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MÉTHODEPOUR ENSEIGNER AUX CATÉCHUMÈNES LES ÉLÉMENTS DU CHRISTIANISMEouTraité du Catéchisme.
Traduction de M. CITOLEUX.
L’auteur, à la prière d’un diacre de Carthage, retrace les règles qui doivent guider le catéchiste. — Après avoir exposé la manière d’enseigner les vérités chrétiennes non-seulement avec méthode mais avec grâce et facilité, il joint l’exemple aux préceptes et propose deux discours comme modèles des instructions que l’on doit donner aux catéchumènes.
IL FAUT EXAMINER AVEC SOIN LE MOTIF QUI DÉTERMINE LE CATÉCHUMÈNE A SE FAIRE CHRÉTIEN. PRÉMUNIR LE CATÉCHUMÈNE CONTRE LES SCANDALES. ENSEIGNEMENT DE LA MORALE. MÉTHODE POUR INSTRUIRE LES PERSONNES ÉCLAIRÉES. COMMENT INSTRUIRE LES GRAMMAIRIENS ET LES ORATEURS. — DIEU N’ENTEND QUE LE LANGAGE DU COEUR. DE L’ENNUI ET DE SES CAUSES : PREMIER MOYEN D’ Y REMÉDIER. DEUXIÈME CAUSE D’ENNUI: MOYEN D’Y REMÉDIER. TROISIÈME CAUSE D’ENNUI : DES MOYENS D’Y REMÉDIER. CINQUIÈME ET SIXIÈME CAUSES D’ENNUI : DES MOYENS D’Y REMÉDIER. NÉCESSITÉ D’APPROPRIER SON LANGAGE AUX CIRCONSTANCES ET AUX PERSONNES. CHAPITRE XVIII. CAPTIVITÉ DE BABYLONE. — LES JUIFS N’ONT JAMAIS DEPUIS RECOUVRÈ LEUR INDÉPENDANCE NATIONALE. DESCENTE DU SAINT-ESPRIT. — CONVERSIONS OPÉRÉES CHEZ LES JUIFS ET CHEZ LES GENTILS. EXPLIQUER LA SIGNIFICATION DES SACREMENTS. MANIÈRE PLUS COURTS D’INSTRUIRE UN CATÉCHUMÈNE.
CHAPITRE PREMIER.BUT DE CE TRAITÉ.
1. Tu m’as prié, Déogratias mon frère, de t’adresser des conseils sur la manière de remplir tes fonctions de catéchiste. Chargé à Carthage, en qualité de diacre, d’initier au christianisme un grand nombre de personnes confiées à tes soins, sur la réputation dont tu jouis de savoir réunir, dans ton enseignement, la solidité de la doctrine à la grâce de l’élocution; tu hésites souvent, me dis-tu, sur la méthode à suivre pour enseigner avec facilité les vérités élémentaires qu’il faut croire pour obtenir le titre de chrétien. Tu me demandes où doit commencer, où doit finir cette exposition; s’il est nécessaire d’y ajouter quelques exhortations, ou s’il suffit de formuler simplement les préceptes dont l’observation est essentielle à celui qui veut embrasser la foi chrétienne et y conformer sa vie. Si j’en crois même tes aveux et tes plaintes, ta parole finit par devenir languissante et t’inspire du dégoût, loin de charmer le catéchumène et l’auditoire. Dans cette situation délicate, tu m’as prié, au nom rie la charité que je te dois, de vouloir bien, au milieu de mes travaux, t’adresser quelques conseils sur ce sujet. 2. Pour moi, je trouve dans la charité et dans le sentiment des devoirs qui m’attachent, non-seulement à un ami en particulier, mais encore à l’Eglise en général, un motif impérieux de rendre sur-le-champ, avec un dévouement sans bornes, tous les services que me permettent d’offrir les bienfaits dont Dieu m’a comblés et qu’il m’impose envers ceux dont il a fait mes frères. Plus je désire voir se répandre au loin les trésors du Seigneur,plus je suis obligé d’adoucir les peines qu’éprouvent ses serviteurs et mes collaborateurs à les faire valoir; plus je dois, dans la mesure de mes forces, leur faciliter la tâche qu’ils brûlent de remplir.
CHAPITRE II.PAR QUEL SECRET L’AUDITEUR GOÛTE-T-IL SOUVENT UN DISCOURS DONT L’ORATEUR EST MÉCONTENT? LE PRÉDICATEUR DOIT AVANT TOUT PRÉVENIR L’ENNUI ET ÉGAYER SON ÉLOCUTION.
3. Pour en venir à la question qui te préoccupe, je ne voudrais plus te voir songer avec tristesse au style plat et languissant que tu prétends remarquer dans tes instructions, Ces défauts échappent peut-être à ton auditeur, et tu te figures sans doute que ta parole ne mérite pas d’être écoutée, parce qu’elle ne répond pas assez à ton idéal. Moi-même je suis presque toujours mécontent de mes discours. Je me forme un idéal qui me ravit en moi-même aussi longtemps que je ne cherche pas à le rendre par la parole. Ne puis-je l’exprimer dans toute sa beauté? Je m’afflige en voyant que ma langue ne peut répondre aux inspirations de mon coeur. Car je voudrais faire entrer dans l’esprit des auditeurs ma pensée tout entière, et je sens que ma parole est incapable de produire cet effet. L’idée [61] pénètre dans mon esprit comme un rayon de lumière; mon langage se traîne, languit et la reflète à peine; pendant qu’il se débrouille, elle se perd damas ses mystérieuses profondeurs; toutefois, par une merveilleuse propriété, elle imprime dans la mémoire des traces qui subsistent avec les termes mêmes destinés à la fixer. Ces impressions donnent naissance aux signes phonétiques dont l’ensemble compose un idiome, le grec, le latin, l’hébreu, ou toute autre langue; que l’on pense seulement à ces signes ou qu’on les produise avec la voix, peu importe; les impressions de la pensée ne sont ni grecques, ni latines, ni hébraïques; elles ne sont particulières à aucun peuple, elles se forment dans l’esprit comme les traits se dessinent sur le visage. La passion de la colère est désignée en grec, en latin, en hébreu et dans les divers idiomes par un terme différent. L’expression de la colère sur la physionomie humaine n’est point un langage spécial à la Grèce ou à l’italie. Pour comprendre celui qui s’écrie : Iratus sum (1), je suis en colère, il faut être initié à la langue latine; mais que le mouvement d’une âme en courroux éclate sur le visage et se peigne dans tous les traits, il suffit de voir le jeu de la physionomie pour comprendre qu’elle exprime la colère. Or, il est impossible de retracer par la parole et de représenter aux oreilles de l’auditeur, avec l’évidence irrésistible de la physionomie, les traces que les idées laissent dans la mémoire ici tout est intérieur, là tout éclate au dehors. On peut ainsi mesurer l’intervalle qui existe entre l’apparition soudaine des idées et le langage, puisqu’il se forme plus lentement encore que les impressions dans la mémoire. Que faisons-nous donc? Ne songeant qu’aux intérêts de notre auditoire, nous voulons, malgré l’impuissance qui trahit nos efforts, exprimer les pensées comme nous les concevons; notre insuccès nous désespère; la pensée que notre travail est superflu nous fait tomber dans le découragement et le dégoût. La tiédeur et la faiblesse de nos discours, principe de notre découragement, s’accroissent par notre découragement même. 4. L’attrait qu’inspire ma parole aux auditeurs empressés de m’entendre, me révèle qu’il y a dans mes discours moins de langueur que je ne l’imagine: au plaisir qu’ils éprouvent, je reconnais tout le profit qu’ils en tirent, et
1. Je suis en colère.
je n’ai garde de manquer au ministère dont je les vois recueillir tant de fruits. Fais comme moi. Puisqu’on te confie souvent l’instruction des catéchumènes, tu dois en conclure que-tes discours n’inspirent pas aux autres la même répugnance qu’à toi-même; surtout il ne faut pas croire qu’ils sont inutiles, parce que l’expression ne rend pas ta pensée comme tu la conçois; car, ta pensée reste souvent elle-même au-dessous des choses. Quel homme ici-bas ne voit pas la vérité comme dans un miroir et à travers des énigmes (1)? L’amour lui-même n’est pas assez fort pour percer les ténèbres dont la chair nous enveloppe, et pour pénétrer dans cette éternité resplendissante à laquelle empruntent un éclat tel quel les choses éphémères d’ici-bas. Mais une perfection de plus en plus haute rapproche sans cesse les justes de ce jour éternel, où l’on ne connaît plus le mouvement périodique du ciel, ni le retour de la nuit, de cette merveille que l’oeil de l’homme n’a point vue, que son oreille n’a point entendue, que son coeur n’a jamais conçue (2); de là vient surtout le mécontentement où nous laissent nos instructions aux catéchumènes : nous aspirons à des pensées sublimes, la simplicité du langage ordinaire nous rebute. A dire vrai, la sympathie de l’auditeur dépend de la sympathie qu’il trouve en nous; notre joie se mêle à toute la trame de notre discours; avec la joie naît la facilité et la grâce. La difficulté n’est donc pas ici de montrer où doit commencer, où doit finir l’exposition des vérités de la foi; d’apprendre le secret d’y jeter de la variété, tantôt en la développant, tantôt en l’abrégeant, sans être incomplet; enfin de déterminer les cas qui exigent de l’ampleur ou de la précision dans le style; le point essentiel, c’est de donner des règles pour faire le catéchisme avec joie car, plus on sait plaire, plus l’enseignement est efficace. La raison n’en est pas difficile à trouver: Dieu aime celui qui donne avec joie (3), ce qui est plus vrai encore dans l’ordre spirituel que s’il était question d’un don pécuniaire. Mais, pour obtenir à propos cette joie attrayante, il faut la demander à Celui qui en a fait un précepte. Ainsi donc nous allons d’abord parler des justes limites où doit se renfermer la narration, comme tu me le demandes, puis de la méthode la plus propre à instruire et à toucher,
1. Cor. XII, 12. — 2. Id. II, 9. — 3. II Cor. IX, 7.
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enfin des moyens de plaire, selon les lumières que Dieu nous communiquera.
