PARTHES
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TRAITÉS SUR L'ÉPÎTRE DE SAINT JEAN AUX PARTHES.

 

Les traités sur l'Evangile de saint Jean ont été traduits par un Vicaire général qui a voulu garder l'anonyme et par M. l'abbé AUBERT, lequel a traduit aussi tous les traités sur l'Epître de saint Jean.

 

TRAITÉS SUR L'ÉPÎTRE DE SAINT JEAN AUX PARTHES.

PROLOGUE.

PREMIER TRAITÉ.

DEPUIS CES PAROLES DE JEAN : « CE QUI A ÉTÉ DÈS LE COMMENCEMENT, CE QUE NOUS AVONS ENTENDU, ET CE QUE NOUS AVONS VU DE NOS YEUX », JUSQU'A CES AUTRES : « PARCE QUE LES TÉNÈBRES L'ONT AVEUGLÉ ». (Chap. I, et Chap. 11, 1-11.)

LUMIÈRE ET TÉNÈBRES.

DEUXIEME TRAITÉ.

DEPUIS CE VERSET: « JE VOUS ÉCRIS, MES PETITS ENFANTS, PARCE QUE VOS PÉCHÉS VOUS SONT « REMIS AU NOM DE JÉSUS-CHRIST », JUSQU'A CELUI-CI : « CELUI QUI A FAIT LA VOLONTÉ DE « DIEU, DEMEURE ÉTERNELLEMENT, COMME IL DEMEURE LUI-MÊME PENDANT TOUTE L'ÉTERNITÉ ». (Chap. II, 12-17.)

LA CHARITÉ, SOURCE DE LUMIÈRES.

TROISIÈME TRAITÉ.

DEPUIS LES PAROLES SUIVANTES : « MES PETITS ENFANTS, VOICI LA DERNIÈRE HEURE », JUSQU'A CES AUTRES : « SON ONCTION VOUS ENSEIGNE TOUT ». (Chap. II, 18-27.)

L'ANTÉCHRIST.

QUATRIÈME TRAITÉ.

DEPUIS LES PAROLES SUIVANTES : « ET ELLE EST LA VÉRITÉ ET NON LE MENSONGE », JUSQU'A CES AUTRES : « ET LE FILS DE DIEU EST VENU DANS LE MONDE POUR DÉTRUIRE LES OEUVRES DU DÉMON ». (Chap. II, 27-29 ; III, 4-8.)

LA FOI, SOURCE DE JUSTICE.

CINQUIÈME TRAITE

DEPUIS LES PAROLES SUIVANTES : « QUICONQUE EST NÉ DE DIEU NE COMMET POINT LE PÉCHÉ », JUSQU'A CES AUTRES : « N'AIMONS NI DE PAROLE NI DE LANGUE, MAIS PAR LES OEUVRES ET EN VÉRITÉ ». (Chap. 111, 9-18.)

LA CHARITÉ, VERTU DES ENFANTS DE DIEU.

SIXIÈME TRAITÉ.

DEPUIS CES PAROLES : « PAR LA NOUS CONNAISSONS QUE NOUS SOMMES ENFANTS DE LA VÉRITÉ », JUSQU'A CES AUTRES : « ET C'EST L'ANTÉCHRIST DONT VOUS AVEZ ENTENDU DIRE , ETC. » (Chap. III, 19-24 ; IV, 1-3.)

LA FOI ET LES OEUVRES.

SEPTIÈME TRAITÉ.

DEPUIS LES PAROLES SUIVANTES : « MES PETITS ENFANTS, VOUS ÊTES DE DIEU », JUSQU'À CES AUTRES : « NUL HOMME N'A JAMAIS VU DIEU ». (Chap. IV, 4-12.)

DIEU EST AMOUR.

HUITIÈME TRAITÉ.

DEPUIS LES PAROLES SUIVANTES : « SI NOUS NOUS AIMONS LES UNS LES AUTRES, DIEU DEMEURERA EN NOUS », JUSQU'À CES AUTRES : « DIEU EST AMOUR; ET QUICONQUE DEMEURE DANS L'AMOUR DEMEURE EN DIEU, ET DIEU DEMEURE EN LUI ». (Chap. IV, 12-16.)

LA CHARITÉ N'EST NI ORGUEILLEUSE NI VINDICATIVE.

NEUVIÈME TRAITÉ.

DEPUIS LES PAROLES SUIVANTES : « L'AMOUR DE DIEU EST PARFAIT EN NOUS », JUSQU'À CES AUTRES : « ET C'EST DE DIEU MÊME QUE NOUS AVONS REÇU CE COMMANDEMENT : QUE CELUI QUI AIME DIEU, AIME AUSSI SON FRÈRE ». (Chap. IV, 17-21.)

LA CONFIANCE AU JUGEMENT.

DIXIÈME TRAITÉ.

DEPUIS CES PAROLES DE JEAN :  « QUICONQUE CROIT QUE JÉSUS EST LE CHRIST, EST NÉ DE DIEU », JUSQU'A CES AUTRES : « L'AMOUR DE DIEU CONSISTE A OBSERVER SES COMMANDEMENTS ». (Chap. V, 1-13.)

LA CHARITÉ, CONSOMMATION DE LA LOI.

 

 

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PROLOGUE.

 

Votre sainteté s'en souvient: nous avions l'habitude de vous lire d'une manière suivie l'Évangile selon Jean, et de vous en donner l'explication; mais voilà que se présente à nous la solennité des saints jours, qui nécessite la lecture de certains passages spéciaux de l'Évangile, dans l'assemblée des fidèles comme ces passages doivent être récités tous les ans, et qu'il est impossible de les remplacer par d'autres, il nous a fallu pour quelque temps interrompre l'ordre précédemment adopté, sans néanmoins en faire tout à fait l'abandon. J'ai réfléchi à ce que, Dieu aidant, je pourrais pendant cette semaine vous dire sur les Écritures, de plus conforme à l'esprit des fêtes joyeuses que nous célébrons; il me fallait, d'ailleurs, choisir un sujet capable d'être épuisé dans l'espace de ces sept ou huit jours; ma pensée s'est donc portée sur l'Épître du bienheureux Jean ; de cette façon, en expliquant son Épître, nous ne le perdrons point de vue, quoique nous ayons dû interrompre l'explication de son Evangile. Un autre motif plus pressant encore a décidé notre choix; le voici: La charité nous est particulièrement recommandée dans cette Épître déjà si agréable pour tous ceux qui ont au coeur assez de goût pour savourer le pain de Dieu, et si précieuse aux yeux de toute la sainte Eglise du Christ. L'Apôtre y a dit bien des choses, et presque tout ce qu'il a dit a rapport à la charité. Quiconque trouve en soi des dispositions à écouter, doit nécessairement se réjouir en entendant un pareil langage; car la lecture de cet écrit fera sur son âme un effet pareil à celui que l'huile produit sur le feu; s'il y a en nous de quoi l'entretenir, elle l'entretiendra et lui donnera du développement et de la consistance. Pour quelques-uns, elle ressemblera encore à la flamme qu'active un soufflet; si la charité se trouve éteinte en eux, le feu de cette charité y sera allumé par le récit de telles paroles. Par là seront alimentées les bonnes dispositions de ceux-ci; ceux-là y puiseront celles qui leur manquent, et nous trouverons tous à nous réjouir dans les sentiments d'une charité réciproque. Où est la charité, là est la paix, et où se rencontre l'humilité, on trouve la charité. Hâtons-nous donc d'écouter l'Apôtre; expliquons ses paroles, et daigne le Seigneur nous suggérer ce que nous devons en dire et vous accorder la grâce de nous bien comprendre.

 

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PREMIER TRAITÉ.

DEPUIS CES PAROLES DE JEAN : « CE QUI A ÉTÉ DÈS LE COMMENCEMENT, CE QUE NOUS AVONS ENTENDU, ET CE QUE NOUS AVONS VU DE NOS YEUX », JUSQU'A CES AUTRES : « PARCE QUE LES TÉNÈBRES L'ONT AVEUGLÉ ». (Chap. I, et Chap. 11, 1-11.)

LUMIÈRE ET TÉNÈBRES.

 

Comme Verbe, le Christ est invisible pour des yeux de chair.; mais, afin de se rendre visible, il s'est incarné : nous eu avons pour témoins ses Apôtres, qui ont vu et touché son corps : leur témoignage doit suffire à confirmer notre foi, et à nous unir à eux par les liens de la charité. Or, le Christ est venu en ce monde pour nous apprendre que Dieu est lumière, c'est-à-dire (163) sainteté, et que nous sommes ténèbres, c'est-à-dire esclaves du péché ; il ne peut donc y avoir société entre lui et nous que si nous confessons nos fautes, et, en ce cas, nous avons en Jésus un avocat qui nous en obtiendra le pardon. Mais nous méconnaissons notre Sauveur, si nous n'observons pas ses commandements, ou, en d'autres termes, si nous n'aimons pas Dieu, nos frères et même nos ennemis. Hors de la pratique de la charité, nous n'avons à espérer ni propitiation ni ressemblance avec Dieu : nous serons toujours plongés dans les ténèbres du péché et sujets au scandale.

 

1. « Ce qui a été dès le commencement, ce que nous avons entendu, ce que nous avons vu de nos yeux, ce que nos mains ont touché du Verbe de vie » . Comment un homme peut-il, de ses mains, toucher le Verbe, si ce n'est parce que « le Verbe s'est fait chair, et qu'il a habité parmi nous? » Afin de pouvoir être touché de nos mains, le Verbe qui s'est fait chair a commencé par prendre un corps dans le sein de la Vierge Marie ; mais alors n'a point commencé le Verbe ; car, dit Jean, « il a été dès le commencement ». Remarquez, je vous prie, comme l'Epître de cet Apôtre confirme son Evangile, où nous avons lu tout à l'heure ces paroles : « Au commencement était le Verbe, et le Verbe était en Dieu (1) ». Ces paroles: « Le Verbe de vie », quelqu'un les regarde peut-être comme une manière de désigner le Christ, et non point le corps même du Christ que les Apôtres ont touché de leurs mains. Vois ce qui suit : « La vie même s'est manifestée ». Le Christ était donc le Verbe de vie. Mais comment la vie s'est-elle manifestée ? Elle était dès le commencement; toutefois elle ne s'était point encore fait connaître aux hommes; pour les anges, elle s'était montrée à eux, ils la voyaient et s'en nourrissaient comme d'un pain approprié à leur nature. Néanmoins, que dit l'Ecriture? « L'homme a mangé le pain « des Anges (2) ». La vie s'est donc manifestée en s'incarnant; de la sorte, ce que le coeur seul pouvait apercevoir, des yeux de chair étaient à même de le contempler, et le coeur pouvait, par là, parvenir à sa guérison. Le coeur seul est capable de voir le Verbe, mais des yeux de chair peuvent apercevoir un corps. Il nous était donc possible d'apercevoir le corps du Christ, mais contempler le Verbe cela nous était impossible; si donc le Verbe s'est fait chair, c'était pour apparaître à nos regards et guérir ce qui pouvait, en nous, considérer le Verbe.

2. « Et nous l'avons vu, et nous en sommes témoins ». Plusieurs de nos frères qui ne connaissent point le grec, ignorent peut-être

 

1. Jean, I, 14, 1.— 2. Ps. LXXVII, 25.

 

ce que le mot « témoins » veut dire en cette langue: c'est un mot qui se trouve sur les lèvres de tout le monde, et qui, en religion, a son sens propre; ceux que, en latin, nous appelons témoins, les Grecs leur donnent le nom de martyrs. Puisse ce nom des martyrs être si bien gravé dans notre coeur, que nous les imitions dans leurs souffrances au lieu de les poursuivre de nos mépris. « Nous l'avons vu et nous en sommes témoins » s'exprimer ainsi, c'était donc dire: Nous l'avons vu, et nous sommes martyrs. En rendant témoignage de ce qu'ils ont vu eux-mêmes, ou de ce qu'ils ont entendu dire aux témoins mêmes des événements, les martyrs ont déplu aux hommes contre lesquels ils déposaient; voilà pourquoi ils ont souffert ce qu'ils ont souffert. Les martyrs sont donc les témoins de Dieu. Le Seigneur a voulu avoir des hommes pour témoins, afin de leur servir de témoin à son tour. « Nous l'avons vu », dit Jean, a et nous en sommes témoins ». Où les Apôtres l'ont-ils vu? Dans son apparition. Qu'est-ce à dire, dans son apparition? Dans le soleil, ou, en d'autres termes, dans la lumière de ce monde. Et comment a-t-on pu voir dans le soleil celui qui l'a créé? Evidemment parce qu' « il a placé son pavillon dans le soleil ; il semblable à un époux qui sort de son lit nuptial, pareil à un géant, il s'est élancé ci pour fournir sa course (1) ». Antérieur au soleil qu'il a tiré du néant, à l'aurore, à tous les astres, à tous les anges, ce vrai Créateur de toutes choses (« car toutes choses ont été faites « par lui, et sans lui rien n'a été fait (2) »), a voulu se faire voir par les yeux de chair qui contemplent le soleil; aussi a-t-il placé son pavillon dans le soleil, c'est-à-dire qu'il a montré son humanité au grand jour de ce monde; le sein d'une Vierge a servi de lit nuptial à cet époux, car dans ces virginales entrailles se sont unis un époux et une épouse: l'époux était le Verbe ; l'épouse, notre humanité; en effet, il est écrit : « Et ils seront deux dans une seule chair (3)». Et le Sauveur a ajouté dans l'Evangile : « C'est pourquoi ils

 

1. Ps. XVIII, 6.— 2. Jean, I, 3.— 3. Gen. II, 21.

 

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ne sont plus deux, mais une seule chair (1) ». Isaïe lui-même nous rappelle d'une manière bien juste que ces deux ne font qu'un; car, en parlant de la personne du Christ, il s'exprime en ces termes : « Il a paré ma tête d'une couronne, comme celle d'un époux, et il m'a orné de pierreries comme une épouse (2) ». On croirait n'entendre parler qu'un seul et même personnage, puisqu'il parle. de lui-même comme étant, tout à la fois, époux et épouse, parce qu' « ils ne sont pas deux, mais une seule chair », parce que « le Verbe s'est fait chair » et qu' « il a habité parmi nous » . A cette chair s'unit l'Eglise, et alors se parfait le Christ ; alors il devient tête et corps.

3. « Et nous en sommes témoins », dit l’Apôtre, « et nous vous annonçons cette vie éternelle qui était dans le Père, et qui est apparue en nous »; c'est-à-dire, qui est apparue parmi nous, ou, pour parler plus clairement, qui nous est apparue. « Ce que nous avons vu et entendu, nous vous l'annonçons ». Que votre charité y fasse attention. « Ce que nous avons vu et entendu, nous vous  l'annonçons ». Les Apôtres ont vu le Seigneur en personne, présent dans la chair, ils ont entendu les paroles qui sont tombées de ses lèvres, et ils nous l'ont annoncé. Nous l'avons donc entendu, mais nous ne l'avons pas vu ; en sommes-nous moins heureux que ceux qui ont vu et entendu ? Pourquoi, alors, Jean ajoute-t-il : « Afin que vous entriez en société avec nous? » Les Apôtres ont vu, et nous nous n'avons rien vu, et cependant nous sommes en société avec eux, parce qu'avec eux nous avons une seule et même foi. Un d'entre eux a eu beau voir, il n'a pas cru ; pour croire, il a voulu toucher de ses mains, et il a dit : « Je ne croirai pas avant d'avoir mis a mes doigts dans la plaie des clous, et ma « main dans son côté ». Celui qui se présente sans interruption aux regards des Esprits célestes, s'est, pour un temps, laissé toucher par des mains d'hommes; le disciple précité le toucha donc et s'écria : « Mon Seigneur et mon Dieu ! » Pour nous consoler de ce qu'il nous est impossible de le toucher nous-mêmes autrement. que par la foi, puisqu'il est déjà assis à la droite de son Père, le Sauveur lui répondit: «Thomas, parce que tu as vu, tu as cru ; bienheureux, ceux qui ne, voient pas et qui croient (3) ».C'est de nous qu'il a

 

1 Matth. XIX, 6.— 2. Isa. LXI, 10.— 3. Jean, XX, 25-29.

 

voulu parler; c'est nous qu'il a désignés. Puisse donc s'établir en nos âmes cette béatitude que le Christ nous a annoncée comme notre partage futur; croyons fermement ce que nous ne voyons pas, parce que ceux qui nous l'annoncent l'ont vu de leurs propres yeux. « Afin que vous entriez en société avec « nous ». Quel avantage peut-il y avoir pour nous d'entrer en société avec des hommes? N'aie pas de cela une pauvre idée; écoute ce qu'ajoute l'Apôtre : « Et que notre société soit avec le Père et avec Jésus-Christ son Fils. Et nous vous écrivons ceci, afin que votre joie soit complète ». Cette joie complète est, suivant lui, le fruit de l'union, de la charité, de l'unité.

4. « Or, ce que nous vous disons, nous l'avons appris de la bouche de Jésus-Christ avant de vous l'annoncer ». Que signifient ces paroles ? Les Apôtres ont vu et touché de leurs mains le Verbe de vie. Car le Fils unique de,Dieu, qui était dès le commencement, s'est rendu visible et palpable dans le temps. A quoi s'est-il réduit? Que nous a-t-il annoncé de nouveau ? Qu'a-t-il voulu nous enseigner? Pourquoi le Verbe a-t-il fait ce qu'il a fait? Pourquoi s'est-il incarné? Pourquoi, étant Dieu, supérieur à tous les êtres, a-t-il souffert, de la part des hommes, des traitements indignes de lui? Pourquoi a-t-il enduré que des mains créées par lui, lui donnassent des soufflets? Qu'a-t-il voulu nous enseigner, nous montrer et nous annoncer par là (2) Ecoutons : car entendre le récit des événements qui ont eu lieu de la naissance et de la mort du Christ, sans tirer profit des enseignements qui en découlent, c'est occuper son esprit de pensées oiseuses, et ne pas le fixer par des réflexions dignes de lui. De quelle importante chose est-il question ? Quel profit s'agit-il de faire ? Fais-y attention. Qu'a-t-il voulu enseigner? Qu'a-t-il prétendu annoncer? Ecoute bien, le voici : « Que Dieu « est la lumière même, et qu'il n'y a point « en, lui, de ténèbres ». Jean nous a parlé de lumière, et pourtant son langage n'est pas clair : il serait bon pour nous que la lumière dont il nous a parlé, projetât ses rayons sur nos coeurs pour nous faire voir ce qu'il a voulu nous dire. Voici, ce que nous vous annonçons, c'est « que Dieu est la lumière même, et qu'il n'y a point en lui de ténèbres ». Où est l'audacieux capable de dire (165) qu'il y a des ténèbres en Dieu? Qu'est-ce que la lumière? Qu'est-ce que les ténèbres? Que personne ne tienne à cet égard un langage conforme à la nature des yeux de notre corps. « Dieu est lumière ». Quelqu'un me dira peut-être : Le soleil est aussi lumière, et la lune pareillement, et un flambeau également. Mais la lumière divine doit être bien autrement vive, bien autrement éclatante et infiniment supérieure à toutes les autres. Autant Dieu diffère des choses de ce monde, le Créateur des créatures, la sagesse de ce qu'elle a fait; autant et bien plus encore cette lumière diffère de toute autre. Peut-être en serons-nous voisins, si nous parvenons à savoir ce qu'elle est et si nous nous en approchons afin d'être éclairés : car, en nous-mêmes , nous sommes ténèbres; mais si elle nous éclaire de ses rayons, nous pouvons devenir lumière et n'être point confondus par elle; nous sommes en effet, pour nous, un sujet de confusion. Qui est-ce qui est confus de lui-même ? Celui qui se reconnaît pécheur. Qui est-ce qui n'est pas confondu par la lumière divine? Celui qui en est éclairé. Qu'est-ce qu'être éclairé par elle? Celui qui s'aperçoit que le péché l'a précipité dans les ténèbres, qui désire être éclairé des rayons de la lumière, celui-là s'approche d'elle : voilà pourquoi le Psalmiste a dit : « Approchez-vous de lui, et vous serez éclairés, et la honte ne  sera plus sur votre visage (1) ». Elle ne te fera point rougir, si, au moment où elle te fera voir tes souillures, tu en conçois du déplaisir et si tu cherches à te revêtir de son éclatante beauté. Voilà ce que le Sauveur veut t'enseigner.

5. Notre manière devoir ne serait-elle pas hasardée? Non; l'Apôtre va lui-même nous en donner la preuve dans les versets suivants. Souvenez-vous qu'au commencement de notre discours nous avons dit que cette épître recommande particulièrement la charité. « Dieu est lumière; il n'y a point en lui de ténèbres » : ainsi s'exprime le disciple bien-aimé. Mais qu'avait-il dit auparavant? « Afin que vous entriez en société avec nous, et que notre société soit avec le Père et avec Jésus-Christ, son Fils ». Or, si Dieu est lumière, s'il n'y a point en lui de ténèbres, et que nous devions entrer en société avec lui, nous devons éloigner de nous toutes ténèbres,

 

1. Ps. XXXIII, 6.

 

afin que la lumière se fasse dans notre âme, car les ténèbres ne peuvent entrer en société avec la lumière ; aussi dois-tu remarquer ce qui suit : « Si nous disons que nous sommes en société avec lui, et que nous marchions dans les ténèbres, nous mentons ». L'apôtre Paul a dit, de son côté : « Quelle union peut-il y avoir entre la lumière et les ténèbres (1) ? » Tu dis que tu es en union avec Dieu, et tu marches dans les ténèbres, et « Dieu est lumière, et il n'y a point en lui de ténèbres». Coin ment donc y a-t-il union entre la lumière et les ténèbres ? C'est donc pour l'homme un devoir de se dire : Que faire? Comment devenir lumière? Je vis dans le péché et l'iniquité ! De là résulte pour lui une sorte de désespoir et de tristesse : pour lui, il n'y a d'issue favorable possible que dans son union avec Dieu. « Dieu est lumière, et en lui il n'y a point de ténèbres ». Le péché est ténèbres, car l'Apôtre donne au diable et à ses anges le nom de maîtres de ces ténèbres (2). Certes, il ne les appellerait pas les maîtres des ténèbres, s'ils n'étaient les maîtres des pécheurs, s'ils ne dirigeaient point certains hommes dans les voies de l'iniquité. Que faisons-nous donc, mes frères? Il nous faut vivre en union avec Dieu: c'est notre seule ressource pour arriver à la vie éternelle ; mais « Dieu est lumière et, en lui, il n'y a point de ténèbres » : l'iniquité est ténèbres, le péché nous accable et nous empêche d'entrer en, société avec Dieu : quelle espérance avons-nous donc encore ? Ne vous avais-je point promis de vous adresser, en ces jours de joie, des paroles pleines de consolation ? Si je ne me hâte de le faire, ne trouverons-nous pas un sujet de tristesse dans ce passage de l'Ecriture : « Dieu est lumière, et, en lui, il n'y a point de ténèbres? »Le péché est ténèbres; que deviendrons-nous donc? Ecoutons l'Apôtre ; peut-être nous consolera-t-il pour nous relever de notre abattement, nous donner de l'espoir et nous empêcher de tomber en défaillance le long du chemin. Car nous courons, nous marchons en hâte vers notre patrie, et si nous désespérons d'y parvenir, le désespoir nous ôtera toutes nos forces. Mais celui qui veut nous y faire arriver, afin de nous y conserver, nous soutient pendant la durée de notre course en ce monde. Ecoutons donc : « Si nous disons que

 

1. II Cor. VI, 14.— 2. Ephés. VI, 12.

 

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nous sommes en société avec lui, et que a nous marchions dans les ténèbres, nous mentons et nous ne disons pas la vérité ». Ne disons pas que nous vivons en union avec lui, si nous marchons dans les ténèbres. « Mais si. nous marchons dans la lumière, comme il est lui-même dans la lumière, nous sommes ensemble dans une union complète ». Marchons dans la lumière, comme il est lui-même dans la lumière, afin de pouvoir entrer en société avec lui. Et nos péchés, qu'en ferons-nous ? Ecoute ce qui suit : « Et le sang de Jésus-Christ, son Fils, nous purifiera de tout péché » . Dieu nous a Ménagé un grand sujet de tranquillité. Nous célébrons avec juste raison le temps de Pâques, où le Sauveur a répandu son sang pour,nous purifier de tout péché. Soyons tranquilles : le démon possédait contre nous un titre d'esclavage ; mais ce titre a été détruit dans le sang du Christ : « Le sang de Jésus-Christ, son Fils, nous purifiera de tout péché ». Qu'est-ce à dire : « De tout péché ? » Attention ! Tous les péchés de ceux qu'on appelle des enfants et qui viennent de confesser le sang du Sauveur ont été effacés au nom de Jésus-Christ et par la vertu de ce sang. Ils étaient dans la vétusté du péché, lorsqu'ils sont entrés en ce bain salutaire; ils en sont sortis des hommes nouveaux. Ils étaient des vieillards, quand on les y a plongés ; ils étaient des petits enfants quand on les en a retirés. Leur vieillesse décrépite, c'était leur ancienne vie; la jeunesse, qu'ils ont puisée dans le sacrement de la régénération, c'est leur vie nouvelle. Mais que faisons-nous? Ils n'ont pas été seuls à obtenir la rémission de leurs péchés     passés; nous avons été favorisés comme eux; mais depuis que tous nos péchés nous ont été pardonnés et que nous en avons été purifiés, nous avons vécu dans le monde, nous avons éprouvé une foule de tentations et commis, peut-être, de nouvelles fautes. Ce que l'homme peut faire, qu'il le fasse donc : qu'il avoue ce qu'il est afin d'être guéri par Celui qui est toujours ce qu'il est: Jésus-Christ a toujours été et il est encore ; pour nous, il fut un temps où nous n'étions pas, et nous sommes.

6. Remarque, en effet, les paroles de Jean : « Si nous disons que nous sommes sans péché, nous nous séduisons nous-mêmes, et la vérité n'est point en nous ». Si donc tu reconnais hautement que tu es pécheur, la vérité se trouve en toi, car la vérité, c'est la lumière. Ta vie n'a pas encore brillé d'un vif éclat, parce qu'elle est ternie par le péché; elle a déjà néanmoins commencé à s'illuminer, parce que tu as confessé tes fautes; car vois ce qui suit : « Mais si nous confessons nos péchés, il est fidèle et juste pour nous les remettre et pour nous purifier de toute iniquité ». L'Apôtre parle, non-seulement de nos fautes passées, mais encore de celles dont nous avons pu nous rendre coupables par cela même que notre vie s'est prolongée depuis lors; en effet, tant que dure son existence mortelle, il est impossible à l'homme de se préserver complètement de fautes au moins légères. Ces fautes, que nous appelons légères, ne les regarde pas comme indignes de ton attention; car elles té semblent peu de chose, quand tu en apprécies la grièveté ; elles doivent te faire trembler, dès que tu en considères le nombre. Une immense quantité de péchés peu considérables ne constitue-t-elle pas une lourde masse? Ce sont des gouttes d'eau nombreuses qui remplissent le lit d'un fleuve;. les tas de blé se composent d'une multitude de grains. Où puiser de l'espoir? D'abord, dans 'l'aveu de nos iniquités : que personne ne se croie juste; que personne ne lève la tête en, présence du Dieu qui voit ce que: nous, sommes. Car si nous existons, il y a eu un temps ou nous n'existions pas. Avant tout, faisons donc l'aveu de nos péchés; puis, ayons la charité, parce qu'il est dit d'elle : « La charité couvre la multitude des péchés (1) ». Remarquons-le Jean nous recommande la charité eu raison des iniquités dont nous nous souillons à chaque' instant; car la charité seule fait disparaître notre culpabilité. Ce qui tue la charité, c'est l'orgueil; elle puise donc sa force dans l'humilité, et elle détruit le péché; l'humilité nous porte à reconnaître que nous sommes. pécheurs; quand nous parlons d'humilité, nous n'entendons pas celle qui se bornerait à nous faire faire de bouche cet, aveu, pour nous empêcher de paraître arrogants aux yeux du monde, et de lui déplaire en nous disant hommes justes. Ainsi agissent les impies et  ceux qui ont perdu le sens. Je sais bien que je suis juste, disent-ils, mais comment. me rendre un pareil témoignage devant

 

1. I Pierre, IV, 8.

 

167

 

 

le monde? Si je me vante d'être juste, qui est-ce qui endurera, qui est-ce qui supportera un tel langage? Il suffit donc que ma justice soit connue de Dieu; devant les hommes, je me proclamerai pécheur, non que je le sois en réalité, mais afin de ne point me rendre odieux par mon orgueil. Dis aux hommes ce que tu es; dis-le aussi à Dieu. En voici le motif : c'est que si tu ne dis pas à Dieu ce que tu es, il condamnera en toi ce qu'il y trouvera de défectueux. Veux-tu ne pas être condamné par lui? Prononce toi-même ta condamnation. Veux-tu qu'il ferme les yeux sur tes péchés, ouvre: les tiens sur tes fautes, afin de pouvoir dire à Dieu : « Détournez votre visage de mes iniquités ». Adresse-lui encore ces autres paroles du Psalmiste : « Parce que je reconnais ma faute (1). Si nous confessons nos péchés, il est fidèle et juste pour nous les remettre et pour nous purifier de toute iniquité. Mais si nous disons que nous n'avons point péché, nous le faisons menteur, et sa parole n'est point en nous ». Si tu dis : Je n'ai point commis d'iniquité, tu prétends te faire passer pour véridique, et, par là même tu le fais menteur. En vertu de quoi Dieu serait-il menteur, et l'homme véridique? L'Ecriture ne dit-elle pas formellement le contraire ? « Tout homme est menteur, Dieu seul est véridique (2) ». Par lui-même, Dieu est véridique; si tu l'es, c'est par Dieu, car de toi-même tu es menteur.

