corrompu et perverti. Non-seulement ils soupçonnent que cela peut être, mais ils assurent que cela est ; et, dans cette supposition, aussi extravagante que maligne, ils se consolent ; comme si l'affreuse opinion qu'ils ont de tout le genre humain était la justification de leur iniquité, et devait les guérir de tous les remords intérieurs qu'ils auraient infailliblement à essuyer si le monde leur faisait voir des hommes vraiment vertueux, et dont la vie exemplaire fût un reproche sensible de leur impiété et de leurs désordres : Et nequitiœ suœ remedium arbitrantur , si detrahatur omnibus. Prenez garde, s'il vous plaît, à la pensée de ce saint docteur.

La première injustice que le libertin fait à la sainteté chrétienne est de ne la vouloir pas reconnaître, c'est-à-dire de prétendre que ce que l'on appelle sainteté n'est rien moins dans les hommes que sainteté ; que dans les uns c'est vanité, dans les autres singularité; dans ceux-ci dépit et chagrin, dans ceux-là faiblesse et petitesse de génie ; et malgré les dehors les plus spécieux, dans plusieurs imposture et hypocrisie. Car c'est ainsi, mes chers auditeurs, qu'on en juge dans le monde, mais particulièrement à la cour, dans ce grand monde où vous vivez, dans ce monde que je puis appeler l'abrégé du monde. Monde profane, dont la malignité, vous le savez, est de n'admettre point de vraie vertu, de ne convenir jamais du bien, d'être toujours convaincu que ceux qui le font ont d'autres vues que de le faire, de pouvoir croire qu'on serve Dieu purement pour le servir ni qu'on se convertisse purement pour se convertir; de n'en voir aucun exemple qu'on ne soit prêt à contester, de critiquer tout, et, à force de critiquer tout, de ne trouver plus rien qui édifie. Malignité, reprend saint Jérôme, injurieuse à Dieu et pernicieuse aux hommes : ne perdez pas cette réflexion, qui vous peut être infiniment utile et salutaire.

Malignité injurieuse à Dieu, puisque par là l'on ôte à Dieu la gloire qui lui est due, en attribuant à tout autre qu'à lui les œuvres dont il est l'auteur, comme nous apprenons de l'Evangile que les pharisiens en usaient à l'égard du Fils de Dieu. Car que faisaient-ils? Ils imputaient à l'art magique les miracles de ce Dieu-Homme; ils disaient qu'il chassait les démons par la puissance de Béelzébud, le prince des ténèbres. Et que fait-on à la cour? On veut, et l'on veut sans distinction, qu'un intérêt secret y soit le ressort, le motif de tout le bien qu'on y pratique, de tout le culte qu'on y rend à Dieu, de toutes les résolutions qu'on y prend de mener une vie chrétienne, de toutes les conversions qui y paraissent, de toutes les réformes qu'on y aperçoit. On veut qu'une basse et servile politique en soit le principe et la fin. On dit d'une âme touchée de Dieu, et qui commence de bonne foi à régler ses mœurs, qu'elle prétend quelque chose, qu'il y a du mystère dans sa conduite, que ce changement est une scène qu'elle donne; mais que Dieu y a peu de part. Or l'un n'est-il pas semblable à l'autre? et si le langage du pharisien a été un blasphème contre Jésus-Christ, celui du monde qui juge et qui décide de la sorte est-il moins injuste et moins criminel?

Malignité pernicieuse aux hommes, puisque le mondain se prive ainsi d'une des grâces les plus touchantes et, dans l'ordre de la prédestination, les plus efficaces, qui est le bon exemple; ou plutôt, puisqu'autant qu'il dépend de lui il anéantit à son égard cette grâce du bon exemple. Ces conversions, dont il est témoin, et qu'on lui propose pour le faire rentrer en lui-même, n'ont plus d'autre effet sur

 

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lui que de lui faire former mille raisonnements, mille jugements téméraires et mal fondés ; que de lui faire profaner ce qu'il y a de plus saint par les railleries les plus piquantes, et souvent même par les discours les plus impies. Dieu le permet, pour punir en lui cet esprit d'orgueil qui le porte à s'ériger en censeur si sévère de la sainteté. D'où il arrive que, bien loin délirer aucun fruit des exemples qu'il a devant les yeux, il s'endurcit le cœur, il se confirme dans ses désordres, il demeure dans son impénitence, il s'y obstine, et se rend encore plus incorrigible. Au lieu que les âmes fidèles marchent avec simplicité dans les voies de Dieu, profitent du bien qu'elles supposent bien, au hasard même de s'y tromper; s'édifient des vertus, quoique douteuses, qui leur paraissent vertus; de ces exemples même contestés se font des leçons et des règles, heureuses qu'il y en ait encore; et, sans penser à les combattre, bénissant Dieu de ce qu'il les suscite pour sa gloire, pour le bien de ses élus, et pour la confusion du libertinage.

Car, je l'ai dit, Chrétiens, et je le répète, quelque présomptueux que puisse être le libertinage du monde, jamais il ne se soutiendra contre certains exemples irréprochables que Dieu dans tous les temps lui a opposés, et qu'il lui opposera toujours pour le confondre. Cette nuée de témoins dont parle saint Paul, cette innombrable multitude de Saints dont nous honorons la glorieuse mémoire, est en faveur de la sainteté chrétienne un argument trop plausible, et une preuve trop éclatante et trop forte, pour pouvoir être affaiblie par toute l'impiété du siècle. Il y a dans le monde des hypocrites, je le sais, et peut-être trop pour n'en pas gémir moi-même; mais l'impiété du siècle peut-elle se prévaloir de l'hypocrisie pour en tirer cette dangereuse conséquence, qu'il n'y a point clans le monde de vraie sainteté? Au contraire, répond ingénieusement saint Augustin , c'est de là même qu'elle doit conclure qu'il y a une vraie sainteté, parce qu'il se trouve des saintetés fausses; et la raison qu'il en apporte est sans réplique : parce que la fausse sainteté, ajoute-t-il, n'est rien autre chose qu'une imitation de la vraie, comme la fiction est une imitation de la vérité.

En effet, ce sont les vraies vertus qui, par l'abus qu'on en a fait en voulant les imiter, ont produit, contre l'intention de Dieu, les fausses vertus. Le démon , père du mensonge , s'étant étudié à copier autant qu'il a pu, les œuvres de Dieu, il a pris à tâche de contrefaire la vraie humilité par mille vains fantômes d'humilité, la vraie sévérité de l'Evangile par l'apparente sévérité de l'hérésie, le vrai zèle par le zèle jaloux, la vraie religion par l'idolâtrie et la superstition. Témoignage évident, dit. saint Augustin, qu'il y a donc une vraie religion, un vrai zèle, une vraie sévérité de mœurs, une vraie humilité de cœur, en un mot, une vraie sainteté, puisqu'il est impossible de contrefaire ce qui n'est pas, et que les copies, quoique fausses, supposent un modèle.