CHAPITRE III.EN QUOI CONSISTE UNE NARRATION COMPLÈTE AU POINT DE VUE DU CATHÉCHISME? ELLE DOIT AVOIR POUR FIN LA CHARITÉ. L’ANCIEN TESTAMENT PRÉPARE L’AVÈNEMENT DE JÉSUS-CHRIST, DESTINÉ A ÉTABLIR LA CHARITÉ.
5. Pour faire une narration complète, le catéchiste doit débuter par le premier verset de la Genèse: « Au commencement Dieu créa le ciel et la terre (1)», et descendre jusqu’à l’histoire contemporaine de l’Eglise. Pour atteindre ce but, il n’est pas nécessaire de réciter par coeur le Pentateuque, les livres des Juges , des Rois et d’Esdras, ensuite tout l’Evangile et les Actes des Apôtres, les eût-on appris mot pour mot, ou de développer en détail tous les événements historiques contenus dans ces ouvrages; un pareil récit serait déplacé et fort peu nécessaire. Il suffit de tout embrasser sous un coup d’oeil général, en faisant un choix des événements les plus merveilleux, les plus capables de captiver l’esprit, et en les distribuant par époques. Loin de faire passer rapidement ce tableau sous les yeux, sans lever pour ainsi dire le rideau, il faut s’arrêter pour l’analyser en quelque sorte et le mettre dans tout son jour, afin de le présenter avec toute sa grandeur à la vue et à l’admiration des auditeurs: sur tout le reste il faut passer légèrement et le faire rentrer dans l’ensemble. Grâce à cette méthode, les faits que nous voulons signaler sont mis en relief, l’auditeur les aborde sans fatigue et s’abandonne au mouvement de la narration; sa mémoire n’est pas surchargée et il recueille aisément nos leçons. 6. Dans ces récits, il ne suffit pas d’avoir en vue la fin du précepte, c’est-à-dire la charité qui sort d’un coeur pur, d’une bonne conscience et d’une foi sincère (2), pour y rattacher toutes nos paroles : il faut encore fixer l’esprit de notre auditeur sur ce principe et l’y ramener sans cesse. Tout ce que nous lisons dans les saintes Ecritures, avant la venue de Notre-Seigneur, n’a été écrit que pour mettre en lumière son avènement et prédire l’Eglise, qui n’est que le peuple de Dieu répandu parmi toutes les nations et formant le corps de
1. Gen. I, 1.— 2. I Tim, I, 5.
Jésus-Christ. Il faut en effet regarder comme membres de 1’Eglise tous les saints qui ont vécu avant son avènement et qui ont cru qu’il viendrait sur la terre, avec la même foi que nous croyons qu’il y est venu. Jacob en naissant présenta d’abord la main dont il tenait le pied de son frère, sorti le premier du sein maternel: la tête parut ensuite, entraînant après elle tout le corps i; or, la tête surpasse en dignité et en puissance et les membres qu’elle entraîne après elle et la main qui la précéda: l’ordre naturel était interverti par le mode d’apparition. C’est une figure de Jésus-Christ. Avant de se manifester dans la chair et de sortir du sein de l’éternité, pour apparaître sous la figure humaine, comme le médiateur entre Dieu et les hommes et le Dieu suprême qui est béni dans les siècles des siècles, il présenta, dans la personne des saints patriarches et des prophètes, une partie de son corps sacré: c’était comme la main qui annonçait sa future naissance. Le peuple orgueilleux qui le précédait, fut enlacé dans les liens de la loi dont il l’étreignit comme avec les cinq doigts de la main. Car il ne cesse durant cinq époques distinctes de faire prédire et annoncer sa venue; par une analogie non moins frappante, le législateur des Hébreux écrit cinq livres. Ces esprits orgueilleux, abandonnés à leurs pensées charnelles et cherchant à établir leur propre justice, virent la main du Christ se fermer pour les étreindre et les arrêter, au lieu de s’ouvrir pour leur prodiguer les bénédictions : « leurs pieds furent enchaînés, et ils tombèrent; nous nous sommes dressés au contraire et nous restons debout (3)». Ainsi donc, pour revenir à ma pensée, quoique le Seigneur Jésus ait fait paraître une partie de son corps dans la personne des saints qui omit précédé sa naissance, il n’en forme pas moins la tête de l’Eglise qui est son corps (4); tous ces saints se sont rattachés au corps dont il est le Chef, par leur foi en Celui qu’ils annonçaient. Loin de s’en séparer en le devançant, ils s’y sont réunis en le suivant. La main peut précéder la tête sans cesser d’en dépendre. Par conséquent, tout ce qui- a été écrit avant nous, a été écrit pour notre instruction (5) C’était la figure de ce qui nous était réservé; « tous ces événements leur arrivaient en figure, et ils sont
1. Gen, XXXV, 25. — 2. Ces cinq époques vont être déterminées plus bas, n. 39. — 3. Psal. XIX, 9. — 4. Coloss. I, 18. — 5. Rom. XV, 4,
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écrits pour notre instruction, de nous qui «nous trouvons à la fin des temps (1) »
CHAPITRE IV.LA VENUE DE JÉSUS-CHRIST A EU POUR BUT ESSENTIEL D’ÉTABLIR LE RÈGNE DE LA CHARITÉ: C’EST A LA CHARITÉ QUE DOIT TENDRE TOUTE NARRATION EMPRUNTÉE AUX ÉCRITURES SUR JÉSUS-CHRIST.
7. Quelle a été la cause principale de la venue de Jésus-Christ, sinon l’amour que Dieu nous portait et qu’il voulait nous témoigner par une preuve éclatante, la mort de Jésus-Christ, dans le temps même que nous étions encore ses ennemis (2)? Il est venu pour nous montrer que le but du précepte et l’accomplissement de la loi sont tout entiers dans la charité (3). Il a voulu nous apprendre à nous aimer les uns les autres et à donner notre vie pour nos frères, comme il a donné la sienne pour nous (4): il a voulu qu’en voyant Dieu nous aimer le premier (5), et livrer son Fils unique à la mort pour nous tous (6), sans l’épargner, l’homme, jusqu’alors insensible, eût honte de ne pas rendre amour pour amour. Rien n’éveille l’amour avec autant de force que de faire les premières avances : l’âme la plus rebelle à ce sentiment ne saurait sans cruauté refuser d’y répondre. C’est là une vérité que font éclater les attachements les plus bas et les plus criminels. Quand un amant veut faire partager sa passion, il songe à tous les moyens en son pouvoir de déclarer son amour et d’en découvrir les transports: il prend les dehors de la justice, afin d’avoir le droit de réclamer comme une dette la sympathie du coeur qu’il veut séduire; sa passion s’avive et s’enflamme, en voyant troublée du même feu la personne dont il convoite la possession; tant il est vrai que la sympathie fait sortir un coeur froid de son indifférence et redouble l’amour en celui qui déjà en éprouvait les ardeurs! Il est donc bien évident que rien ne contribue davantage à faire naître ou à développer l’amour que l’aveu de ce sentiment, l’espoir qu’il sera partagé, les avances de celui qui l’éprouve le premier. Combien ce caractère de l’amour empreint dans les liaisons les plus criminelles est-il plus sensible dans l’amitié! N’évitons-nous pas avant tout
1. I Cor. X, 11. — 2. Rom. V, 6-9. — 3. I Tim. I, 5; Rom. XIII, 10. — 4. I Joan, III, 16.— 5. Id. IV, 10.— 6. Rom. VIII, 32.
de déplaire à un ami, dans la crainte de lui laisser croire que nous ne l’aimons pas ou que notre amitié est moins vive que la sienne? S’il le croyait, en effet, il mettrait plus de réserve et de froideur dans ces rapports intimes que l’amitié crée entre les hommes; et, quand il ne pousserait pas la faiblesse jusqu’à laisser toute sa sympathie se refroidir à cause de cette offense, il se renfermerait dans une amitié où le calcul supprimerait les épanchements du coeur. Il est surtout à remarquer que, si les grands veulent être aimés des petits et qu’ils s’y attachent en proportion de leur dévouement et de leur affection, les petits répondent à la sympathie des grands par une ardente amitié. L’amitié, en effet, a d’autant plus d’attrait qu’elle est moins un transport inspiré par la nécessité, qu’un épanchement de la générosité; ici, elle vient de la charité, là, du besoin. Or, supposez un inférieur sans espoir d’obtenir jamais l’amitié de son supérieur : n’éprouverait-il pas un bonheur indicible, s’il voyait celui dont il n’aurait jamais osé attendre un bienfait si précieux, prendre les devants et daigner lui déclarer son amour? Mais peut-il y avoir une disproportion plus étonnante qu’entre Dieu et l’homme, le juge et le coupable? Et quel coupable! il s’était livré à la domination des puissances de l’orgueil, incapables de lui donner le bonheur, et cela, avec d’autant plus d’aveuglement qu’il avait moins compté sur la Providence de l’Etre infini, qui ne veut pas signaler son pouvoir par le mal, mais le faire sentir par le bien. 8. Si donc le but essentiel de la venue de Jésus-Christ a été d’apprendre à l’homme la portée de l’amour que Dieu avait pour lui, afin de lui montrer à rendre amour pour amour et à chérir son prochain, en suivant tout ensemble les préceptes et l’exemple de Celui qui s’est rapproché le plus étroitement de notre coeur quand il a embrassé dans son amour non-seulement le prochain, mais les hommes les plus éloignés; si les saints livres écrits avant son avènement n’ont eu d’autre objet que de le prédire, et que tout ce qui a été écrit depuis sous le sceau de l’autorité divine a raconté Jésus-Christ et fait une loi de l’amour; il faut évidemment rattacher à la charité, non-seulement la loi et les prophètes contenus dans le double commandement [64] d’aimer Dieu et le prochain, où se résumait toute l’Ecriture au moment où parlait Notre-Seigneur, et l’ensemble des Ecritures postérieurement composées sous l’inspiration divine et confiées au souvenir des âges. L’Ancien Testament est le symbole mystérieux du Nouveau; le Nouveau, la révélation éclatante de l’Ancien. Les âmes charnelles qui comprennent matériellement ces symboles, sont aujourd’hui, comme autrefois, esclaves d’une crainte coupable. Dociles à la révélation, les âmes pures qui autrefois ont vu s’ouvrir devant leurs pieuses investigations le sens caché des Ecritures ou qui aujourd’hui le cherchent sans orgueil, de peur que le côté lumineux ne se change pour elles en ténèbres, ont compris selon l’esprit et ont été affranchies parle don de la charité. Or, l’envie est l’ennemie mortelle de la charité, l’orgueil, le principe de l’envie. Notre-Seigneur Jésus-Christ, l’Homme-Dieu, est donc tout ensemble et la révélation de l’amour de Dieu pour les hommes et le modèle de l’humilité ici-bas, afin de guérir notre orgueil démesuré par un remède plus puissant encore. Quelle misère profonde que l’homme orgueilleux! mais quelle miséricorde plus profonde encore qu’un Dieu humble ! Que la charité soit donc le principe auquel se rattachent tous tes discours; dans toutes tes instructions, fais en sorte que l’auditeur croie ce qu’il écoute, espère ce qu’il croit, et aime ce qu’il espère.