7. De ce que l'Apôtre a dit : « Il est fidèle et juste pour nous purifier de toute iniquité », nul n'a le droit de conclure qu'il laisse le péché impuni; les hommes ne sont pas davantage autorisés à dire : Commettons à loisir le péché ; faisons en toute tranquillité ce que nous voulons; le Christ nous purifie de toute iniquité ; il est fidèle et juste pour nous ôter la souillure de nos fautes; en effet, il t'enlève cette pernicieuse sécurité et t'inspire une crainte salutaire. Tu veux jouir d'une tranquillité fausse, sois plutôt en proie à l'inquiétude ; car, s'il est fidèle et juste pour nous pardonner nos péchés, c'est à la condition que tu te déplairas à toi-même et que tu te convertiras au point de devenir parfait. C'est pourquoi tu lis ensuite : « Mes  petits enfants , je vous écris ces choses afin que vous ne vous rendiez point coupables de péché ». Mais peut-être, par suite

 

1. Ps. I, 11, 5.— 2. Rom. III, 4.

 

de la faiblesse humaine, te laisses-tu aller à quelque faute? Qu'en adviendra-t-il? Eh quoi ! y aurait-il lieu de tomber dans le désespoir? Ecoute : « Cependant », dit l'Apôtre, « s'il arrive que quelqu'un pèche, nous avons pour avocat, auprès de Dieu, Jésus-Christ le juste ; et lui-même est la victime de propitiation pour nos péchés ». Il est donc notre avocat; il met tous ses soins à ne pas te laisser périr. Si, en conséquence de ton infirmité naturelle, une fauté vient à t'échapper, reconnais-le aussi vite, repens-toi, sans tarder, de ta faiblesse, et, en même temps, prononce ta condamnation; en te condamnant toi-même, tu n'auras plus aucune crainte de paraître devant le souverain Juge. A son tribunal se trouve pour toi un avocat : donc, ne tremble pas; puisque tu as fait l'aveu de tes péchés, ta cause est bonne. Dans le cours de notre vie, il nous arrive parfois de confier notre défense à une langue exercée, et, par là, on se sauve; tu te confies au Verbe, et tu périrais ! Crie : « Nous avons un avocat auprès de Dieu ».

8. Voyez comme l'apôtre Jean a conservé l'humilité; évidemment, c'était un homme juste, un grand homme; il puisait au coeur de Jésus des secrets mystérieux. Cet homme, oui, cet homme qui, après en avoir puisé la connaissance au coeur du Christ, nous a révélé la divinité en ces termes: « Au commencement était le Verbe, et le Verbe était en Dieu (1) », cet homme n'a pas dit : Vous avez un avocat auprès du Père; mais : « S'il arrive que quelqu'un pèche, nous avons un avocat». Il ne dit point :Vous avez un avocat; ni : Vous m'avez pour avocat; ni : Vous avez un avocat dans le Christ lui-même ; il parle du Sauveur, mais non de sa propre personne: « Nous avons », dit-il, au lieu de dire : Vous avez. Il a mieux aimé se ranger dans le nombre des pécheurs, afin d'avoir Jésus-Christ pour avocat, que d'usurper la place du Rédempteur et de prendre place parmi les orgueilleux destinés à périr. Mes frères, nous avons pour avocat, auprès du Père, Jésus-Christ le juste, et lui-même est la victime de propitiation pour nos péchés. Quiconque a cru à ce point de doctrine, n'est point tombé dans l'hérésie; quiconque s'en est tenu là, n'est point devenu schismatique. Car, d'où viennent les schismes? De ce que les hommes disent : Nous sommes des

 

1. Jean, I, 1.

 

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justes, et qu'ils ajoutent : Nous sanctifions nous-mêmes ceux qui n'ont pas la conscience pure; nous justifions les impies; c'est nous qui demandons et qui obtenons. Pour Jean, que dit-il? « S'il arrive que quelqu'un pèche, « nous avons pour avocat, auprès du Père , Jésus-Christ le juste ». Mais, dira quelqu'un, les saints n'intercèdent-ils pas en notre faveur? Les évêques et ceux qui gouvernent le peuple chrétien ne prient-ils point pour lui ? Remarquez, s'il vous plaît, les paroles de l'Ecriture, et vous verrez que les chefs du peuple se recommandent eux-mêmes à ses prières; car voici ce que l'Apôtre disait à ses disciples : «Vous aussi, priez pour nous (1) ». L'Apôtre prie pour le peuple, et le peuple prie pour l'Apôtre. Nous prions pour vous, mes frères; à votre tour, priez pour nous. Que tous les membres du corps prient les uns pour les autres, et que le chef intercède pour eux tous. Il n'est donc pas étonnant que l'apôtre Jean ajoute quelques mots pour fermer la bouche à ceux qui sèment la désunion dans l'Eglise de Dieu. Il venait de dire . « Nous avons Jésus-Christ le juste ; il est lui-même la victime de propitiation pour nos péchés ». Mais il devait y avoir un jour des hommes qui se diviseraient et diraient : « Le Christ est ici; non, il est là (2) »; des hommes qui voudraient faire voir, dans une portion du troupeau, celui qui l'a racheté tout entier et en possède l'ensemble ; aussi a-t-il immédiatement ajouté . « Et non-seulement pour les nôtres, mais encore pour ceux de tout le monde ». Qu'est-ce à dire, mes frères? Certainement « nous l'avons a trouvée dans les campagnes couvertes de forêts (3) » ; l'Eglise se rencontre au milieu de toutes les nations. Voilà donc que le Christ « est la victime de propitiation pour nos péchés, et non-seulement pour les nôtres, mais encore pour ceux de tout le monde ». Voilà que l'Eglise se trouve dans toutes les parties du monde ; ne te mets donc pas à la remorque de gens qui ne justifient qu'en apparence, et qui, réellement retranchent de l'unité. Place-toi, au contraire, sur cette montagne qui a rempli le monde entier (4); car le Christ est « la victime de propitiation pour nos péchés, et non-seulement pour les nôtres, mais pour ceux de: tout le monde », qu'il a acheté au prix de son sang.

 

1. Coloss. IV, 3.— 2. Matth. XXIV, 13.— 3. Ps. CXXXI, 6.— 4. Dan. II,35.

 

9. « Or », dit Jean, « nous sommes assurés que nous le connaissons, si nous observons ses commandements ». Quels commandements ? « Celui qui prétend le connaître, et qui ne garde pas ses commandements, est un menteur, et la vérité n'est point en lui ». Mais peut-être insisteras-tu à me demander quels sont ces commandements? « Si quelqu'un garde sa parole, l'amour de Dieu est vraiment parfait en lui ». Voyons si ce commandement ne porte pas le nom de charité. Nous cherchions à connaître le commandement du Seigneur, et l'Apôtre nous répond : « Si quelqu'un garde sa parole, l'amour de Dieu est vraiment parfait en lui ». Lis l'Evangile, et tu verras que c'est bien là le commandement du Seigneur. « Je vous donne un commandement nouveau, c'est que vous vous aimiez les uns les autres (1). Nous reconnaissons que nous sommes en lui, si nous sommes arrivés à la perfection qu'il nous recommande ». Jean entend, par là, la perfection dans la charité. Mais en quoi consiste la charité parfaite? A aimer même nos ennemis, à les aimer au point de les regarder comme des frères. Car notre charité pour le prochain ne doit pas être charnelle. Souhaiter à quelqu'un la vie du corps, c'est très-bien; mais si elle vient à lui manquer, que son âme soit, du moins, en sûreté. Tu désires que ton ami vive : en cela, tu agis bien ; mais te réjouir de la mort d'un ennemi, c'est très-mal. Pourtant, il peut se faire que la vie, que tu souhaites à ton ami, lui soit inutile, comme la mort de ton ennemi, dont tu conçois une joie si vive, peut lui être de quelque avantage. Que cette vie soit utile ou non à tel ou tel homme, nous l'ignorons ; mais nous ne saurions mettre en doute l'utilité de la vie que l'on puise en Dieu. Chéris donc tes ennemis jusqu'à désirer les avoir pour frères; aime-les au point de vouloir former avec eux une société étroite. Ainsi les a aimés Jésus en croix, au moment de mourir, car il a dit : « Père, pardonnez-leur, ils ne savent ce qu'ils font (2) ». Il ne s'est pas exprimé de cette manière : Père, accordez-leur de vivre longtemps : ils me font mourir, mais puissent-ils vivre eux-mêmes ! Voici ses propres paroles : « Pardonnez-leur, ils ne savent ce qu'ils font ». Il écartait de leur personne la mort éternelle : par une

 

1. Jean, XIII, 34.— 2. Luc, XXIII, 34.

 

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prière toute miséricordieuse et en vertu de sa puissance souveraine. Beaucoup d'entre ses bourreaux crurent en lui, et obtinrent ainsi le pardon du crime qu'ils avaient commis en répandant son sang. Ils l'avaient d'abord répandu en faisant mourir le Christ; ils l'ont bu ensuite, lorsqu'ils se sont soumis à la foi. « Nous savons que nous sommes en lui, si nous sommes arrivés à la perfection qu'il nous commande ». En parlant de cette perfection qui consiste à aimer nos ennemis, le Sauveur s'exprime en ces termes : « Soyez donc parfaits, comme votre Père céleste est parfait (1) ». Aussi, « celui qui dit qu'il demeure en Jésus-Christ, doit marcher lui-même comme Jésus-Christ a marché ». Eh quoi ! mes frères, que nous enseigne l'Apôtre? « Celui qui dit qu'il demeure en lui », c'est-à-dire en Jésus-Christ, « doit  marcher lui-même comme Jésus-Christ a  marché ». Nous recommande-t-il par hasard de marcher sur les flots de la mer ? Non, évidemment. Par là, Jean nous avertit donc de marcher dans le chemin de la justice. Quel est ce chemin? Je l'ai déjà dit. Le Christ était attaché à la croix, et néanmoins il marchait dans ce chemin, qui n'est autre que celui de la charité : « Père, pardonnez-leur, car ils ne savent ce qu'ils font ». Par conséquent, si tu as appris à prier pour ton ennemi, tu marches sur les traces du Sauveur.

10. « Mes bien-aimés, ce que je vous écris n'est pas un commandement nouveau c'est le commandement ancien que vous avez reçu dès le commencement ». Qu'est-ce que l'Apôtre entend par le commandement ancien? « Celui que vous avez reçu dès le commencement ». Il est donc ancien, parce que vous l'avez déjà entendu : autrement, Jean serait en contradiction avec le Christ, car Jésus a dit : « Je vous donne un commandement nouveau, c'est de vous aimer les uns les autres ». Mais pourquoi est-ce un commandement ancien ? Ce n'est point parce qu'il aurait été donné au vieil homme. Pourquoi donc ? « C'est celui que vous avez reçu dès le commencement. Ce commandement ancien, « c'est la parole que vous avez entendue ». Il est donc ancien, parce que vous l'avez déjà entendu. Et ce même commandement, Jean nous le montre comme nouveau : « Et, néanmoins », dit-il, « le commandement, dont

 

1. Matth. V, 48.

 

je vous parle est nouveau ». Je ne parle pas d'un autre, c'est bien à celui qu'il avait appelé ancien, qu'il donne le nom de nouveau. Pourquoi cela? « Ce qui est vrai en Jésus-Christ et en vous ». Vous venez d'entendre le motif pour lequel ce commandement est ancien: c'est que vous le connaissiez déjà. Mais pourquoi est-il nouveau? « Parce que les ténèbres sont passées, et que la vraie lumière luit maintenant ». Voici donc la raison de sa nouveauté. Le vieil homme était plongé dans les ténèbres, mais la lumière s'est faite pour l'homme nouveau. Que dit l'apôtre Paul ? « Dépouillez-vous du vieil homme, et revêtez-vous de l'homme nouveau (1) ». Que dit-il encore ailleurs ? : « Vous étiez autrefois ténèbres, mais vous êtes devenus lumière dans le Seigneur (2) »

11. « Celui qui prétend être dans la lumière » (ici, Jean met sa pensée dans tout son jour) , « Celui qui prétend être dans la lumière, et qui hait son frère, est encore dans les ténèbres ». Donc, mes frères, jusques à quand serons-nous forcé de vous dire : « Aimez vos ennemis (3) ? » Prenez bien garde, car ce serait pour vous le comble du malheur, de haïr vos frères mêmes. Si vous vous borniez à aimer vos frères, vous ne seriez pas encore parfaits; mais si vous les détestez, qu'êtes-vous ? Où en êtes-vous ? Que chacun d'entre nous s'examine à fond; ne conservons nulle rancune contre notre frère, parce qu'il aurait prononcé contre nous quelque dure parole; pour une revendication de terrain, ne devenons pas terreux. Si quelqu'un hait son frère, il ne doit pas prétendre qu'il marche dans la lumière. Que dis-je ? Il ne doit pas prétendre qu'il marche dans le Christ. « Celui qui dit qu'il est dans la lumière et qui hait son frère, est encore dans les ténèbres ». Un païen, n'importe lequel, est devenu chrétien ; soyez attentifs : quand il était dans le paganisme, il était dans les ténèbres; il est maintenant chrétien, Dieu en soit loué; nous l'en félicitons tous, et nous répétons ces paroles de congratulation prononcées par l'Apôtre : « Vous étiez autrefois ténèbres, mais vous êtes devenus lumière dans le Seigneur ». Il adorait des idoles, et il adore Dieu ; il se prosternait devant l'ouvrage de ses propres mains, et il fléchit le genou devant sors Créateur. Il est devenu

 

1. Coloss. III, 9, 10.— 2. Ephés. V, 8.— 3. Matth. V, 44.

 

 

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tout autre : que Dieu soit loué; tous les chrétiens le félicitent. Pourquoi ? Parce qu'il adore le Père, le Fils et le Saint-Esprit, et qu'il déteste les démons et les idoles. Jean éprouve encore des inquiétudes au sujet de cet homme ; et tandis que les autres se livrent à la joie, il ressent encore de secrètes appréhensions. Mes frères, partageons largement la sollicitude de notre mère; car, malgré l'allégresse des autres, elle se tourmente avec raison à notre endroit; cette mère est, selon moi, la charité, qui remplit le coeur de Jean et lui dicte ces paroles. Pourquoi? sinon parce qu'il redoute de nous trouver en un certain état, lors même que nos semblables nous félicitent? Quel est cet état où il craint de nous voir ? « Celui qui dit qu'il est dans la lumière ». Quel est le sens de ces paroles? Celui qui dit qu'il est chrétien, « et qui déteste son frère, est encore maintenant plongé dans les ténèbres ». Inutile d'expliquer la pensée de l'Apôtre ; réjouissons-nous, si elle ne se réalise pas en notre personne, mais pleurons, si elle s'y vérifie.

12. « Celui qui aime son frère demeure dans la lumière, et le scandale n'est point en lui ». Je vous en conjure par le Christ; puisque Dieu pourvoit à notre nourriture; puisque nous réparerons nos forces corporelles au nom du Sauveur ; qu'elles sont déjà réparées, et qu'elles le seront encore bientôt davantage : n'oublions point d'alimenter aussi notre âme. Si je m'exprime ainsi, ce n'est pas que je veuille vous entretenir longtemps encore, parce que nous sommes arrivés à la fin de la leçon ; mais je crains que la fatigue nous ennuie et nous empêche d'écouter avec attention, car il nous est indispensable de rester attentifs. « Celui qui aime son frère, demeure dans la lumière, et le scandale n'est point en lui n. Qui sont ceux qui deviennent victimes ou causes de scandale ? ceux pour qui le Christ et l'Eglise sont un sujet de scandale. Ceux qui se scandalisent du Christ, sont comme brûlés par le soleil ; et ceux qui se scandalisent de l'Eglise, sont comme brûlés par la lune. Le Psalmiste s'est exprimé ainsi : « Tu ne redouteras point, durant le jour, les ardeurs du soleil, ni, pendant la nuit, celles de la lune (1) ». C'est-à-dire : si tu conserves la charité, tu ne trouveras de sujet de scandale,

 

1. Ps. CXX, 6.

 

ni dans le Christ, ni dans l'Eglise, et tu ne te sépareras ni de l'un, ni de l'autre. Celui qui se sépare de l'Eglise , qui n'est plus membre du Christ, peut-il lui appartenir ? Comment serait-il dans le Christ, s'il ne fait plus partie de son corps? Ceux-là donc sont des victimes de scandale qui rompent avec le Christ ou avec l'Eglise. Par là, il nous est facile de comprendre que si le Psalmiste a dit : « Tu ne redouteras point, durant le jour, les ardeurs du soleil », c'est que ces ardeurs marquent le scandale. Remarque d'abord leurs points de ressemblance. Celui qui brûle, s'écrie : Je n'y tiens plus, je ne puis endurer ce supplice; et il s'efforce de s'y soustraire. Ainsi en est-il de ceux à qui déplaisent certaines choses ecclésiastiques, et qui renoncent, en conséquence, soit à Jésus, soit à l'Eglise ; ils souffrent du scandale. De fait, voyez s'ils n'ont pas enduré un supplice pareil à Celui que produisent les ardeurs du soleil , ces hommes charnels auxquels le Christ parlait de sa chair, et disait : « Celui qui ne mangera pas la chair du Fils de l'homme, et ne boira pas son sang, n'aura point la vie en lui ». Près de soixante-dix hommes répondirent : « Ces paroles sont dures », et ils s'éloignèrent de lui; il n'y en eut que douze pour lui rester fidèles; le soleil consuma tous les autres ; aussi s'éloignèrent-ils, ne pouvant supporter la force des paroles du Sauveur. Les disciples qui lui demeurèrent fidèles, furent donc au nombre de douze seulement. Le monde aurait pu croire qu'en ajoutant foi aux paroles du Christ, ils l'honoraient beaucoup plus qu'ils n'en retiraient eux-mêmes d'avantage ; pour lui ôter cette fausse idée, le Sauveur leur dit, lorsqu'il se vit seul avec eux : « Vous aussi, voulez-vous me quitter ? » Apprenez que je vous suis indispensable, et que vous ne m'êtes pas nécessaires. Comme le soleil ne les avait pas brûlés de ses feux, ils lui répondirent par l'organe de Pierre : « Seigneur, vous avez la parole de la vie éternelle où irions-nous (1) ? » Quels sont ceux que l'Eglise consume, comme la lune pendant la nuit? Ceux qui ont fait schisme. Ecoute ces paroles contenues dans les Epîtres de Paul : « Qui est faible, sans que je sois faible avec lui? Qui est scandalisé sans que je brûle (2)? » Pourquoi n'y a-t-il pas de scandale en celui

 

1. Jean, VI, 54-69.— 2. II Cor. XI, 29.

 

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qui aime son frère? Parce que le chrétien, qui aime son frère, supporte tout pour conserver l'unité ; car, dans les liens de la charité se trouve l'amour de nos frères. Tu es offensé par je ne sais qui, par un méchant, par un homme que tu supposes mal disposé ou que tu accuses indûment d'être tel, et, pour lui, tu te sépares d'un si grand nombre de bonnes gens ? Est-ce aimer ses frères, que les aimer à la manière des Donatistes? Les Africains leur ont semblé coupables : à cause de cela, fallait-il se séparer du reste de l'univers? N'y avait-il donc plus de saints dans le monde ? Pouviez-vous, d'ailleurs, condamner leurs adversaires sans les entendre ? Ah, si vous aimiez vos frères, il n'y aurait point de scandale en vous. Ecoute ce que dit le Psalmiste : « Paix abondante à ceux qui aiment votre loi ; ils n'ont aucun sujet de scandale (1) » . Il promet à ceux qui aiment la loi de Dieu, de jouir d'une grande paix et de n'avoir aucune occasion de se scandaliser. Ceux-là donc qui se scandalisent, perdent la paix. Et quels sont, à son avis, ceux qui ne deviennent ni victimes ni causes de scandale? Ceux qui aiment la loi de Dieu : ils se trouvent donc au sein de la paix. Mais, remarquera quelqu'un, le Psalmiste parle, non de ceux qui aiment leurs frères, mais de ceux qui aiment la loi de Dieu. Ecoute ce que dit le Seigneur : « Je vous donne un commandement nouveau, c'est de vous aimer les uns les autres » . Qu'est-ce qu'une loi, sinon un commandement ? Comment donc se fait-il qu'il faille se supporter les uns les autres,, pour ne pas être scandalisé ? Le voici : « Supportez-vous mutuellement dans le sentiment de la charité », dit l'apôtre Paul : « Efforcez –vous de conserver l'union des esprits dans les liens de la paix (2) ». Et comme telle est la loi du Christ, le même Apôtre va te recommander cette loi elle-même ; écoute-le bien : « Portez les fardeaux les uns des autres, et ainsi accomplirez vous la loi du Christ (3) ».

13. « Mais celui qui hait son frère, est dans les ténèbres ; il marche dans les ténèbres, et il ne sait où il va ». Importante réflexion, mes frères : remarquez-la bien, je vous en prie. « Celui qui hait son frère, marche dans les ténèbres, et il ne sait où il va, parce que les ténèbres l'ont aveuglé ». Y a-t-il des

 

1. Ps. CXVIII, 165.— 2. Ephés. IV, 2, 3.— 3. Galat. VI, 2.

 

gens aussi aveugles que ceux qui détestent leurs frères ? La preuve de leur cécité, c'est qu'ils se sont buttés contre la montagne. Je vous répète les mêmes choses, pour que vous n'en perdiez pas le souvenir. Est-ce que cette pierre, qui s'est détachée de la montagne sans le secours de mains d'homme, est-ce que le Christ n'est point sorti du peuple juif sans la coopération d'un père charnel? Cette pierre n'a-t-elle pas écrasé tous les royaumes du monde , c'est-à-dire toute la puissance des idoles et des démons ? N'est-elle pas devenue grande ? N'est-elle pas devenue une immense montagne qui a rempli toute la terre (1) ? Montrons-nous du doigt cette montagne, comme on essaierait de montrer à des hommes la pleine lune? Par exemple, quand des hommes veulent voir la nouvelle lune, ils disent : Voilà la lune, voilà où elle se trouve. Et s'il en est là qui ne puissent apercevoir son faible croissant, et qui disent : Où donc ? On dirige le doigt du côté où elle se montre pour la leur faire voir : il arrive, parfois, qu'ils n'aperçoivent rien, mais dans la crainte de passer pour des aveugles, ils affirment qu'ils l'ont vue distinctement. Mes fières, montrons-nous l'Eglise de la même façon ? Ne s'étale-t-elle pas au grand jour ? N'apparaît-elle pas à tous les yeux ? N'a-t-elle pas réuni, dans son giron, toutes les nations de l'univers ? Ne voyons-nous point en elle l'accomplissement de la promesse faite à Abraham tant d'années auparavant , à savoir que tous les peuples seraient bénis en. celui qui sortirait de lui'? Cette promesse n'a été faite qu'à un seul fidèle : et le monde s'est rempli de milliers de fidèles. Voilà cette montagne qui occupe toute la surface de l'univers, voilà cette ville dont il a été dit : « Une ville, placée sur une montagne, ne peut être cachée (3) ». Pour les Donatistes, ils se buttent contre la montagne. Quand on leur dit : Montez, ils répondent Il n'y a pas de montagne ; ils aiment mieux se heurter contre la montagne, que chercher une place dans l'Eglise. Hier, on vous a lu Isaïe ; ceux d'entre vous qui tenaient ouverts non-seulement leurs yeux, mais aussi leurs oreilles, les oreilles de leur esprit surtout, ont remarqué ce passage : « Dans les derniers jours, la montagne où habite le. Seigneur sera élevée au-dessus des collines, sur le sommet des montagnes ». Est-il rien d'aussi

 

1. Dan. II, 34, 35.— 2. Gen. XXII, 18.— 3. Matth. V, 14.

 

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visible qu'une montagne ? Il y a, néanmoins, des montagnes inconnues , parce qu'elles n'occupent qu'un seul endroit du monde. Quelqu'un, parmi vous, connaît-il le mont Olympe ? Ses habitants ne connaissent pas mieux notre Giddabam. Ces montagnes n'occupent donc que des parties isolées de l'univers ; mais il n'en est pas de même de celle-ci, car elle s'étend d'un bout du monde à l'autre, et il est dit d'elle : « Elle sera élevée sur le sommet des montagnes ». C'est une montagne qui surpasse en hauteur toutes les autres : « C'est pourquoi », ajoute Isaïe, « tous les peuples s'y réuniront en foule (1) ». Qui est-ce qui s'égare sur cette montagne ? Qui est-ce qui se brise la tête en se buttant contre elle ? Quelqu'un ignore-t-il que la cité est assise sur les monts ? Ceux qui détestent Murs frères, l'ignorent ; mais ne vous en étonnez point, car ils marchent dans les ténèbres et ne savent où ils vont : les ténèbres les ont aveuglés. Ils n'aperçoivent pas la montagne n'en sois nullement surpris, ils n'ont pas d'yeux. Et pourquoi n'en ont-ils point ? Parce que les ténèbres les ont aveuglés ? Où en est la preuve ? C'est qu'ils haïssent leurs frères : c'est qu'ayant à se plaindre des Africains, ils se séparent du reste du monde, parce que, pour conserver la paix du Christ, ils ne peuvent se résoudre à supporter des hommes qu'ils calomnient, tandis que, pour soutenir le parti de Donat, ils supportent des gens qu'ils condamnent.

 

1. Isa. II, 2.

 

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DEUXIEME TRAITÉ.

DEPUIS CE VERSET: « JE VOUS ÉCRIS, MES PETITS ENFANTS, PARCE QUE VOS PÉCHÉS VOUS SONT « REMIS AU NOM DE JÉSUS-CHRIST », JUSQU'A CELUI-CI : « CELUI QUI A FAIT LA VOLONTÉ DE « DIEU, DEMEURE ÉTERNELLEMENT, COMME IL DEMEURE LUI-MÊME PENDANT TOUTE L'ÉTERNITÉ ». (Chap. II, 12-17.)

LA CHARITÉ, SOURCE DE LUMIÈRES.

 

Le Sauveur est mort, mais il est ressuscité et il a fondé son Eglise : cette Eglise est répandue parmi toutes les nations ; si les hérétiques ne la voient pas, c'est qu'ils sont plongés dans les ténèbres du péché : s'ils ne sont pas en union avec elle, c'est qu'ils n'ont pas la charité. Voulons-nous bien connaître Dieu, aimons-le ; mais que notre amour pour lui soit dégagé de l'amour exclusif du monde : pour nous préserver de cet amour adultère des créatures, jetons les yeux sur le Sauveur : il nous apprendra, de parole et d'exemple, ce que nous devons dire et faire au moment où il nous tentera.