Or ce principe établi, qu'il y a une vraie sainteté , l'impiété du siècle la plus maligne demeure désarmée et sans défense. Que cette sainteté pure et sans reproche soit rare parmi les hommes, qu'elle se rencontre en peu de sujets, cela ne favorise en aucune sorte le libertin. Quand il n'y en aurait dans le monde qu'un seul exemple, il n'en faudrait pas davantage pour faire sa condamnation ; et Dieu, par une providence toute spéciale, dispose tellement les choses, que cet exemple, seul si vous le voulez, ne manque jamais, et que, malgré l'iniquité, il y en a toujours quelqu'un que le mondain lui-même, de son propre aveu, ne peut s'empêcher de reconnaître.

Oui, mon cher auditeur, si vous êtes assez malheureux pour être du nombre de ceux à qui je parle ici et que je combats, ce seul homme de bien que vous connaissez, et qui est, dites-vous, l'unique en qui vous croyez, et dont vous voudriez répondre, c'est celui-là même qui s'élèvera contre vous au jugement de Dieu ; lui seul il vous fermera la bouche. Dieu n'aura qu'à vous le produire , pour vous convaincre malgré vous du prodigieux égarement où vous aurez vécu, et pour faire paraître à tout l'univers la vanité, la faiblesse, le désordre de votre libertinage. En vain, pour votre justification, voudrez-vous alléguer l'hypocrisie de tant de mauvais chrétiens. S'il y a eu dans le monde des hypocrites, vous dira Dieu, vous n'avez pas dû pour cela être un impie. Si plusieurs ont abusé de la sainteté de mon culte, il ne fallait pas vous porter à un excès tout opposé, ni vous livrer au gré de vos passions ; car il n'était pas nécessaire que vous fussiez l'un ou l'autre : entre l'hypocrite et le libertin il y avait un parti à suivre, et même un parti honorable : c'était d'être chrétien et vrai chrétien. Que ceux que vous avez traités de faux dévots l'aient été ou non, c'est sur quoi ils seront jugés, mais votre cause, qui n'a rien de commun avec eux, n'en a pu devenir meilleure. Tant de faux dévots, de dévots suspects, qu'il vous plaira, en voici un ,

 

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après tout, que vous ne pouvez récuser; en voici un qui vous confond, et qui vous confond par vous-même ; car ce Juste que vous avez vous-même respecté, ce Juste en qui vous avez reconnu vous-même tous les caractères d'une piété sincère et solide, que ne l'avez-vous imité, et pourquoi ne vous êtes-vous pas formé sur ses exemples?

Cela, dis-je, suffirait pour faire taire l'impiété. Ce serait assez de ces saints, quoique rares et singuliers, que Dieu nous fait voir sur la terre ; de ces saints qui, non-seulement glorifient Dieu, mais ont encore le bonheur, en le glorifiant, d'être généralement approuvés des hommes ; de ces saints dont la vertu est si unie, si simple, si pure, si hautement et si universellement, canonisée , que le libertinage même est forcé de les honorer : car il y en a. et, quelque réprouvé que soit le monde, il y en a au milieu de vous ; vous savez bien les démêler, et vous ne vous trompez pas dans le discernement que vous en faites.

Mais je dis bien plus ; et pour un Juste dont l'exemple pourrait suffire, Dieu m'en découvre aujourd'hui une multitude innombrable, et me fournit autant de preuves contre vous. Il m'ouvre le ciel, et m'élevant au-dessus de la terre, il me montre ces troupes d'élus qu'une sainteté éprouvée, purifiée, consommée, a fait monter aux plus hauts rangs de la gloire. Des hommes, dit saint Chrysostome (induction admirable et dont vous devez être touchés!), des hommes en qui la sainteté n'a été ni tempérament, puisqu'elle a réformé, changé, détruit dans eux le tempérament; ni humeur, puisqu'elle ne les a sanctifiés qu'en combattant, qu'en réprimant, qu'en mortifiant sans cesse l'humeur; ni politique, puisqu'elle les a dégagés de toutes les vues humaines ; ni intérêt, puisqu'elle les a fait renoncer à tous intérêts; ni vanité, puisqu'elle les a en quelque sorte anéantis, et qu'ils ne se sont presque tous sanctifiés qu'en se cachant dans les ténèbres ; ni chagrin, puisqu'elle les a souvent détachés, séparés du monde, lorsqu'ils étaient plus en état de jouir des prospérités et de goûter les agréments du monde ; ni faiblesse, puisqu'elle leur a fait prendre les plus généreuses résolutions et soutenir les plus héroïques entreprises; ni petitesse de génie, puisqu'en souffrant, en mourant, en s'immolant pour Dieu, ils ont fait voir une grandeur d'âme que l'infidélité même a admirée ; ni hypocrisie, puisque, bien loin de vouloir paraître ce qu'ils n'étaient pas, tout leur soin a été de ne pas paraître ce qu'ils étaient. Des hommes que le christianisme a formés, et dont la sainteté incontestablement reconnue est d'un ordre si supérieur à tout ce que la philosophie païenne, je ne dis pas a pratiqué, mais a enseigné, mais a imaginé, mais a voulu feindre, que, dans l'opinion de saint Augustin, l'exemple de ces héros chrétiens dont nous solennisons la fête est une des. preuves les plus invincibles qu'il y a un Dieu, qu'il y a une religion, qu'il y a une grâce surnaturelle qui agit en nous. Pourquoi ? parce qu'une sainteté aussi éminente que celle-là ne peut être sortie du fond d'une nature aussi corrompue que la nôtre; parce que la philosophie et la raison ne vont point jusque là; parce qu'il n'y a donc que la grâce de Jésus-Christ qui puisse ainsi élever les hommes au-dessus de toute l'humanité, et que c'est par conséquent l'œuvre de Dieu. Voilà ce que célèbre aujourd'hui l'Eglise militante, dans cette auguste solennité qu'elle consacre à l'Eglise triomphante. Voilà de quoi le ciel est rempli. Exemples mémorables dont l'impiété n'effacera jamais le souvenir, et contre lesquels elle ne prescrira jamais. Exemples convaincants auxquels il tout que le libertinage cède, et qui confondront éternellement l'orgueil du monde. Miracles de votre grâce, ô mon Dieu, dont je me sers ici pour répandre, au moins dans la cour du plus chrétien de tous les rois, les sentiments de respect et de vénération dus à la vraie piété. Heureux si j'en pouvais bannir cet esprit mondain toujours déclaré contre ceux qui vous servent, ou plutôt, Seigneur, toujours déclaré contre votre service même! Heureux si je pouvais le détruire dans tous les cœurs, si je pouvais détromper toutes les personnes qui m'écoutent, et leur faire une fois comprendre combien ces injustes préjugés dont on se laisse si aisément prévenir, et où l'on aime tant à s'entretenir, sont capables de les éloigner, et les éloignent en effet de vous !