CHAPITRE V.IL FAUT EXAMINER AVEC SOIN LE MOTIF QUI DÉTERMINE LE CATÉCHUMÈNE A SE FAIRE CHRÉTIEN.
9.La juste sévérité de Dieu, si propre à jeter dans les coeurs une impression salutaire de terreur, doit servir aussi de fondement à l’édifice de la charité. Le bonheur de se voir aimé par Celui que l’on craint doit inspirer la confiance de l’aimer à son tour, et tout ensemble la honte de blesser sa tendresse, fût-on assuré de l’impunité. Il n’arrive guère, ou plutôt il n’arrive jamais, qu’on prenne la résolution de se faire chrétien sans avoir été touché de la crainte de Dieu. Veut-on embrasser le christianisme, comme l’unique moyen de plaire à ceux dont on attend les faveurs, ou d’éviter la vengeance et les ressentiments de ses ennemis? On aspire moins à devenir chrétien qu’à le paraître. La foi n’est pas un hommage tout extérieur; c’est l’adhésion d’un esprit convaincu. Mais la miséricorde divine touche souvent les esprits par le ministère du catéchiste; elle fait naître, sous l’influence de sa parole, les sentiments dont ils avaient résolu d’affecter les dehors : la droiture de leurs intentions doit marquer pour nous l’instant où ils se présentent à nos instructions. Nous ignorons sans doute l’heure où le catéchumène est présent de coeur comme il l’est de corps; mais, cette intention ne fût-elle pas en lui, nous devons tâcher d’y entraîner sa volonté : existât-elle en germe, nos efforts pour la développer ne seraient pas superflus, encore que nous ne sussions ni la circonstance ni l’instant où elle a été conçue. Le moyen le plus simple, quand il est praticable, serait de s’éclairer, dans l’entourage du catéchumène, de ses dispositions secrètes et des motifs qui le déterminent à embrasser la religion. Si cette source de renseignements nous est interdite, interrogeons-le lui-même, afin de prendre dans ses réponses le point de départ de nos instructions. Se présente-t-il dans le but tout hypocrite de servir ses intérêts ou de les sauvegarder ? Il mentira; or, c’est de ce mensonge même qu’il nous faut partir, non pour le réfuter comme s’il était évident, mais pour en prendre occasion d’approuver, sans songer à la sincérité ou à l’hypocrisie de ses paroles, et de faire ressortir la beauté du motif qu’il nous présente, afin de lui inspirer le désir d’être réellement ce qu’il veut paraître. Allègue-t-il un motif incompatible avec les sentiments dont doit être pénétré un esprit qui veut embrasser la foi chrétienne? Représente-lui doucement son erreur, comme si elle venait de l’ignorance et du défaut d’instruction; montre-lui quelle est la véritable foi du christianisme avec une précision énergique, afin d’éviter le danger d’anticiper sur une exposition complète ou de la faire à un esprit encore mal disposé : par là tu réussiras peut-être à lui inspirer la résolution que les préjugés ou l’hypocrisie l’empêchait de prendre.
CHAPITRE VI.LE CATÉCHISTE DOIT EMBRASSER DANS SES INSTRUCTIONS L’HISTOIRE DE L’ÉGLISE DEPUIS LA CRÉATION JUSQU’À NOS JOURS.
10. S’il répond qu’un avis du ciel, une terreur mystérieuse, lui a inspiré la résolution de [65] devenir chrétien, la sollicitude de la Providence pour les hommes nous fournira un début aussi naturel qu’attrayant. De ces miracles et de ces visions surnaturelles, il faut ramener sa pensée aux principes plus infaillibles, aux oracles plus sûrs des saints livres, en lui faisant sentir que c’est par un effet de la miséricorde divine qu’il a reçu cet avis, avant d’avoir donné son adhésion à l’Ecriture. Il est essentiel de lui représenter que le Seigneur, en l’avertissant lui-même, en lui inspirant le désir d’embrasser le christianisme et de devenir membre de l’Eglise, en l’instruisant enfin par des prodiges et des révélations, n’a voulu que l’engager à suivre paisiblement la voie sûre que lui traçait d’avance l’Ecriture : là, il apprendra moins à chercher des miracles visibles qu’à espérer les merveilles qui échappent aux regards; ce ne sera plus pendant son sommeil, mais les yeux ouverts, qu’il sera instruit. Après ce début, il faut exposer l’histoire de l’Eglise, depuis la création, où tout était bien (1) en sortant des mains de Dieu, jusqu’à nos jours; chaque événement, chaque acte doit être rattaché à ses causes et par conséquent aboutir à cette fin de la charité, qu’on ne doit jamais perdre de vue dans ses actions, comme dans ses paroles. Si des grammairiens, dont la science égale la réputation, essaient d’expliquer les mythes imaginés par les poètes, sans autre dessein que d’amuser les esprits qui se repaissent de chimères, en leur assignant un but pratique aussi frivole, il est vrai, et aussi favorable à la curiosité mondaine que ces fictions elles-mêmes, quelles précautions ne devons-nous pas prendre pour éviter que les vérités saintes, apparaissant dans nos récits sans les principes qui les expliquent, n’inspirent plus qu’une croyance fondée sur une jouissance de l’imagination ou sur une dangereuse curiosité? Toutefois, gardons-nous de sacrifier la suite du récit au développement de ces causes, en laissant notre enthousiasme et notre parole se perdre dans le dédale d’une discussion trop abstraite : la vérité seule du raisonnement doit relier les faits comme un fil d’or qui rassemble des pierres précieuses sans eu troubler l’agencement par un éclat trop vif.
1. Gen. I.
CHAPITRE VII.PRÉMUNIR LE CATÉCHUMÈNE CONTRE LES SCANDALES. ENSEIGNEMENT DE LA MORALE.
11. Le récit achevé, il faut inculquer la foi au dogme de la résurrection. Sans cesser de consulter la portée d’intelligence du catéchumène, non moins que le temps si court dont nous disposons, il est essentiel de combattre les vains sarcasmes des incrédules et d’établir le principe de la résurrection des corps, du jugement dernier, favorable aux bons, terrible aux méchants, équitable pour tous; puis, après avoir indiqué avec horreur et tremblement les supplices réservés aux impies, célébrer en soupirant le royaume préparé aux justes et aux fidèles, la cité céleste et son éternelle béatitude. Il faut alors prémunir et fortifier la faiblesse humaine contre les tentations et les scandales qui se produisent soit au dehors, soit au dedans de l’Eglise; je veux dire contre le paganisme, le judaïsme, l’hérésie, au dehors; contre la paille qui couvre l’aire du Seigneur, au dedans. Sans doute il serait déplacé de réfuter les erreurs de toutes sortes et d’opposer une proposition contradictoire à chaque hérésie; mais il faut montrer, autant que la circonstance le permet, que ces scandales ont été prédits, que ces tentations servent à l’édification des fidèles, et qu’on en trouve le remède dans la patience même dont Dieu nous donne l’exemple en permettant à ces erreurs de se perpétuer jusqu’à la fin des siècles. Quand le catéchumène est suffisamment armé contre les méchants dont la foule impie ne remplit que matériellement les églises, il convient de lui exposer délicatement et en raccourci les principes d’une vie pure et chrétienne. L’avarice, l’ivrognerie, les jeux frauduleux, l’adultère, la fornication, le goût des spectacles, les opérations de la magie, les enchantements, l’astrologie, les secrets superstitieux autant que chimériques de la divination, pourraient le séduire et l’entraîner par l’espoir de l’impunité, quand il verrait de prétendus chrétiens aimer, pratiquer, justifier ces égarements et y engager les autres par leurs conseils. Il faut donc lui montrer la fin réservée aux malheureux qui persévèrent dans ces péchés, la raison qui les fait tolérer dans l’Eglise, dont ils seront un jour retranchés, et cela, d’après le témoignage même des saints [66] livres. Il faut aussi l’avertir qu’il trouvera dans l’Eglise une foule de chrétiens éprouvés, véritables citoyens de la Jérusalem céleste, du moment qu’il marchera sur leurs traces. En dernier lieu, il faut lui recommander avec force de ne jamais fonder son espoir sur un homme; car un homme ne peut guère découvrir les caractères de la sainteté dans un autre homme; et, quand on le pourrait, on doit imiter les saints, en sachant bien que notre sanctification ne vient pas d’eux, mais de celui-là même qui a sanctifié nos propres modèles. Ce principe produira une conséquence à laquelle on ne saurait attacher trop de prix. Celui qui nous écoute, ou plutôt qui écoute Dieu par notre organe, ne sera point tenté, quand il deviendra plus vertueux et plus instruit, et qu’il marchera avec ferveur dans les voies de Jésus-Christ, d’attribuer ses progrès à notre influence ou à lui-même; il saura s’aimer, ainsi que nous et les personnes qui lui sont chères, en Celui et par Celui qui a répondu à sa haine par la tendresse, et a gagné son amour en le justifiant. Tu n’as pas besoin sans doute de leçons pour apprendre à resserrer ou à étendre tes développements, selon le temps plus ou moins long dont l’auditoire et toi pouvez disposer; c’est un précepte que la nécessité seule enseigne mieux que tous les maîtres.