 

1. Les passages de nos saints livres dont on nous fait lecture, sont destinés à nous instruire et à nous sanctifier ; aussi devons-nous les écouter avec la plus sérieuse attention. Mais s'il en est parmi eux que nous devions plus particulièrement graver dans notre mémoire, ce sont ceux à l'aide desquels il est plus aisé de réfuter les hérétiques; car ils ne cessent, par leurs insidieuses erreurs, de circonvenir les plus faibles et les plus insouciants d'entre les chrétiens. Ne l'oubliez pas : notre Seigneur et Sauveur Jésus-Christ est mort et ressuscité pour nous ; oui, il est mort à cause de nos fautes, et il est ressuscité pour notre justification (1). Ainsi, tout à l'heure vous avez  entendu que les disciples dont il avait fait la rencontre avaient les yeux comme fermés et ne pouvaient le reconnaître. Au moment où il les avait joints, ils n'avaient plus de confiance en la rédemption du Christ; à leur sens, l'homme, en lui, avait souffert et il était mort; mais ils étaient loin de penser que, comme Fils de Dieu, il fût encore vivant; à les entendre, il était si bien mort, que jamais il ne reviendrait à la vie, pareil en cela aux Prophètes du nombre desquels il leur semblait faire partie. Voilà le sens de leur conversation; voilà ce que vous avez entendu tout à l'heure si vous étiez attentifs à ce qu'on nous lisait. Alors Jésus leur fit connaître le sens caché des Ecritures commençant par

 

1. Rom. IV, 25.

 

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Moïse et continuant par tous les Prophètes, il leur montra que toutes les circonstances de sa passion avaient été annoncées par avance ; son dessein, en cela, était d'empêcher que la résurrection du Seigneur vînt à les ébranler davantage encore lorsqu'elle leur serait connue; il voulait aussi préserver leur foi d'un affaiblissement plus complet, en leur faisant voir que tous ces événements avaient été prédits dès longtemps. Ce qui donc affermit particulièrement notre foi, c'est que tous les événements de la vie et de la mort du Christ ont été prédits. Les disciples ne le reconnurent qu'à la fraction du pain ; de fait, quiconque ne boit ni ne mange son jugement, reconnaît le Christ à la fraction du pain (1). Plus tard, les onze disciples eux-mêmes s'imaginèrent voir un fantôme; après s'être livré aux Juifs pour être crucifié, le Sauveur s'offrit à ses Apôtres pour être touché; pour être mis à mort par ses ennemis et pour être touché par ses amis; et c'était pour les guérir tous, ceux-là de leur impiété, ceux-ci de leur incrédulité. La lecture des Actes des Apôtres vous a fait connaître combien d'hommes, parmi les bourreaux du Christ, ont cru en lui (2). Si ceux qui l'ont mis à mort ont ensuite cru en lui, ceux qui éprouvaient à son égard un doute de quelques instants, devaient-ils lui refuser l'hommage de leur foi? Néanmoins (et vous devez remarquer particulièrement et vous souvenir que Dieu a voulu nous faire trouver dans les Ecritures le plus solide soutien de notre foi ; car quiconque prétend aujourd'hui ;être considéré comme chrétien, respecte ces saints livres au moins dans ses paroles) ; néanmoins, après s'être offert à ses disciples pour en être touché, il aurait cru ne pas les avoir assez profondément convaincus, s'il ne leur avait encore apporté le témoignage des Ecritures. En effet, nous qui devions venir plus tard, nous étions présents à sa pensée; et puisque nous ne pouvons le toucher, nous avons du moins sous les yeux la preuve écrite de sa nouvelle vie. Ses disciples ont cru en lui parce qu'ils l'ont possédé au milieu d'eux et touché de leurs mains. Et nous, quelle sera la cause de notre foi? Jésus est maintenant au ciel, et il n'en descendra qu'à la fin des temps, pour juger les vivants et les morts; qu'est-ce donc qui nous portera à croire en lui, sinon le

 

1. Cor. XI, 29.— 2. Act. II, 41.

 

motif qu'il a voulu mettre à leur disposition, lors même qu'ils le touchaient déjà de leurs mains? De fait, il leur donna le sens des Ecritures, leur montrant qu'il fallait que le Christ souffrît, et qu'en lui fût accompli ce. qui avait été écrit de lui dans la loi de Moïse, dans les Prophètes et les Psaumes; il épuisa ainsi tous les passages de l'Ancien Testament tout ce qu'ils renferment nous parle du Christ, à condition pourtant de rencontrer en nous des oreilles attentives. Le Sauveur ouvrit donc à ses disciples le sens des Ecritures, afin de les leur faire comprendre, et si nous avons une prière à lui adresser, c'est qu'il veuille bien aussi éclairer notre entendement.

2. Le Seigneur leur fit voir ce qui était écrit de lui dans la loi de Moïse, dans les Prophètes et les Psaumes ; mais qu'est-ce qui y était écrit? Que leur montra-t-il? Il va nous le dire lui-même. L'Evangéliste résume en peu de mots tous ces passages des livres saints, et nous fait ainsi brièvement connaître ce que nous devons croire et la manière dont nous devons le comprendre. Les pages et les livres qui composent nos Ecritures sont en grand nombre, et tous renferment ce que le Christ a dit, en quelques mots, à ses disciples. Que leur a-t-il dit ? Ecoute : « Il fallait que le Christ souffrît et ressuscitât le troisième jour ». Tu es donc déjà instruit de ce qui concerne l'époux : « Il fallait que le Christ souffrît et ressuscitât ». Voilà pour l'époux. Voyons maintenant ce qu'il a dit de l'épouse; alors, quand tu auras appris à connaître l'époux et l'épouse, tu ne viendras pas aux noces sans savoir pourquoi. Toute fête chrétienne est une cérémonie nuptiale: on y célèbre les noces de l'Eglise. Le fils d'un roi doit se marier, et ce fils de roi est roi lui-même; tous ceux qui assistent à la solennité, sont l'épouse qu'il doit prendre. Hyménée bien différent des noces charnelles où l'on voit, d'une part les assistants, et de l'autre celle qui contracte l'union conjugale; dans l'Eglise, en effet, ceux qui fréquentent nos solennités deviennent eux-mêmes l'épouse, à condition d'y bien assister; car toute l'Eglise est l'épouse du Christ; la chair du Christ en est le chef et les prémices; l'époux et l'épouse y sont unis dans la chair. Pour appeler l'attention de ses disciples sur ce mystère de son corps, Jésus rompit le pain, et ce fut avec raison qu'à la fraction du pain les disciples ouvrirent les (174) yeux et le reconnurent. Au dire du Sauveur, qu'est-ce qui était écrit de lui dans la loi de Moïse, dans les Prophètes et les Psaumes ? «Il fallait que le Christ souffrit et ressuscitât». S'il n'avait ajouté: « et ressuscitât », ces hommes dont les yeux étaient fermés se seraient chagrinés justement; mais il avait été prédit « qu'il ressusciterait ». Pourquoi cela? Pourquoi fallait-il que le Christ souffrît et ressuscitât? A cause du psaume que nous avions si particulièrement recommandé à votre attention mercredi, jour de la semaine dernière où nous nous sommes réunis pour la première fois : « Les peuples les plus éloignés se souviendront du Seigneur et se tourneront vers lui; toutes les nations se prosterneront devant lui et l'adoreront (1) ». Sachez qu'il fallait « que le Christ souffrît et ressuscitât ». En effet, après nous avoir parlé de l'époux, en quels termes nous parle-t-il de l'épouse ? Qu'ajoute-t-il ? « Et qu'on prêchât en son nom la pénitence et la rémission des péchés à tous les peuples, en commençant par Jérusalem ». Vous avez entendu, mes frères ; n'oubliez pas. Personne ne peut douter qu'il soit ici question de l'Eglise, puisqu'elle se trouve dans tous les pays; encore une fois, le doute n'est permis à personne, puisqu'elle a pris naissance à Jérusalem, et que de là elle s'est répandue par toute la terre. Nous savons en quel champ la vigne a été plantée ; mais depuis qu'elle est devenue grande, nous ne la distinguons plus des autres, car on la voit partout. Où l'Eglise a-t-elle commencé ? « A Jérusalem ». Jusqu'où s'est-elle étendue ? « Jusqu'aux extrémités du monde ». Des peuples en petit nombre sont encore en dehors de son domaine; plus tard, ils lui appartiendront tous. En attendant qu'elle exerce sur eux tous sa puissance, le maître de la vigne voyant que certains sarments étaient inutiles, a jugé à propos de les couper; de là des hérésies et des schismes. Puissent ces malheureux sarments, retranchés du cep, ne point vous entraîner avec eux ; car vous en seriez aussi séparés ; exhortez plutôt ces branches mortes à se regreffer sur le pied de vigne auquel elles n'appartiennent plus. II est évident que le Christ a souffert, qu'il est ressuscité et monté au ciel; l'Eglise a paru, puisqu'on prêche en son nom la pénitence et la rémission des péchés parmi tous les peuples.

 

1. Ps XXI, 28.

 

Où a-t-elle commencé? « En commençant par Jérusalem ». L'insensé entend, l'homme léger ne voit rien ; pourrais-je lui donner un autre nom que celui d'aveugle, puisqu'il n'aperçoit point cette immense montagne, puisqu'il ferme les yeux pour ne pas contempler le flambeau placé sur le candélabre ?

3. Quand nous leur disons: Si vous êtes chrétiens catholiques, mettez-vous donc en communion avec cette Eglise qui évangélise toute la terre; vivez en accord avec cette Jérusalem ; quand nous leur parlons ainsi, ils nous répondent : Nous ne communiquons pas avec cette ville où notre roi a .été. mis à mort, où Notre-Seigneur a été assassiné comme s'il était question de la cité déicide où est mort notre Sauveur ! Les Juifs ont crucifié Jésus pendant qu'il vivait sur la terre; ceux-ci le maudissent, maintenant qu'il règne dans les cieux. Quels sont les plus méchants? Ceux qui l'ont méprisé parce qu'ils le croyaient un pur homme, ou ceux qui rejettent ses sacrements, quoiqu'ils reconnaissent sa divinité ? Mais oui, ils détestent la ville témoin du meurtre de leur Dieu. Les hommes pieux et pleins de tendresse ! Ils pleurent amèrement sur la mort violente du Christ, et ils ne craignent pas de le tuer dans le coeur des hommes ! Pour lui, il a aimé cette ville, et il en a eu pitié; il a dit que la prédication de son Evangile y prendrait naissance : « En commençant par Jérusalem ». Il a établi à Jérusalem le berceau de la prédication de son nom, et tu as horreur de vivre en communion avec cette ville ! Ah ! je ne m'étonne plus que tu la détestes; tu en as été arraché comme de ta racine ! Qu'est-ce que Jésus dit encore à ses disciples ? « Demeurez dans la ville, parce que je vous enverrai bientôt celui que je vous ai promis (1)». Voilà quelle ville ils haïssent. Peut-être l'aimeraient-ils, si les meurtriers du Christ, si les Juifs l'habitaient encore. Or, il est de notoriété publique que tous les assassins de Jésus, c'est-à-dire . les Juifs; en ont été chassés, et la cité qui abrita jadis les bourreaux du Sauveur n'a plus aujourd'hui, pour habitants, que des adorateurs de l'Homme-Dieu. Si donc les hérétiques la détestent, c'est qu'elle ne renferme que des chrétiens. Jésus a voulu que ses disciples y demeurassent, et que l'Esprit-Saint y descendît sur eux. En quel lieu l'Eglise a-t-elle pris

 

1. Luc, XXIV, 13-49.

 

175

 

naissance, si ce n'est là où le Saint-Esprit, venant d'en haut, a rempli de ses, dons les cent vingt personnes qui s'y tenaient ensemble? Le nombre primitif de douze se trouve décuplé. Les cent vingt hommes étant là, le Saint-Esprit descendit du ciel et remplit toute la maison, et l'on entendit comme le bruit d'un vent violent qui s'approchait, et on vit comme des langues de feu qui se partageaient. On vous a lu, tout à l'heure, les Actes des Apôtres, et vous avez entendu précisément le récit de cet événement : « Ils commencèrent à parler diverses langues, selon que l'Esprit-Saint les faisait parler ». Et tous les Juifs de nationalités différentes qui se trouvaient là, reconnaissaient leur propre langage et s'étonnaient que des hommes ignorants et sans lettres eussent appris à parler, non pas une ou deux langues, mais toutes les langues sans exception (1). Dès lors que toutes les langues se faisaient entendre, il était évident que toutes les langues embrasseraient la foi. Mais pour les hérétiques qui aiment le Christ de tout leur coeur et refusent, en conséquence, de se mettre en rapport avec la ville où il a été mis à mort, ils honorent le Christ au point de dire qu'il s'en est tenu à deux langues, la langue latine et la langue punique, ou africaine. Le Christ ne tient-il sous sa puissance que les peuples de, deux langues? C'est à ces deux langues toutes seules que se borne le parti de Donat; il n'y en à pas davantage. Alertes, mes frères; considérons, plutôt le don de l'Esprit de Dieu ; croyons à ce qui a été dit de lui avant sa venue, et reconnaissons comme accompli l'oracle prononcé dès avant lui par le Psalmiste. « Il n'est point de discours, point de langage dans lequel on n'entende cette voix ». Ne t'imagine pas que ces langues aient retenti en un seul lieu; crois plutôt que le don du Christ s'est étendu à toutes langues, car écoute ce qui suit : « Son éclat s'est répandu dans tout l'univers, il a retenti jusqu'aux extrémités de la terre ». Pourquoi cela ? « Parce que Dieu a placé son pavillon dans le soleil (2) », c'est-à-dire à la vue de tous. Son corps, voilà son pavillon ; son pavillon, c'est l'Église ; elle a été placée dans le soleil, non pas au sein des ténèbres, mais à la lumière du jour. Mais pourquoi les hérétiques ne la reconnaissent-ils pas ? Revenez-en à la leçon à

 

1. Act. I, 15 ; II, 1, 12.— 2. Ps. XVIII, 4-6.

 

laquelle nous nous sommes arrêtés hier, et vous remarquerez bien la cause de leur aveuglement: « Celui qui hait son frère marche dans les ténèbres, et il ne sait où il va, parce que les ténèbres lui ont fermé les yeux ». Voyons donc ce qui suit, et nous ne serons point plongés dans les ténèbres. Comment parviendrons-nous à rester dans la lumière ? En aimant nos frères. Et comment prouverons-nous que des sentiments fraternels à l'égard de nos semblables nous animent? En ne détruisant pas l'unité, en conservant la charité.

4. « Je vous écris, mes petits enfants, parce a que vos péchés vous sont remis à cause du « nom de Jésus-Christ ». Vous êtes donc mes petits enfants, parce qu'à votre naissance vos péchés vous sont replis. Mais au nom de qui les péchés sont-ils remis? Serait-ce au nom d'Augustin ? Ce n'est donc pas davantage au nom de Donat. Car qu'est-ce qu'Augustin ? Qu'est-ce que Donat ? Tu le sais. Ce n'est non plus ni au nom de Paul, ni au nom de Pierre. Tandis que quelques-uns se partageaient l'Eglise et tâchaient d'établir des partis aux dépens de l'unité, notre mère, la charité, mettant au mondé des enfants, montrait son sein, déchirait, d'une certaine manière, en paroles, ses mamelles, pleurait les nouveau-nés qu'on arrachait de ses entrailles, s'efforçait de ramener à l'unité de nom ceux qui voulaient lui en substituer plusieurs, les engageait à N'oublier eux-mêmes pour n'aimer que le Christ, et leur disait par l'organe de Paul : « Paul a-t-il été crucifié pour vous? Ou bien « Est-ce au nom de Paul que vous avez été baptisés (1) ? » Que dit-elle par là ? Je ne veux pas que vous soyez à moi, mais je veux que vous soyez avec moi; soyez donc avec moi ; soyons tous à Celui qui est mort et qui a été crucifié pour nous. De là ces paroles de Jean a vos péchés vous sont remis en son nom», et non pas au nom d'un homme, quel qu'il soit.

5. «Je vous écris, pères ».Pourquoi, d'abord, les a-t-il appelés enfants ? « Parce que vos péchés vous sont remis à cause de son nom », et que vous êtes régénérés pour une nouvelle vie. Vous êtes donc enfants. Mais pourquoi pères? « Parce que vous avez connu Celui qui  est dès le commencement ». Car le commencement a rapport à la qualité de père.

 

1. Cor. I, 13,

 

176

 

Comme homme, le Christ est de fraîche date, mais il est ancien en tant que Dieu. Selon nous, à quelle époque remonte son grand âge? quel est le nombre de ses années ? Est-il, à notre avis, plus ancien que sa mère? Oui, certes, il est plus ancien qu'elle; car par lui toutes choses ont été faites (1). S'il a créé toutes choses, il était donc assez âgé pour créer aussi sa mère, pour donner aussi l'être à celle qui devait lui donner la vie du temps. Mais n'existait-il qu'avant sa mère? Il était si ancien qu'il existait même avant les ancêtres de sa mère. Abraham était du nombre des aïeux de Marie, et le Seigneur a dit : « Avant qu'Abraham fût, je suis (2) ». Nous disons qu'il existait avant Abraham. Avant le premier homme ont été faits le ciel et la terre : et, avant eux a été le Seigneur, ou, pour mieux dire, avant eux il est. Pour une raison profondément juste, il a dit, non pas: J'ai été avant Abraham; mais : « Avant qu'Abraham  fût, je suis ». Ce dont on dit: Il a été, n'est plus; et ce dont on dit : Il sera, n'est pas encore. Le Christ ne connaît que l'être. En tant que Dieu, il connaît l'être ; mais il ignore ce que c'est qu'avoir été ou devoir être. Son existence ne compte qu'un jour, mais un jour éternel, mais un jour qui ne peut être ni précédé d'une veille ni suivi d'un lendemain. Lorsque, en effet, le jour d'hier a pris fin, aujourd'hui a commencé pour laisser bientôt sa place à demain. Ce jour unique qui est celui de- Dieu, ne connaît ni ténèbres, ni ombres nocturnes; on n'y compte ni espaces, ni dimensions, ni heures. Dis de lui ce que tu voudras : si tu veux, c'est un jour, une année, des milliers d'années; car il est dit de lui : « Et vos années ne s'écouleront pas (3) ». Mais quand a-t-il reçu le nom de jour ? quand il a été dit au Seigneur: « Je vous ai engendré « aujourd'hui (4) ». Eternellement engendré par son Père, engendré de l'éternité, engendré dans l'éternité, il est sans commencement, sans fin, sans étendue, parce qu'il est ce qui est, parce qu'il est celui qui est. Il s'est ainsi nommé en parlant à Moïse : « Tu leur diras : Celui  qui est m'a envoyé vers vous (5) ». Etait-il donc avant Abraham ? avant Noé ? avant Adam ? Ecoute ce passage de l'Ecriture : « Je vous ai engendré avant l'aurore (6) ». Il était même avant le ciel et la terre. Pourquoi ?

 

1. Jean, I, 3.— 2. Id., VIII, 58. — 3. Ps. CI, 28.— 4. Id. II, 7.— 5. Exod. III, 14.— 6. Ps. CIX, 3.

 

Parce que « toutes choses ont été faites par lui, et que sans lui rien n'a été fait (1) ». Comprenez donc pourquoi Jean emploie le nom de pères : puisqu'on devient père en reconnaissant ce qui est dès le commencement.

6. « Je vous écris, jeunes gens ». Ils sont tout à la fois enfants, pères et jeunes gens enfants, parce qu'ils naissent ; pères, parce qu'ils reconnaissent le principe ; et jeunes gens, pourquoi ? « Parce que vous avez vaincu l'esprit malin ». Aux enfants la naissance, aux pères l'ancienneté, aux jeunes gens la force. Si les adolescents remportent la victoire sur le malin esprit, c'est qu'il lutte avec nous : il nous livre bataille, mais il ne nous met pas hors de combat. Pourquoi?Est-ce parce que nous sommes forts par nous-mêmes, ou parce que nous puisons notre force en celui qui, entre les mains de ses ennemis, s'est montré revêtu de faiblesse ? Celui qui n'a pas opposé la moindre résistance à ses bourreaux, nous a remplis de vigueur; car il a été crucifié selon la faiblesse de la chair, mais il est vivant par la puissance de Dieu (2).

7. « Enfants, je vous écris ». Pourquoi enfants ? « Parce que vous avez connu le Père.  Pères, je vous écris ». Il revient à la charge, pour nous recommander ces paroles: « Parce que vous avez connu Celui qui est dès le principe ». Souvenez-vous que vous êtes pères : si vous oubliez celui qui est dès le principe, vous avez déjà perdu ce beau titre. « Jeunes gens, je vous écris ». Considérez attentivement, oui, considérez bien que vous êtes jeunes ; combattez donc de manière à remporter la victoire : devenez vainqueurs pour mériter la couronne ; soyez humbles, pour ne point périr dans la lutte. « Jeunes gens, je vous écris, parce que vous êtes forts, parce que la parole de Dieu demeure en vous et que vous avez vaincu le malin esprit ».

8. Nous sommes tout cela, mes frères, et parce que nous connaissons ce qui est dès le principe, et parce que nous sommes forts, et parce que nous connaissons aussi le Père, et nous devons y trouver un motif puissant d'acquérir cette science divine; mais ne devons nous pas y trouver encore un motif de charité? Si nous apprenons à connaître, apprenons, de même, à aimer ; car la connaissance, sans

 

1. Jean, C, 3.— 2. II Cor. XIII, 4.

 

 

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l'amour, est incapable de nous conduire au salut. La science enfle, la charité édifie (1). Si vous prétendez confesser de bouche sans aimer, vous ressemblez déjà aux démons. Les démons reconnaissaient hautement le Fils de Dieu, et disaient : « Qu'y a-t-il entre toi et  nous (2) ? » Et ils se voyaient repoussés. Confessez-le, et l'affectionnez. Les démons le craignaient en raison de leurs iniquités. Pour vous, aimez-le, car il vous a pardonné vos fautes. Mais comment pouvons-nous aimer Dieu, si nous aimons le monde ? Il nous dispose donc à devenir la demeure de la charité. Il y a deux amours, celui du monde et celui de Dieu ; si l'amour du monde habite en nous, il n'y a plus de place pour l'amour de Dieu ; que celui du monde s'éloigne de notre cœur, que celui de Dieu y habite; donnons-y place au meilleur des deux; dès lors que tu auras retiré ton âme du milieu des affections terrestres, tu puiseras à la source de l'amour .divin, et alors habitera en toi la charité qui ne peut aucunement engendrer le mal. L'Apôtre émonde maintenant nos coeurs; écoutez donc ses paroles. Pour lui, le coeur humain est comme un champ; mais dans quel état le trouve-t-il ? S'il y rencontre des épines, il les arrache ; si ce champ lui apparaît bien émondé, il y fait une plantation. Il veut y planter un arbre, la charité. Quelles épines veut-il en arracher ? L'amour du monde. Jean veut donc débarrasser le champ de ce malfaisant buisson; écoute-le : « N'aimez point le monde », et il ajoute: « ni ce qui est dans le monde. Si quelqu'un aime le monde, l'amour du Père n'habite point en lui ».

9. Vous l'avez entendu : « Si quelqu'un aime le monde, l'amour de Dieu n'habite point en lui ». Mes frères, que personne d'entre nous ne taxe intérieurement de fausseté ces paroles : elles viennent de Dieu lui-même; en les prononçant, l'Apôtre n'est que l'organe de l'Esprit-Saint ; par conséquent, rien de plus vrai. « Si quelqu'un aime le monde, l'amour de Dieu n'est point en lui ». Veux-tu posséder l'amour de Dieu, pour devenir le cohéritier de son Fils ? N'aime pas le monde, débarrasse-toi de ce misérable attachement aux choses de la terre; ainsi acquerras-tu l'amour de Dieu. Tu es un vase, mais un vase encore plein ; répands au dehors ce que

 

 1. I Cor. VIII, 1.— 2. Matth. VIII, 29.

 

tu contiens, et l'on te remplira de ce que tu ne contiens pas encore. Evidemment nos frères ont reçu dans l'eau et le Saint-Esprit une nouvelle naissance que nous y avons nous-mêmes puisée depuis un certain nombre d'années. Il nous est avantageux à tous de ne pas aimer le monde, car les sacrements serviraient à nous faire condamner, au lieu de nous affermir dans la voie qui mène au salut. Etre affermi dans le chemin du salut, c'est être enraciné dans la charité; c'est avoir la vigueur, et non pas seulement l'apparence de la piété. Cette apparence est déjà précieuse, elle est sainte ; mais à quoi bon l'apparence sans la racine de la charité ? Ne jette-t-on pas au feu le sarment qu'on a retranché du cep ? Aie donc cette forme de la piété, mais qu'elle soit soutenue par la charité. Or, comment vous enraciner de manière a ne pas être déracinés ? Attachez-vous à la charité, selon l'expression de l'Apôtre Paul: « Soyez enracinés et fondés dans la charité (1) ». Et toutefois, par quel moyen s'enracinera-t-elle en nous au milieu des ronces et des épines que l'amour du monde y fait croître en foule ? Arrachez tous ces buissons sauvages : vous devez jeter dans le champ de votre âme une semence qui réclame beaucoup de terrain ; il n'y faut, par conséquent, rien laisser dont cette semence puisse souffrir; voici qui nous aidera à défricher le champ de votre âme ; ce sont les paroles de Jean, précédemment citées: « N'aimez ni le monde, ni ce qui est dans le monde ; si quelqu'un aime le monde, la charité du Père n'est point en lui.

10. « Car tout ce qui est dans le monde, est ou convoitise de la chair, ou concupiscence des yeux, ou orgueil de la vie », trois choses distinctes, « et tout cela ne vient point du Père, mais du monde ; or, le monde passe, et, aussi, sa concupiscence, mais celui qui fait la volonté de Dieu demeure éternellement ». Pourquoi n'aimerais-je pas ce que Dieu a fait? Que veux-tu ? Aimer les choses du temps et passer avec lui, ou ne pas aimer le monde et vivre éternellement avec Dieu ? Il y a danger à se laisser entraîner par le courant des choses de ce temps; mais l'on a vu apparaître comme un arbre, sur le bord de ce fleuve rapide : c'est Notre-Seigneur Jésus-Christ. Il a pris un corps, il est mort,

 

1. Ephés. III, 17.

 

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ressuscité et monté au ciel, il a voulu se planter en quelque sorte sur les rives du fleuve des choses terrestres. Les eaux de ce fleuve te poussent vers l'abîme ? Accroche-toi aux branches de cet arbre. L'amour du monde t'entraîne? Embrasse fortement le Christ ; il est devenu temporel pour toi, afin de te rendre éternel ; car il est devenu temporel, de manière à demeurer lui-même éternel. Il a pris quelque chose du temps, sans rien perdre de son éternité. Pour toi, tu es né dans le temps, le péché t'a rendu temporel; tu es devenu temporel par l'effet de tes fautes ; et lui s'est fait tel en raison de sa miséricorde, afin de te les pardonner. Lorsque deux personnes se trouvent dans la même prison, l'une en qualité de coupable, l'autre pour la visiter, quelle différence y a-t-il entre elles ? Il arrive parfois, en effet, qu'un homme entre dans une prison pour y rendre visite à son ami : on les y voit donc tous les deux en même temps ; mais quelle distance les sépare, et qu'ils sont différents l'un de l'autre ! Celui-ci s'y trouve retenu par sa faute, celui-là y a été amené par un sentiment d'humanité. Ainsi en est-il de notre condition ici-bas; nous y étions captifs en punition de nos crimes; la miséricorde y a fait descendre le Christ; il s'est approché de nous pour briser nos chaînes, et non pour les river. Il a donc répandu son sang, il nous a rachetés, il a complètement changé notre avenir. Nous portons encore le fardeau de notre chair mortelle, mais nous espérons l'immortalité future ; les flots de la mer nous ballottent, mais l'ancre de l'espérance nous tient déjà fixés au port.