La seconde injustice du libertin à l'égard de la sainteté ne consiste plus à la désavouer, mais à la décréditer, à la rendre odieuse, en lui imputant des défauts prétendus, et en les employant contre elle pour la noircir. Car, comme remarque le savant chancelier Gerson, homme entre tous les autres très-pénétrant et très-éclairé dans la science des mœurs, la sainteté chrétienne n'est point responsable des imperfections de ceux qui la pratiquent. Si celui qui s'adonne au culte de Dieu a encore ses faiblesses et ses passions, il les a parce qu'il est homme, et non parce qu'il est pieux. Bien loin que la piété les fomente et les autorise, elle

 

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est la première à les lui reprocher, et elle ne cesse jamais de les combattre. Si elle n'en triomphe pas toujours, et si les passions l'emportent quelquefois sur elle, tel est notre désordre, et, non pas le sien. Il y a plus, et est-il juste d'exiger de la vraie piété, parce qu'elle est en elle-même parfaite et divine, que d'abord elle nous rende des hommes parfaits? Comme elle ne présume point de pouvoir faire dans cette vie des saints impeccables, aussi ne doit-on pas s'en prendre à elle si ceux qui s'engagent à suivre ses voies sont encore sujets aux fragilités humaines. Relever l'homme de ses chutes, l'humilier dans la vue de ses misères, lui l'un: trouver dans ses passions mêmes la matière et le fonds de ses mérites, c'est à quoi elle travaille, de quoi elle répond, et non pas d'affranchir l'homme de tout péché, ce qui ne convient qu'à l'état des bienheureux.

Or, voici néanmoins l'autre effet de la malignité du monde. Un homme, pour obéir à Dieu, et en vue de son salut, prend-il le parti de la piété ! dès là on ne lui pardonne plus rien, et l'on est déterminé à lui faire des crimes de tout ; dès là il ne lui est plus permis d'avoir ni passion, ni imperfection ; on veut qu'il soit Irrépréhensible ; et s'il ne l'est pas, on en accuse la piété même. Malignité, ajoute saint Jérôme, la plus inique. Car enfin si la piété doit être exposée à la censure du monde, au moins la censure du monde doit-elle être équitable ; et s'il ne veut pas lui faire grâce, au moins doit-il lui faire justice. Pourquoi donc ces préventions contre elle ? Pourquoi ces suppositions, en lui imputant comme propre ce qu'elle rejette elle-même comme condamnable? pourquoi cette aversion secrète envers ceux qui l'ont embrassée ? pourquoi ce penchant à les railler, à les abaisser, à empoisonner leurs actions les plus innocentes et leurs plus droites intentions, à diminuer leurs bonnes qualités, à exagérer les mauvaises, si quelquefois ils en font paraître? Est-ce ainsi que nous en usons avec le reste des hommes? et l'attachement au service de Dieu a-t-il quelque chose qui doive attirer le mépris et la haine? Je pourrais m'en tenir là pour la confusion de l'impie; mais l'Eglise va plus loin. Elle lui oppose dans la personne des Saints, et pour une conviction plus entière, surtout plus sensible, des hommes tels que les concevait saint Paul, et tels en effet qu'ils ont paru selon l'idée de cet apôtre, édifiant le monde, et servant de modèles au monde ; des hommes irrépréhensibles, au sens même que le monde les veut, et que le libertin les demande; des hommes en qui la piété n'a été ni présomptueuse, ni hautaine, ni aigre, ni critique, ni opiniâtre, ni dissimulée, ni jalouse, ni bizarre, ni intrigante, ni dominante.

Ce sont là ceux que l'Eglise oppose au libertinage : ces bienheureux dont elle honore la mémoire, ce sont ces hommes parfaits qu'elle nous met devant les yeux. Sujets par eux-mêmes à tous les vices des autres, ils ne s'en sont ou préservés ou corrigés que par l'exercice et l'étude des vertus chrétiennes. D'où il s'ensuit que leur sanctification, en justifiant le parti de la piété, doit donc couvrir d'un éternel opprobre le libertin qui entreprend de la rendre méprisable. Leur siècle, quoique perverti, les a reconnus et publiés tels que je vous les dépeins. Comme tels, les siècles suivants les ont béatifiés et canonisés : c'est sur le témoignage du monde entier que nous leur rendons en ce jour un culte si solennel; c'est pour cela, dit l'Ecriture, qu'ils sont devant le trône de Dieu, parce qu'ils ont été sans  tache  devant les hommes : Sine macula enim sunt ante thronum Dei (1). Serons-nous assez injustes pour leur disputer tout à la fois, et leur sainteté, et leur gloire? Mais serons-nous en même temps assez aveugles pour ne pas découvrir toute la faiblesse de l'impiété? Reprenons : le libertin combat la sainteté chrétienne, et je vous ai fait voir que l'exemple des Saints rend son libertinage insoutenable. L'ignorant ne connaît pas la sainteté chrétienne, et je vais lui montrer que l'exemple des Saints rend son ignorance inexcusable. C'est la seconde partie.

 

DEUXIÈME   PARTIE.

 

Il ne faut pas douter que saint Paul, écrivant à Timothée son disciple, n'eût en vue les derniers siècles de l'Eglise, et en particulier celui où nous vivons, quand, parmi les abus qu'il condamnait et qu'il remarquait même dès lors dans le christianisme, il déplorait surtout l'aveuglement de certaines âmes séduites qui étudiaient sans cesse la religion, et qui ne parvenaient jamais à la science de la religion ; qui en apprenaient tous les jours les maximes et les préceptes, et qui n'en comprenaient jamais l'essentiel ni le fond ; qui s'épuisaient en spéculations pour s'y rendre habiles, mais qui ne l'entendaient jamais, parce que jamais elles n'en venaient à la pratique; en un mot, qui, cherchant en apparence le royaume de Dieu, ne le trouvaient point en effet, parce qu'elles le cherchaient sans le connaître : toujours

 

1 Apoc, XIV, 5.

 

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éloignées delà solide piété, parce qu'avec toute leur étude elles ne s'étaient jamais formé une juste image de la piété : Semper discentes, et nunquam adscientiam veritatis pervenientes (1). C'était un des maux dont ce grand apôtre menaçait l'Eglise de Dieu ; et n'est-ce pas ce que nous voyons aujourd'hui ? Quelque spirituel et quelque raffiné que se pique d'être le siècle où nous sommes nés, avouez-le, mes chers auditeurs, qu'un des abus qui y règne davantage est de se laisser prévenir des erreurs les plus grossières sur ce qui regarde la véritable piété et la sainteté chrétienne. J'en appelle à vos connaissances, et je suis certain que vous en convenez déjà avec moi.

Les uns (ne perdez pas ceci) font consister la sainteté dans ce qui est selon leur sens, et les autres dans ce qui est selon leur goût ; les uns dans des choses extraordinaires et singulières, et les autres dans des choses extrêmes et outrées ; les uns dans ce qui éclate et qui brille, et les autres dans ce qui effraie et qui rebute. Les uns se la figurent hors de leur état, et les autres se la proposent au delà de leurs forces et de leur pouvoir; les uns l'imaginent contraire aux bienséances et aux règles qu'il faut observer dans le monde, et les autres s'en font des plans opposés à leurs obligations même les plus étroites, et à leurs engagements particuliers par rapport au monde ; les uns l'attachent à certains moyens auxquels ils se bornent, pendant qu'ils négligent la fin ; et les autres la réduisent à des idées vagues de la fin dont ils se repaissent, pendant qu'ils négligent les moyens. Quel champ, Chrétiens, et quelle matière à nos réflexions !