CHAPITRE VIII.MÉTHODE POUR INSTRUIRE LES PERSONNES ÉCLAIRÉES.
12. Voici un point essentiel Quand une personne d’un esprit cultivé se présente à toi pour se faire instruire, si elle est déterminée à embrasser le christianisme et prêle à recevoir le baptême, elle a déjà, selon toute vraisemblance, acquis une connaissance assez étendue de nos saintes lettres, et elle n’a d’autre intention que de participer aux sacrements de I’Eglise. Ces personnes, en effet, n’attendent pas le moment d’embrasser la foi pour s’instruire; elles pèsent auparavant leurs motifs, et, chaque fois qu’elles trouvent un confident, elles lui découvrent leurs pensées et leurs sentiments. Dans cette circonstance, il faut être court; et, loin de s’appesantir sur les vérités qu’elles connaissent, on doit les effleurer avec tact, en leur disant que nos dogmes sont telle et telle vérité qui leur est sans doute familière. On expose ainsi, dans une énumération rapide, tous les principes qu’il faudrait inculquer aux simples et aux ignorants. Grâce à celle méthode, un homme éclairé ne se voit point enseigner, comme à l’école d’un maître, ce qu’il sait déjà; et, en revanche, s’il ignore quelque chose, il l’apprend par la revue même que nous avons l’air de faire de ses connaissances. Il ne sera point inutile de lui demander quels motifs l’ont déterminé à se faire chrétien; si tu t’aperçois qu’il a puisé ses convictions dans la lecture de livres canoniques ou d’excellents traités, débute par l’éloge de ces ouvrages , en admirant, à des degrés divers, l’autorité infaillible de l’Ecriture, et l’exactitude jointe à l’élégance de ses interprètes; attache-toi à faire ressortir dans l’Ecriture l’expression féconde, par sa simplicité même, des vérités les plus sublimes, et dans les traités qu’elle inspire, selon le mérite de chaque auteur, une éloquence d’un tour plus pompeux et plus orné, appropriée à l’orgueil et par là même à la faiblesse des esprits. Il est important de lui faire dire quels ont été ses auteurs favoris, les ouvrages qu’il a médités de préférence et qui l’ont déterminé à embrasser le christianisme. Cet aveu obtenu , si nous avons lu ces ouvrages ou que nous ayons appris, par la renommée dont ils jouissent dans l’Eglise, qu’ils ont pour auteur un représentant illustre de la foi catholique, empressons-nous de les approuver. Au contraire, est-il tombé sur les ouvrages d’un hérétique, et, dans son ignorance des erreurs opposées à la religion, s’y est-il arrêté comme à l’expression de la foi catholique, il faut lui démontrer avec force la prééminence que mérite l’autorité de l’Eglise universelle unie à celle des génies supérieurs qui, dans le domaine des vérités qu’elle enseigne, ont brillé par leurs controverses et leurs écrits. Reconnaissons cependant que les auteurs mêmes qui sont morts dans la foi catholique, après avoir légué à la postérité des ouvrages écrits sous l’inspiration chrétienne, soit qu’ils aient été mal compris, soit qu’ils n’aient pas eu la vigueur d’esprit nécessaire pour remonter aux principes les plus élevés, et pour s’attacher à la vérité sans être dupes de la vraisemblance, ont laissé dans certains passages des germes d’hérésie que des esprits aventureux et téméraires ont développés. Il n’y a pas lieu de s’en étonner; l’Ecriture [67] même, l’expression la plus pure de la vérité n’est pas à l’abri de ce péril. Que de gens, non contents de mal interpréter la pensée de l’écrivain sacré ou d’offenser le dogme, fautes qu’on pardonne aisément à la faiblesse humaine quand on la voit disposée à les reconnaître, s’acharnent, s’acharnent avec une opiniâtreté et un orgueil invincibles à justifier leurs méprises et leurs erreurs, et, en rompant avec l’unité catholique, donnent naissance aux opinion les plus dangereuses ! —Voilà les principes qu’il faut développer, dans une conférence sans prétention, aux esprits qui s’élèvent au-dessus du vulgaire par leur érudition et leurs lumières, quand ils aspirent à entrer dans la société chrétienne ; on doit prendre le ton dogmatique, pour les préserver des erreurs où entraîne la présomption, mais il ne faut le prendre que dans la mesure même de l’humilité dont ils sont capables. Quant aux vérités qui constituent la saine et pure doctrine, soit qu’on raconte, soit qu’on raisonne, il faut toucher brièvement les points relatifs à la foi, à la morale, aux tentations, en observant la méthode supérieure dont je viens de tracer les règles.
CHAPITRE IX.COMMENT INSTRUIRE LES GRAMMAIRIENS ET LES ORATEURS. — DIEU N’ENTEND QUE LE LANGAGE DU COEUR.
13. Il sort aussi des écoles si fréquentées du grammairien et du rhéteur des catéchumènes, qui tiennent comme le milieu entre les ignorants et les philosophes livrés aux spéculations les plus hautes de l’esprit humain. Quand ces hommes, qui semblent avoir sur les autres la supériorité de l’éloquence, se présentent pour recevoir le titre de chrétien, nous leur devons un avis moins nécessaire aux gens sans éducation, celui de revêtir l’humilité chrétienne et d’apprendre à ne plus regarder avec mépris ceux qui aiment mieux éviter les fautes dans la conduite que dans le langage, et d’en venir à ne plus comparer à la pureté du coeur la soup1esse d’une langue déliée, qui leur semblait un don bien supérieur. Il faut surtout leur apprendre à goûter l’Écriture, de peur que ce langage solide, sans emphase, ne les rebute; ils pourraient d’ailleurs s’imaginer que les actions ou les paroles prêtées aux hommes dans ces livres sacrés, ne cachent pas, sous une enveloppe sensible et sous un voile épais, un sens profond qu’il faut dégager ; ils pourraient croire qu’il suffit d’entendre le son des flots pour comprendre. Il faut aussi leur faire sentir que le sens caché, d’où vient le mot mystère, et l’obscurité même des symboles, doublent l’attrait de la vérité et dissipent le dégoût qu’inspirent les choses faciles, en leur montrant par quelques exemples, qu’une vérité évidente qui laisse froid, charme quand on la dégage d’une allégorie où elle était renfermée. Le premier besoin de ces esprits est de savoir que la pensée l’emporte autant sur la parole, que l’esprit sur le corps ; par conséquent qu’ils doivent préférer dans les discours la vérité à l’éclat, comme ils doivent préférer dans un ami le bon sens à la grâce des traits. Qu’ils sachent aussi que le langage du cœur est le seul qui frappe l’oreille de Dieu . dès lors ils pourront s’apercevoir, sans trouver matière à raillerie, que parfois les évêques et les ministres de l’Église adressent à Dieu des prières entremêlées de barbarisme, de solécisme, et même qu’ils ne comprennent pas ou comprennent vaguement les termes dont ils se servent. Il convient sans doute de faire disparaître ces fautes, ne fût-ce que pour permettre au peuple de répondre Amen avec intelligence ; toutefois les esprits cultivés doivent avoir ici de l’indulgence, car les désirs sont dans 1’Eglise ce qu’est l’éloquence au barreau; et, quelque bon que puisse être le langage du barreau, il ne se confondra jamais avec les bénédictions de l’Eglise. Quant au sacrement qu’ils sollicitent, quelques mots suffisent pour leur en montrer la signification, s’ils sont éclairés; mais, s’ils ont l’esprit un peu lourd, il faut recourir à l’amplification, aux comparaisons, de peur qu’ils ne méprisent un mystère dont ils ne verraient que la forme.
CHAPITRE X.DE L’ENNUI ET DE SES CAUSES : PREMIER MOYEN D’ Y REMÉDIER.