11. Mais n'aimons ni le monde, ni ce qui est dans le monde; car ce qui est dans le monde, est « ou convoitise de la chair, ou concupiscence des yeux, ou orgueil de la vie ». Voilà, en trois mots, ce qui est dans le monde; par conséquent, personne ne peut dire : Dieu a fait ce qui est dans le monde, c'est-à-dire le ciel et la terre, la mer, le soleil, la lune, les étoiles, tout ce qui embellit la voûte du firmament. Qu'est-ce qui fait l'ornement de la mer? Tous les poissons. Et,celui de la terre? Les animaux, les arbres, les oiseaux. Tous ces êtres sont dans le monde; c'est Dieu qui les a créés. Pourquoi donc n'aimerais-je pas les créatures du Tout-Puissant? Que l'Esprit de Dieu se trouve en toi, pour te montrer qu'elles sont toutes bonnes ; mais malheur à toi, si tu viens à aimer les créatures et à oublier le Créateur ! Elles t'apparaissent revêtues de beauté ; mais combien plus magnifique est celui qui les a tirées du néant ? Que votre charité le remarque. Des comparaisons peuvent vous instruire, et vous empêcher de croire aux suggestions de Satan, quand il vous dira ce qui se dit d'habitude: Puissiez-vous trouver votre bonheur dans les créatures de Dieu ; car s'il les a faites, n'est-ce point pour votre avantage ? Sur de telles paroles, il en est qui s'enivrent, qui se perdent, qui oublient leur Créateur; car, en usant sans mesure, et suivant toute l'ardeur de leurs convoitises, des choses créées, ils détournent leurs regards de celui qui les a faites. C'est de telles gens que l'Apôtre a dit : « Ils ont adoré et servi la créature plutôt que le créateur, qui est béni dans tous les siècles (1) ». Dieu ne s'oppose pas à ce que tu aimes ses créatures, mais il te défend de les aimer de manière à y trouver ton bonheur ; admire-les, fais-en l'éloge; qu'elles te portent à aimer leur Auteur. Par exemple, mes frères, si un mari donne une bague à son épouse, et que celle-ci préfère la bague donnée en cadeau, au mari qui lui en a fait présent, n'affiche-t-elle pas, à l'égard de ce présent, des sentiments adultères, quoiqu'elle aime l'objet à elle donné par son époux ? Evidemment, oui ; elle aime le présent de son mari ; toutefois, si elle dit : Cet anneau me suffit ; aussi, je ne veux plus voir mon époux, qui est-elle ? Quelqu'un peut-il ne pas condamner une pareille folie ? Ne donne-t-elle pas à tous une preuve convaincante de la culpabilité de ses affections ? Tu donnes tes préférences à l'or de ton mari, au lieu de les donner à ton mari lui-même ; tu aimes, non pas ton époux, mais son anneau. S'il en est ainsi de toi, que tu reportes tes affections, non sur ton époux, mais sur la bague dont il t'a fait présent, et que tu désires ne plus le voir, il t'a évidemment donné des arrhes pour te repousser loin de lui, au lieu d'attacher ton coeur à sa personne. Mais si un époux donne des arrhes, c'est dans l'intention de se faire aimer dans l'objet de sa générosité. Puisque Dieu t'a donné tout ce qui est dans le monde, aime donc l'Auteur de ces diverses créatures. Il veut te communiquer bien plus que tout

 

1. Rom. I, 25.

 

 

cela ; en d'autres termes, il veut te donner celui qui a tiré du néant tous ces êtres, il veut se donner lui-même à toi. Mais si tu affectionnes l'oeuvre de ses mains, et que tu oublies le Créateur pour aimer le monde, les sentiments de ton coeur ne seront-ils pas avec justice regardés comme adultères ?

12. Pour s'appeler monde, il n'y a pas que l'œuvre créée, sortie des mains de Dieu, et qui comprend le ciel, la terre, la mer, les choses visibles et les choses invisibles; sous cette dénomination viennent aussi se ranger ceux qui vivent dans le monde; c'est ainsi que le nom de maison désigne les murs et les habitants d'une demeure. Aussi faisons-nous parfois l'éloge d'un bâtiment , tout en formulant un blâme contre ceux qu'il abrite. Nous disons, en effet : Voilà une bonne maison, parce que le marbre et de superbes lambris s'y rencontrent. Et nous disons encore dans un autre sens : Voilà une bonne maison, parce que personne n'y a d'injustice à souffrir, ni de rapines à endurer, ni de mauvais traitements à supporter. Dans ce dernier cas, l'objet de nos éloges n'est pas la demeure matérielle, ce sont ceux qui l'habitent; l'une et les autres portent néanmoins également le nom de maison. Tous les amateurs du monde habitent le monde, parce qu'ils y fixent leurs affections, comme habitent le ciel ceux dont le coeur est en haut, quoiqu'ils vivent ici-bas: tous les amateurs du monde s'appellent donc le monde; à eux ces trois choses exclusivement, la concupiscence de la chair, la convoitise des yeux et la soif des biens de la terre. Car ils désirent boire, manger, faire l'œuvre de la chair, se rassasier de voluptés. Mais n'y a-t-il pas mesure en cela? Ou quand on dit : N'aimez point le monde, veut-on dire : Ne mangez pas, ne buvez pas,.n'engendrez pas d'enfants? Non, on ne vous dit pas cela; cependant, mettez de la mesure dans vos affections, par respect pour votre Créateur; de la sorte, l'attrait des créatures ne fera point de vous des esclaves; vous ne les aimerez pas comme votre bien propre, car vous ne les avez reçues que pour vous en servir. On ne peut savoir où vous en êtes à cet égard, qu'au moment où l'on vous propose de deux choses l'une: celle-ci ou celle-là : la justice ou le bénéfice.— Je n'ai ni de quoi vivre, ni de quoi manger, ni de quoi boire. Eh quoi ! ne peux-tu donc te procurer tout cela sans avoir recours à l'iniquité? Ne vaut-il pas mieux pour toi aimer ce qu'on ne peut te ravir, que te rendre coupable de péché ? Tu sais la somme que tu gagnes, mais tu ne saurais apprécier le dommage porté à ta foi. Voilà donc ce que Jean appelle la convoitise de la chair, c'est-à-dire de toutes les choses qui se rapportent au corps, comme les aliments, l'oeuvre de la chair et toutes autres semblables.

13. « Et concupiscence des yeux ». Par concupiscence des yeux, l'Apôtre entend toute espèce de curiosité. En combien de manières se montre la curiosité? Voyons-nous autre chose dans les spectacles, les théâtres, les mystères du démon, l'art de la magie, les maléfices? Elle va aussi parfois jusqu'à tenter les serviteurs de Dieu, en les portant à vouloir presque faire des miracles, à savoir si Dieu répondra à leurs prières par quelque prodige : c'est là de la curiosité; voilà la concupiscence des yeux: ce sentiment ne vient pas de Dieu. Si le Seigneur t'a communiqué le don des miracles, fais-en; car cette grâce a été mise à ta disposition pour que tu en profites. Quant à ceux qui n'en font pas, ils ne seront point, à cause de cela, exclus du royaume des cieux. Un jour, les Apôtres se réjouissaient de ce que les démons leur étaient soumis; que leur dit Jésus? « Ne vous réjouissez pas de ce que les esprits vous sont soumis; mais réjouissez-vous plutôt de ce que vos noms sont écrits dans les cieux (1) ». Le Sauveur voulait voir les Apôtres puiser leur joie à la source où tu puises la tienne. Car, malheur à toi si ton nom n'est pas écrit dans les cieux ! Mais pourrais-je bien dire: Malheur à toi, si tu n'as ressuscité aucun mort? si tu n'as point marché sur les eaux de la mer? si tu n'as pas chassé de démons? Si tu as reçu le pouvoir d'opérer ces prodiges, use de ce pouvoir humblement, sans orgueil; car le Sauveur a dit, même de certains Prophètes, qu'ils feraient des miracles et des choses étonnantes (2). N'ambitionnons donc pas les avantages du monde; car ce désir immodéré est orgueil; l'homme ambitieux cherche sa gloire dans les honneurs, il se croit grand par cela même qu'il est riche ou qu'il jouit d'une certaine autorité. Voilà les trois passions de l'homme. En dehors de cette convoitise

 

1. Luc, X, 20.— 2. Matth. XXIV, 24.

 

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de la chair, de cette concupiscence des yeux et de cet orgueil de la vie, impossible de trouver pour la cupidité humaine d'autres sources de tentations : c'est sous ce triple rapport que Jésus a été tenté par le démon. Il a éprouvé le désir de la chair, quand, après avoir jeûné, il a eu faim, et que Satan lui a dit : « Si tu es le Fils de Dieu, ordonne à ces pierres qu'elles deviennent du pain ». Mais comment a-t-il éloigné de lui le tentateur? Comment a-t-il appris au chrétien à se battre en soldat? Ecoute avec attention sa réponse : « L'homme ne vit pas seulement de pain,  mais de toute parole qui sort de la bouche de Dieu ». Le Christ a été tenté sur la concupiscence des yeux à propos de miracle, quand le démon lui a parlé en ces termes : « Jette-toi d'en haut, car il est écrit qu'il t'a a confié à ses anges et qu'ils te porteront dans leurs mains, de peur que ton pied ne heurte contre la pierre » . Il a résisté au tentateur, car, en opérant un prodige, il aurait semblé n'agir que parce qu'il cédait aux suggestions du malin esprit ou parce que la curiosité le poussait; il en a fait quand il a voulu, comme Dieu, mais dans le seul but de soulager des infirmes. Si, à l'instigation du démon, il avait opéré un prodige, on aurait eu lieu de croire qu'il avait voulu, en quelque sorte, faire un miracle uniquement pour en faire un; mais pour détourner des hommes une telle pensée, il fit une réponse que tu dois écouter attentivement, afin de la faire aussi toi-même lorsque tu seras en butte à pareille tentation : « Arrière, Satan; car il est  écrit : Tu ne tenteras point le Seigneur ton Dieu ». C'est-à-dire, si je fais ce que tu me dis, je tenterai Dieu. Voilà sa réponse : il veut qu'elle soit aussi la tienne. Lorsque l'ennemi te suggère cette pensée : Quel homme, quel chrétien es-tu? Jusqu'à ce jour, as-tu fait seulement un miracle ? Où sont les morts que tes prières ont fait sortir du tombeau? Quels fiévreux as-tu guéris? En réalité, si tu étais de quelque valeur, tu opérerais quelque prodige. Réponds-lui en ces termes : « Il est écrit : Tu ne tenteras pas le Seigneur ton Dieu ». Je ne tenterai donc pas. Dieu, comme si un prodige opéré par moi devait être la preuve que je lui appartiens; comme si, en ne faisant pas ce miracle, je prouvais que je ne lui appartiens nullement. Où sont ces paroles du Sauveur : « Réjouissez-vous de ce que vos noms sont écrits dans le ciel? » A quel moment le Christ fut-il tenté sur la concupiscence des choses de ce monde? Lorsque le démon le transporta sur un lieu élevé, et lui dit : « Je te donnerai tout a cela, si tu te prosternes devant moi et que tu m'adores ». L'orgueil de posséder un royaume terrestre, tel fut le sentiment que l'esprit de ténèbres voulut inspirer au Roi des siècles. Mais le Dieu qui a fait le ciel et la terre, foula aux pieds une pareille suggestion. Y a-t-il merveille à ce que le Seigneur remporte la victoire sur le démon ? Que répondit-il donc à celui-ci? Ce qu'il veut te voir répondre à ton tour. « Il est écrit : Tu ne tenteras pas le Seigneur ton Dieu (1) ». Tenez-vous-en là, et vous ne serez jamais dominés par la concupiscence des choses du monde; et par cela même que vous serez à l'abri de cette concupiscence, vous ne deviendrez les esclaves ni de la convoitise de la chair et des yeux, ni de l'orgueil de la vie, et vous ferez place à la charité qui s'approchera de vous, et vous aimerez Dieu. Que l'amour du monde habite en votre coeur, l'amour de Dieu ne s'y trouvera pas. Attachez-vous de préférence à aimer Dieu ; Dieu étant éternel, vous demeurerez aussi, comme. lui, éternellement ; car chacun de nous participe à la nature de l'objet qu'il affectionne. Aimes-tu la terre? Tu seras terre. Aimes-tu Dieu? Que te dirai-je ? Tu seras Dieu. Je n'oserais, de moi-même, tenir un pareil langage. Ecoutons les Ecritures : « Moi, j'ai dit : Vous êtes des dieux; vous êtes tous les enfants du Très-Haut (2) ». Si donc, vous voulez être des dieux ou les enfants du Très-Haut, « n'aimez ni le monde, ni ce qui est dans le monde. Si quelqu'un aime le monde, la charité du Père n'est pas en lui. Parce que tout ce qui est dans le monde est concupiscence de la chair, ou convoitise des yeux ou orgueil de la vie, et tout cela ne vient pas du Père, mais du monde », c'est-à-dire de ceux qui aiment le monde. « Or, le monde passe avec sa concupiscence; mais celui qui fait la volonté de Dieu, demeure éternellement, comme éternellement Dieu lui-même demeure ».

 

1. Matth. IV, 1-10.— 2. Ps. LXXXI, 6.

 

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TROISIÈME TRAITÉ.

DEPUIS LES PAROLES SUIVANTES : « MES PETITS ENFANTS, VOICI LA DERNIÈRE HEURE », JUSQU'A CES AUTRES : « SON ONCTION VOUS ENSEIGNE TOUT ». (Chap. II, 18-27.)

L'ANTÉCHRIST.

 

Puisque nous avons trouvé en Jésus-Christ une nouvelle vie, nous devons aussi prendre en lui de l'accroissement, c'est-à-dire, apprendre à le connaître, non-seulement comme homme, mais aussi comme Dieu. Efforçons-nous d'acquérir cette science, car il y a au milieu de nous des antéchrists qui pourraient nous séduire par leurs paroles et surtout par leurs exemples, qui nient la divinité du Sauveur soit doctrinalement soit en pratique. Si nous tenons ferme à ce que la foi nous enseigne relativement au Christ, nous aurons à lutter, mais nous recevrons, pour récompense, la vie éternelle.

 

1. « Mes petits enfants, voici la dernière heure ». Dans cette leçon, l'Apôtre s'adresse à ses disciples, comme à de petits enfants, qu'il exhorte à grandir vite, parce que la dernière heure approche. Le développement du corps est indépendant de la volonté humaine ; aussi ne grandit pas corporellement qui veut, comme on ne vient pas au monde au gré de sa volonté; mais quand on est libre de naître, on peut aussi librement prendre de l'accroissement. Aucun homme ne puise la vie dans l'eau et l'Esprit-Saint, à moins qu'il n'y consente ; d'où il suit que croître et décroître dépendent de sa volonté. Qu'est-ce que croître ? c'est avancer. Et décroître? c'est reculer. Quiconque sait qu'il a pris naissance, doit savoir qu'il est un enfant, et même un enfant en bas âge; qu'il suce évidemment les mamelles de sa mère, et aussitôt il grandira; sa mère, c'est l'Eglise, et les mamelles de sa mère ne sont autres que les deux Testaments des divines Ecritures. Voilà où il nous faut puiser le lait de toutes les merveilles opérées dans le temps pour notre salut, afin que, nourris et fortifiés, nous parvenions à recevoir le nutritif aliment dont il est dit : « Au commencement était le Verbe, et le Verbe était en Dieu, et le Verbe était Dieu (1) » . Le Christ abaissé, voilà notre lait; le même Christ égal au Père, voilà notre aliment solide. Il te donne d'abord du lait, afin de pouvoir, un jour, te donner du pain ; car toucher par le coeur et spirituellement Jésus, c'est apprendre qu'il est égal au Père.

2. Aussi le Sauveur empêchait-il Marie de le toucher, et lui disait-il : « Ne me touche

 

1.  Jean, I, 1.

 

point, car je ne suis pas encore remonté vers mon Père ». Eh quoi ! il avait permis à ses Apôtres de le toucher, et il empêche Marie d'en faire autant ? N'est-il pas celui-là même qui a dit au disciple incrédule : « Mets tes doigts, et touche mes plaies (1)? » Alors était-il déjà remonté vers son Père ? Pourquoi donc arrêter Marie et lui dire : « Ne me touche point, car je ne suis pas encore remonté vers mon Père ? » Dirons-nous qu'il n'a pas craint le contact des hommes, mais qu'il a redouté celui des femmes ? Pour n'importe qui, le toucher, c'est se purifier. A-t-il craint de se laisser toucher par ceux qu'il a voulu rendre les premiers témoins de sa résurrection ? Ne l'a-t-il pas fait connaître aux hommes par l'intermédiaire des femmes, afin de vaincre le serpent par un procédé tout différent du sien? En effet, comme une femme a donné au premier homme la nouvelle de la mort, ainsi une autre femme a-t-elle donné aux hommes la nouvelle de la vie. Si donc le Christ n'a point permis à Madeleine de le toucher, n'est-ce pas évidemment parce qu'il voulait faire allusion à son contact spirituel ? Un tel contact vient d'un coeur pur, et celui-là touche le Christ, avec un coeur pur, qui le regarde comme égal au Père. Pour l'homme qui n'a pas encore l'idée de la divinité du Christ, il est près de l'humanité du Sauveur, mais il se trouve encore loin de sa divinité. Est-ce chose merveilleuse de parvenir où sont parvenus les bourreaux qui l'ont crucifié ? Voici qui est admirable; comprendre que le Verbe Dieu était en Dieu au commencement, et qu'il a fait toutes

 

1. Jean, XX, 17, 27.

 

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choses; avoir de lui l'idée qu'il voulait en donner, lorsqu'il disait à Philippe: «Philippe, je suis avec vous depuis si longtemps, et « vous ne me connaissez pas encore ? Celui qui me voit voit aussi mon Père (1) ».

3. Pour qu'aucun d'entre vous ne soit lent à marcher, écoutez bien ceci : « Mes petits enfants, voici la dernière heure ». Marchez, courez, grandissez ; voici la dernière heure. Cette dernière heure est de longue durée, mais enfin elle est la dernière. Sous le nom d'heure, Jean désigne les derniers temps, car c'est dans les derniers temps que viendra Notre-Seigneur Jésus-Christ. Mais, dira quelqu'un, comment sont-ce les derniers temps ? comment est-ce la dernière heure ? Il est sûr que d'abord l'antéchrist viendra, et qu'alors luira le jour du jugement. L'Apôtre a prévu cette objection ; afin de ne pas laisser les hommes dans une trompeuse sécurité, pour ne pas les laisser croire que l'heure présente n'est pas la dernière heure, sous prétexte que l'antéchrist viendra auparavant, il leur dit : « Et comme vous avez ouï dire que l’antéchrist doit venir, maintenant aussi il y a plusieurs antéchrists ». Pourrait-il y avoir beaucoup d'antéchrists, si la dernière heure n'était pas déjà venue ?

4. A qui Jean donne-t-il le nom d'antéchrist ? Il continue et s'explique : « Ce qui nous fait connaître que voici la dernière heure ». Qu'est-ce qui nous le fait connaître? c'est que plusieurs sont devenus des antéchrists : « Ils sont sortis du milieu de nous ». Nous déplorons ce malheur. Mais voici le motif, de nous consoler : « Mais ils n'étaient pas des nôtres ». Tous les hérétiques, tous les schismatiques sont sortis du milieu de nous; c'est-à-dire ils sortent de l'Eglise, mais ils n'en sortiraient pas s'ils étaient des nôtres. Donc, avant d'en sortir, ils n'étaient déjà pas des nôtres ; et si, avant d'en sortir, ils n'étaient pas des nôtres, il y en a plusieurs dans nos rangs qui n'en sont pas sortis et qui sont néanmoins des antéchrists. Nous osons tenir ce langage; pourquoi? sinon afin qu'aucun de ceux qui se trouvent parmi nous ne soit un antéchrist ? L'Apôtre décrira le caractère des antéchrists, et les désignera clairement, et alors nous les connaîtrons. Et chacun de nous doit interroger sa conscience, et se demander s'il est un antéchrist. En latin, ce mot veut

 

1. Jean, XIV, 9.

 

dire : adversaire du Christ. Quelques-uns lui attribuent un sens différent, et tirent son étymologie de ce qu'il doit précéder le Christ, et de ce que le Christ viendra après lui ; mais ce mot ne doit ni s'interpréter, ni s'écrire en ce sens, mais bien en celui-ci : antéchrists, c'est-à-dire ennemi du Christ. Quel est l'ennemi du Christ? D'après les signes qu'en donne l'Apôtre, vous le voyez, et vous comprenez que l'Antéchrist seul peut sortir de nos rangs; quant à ceux qui ne sont point opposés au Christ, ils ne peuvent nullement le faire. Quiconque n'est pas l'adversaire du Christ, ne fait qu'un avec son corps et compte parmi ses membres, et jamais les membres ne sont opposés l'un à l'autre; l'ensemble du corps se compose d'eux tous. Que dit l'Apôtre de leur mutuelle union? «Dès qu'un membre souffre, tous les autres souffrent avec lui, et si un membre reçoit de l'honneur, tous les autres se réjouissent avec lui (1) ». Si tous les membres se réjouissent, lorsqu'un d'entre eux reçoit de l'honneur, et si tous partagent les douleurs de celui qui souffre, ils sont entre eux si intimement unis, qu'on n'y remarque aucun antéchrist. Il en est qui se trouvent dans l'intérieur du corps de Jésus-Christ; car son corps est encore sujet à l'infirmité, et il ne jouira d'une santé parfaite qu'à la résurrection des morts; il en est, dis-je, qui se trouvent dans l'inférieur du corps de Jésus-Christ, comme de mauvaises humeurs. Quand le corps les évacue, il se porte mieux; de même en est-il des méchants : lorsque l'Eglise les rejette de son sein, elle se voit plus robuste. Au moment où le corps se débarrasse de ces humeurs malsaines et les rejette au loin, le corps tient ce langage : Elles sont sorties de mon sein, mais elles ne faisaient point partie de moi. Qu'est-ce à dire : Elles ne faisaient point partie de moi ? Elles n'ont pas été retranchées de mon corps, mais elles me serraient la poitrine, lorsqu'elles s'y trouvaient.

5. « Ils sont sortis du milieu de nous, mais n, ne vous attristez pas, ils n'étaient point de nous ». La preuve ? « Car s'ils avaient été de nous, ils seraient demeurés avec nous». Que votre charité le remarque donc : il y en a plusieurs qui ne sont pas de nous et qui, néanmoins, reçoivent avec nous les sacrements, le Baptême, ce que les fidèles savent recevoir, la Bénédiction, l'Eucharistie, et tout ce qui se

 

1. I Cor. XII, 26.

 

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trouve dans les saints sacrements ; ils entrent, avec nous, en participation de l'autel lui-même, et ils ne sont pas d'avec nous. Qu'ils ne soient pas d'avec nous, il est facile d'en trouver la preuve au moment où la tentation les éprouve. Quand elle fond sur eux, ils s'envolent au dehors, comme si le vent les emportait, parce qu'ils ne sont pas du grain. Nous devons le leur répéter souvent, ils s'envoleront tous, lorsque au jour du jugement le Seigneur viendra vanner ce que renferme son aire. «Ils sont sortis du milieu de nous, mais ils n'étaient point de nous; s'ils avaient été de nous, ils seraient demeurés avec nous ». Voulez-vous, mes très-chers, vous convaincre de l'indubitable certitude avec laquelle on peut vous dire que ceux qui sont sortis de nos rangs pour y rentrer ensuite, ne sont ni des antéchrists, ni, par conséquent, des adversaires du Sauveur ? Il est impossible à ceux qui ne sont pas des antéchrists de rester loin de nous. C'est par un effet de sa volonté propre que chacun de nous est contre le Christ ou pour le Christ ; nous sommes du nombre de ses membres, ou nous faisons partie des mauvaises humeurs de son corps. Quiconque devient meilleur est un de ses membres, mais l'on se transforme en humeurs mauvaise:, en persévérant dans le mal, et sitôt que l'on s'écarte du corps, ceux que l'on gênait se trouvent soulagés. «Ils sont sortis du milieu de nous, mais ils n'étaient point de nous; s'ils avaient été de nous, ils seraient demeurés avec nous ; mais c'est afin qu'on reconnaisse que tous ne sont pas de nous ». Jean ajoute « Afin qu'on reconnaisse que tous ne sont pas de nous » ; car ils ont beau se trouver dans nos rangs, ils ne sont pas de nous; tant qu'ils y restent, on ne les connaît pas, ruais on les connaît dès qu'ils en sortent. « Pour vous, vous avez reçu l'onction du Saint, afin devons connaître parfaitement les uns les autres ». L'onction spirituelle n'est autre que le Saint-Esprit, et son sacrement consiste dans l'onction extérieure. Suivant l'Apôtre, tous ceux qui ont reçu cette onction du Christ connaissent les boas et les méchants ; pas n'est besoin. pour eux qu'on les instruise à ce sujet ; ils trouvent dans l'onction la source même de la science.

6. « Je ne vous écris pas comme à des hommes qui ignorent la vérité, mais comme à des hommes qui la connaissent et qui savent que nul mensonge ne peut venir de la vérité ». Nous sommes avertis : voilà comment nous reconnaissons l'antéchrist. Qu'est le Christ ? La vérité ; car il a dit lui-même : « Je suis la Vérité (1) ». Or, « nul mensonge ne peut venir de la vérité ». Aussi, tous ceux qui mentent n'appartiennent-ils pas encore au Christ. Jean ne dit point: Quelque mensonge vient de la vérité ; il y a quelques mensonges qui ne viennent pas de la vérité. Remarquez bien la portée de ses paroles : ne vous caressez pas, ne vous flattez pas, ne vous trompez pas, ne vous laissez pas tomber dans l'illusion : « Nul mensonge ne peut venir de la vérité. Comme il y a des mensonges de plus d'une sorte », voyons comment les antéchrists peuvent mentir. « Qui est menteur, sinon celui qui nie que Jésus soit le Christ ? » Autre est la signification du mot Jésus, autre celle du mot Christ : quoique notre Sauveur Jésus-Christ ne soit qu'une seule personne, le nom de Jésus lui appartient néanmoins en propre. Comme Moïse, Elie, Abraham, ont eu leur nom particulier, ainsi Notre-Seigneur a-t-il en propre celui de Jésus : celui de Christ s'applique à une chose mystérieuse. De même qu'on dit un prophète, un prêtre ; de même, en prononçant le mot Christ, c'est comme si l'on disait : Un homme oint, qui doit sauver tout le peuple d'Israël. La nation juive attendait la venue de ce Christ ; et parce qu'il est venu sans apparat, elle ne l'a pas reconnu ; parce qu'il était une petite pierre, elle s'est buttée contre lui, et brisée. La pierre a grossi, elle est devenue une montagne immense (2) . Que dit à son sujet l'Écriture ? « Quiconque heurtera cette pierre, s'y brisera, et elle écrasera celui sur qui elle tombera (3) ». Remarquez bien ces paroles : La pierre brisera celui qui se buttera contre elle, et elle écrasera celui sur qui elle tombera. Pour commencer, et parce que le Sauveur avait apparu tout petit, les hommes l'ont heurté : plus tard, il viendra dans l'éclat de sa grandeur, pour juger le monde, et alors il écrasera celui sur qui il tombera. A son second avènement, il n'écrasera pas celui qu'il n'aura pas brisé lors de sa première venue. Quiconque ne l'aura pas heurté au temps de son humiliation, ne le redoutera pas au temps de sa grandeur. Le Christ est une pierre de scandale

 

1. Jean, XIV, 6.— 2. Dan. II, 35.— 3. Luc, XX, 18.

 

 

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pour tous les méchants : quoi qu'il dise, ses paroles leur déplaisent.

7. Ecoutez-moi , je vous en donnerai la preuve. Evidemment, tous ceux qui sortent de l'Eglise, qui sont retranchés de l'unité de l'Eglise, sont des antéchrists ; personne ne peut en douter : Jean en a fait la déclaration formelle : « Ils sont sortis du milieu de nous, mais ils n'étaient pas de nous ; car, s'ils avaient été de nous, ils seraient demeurés avec nous ». Tous ceux qui ne demeurent pas avec nous, mais qui sortent du milieu de nous, sont donc des antéchrists. Et où se trouve la preuve qu'ils sont des antéchrists ? Dans leur mensonge. « Qui est menteur, si« non celui qui nie que Jésus soit le Christ? » Interrogeons les hérétiques : lequel d'entre eux nie que Jésus soit le Christ ? Que votre charité remarque un grand mystère. Faites attention à ce que le Seigneur Dieu nous aura inspiré, à ce que je voudrais vous faire comprendre. Il en est qui sont sortis de nous, pour devenir les Donatistes. Nous leur demandons si Jésus est le Christ, et aussitôt ils avouent que Jésus est le Christ. Si, pour être antéchrist, il faut nier que Jésus soit le Christ, les Donatistes ne peuvent nous regarder comme des antéchrists, et il nous est tout aussi impossible de formuler contre eux pareille accusation, parce que nous sommes les uns et les autres unanimes à déclarer que Jésus est le Christ. S'ils ne nous désignent pas sous le nom d'antéchrists, et si nous ne leur donnons pas davantage cette épithète, ils ne se sont donc pas plus éloignés de nous, que nous ne nous sommes éloignés d'eux. Et puisque nous ne sommes point séparés les uns des autres, nous sommes en communauté de croyances ; dès lors, à quoi bon deux autels dans cette ville ? Pourquoi les familles et les ménages sont-ils divisés? Pourquoi un lit commun et deux Christs ? L'Apôtre nous avertit; il veut que nous confessions la vérité. Ou bien les Donatistes sont sortis de nos rangs, ou bien nous sommes sortis des leurs. Mais non, nous ne venons pas d'eux, car nous possédons le titre de l'hérédité du Sauveur : nous le lisons, et nous nous y trouvons désignés : « Je te donnerai les nations pour héritage, et la terre pour empire (1) ». On voit chez nous l'héritage du Christ ; on ne le voit pas chez les Donatistes : ils ne sont pas

 

1. Ps. II, 8.

 

en communion avec l'univers, avec tous ceux que le Sauveur a rachetés au prix de son sang. Nous avons pour nous Notre-Seigneur lui-même, car après sa résurrection, ses disciples étant plongés dans le doute, il se montra à eux et leur donna la facilité de le toucher ; et comme leur doute ne se dissipait point, il leur dit : « Il fallait que le Christ souffrît, et qu'il ressuscitât le troisième jour, et qu'on prêchât en son nom la pénitente et la rémission des péchés ». En quel endroit? par où? à qui? « A toutes les nations, en commençant par Jérusalem (1) ». Nous sommes tranquilles : l'unité de l'héritage nous appartient. Quiconque n'est pas en communion avec cet héritage, en est sorti.