Or je dis que l'exemple des Saints confond toutes ses erreurs, qu'il nous démontre sensiblement que la sainteté ne consiste point en tout cela, ne dépend point de tout cela , n'est rien moins, ou plutôt est quelque chose de meilleur et de plus raisonnable que tout cela : pourquoi? parce que les Saints, par leur exemple, nous prêchent aujourd'hui une vérité, mais une vérité touchante, une vérité édifiante, une vérité consolante; savoir, qu'indépendamment de notre sens ou de notre goût, que sans l'éclat de certaines œuvres ou leur austérité, que sans sortir de notre condition ni quitter les voies communes, que sans prendre des moyens particuliers, ni se proposer une autre fin que celle même qui nous est marquée dans la situation présente où nous nous trouvons, toute la sainteté, la vraie sainteté, est de

 

1 2. Timoth., III, 17.

 

remplir ses devoirs, et de les remplir dans la vue de Dieu ; d'être parfaitement ce que l'on doit être, et de l'être selon Dieu; de se conduire d'une manière digne de l'état où l'on est appelé de Dieu. Vérité à laquelle notre raison se soumet d'abord, et qu'il suffit de comprendre pour en être persuadé ; vérité que toutes les Ecritures nous ont enseignée, mais dont nous avons encore une preuve plus évidente dans ces grands modèles que Dieu nous présente aujourd'hui.

Car dans ces modèles, qui sont les Saints, détrompé de toute illusion, je vois clairement et distinctement ce que c'est que d'être saint, et je le vois sans effort, sans embarras de préceptes , comme si la sainteté elle-même se découvrait à moi, et devenait sensible pour moi. Et puisqu'il n'est rien hors de Dieu de plus excellent, rien de plus divin qu'une sainteté de ce caractère, c'est-à-dire une sainteté fondée sur les devoirs, réglée par les devoirs, renfermée dans les devoirs, dès que je l'envisage de la sorte, tout révolté que je puis être contre mes devoirs, je me sens forcé à lui donner mon estime ; et cette estime dont je ne puis me défendre m'en fait naître un amour secret dont je me défends encore moins. Je dis : Voilà ce que je devrais être ; voilà ce que ma raison, ce que ma conscience, ce que ma religion me reprocheront toujours de n'être pas. Je le dis, et l'aveu que j'en fais est pour moi un témoignage infaillible que c'est donc là, et là seulement, que se réduit ce que nous appelons sainteté.

Non , Chrétiens , ces bienheureux dont nous solennisons la fête ne sont point précisément devenus saints pour avoir fait dans le monde et pour Dieu des choses extraordinaires et éclatantes. S'ils en ont fait, dit saint Bernard, et si l'histoire de leur vie les rapporte, ces œuvres éclatantes et extraordinaires pouvaient bien être des effets et des écoulements de leur sainteté, mais elles n'en ont jamais été ni le fond, ni la mesure. Ils les ont faites, si vous voulez, parce qu'ils étaient saints; mais ils n'ont jamais été saints parce qu'ils les faisaient : et en effet, ils pouvaient être saints sans cela, comme avec cela ils auraient pu ne l'être pas.

Ils pouvaient être saints sans cela : combien de prédestinés, maintenant heureux et paisibles possesseurs de la gloire, n'ont jamais rien fait sur la terre qui leur ait attiré l'admiration, ni qui lésait distingués? Et ils pouvaient avec cela n'être pas saints. Combien de réprouvés, victimes de la justice de Dieu, et livrés au feu éternel,

 

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ont fait sur la terre des actions de vertu à quoi les hommes ont applaudi, pendant que Dieu les condamnait, et peut-être, pour ces vertus mêmes prétendues, les rejetait? Saints sans cela : ainsi l'ont été des millions d'élus dont les noms sont écrits dans le ciel, quoique inconnus dans l'Eglise même. Dieu, comme remarque saint Augustin, a pris plaisir à les sanctifier dans l'obscurité d'une vie commune, d'une vie cachée; et quand il les a introduits dans son royaume, il ne leur a point dit : Entrez, serviteurs fidèles, parce que vous avez fait pour moi de grandes choses, mais, parce que vous avez été fidèles dans les plus petites : Quia in pauca fuisti fidelis (1). Rien moins que saints, ou plutôt réprouvés avec cela : ainsi doit-il arriver à ces malheureux qui diront à Dieu : Seigneur, n'avons-nous pas prophétisé en votre nom? n'avons-nous pas chassé les démons? mais à qui Dieu répondra : Je ne vous ai jamais connus, et je ne vous connais point encore : prophètes et faiseurs de miracles tant qu'il vous plaira , ce n'est point par là que je fais le discernement et le choix de ceux qui m'appartiennent.

Ce que je dis, Chrétiens , est tellement vrai, que Marie, la plus sainte des créatures, est néanmoins celle dont l'Evangile, par un dessein particulier de la Providence , a moins publié de miracles : que dis-je, et fait-il même mention d'un seul? en marque-t-il un seul de Jean-Baptiste, le précurseur de Jésus-Christ? et n'est-ce pas à lui toutefois que le Sauveur du monde rendit ce glorieux témoignage, qu'entre les enfants des hommes, nul n'avait été devant Dieu ni plus grand, ni plus saint? Disons-en autant de mille autres choses avec lesquelles on confond tous les jours la sainteté : autant de ces austérités que le monde admire, et qui, selon la judicieuse remarque de l'évêque de Genève, ne sont tout au plus que des moyens pour aller à la sainteté, mais nullement la sainteté même. Il y a dans le ciel des Saints du premier ordre qui n'ont jamais été , par profession , ni solitaires, ni austères : le Saint des Saints lui-même , le Fils de Dieu , ne l'a point été, ou du moins ne l'a point paru; et peut-être l'enfer est-il plein de pénitents, d'anachorètes que la vanité a perdus.

Par où donc les Saints sont-ils devenus saints, et en quoi proprement consiste le fond de leur sainteté? Ah ! Chrétiens, c'est ici qu'il est de votre intérêt de m'écouter ; car voici, en deux mots, votre instruction et votre consolation.