14. Tu attends peut-être ici un discours qui puisse te servir de modèle et où j’applique les règles que je viens de te retracer. Avant de te satisfaire, dans la mesure des forces que Dieu me donnera, je dois t’enseigner, selon ma promesse, l’art difficile de charmer. Je m’étais engagé à formuler les règles nécessaires pour instruire le catéchumène qui vient solliciter [68] le titre de chrétien; j’ai rempli, je crois, mon engagement. Tu ne dois pas exiger de moi comme une dette, que je joigne dans ce traité l’exemple à la théorie; si je le fais, ce sera un surcroît; mais, puis-je donner le surcroît avant d’avoir payé ma dette intégralement? Tu t’es plaint à moi d’un défaut d’élévation et de chaleur qui, à t’entendre, gâtait toutes tes instructions aux catéchumènes. Je suis convaincu que ce défaut ne tient ni au manque d’idées sur des sujets dont tu possèdes à fond toutes les ressources, ni à la disette d’expressions; il vient d’un secret ennui, provoqué par différentes causes. D’abord nous trouvons plus de charme et de beauté dans les muettes conceptions de notre esprit, et, comme je l’ai déjà remarqué, nous avons de la répugnance à faire passer notre idéal dans des sons qui ne le peignent qu’imparfaitement; puis, lors même que nos expressions ne nous déplairaient pas, nous aimons mieux écouter ou lire des discours qui sont plus beaux que les nôtres et ne nous coûtent ni effort ni inquiétude, que d’improviser en appropriant notre langage au goût d’autrui, sans savoir si nous réussirons à voir les paroles couler à souhait ou produire sur les esprits une heureuse impression; d’ailleurs, comme les notions qu’il faut inculquer aux esprits novices nous sont très-familières et ne peuvent guère contribuer à notre avancement, nous nous voyons avec peine obligés d’y revenir sans cesse : notre esprit, fier de ses petites forces, ne trouve plus de charme à s’arrêter sur des vérités élémentaires et qui semblent réservées à l’enfance. L’orateur est encore refroidi par l’air glacé d’un auditeur qui reste immobile, soit parce qu’il ne ressent aucune émotion, soit parce qu’il ne laisse pas voir dans son attitude que l’orateur l’éclaire ou le touche. Sans être passionnés pour la gloire humaine, nous songeons que la parole, dont nous sommes les ministres, est celle de Dieu ; plus nous aimons notre auditeur, plus nous désirons le voir captivé par les vérités que nous lui présentons pour le sauver; notre insuccès nous afflige, et, dans le cours même de notre entretien, nous sentons notre ardeur s’affaiblir et s’éteindre, comme si elle s’épuisait en efforts superflus. Il arrive encore qu’on nous arrache à un devoir plus attrayant ou même plus impérieux que nous aurions aimé à accomplir: la recommandation d’une personne à qui nous ne voulons pas déplaire, une prière aussi pressante qu’impossible à décliner nous oblige à instruire un catéchumène; nous entreprenons avec dépit une tâche qui exige le plus grand sang-froid, en déplorant la nécessité où nous sommes d’interrompre la suite de nos occupations et de ne pouvoir suffire à tout;ce malaise se communique à notre discours, qui, sortant d’un fond aride de tristesse, ne peut jaillir avec abondance. Enfin, c’est quelquefois au moment même qu’un scandale nous afflige et nous consterne, que l’on vient nous dire: Voici une personne qui veut embrasser le christianisme, viens l’entretenir. Quand on nous parle ainsi, on ne connaît pas le chagrin intérieur qui nous dévore, et, si nous sommes réduits à ne pas découvrir notre peine, nous entreprenons à contre-coeur de satisfaire au désir exprimé; en passant par les replis d’un coeur sur lequel la tristesse répand ses feux et ses vapeurs, la parole perd son éclat et sa grâce. Voilà les causes de découragement qui troublent la sérénité de notre esprit : avec l’aide de Dieu, nous devons chercher les moyens de les combattre, afin de voir notre coeur s’épanouir, notre âme s’échauffer, et de mettre notre bonheur à remplir en paix un devoir sacré: « Car Dieu aime celui qui donne avec joie (1)». 15. Sommes-nous abattus, en songeant que l’auditeur est incapable de s’élever jusqu’à nos conceptions, et que nous sommes réduits à quitter les crimes de la pensée, pour nous appesantir sur les lentes expressions qui n’en sont qu’un lointain reflet; à tirer de nos lèvres, sous la forme de périodes longues et compliquées, une idée que l’intelligence saisit et dévore par une intuition rapide? En voyant dans le langage une image si infidèle de la pensée, aimerions-nous mieux nous taire que de parler ?Réfléchissons alors à l’exemple que nous a laissé Celui dont nous devons suivre les traces (2): car, quel que soit l’intervalle qui sépare le langage de l’intuition, il y a une différence plus profonde encore entre la chair périssable et celui qui est égal à Dieu. Or, « quoique étant dans la forme substantielle de Dieu, il s’est anéanti lui-même, en prenant la figure d’un esclave… ; il s’est rendu obéissant jusqu’à la mort de la croix (3) ». Pourquoi donc « s’est-il rendu faible avec les faibles, sinon pour gagner les faibles(4) ? »
1. II Cor. IX, 7.— 2. I Pet. II, 21.— 3. Phil. II, 6, 8.— 4. I Cor. IX, 22.
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Ecoute son imitateur s’écrier ailleurs: « Soit que nous paraissions passer les bornes en nous louant, c’est pour Dieu; soit que nous parlions de nous avec modération, c’est pour vous. Car l’amour de Jésus-Christ nous presse, considérant qu’un seul est mort pour tous (1)». Et comment aurait-il été prêt à se sacrifier pour les âmes, s’il avait eu de la répugnance à se pencher vers leur oreille? Il s’est donc rendu petit parmi nous, comme une nourrice pleine de tendresse pour ses enfants (2). Trouverait-on du plaisir à tronquer, à mutiler les mots, si un pareil jargon n’était inspiré par la tendresse? Cependant on est heureux de rencontrer un petit enfant pour babiller avec lui. Une mère aime mieux triturer des aliments et les faire passer de sa bouche dans celle de son enfant, que de se rassasier elle-même de mets plus substantiels. Ayons donc toujours devant les yeux cette poule de l’Evangile, qui cache ses petits sous ses plumes tremblantes et, d’une voix fatiguée, rappelle sa bégayante couvée: malheur au poussin orgueilleux qui fuit ses tendres ailes ! il devient la pâture des oiseaux de proie (3). L’élévation de la pensée pure a sans doute un vif attrait: mais n’y a-t-il pas aussi un grand charme à songer que, plus la charité sait s’abaisser avec complaisance, plus elle a de force pour se répandre dans le coeur où la ramène le témoignage qu’on se rend intérieurement, de n’aspirer qu’au salut éternel des âmes vers qui l’on s’abaisse?
CHAPITRE XI.DEUXIÈME CAUSE D’ENNUI: MOYEN D’Y REMÉDIER.
16. Aimerions-nous mieux lire ou entendre des discours travaillés avec soin, plus éloquents que les nôtres, et par suite, ne pouvons-nous sans une certaine répugnance courir les hasards de l’improvisation? Si notre langage, conforme au fond à la vérité, offre à l’auditeur quelques mots qui le blessent, nous avons une ressource commode: c’est de lui apprendre à dédaigner un défaut de netteté ou d’élégance dans les termes, quand ils sont assez clairs pour rendre la pensée. Si au contraire la faiblesse humaine nous égare loin de la vérité, quoiqu’on ne soit guère exposé à ce péril sur le sentier battu qu’il faut suivre pour instruire les catéchumènes; ne manquons pas
1. II Cor. V, 13, 14. — 2. I Thess. II, 7. — 3. Matt. XXIII, 37.
de prévenir l’impression fâcheuse que pourrait en concevoir l’auditeur; n’attribuons notre méprise qu’à la volonté de Dieu, qui nous a mis à l’épreuve pour voir si nous saurions reconnaître notre erreur avec calme, et pour nous empêcher d’être entraînés dans une erreur plus dangereuse, en faisant notre apologie. Si notre méprise n’a point été relevée, si elle a échappé à l’auditeur et à nous-mêmes, il faut y être insensible à condition de l’éviter à l’avenir. Il arrive assez souvent que, quand notre souvenir se reporte sur nos discours, nous y découvrons quelque erreur, sans pouvoir nous dire quelle impression elle a faite sur les esprits; la douleur est encore plus vive pour un coeur embrasé par la charité, quand il sent qu’une pensée fausse a été accueillie avec plaisir. Dans ce cas, cherchons l’occasion favorable de dissiper peu à peu chez les autres l’erreur que nous nous sommes secrètement reprochée à nous-mêmes: c’est notre parole, et non celle de Dieu, qui a égaré leur esprit. Si quelques méchants, aveuglés par une jalousie insensée, « semeurs de discordes, détracteurs, ennemis de Dieu», triomphent de nos méprises, voyons dans leur joie une occasion d’exercer notre patience et notre charité, « parce que la bonté divine veut aussi les conduire à la pénitence » : car qu’y a-t-il de plus affreux, « de plus capable d’amasser sur nous un trésor de colère pour le jour de la colère et de la manifestation du juste jugement de Dieu (1)», que de triompher, à l’exemple pernicieux de Satan, du mal d’autrui ? Parfois encore nôs discours, quoique d’une justesse irréprochable, présentent certaines vérités qui, faute d’être comprises, on parce qu’elles combattent des opinions et des préjugés invétérés, ont un caractère de nouveauté qui déconcerte et choque l’auditeur. S’il nous laisse voir son impression et qu’il consente à se laisser guérir, prodiguons pour l’éclairer les témoignages et les raisonnements; s’il cache son déplaisir et son impression, Dieu lui ouvrira peut-être les yeux: mais s’il regimbe, et qu’il méprise nos avis, cherchons notre consolation dans l’exemple du Seigneur qui, voyant les hommes trouver ses paroles choquantes et étranges, s’adressa aux disciples fidèles et leur dit : « Et vous, ne voulez-vous point aussi me quitter (2) ? » Nous devons nous attacher à ce principe solide, indestructible,
1. Rom. I, 30; II, 4, 5. — 2. Jean, VI, 68.
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qu’à la fin des siècles la Jérusalem captive sera affranchie du joug de la Babylone terrestre, et qu’aucun de ses enfants ne périra ; et en effet, tous ceux qui périront ne seront pas ses enfants : car « le fondement que Dieu a posé demeure ferme, tant cette parole pour sceau : Dieu connaît ceux qui lui appartiennent, et tous ceux qui invoquent le nom du Seigneur doivent s’éloigner de l’iniquité (1) ». Convaincus de ces vérités, invoquant sans cesse au fond de notre coeur le nom de Jésus-Christ, nous cesserons de calculer avec crainte l’effet que nos discours peuvent produire sur des esprits ondoyants et divers; que dis-je? nous supporterons avec joie les désagréments attachés à ce ministre de charité, si nous le remplissons sans avoir la gloire humaine en vue: car le caractère des oeuvres véritablement bonnes, c’est de sortir de la charité et d’y rentrer comme dans leur principe et leur foyer. Quant aux lectures qui nous ravissent, aux discours éloquents que nous voudrions entendre et dont l’inimitable perfection, par les efforts mêmes que nous faisons pour la reproduire, communique à nos paroles une froide monotonie, nous y trouverons un délassement à nos travaux, et notre joie intérieure en doublera le prix nous prierons Dieu avec une confiance nouvelle de nous faire entendre le langage que nous rêvons, en consentant aveu joie à servir, selon nos forces, d’organe à sa parole; c’est ainsi que « tout sert au bien de ceux qui aiment Dieu (2)».