8. Mais ne nous affligeons pas : « Ils sont sortis du milieu de nous, mais ils n'étaient  pas de nous, car s'ils avaient été de nous,  ils seraient demeurés avec nous ». S'ils nous ont quittés, ils sont donc des antéchrists; s'ils sont des antéchrists, ils sont des menteurs ; s'ils sont des menteurs, ils nient que Jésus soit le Christ. Nous revenons de nouveau à la difficulté proposée. Interroge-les tous, les uns après les autres : en Jésus, ils reconnaissent le Christ. Les termes dont Jean se sert, ne nous laissent pas le champ libre ; ils sont trop précis pour cela. Vous apercevez certainement la difficulté : pour nous comme pour eux, elle est un. sujet de trouble, si nous n'en avons pas une idée claire. Ou c'est nous qui sommes des antéchrists, ou ce sont les Donatistes : ils nous appliquent cette dénomination, et disent que nous nous sommes séparés d'eux : de notre côté, nous agissons de même à leur égard ; mais l'épître indique le caractère distinctif des antéchrists. Celui-là en est un, qui nie que Jésus soit le Christ. Cherchons donc à savoir qui lui refuse ce titre : ne nous arrêtons pas aux mots : allons droit aux faits. Car, interrogeons-les tous, et tous d'une seule voix, ils nous répondront que Jésus est le Christ. Laissons, pour un moment, leurs langues en paix, examinons leurs couvres. Si nous parvenons à nous assurer de ce que dit l'Écriture, à savoir qu'on peut nier une chose, non-seulement par parole, mais encore par action, nous constaterons, de manière à n'en pas douter, que beaucoup d'antéchrists confessent de bouche le Christ, tandis que, par leur conduite, ils le renient. En quel endroit

 

1. Luc, XXIV, 46, 47.

 

 

de l'Écriture trouvons-nous cette sentence? Écoute l'apôtre Paul ; en parlant de tels hommes, il a dit : « Ils font profession de connaître Dieu, mais ils le renoncent par leurs œuvres (1) ». Nous voyons qu'ils sont eux-mêmes des antéchrists, car quiconque renonce le Christ par sa conduite, en est un. Je n'entends pas ce qu'il dit, mais je vois ce qu'il fait. Ses oeuvres parlent, et nous lui demandons des paroles? Où est, en effet, le méchant qui ne cherche pas à dire de belles choses ? Mais qu'est-ce que le Seigneur dit à des gens de ce caractère ? « Hypocrites, comment pourriez-vous dire de bonnes choses,  puisque vous êtes méchants (2) ? » Vous faites retentir à mes oreilles les accents de votre voix ; moi, j'examine vos pensées secrètes ; j'aperçois en vous des intentions perverses et vous me faites voir des fruits trompeurs. Je sais quelle récolte vous me préparez ; on ne cueille point de figues sur des chardons, et les épines n'ont jamais produit de raisins: on reconnaît tous les arbres à leurs fruits (3). Plus menteur est l'antéchrist, qui fait profession de reconnaître le Christ en Jésus, et qui, par ses actes, refuse de le croire. Il est un menteur, puisqu'il parle d'une manière et agit d'une autre.

9. Par conséquent, mes frères, si nous examinons la conduite des hommes, nous remarquons non-seulement qu'un grand nombre d'antéchrists sont déjà sortis de nos rangs, mais aussi que beaucoup sont encore inconnus, parce qu'ils sont restés, jusqu'à présent, au milieu de nous ; car, tout ce qu'il y a dans l'Église de parjures, de fraudeurs, de scélérats, d'amateurs de sortilèges, d'adultères, d'ivrognes, d'usuriers, d'embaucheurs, de personnes mauvaises qu'il nous est impossible d'énumérer , est opposé à la doctrine du Christ, à la parole de Dieu ; or, le Verbe de Dieu, c'est le Christ, et tout ce qui est opposé au Verbe de Dieu appartient à l'antéchrist, puisque l'antéchrist est l'adversaire du Christ. Et voulez-vous savoir combien ouvertement les méchants résistent au Christ ? Il arrive parfois qu'ils agissent contrairement à leurs devoirs , et que leurs fautes attirent une réprimande : n'osant blasphémer contre le Christ , ils blasphèment contre ses ministres, qui les reprennent de leurs péchés. Montre-leur que tu leur parles au nom du

 

1.  Tit. I, 16.— 2. Matth. XII, 31.— 3. Id. VII, 16.

 

Christ, et non pas au tien ; ils s'efforcent, autant que possible, de te prouver que tes reproches viennent de toi, et non du Christ ; mais si tu parviens à leur démontrer que le Christ lui-même les condamne, ils s'en vont même contre lui, et commencent à le gourmander ; ils s'écrient: Comment et pourquoi nous a-t-il ainsi bâtis? Ne tiennent-ils pas, tous les jours, ce langage, les hommes con. damnés par leur conduite ? Pervertis par le seul fait de leur mauvais vouloir, ils en rejettent la faute sur leur auteur. Du haut du ciel, le Créateur (car celui qui a réparé notre être nous l'a aussi donnée), leur crie : Que t'ai-je fait? J'ai fait l'homme, et non pas l'avarice; j'ai fait l'homme, et non le brigandage; j'ai fait l'homme, et non l'adultère. Tu l'as entendu : mes oeuvres chantent ma gloire ; de la bouche des trois enfants sortait la louange de celui qui les préservait des flammes (1). Les oeuvres du Seigneur publient ses louanges ; le ciel, la terre, la mer les publient, comme aussi tout ce qui est dans le ciel ; les anges, les étoiles, le soleil et la lune, les poissons, les oiseaux, les animaux, les reptiles, tous les êtres louent le Seigneur. Mais as-tu jamais entendu dire que l'avarice chante la gloire de Dieu, que l'ivrognerie, la luxure, le badinage soient un hymne en son honneur ? Rien de ce que tu n'entends pas louer le Tout-Puissant, n'a été fait par lui. Corrige le fruit de tes oeuvres, et tu sauveras l'oeuvre de Dieu en toi. Si tu n'y veux consentir, si tu aimes tes défauts et que tu t'y abandonnes, tu es opposé au Christ. Que ce soit intérieurement, que ce soit à l'extérieur, peu importe, tu n'en es pas moins un antéchrist : que tu sois de la paille manifestement ou d'une manière occulte, tu es toujours de la paille. Pourquoi ne l'es-tu pas ouvertement ? parce que la tempête ne s'est pas élevée pour le faire voir.

10. Tout cela, mes frères, est clair comme le jour. Voici maintenant pour nous empêcher de dire : Je n'adore pas le Christ, mais j'adore Dieu, son Père : « Quiconque nie le Fils, ne reconnaît ni le Fils, ni le Père; et qui confesse le Fils, reconnaît et le Père et le Fils ». Vous, qui êtes froment, c'est à vous qu'il s'adresse : puissent ceux qui sont paille, l'entendre et devenir eux-mêmes froment. Que quiconque, en examinant sa

 

1. Dan. III, 24-90.

 

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conscience, se reconnaît comme amateur du monde, se convertisse ; qu'il devienne un amateur du Christ, pour ne pas être un antéchrist. Si l'on dit à un amateur du monde qu'il est un antéchrist, il se met en colère et regarde comme une injure à lui faite ce qu'on lui dit ; peut-être va-t-il jusqu'à menacer de faire inscrire la personne qui conteste avec lui et l'appelle antéchrist. Le Christ lui dit Sois patient ; si ce qu'on te reproche est faux, réjouis-toi avec moi, car j'ai été moi-même calomnié par des antéchrists : si, au contraire, ce que tu as entendu est vrai, attaque ta conscience ; tu redoutes les accusations, crains davantage encore de les mériter.

11. « Que tout ce que vous avez appris dès le commencement demeure donc toujours en vous. Et si ce que vous avez appris dès le commencement demeure en vous, vous demeurerez aussi dans le Fils et dans le Père. C'est ce que lui-même nous a promis ». Peut-être chercherais-tu une récompense et dirais-tu : Je garde soigneusement en moi le dépôt de ce que j'ai entendu dès le commencement, je m'y conforme; les périls, les peines, les tentations, je supporte tout pour le conserver intact. Quel bénéfice, quelle récompense en aurai-je? Qu'est-ce que Dieu me donnera plus tard pour avoir supporté ici-bas tant d'épreuves? Je ne vois pas qu'il y ait sur la terre la moindre tranquillité :le corps appesantit l'âme et cette enveloppe corrompue l'entraîne à des choses indignes d'elle; mais je supporte tout, afin que demeure en moi ce que j'ai entendu dès le commencement, et que je puisse dire à mon Dieu : « A cause des paroles sorties de votre bouche, j'ai suivi des voies difficiles (1)». Pour quelle récompense? Ecoute, et ne perds pas courage. Si la tribulation t'énervait, que , du moins, la récompense promise te rende ton courage. Celui qui travaille dans une vigne perd-il jamais le souvenir du salaire final.

Fais en sorte qu'il n'y pense plus; et par là même tu lui casseras les bras. Le souvenir de la rémunération promise donne le courage de persévérer dans le travail, et, pourtant, celui qui te l'a promise est un homme; il peut manquer à sa parole. Combien plus courageux tu dois être à cultiver le champ du Seigneur, puisque tu as reçu la parole de la vérité même, qui ne peut avoir de remplaçant,

 

1. Ps. XVI, 4.

 

qui est incapable de mourir ou de tromper ceux à qui elle a fait une promesse ? Et qu'est-ce qui t'a été promis? Voyons : quel est l'objet de ses promesses? Est-ce de cet or que les hommes aiment si vivement, ou de l'argent? Sont-ce des propriétés pour l'acquisition desquelles les hommes sacrifient leur or, quoiqu'ils l'aiment tant? Sont-ce d'agréables prairies, de vastes habitations, des esclaves en grand nombre, des troupeaux immenses ? Ce n'est point là la digne récompense qu'il nous promet pour nous faire persévérer dans le travail. Quel est son nom? La vie éternelle. Vous l'avez entendu et vous avez jeté un cri d'allégresse: portez vos affections sur ce qu'on vient de vous nommer, et tirez-vous de vos épreuves pour vous reposer dans la quiétude de l'éternelle vie. Voilà donc ce que Dieu a promis, une vie qui ne finira jamais. Voici ce dont il nous menace : un feu qui ne s'éteindra pas. Que dira-t-il aux hommes placés à sa droite ? « Venez, bénis de mon Père , entrez en possession du royaume qui vous a été préparé dès le commencement du monde ». Et, aux hommes placés à sa gauche? « Allez au feu éternel qui a été préparé pour le diable et pour ses anges (1) ». Tu n'aimes pas encore le royaume des élus, crains du moins le séjour des damnés.

12. Souvenez-vous donc, mes frères, que le Christ nous a promis la vie éternelle. Voilà, nous dit l'Apôtre, « ce qu'il nous a lui-même promis en nous annonçant la vie éternelle.  J'ai cru devoir vous écrire ceci à l'égard de ceux qui vous séduisent ». Que personne ne vous séduise pour vous faire mourir ; désirez voir s'accomplir pour vous la promesse de la vie éternelle. Que peut vous promettre le monde? Qu'il vous promette ce qu'il voudra, ne mourrez-vous pas peut-être demain? De quel front oseras-tu paraître en présence de l'Eternel? — Mais on me fait des menaces; c'est un homme puissant qui veut me faire du mal.— De quoi te menace-t-il ? De la prison, des chaînes, du feu, des tourments, des bêtes? Te menacerait-il du feu éternel? Tremble plutôt en présence des menaces du Tout-Puissant; aime ce qu'il te promet; et, alors, le monde entier te semblera méprisable, soit qu'il veuille te flatter, soit qu'il cherche à t'inspirer de l'effroi. « J'ai cru devoir vous écrire ceci à l'égard de

 

1. Matth. XXV, 31, 41.

 

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ceux qui vous séduisent, afin que vous sachiez que vous avez reçu l'onction, et que nous conservions en nous cette onction que nous avons reçue ». C'est le sacrement de l'onction, dont la vertu cachée est l'onction invisible, l'Esprit-Saint : et l'onction invisible n'est autre que la charité ; n'importe en qui elle se trouve, elle y est comme une racine que ne peuvent dessécher même les plus ardents rayons du soleil; tout ce qui est bien enraciné puise, non pas un élément de destruction, mais un principe de vie dans la chaleur du soleil.

13. « Et vous n'avez pas besoin que quelqu'un vous instruise, parce que son onction vous enseigne tout ». Que faisons-nous donc, mes frères, en vous instruisant? Si l'onction de Dieu vous enseigne tout, ne semblons-nous pas travailler inutilement? Pourquoi tant crier? Abandonnons-nous donc à son onction, et qu'elle vous instruise elle-même. Mais maintenant je me fais une question, et je l'adresse aussi à l'Apôtre puisse-t-il écouter un enfant qui l'interroge. Je dis donc à Jean : Ceux à qui vous parliez avaient-ils l'onction ? Vous avez dit : « Parce que son onction vous enseigne tout». Pourquoi avez-vous écrit cette épître? Pourquoi instruisiez-vous ceux à qui vous l'adressiez? Pourquoi les enseigner? Pourquoi les édifier? Remarquez ici, mes frères, une grande et mystérieuse chose. Le bruit de nos paroles frappe vos oreilles, mais le maître vous parle intérieurement. N'allez pas vous imaginer qu'un homme puisse en instruire un autre. Nous pouvons, par le son de notre voix, vous adresser des leçons; mais si Dieu n'est pas dans votre coeur pour vous instruire, c'est inutilement que nous nous faisons entendre. En voulez-vous une preuve , mes frères? N'avez-vous pas tous entendu mon discours ? Combien, néanmoins, sortiront d'ici sans avoir été instruits ? Autant qu'il a dépendu de moi, je me suis adressé à tous; mais ceux à qui cette onction n'aura point parlé, ceux que l'Esprit-Saint n'aura point instruits, s'en retourneront sans m'avoir compris. Au dehors se trouvent des maîtres, des aides, des leçons; mais au ciel est la chaire de celui qui instruit intérieurement; aussi le Sauveur a-t-il dit lui-même dans l'Evangile : « Gardez-vous d'appeler maître sur la terre aucun d'entre vous , car votre Maître, c'est le Christ (1) ». Qu'il vous parle lui-même au coeur, puisqu'aucun homme ne se trouve là ; quand même, en effet, tu aurais quelqu'un à côté de toi, le Christ est seul dans ton coeur. Que ton coeur ne soit pas absolument seul ; que le Christ s'y trouve, comme aussi son onction; ainsi, quand ton coeur sera sec, il ne sera pas dans un désert où les eaux capables de le rafraîchir lui feraient défaut. Il y a donc, à l'intérieur, un maître qui instruit : c'est le Christ, c'est son inspiration. Là, où son inspiration et son onction font défaut, les paroles se font inutilement entendre à l'extérieur. Ainsi en est-il , mes frères, de celles que nous faisons parvenir à vos oreilles : à votre égard nous remplissons le rôle du jardinier vis-à-vis de l'arbre : il travaille en dehors de cet arbre; il emploie l'eau et donne une culture soignée; mais il a beau faire extérieurement, forme-t-il les fruits? A-t-il le pouvoir de couvrir la nudité des branches d'un vêtement de feuilles? Est-il capable de faire quoi que ce soit à l'intérieur de cet arbre? Qu'est-ce qui fait tout cela ? Ecoutez un jardinier, l'apôtre Paul voyez ce que nous sommes, apprenez que nous avons un maître au dedans de nous « J'ai planté, Apollo a arrosé, mais c'est Dieu qui a donné l'accroissement. Celui qui plante n'est rien, non plus que celui qui arrose, mais c'est Dieu qui donne l'accroissement (2) ». Nous vous parlons donc, et soit que nous plantions en parlant, soit que nous arrosions, nous ne sommes rien ; Dieu, qui donne l'accroissement, c'est-à-dire, son onction, qui nous enseigne toutes choses, est tout.

 

1. Matth. XXIII, 8; 9.— 2. I Cor. III, 6, 7.

 

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QUATRIÈME TRAITÉ.

DEPUIS LES PAROLES SUIVANTES : « ET ELLE EST LA VÉRITÉ ET NON LE MENSONGE », JUSQU'A CES AUTRES : « ET LE FILS DE DIEU EST VENU DANS LE MONDE POUR DÉTRUIRE LES OEUVRES DU DÉMON ». (Chap. II, 27-29 ; III, 4-8.)

LA FOI, SOURCE DE JUSTICE.

 

Nous n'avons ni vu ni touché Notre-Seigneur ; mais ceux qui l'ont touché de leurs mains et vu de leurs yeux nous ont dit ce qu'il est, et, l'onction de l'Esprit-Saint aidant, nous avons cru ; et notre foi nous inspirant l'espérance des biens éternels, nous nous efforçons d'accomplir le bien, et, par là, nous devenons enfants de Dieu, parfaits comme Jésus-Christ le juste est parfait, tandis que les méchants restent enfants du démon.

 

1. Vous vous en souvenez, mes frères, la leçon d'hier s'est terminée à cette pensée, que vous n'avez besoin d'être instruits par personne ; car l'onction divine vous enseigne tout. Voici donc, et je suis sûr que vous ne l'avez pas oublié, voici comment nous avons développé devant vous cette pensée : Nous nous adressons à vous extérieurement; nos paroles frappent vos oreilles; et, en cela, nous ressemblons à des ouvriers qui donnent à un arbre la culture extérieure, mais qui ne peuvent ni lui donner l'accroissement, ni faire venir aucun fruit; c'est en vain que se font entendre à vous nos discours, si Celui qui vous a créés, rachetés et appelés, qui habite en vos âmes par la foi et par son Esprit, ne vous parle intérieurement. La preuve de ceci? Beaucoup entendent ce qu'on leur dit, mais tous n'en sont pas touchés; il n'y a, pour s'y rendre, que ceux à qui Dieu parle intérieurement. Pour entendre sa voix, il nous faut lui laisser une place dans notre coeur ; et pour lui donner une place dans notre coeur, il n'en faut point donner au démon. Car le diable veut établir sa demeure dans le coeur de l'homme, pour lui dire intérieurement tout ce qui peut l'entraîner au mal. Mais que dit le Seigneur Jésus? « Le Prince de ce monde a été mis dehors (1) ». De quel endroit a-t-il été chassé? Du ciel ? De la terre? De l'univers ? Non, mais du coeur des fidèles. Chassons de notre âme l'usurpateur; que le Rédempteur y habite; ce Rédempteur :l'est autre que celui qui nous a créés. Au dehors,

 

1. Jean, XII, 31.

 

le démon nous attaque, mais il ne peut triompher de Celui à qui nous appartenons; il nous attaque en nous suggérant toutes sortes de tentations, mais à ces épreuves résiste victorieusement celui qui entend au dedans de lui-même la voix de Dieu, et les enseignements de cette onction dont nous vous avons parlé.

2. « Et », dit l'Apôtre, « elle est la vérité », cette onction; en d'autres termes, cet esprit de Dieu, qui instruit les hommes, ne peut mentir. « Et non le mensonge : demeurez dans ce qu'elle vous a enseigné. Et maintenant, mes petits enfants, demeurez en lui, afin que, lorsqu'il viendra à paraître, nous soyons pleins de confiance et qu'il ne nous confonde pas au jour de son avènement ». Remarquez-le, mes frères ; nous croyons en Jésus que nous ne voyons pas: il nous a été annoncé par des hommes qui l'ont vu, qui l'ont touché de leurs mains, qui ont entendu les paroles tombées de ses lèvres, qui, enfin, ont reçu de lui la mission de les faire accepter à leurs semblables, mission qu'ils n'auraient jamais eu la hardiesse d'accomplir de leur chef. Où ont-ils été envoyés ? Vous l'avez appris par la lecture de l'Evangile : « Allez dans tout l'univers prêcher l'Evangile à toutes les créatures (1) ». Les Apôtres ont donc été envoyés partout : des miracles et des prodiges sont venus confirmer leurs paroles et disposer les coeurs à les croire; car ils disaient ce qu'ils avaient vu. Nous croyons donc en Jésus, que nous n'avons pas vu, et nous

 

1. Marc, XVI, 15.

 

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attendons son second avènement. Quiconque l'attend dans le sentiment de la foi, se réjouira au moment de sa venue; mais pour ceux qui ne croient pas en lui, ils seront accablés de confusion, lorsqu'apparaîtra ce qu'ils ne voient pas aujourd'hui; et leur confusion ne durera pas qu'un jour, elle ne passera pas, comme passe d'habitude la confusion de ceux qu'on surprend en délit, et à qui on reproche leur faute. Elle les forcera à se rendre, tout honteux, à la gauche pour entendre cet arrêt : « Allez au feu éternel, qui a été préparé pour le diable et pour ses anges (1) ». Demeurons donc dans ses paroles, afin qu'il ne nous confonde pas au jour de son avènement. Car il dit dans l'Evangile à ceux qui avaient cru en lui : « Si vous demeurez dans ma parole, vous serez vraiment mes disciples ». Et comme s'ils disaient: Quel profit en retirerons-nous? il ajouta : « Et vous connaîtrez la vérité, et la vérité vous affranchira (2) ». Aujourd'hui, notre salut n'est qu'en espérance, il n'est pas encore réalisé; car nous ne sommes point encore entrés en possession de ce qu'il nous a promis : nous l'attendons dans l'avenir. Mais celui qui nous a donné sa parole est fidèle à ses promesses, il ne te trompera pas : seulement, il ne faut pas perdre courage, attends donc avec confiance l'exécution de ses engagements. En effet, la vérité ne sait pas être trompeuse. Pour toi, ne sois pas menteur, parlant d'une manière et agissant de l'autre. Aie toujours la foi, et Dieu n'oubliera pas ses promesses. Si tu perds la foi, c'est toi qui te trompes, ce n'est pas celui qui t'a engagé sa parole.

3. « Si vous savez qu'il est juste, sachez que tout homme qui vit de la justice, est né de  lui ». Aujourd'hui, notre justice vient de la foi. La justice parfaite ne se trouve que dans les anges, et, si on les compare à Dieu, à peine se trouve-t-elle en eux. Si, néanmoins, les âmes et les esprits que Dieu a créés peuvent être doués de quelque justice, elle se voit dans les anges saints, justes, bons, que nulle chute n'a séparés de Dieu, qu'aucun sentiment d'orgueil n'entraîne dans l'abîme, mais qui continuent toujours à contempler le Verbe éternel, et trouvent leur bonheur uniquement en celui qui les a créés. En eux se rencontre la justice parfaite : en nous elle puise son principe dans la foi par l'opération de l'Esprit.

 

1. Matth. XXV, 31.— 2. Jean, VIII, 31, 32.

 

Lorsqu'on lisait le psaume, vous avez entendu ces paroles : « Commencez à louer Dieu par la confession (1)» . « Commencez », dit le Psalmiste: la source de notre justice, c'est l'aveu de nos fautes. Tu as commencé à ne pas défendre ton péché : tu as, par là même, commencé à devenir juste; ta justice arrivera à sa perfection, quand tu ne ressentiras plus aucun attrait à commettre l'iniquité, quand la mort sera absorbée pour faire place à la victoire (2), quand la concupiscence ne viendra plus te délecter, quand il n'y aura plus en toi de lutte contre la chair et le sang, quand tu remporteras la couronne de la gloire et que tu triompheras de l'ennemi : alors, tu seras en possession de la justice parfaite. Maintenant, nous luttons encore; puisque nous luttons, nous sommes dans l'arène; nous portons des coups, on nous en porte: reste à savoir qui sera vainqueur. Celui-là remportera la victoire, qui, pour frapper, attend sa force, non de lui-même, mais de la toute-puissance de Dieu. Le diable seul lutte avec nous; pour nous, si nous sommes avec Dieu, nous triomphons du diable; mais si tu es seul pour lutter avec lui, il te vaincra. C'est un ennemi exercé; que de palmes il a remportées ! Voyez où il nous a jetés : pour nous faire naître sujets à la mort, il a fait sortir du paradis nos premiers parents eux-mêmes. Que faire donc, puisqu'il est si habile à combattre? Invoquer l'assistance du Tout-Puissant contre cet esprit malin. Puisse habiter en toi Celui qu'on ne peut vaincre, et tu triompheras en toute sécurité de celui qui triomphe d'habitude. Mais de qui triomphe-t-il ? De ceux en qui Dieu n'habite pas. Car, sachez-le, mes frères, dans le paradis où il avait été placé, Adam a méprisé les ordres de Dieu; il a relevé la tête comme s'il voulait ne dépendre que de lui-même et ne pas se soumettre à la volonté de l'Eternel; aussi a-t-il été privé de ses espérances immortelles, de sa bienheureuse destinée (3). Un homme, déjà exercé au combat, mais condamné à la mort par sa naissance, étendu sur un fumier, en proie à la pourriture et aux vers, a triomphé du diable; celui-ci a vaincu Adam, mais Adam l'a vaincu en la personne de Job; car Job était du nombre de ses descendants; vaincu au paradis, notre premier père a donc été vainqueur sur le fumier. Au paradis, il avait prêté l'oreille aux

 

1. Ps. CXLVI, 7.— 2. I Cor. XV, 54.— 3. Gen. III, 6.

 

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sollicitations pressantes d'une femme que le démon avait déjà séduite; sur le fumier, il dit à Eve : « Tu as parlé comme une femme insensée (1) ». Là, il prêta l'oreille; ici, il fit une réponse: au séjour de la joie, il écouta ; au comble de l'épreuve, il remporta la victoire. Aussi, mes frères, voyez ce qui suit dans cette Epître; elle nous y recommande vivement de triompher du démon, mais avec des forces qui ne soient pas les nôtres. « Si vous savez qu'il est juste, sachez que tout homme qui vit selon la justice est né de lui »; de Dieu, du Christ. En disant: « Est né de lui», il nous donne un encouragement. Dès lors que nous sommes nés de lui, nous sommes donc parfaits.

4. Ecoutez ceci : « Voilà quel amour le Père a eu pour nous, puisque nous sommes appelés enfants de Dieu, et que nous le sommes en effet ». A ceux qui portent un nom sans être effectivement ce qu'il signifie, de quelle utilité peut être ce nom, si la réalité ne s'y trouve pas? Combien de gens s'appellent médecins, qui n'ont pas appris l'art de guérir ! Combien s'appellent gardiens, qui dorment toute la nuit ?Ainsi, beaucoup portent le nom de chrétiens, qui sont loin de l'être en réalité; car ils ne sont ce que désigne leur nom, ni dans leur conduite, ni dans leurs moeurs, ni en fait de foi, d'espérance et de charité. Mais que venez-vous d'entendre, mes frères? « Voilà quel a amour le Père a eu pour nous, puisque nous sommes appelés enfants de Dieu, et que nous le sommes en effet. C'est pourquoi le monde ne nous connaît point, parce qu'il ne connaît point Dieu et qu'il ne nous connaît pas nous-mêmes ». Le monde entier est tout à la fois chrétien et impie, car, par tout le monde, il y a des impies et des gens de religion, mais ceux-ci ne sont pas connus de ceux-là. Comment pensons-nous que les méchants ne connaissent pas les bons? C'est qu'ils insultent ceux qui mènent une conduite vertueuse. Faites-y attention, et remarquez qu'il y en a peut-être parmi vous. Si, parmi vous, il en est pour vivre chrétiennement, qui méprisent les choses de ce monde, qui ne veuillent ni aller au spectacle, ni s'enivrer pour ainsi dire solennellement, ni, ce qui est plus grave encore, profaner les saints jours par un libertinage

 

1. Job, II,10.

 

appuyé d'exemples venus de haut, s'il en est pour ne pas vouloir agir ainsi, comme ils seront insultés par tous ceux qui se rendent coupables de toutes ces prévarications ! Si de tels hommes étaient connus, les insulterait-on ? Pourquoi ne sont-ils pas connus ? C'est que le monde ne les connaît pas. Qui est le monde? Ceux qui l'habitent; comme les habitants d'une maison portent le nom de maison. Je vous ai souvent expliqué ceci, et pour ne point vous ennuyer, je ne veux pas y revenir. Comme vous attachez à ce nom de monde un sens défavorable, ne l'appliquez qu'à ceux qui l'aiment; il était juste de leur donner le nom de monde, puisqu'ainsi s'appelle ce qu'ils habitent et que. toutes leurs affections les y tiennent fixés. Le monde ne nous a pas connus, parce qu'il n'a pas connu Dieu. Notre-Seigneur Jésus-Christ lui-même s'y est montré : c'était Dieu incarné et caché sous les dehors de l'infirmité humaine. Pourquoi ne l'a-t-on point connu? Parce qu'il blâmait tous les vices des hommes. Comme ils aimaient les plaisirs que procure le péché, ils méconnaissaient Dieu; comme ils écoutaient volontiers les suggestions de la fièvre, ils insultaient leur médecin.