 

1 Matth., XXV, 21.

 

Ils n'ont été saints que parce qu'ils ont rempli leurs devoirs, et ils ont rempli leurs devoirs parce qu'ils étaient saints. Deux choses dont l'enchaînement porte avec soi un caractère de raison et de vérité qui se fait sentir. Saints, parce qu'ils ont rempli leurs devoirs, c'est-à-dire parce qu'ils ont su parfaitement accorder leur condition avec leur religion ; mais en sorte que leur religion a toujours été la règle de leur condition, et que jamais leur condition n'a prévalu aux maximes de leur religion. Saints, parce qu'ils ont rendu à chacun ce qui lui était dû : l'honneur à qui était dû l'honneur, le tribut à qui était dû le tribut, l'obéissance à ceux que Dieu leur avait donnés pour maîtres, la complaisance à ceux dont ils devaient entretenir la société , l'assistance à ceux qu'ils devaient secourir, le soin à ceux dont ils devaient répondre; à tous la justice et la charité , parce que nous en sommes à tous redevables. Saints, parce qu'ils ont honoré par leur conduite les ministères dont ils étaient chargés , les dignités dont ils étaient revêtus, les places où Dieu les avait mis ; parce qu'ils ont sacrifié leur repos, leur santé , leur vie, aux emplois qu'ils avaient à remplir, aux travaux qu'ils avaient à soutenir, aux fatigues qu'ils devaient essuyer, aux chagrins et aux ennuis qu'il leur fallait dévorer. Saints, parce qu'ils ont préféré en toutes choses la conscience à l'intérêt, la probité à la fortune, la vérité à la flatterie ; parce qu'ils ont eu de la sincérité dans leurs paroles, de la droiture dans leurs actions, de l'équité dans leurs jugements, de la bonne foi dans leur commerce. Saints, parce que, soumis à Dieu, ils se sont tenus dans l'ordre où Dieu les voulait, sans s'élever, sans s'ingérer, sans s'inquiéter, sans se plaindre , contents de leur état, ne troublant point celui des autres, n'enviant le bonheur de personne, fidèles à leurs amis, généreux envers leurs ennemis , reconnaissants des bienfaits qu'ils recevaient , patients dans les maux, oubliant les injures, supportant les faibles : car tout ce que je dis était renfermé dans l'étendue de leurs devoirs, et il leur fallait tout ce que je dis pour être saints.

Mais j'ajoute que, parce qu'ils étaient saints, ils ont rempli tous ces devoirs. Autre principe d'une vérité incontestable. En effet, il n'y avait que la sainteté qui pût être en eux une disposition générale et efficace au parfait accomplissement de toutes ces obligations. Sans la sainteté, ils auraient succombé en mille rencontres aux tentations humaines; leur probité

 

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et leur droiture, en je ne sais combien de pas glissants, les aurait abandonnes, et en satisfaisant à un devoir ils en auraient violé un autre. Mais parce qu'ils étaient saints, ils ont gardé toute la loi et rempli toute justice; parce qu'ils étaient saints, ils ont allié dans leurs personnes les choses, ce semble, les plus opposées et les plus difficiles à concilier : l'autorité avec la charité, la politique avec la sincérité, les honneurs du siècle avec l'humilité, l'application aux affaires avec la piété; parce qu'ils étaient saints, ils ont maintenu dans le monde leur rang avec modestie, leurs droits avec désintéressement, leur réputation avec un vrai mépris et un entier détachement d'eux-mêmes; parce qu'ils étaient saints, ils ont été humbles sans bassesse, grands sans hauteur, sincères sans imprudence, prudents sans duplicité, zélés sans emportement, courageux sans témérité, doux et pacifiques sans pusillanimité; parce qu'ils étaient saints, ils se sont possédés eux-mêmes, ou plutôt ils se sont défiés d'eux-mêmes ; dans la prospérité ils ont compté sur Dieu, et ils se sont soutenus par la foi dans l'adversité. Je serais infini, si je voulais épuiser cette matière et pousser plus loin ce détail.

Quoi qu'il en soit, mes chers auditeurs, le bonheur de ces glorieux prédestinés est de n'avoir jamais séparé leur perfection de leurs devoirs, disons mieux, leur bonheur est de n'avoir jamais connu d'autre perfection que celle qui les attachait à leurs devoirs. Pourquoi saint Louis est-il au nombre de ceux que nous invoquons aujourd'hui? parce qu'étant roi, il s'est dignement acquitté des devoirs d'un roi : et pourquoi s'est-il dignement acquitté des devoirs d'un roi? parce qu'il a été un saint roi. Il n'y a qu'à consulter son histoire, et vous en conviendrez. Or, ce que je dis de ce saint roi, je puis le dire également et par proportion de tous les autres Saints. Tel est le fondement de leur gloire et de leur béatitude : cette fidélité à leurs devoirs, ce zèle pour leurs devoirs, ce renoncement atout pour se rendre parfaits dans leurs devoirs, c'est là ce que Dieu a récompensé dans les Justes qu'il a choisis; et il ne faut pas s'en étonner, puisque c'est là précisément ce qui leur a coûté, et ce qui a été le sujet des sacrifices qu'ils ont faits à Dieu, et des victoires qu'ils ont remportées sur eux-mêmes. Car, pour ne manquer à aucun de ses devoirs, il faut, en bien des occasions, se mortifier, se renoncer, se faire violence. Toute autre perfection que celle-là n'aurait eu rien pour les Saints de difficile; aussi toute autre perfection que celle-là n'aurait-elle pas été digne de la couronne que Dieu leur préparait.

Et voilà, Chrétiens, le mystère que nous ne voulons pas comprendre : nous voudrions une sainteté à notre mode, une sainteté selon nos vues, selon nos désirs, c'est-à-dire une sainteté qui ne nous coûtât rien, car une telle sainteté, pour rigoureuse qu'elle paraisse ou qu'elle puisse être d'ailleurs, nous devient dès lors aisée. Mais Dieu veut que notre sainteté consiste dans nos devoirs, et nos devoirs nous coûteront toujours : hors de nos devoirs, ce qui nous semble sainteté n'est qu'un fantôme de sainteté, qui ne peut servir ni à glorifier Dieu, ni à édifier les hommes; qui souvent môme n'est propre qu'à nourrir l'orgueil et à nous enfler. Au lieu que la vraie sainteté, cette sainteté commune dans un sens, mais si rare dans l'autre, porte avec soi une certaine bénédiction dont Dieu tire sa gloire, dont les hommes se sentent touchés, et qui nous tient nous-mêmes, sans ostentation, sans faste, dans la règle, et nous préserve de mille abus. J'achève, et, après avoir parlé au libertin et à l'ignorant, il me reste à faire voir au chrétien lâche que, supposé l'exemple des Saints, sa lâcheté est sans prétexte : c'est la dernière partie.

 

TROISIÈME   PARTIE.

 

Il fallait, Chrétiens, une si grande autorité que celle de Dieu pour commander à des hommes, je dis à des hommes pécheurs, d'être saints et de l'être dès cette vie : Sancti estote, quoniam ego sanctus sum (1); soyez saints, parce que je suis saint. Il fallait toute l'autorité d'un Homme-Dieu pour dire à des hommes mondains : Soyez parfaits, comme votre Père céleste est parfait : Estote ergo perfecti, sicut Pater vester cœlestis perfectus est (2). C'est ainsi néanmoins que Dieu parlait à son peuple dans l'ancienne loi, et c'est ainsi que Jésus-Christ nous a parlé dans la loi de grâce. Mais ce précepte si sublime et si relevé, ce précepte divin, il s'agit de savoir si nous pouvons l'accomplir, et si, clans la faiblesse extrême où le péché nous a réduits, Dieu n'en demande point trop de nous. Non, mes chers auditeurs; et je prétends en cela que Dieu n'exige rien qui passe nos forces. Appliquez-vous, car voici une des plus importantes instructions, et le dernier effet de l'exemple que Dieu nous propose dans ses Saints.