CHAPITRE XII.TROISIÈME CAUSE D’ENNUI : DES MOYENS D’Y REMÉDIER.
17. Si notre ennui a pour cause l’obligation de revenir sans cesse sur des vérités communes et à la portée des plus jeunes enfants, prenons pour le catéchumène un coeur de frère, de père, de mère : la sympathie nous fera voir le lieu commun sous un jour nouveau. Telle est en effet la puissance de la sympathie, qu’elle établit entre les disciples et le maître une communauté de sentiments qui confond Leurs coeurs en un seul: le disciple semble s’exprimer par la bouche du maître, et le maître s’initier avec ses disciples aux vérités mêmes qu’il enseigne. N’est-ce pas ce
1. II Tim. II, 19. — 2. Rom. VIII, 28.
qui arrive, quand nous montrons les monuments d’une ville, les sites d’une campagne, à un ami qui ne les avait pas encore visités? La vivacité de son admiration ne rajeunit-elle pas la nôtre pour des beautés à côté desquelles nous passions avec indifférence ? Notre plaisir est d’autant plus vif que nous l’aimons davantage: plus la sympathie est profonde, plus ces merveilles surannées reprennent à nos yeux un air de nouveauté. Si donc nous consacrons nos lumières et notre goût à empêcher nos amis de rester insensibles ou froids en face d’un chef-d’oeuvre du génie de l’homme; si nous sommes enchantés de leur expliquer le plan de l’artiste, et d’élever ainsi leur esprit jusqu’à la beauté et à la grandeur des oeuvres du Créateur, fin suprême et féconde de l’amour; notre enthousiasme ne doit-il pas redoubler, quand on vient apprendre à notre école Celui qui est le but de toute notre science ? Un nouvel auditoire ne doit-il pas raviver nos sentiments et nous communiquer une inspiration originale qui ranime notre parole? Nous trouverions un nouveau motif d’allégresse, en songeant à quelle erreur de mort l’homme doit s’arracher pour arriver à la vie de la foi; La politesse nous fait traverser avec plaisir les rues les plus fréquentées pour indiquer le chemin à une personne égarée ; quel transport de joie ne devons-nous pas éprouver à parcourir dans la science du salut les points mêmes que notre intérêt ne nous oblige pas à revoir, quand nous avons à guider une âme infortunée, lasse des erreurs du monde, dans les sentiers de la paix, et qu’il nous faut répondre a l’ordre de Celui qui nous les a ouverts?
CHAPITRE XIII.QUATRIÈME CAUSE D’ENNUI : MOYENS D’Y REMÉDIER. DE L’USAGE, ADOPTÉ DANS CERTAINES ÉGLISES, D’ÉCOUTER ASSIS LA PAROLE DIVINE.
18. C’est une rude tâche, je l’avoue, que d’aller jusqu’à la fin de son discours, quand on a sous les yeux un auditeur immobile, impassible. Est-ce scrupule religieux ou respect humain qui l’empêchent de manifester son approbation de la voix ou du geste? Est-ce défaut -d’intelligence ou dédain? Comme nous ne pouvons lire dans son coeur, il faut recourir à tous les moyens pour l’aimer, et percer en quelque sorte la nuit où il s’enveloppe [71]. Refoule-t-il ses pensées en 1ui-même par excès de timidité? Il faut le rassurer par des paroles affectueuses, encourager sa modestie en lui montrant une sympathie toute fraternelle, l’interroger pour savoir s’il comprend, et lui donner assez de confiance pour exposer franchement ses objections. Ne manquons pas non plus de lui demander si ces vérités frappent pour la première fois son oreille, si elles ont perdu à ses yeux l’intérêt de la nouveauté. Sa réponse nous guidera : tantôt il faudra mettre plus de simplicité et de précision dans notre langage, tantôt réfuter les opinions contraires; tantôt nous résumerons ce qu’il sait, loin de nous livrer à d’inutiles développements, et nous choisirons des paraboles, des événements symboliques, dont l’interprétation communiquera à notre entretien une grâce attrayante. S’il manque d’imagination, s’il est incapable de comprendre et de goûter ces beautés exquises, il ne reste plus qu’à le souffrir avec patience; après avoir récapitulé brièvement nos dogmes, il faut insister sur les points essentiels, l’unité catholique, les tentations, la nécessité de se conduire en vue du jugement à venir, en le faisant trembler. Enfin, consacrons plus de temps à parler à Dieu pour lui qu’à lui parler de Dieu. 19. Il n’est pas rare de voir un auditeur, qui semblait charmé au début, se lasser d’être attentif ou de se tenir debout; il n’approuve plus, que dis-je? il se met à bailler et témoigne involontairement l’envie qu’il a de se retirer. Dès qu’on s’aperçoit de sa fatigue, on doit le récréer, soit en lui tenant quelques propos d’un enjouement de bon ton, sans sortir du sujet, soit en lui faisant un récit qui frappe son imagination ou touche sa sensibilité. Qu’on lui parle surtout de lui-même, afin que l’intérêt personnel le tienne en éveil, sans toutefois le blesser par quelque allusion offensante, ni quitter l’accent de tendresse qui peut seul gagner son coeur. On pourrait encore soulager son attention en lui offrant un siége, ou plutôt, il vaudrait mieux qu’il fût assis dès le commencement, autant que la circonstance le permet. Je trouve fort sensé l’usage adopté dans certaines églises d’outre-mer, où l’on voit assis l’évêque qui parle et le peuple qui l’écoute : de la sorte, les personnes trop délicates ne sont pas condamnées à relâcher leur attention et à en perdre les fruits, même à se retirer. C’est déjà un inconvénient qu’un chrétien, quoique incorporé à l’Eglise, soit contraint de quitter une assemblée nombreuse pour reprendre ses forces; mais n’est-il pas cent fois plus fâcheux qu’un catéchumène, qui doit être initié aux mystères, soit réduit à la nécessité impérieuse de se retirer, pour ne pas tomber de faiblesse? La timidité l’empêche d’expliquer la raison qui l’oblige à partir; ses forces épuisées ne lui permettent plus de rester debout. Je parle par expérience: j’ai vu un homme de la campagne me quitter au milieu de l’entretien, et sa conduite m’a révélé le péché que je signale. Eh! n’y a-t-il pas un orgueil révoltant à ne pas laisser s’asseoir en notre présence des hommes qui sont nos frères, que dis-je ? dont nous - cherchons à nous faire des frères, et qui, à ce titre, doivent attendre de nous une sollicitude plus empressée? Ne voyons-nous pas qu’une femme était assise en écoutant le Seigneur dont les anges environnent le trône (1)? Si l’entretien doit être court ou que le lieu ne permette guère de s’asseoir, je le veux bien, on écoutera debout: c’est qu’alors l’auditoire sera nombreux et qu’il ne s’agira pas d’instruire un catéchumène. Mais il y a péril, je le répète, à laisser debout une ou deux personnes qui viennent nous trouver pour s’initier à la foi chrétienne. Toutefois, si nous n’avons pas pris cette précaution au début, et que nous apercevions des signes d’ennui chez l’auditeur, il faut lui offrir aussitôt un siége, en le pressant de s’asseoir, et lui adresser quelques paroles pour le récréer, ou même dissiper le malaise qui avait troublé son attention. Dans l’incertitude où nous sommes des motifs qui l’empêchent d’écouter, tenons-lui, dès qu’il est assis, quelques propos enjoués ou pathétiques; pour l’arracher aux distractions que lui causent les souvenirs du monde. De la sorte, si nous tombons juste sur les pensées qui le préoccupent, elles disparaîtront pour ainsi dire devant une accusation directe : si nous nous sommes trompés, quelques mots sur ces préoccupations que nous sommes obligés de supposer en lui, par cela seul qu’ils sont inattendus et interrompent la suite de l’entretien, piquent sa curiosité et renouvellent son attention. Du reste, soyons brefs, puisque nous faisons une digression, de peur que le remède ne soit pire que le mal
1. Luc, X, 39.
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et n’augmente la lassitude que nous avons dessein de combattre. Ayons soin dès lors d’abréger; faisons entrevoir et pressons la fin de notre entretien.
CHAPITRE XIV.CINQUIÈME ET SIXIÈME CAUSES D’ENNUI : DES MOYENS D’Y REMÉDIER.