5. Qu'en est-il de nous? Déjà nous sommes nés de lui; mais parce que nous avons l'espérance : « Mes bien-aimés », dit l'Apôtre, « nous sommes maintenant les enfants de Dieu ». Déjà maintenant? Si nous sommes déjà les enfants de Dieu, qu'attendons-nous donc? « Mais ce que nous serons un jour n'apparaît pas encore ». Serons-nous autre chose que les enfants de Dieu ? Ecoutez ce qui suit : « Nous savons que, quand il viendra dans sa gloire, nous serons semblables à lui, parce que nous le verrons tel qu'il est». Que votre charité comprenne, il s'agit d'une merveilleuse chose: « Nous savons que, quand il viendra dans sa gloire, nous serons semblables à lui, parce que nous le verrons tel qu'il est ». Remarquez bien déjà ce que veut dire ce mot : « Est »; vous en savez la signification. Ce qu'on appelle « est » (non-seulement on l'appelle ainsi, mais il est réellement tel) n'est sujet à aucun changement ; il demeure toujours, ne connaît aucune vicissitude, ne se corrompt en aucune de ses parties; il ne s'améliore en rien, parce qu'il est parfait ; il ne se détériore pas, car il est éternel. Qu'est-ce donc que cela ? « Au commencement (191) était le Verbe, et le Verbe était en Dieu, et le Verbe était Dieu (1) ». Qu'est-ce encore que cela? « Lui qui, ayant la nature de Dieu, n'a point cru que ce fût pour lui une usurpation de s'égaler à Dieu (2) ». Les méchants ne peuvent voir le Christ sous cet aspect, c'est-à-dire comme ayant la nature de Dieu, comme Verbe de Dieu, comme Fils unique du Père, comme égal au Père; mais en tant qu'il est le Verbe fait chair, les méchants eux-mêmes pourront le voir, car c'est en cette qualité qu'il viendra juger, comme il est déjà venu ainsi pour être jugé. Homme par l'apparence, mais Dieu en réalité; car « maudit l'homme qui se confie dans l'homme (3) ». Il est venu comme homme pour être jugé ; il viendra comme homme pour exercer le jugement. Et si on ne le voyait pas alors, pourquoi ce passage de l'Ecriture : « Ils verront quel est Celui qu'ils ont percé (4) ? » C'est des impies qu'il est dit qu'ils verront et qu'ils seront confus. Comment les méchants pourraient-ils ne pas le voir, quand il placera les uns à sa droite et les autres à sa gauche? A ceux qui se trouveront à la droite, il dira : « Venez, bénis de mon Père, entrez en possession de son royaume ». Et à ceux qui se trouveront à la gauche, il dira: « Allez au feu éternel (5) » . Ils le verront, mais dans sa forme d'esclave ; comme Dieu, ils ne le verront pas. Pourquoi? Parce qu'ils sont méchants, et que le Sauveur lui-même a dit : « Bienheureux ceux qui ont le coeur pur, car ils verront Dieu (6) ». Nous aurons donc, mes frères, le privilège de contempler quelque chose, de voir ce que l'oeil de l'homme n'a point vu, ce que son oreille n'a jamais entendu, ce que son cœur n'a jamais compris (7). Nous aurons une vision, nous contemplerons une beauté qui surpasse toutes les beautés de la terre, la beauté de l'or et de l'argent, la beauté des forêts et des campagnes, la beauté de la mer et des airs, la beauté du soleil et de la lune, la beauté des étoiles et celle des esprits angéliques, une beauté supérieure à toutes les autres, car toutes les autres lui empruntent leur éclat et leurs charmes.

6. Que serons-nous donc quand nous contemplerons cette admirable beauté? Que nous est-il promis? « Nous lui serons semblables parce que nous le verrons tel qu'il est».

 

1. Jean, I, 1.— 2. Philipp. II, 6. — 3. Jérém. XVII, 5.— 4. Jean, XIX, 37.— 5. Matth. XXV, 31. 41.— 6. Id. V, 8.— 7. I Cor. II, 9.

 

L'Apôtre a parlé comme il a pu; c'est à notre cœur d'imaginer le reste. Qu'est-ce que Jean lui-même a dit pour nous donner une idée de Celui qui est? Que pouvons-nous dire à notre tour à des hommes si éloignés d'égaler ses mérites? Revenons donc à l'onction divine ; revenons à cette onction qui nous instruit intérieurement de ce que notre langue ne saurait exprimer ; et puisque maintenant vous ne pouvez voir, sachez du moins désirer de le faire. La vie tout entière d'un bon chrétien n'est qu'un saint désir continuel. Sans doute, ce que tu désires tu ne le vois pas ; désire-le néanmoins, et par là tu te rendras capable d'être entièrement satisfait, lorsque viendra le moment de le voir. Lorsque tu veux remplir un contenant quelconque, et que tu sais grandes les dimensions de l'objet qu'on te donnera, tu élargis le sac ou l'outre ou tout autre contenant; tu connais la grosseur de l'objet qui doit y entrer, tu vois que le contenant est petit; aussi l'élargis-tu pour le rendre plus apte à recevoir son contenu ; ainsi Dieu, en différant de se donner à toi, dilate tes désirs; en les dilatant, il élargit ton esprit; en l'élargissant, il te rend plus capable de le posséder. Désirons donc, mes frères, puisque nous devons être rassasiés. Voyez comme Paul dilate son coeur, afin d'être à même d'y recevoir ce que Dieu doit lui donner. Voici ses paroles : « Non que j'aie a déjà reçu ou que je sois arrivé à la perfection, mes frères, je ne pense pas avoir déjà saisi le prix ». Que faites-vous donc en cette vie, si vous n'avez pas encore saisi le prix ? « Mais tout ce que je sais, c'est qu'oubliant ce « qui est derrière moi, et que m'étendant vers ce qui est devant moi, je souhaite ardemment saisir la palme à laquelle Dieu m’appelle du haut des cieux (1) » . A l'entendre, il s'est étendu, il a fait tous ses efforts de volonté possible pour saisir le prix. Il se sentait trop petit pour prendre ce que l'œil de l'homme n'a point vu, ce que son oreille n'a point entendu, ce que son cœur n'a jamais compris. Notre vie d'ici-bas consiste donc à donner à notre âme les élans de continuels désirs. Autant nous sommes travaillés par le désir du ciel, autant notre cœur se débarrasse des désirs terrestres et se détache du monde. Nous avons déjà dit parfois : Vide ce que tu dois remplir. Vide le mal qui se trouve en ton

1.  Philipp. III, 13, 14.

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coeur, puisque le bien doit le remplir. Par exemple, Dieu veut te remplir de miel ; si tu es plein de vinaigre, où le mettras-tu ? Il faut d'abord débarrasser le vase de ce qu'il contient, puis le purifier, et, pour cela, se remuer, se fatiguer s'il le faut; ainsi deviendra-t-il propre au nouvel usage. Que nous prononcions des malédictions, que nous parlions d'or, que nous parlions de vin, quoi que nous disions de ce qu'on ne peut dire, quoi que nous voulions dire, nous en revenons toujours à prononcer le nom de Dieu ; et parce que nous prononçons le nom de Dieu, que disons-nous? Ces deux syllabes désignent-elles tout ce que nous attendons? Tout ce que nous avons pu nommer est au-dessous de Dieu; étendons-nous vers lui, afin que quand il viendra, il nous rassasie. « Nous lui serons », en effet, « semblables, parce que nous le verrons tel qu'il est ».

7. « Et qui a cette espérance en lui ». Vous le voyez; d'après Jean nous ne sommes qu'à l'état d'espérance. Comme l'apôtre Paul est bien d'accord avec son collègue ! « Nous ne sommes sauvés qu'en espérance : or, l'espérance qui verrait, ne serait plus de l'espérance; car comment espérer ce qu'on voit déjà? Si nous espérons ce que nous ne voyons pas encore, nous l'attendons par la patience (1)». La patience elle-même excite les désirs. Sois inébranlable, car Dieu est immuable. Continue à marcher, tu atteindras le but; le but vers lequel tu diriges tes pas ne changera pas de place. Voyez: « Et quiconque a cette espérance se purifie comme Dieu lui-même est pur ». Remarquez-le Jean ne nous ôte pas notre libre arbitre, puisqu'il dit: « Il se purifie ». Qui est-ce qui nous purifie, si ce n'est Dieu ? Mais Dieu ne te purifie pas malgré toi. Donc, par cela même que tu joins ta volonté à celle de Dieu, tu te purifies toi-même. Tu te purifies , par un effet, non de ton pouvoir, mais de la puissance de celui qui est venu pour habiter en toi. Néanmoins, comme il y a ici un effet de ta propre volonté, tu as une part dans l'oeuvre de ta sanctification. Et cette part consiste pour toi à dire comme le Psalmiste : Secourez-moi, ne m'abandonnez pas (1) ». Dès lors que tu dis: « Secourez-moi », c'est que tu agis; car si tu ne fais rien, comment peut-il venir à ton secours.

 

1. Rom. VIII, 24, 25.— 2. Ps. XXVI, 9.

 

8. « Quiconque se rend coupable de péché, et commet l'iniquité ». Que personne ne dise: Autre chose est le péché, autre chose l'iniquité. Que personne ne dise: Je suis un pécheur, mais je ne suis pas un homme inique: « Car tout homme qui se rend coupable de péché et commet l'iniquité ». « Le péché est l'iniquité ». Que dire de nos péchés et de nos iniquités ? écoute les paroles de l'Apôtre : « Vous savez que Dieu s'est rendu visible pour se charger de nos péchés, et le a péché n'est point en lui ». Celui en qui-le péché ne se trouve pas est venu se charger de nos péchés. Si le péché se trouvait en lui, au lieu de se charger de celui des autres, il devrait être déchargé de ses propres fautes. « Quiconque demeure en lui ne pèche pas ». Autant on demeure en lui, autant on est éloigné du péché. « Et quiconque pèche, ne l'a point vu et ne le connaît pas ». Voici une grande difficulté: « Quiconque pèche, ne l'a point vu et ne le connaît pas ». En cela, rien d'étonnant. Nous ne l'avons pas vu, mais nous le verrons; nous ne le connaissons pas, mais nous le connaîtrons; nous croyons en celui que nous ne connaissons pas. Peut-être le connaissons-nous par la foi, tandis que nous ne le connaissons point de vue? Mais nous l'avons vu et nous le connaissons de croyance; car si la foi ne nous le fait pas voir, comment peut-on dire que nous sommes éclairés? Il y a une illumination qui vient de la foi, et une autre qui vient de la vue réelle. Maintenant, pendant le cours de notre pèlerinage, c'est la foi qui dirige notre marche, et non la claire vue de Dieu (1). Notre justice a donc pour principe la foi, mais non pas la réelle vue de l'éternel. Elle sera parfaite, lorsque nous contemplerons Dieu à découvert. Pour le moment, n'abandonnons pas cette justice, qui est le résultat de la foi ; « car le juste vit de la foi (2) », suivant cette parole de l'Apôtre: « Quiconque demeure en lui ne pèche pas ». En effet, « tout homme qui pèche ne l'a pas vu et ne le connaît point ». Celui-là ne croit pas, qui commet le péché ; mais s'il croit, il ne pèche pas, autant, du moins, que cela dépend de sa foi.

9. « Mes petits enfants, que personne ne vous séduise. Celui qui fait les oeuvres de la justice est juste, comme Jésus-Christ est juste ». De ce qu'on nous a dit que « nous

 

1. II Cor. V, 7.— 2. Rom. I, 17.

 

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sommes justes  comme Jésus-Christeest juste », avons-nous le droit de penser que nous sommes égaux à Dieu ? Vous devez connaître le sens du mot « comme », car l'Apôtre a déjà dit précédemment: « Il se rend pur, comme Jésus-Christ lui-même est pur ». Notre pureté, notre justice serait-elle donc égale et pareille à la pureté, à la justice de Dieu? Qui oserait parler ainsi ? « Comme » ne veut pas toujours établir une égalité parfaite. Je suppose qu'après avoir vu cette immense basilique, un architecte veuille en faire une plus petite, proportion gardée néanmoins dans les dimensions, et que, par exemple, celle-ci ayant une longueur double de sa largeur, il fasse la sienne du double plus longue que large, il semble avoir construit une église comme celle-ci. Mais la plus grande a, je suppose encore, cent coudées, tandis que la plus petite en a seulement trente : la seconde est comme la première, et cependant elle ne lui est pas égale. Vous le voyez donc : on n'emploie pas toujours le mot a comme u dans le sens de la parité et de l'égalité. Remarquez, par exemple, quelle différence il y a entre la figure d'un homme et son image reproduite dans un miroir: dans l'image, dans le corps, même figure; mais l'image n'est qu'une imitation, le corps est une réalité. Que disons-nous? Là comme ici on aperçoit des yeux; si l'on voit ici des oreilles, on en voit aussi là. Très-différentes sont les choses, mais le mot « comme » est employé dans le sens de similitude. Nous avons donc une ressemblance avec Dieu, mais elle n'est pas la même que la ressemblance du Fils avec le Père, dont il est l'égal; si, pourtant, dans la faible proportion de notre nature, nous n'étions pas comme lui, on ne pourrait, sous aucun rapport, nous dire semblables à lui. II nous rend donc purs, comme lui-même est pur; mais il l'est éternellement, et nous, nous le sommes sous l'empire de la foi. Nous sommes justes comme lui-même est juste ; mais s'il l'est, c'est dans l'immuable perpétuité de son être, tandis que nous le sommes en croyant en Celui que nous ne voyons pas, afin de le contempler un jour. Et lorsque notre justice sera parvenue au comble de la perfection, quand nous serons les égaux des anges, notre justice ne sera pas encore égale à celle de Dieu. Combien donc est-elle maintenant loin de l'égaler, puisqu'alors même on ne pourra établir entre elles de parité?

10. « Celui qui commet le péché est enfant du démon, parce que le démon pécha dès le commencement. Il est enfant du démon». Jean veut dire, vous le savez: il imite le démon. En effet, le démon n'a ni fait, ni engendré, ni créé personne; mais quiconque l'imite, reçoit en quelque sorte la vie de lui; il devient son fils, non parce qu'il naît réellement de lui, mais parce qu'il l'imite. Comment es-tu fils d'Abraham? Est-ce qu'Abraham t'a engendré? De la même manière que les Juifs, fils d'Abraham, mais non héritiers de sa foi, sont devenus les enfants du démon. Ils étaient ses descendants selon la chair, mais ils n'ont pas imité sa foi. Si les enfants d'Abraham ont été déshérités pour ne pas avoir imité leur père; par une raison tout opposée, tu deviendras son fils, quoiqu'il ne t'ait pas engendré, et ainsi tu mériteras ce beau titre, parce que tu marcheras sur ses traces. Si, au contraire, tu imites le diable qui, par orgueil et impiété, s'est déclaré contre Dieu, tu deviendras son fils, non qu'il t'ait créé ou mis au monde, mais parce que tu suivras son exemple.

11. «Le Fils de Dieu est venu dans le monde». Voilà donc, mes frères, que tous les pécheurs, en tant que pécheurs, sont devenus enfants du diable. C'est Dieu qui a créé Adam, mais du moment que celui-ci a cédé aux suggestions du démon, il en est devenu le fils, et tous ceux qu'il a mis au monde, il les a engendrés pareils à lui. En naissant, nous avons apporté avec nous la concupiscence; et avant de contracter nous-mêmes des dettes personnelles, nous sortons de cette source empoisonnée. En effet, si nous venons au monde exempts de toute faute, pourquoi se hâter de porter au baptême les petits enfants, afin de les dégager des chaînes du démon ? En nous donc, remarquez-le, mes frères, en nous deux naissances, l'une en Adam, l'autre dans le Christ. Ce sont deux hommes, mais l'un d'eux est un homme-homme, l'autre un homme-Dieu; l'homme-homme nous fait pécheurs, l'Homme-Dieu nous rend justes. Par notre naissance en Adam, nous avons été précipités dans la mort; par notre naissance dans le Christ, nous avons été élevés à la vie; la première des deux nous entraîne dans le péché, la seconde nous en délivre. Car le Christ-Homme est venu pour détruire les péchés des hommes : « Le Fils de Dieu est venu (194) dans le monde pour détruire les oeuvres du démon ».

12. Pour ne point fatiguer votre charité, je recommande ce qui reste à son attention ; car la difficulté dont la solution nous occupe, roule sur ce que nous nous disons pécheurs. Si, en effet, quelqu'un se dit sans péché, il est un menteur. Nous trouvons dans cette même épître de Jean : « Si nous disons que nous « sommes sans péché, nous nous séduisons « nous-mêmes ». Vous devez vous souvenir de ce passage déjà cité : « Si nous disons que nous n'avons pas de péché, nous nous séduisons nous-mêmes, et la vérité ne se « trouve pas en nous (1) » . Plus loin, tu lis encore ces passages : « Quiconque est né de Dieu, ne commet point de péché. Celui qui commet le péché, ne l'a point vu et ne le connaît pas. Celui qui fait l'iniquité, est enfant du diable ». Le péché ne vient pas de Dieu. L'Apôtre nous fournit à nouveau un sujet de crainte. D'une part, comment sommes-nous enfants de Dieu, et de l'autre, comment avouons-nous que nous sommes pécheurs ? Dirons-nous que nous ne sommes point nés de Dieu ? Alors, quel effet ces sacrements produisent-ils dans les peuls enfants? Qu'a dit Jean ? « Celui qui est né de Dieu ne pèche pas ». Le même a dit encore : « Si nous disons que nous n'avons pas de péché, nous nous séduisons nous-mêmes, et la vérité ne se trouve point en nous ». Question importante et difficile à traiter ! J'aurais voulu appeler toute l'attention de votre charité sur la solution à donner à cette difficulté. Demain, nous traiterons ce sujet au nom du Seigneur, et selon qu'il nous inspirera.

 

1. I Jean, I, 8

 

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CINQUIÈME TRAITE

DEPUIS LES PAROLES SUIVANTES : « QUICONQUE EST NÉ DE DIEU NE COMMET POINT LE PÉCHÉ », JUSQU'A CES AUTRES : « N'AIMONS NI DE PAROLE NI DE LANGUE, MAIS PAR LES OEUVRES ET EN VÉRITÉ ». (Chap. 111, 9-18.)

LA CHARITÉ, VERTU DES ENFANTS DE DIEU.

 

Nous sommes enfants de Dieu : l'enfant de Dieu ne pèche pas, et pourtant quiconque se dit sans péché est un menteur. Comment concilier ces deux vérités ? C'est que le péché dont il s'agit n'est autre que la violation du commandement de la charité, et qu'on ne le commet pas quand on est enfant de Dieu et que la pratique de la charité efface les autres fautes. Or, Jésus-Christ nous a enseigné cette vertu par ses paroles et ses exemples; les saints en ont été des modèles ; le baptême en a déposé le germe en nous ; c'est comme un moyen de voir Dieu sur la terre, puisqu'on aime le prochain qui est son image. Quiconque aime son prochain a la vie en lui, et quiconque déteste son frère est déjà mort, car il est condamné à mort par Dieu en qualité d'homicide. Pratiquons donc, s'il le faut, jusqu'à la mort, cette vertu la plus précieuse de toutes et sans laquelle les autres ne sont rien.

 

1. Je vous en conjure, écoutez attentivement, car la question que nous avons à traiter n'est pas de mince importance ; si j'en juge d'après le soin que vous avez mis hier à m'écouter, j'ai tout lieu de le croire, vous êtes venus aujourd'hui avec un désir encore plus vif de saisir mes paroles. Il s'agit, en effet, de résoudre une grande difficulté, à savoir comment, l'Apôtre dit-il dans cette épître « Quiconque est né de Dieu ne pèche pas », tandis que, plus haut, et dans la même épître, il a dit : « Si nous disons que nous sommes sans péché , nous nous séduisons nous-mêmes, et la vérité n'est point en nous (1) ». Que fera celui qui se trouve serré entre ces deux passages tirés de la même épître ? S'il avoué qu'il est pécheur, il craint de s'entendre dire : Tu n'es donc pas né de Dieu, puisqu'il est écrit : « Quiconque est né de Dieu ne pèche point ». Si, au contraire, il dit qu'il est juste et qu'il n'a pas de péché, il se sent  

 

1. Jean, I, 8.

 

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blessé, d'un autre côté, par ces paroles de la même épître : « Si nous disons que nous sommes sans péché, nous nous séduisons nous-mêmes, et la vérité n'est point en nous ». Placé entre ces deux extrémités, l'homme ne sait ni ce qu'il doit dire, ni l'aveu ou la déclaration qu'il peut faire. Affirmer qu'on est sans péché, c'est dangereux, et c'est non-seulement dangereux, mais encore mensonger. « Nous nous séduisons nous-mêmes », dit Jean, « et la vérité n'est point en nous, si a nous disons que nous n'avons pas de péché ». Ah, si seulement tu n'en avais pas et que tu pusses le dire ! Car tu dirais vrai, et à déclarer la vérité, tu ne craindrais pas d'être souillé de la moindre apparence de péché. Mais si tu tiens un pareil langage, tu fais mal, parce que tu dis un mensonge. « La vérité », dit l'Apôtre, « n'est pas en nous, si nous disons que nous sommes sans péché ». Il ne dit pas: Nous avons été, afin de ne pas sembler faire allusion à la vie passée. Car cet homme a eu des péchés ; mais du moment qu'il est devenu enfant de Dieu, il a commencé à ne plus en avoir. Les choses étant ainsi, nulle difficulté ne nous embarrasserait. Car nous dirions : Nous avons été pécheurs, mais aujourd'hui nous sommes justifiés . nous avons eu des péchés ; aujourd'hui, nous n'en avons plus. Mais ce n'est pas de la sorte qu'il s'exprime : que dit-il donc ? « Si nous disons que nous n'avons pas de péché, nous nous séduisons, et la vérité n'est pas en nous ». Quelques moments après il ajoute : « Quiconque est né de Dieu, ne pèche point ». Jean lui-même n'était-il pas né de Dieu ? Si Jean, de qui vous avez entendu dire qu'il reposa sur la poitrine du Sauveur, n'est pas né de Dieu, quelqu'un osera-t-il espérer avoir obtenu la faveur de la régénération, refusée à l'Apôtre qui, pourtant, a mérité de reposer sur le coeur de Jésus? Celui que le Seigneur aimait par-dessus tous les autres (1), aurait-il été seul à ne pas recevoir du Christ la vie de l'Esprit?

2. Examinez maintenant ces paroles : je vous recommande encore notre embarras, afin que, en raison de votre attention, qui est, pour vous et pour nous, une véritable prière, Dieu dilate nos esprits et nous permette de sortir de cette difficulté : ainsi, personne ne trouvera une occasion de perte dans la parole

 

1. Jean, XIII, 23.

 

du Tout-Puissant, qui a été prêchée et écrite uniquement pour nous guérir et nous sauver. « Tout homme qui fait le péché et commet l'iniquité ». Ici, ne fais aucune distinction: « Le péché, c'est l'iniquité ». Ne dis pas : Je suis un pécheur, mais je ne suis pas un homme inique : « Le péché, c'est l'iniquité ». Vous savez que Dieu s'est « rendu visible pour se charger de nos péchés, et le péché n'est point en lui ». Quel avantage retirons-nous de ce qu'il est venu sans péché ? « Quiconque ne pèche point demeure en lui, et quiconque pèche, ne l'a point vu et ne le connaît pas. Mes petits enfants , que personne ne vous séduise. Celui qui fait les « oeuvres de justice, est juste comme Jésus-Christ est juste ». Nous l'avons déjà dit : le mot « comme » s'emploie d'habitude, non dans le sens de l'égalité , mais dans celui d'une certaine ressemblance. « Celui qui commet le péché est enfant du démon, parce que le démon pèche dès le commencement». Nous avons ajouté que le démon n'a créé ni engendré personne, mais que ses imitateurs semblent tenir de lui la vie. « Le Fils de Dieu « est venu dans le monde pour détruire les « oeuvres du démon (1) ». C'est donc pour détruire le péché qu'est venu Celui qui est sans péché. L'Apôtre continue : « Quiconque est né de Dieu, ne commet point le péché, parce que la semence de Dieu demeure en a lui, et il ne peut pécher, parce qu'il est né  de Dieu ». Voilà une parole qui nous ôte toute liberté d'action. Par ces paroles: « Il ne pèche pas », Jean a peut-être voulu désigner un péché en particulier, et non toute sorte de péchés ; de la sorte tu devrais regarder ce passage : « Celui qui est né de Dieu ne pèche pas », comme ayant rapport à une seule espèce de fautes que ne peut commettre ce qui est né de Dieu. Cette faute serait de telle nature que quiconque s'en rendrait coupable imprimerait sur toutes ses autres prévarications le sceau de la permanence, et quiconque s'en préserverait, ferait, par -là même, disparaître tous ses autres péchés. En quoi consiste ce péché ? A violer la loi. Quelle loi ? « Je vous donne une loi nouvelle, c'est de vous aimer les uns les autres (2) ». Attention ! Ce commandement du Christ s'appelle la charité ; par elle sont détruits les péchés. Ne point l'avoir en soi, c'est une grande

 

1. Jean, III, 4-8.— 2. Id. XIII, 34.

 

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faute, c'est la source de toutes les fautes.

3. Remarquez-le, mes frères : nous venons d'indiquer une pensée qui sera, pour ceux qui la saisiront bien, la clef de la difficulté proposée. Toutefois, marchons-nous seulement avec les plus agiles ? Non ; et nous ne devons point laisser erg arrière ceux mêmes dont le pas est plus lent. Essayons de vous communiquer de notre mieux notre pensée, et de la mettre à la portée de tous. J'imagine, mes frères› que nous devons considérer comme ayant souci de son âme tout homme qui entre dans l'Eglise, non sans motif, qui ne cherche pas à y trouver un avantage temporel ; qui, par conséquent, n'y pénètre pas afin de s'y occuper d'affaires d'intérêt, mais qui s'y présente pour entrer en possession des biens éternels promis à titre de récompense à ses efforts : cet homme doit donc voir s'il marche dans le chemin du ciel, de façon à ne pas rester en arrière, à ne pas reculer, à ne pas s'égarer, ou, en se traînant péniblement le long de la voie, à ne point arriver au but. Que celui qui a souci de son âme, marche vite ou lentement, peu importe, pourvu qu'il ne s'écarte pas du droit chemin. J'en ai fait la remarque ; dans la pensée, de Jean, ces paroles : « Celui qui est né de Dieu ne pèche pas », doivent peut-être s'entendre dans le sens d'un péché particulier ; car, autrement, ce passage serait en contradiction avec celui-ci : « Si nous disons que nous n'avons pas de péché, nous nous séduisons nous-mêmes, et la vérité n'est point en nous ». On peut donc résoudre ainsi la difficulté : Il y a un péché dont ne peut se rendre coupable celui qui est né de Dieu : si on ne le commet pas, tous les autres disparaissent ; mais si on le commet, tous les autres demeurent. En quoi consiste ce péché ? A agir contre le commandement du Christ, contre le testament nouveau. Quel est le commandement nouveau ? « Je vous donne un commandement nouveau, c'est de vous aimer les uns les autres ». Que celui qui agit contre la charité et l'amour de ses frères, n'ait pas l'audace de se glorifier et de se dire enfant de Dieu. Pour celui qui a été établi dans la charité fraternelle, il y a des péchés particuliers dont il ne peut se rendre coupable, surtout le péché de détester son frère. Que penser, maintenant, des autres péchés à l'occasion desquels Jean a dit . « Si nous disons que nous n'avons pas de péché, nous nous séduisons nous-mêmes, et la vérité n'est pas en nous ? » Pour nous rassurer, écoutons ces autres paroles de l'Ecriture « La charité couvre la multitude des péchés (1) ».