Je dis donc que, malgré le relâchement de l'esprit corrompu du siècle, malgré notre fragilité et tous les obstacles qui nous environnent,

 

1 Levit., XI, 44. —2 Matth., V, 48.

 

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l'exemple des Saints nous est une preuve convaincante que la sainteté n'a rien d'impraticable pour nous et d'impossible ; qu'elle n'a rien même de si difficile et de si rigoureux dont elle ne porte avec soi l'adoucissement, et par une conséquence nécessaire, qu'il ne nous reste aucun prétexte pour colorer notre lâcheté et pour nous disculper devant Dieu, si nous ne travaillons pas à nous sanctifier, et si en effet nous ne nous sanctifions pas : Sancti estote.

Nous mettons la sainteté au rang des choses impossibles ; dangereux artifice de l'amour-propre , pour nous entretenir dans une vie lâche, dans une vie même déréglée. Nous nous la figurons, cette sainteté chrétienne, dans un degré d'élévation où nous croyons ne pouvoir jamais atteindre, et, par une pusillanimité d'esprit dont nous voulons que Dieu soit responsable, et que nous rejetons sur lui, en la rejetant sur notre faiblesse, nous disons, comme l'Israélite prévaricateur : Quis nostrum valet ad caelum ascendere (1) ? qui de nous pourra s'élever jusqu'au ciel ? qui de nous pourra parvenir à une telle perfection ? Mais Dieu nous apprend bien aujourd'hui à tenir un autre langage, car il nous produit un million de Saints qui ont été dans le monde ce que nous ne voulons pas qu'on y puisse être, qui ont fait dans le monde ce que nous désespérons d'y pouvoir faire, qui ont trouvé la sainteté dans le monde, et qui l'y ont trouvée là même où elle a de plus grands obstacles à surmonter. Or, si par là Dieu nous ferme la bouche d'une part, il nous ouvre le cœur de l'autre : Comment? parce qu'il ranime noire espérance, et qu'il nous fait connaître par ces exemples que nous pouvons tout en celui qui nous fortifie, et que si nous sommes pécheurs, il ne tient qu'à nous, tout pécheurs que nous sommes, de devenir saints.

C'est ce qui acheva la conversion de cet incomparable docteur de l'Eglise, saint Augustin. Une seule chose l'arrêtait, vous le savez; mais cette seule difficulté lui paraissait insurmontable, et suspendait en lui toutes les opérations de la grâce. Dieu lui disait intérieurement qu'il en viendrait à bout ; mais intérieurement il se répondait à lui-même que c'était un effort au-dessus de son pouvoir. Dans cette contestation, si je puis parler de la sorte, dans ce combat entre Dieu et lui, il demeurait toujours ennemi de Dieu, et toujours esclave de lui-même, c'est-à-dire toujours esclave de sa passion et de son péché. Enfin la grâce victorieuse de Jésus-

 

1 Deut., XXX, 12.

 

Christ lui livra un dernier assaut, el ce dernier assaut l'emporta. Ce fut dans cette merveilleuse vision que lui-même il nous a décrite. Il crut voir la Sainteté avec un visage majestueux, qui se présentait à lui, qui lui faisait de pressants reproches, qui lui montrait un nombre presque infini de vierges dont elle était accompagnée, et semblait lui dire, pour exciter son courage et pour réveiller sa confiance : Tu non poteris quod isti et istœ ? Eh quoi ! ne pourrez-vous pas ce que ceux-ci el celles-là ont pu? Celte voix, Chrétiens, fut la voix de Dieu ; et comme la voix de Dieu renverse les cèdres et brise les rochers : Vox Domini confringentis cedros (1), Augustin n'y put résister : cet esprit droit qu'il avait conservé jusque dans ses plus grands égarements ne put tenir contre une telle conviction. Il se laissa persuader, il se laissa toucher; il se détermina à vouloir, et à vouloir en effet ce qu'il n'avait encore voulu qu'en apparence; et désormais il le voulut si parfaitement, si efficacement, que rien dans la suite n'ébranla son cœur et la fermeté de sa résolution.

Or, ce qui n'était pour Augustin qu'une figure est aujourd'hui pour vous, mon cher auditeur, une vérité. Ce n'est pas la sainteté en idée, mais le Dieu même de la sainteté qui vous parle dans cette fête, et qui vous dit : Regarde, pécheur, et vois ces âmes bienheureuses que j'ai rassemblées de la terre, et dont le nombre surpasse les étoiles du ciel. Regarde ces généreux athlètes qui, pour avoir dignement combattu, pour avoir saintement terminé leur course, possèdent la couronne de justice qu'ils ont méritée. Ce qu'ils ont fait, pourquoi ne le pourras-tu pas? pourquoi ne le feras-tu pas? Et tu non poteris quod isti et istœ ?

Je ne sais, Chrétiens, si vous pensez avoir plus de lumières que saint Augustin, ou plus de force d'esprit. Quoi qu'il en soit, voilà ce qui le convertit, et ce qui peut-être ne vous convertira pas. Mais malheur à vous! car ce qui ne fera pas votre conversion fera votre confusion, fera votre condamnation; et si jamais vous êtes réprouvés de Dieu, rien ne justifiera plus sensiblement à votre égard la sévérité de ses arrêts que la vue de tant de Saints, hommes comme vous, et par conséquent faibles comme vous, mais à qui tout est devenu possible, sans avoir eu toutefois ni plus de moyens, ni plus de secours que vous : Non poteris quod isti et istœ?

Ce n'est pas que j'ignore qu'il y a des devoirs pénibles et laborieux dans la pratique de

 

1 Psalm., XXVIII, 5.

 

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la sainteté. J'avoue que le chemin qui mène à la perfection évangélique est étroit, et qu'on y trouve des croix; outre que Dieu sait bien nous en tenir compte, il est de la foi que nous avons au-delà du nécessaire pour les porter, puisque nous avons même de quoi les aimer; et quand le Saint-Esprit ne m'en assurerait pas, l'exemple des Saints en est une démonstration.

Tertullien, parlant de Jésus-Christ, disait que l'exemple de cet Homme-Dieu était la solution universelle de toutes les difficultés d'un chrétien : Solutio totius difficultatis Christus. Et la raison qu'il en apportait, c'est qu'il n'y a point de difficulté dans la vie chrétienne que l'exemple de Jésus-Christ ne doive adoucir, ou même que l'exemple de Jésus-Christ ne doive faire évanouir et disparaître : en sorte qu'après cet exemple seul, nous ne pouvons former nulle difficulté contre l'observation de la loi de Dieu, puisque cet exemple seul, si nous raisonnons bien, doit nous rendre tout, non-seulement supportable, mais facile, mais aimable : Solutio totius difficultatis Christus. Toutefois, quoi qu'en ait dit Tertullien, il restait une difficulté bien essentielle, que l'exemple de Jésus-Christ ne détruisait pas, parce qu'elle était prise de Jésus-Christ même : et quoi? c'est que Jésus-Christ ayant été exempt de nos faiblesses, saint par nature, et la toute-puissance même, il était bien plus en état que nous de faire ce qu'il a fait et de souffrir ce qu'il a souffert. Ainsi, malgré l'exemple de ce Dieu-Homme, nous aurions toujours droit, ce semble, de nous retrancher sur notre impuissance et de l'apporter pour excuse : mais à qui était-ce de lever tous nos prétextes? aux Saints.