20. Est-ce le regret de ne pouvoir accomplir un devoir auquel tu t’appliquais, parce que tu le regardais comme plus impérieux, qui cause ton découragement, et sens-tu qu’un dépit secret répand sur tes instructions une teinte de tristesse? Nous savons sans doute que dans tous nos rapports avec le prochain nous devons être inspirés par la bonté et par la charité la plus pure; mais songe que ce principe admis, nous sommes incapables de déterminer les actions qu’il est plus utile d’accomplir, ou plus à propos de suspendre, de sacrifier même. Impuissants à découvrir les mérites que nos obligés ont aux yeux de Dieu, nous ne comprenons pas, nous conjecturons d’après les indices les plus obscurs et les plus vagues, quels sont les services que nous devons leur rendre selon les circonstances. Par conséquent, réglons la suite de nos actions selon la portée de notre esprit. Si nous pouvons accomplir nos devoirs dans l’ordre même que nous nous sommes tracé, applaudissons-nous de voir que nos projets ont été conformes aux desseins de Dieu; survient-il une conjoncture qui dérange notre plan de conduite? plions-nous à la circonstance au lieu de nous décourager, et puisque Dieu a préféré un autre ordre, hâtons-nous de l’adopter. Dieu ne doit pas suivre notre volonté, nous devons nous soumettre à la sienne. L’ordre que nous prétendons suivre à notre gré ne peut être excellent qu’à la condition d’être subordonné à un ordre supérieur. Pourquoi donc nous plaindre, faibles mortels que nous sommes, d’être devancés par la sagesse de ce grand Dieu, Notre-Seigneur tout-puissant, et vouloir tomber dans le désordre par le désir même de nous attacher à l’ordre qu’il nous a plu d’adopter? Le véritable plan de conduite, c’est d’être résolu à ne jamais lutter contre la puissance de Dieu, et de ne point se passionner pour accomplir un dessein conçu dans une tête humaine : « Le coeur de l’homme conçoit bien des projets, les conseils de Dieu seuls sont immuables et éternels (1)». 21. Notre esprit troublé par quelque scandale ne peut-il trouver des paroles pleines de calme et d’agrément? Concevons pour les âmes que Jésus-Christ a voulu sauver par sa mort et délivrer au prix de tout son sang des fatales erreurs du monde, une charité si vive que, si l’on vient nous avertir de l’arrivée d’un catéchumène, à l’instant où nous sommes tout affligés, cette bonne nouvelle serve à soulager notre douleur et à la dissiper; c’est ainsi que les plaisirs du gain balancent le chagrin que causent les pertes. Un scandale nous afflige à la vue ou à la pensée qu’une âme se perd ou entraîne dans sa perte les âmes faibles; l’arrivée d’un catéchumène dont nous attendons quelque succès, doit affaiblir les regrets que nous causent les âmes infidèles. Si la crainte de voir notre prosélyte devenir fils de l’enfer (2) naît en nous à la pensée des nombreux catéchumènes qui ont fini pardonner les scandales dont nous gémissons, cette triste réflexion doit nous animer au lieu de nous abattre : elle doit nous engager à avertir notre auditeur de ne point imiter ceux qui n’ont de chrétien que le nom, de ne jamais se laisser entraîner, par leur nombre, à les suivre ou à quitter Jésus-Christ pour leur plaire; enfin, de renoncer à entrer avec eux dans l’Eglise de Dieu, s’il n’est pas résolu à ne jamais les prendre pour modèles. Dans ces sortes d’exhortations, la parole qu’anime une douleur encore cuisante, acquiert, je ne sais comment, une vivacité nouvelle : loin d’être froids, nous développons avec verve et enthousiasme un sujet que nous aurions traité d’un ton monotone et languissant, si nous avions été plus calmes; et c’est un bonheur pour nous d’avoir pu trouver l’occasion de faire servir à l’édification des âmes nos sentiments personnels. Avons-nous commis une erreur, une faute même qui nous accable de douleur? Songeons « qu’un coeur contrit est un sacrifice agréable à Dieu (3)»; songeons surtout que « si l’eau éteint le feu, l’aumône éteint le péché (4)». et que « Dieu aime mieux la miséricorde que le sacrifice (5) ». Qu’un incendie nous menace, nous savons courir, aller chercher de l’eau pour l’éteindre, ou remercier les voisins qui nous en apportent. De même, quand le péché
1. Prov. XIX, 21. — 2. Matt. XXIII, 15. — 3. Psalm. L, 19.— 4. Eccli. III, 33.— 5. Osée,V1, 6.
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allume dans notre coeur desséché un feu qui nous épouvante, applaudissons-nous de trouver dans une oeuvre charitable, que l’occasion se présente d’accomplir, une source assez abondante pour éteindre l’incendie qui nous consume. Nous ne pousserons pas, j’imagine, la folie jusqu’à croire que le pain avec lequel nous apaisons la faim d’un pauvre, aurait plus de vertu pour relever notre courage que la parole même de Dieu, distribuée à un esprit affamé de l’entendre. A supposer même qu’il n’y eût pas d’inconvénient à se dispenser d’un devoir, d’ailleurs utile à remplir, nous aurions toujours le tort de dédaigner le moyen qui nous est offert d’échapper au péril où notre salut et non celui d’autrui, est malheureusement engagé. Ne connaissons-nous pas cet arrêt terrible du Seigneur: « Serviteur méchant et paresseux, tu aurais dû mettre mon argent entre les mains des banquiers (1)? » Quel serait donc notre aveuglement, si la douleur de nos fautes nous entraînait dans une nouvelle faute, celle de refuser le trésor du Seigneur à qui le demande avec instance? Voilà par quelles réflexions on peut dissiper l’ennui avec tous ses nuages et se porter tout entier à remplir les fonctions de catéchiste, Voilà comment on réussit à faire doucement entrer dans les coeurs un enseignement qui découle avec autant de facilité que de grâce des sources fécondes de la charité. Ce n’est pas moi qui te tiens ce langage; c’est -plutôt l’amour qui nous l’adresse à tous, « cet amour répandu jusqu’au fond de nos coeurs par d’Esprit-Saint qui nous a été donné (2)».
CHAPITRE XV.NÉCESSITÉ D’APPROPRIER SON LANGAGE AUX CIRCONSTANCES ET AUX PERSONNES.
23. Je t’ai fait une promesse et tu en réclames peut-être l’accomplissement, comme si c’était une dette : il me faut prendre le rôle de catéchiste et composer un entretien qui puisse te servir de modèle. Soit; mais figure-toi bien qu’un écrivain qui compose dans son cabinet pour être lu, se place à un tout autre point de vue que l’orateur qui parle devant un auditoire attentif; et pour l’orateur, que de points de vue divers! Tantôt il donne des instructions en particulier, sans témoins qui contrôlent son langage; tantôt il parle sous les yeux d’une
1. Matt. XXV, 26. — 2. Rom. V, 5.
assemblée qui représente les goûts les plus divers. Parle-t-il en public? tantôt il n’adresse ses instructions qu’à une seule personne, et l’assemblée ne fait que le juger ou rendre témoignage à la vérité de ses paroles; tantôt l’auditoire attend un discours qui s’adresse à tous indistinctement. Dans ce dernier cas, la méthode doit encore changer selon que le public est pour ainsi dire réuni en famille et n’attend qu’une conférence, ou qu’il est suspendu en silence aux lèvres de l’orateur, parlant du haut d’une tribune. Et même alors, le ton doit varier, si l’auditoire est plus ou moins nombreux, s’il est composé de savants ou d’ignorants, de gens de la ville ou de la campagne, enfin, s’il représente le peuple entier avec ses différentes classes. En effet, si l’orateur n’est pas capable d’éprouver les émotions les plus diverses, son âme ne saurait se peindre dans son discours ni sa parole exprimer des sentiments assez variés pour répondre aux mille impressions que provoque la sympathie dans une foule nombreuse. Il n’est ici question que d’initier à la foi des esprits novices : toutefois, je puis t’assurer, d’après mon expérience personnelle, que je ressens une émotion toute différente selon que je vois dans le catéchumène un savant, un ignorant, un étranger, un concitoyen,un riche, un pauvre,un particulier,un magistrat; dignité, famille, âge, sexe, système philosophique, font autant d’impressions sur mon coeur, et, sous l’empire du sentiment que j’éprouve, mon discours commence, se continue et s’achève. On doit à tous une égale charité; mais ce n’est pas une raison pour appliquer à tous le même remède. La charité sait enfanter les uns et se rendre faible avec les autres; elle travaille à édifier ceux-ci, elle a peur d’offenser ceux-là; tantôt elle s’abaisse, tantôt elle s’élève, tour à tour indulgente et sévère, jamais ennemie, toujours maternelle. Quand on n’a point éprouvé ces mouvements de la charité, on croit que notre bonheur est attaché au faible talent qui nous vaut les éloges de la multitude et les douces émotions de la gloire. Mais que Dieu, en « présence duquel montent les gémissements des captifs (1) », voie notre humilité et nos peines, et qu’il nous remette tous nos péchés (2). Si ma parole a eu pour toi quelque agrément, si elle t’a inspiré le désir d’apprendre de moi quelques règles pour vivifier tes discours, je te
1. Psal. LXXVIII, 11. — 2. Psal. XXIV, 18.
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le répète, tu aurais été plus vite initié à ces secrets en me voyant exercer les fonctions de catéchiste qu’en me lisant.
CHAPITRE XVI.DISCOURS QUE L’ON PEUT TENIR A UN CATÉCHUMÈNE. EXORDE TIRÉ DE LA RÉSOLUTION QU’A PRISE L’AUDITEUR D’EMBRASSER LA FOI CHRÉTIENNE POUR TROUVER ENFIN LA PAIX : LES HONNEURS, LES RICHESSES, LES PLAISIRS, LES SPECTACLES, NE FONT QUE TROUBLER LE COEUR.