4. Nous recommandons la charité, cette épître la recommande aussi. Après sa résurrection, le Sauveur a-t-il interrogé Pierre sur un autre sujet que celui-ci : « M'aimes-tu ? » Ce ne fut pas assez de lui adresser une fois pour toutes cette question : il y revint une seconde, et même une troisième fois. A la troisième interrogation, Pierre se chagrina de voir que Jésus semblait ne pas croire à sa parole, comme s'il ignorait ses sentiments intimes ; néanmoins, le Sauveur lui fit la même demande par trois fois différentes. Par crainte, Pierre avait trois fois renié le Christ : trois fois il le confessa par amour (2). Voilà que Pierre aime le Seigneur. Que fera-t-il pour lui ? Son trouble se trahit, comme celui du Psalmiste, dans ces paroles : « Que rendrai-je au Seigneur pour tous les biens dont il m'a comblé ? » Celui qui s'exprimait ainsi dans le psaume, considérait les bienfaits qu'il avait reçus de Dieu ; il cherchait à savoir ce qu'il pourrait lui rendre en retour, et n'y parvenait pas. En effet, tout ce que tu serais à même de lui offrir par reconnaissance, ne l'as-tu pas reçu de ses mains avant de le lui rendre? Que trouva donc le Prophète, pour en faire hommage à son Dieu ? Comme je l'ai déjà dit, mes frères, ce qu'il tenait de la générosité divine, voilà ce qu'il trouva à lui offrir pour le remercier de ses dons : « Je recevrai le calice du salut, et j'invoquerai le nom du Seigneur (3) ». Qui lui avait donné le calice du salut, sinon celui à qui il voulait donner un témoignage de sa gratitude ? Recevoir le calice du salut et invoquer le nom du Seigneur, c'est être rassasié de charité ; c'est en être saturé au point, non-seulement de ne, pas haïr son frère, mais même d'être prêt à mourir pour lui. Etre prêt à mourir pour son frère, tel est le comble de la charité. Le Sauveur s'est donné lui-même comme exemple de cette charité parfaite. Il est, en effet, mort pour tous : alors, il priait pour ses bourreaux, et disait : « Père, pardonnez-leur, car ils ne savent ce qu'ils font (4) ». S'il avait été seul à agir ainsi, s'il n'avait pas eu de disciples pour

 

1. I  Pierre, IV, 8.— 2. Jean, XXI, 15-17.— 3. Ps. CXV, 12, 13.— 4. Luc, XXIII, 34.

 

 

l'imiter, il n'aurait pas été Maître. Mais il a eu des disciples qui ont suivi ses traces et imité ses exemples. Pendant qu'on lui jetait des pierres, Etienne était agenouillé et disait : « Seigneur, ne leur imputez point ce crime (1) ». Il aimait ses bourreaux, puisqu'il mourait même pour eux. Ecoute aussi l'apôtre Paul « Je me sacrifierai moi-même pour vos âmes (2) ». Il était, en effet, du nombre de ceux pour qui Etienne priait, quand il tombait victime de leurs coups. Voilà la charité parfaite : elle se trouve, dans toute sa perfection, en celui qui aime ses frères au point d'être prêt à tout faire, et même à mourir pour eux. Mais peut-on remarquer en elle ce degré de perfection, aussitôt qu'elle a pris naissance dans une âme ? Pour être à même de devenir parfaite, elle commence par y naître ; puis elle s'alimente; puis elle se fortifie ; puis, enfin, elle se perfectionne ; et, quand elle est parvenue à ce comble de la perfection, que dit-elle ? « Le Christ est ma vie, et la mort m'est un gain. J'éprouve un ardent désir d'être détaché des liens du corps, et d'être avec Jésus-Christ, ce qui est, sans comparaison, le meilleur ; mais il est « plus avantageux pour vous que je demeure en cette vie (3) ». Paul voulait vivre pour ceux en faveur desquels il était prêt à mourir.

5. Voulez-vous une preuve que c'est bien la charité parfaite que ne viole point, contre laquelle ne pèche pas quiconque est né de Dieu? La voici. Le Sauveur dit à Pierre

« Pierre, m'aimes-tu? » Celui-ci répondit « Je vous aime ». Jésus ne dit pas : Si tu m'aimes, rends-moi service. Pendant le cours de sa vie mortelle, le Christ eut faim et soif dans les moments où il éprouvait le besoin de boire et de manger, on lui offrait l'hospitalité, et, comme nous le voyons dans l'Évangile, des personnes riches subvenaient à tous ses besoins (4). Zachée le reçut dans sa maison, et, parce qu'il reçut le médecin, il fut guéri de son mal. De quel mal ? De l'avarice. Il était en effet très-riche, et prince des publicains. Voyez comment il fut guéri du défaut d'avarice : « Je donne », dit-il, « la moitié de mes biens aux pauvres, et si j'ai fait tort à quelqu'un en quoi que ce soit, je lui rendrai quatre fois autant (5) ». S'il a conservé

 

1. Act. VII, 59.— 2. II Cor, XIV, 15. — 3. Philipp. I, 21-24.— 4. Luc, VIII, 5.— 5. Id. XIX, 6-8.

 

la moitié de sa fortune, c'était, non pour en jouir, mais pour payer ses dettes. Il donna donc, ce jour-là, l'hospitalité à son médecin, puisque le Seigneur se trouvait dans l'infirmité de la chair, et que les hommes devaient lui prêter aide et secours, il voulait, par là, leur faire du bien; car c'était à leur avantage, et non pas au sien, qu'il travaillait. Demandait-il du soulagement aux anges qui le servaient? Le besoin ne s'en faisait pas davantage sentir à son serviteur Elie, auquel un corbeau apportait de sa part le pain et la viande nécessaires pourtant, afin d'avoir l'occasion de bénir une pieuse veuve, Dieu lui envoie son serviteur, et elle fournit à la subsistance de l'homme que nourrissait en secret le Très-Haut (1). Cependant, quoique les gens charitables travaillent à leur propre avantage, en subvenant aux besoins des serviteurs de Dieu, à cause de cette promesse de récompense clairement faite par le Sauveur dans l'Évangile : « Celui qui reçoit le prophète comme prophète, recevra la récompense du prophète , et celui qui reçoit le juste, recevra la récompense du juste; et celui qui donnera à boire à l'un de ces plus petits, seulement un verre d'eau froide, en qualité de mon disciple, en vérité, je vous le dis, il ne perdra point sa récompense (2) ». Quoique ceux qui agissent de la sorte, travaillent à leur propre avantage, il était, néanmoins, impossible d'exercer ainsi la charité à l'égard du Dieu qui allait remonter au ciel. Pierre l'aimait, mais que pouvait-il faire pour lui, en signe de gratitude ? Ecoute, le voici : « Pais mes brebis », c'est-à-dire : Fais pour tes frères ce que j'ai fait pour toi. Je vous ai tous rachetés au prix de mon sang; n'hésitez pas de mourir pour la confession de la vérité, afin que les autres vous imitent.

6. Mais c'est là, avons-nous dit, mes frères, la charité parfaite : celui qui est né de Dieu, la possède. Que votre charité me prête toute son attention : comprenez bien ce que je dis. L'homme baptisé a reçu le sacrement qui l'a fait naître : il possède ce sacrement; sacrement grand, divin, saint, ineffable. Remarque-le : il est si grand qu'il crée un homme nouveau en lui remettant tous ses péchés. Toutefois , examinons attentivement notre coeur; voyons si ce qui s'est fait sur notre corps s'est fait parfaitement dans notre âme

 

1. III Rois, XVII, 4-9.— 2. Matth, X, 41, 42.

 

 

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La charité y existe-t-elle? Alors, disons : Je suis né de Dieu ; si, au contraire, elle n'y existe pas, nous en portons la marque imprimée sur nous, c'est vrai ; mais nous avons quitté le bon chemin, nous errons loin de lui. Ayons la charité : autrement, ne nous disons pas enfants de Dieu. Mais, dira-t-on, j'ai reçu le sacrement. Ecoute l'Apôtre : « Quand je pénétrerais tous les mystères, et que j'aurais toute la foi possible, jusqu'à transporter les montagnes, si je n'ai pas la charité, je ne suis rien. (1) ».

7. Si vous vous en souvenez, nous vous l'avons dit en commençant l'explication de cette Epitre, rien ne nous y est si vivement recommandé que la charité. Quoique l'Apôtre semble y parler de chose et d'autre, il en revient toujours là, et il veut rapporter à la charité toutes ses paroles. Voyons si, même en cet endroit, il agit de la sorte. Ecoute bien

« Quiconque est né de Dieu ne commet point le péché ». Nous cherchons à savoir quel péché. Car s'il était ici question de toute espèce de péché, ce passage contredirait ces autres paroles : « Si nous disons que nous n'avons pas de péché, nous nous séduisons; et la vérité n'est pas en nous ». Que Jean nous dise donc quel est ce péché : qu'il nous instruise; je ne veux pas dire témérairement que ce péché est la violation du précepte de la charité; il a dit plus haut : « Celui qui hait son frère est dans les ténèbres, et il marche dans les ténèbres, et il ne sait où il va, parce que les ténèbres l'ont aveuglé (2) ». Mais peut-être s'est-il expliqué plus loin et a-t-il prononcé le nom de la charité. Remarquez-le : toute cette circonlocution aboutit finalement à ce résultat : « Quiconque est né de Dieu ne pèche point, parce que la semence de Dieu demeure en lui ». La semence de Dieu, ou, en d'autres termes, la parole divine; aussi l'Apôtre dit-il : « Je vous ai engendrés par l'Evangile (3). Il ne peut commettre le péché, parce qu'il est né de Dieu ». Que Jean nous l'explique : voyons en quel sens l'enfant de Dieu ne peut pécher. « En cela, on reconnaît les enfants de Dieu et les enfants du démon. Quiconque n'est pas juste, n'est point lié de Dieu, non plus que celui qui n'aime pas son frère ». Nous voyons maintenant, à n'en pas douter, pourquoi il dit : « Non plus que celui qui n'aime

 

1. I Cor. XIII, 12.— 2.  I Jean, II, 11.— 3. I Cor. IV, 15.

 

pas son frère ». La charité est donc la seule marque distinctive entre les enfants de Dieu et ceux du démon. Que tous fassent sur eux le signe de la croix; que tous répondent Ainsi soit-il ; que tous chantent : Alleluia ; que tous reçoivent le baptême, qu'ils entrent dans les églises, qu'ils bâtissent des basiliques. Rien, si ce n'est la charité, ne distingue les fils de Dieu des fils du démon. Ceux qui ont la charité, sont nés de Dieu; ceux qui ne l'ont pas, ne sont pas ses enfants. Précieuse marque, distinction inestimable. Possède ce que tu voudras, si tu n'as pas la charité, le reste ne te sert de rien. Que le reste te fasse défaut, mais que, du moins, tu aies la charité, et tu auras accompli la loi. « Car celui qui aime son prochain, accomplit la loi », dit l'Apôtre, « et l'amour est la plénitude de la loi (1) ». Je considère la charité comme étant cette perle précieuse que l'Ecriture nous montre recherchée par un marchand : « Cet homme, ayant trouvé une perle d'un grand prix, vend tout ce qu’il possède et l'achète (2)». Cette perle d'un grand prix, c'est bien la charité, sans laquelle rien de ce que tu possèdes ne peut t'être de quelque utilité, et qui te suffirait à elle seule, lors même que tu ne possèderais rien autre chose. Aujourd'hui, tu ne vois Dieu que par la foi; plus tard, tu le verras réellement. Si nous l'aimons, lors même que nous ne pouvons encore le contempler, que sera-ce lorsque nous le verrons de nos yeux ? Mais à quoi devons-nous consacrer tous nos soins? A aimer nos frères. Tu peux me dire : Je n'ai pas vu Dieu; peux-tu me dire : Je ne vois pas l'homme? Aime ton prochain; car si tu aimes le prochain que tu aperçois, tu verras aussi Dieu, parce que tu verras la charité même; et que Dieu habite en ton coeur.

8. « Celui qui n'est pas juste, n'est point né de Dieu, non plus que celui qui n'aime point son frère. Car ce qui nous a été annoncé », vois comment il le prouve : « Car ce qui nous a été annoncé et ce que nous avons entendu dès le commencement, c'est que nous nous aimions les uns les autres». Il nous montre que tel est le motif, de ses paroles; et quiconque agit contre ce commandement, tombe dans le péché énorme où tombent ceux qui ne sont pas nés de Dieu. « Et que nous n'imitions pas Caïn, qui était

1. Rom. XIII, 8, 10.— 2. Matth. XIII, 46.

 

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poussé par le malin esprit et qui tua son frère. Et pourquoi le tua-t-il? Parce que « ses oeuvres étaient mauvaises, et que celles de son frère étaient bonnes ». Où se trouve l'envie , l'amour fraternel ne peut donc se trouver en même temps. Que votre charité y fasse attention. Quiconque est rongé par l'envie, n'aime pas. Le péché du démon se trouve en lui, parce que l'envie du démon a causé la chute de l'homme. Il était tombé le premier, et il conçut de l'envie en voyant l'homme debout; s'il a voulu faire choir Adam, c'était non pour se relever lui-même, mais pour ne pas se trouver seul dans l'abîme. De ce fait qu'il a occasionné la chute du premier homme, vous devez conclure que l'envie ne se rencontre pas dans la charité. En faisant l'éloge de la charité, Paul a dit positivement : « La charité n'est pas envieuse (1) ». La charité faisait défaut en Caïn, et si elle avait manqué à son frère, le sacrifice d'Abel n'eût pas été agréé de Dieu. Ils lui offrirent, l'un des fruits de la terre, l'autre des agneaux de son troupeau. A votre avis, mes frères, pourquoi Dieu méprisa-t-il les fruits de la terre et accepta-t-il les agneaux du troupeau? C'est que, sans faire attention à la nature des présents, il considéra les dispositions intérieures de l'un et de l'autre, et il reposa ses regards sur le sacrifice de celui qui le lui offrait avec amour, tandis qu'il détourna les yeux du sacrifice de celui qui ressentait de la jalousie en le lui offrant. Ce qui faisait le prix des actions d'Abel, c'était donc la charité seule, comme ce qui rendait mauvaises les actions de Caïn, c'était l'envie qu'il éprouvait à l'égard de son frère. Ce ne fut pas assez pour lui de haïr son frère et de jalouser ses bonnes oeuvres; comme il n'avait pas le courage de l'imiter, il le fit mourir. Par là, il devint évident que Caïn était un enfant du démon; et qu'Abel était un juste de Dieu. Par là, mes frères, les hommes se distinguent donc les uns des autres. Ne faites pas attention à ce que dit un homme, mais à ce qu'il fait et à ce qu'il aime. Dès lors qu'il agit mal à l'égard du prochain, il montre ce qu'il a dans le cœur. C'est la tentation qui fait connaître l'homme.

9. « Ne vous étonnez pas, mes frères, si le monde vous déteste ». Faut-il vous dire encore ce qu'est le monde? Ce n'est ni le ciel, ni la terre, ni ces oeuvres visibles sorties

 

1. I Cor. XIII, 1.

 

des mains de Dieu : ce sont les amateurs du monde. En répétant sans cesse la même chose, je deviens ennuyeux pour plusieurs; et, pourtant, ce n'est pas inutilement que je me répète, car, demandez à quelques-uns ce. que j'ai dit, ils ne vous répondront pas. Il me faut donc appuyer sur ce point, afin que mes paroles se gravent dans le coeur de ceux qui m'écoutent. Qu'est-ce que le monde? Si vous prenez ce mot en mauvaise part, on entend parle monde tous ceux qui l'aiment: considéré à son meilleur point de vue, il signifie le ciel, la terre et toutes les créatures de Dieu qu'ils renferment; c'est dans ce sens qu'il est dit : « Et le monde a été fait par lui (1) ». Ce mot désigne encore tous les habitants de la terre ; Jean lui-même l'a employé en ce sens : « Et lui-même est la victime de propitiation pour nos péchés, et non-seulement pour les nôtres, mais aussi pour ceux de tout le monde $». Sous ce vocable il range tous les fidèles répandus dans l'univers. Quant au monde, pris dans l'acception défavorable du mot, ce n'est autre chose que les amateurs du monde. Ceux qui aiment le monde ne peuvent aimer le prochain.

10. « Si le monde nous déteste, nous savons ». Que savons-nous? « Que nous avons passé de « la mort à la vie». Pourquoi le savons-nous? « Parce que nous aimons nos frères ». Que personne ne questionne son voisin; que chacun de nous rentre en lui-même; et s'il trouve en son coeur la charité fraternelle, qu'il soit tranquille, parce qu'il a passé de la mort à la vie. Il est déjà placé à la droite; si maintenant sa gloire est cachée, qu'il n'y fasse pas attention ; lorsqu'aura lieu l'avènement du Seigneur, alors il apparaîtra dans la gloire. Il n'est pas mort, mais il en est encore au temps de l'hiver; sa racine est vivace, mais ses branches semblent desséchées; au dedans se trouvent et se cachent la sève, les feuilles et les fruits, en attendant la saison d'été. « Nous savons » donc « que nous avons passé de la mort à la vie, parce que nous aimons nos frères:Celui qui n'aime point, demeure dans la mort ». N'allez pas vous imaginer, mes frères, que détester ou ne pas aimer soit peu de alose; écoutez ce qui suit : « Quiconque hait son frère, est homicide ». S'il en est parmi-nous un seul qui attache peu d'importance à la haine du prochain, pourra-t-il

 

1. Jean, I, 10.— 2. I Jean, II, 2.

 

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avoir en son âme la même idée à l'égard de l'homicide ? Il ne porte pas encore la main sur son frère pour le faire mourir, mais il est déjà regardé par Dieu comme un homicide. La victime est encore vivante, et le bourreau est déjà jugé. « Quiconque hait son frère est homicide. Et vous savez que nul homicide n'a la vie éternelle résidante en lui ».

11. « Nous avons connu l'amour de Dieu envers nous »; l'Apôtre parle de la charité parfaite, de cette charité dont nous vous avons parlé. «Nous avons connu l'amour de Dieu envers nous, parce qu'il a donné sa vie pour nous, et nous devons aussi donner notre vie pour nos frères ». Voilà l'explication de ces paroles: « Pierre, m'aimes-tu ? Pais mes brebis ». Jésus voulait que Pierre fît paître ses brebis, en ce sens qu'il donnât sa vie pour elles; j'en trouve la preuve dans ces paroles que le Sauveur adressa immédiatement après à son Apôtre : « Lorsque tu étais plus jeune, tu te ceignais toi-même, et tu allais où tu voulais; mais quand, dans ta vieillesse, tu étendras tes mains, un autre te ceindra et te mènera où tu ne voudras pas. Or », remarque l'Évangéliste, « il dit cela pour indiquer par quelle mort il devait glorifier Dieu (1) ». En disant à Pierre : «Pais mes brebis », il voulait lui apprendre à mourir pour elles.

12. Où commence la charité, mes frères ? Réfléchissez un peu ; vous savez déjà où elle puise sa perfection ; quelle est sa fin et son caractère ? Le Sauveur lui-même vous l'a appris dans l'Évangile: « Personne ne peut témoigner un plus grand amour qu'en donnant sa vie pour ses amis (2)» . Dans l'Évangile, il nous apprend donc en quoi consiste la perfection de la charité, et il nous en donne la plus haute idée dans ce passage. Mais vous vous adressez à vous-mêmes cette question ; vous vous dites : Quand pourrons-nous avoir cette charité ? Ne va pas si vite à perdre confiance. en toi; elle a peut-être déjà pris naissance en ton coeur ; seulement, elle n'est pas arrivée encore au comble de la perfection nourris-la pour qu'elle ne périsse pas. Mais, me diras-tu, comment savoir si je l'ai? Nous avons appris comment elle se perfectionne; apprenons où elle commence. Jean continue en ces termes: « Un homme qui a les biens de ce monde et qui, voyant. son frère dans

 

1. Jean, XXI, 15-19.— 2. Id. XV, 13.

 

la détresse, lui ferme son coeur et ses entrailles, comment aurait-il en soi l'amour de Dieu ? » Voilà où commence la charité. Si tu n'es pas encore capable de mourir pour le prochain, sois déjà au moins disposé à partager ton bien avec lui. Que la charité émeuve tes entrailles; et, en voyant ton frère dans le besoin, aide-le, non par ostentation, mais par l'effet du plus pur sentiment de compassion miséricordieuse. Car si tu n'es pas assez généreux pour donner au prochain ton superflu, le seras-tu assez pour sacrifier ta vie en sa faveur? Tu as, par devers toi, de l'argent que les voleurs peuvent te prendre; s'ils ne te le prennent pas, si, pendant la vie, il ne te quitte point, la mort t'en séparera. Que faire alors ? Ton frère a faim, il se trouve dans l'embarras; peut-être est-il arrêté, pressé par un créancier; il ne possède rien, et toi tu es riche ; c'est ton frère; vous avez été achetés en même temps, le prix de votre rançon est le même ; vous avez été rachetés au prix du sang du Christ. Vois si tu as pitié de ce frère, quand tu es riche des biens du monde. Que m'importe, me diras-tu? Irai-je donner ma fortune pour le préserver d'embarras? Si ton coeur te répond de la sorte, l'amour du Père ne se trouve pas en toi, et si l'amour du Père ne se trouve pas en toi, tu n'es pas né de Dieu. Comment alors te glorifier d'être chrétien? Tu en as le nom, mais tu n'en mènes pas la conduite; que si tes oeuvres sont d'accord avec ton nom, on aura beau t'appeler païen, tu montreras par ta manière d'agir que tu es chrétien. Mais si tes moeurs ne dénotent pas en toi un disciple du Christ, lors même que tout le monde t'appellerait chrétien, à quoi te servirait d'en porter le nom sans l'être réellement? « Un homme qui a les biens de ce monde et qui, voyant son frère dans la détresse, lui ferme son cœur et ses entrailles, comment aurait-il en soi l'amour de « Dieu? » L'Apôtre ajoute : « Mes petits enfants, n'aimons pas seulement de parole et de langue, mais par les oeuvres et en vérité ».

13. Je le pense, mes frères, je vous ai fait suffisamment connaître le grand secret, l'indispensable mystère de la charité. Ce qu'elle est, toute l'Écriture nous le dit; mais je ne sais si en aucun endroit il en est plus question que dans cette Epître. Nous vous prions, nous vous conjurons dans le Seigneur de (201) garder le souvenir de ce que nous vous en avons dit, et de venir avec régularité écouter attentivement ce qui nous reste à vous dire sur cette Epître, pour vous l'expliquer dans son entier. Ouvrez votre coeur à la bonne semence ; arrachez-en les épines afin qu'elles n'y étouffent pas le grain que nous y déposons, et que la récolte y vienne abondante ; le laboureur aura ainsi lieu de se réjouir, et il préparera pour vous, non pas le feu comme si vous étiez de la paille, mais ses greniers, parce que vous serez du bon grain.

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SIXIÈME TRAITÉ.

DEPUIS CES PAROLES : « PAR LA NOUS CONNAISSONS QUE NOUS SOMMES ENFANTS DE LA VÉRITÉ », JUSQU'A CES AUTRES : « ET C'EST L'ANTÉCHRIST DONT VOUS AVEZ ENTENDU DIRE , ETC. » (Chap. III, 19-24 ; IV, 1-3.)

LA FOI ET LES OEUVRES.

 

Le commencement de la charité consiste à donner son superflu ; puis la parole de Dieu et l'espérance de la vie éternelle lui servent d'aliment et l'aident à arriver à sa perfection. Elle seule donne du prix à nos oeuvres de miséricorde, et, si elle est sincère, elle nous ouvre le coeur de Dieu et le dispose à nous accorder tout ce que nous lui demandons, pourvu que nous le demandions dans l'ordre du salut. En effet, soit qu'il obtempère, soit qu'il résiste à nos désirs, des lors que nous désirons avant tout nous sauver, il nous exauce toujours, tandis qu'en cédant aux instances des pécheurs, il ne les exauce nullement par rapport au salut. Ce qui décide Dieu à nous exaucer, c'est notre foi en Jésus-Christ et notre amour pour nos frères : ces deux vertus l'amènent à demeurer en nous. Mais comment savons-nous s'il demeure en nous? L'esprit de Dieu nous l'apprend, quand, au témoignage de notre conscience, nous savons que nous avons la foi en Jésus-Christ, et que notre foi se traduit en couvres de charité.

 

1. Si vous vous en souvenez, mes frères, nous avons, hier, terminé notre discours par cette pensée que vous avez sans doute conservée et que vous conserverez dans votre coeur, parce que nous vous l'avons communiquée en finissant : « Mes petits enfants, n'aimons pas seulement de parole ni de langue, mais par les oeuvres et en vérité ». L'Apôtre continue ainsi : « Par là, nous savons que nous sommes enfants de la vérité, et, en présence de Dieu, nous sentons nos coeurs persuadés. Si notre coeur nous condamne, Dieu est plus grand que notre coeur, et il connaît tout ». Il avait dit : « N'aimons pas seulement de parole et de langue, mais par les oeuvres et en vérité ». Nous voulons savoir à quelle couvre, à quelle vérité on reconnaît celui qui aime Dieu ou celui qui aime son prochain. Jean avait dit plus haut jusqu'où doit aller la charité pour être parfaite ; le Sauveur l'avait lui-même déclaré dans l'Evangile : « Personne ne peut témoigner un plus grand amour, qu'en donnant sa vie pour ses amis (1)». Et l'Apôtre

 

1. Jean, XV, 13.

 

avait, à son tour, ajouté ceci : « Comme il a donné lui-même sa vie pour nous, ainsi devons-nous donner la nôtre pour nos frères ». Voilà, évidemment, la charité parfaite ; il est absolument impossible d'en trouver de plus grande. Mais comme elle ne se trouve point parfaite en tous, celui qui ne la possède pas dans toute sa perfection ne doit nullement se désoler, pourvu qu'elle ait déjà pris naissance en lui, et qu'elle soit, par conséquent, susceptible d'arriver à son comble. Car si elle s'y trouve déjà, il faut la nourrir et la conduire à la perfection qui lui est propre en lui donnant des aliments choisis et spéciaux. Nous avons cherché à découvrir le point initial de la charité, à savoir où elle commence, et, aussitôt, nous avons trouvé dans l'épître de Jean ces paroles : « Un homme qui a les biens de ce monde, et qui, voyant son frère dans la détresse, lui ferme son coeur et ses entrailles, comment aurait-il  en soi l'amour de Dieu (1)? » Mes frères, cette charité commence donc à exister, lorsqu'on donne de son superflu aux malheureux

 

1. I Jean,  III, 16, 17.

 

 

202

 

plongés dans le besoin, et qu'on délivre le prochain des épreuves du temps, en leur faisant part des biens temporels qu'on possède en abondance. Voilà où commence la charité. Après qu'elle aura ainsi pris naissance en toi, donne-lui pour aliment la parole de Dieu et l'espérance de la vie future, et tu arriveras à ce degré de perfection que tu seras prêt à donner ta vie pour tes frères.

2. Il en est qui ont d'autres espérances, qui n'aiment pas leurs frères, et qui, pourtant, font beaucoup d'oeuvres pareilles; retournons au témoignage de la conscience. Comment prouver que ceux qui n'aiment pas leurs frères, agissent souvent de la sorte? Combien, parmi les hérétiques et les schismatiques, se donnent le nom de martyrs ! A leurs propres yeux, ils donnent leur vie pour leurs frères. Mais s'ils donnaient leur vie pour leurs frères, est-ce qu'ils feraient schisme avec la fraternité universelle ? Evidemment, non. De même que des gens font des largesses, distribuent de l'argent en quantité, uniquement par ostentation, et ne cherchent en cela que les louanges des hommes, que la considération du peuple, considération bouffie, exposée à toutes les chances de vicissitudes du temps ! Puisque telle est leur conduite, comment reconnaître la charité fraternelle ? L'Apôtre veut nous la faire distinguer ; aussi nous donne-t-il un avertissement : « N'aimons pas seulement de parole et de langue, mais par les oeuvres et en vérité ». Nous voulons savoir par quelle oeuvre, en quelle vérité. Peut-il y avoir une oeuvre plus certaine que celle de donner aux pauvres? Beaucoup le font par jactance, et non par charité. Peut-il y avoir d'oeuvre plus grande que celle de mourir pour ses frères? C'est ce que plusieurs voudraient encore avoir la réputation de faire, par désir de se faire un nom, et non point par sentiment intime de charité. Pour aimer nos frères; il ne nous reste rien à faire qu'à nous retirer en présence de Dieu, dans ce sanctuaire où notre oeil seul pénètre, où nous sentons notre coeur persuadé, où nous nous interrogeons nous-mêmes pour savoir si l'amour du prochain est le mobile de nos actions; alors, il reçoit le témoignage de cet oeil qui scrute les profondeurs de son âme où nul homme ne saurait porter ses regards. Aussi, parce qu'il était prêta mourir pour ses frères, et qu'il disait : « Je me sacrifierai moi-même pour vos âmes (1) », parce que Dieu lisait en son coeur ce que ne pouvaient y lire les hommes auxquels il adressait la parole, l'apôtre Paul leur disait : « Je me mets fort peu en peine d'être jugé par vous ou devant le tribunal de l'homme (2) ». Le même Apôtre prouve, en un autre endroit, que d'habitude les oeuvres de miséricorde sont le résultat de la vanité, au lieu d'être l'effet d'une charité solide. Parlant, en effet, de cette charité fraternelle pour la faire connaître, il s'exprime ainsi : « Quand je distribuerais tous mes biens aux pauvres, et que je livrerais mon corps pour être brûlé, si je n'ai point la charité, tout cela ne me sert de rien (3)». Peut-on faire tout cela sans avoir la charité? Sûrement , oui. Car ceux qui n'ont pas la charité, ont scindé l'unité. Cherchez parmi eux, et vous en verrez beaucoup donner beaucoup aux pauvres; vous en verrez beaucoup disposés à mourir, puisque, la persécution ayant pris fin, ils se précipitent eux-mêmes dans les abîmes ; il est sûr que, pour tout cela, la charité ne les inspire nullement. Revenons-en donc à la conscience, dont l'Apôtre parle en ces termes : « Ce qui fait notre gloire, c'est le témoignage de notre conscience (4) ». Retournons à notre conscience, au sujet de laquelle le même Apôtre a dit : « Que chacun examine bien ses propres actions, et, alors seulement,.il aura de quoi se glorifier en lui-même, et non dans un autre (5) ». Que chacun de-nous examine donc ses propres actions, afin devoir si elles émanent de la vraie charité, si elles proviennent de la racine tout aimante de l'arbre des bonnes oeuvres. « Que chacun », dit Jean, « examine ses propres actions, et, alors seulement, il aura de quoi se glorifier en lui-même, et non dans un autre »; quand il recevra un bon témoignage, non de la part des étrangers, mais de sa propre conscience.