Car, quand je vois des hommes semblables à moi, de même nature que moi, fragiles comme moi, qui pour Dieu ont tout entrepris, qui pour Dieu ont tout souffert, et tout souffert avec joie, je n'ai plus rien à répondre. En vain je voudrais me plaindre de la pesanteur du joug et de la sévérité de la loi : tant de Saints à qui ce joug a paru doux, et qui ont fait leurs délices de cette loi, arrêtent toutes mes plaintes et condamnent toutes mes lâchetés; tellement que l'exemple d'un Saint est pour moi ce qu'était, dans la pensée de Tertullien, l'exemple de Jésus-Christ, une conviction entière et sans réplique : Solutio totius difficultatis.

C'est par là même que saint Paul engageait les premiers fidèles à la pratique des plus rigoureux devoirs du christianisme. Sans leur tracer de longs préceptes, il leur proposait de grands exemples. Depuis Abel jusqu'à Moïse, et depuis Moïse jusqu'aux prophètes, il leur mettait devant les yeux tous les Justes de l'Ancien Testament : ces Justes, cachés dans des cavernes, errants dans des solitudes; ces Justes exténués de jeûnes, accablés de pénitences; ces Justes, accusés, calomniés, condamnés, tourmentés, morts pour la foi ; ces Justes, enfin, dont le monde n'était pas digne : Quibus dignus non erat mundus  (1). Eh bien ! mes Frères, concluait l'Apôtre, qui peut donc maintenant nous retenir? Fortifiés de ces exemples, que ne courons-nous dans la carrière qui nous est ouverte? Et puisque nous sommes les enfants des Saints, à quoi tient-il que nous ne soyons saints comme eux?

Or ce raisonnement de saint Paul doit encore avoir une force particulière et toute nouvelle pour nous, puisque cette infinie multitude de Saints formés dans la religion de Jésus-Christ a bien grossi cette nuée de témoins dont parlait le Maître des Gentils. Car, que pouvons-nous dire, surtout à la vue de tant de martyrs, nous dont la foi n'est plus exposée à la violence des persécutions, nous dont Dieu n'éprouve plus la constance par les tourments, nous, comme dit saint Cyprien, qui pouvons être saints sans effusion de sang? Ne sommes-nous pas (je ne crains point de m'ex-primer de la sorte), ne sommes-nous pas les plus méprisables des hommes, si les difficultés nous étonnent? Ne faisons-nous pas outrage à la grâce de notre Dieu, si nous pensons qu'elle ne puisse pas nous soutenir dans des peines souvent très-légères, après qu'elle a fait trouver aux Saints des douceurs sensibles au milieu des plus cruels supplices et de toutes les horreurs de la mort? Solutio totius difficultatis.

Non, mes Frères, nous n'avons plus de prétexte; car, encore une fois, quel prétexte pourrions-nous avoir que l'exemple des Saints ne détruise pas? Nous sommes occupés des soins du monde : les Saints ne l'ont-ils pas été? Nous nous trouvons dans des occasions dangereuses : les Saints ne s'y sont-ils pas trouvés? Le torrent de la coutume nous entraîne : les Saints n'y ont-ils pas résisté? Le mauvais exemple nous perd : les Saints ne s'en sont-ils pas préservés? Nous avons des passions : les Saints n'en ont-ils pas eu de plus vives? Nous sommes d'un tempérament délicat : les Saints étaient-ils de fer et de bronze ? Dites-moi un

 

1 Hebr., XI, 38.

 

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obstacle du salut qu'ils n'aient point eu à combattre ? Dites-moi une épreuve par où ils n'aient point liasse? Dites-moi une tentation qu'ils n'aient point surmontée ? Comparons notre état avec leur état, nos devoirs avec leurs devoirs, nos dangers avec leurs dangers; et, dans L'égalité parfaite qui se trouve là-dessus entre eux et nous, voyons si nous avons de quoi justifier l'énorme contrariété qui se rencontre d'ailleurs entre leur vie et la nôtre, C'est-à-dire entre leur ferveur et nos relâchements, entre leur innocence et nos désordres, entre leurs austérités et notre mollesse. Qu'alléguerons-nous à Dieu pour notre défense, quand il nous les confrontera? Servaient-ils un autre maître que nous? Croyaient-ils un autre Evangile que nous? Attendaient-ils une autre gloire que nous ? S'ils l'ont achetée plus cher que nous, c'est sur quoi nous devons trembler, puisqu'il est certain qu'à quelque prix qu'elle leur ait été vendue, elle ne leur a point trop coûté, et que, dans sa juste valeur, elle excède encore infiniment tout ce qu'ils ont fait et tout ce que nous ne faisons pas, mais que nous devrions faire pour l'avoir.

Mais, après tout, dites-vous quelquefois, comment accorder la sainteté chrétienne avec les engagements du monde? Comment être saint et vivre en certains étals du monde? Comment? il est bien étrange que vous ne le sachiez pas encore, ayant tant d'intérêt à le savoir; et il est bien indigne que vous l'ignoriez, ayant dû l'étudier et le méditer tous les jours de votre vie. Mais Dieu veut vous l'apprendre en ce jour, et vous le faire voir dans ses Saints. Vous vous figurez que votre état a de l'opposition, ou qu'il est même absolument incompatible avec la sainteté : erreur. Si cela était, ce que vous appelez votre état deviendrait un crime pour vous; et, sans autre raison, il faudrait, par un devoir de précepte, le quitter et y renoncer : mais puisque c'est votre état, puisque c'est l'état que Dieu vous a marqué, vous offensez sa providence et vous faites tort à sa sagesse, en le regardant comme un obstacle à votre sanctification. Il n'y a point d'état dans le monde qui ne soit et qui ne doive être un état de sainteté. Tertullien sembla vouloir faire là-dessus une exception, quand il douta si les césars, c'est-à-dire si les empereurs et ceux qui gouvernaient le monde, pouvaient être chrétiens, ou si les chrétiens pouvaient être césars : mais on convient qu'il en douta mal, puisque l'expérience a fait connaître qu'il n'y a point eu dans tous les siècles de sujets plus nés pour l'empire, ni plus propres à commander, que ceux qu'a formés pour cela le christianisme.