24. Je suppose donc qu’un homme d’un esprit ordinaire, habitant la ville, tel que tu dois en rencontrer beaucoup à Carthage, vienne te trouver dans l’intention de se faire chrétien. Tu lui demandes s’il a pris cette résolution pour jouir de quelque avantage temporel, ou pour goûter la paix qui nous est promise dans l’autre vie; il répond qu’il n’aspire qu’à la paix éternelle; tu peux alors lui tenir à peu près ce discours : Grâces soient rendues à Dieu, mon frère je te félicite d’avoir eu le bonheur de songer à t’assurer un port au milieu des orages si terribles et si dangereux du monde. On se dévoue ici-bas aux plus rudes fatigues pour trouver le repos et la sécurité, mais les passions ne permettent pas d’y atteindre. On veut en effet goûter le repos au sein des choses agitées et passagères, et comme le temps les emporte avec lui, la crainte et les regrets troublent le coeur et ne lui laissent aucun moment de calme. L’homme veut-il se reposer au scindes richesses? elles lui donnent plus d’orgueil que de tranquillité. Que de gens, comme nous l’apprend l’expérience; perdent tout à coup leur fortune ou trouvent la mort, soit en courant après les richesses, soit en voulant défendre leurs trésors contre lui rival plus avare! Lors même que la richesse serait fidèle à l’homme toute sa vie et ne quitterait pas son avide possesseur , il faudrait bien qu’il la quitte en mourant. Et quelle est donc la durée de la vie,même quand on atteint la vieillesse ? Désirer la vieillesse, n’est-ce pas désirer une longue maladie ? Quant aux honneurs du monde, qu’impliquent-ils sinon l’orgueil, la vanité, la ruine du salut ? C’est en ce sens que la sainte Ecriture nous dit : « Toute chair est semblable à l’herbe des champs, et la gloire de l’homme est semblable à la fleur d’une herbe: l’herbe se dessèche, la fleur tombe, «la parole de Dieu seule demeure éternellement (1) ». Ainsi, quiconque aspire au bonheur et à la paix inaltérable, doit se détacher des biens passagers et périssables du monde pour ne mettre espoir que dans la parole de Dieu : en s’attachant à l’Etre qui demeure éternellement, il participera à son immutabilité. 25. D’autres ne songent ni à s’enrichir, ni à briguer le vain éclat des honneurs; ils mettent leur félicité et leur repos à hanter les tavernes ou les maisons de débauche, à fréquenter les théâtres et à jouir de ces représentations frivoles qu’on leur donné gratuitement dans les grandes villes. La passion du luxe triomphe vite de leur pauvreté; et, de la misère ils tombent dans le vol, la rapine ou même le brigandage. Ils se trouvent tout à coup en proie à des craintes mortelles : naguère encore ils chantaient dans la taverne, maintenant ils ne rêvent plus que torture et prison. Quant à la passion des spectacles, elle les change en démons : ils encouragent à grands cris les gladiateurs à se tuer réciproquement; si le sang ne coule pas, ils font naître dans leur coeur des sentiments de rivalité et un ardent désir de plaire à un peuple en délire. S’aperçoivent-ils que les combattants sont de connivence, ils- s’indignent, ils s’écrient qu’on doit les frapper de verges, comme s’ils étaient coupables de collusion; ils condamnent le magistrat, né pour venger la justice, à ordonner cette injustice révoltante. Savent-ils au contraire qu’une haine irréconciliable divise les comédiens et les danseurs, les cochers et les dompteurs d’animaux, et tous les malheureux qu’ils engagent dans des luttes à outrance contre leurs semblables ou les bêtes sauvages? plus ils voient les concurrents animés de sentiments hostiles, plus ils leur témoignent de faveur et d’enthousiasme; ils applaudissent à la fureur de la lutte et provoquent les applaudissements; ils se communiquent leur délire, plus insensés encore que les victimes insensées dont ils stimulent l’aveugle courage : la folie fait tout le charme du spectacle. La paix d’un esprit sain pourrait-elle donc remplir un coeur qui se repaît de querelles et de discorde ? La santé n’est-elle pas toujours en rapport avec les aliments? Enfin, quelque soit le charme attaché à ces joies, si on peut appeler ainsi des joies insensées, que faut-il pour nous rendre insensibles à l’orgueil des richesses, à l’éclat éblouissant
1. Is. XL, 6-8.
des hommes, aux plaisirs ruineux des tavernes, aux luttes sanglantes du théâtre, à la débauche, à l’obscénité des bains publics? Une fièvre légère nous dérobe ces joies, telles qu’elles, et suffit pour saper, même avant la mort, notre prétendue félicité : il ne nous reste qu’un coeur vide et gangrené. qu’attend la justice du Dieu dont il a dédaigné la protection, la sévérité du Maître en qui il n’a pas voulu chercher ni aimer un Père tendre. Pour toi, mon frère, qui cherches le repos promis aux chrétiens après la mort, tu commenceras à en goûter la douceur dès ici-bas, au sein même des soucis les plus amers de la vie, si tu t’attaches avec amour aux préceptes de Celui qui l’a promis. Tu ne tarderas pas à sentir que les fruits de la justice sont plus doux que ceux de l’iniquité et qu’une conscience pure au milieu des chagrins inspire une joie plus réelle: et plus vive qu’une conscience bourrelée au milieu des voluptés: ce ne sont point en effet les avantages temporels qui t’engagent à entrer dans l’Église de Dieu ».
CHAPITRE XVII.CONDAMNATION DE CEUX QUI EMBRASSENT LA FOI EN VUE D’UN INTÊRET HUMAIN. — LE REPOS ÉTERNEL, BUT DU VRAI CHRÉTIEN. — EXPOSITION DES DOGMES, ET D’ABORD DE L’INCARNATION.
26. Il se rencontre en effet des gens qui embrassent le christianisme pour se concilier certains personnages dont ils attendent des avantages temporels, ou pour éviter de déplaire à des protecteurs puissants. Ce sont de faux chrétiens: l’Eglise les supporte pour un temps comme l’aire garde la paille, jusqu’au jour où le vanneur en sépare le grain ; mais s’ils ne se corrigent pas, s’ils ne songent pas à n’avoir en vue dans le christianisme que le repos à venir, ils seront un jour séparés du bon grain. Qu’ils ne se flattent pas d’être gardés dans l’aire avec le pur froment de Dieu : loin d’être admis dans le grenier céleste, ils iront dans le feu auquel les destinent leurs péchés (1). D’autres, quoique animés d’une espérance plus noble, ne laissent pas de courir un danger aussi grave ; je veux parler de ceux qui, ayant la crainte de Dieu et ne songeant ni à se jouer du nom de chrétien, ni à se couvrir du masque de l’hypocrisie pour entrer dans l’Eglise; attendent le bonheur dès ici-bas: ils voudraient jouir sur la terre d’une
1. Matt. III, 12.
prospérité plus brillante que ceux qui ne rendent à Dieu aucun hommage; aussi l’exemple de quelques impies,élevés,malgré leurs crimes, à un degré de gloire et de puissance humaines qu’ils ne peuvent atteindre ou dont-ils se voient précipités, trouble leur imagination, comme Si leur piété ne produisait aucun fruit, et fait chanceler leur foi. 27. Aspirer à devenir chrétien, en vue du bonheur sans fin et de l’inaltérable repos qui est promis aux saints après la mort, sans autre but que d’entrer dans le royaume éternel avec Jésus-Christ et de ne point aller avec Satan au feu éternel (1), voilà le vrai chrétien, vigilant dans les tentations, afin de n’être jamais ni corrompu parla prospérité, ni abattu par les revers; toujours tempérant et maître de lui-même au sein des félicités de ce monde, ferme et résigné dans les tribulations. En avançant dans la pratiqué de la vertu, il finira par aimer Dieu plus: encore qu’il ne craint l’enfer, et si Dieu venait à lui dire : « Jouis éternellement des plaisirs de la chair, pèche en liberté, sans craindre la mort ni le feu éternel, à la seule condition de n’habiter jamais avec moi » ; il reculerait d’horreur et s’abstiendrait du péché, moins pour éviter la peine qu’il redoute que pour ne pas offenser Celui qu’il aime, l’Etre en qui seul réside ce repos « que l’oeil de l’homme n’a point vu, que son oreille n’a point entendu, que son coeur n’a point compris, et que Dieu a préparé à ceux qui l’aiment (2) ». 28. Ce repos est marqué fort clairement dans l’Ecriture, qui nous apprend que Dieu, à l’origine du monde, quand il créa le ciel et la terre avec tout ce qu’ils renferment, travailla pendant six jours et se reposa le septième (3). Dans sa toute-puissance, Dieu n’avait besoin que d’un instant pour tout créer. Or, il n’a pas travaillé pour rentrer ensuite dans le repos, lui qui « a dit, et tout a été fait, a ordonné, et tout est sorti du néant (4)»; mais pour nous révéler que, les six âges du monde écoulés, il consacrerait le septième au repos avec ses saints, comme il y avait déjà consacré le septième jour, En effet, les saints trouveront le repos au sein du Dieu qu’ils ont servi par les bonnes oeuvres qu’il a lui-même opérées en eux, puisque c’est lui qui appelle, qui choisit; remet les fautes passées et justifie les
1. Matt. XIV, 34, 41, 46. — 2. I Cor. II, 9. — 3. Gen. I et II, 1-3 — 4. Psalm. CXLVIII, 5.
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pécheurs. Si donc on a raison de dire que Dieu agit dans le coeur de ceux qui n’accomplissent le bien que par un don de sa grâce, on doit également dire qu’il se repose avec les bienheureux qui goûtent le repos dans son sein : pour lui, en effet, il est étranger à la fatigue et n’a pas besoin de mettre un terme à ses travaux. C’est par son Verbe qu’il a tout créé, et le Verbe est Jésus-Christ lui-même, en qui les anges et les purs esprits du ciel se reposent et goûtent le silence de la sainteté. Déchu par sa faute, l’homme a perdu la paix qu’il devait au Verbe divin et la recouvre par les mérites du Verbe fait homme: aussi, est-ce au moment marqué dans ses desseins éternels, que le Verbe s’est fait homme et est né d’une femme, sans que la corruption de la chair pût atteindre Celui qui devait la purifier. Les saints de l’Ancien Testament ont été instruits de sa venue par les révélations du Saint-Esprit et l’ont annoncée: ils ont été sauvés en croyant qu’il viendrait, comme nous le sommes en croyant qu’il est venu; ils nous ont ainsi appris à aimer Dieu, qui a poussé l’amour pour nous jusqu’à envoyer son Fils unique revêtir la bassesse de notre humanité, et se sacrifier pour les pécheurs de la main des pécheurs mêmes. Et en effet, dès les temps les plus reculés, ce mystère nous est continuellement révélé dans sa profondeur par des figures et des prophéties.
CHAPITRE XVIII.
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