Cependant, sans parler des césars ni des empereurs, qui que vous soyez, Dieu vous montre bien dans cette solennité qu'il peut y avoir entre la sainteté et votre état une alliance parfaite. En voulez-vous être convaincus? Entrez en esprit dans cet auguste temple de la gloire, où règnent avec Dieu tant de bienheureux. Vous y verrez des Saints qui ont tenu dans le monde les mêmes rangs que vous y tenez aujourd'hui; qui se sont trouvés dans les mêmes engagements, dans les mêmes affaires, dans les mêmes emplois, et qui non-seulement s'y sont sanctifiés, mais, ce que je vous prie de bien remarquer, qui s'en sont servis pour se sanctifier. Parcourez tous les ordres de ces illustres prédestinés; vous en trouverez qui ont vécu comme vous auprès des princes, et qui n'ont jamais mieux servi leurs princes que quand ils ont été plus attachés à leur religion et à Dieu. Vous en trouverez qui se sont signalés comme vous dans la guerre, et peut-être plus que vous, parce que la sainteté, bien loin de les affaiblir, n'a fait qu'augmenter en eux la vertu militaire et la vraie bravoure. Vous en trouverez qui ont manié comme vous les affaires; et si vous n'êtes pas aussi saints qu'eux (ne vous offensez pas de ce que je dis), qui les ont maniés plus dignement et plus irréprochablement que vous. Vous en trouverez que leur probité seule a maintenus à la cour, qui s'y sont avancés sans avoir recours aux artifices de la politique mondaine, et qui n'ont dû le crédit qu'ils y avaient qu'à leur droiture et à leur piété. En un mot, vous en trouverez qui ont été tout ce que vous êtes, et qui de plus ont été saints.

Oui, Chrétiens, il y en a dans le ciel, et ce sont ceux-là que vous devez spécialement honorer. Voilà vos patrons et tout ensemble vos modèles. Les Saints que la cour n'a point pervertis, et qui ont triomphé jusque dans la cour de l'iniquité du monde, ce sont là ceux dont vous devez étudier la vie, parce que c'est la science de leur vie qui doit réformer la vôtre. Qu'ont-ils fait quand ils étaient à ma place, et que feraient-ils s'ils étaient encore maintenant dans le pas glissant où ma condition m'expose? c'est ce que vous devez vous demander à vous-mêmes, et sur quoi vous devez régler toutes vos démarches. Dans les autres Saints vous louerez et vous bénirez Dieu ;

 

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mais dans ceux-ci vous apprendrez à vous convertir vous-mêmes et à vous sauver. C'est en cela que la providence de notre Dieu est également aimable et adorable, de nous avoir donné dans ses élus autant d'idées de sainteté qu'il en fallait pour composer cette variété mystérieuse dont l'épouse de Jésus-Christ, qui est l'Eglise, tire, selon le Prophète, son plus bel ornement : Circumdata varietate (1). C'est pour cela, ajoute saint Jérôme , que Dieu , donnant sa grâce, et, selon les sujets qui la reçoivent, lui laissant prendre des formes différentes, multiformis gratia Dei (2), a fait des Saints de tous les caractères, autant que la diversité des conditions , des complétions , des génies, des talents, des inclinations, l'exigeait pour la perfection et pour la sanctification de l'univers. C'est dans cette vue qu'il en a choisi de pauvres et de riches, d'ignorants et de savants, de forts et de faibles , dans le mariage et dans le célibat , dans la robe et dans l'épée, dans le commerce du monde et dans la retraite ; qu'il a pris plaisir à former les plus grands Saints dans les états mêmes où la sainteté paraît avoir plus de difficultés à vaincre ; des prodiges d'humilité jusque sur le trône , d'austérité jusques au milieu des délices, de recueillement et d'attention sur soi-même jusques dans l'embarras et le tumulte des soins temporels ; qu'il leur a fourni à tous des grâces de vocation, des grâces de persévérance, des remèdes contre le péché, des moyens de salut proportionnés à ce qu'ils étaient et au genre de vie qu'ils embrassaient ; et qu'enfin, par un secret de prédestination que nous ne pouvons assez admirer, il n'a pas voulu qu'il y eût une seule profession dans le monde qui n'eût ses Suints glorifiés et reconnus comme Saints : pourquoi ? non-seulement afin qu'il n'y eût personne dans le monde qui eût droit d'imputer à sa profession les relâchements de sa vie, mais afin qu'il n'y eût personne à qui sa profession même ne présentât un portrait vivant de la sainteté qui lui est propre.

Cette morale regarde généralement tous ceux qui m'écoutent ; mais j'ai la consolation, Sire, en la prêchant devant Votre Majesté, de trouver dans son cœur et dans la grandeur de son âme tout ce que je puis désirer de plus favorable et de plus avantageux pour la lui faire goûter à elle-même. Car je parle à un roi dont le caractère particulier est d'avoir su se rendre tout possible, et même facile, quand il a fallu

 

1 Psalm., XLIV, 40.— 2 1 Petr., IV, 10.

 

exécuter des entreprises, ou pour la gloire de sa couronne, ou pour la gloire de sa religion. Je parle à un roi qui, pour triompher des ennemis de son Etat, a fait des miracles de valeur que la postérité ne croira pas, parce qu'ils sont bien plus vrais que vraisemblables, et qui, pour triompher des ennemis de l'Eglise, fait aujourd'hui des miracles de zèle qu'à peine croyons-nous en les voyant, tant ils sont au-dessus de nos espérances. Je parle à un roi suscité et choisi de Dieu pour des choses dont ses augustes ancêtres n'ont pas même osé former le dessein, parce que c'était lui qui seul en pouvait être tout à la fois et l'auteur et le consommateur. Ce zèle pour les intérêts de Dieu et pour le vrai culte de Dieu , c'est, Sire, ce qui sanctifie les rois, et ce qui devait être le terme de votre glorieuse destinée. Car puisque Votre Majesté était au-dessus de tout ce qu'il y a de grand dans le monde, puisqu'elle ne pouvait plus croître selon le monde, puisqu'elle avait comme épuisé la gloire du monde, il était pour elle d'une heureuse nécessité qu'elle consacrât désormais à Dieu, et sa vie, et ses héroïques travaux.

Dieu vous a donné, Sire , par droit de naissance, le plus florissant royaume de la terre; et il vous en prépare un autre dans le ciel, qui est le royaume de ses élus. C'est entre ces deux royaumes que Votre Majesté se trouve comme partagée ; mais avec cette différence qu'elle doit regarder le premier comme le sujet de ses obligations, et le second comme la récompense de ses vertus. Or, elle n'apprendra jamais mieux le secret de les accorder ensemble, je veux dire de bien gouverner l'un, et de mériter l'autre, que dans les maximes de la sainteté chrétienne. Car c'est par elle, dit l'Ecriture, que les souverains exercent sur leurs sujets l'absolue puissance que Dieu leur a donnée : Per me reges regnant (1). C'est par elle que les souverains s'acquittent envers leurs sujets des devoirs que Dieu leur a imposés. En un mot, c'est par la sainteté chrétienne que les rois sont les images de Dieu, les ministres de Dieu, les hommes de Dieu : et voilà, Sire, ce que Dieu vous dit par ma bouche et ce qu'il vous a dit depuis tant d'années que j'ai l'honneur de vous annoncer sa sainte parole. Votre Majesté l’a reçue ; elle l'a honorée comme la parole du Tout-Puissant et du Roi des rois : ce sera pour elle une parole de vie et de salut éternel, que je vous souhaite, etc.

 

1 Proverb., VIII, 15.

 

 

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