3. Voici ce qu'il nous rappelle ici. « Nous connaissons que nous sommes enfants de la vérité », quand nous aimons, non-seulement de parole et de langue, mais par le oeuvres et en vérité; « et, en présence de Dieu, nous sentons nos coeurs persuadés ». Qu'est-ce à dire : « En présence de Dieu ? » Où s'étendent ses regards. C'est pourquoi le Sauveur dit lui-même dans l'Evangile :

 

1. II  Cor. XII, 15.— 2. I Cor. IV, 3.— 3. Id. XIII, 3.— 4. II Cor. I, 12.— 5. Galat. VI, 4.

 

203

 

« Prenez garde de faire vos bonnes oeuvres devant les hommes, afin qu'ils vous voient ; autrement, vous n'aurez pas de récompense de votre Père qui est dans les cieux ». Et que signifient ces mots : « Que votre main gauche ignore ce que fait votre main droite (1) » , sinon que la main droite est le symbole d'une conscience pure, et que la gauche est celui de la convoitise mondaine ? Plusieurs se distinguent par un grand nombre d'actions éclatantes; la convoitise mondaine est le mobile de leur conduite; c'est la main gauche , et non leur main droite qui agit. La main droite doit agir sans que la gauche le sache, car, lorsque la charité nous porte à faire du bien, il ne faut pas que la cupidité du siècle vienne s'y mêler. Comment le savons-nous? Tu es en présence de Dieu ; interroge ta conscience ; vois ce que tu as fait, examine tes intentions secrètes As-tu voulu travailler au salut de ton âme, ou attirer les louanges creuses des hommes? Scrute ton coeur. Car on ne peut juger celui dont on ne peut scruter les pensées. Si nous sentons en nous un cœur persuadé, ayons-le tel en présence de Dieu. « Si notre cœur nous condamne », c'est-à-dire nous accuse intérieurement d'agir avec des intentions autres que celles que nous devons avoir, « Dieu est plus grand que notre coeur, et il « connaît tout ». Aux yeux de l'homme, tu dérobes tes pensées; si tu le peux, dérobe les aux yeux de Dieu. Comment en ôter la connaissance à ce Dieu, à qui un pécheur, confus et sincère, disait autrefois

« Où irai-je devant votre Esprit? Où fuirai-je devant votre face? » Il cherchait où fuir pour éviter le jugement de Dieu, et il ne trouvait pas de place. En effet, où Dieu n'est-il pas? « Si je monte dans les cieux, vous y êtes; si je descends aux enfers, je vous y trouve (2) ». Où iras-tu? Où fuiras-tu? Veux-tu écouter un conseil? Tu veux l'éviter? Jette-toi dans ses bras. Jette-toi dans ses bras; et, pour cela, avoue tes fautes, ne cherche pas à te dérober à ses regards ; car, tu ne peux t'y soustraire, mais tu peux faire l'aveu de tes péchés. Dis-lui : « Vous êtes mon refuge (3) », et nourris en toi la charité, qui, seule, conduit à la vie. Que ta conscience te rende ce témoignage, parce qu'elle est la voix de Dieu. Et puisqu'elle vient de Dieu, n'aie point la

 

1. Matth. VI, 1, 3.— 2 Ps. CXXXVIII, 7, 8.— 3. I Id. XXXI, 7.

 

volonté de l'étaler sous les regards des hommes; car leurs louanges sont aussi incapables de t'élever au ciel, que leurs critiques de te jeter dans la boue. Que celui-là y lise, qui couronne tes mérites ; prends pour témoin celui qui te jugera et te donnera la récompense. « Dieu est plus grand que notre coeur, et il connaît tout ».

4. « Mes bien-aimés, si notre coeur ne nous condamne pas, nous pouvons nous approcher de Dieu avec confiance ». Qu'est-ce à dire : « Si notre cœur ne nous condamne pas? » S'il nous dit, en toute vérité, que nous aimons, et qu'en nous se trouve une charité vraie, non pas feinte, mais sincère, désireuse du salut de nos frères, étrangère à toute pensée de lucre, ne demandant au prochain rien autre chose que son salut, « nous pouvons nous approcher de Dieu avec confiance; et tout ce que nous demanderons, nous le recevrons de lui, parce que nous gardons ses commandements ». C'est pourquoi nous devons scruter notre coeur, non en présence des hommes, mais sous le regard de Dieu qui en connaît les pensées. « Nous pouvons donc nous approcher de Dieu avec confiance, et tout ce que nous demanderons, nous le recevrons de lui, parce que nous gardons, ses commandements ». Quels sont ses commandements? Faut-il donc le redire toujours? « Je vous donne un commandement nouveau, c'est que vous vous aimiez les uns les autres (1) ». C'est de la charité que parle Jésus; c'est elle qu'il nous recommande. Quand on a la charité fraternelle, et qu'on l'a devant Dieu , dans le cœur où pénètrent ses regards; quand on interroge sérieusement son coeur, et qu'après mûr examen il ne répond qu'une chose, à savoir que la vraie racine de la charité s'y trouve, on peut approcher de Dieu en toute confiance, et tout ce qu'on lui demandera, on le recevra, parce qu'on garde ses commandements.

5. Une difficulté se présente ici : Celui-ci ou celui-là, toi ou. moi, nous demanderons quelque chose au Seigneur notre Dieu; si je ne reçois rien, chacun d'entre vous n'aura-t-il pas une belle occasion de dire de moi : Il n'a pas la charité ? Il est facile d'en dire autant de tout homme de notre temps ; qu'on pense ce qu'on voudra de ses semblables, la

 

1. Jean, XIII, 34.

 

204

 

difficulté est plus grande que jamais , s'il est question de personnages qui étaient certainement des saints, lorsqu'ils écrivaient, et qui, sans aucun doute, sont maintenant avec Dieu. Qui a la charité, si Paul ne l'avait pas; lui qui disait : « O Corinthiens, ma bouche s'ouvre et mon coeur se dilate vers vous; vous n'êtes point à l'étroit dans mon coeur (1) » ; lui qui disait encore : « Je me sacrifierai pour vos âmes (2) » ; lui en qui la grâce était si abondante, que tous y apercevaient l'existence de la charité ? Nous voyons cependant qu'il a demandé et n'a pas reçu. Que disons-nous, mes frères? C'est une difficulté : dirigez vos pensées vers Dieu, c'est même une très-grande difficulté. Quand il s'est agi du péché, à propos de ces paroles : « Celui qui est né de Dieu ne pèche pas (3) », nous avons trouvé que ce péché consistait à violer la loi de la charité, et que cela a été formellement marqué au même endroit; comme nous l'avons fait alors, nous cherchons aujourd'hui à savoir ce qu'a voulu dire l'Apôtre. Si tu ne fais attention qu'aux paroles, elles semblent n'offrir aucune obscurité; mais si tu veux en faire l'application, il est difficile d'en pénétrer le sens. Y a-t-il rien de plus clair que ce passage : « Et tout ce que nous demanderons, nous le recevrons de lui, parce que nous gardons ses commandements, et que nous faisons tout ce qui lui est agréable? Tout ce que nous demanderons », dit l'Apôtre, « nous le recevrons de lui ». Jean nous donne là un grand sujet d'embarras, comme ailleurs il nous en aurait donné un, s'il avait parlé de toute espèce de péché; mais nous avons tourné la difficulté, en disant qu'il avait parlé d'un péché bien déterminé, et non du péché en général , d'un péché particulier que ne commet pas celui qui est né de Dieu ; de plus, nous avons trouvé que ce péché particulier est la violation de la loi de la charité. Nous en avons un exemple positif dans l'Evangile, car le Sauveur a dit : « Si je n'étais pas venu, ils n'auraient pas de péché (4) » . Eh quoi ! de ces paroles devons-nous conclure que les Juifs, au milieu desquels il était venu, étaient innocents, et que, s'il n'était point venu, ils n'auraient pas été coupables? La présence du médecin aurait-elle donc fait le malade; n'aurait-elle pas fait

 

1. II Cor. VI, 11,12.— 2. Id. XII,15.— 3. I Jean, III, 9.— 4. Jean, XV, 22.

 

disparaître la fièvre? Quel homme, même en démence, oserait soutenir pareille chose? Le Sauveur n'est venu que pour soigner et guérir les malades. Pourquoi donc a-t-il dit : « Si je n'étais point venu, ils n'auraient pas de péché ? » Ah ! c'est qu'il voulait évidemment nous parler d'un péché particulier. Les Juifs, selon sa pensée, n'auraient pas un certain péché. Quel péché ? Celui de ne pas croire en lui, de le méconnaître lorsqu'il se trouvait au milieu d'eux. De même qu'en cet endroit Jésus a parlé de péché, sans qu'on soit, pour cela, obligé de penser qu'il faisait allusion à toute espèce de péché, et non à un péché particulier; ainsi en est-il du texte de Jean : il n'y est pas question de tout péché, et, par conséquent, aucune contradiction ne se trouve entre lui et le suivant : « Si nous disons que nous n'avons pas de péché, nous nous séduisons, et la vérité n'est pas en nous (1) » . Il s'agit d'un péché déterminé, qui est la violation de la loi de la charité. Dans le cas présent, l'embarras est plus grand: Quand nous demandons, dit l'Apôtre, si notre coeur ne nous accuse pas, si, devant Dieu, il nous rend le témoignage que le véritable se trouve en nous, « n'importe ce que nous lui demandions, nous le recevrons de lui ».

6. Je l'ai déjà dit à votre charité : que personne ne fasse attention à nous; car, que sommes-nous ? Qu'êtes-vous vous-mêmes ? Quoi, sinon l'Eglise de Dieu, qui est connue de tous? Et si cela nous convient, nous sommes en elle; et nous tous, qui, par la charité, nous trouvons dans son sein, nous y demeurerons toujours, si nous voulons faire preuve de l'amour qui nous anime. Cependant, que pourrions-nous penser de mal à l'égard de l'apôtre Paul ? N'aimait-il pas ses frères? Sa conscience ne lui en rendait-elle pas intérieurement témoignage en présence de Dieu? Est-ce que ne se trouvait pas en Paul cette racine de la charité, d'où provenaient, comme de bons fruits , toutes ses oeuvres? Où est l'homme assez fou pour tenir un pareil langage? Où donc pouvons-nous reconnaître que cet Apôtre a demandé, sans néanmoins obtenir? « De peur que la grandeur de mes révélations ne me donne de l'orgueil, un aiguillon a été mis dans ma chair, instrument de Satan, comme pour

 

1. Jean, I, 8.

 

205

 

me donner des soufflets; c'est pourquoi j'ai prié le Seigneur de l'éloigner de moi. Il m'a répondu : Ma grâce te suffit, car la force se perfectionne dans la faiblesse (1) ». Voilà bien la preuve qu'il n'a pas été exaucé, et qu'on n'a pas éloigné de lui l'ange de Satan. Mais pourquoi ? Parce que cela ne lui était pas utile. Par rapport au salut, la prière de Paul a donc été exaucée, quoiqu'elle ne l'ait pas été relativement à son désir. Que votre charité remarque en cela un grand mystère; nous vous le recommandons, afin qu'au milieu de vos tentations, vous n'en perdiez point le souvenir. Par rapport au salut, les prières des saints sont exaucées en tout; toujours elles sont écoutées favorablement, quand il est question du salut éternel : ils souhaitent y parvenir ; aussi, relativement à lui, voient-ils toujours leurs voeux exaucés.

7. Mais, remarquons-le bien, Dieu a différentes manières d'exaucer : pour les uns, il les exauce en ce qui concerne leur salut, sans obtempérer à leurs désirs ; quant aux autres, il se conforme à leurs volontés, sans avoir égard au salut de leur âme. Faites-y attention. Voici l'exemple d'un homme dont Dieu a négligé les désirs pour assurer son salut. Ecoute l'apôtre Paul, car Dieu lui a montré qu'il l'exauçait dans la vue de son salut : « Ma grâce te suffit, car la force se perfectionne dans la faiblesse ». Tu as prié, tu as crié, tu as crié trois fois; j'ai entendu tes cris dès le premier moment où ils sont montés vers moi; je n'ai pas détourné mes oreilles; je sais ce que je ferai ; tu voudrais voir s'éloigner de toi le médicament qui te tourmente; je connais le mal dont tu souffres. Dieu l'a donc écouté en ce qui intéressait son salut, sans condescendre à ses voeux. Quels sont ceux aux volontés desquels Dieu se conforme, sans avoir égard à leur salut? Il est facile, je pense, de trouver un méchant, un impie, dont Dieu favorise les désirs et néglige le salut. Si je te cite l'exemple d'un pareil homme, tu me diras sans doute : Tu me le désignes comme pécheur, parce qu'il a été juste ; s'il n'était pas juste, Dieu ne l'exaucerait pas. Je vais t'en citer un, sur la méchanceté et l’impiété duquel personne n'élève de doutes. Le diable a demandé Job, et il l'a obtenu (2).. Dans cette épître elle-même n'avez-vous pas lu que celui qui commet le péché

 

1. II Cor. XII, 7-9.— 2.Job, I, 11, 12.

 

est né du diable (1) ? Non pas qu'il ait été créé par le diable, mais parce qu'il l'imite. N'est-il pas encore écrit de lui : « Il ne s'est pas tenu dans la vérité (2) ? » N'est-il pas cet antique serpent qui, par l'intermédiaire de la femme, a glissé le poison dans le coeur du premier homme (3) ? Ce fut lui qui conserva à Job sa femme, afin d'en faire pour ce malheureux, non pas un sujet de consolation, mais un instrument de tentation (4). Le diable a lui-même demandé ce saint homme pour l'éprouver, et il l'a obtenu. L'Apôtre a conjuré le Seigneur d'éloigner de lui cet aiguillon de la chair, et sa demande a été repoussée; et, néanmoins, l'Apôtre a été plus exaucé que le diable. En effet, quoique ses désirs n'aient pas abouti, Paul a été exaucé relativement au salut de son âme; le diable l'a été dans ses volontés, mais pour sa damnation. Job lui a été abandonné pour être tenté, afin que, son épreuve finie, le démon fût tourmenté à son tour. Ceci, mes frères, se voit non-seulement dans les livres de l'Ancien Testament, mais encore dans l'Evangile. Au moment où il les chassait du corps d'un homme, les démons demandèrent au Sauveur la permission de se retirer dans un troupeau de porcs. Est-ce que le Sauveur ne pouvait pas leur dire qu'il leur défendait même d'aller là? S'il n'y avait pas consenti, il est sûr qu'ils ne se seraient pas révoltés contre le roi du ciel et de la terre. Par une évidente et mystérieuse grâce, par une disposition toute particulière de sa providence, il les laissa donc se jeter dans un troupeau de porcs (5), afin de montrer que le diable règne en maître sur ceux qui se conduisent à la manière des pourceaux. Maintenant, les démons ont-ils été exaucés? L'Apôtre ne l'a-t-il pas été ? Ou plutôt, ne devons-nous pas dire ce qui est plus conforme à la vérité, à savoir qu'en réalité l'Apôtre a été exaucé, et que les démons ne l'ont pas été? Leur volonté a été faite, mais l'innocence de Paul a été perfectionnée.

8. D'après cela, nous devons comprendre que si Dieu refuse d'obtempérer à nos désirs, il nous ménage le salut. Qu'adviendra-t-il si tu demandes une chose qui te serait nuisible, et que le médecin sache combien elle peut t'être nuisible? Il est sûr qu'il reste sourd à tes demandes. Demande-lui, par

 

1. I Jean, III, 8.— 2. Jean, VIII, 11.—  3. Gen. III, 1-6.— 4. Job, II, 9.— 5. Luc, VIII, 32.

 

206

 

exemple, de l'eau froide ; quand elle doit être inoffensive, il te la donne; mais il te la refuse, si elle est capable de te nuire; dès lors qu'il ne cède pas à tes instances, peut-on dire qu'il ne t'écoute pas, ou plutôt, ne faut-il pas dire qu'il t'écoute pour te guérir? Mes frères, que la charité soit en vous; qu'elle soit en vous, et soyez tranquilles; quand vous demandez sans recevoir, Dieu vous exauce, mais vous l'ignorez. Plusieurs ont été livrés entre leurs propres mains pour leur malheur; c'est d'eux que l'Apôtre dit : « Dieu les a abandonnés aux désirs de leur coeur (1) ». Un homme a demandé une fortune considérable; il l'a obtenue pour son malheur. Lorsqu'il ne la possédait pas, il éprouvait peu de craintes; depuis qu'il en jouit, il est devenu la proie de plus fort que lui. N'a-t-il pas été exaucé pour son malheur, celui qui a désiré du bien temporel? Quand il était pauvre, personne ne pensait à lui; aujourd'hui les voleurs lui tendent des piéges pour le dépouiller. Apprenez à prier Dieu; confiez-vous à lui comme à votre médecin; qu'il fasse comme il l'entend. A toi de déclarer ton mal; à lui d'y appliquer le remède. Aie seulement soin de conserver la charité. Car il veut trancher dans le vif, il veut brûler; tu cries et tu ne peux l'empêcher de couper, de brûler, de faire mal; il sait, lui, jusqu'où va la plaie. Tu veux qu'il retire vite la main; pour lui, il sonde la blessure. dans toute sa profondeur. Il repousse tes prières, mais il écoute l'intérêt de ta santé. Soyez donc assurés, mes frères, de la vérité de ce que dit l'Apôtre : « Nous ne savons ce que nous devons demander dans la prière; mais l'Esprit demande lui-même pour nous, par des gémissements inénarrables, parce que lui-même interpelle pour les saints (2) ». Qu'est-ce à dire : « L'Esprit lui-même interpelle pour les saints », sinon la charité elle-même que l'Esprit a déposée dans ton coeur?Voilà, en effet, pourquoi le même Apôtre dit ailleurs: «La charité de Dieu a été répandue dans nos coeurs par le Saint-Esprit qui nous a été donné (3)». La charité elle-même gémit; elle prie : Celui qui nous l'a donnée, ne sait point fermer l'oreille à ses cris. Sois tranquille; que ta charité prie . il y a là des oreilles pour l'écouter; ce sont celles de Dieu ; ce que tu désires, il ne le fait pas, mais il fait ce qui t'est

 

1. Rom, I, 24.— 2. Id. VIII, 26, 27.— 3. Id. V, 5.

 

utile. Donc, « tout ce que nous demanderons, nous le recevrons de lui ». Je l'ai déjà dit : si tu comprends ces paroles dans le sens du salut, elles n'offrent pas la moindre difficulté. Si tu les entends dans un autre sens, tu y trouves une difficulté, et une grande, et, en conséquence, tu accuses à tort l'apôtre Paul : « N'importe ce que nous demandions, nous le recevrons de lui, parce que nous gardons ses commandements et que nous faisons, en sa présence, ce qui lui plaît ». « En sa présence », au fond du coeur où plongent ses regards.

9. Et quels sont ces commandements ? « Or », dit Jean, « le commandement qu'il nous a donné est de croire au nom de son Fils « Jésus-Christ, et de nous aimer les uns les a autres ». Vous voyez que tel est son commandement; vous voyez que quiconque le viole, commet un péché dont reste innocent celui qui est né de Dieu. « Comme il nous l'a prescrit », de nous aimer les uns les autres. « Et celui qui garde les commandements de Dieu » ; vous voyez qu'il ne nous ordonne rien autre chose que de nous aimer mutuellement. N'est-il pas évident que la présence du Saint-Esprit dans une âme a pour effet d'y établir l'amour et la charité ? Ce que dit l'apôtre Paul n'est-il pas hors de doute : « La charité de Dieu a été répandue dans nos coeurs par l'Esprit-Saint, qui nous a été donné? » Parlant de la charité, il disait qu'en présence de Dieu, nous devons interroger notre coeur. « S'il ne nous rend pas un mauvais témoignage », c'est-à-dire, si tout ce que nous faisons de bien, nous le faisons par amour de nos frères. Ajoutons à cela, qu'en parlant aussi du commandement de Dieu, il s'exprime ainsi : « Or, le commandement qu'il nous a donné est de croire en son Fils Jésus-Christ, et de nous aimer les uns les autres. Et, quiconque observe le commandement de Dieu, demeure en Dieu, et Dieu demeure en lui; et c'est par l'Esprit qu'il nous a donné que nous connaissons qu'il demeure en nous ». Car si tu reconnais que tu as la charité, c'est que tu as l'Esprit de Dieu pour le comprendre; or, c'est une chose singulièrement nécessaire à savoir.

10. Dans les premiers temps, l'Esprit-Saint descendait sur les fidèles; ils parlaient, selon que l'Esprit leur donnait de le faire, un (207) langage qu'ils n'avaient jamais appris à parler. C'était un signe approprié au temps; il était, en effet, nécessaire que le Saint-Esprit se manifestât dans toutes les langues, puisque l'Evangile de Dieu devait être annoncé dans toutes les langues et dans toutes les contrées de l'univers. Ce signe a eu lieu, puis il a cessé d'être. Maintenant, quand on impose les mains à des hommes pour leur communiquer le Saint-Esprit, est-ce qu'on attend d'eux qu'ils parlent toutes les langues? Ou bien encore, lorsque nous avons imposé les mains à ces petits enfants, chacun de vous a-t-il attendu pour voir s'ils parleraient toutes les langues, et, voyant qu'ils ne les parlaient pas, s'est-il trouvé assez mal disposé pour dire : Ces enfants n'ont pas reçu l'Esprit-Saint; car, s'ils l'avaient reçu, ils parleraient toutes les langues, comme cela se faisait autrefois? Si donc le miracle des langues n'atteste plus aujourd'hui la présence du Saint-Esprit, comment et à quel signe peut-on reconnaître qu'on l'a reçue? Il faut interroger son coeur; si l'on aime le prochain, c'est la preuve qu'on a en soi l'Esprit de Dieu. Qu'on s'examine, qu'on s'éprouve en présence du Seigneur; que l'on voie si l'on a en soi l'amour de la paix et de l'union, l'amour de l'Eglise répandue par toute la terre. On doit être attentif à ne pas aimer seulement le frère que l'on a devant soi, car il en est beaucoup d'autres que nous ne voyons pas, et avec lesquels nous sommes liés dans l'unité de l'Esprit. Est-ce chose étonnante s'ils ne sont pas avec nous? Nous formons tous un seul corps, qui a son unique tête dans le ciel. Mes frères, nos yeux ne se voient pas, ils semblent ne pas se connaître, mais sont-ils étrangers l'un à l'autre? Non, car faisant partie du même corps, ils sont unis ensemble. Remarquez bien, en effet, comme l'union, qui existe entre eux, les familiarise l'un avec l'autre. Quand tous les deux sont ouverts, il est impossible à l'oeil droit de se porter sur un objet, sans que l'œil gauche s'y porte en même temps. Dirige, si tu le peux, la vue de l'un d'un côté quelconque, sans y diriger aussi la vue de l'autre. Ils remuent ensemble; ensemble ils se fixent dans la même direction ; l'endroit qu'ils occupent n'est pas le même; leur action est une. Dès lors que tous ceux qui aiment Dieu avec toi, ont la même volonté que toi, tu n'as pas à t'inquiéter de ce que, corporellement, ils ne se trouvent pas dans le même endroit; car vous avez, les uns et les autres, fixé les regards de votre 'coeur sur la lumière de la vérité. Si donc tu veux savoir si tu as reçu l'Esprit, interroge ton coeur, de peur qu'ayant reçu le sacrement, tu n'en aies pas intérieurement la grâce. Interroge ton coeur, et si la charité fraternelle y est, sois tranquille. La charité ne peut s'y trouver sans l'Esprit-Saint; car Paul dit hautement. « La charité de Dieu a été répandue dans nos coeurs par le Saint-Esprit, qui nous a été donné ».

11. « Mes bien-aimés, ne croyez pas à tout esprit ». Car Jean avait déjà dit : « C'est par l'Esprit qu'il nous a donné que nous connaissons qu'il demeure en nous ». Faites bien attention à ce qui nous fait reconnaître cet Esprit : « Mes bien-aimés, ne croyez pas à tout Esprit, mais éprouvez si les esprits sont de Dieu ». Quel est celui qui éprouve les esprits? Difficile question à résoudre, mes frères. Il est bon que Jean lui-même nous le dise, afin que nous le sachions. Il nous le dira , ne vous épouvantez pas; mais, avant tout, voyez, faites attention. Le texte lui-même nous explique ce qui donne à d'orgueilleux hérétiques le prétexte de nous calomnier. Remarquez, voyez ce que dit l'Apôtre : « Mes bien-aimés, ne croyez pas à tout esprit, mais éprouvez si les esprits sont de Dieu ». Dans l'Evangile, l'Esprit-Saint est désigné sous l'emblème de l'eau ; car le Sauveur a crié et dit : « Si quelqu'un a soif, qu'il vienne à moi, et qu'il boive. Celui qui croit en moi, des fleuves d'eau vive couleront de son sein ». L'Evangéliste a fait connaître pourquoi Jésus parlait ainsi, car il a ajouté : « Il disait cela, à cause de l'Esprit que devaient recevoir ceux qui croiraient en lui ». Pour quel motif le Sauveur n'a-t-il point baptisé un grand nombre de personnes ? Mais que dit Jean? « Mais le Saint-Esprit n'était pas encore donné, parce que Jésus n'était pas encore glorifié (1) ». Ils avaient donc reçu le baptême, mais non encore le Saint-Esprit, que le Sauveur envoya du haut du ciel, le jour de la Pentecôte ; pour le recevoir, il fallait préalablement que Jésus fût glorifié. Néanmoins , avant d'être glorifié , avant d'envoyer son Esprit, il engageait les hommes à se montrer dignes de recevoir

 

1. Jean, VII, 37-39.

 

208

 

l'eau, dont il disait : « Celui qui a soif, qu'il vienne à moi et qu'il boive ; celui qui croit en moi, des fleuves d'eau a vive couleront de son sein » . Qu'est-ce à dire : « Des fleuves d'eau vive? » Qu'est-ce que cette eau ? Que personne ne m'interroge; consulte l'Évangile. « Il disait cela à cause de l'Esprit que devaient recevoir ceux qui croiraient en lui ». Autre chose est donc l'eau du sacrement, autre chose l'eau qui est l'emblème de l'Esprit de Dieu; l'eau du sacrement est visible, on ne voit pas celle qui figure l'Esprit. L'eau, en lavant le corps, est le signe de ce qui se passe dans l'âme; par cet Esprit, l'âme est purifiée et nourrie. C'est cet Esprit que ne peuvent posséder ni les hérétiques, ni ceux qui se séparent de l'Église. Et ceux-là n'ont pas non plus cet Esprit, qui se séparent de l'Église secrètement par le péché, et qui, intérieurement, sont aussi légers que de la paille, et ne sont pas du froment. Cet Esprit, le Sauveur l'a représenté sous l'emblème de l'eau; nous,avons lu ceci dans l'épître de Jean : « Ne croyez pas à tout esprit » ; et à cela reviennent encore ces paroles de Salomon : « Abstiens-toi de l'eau de l'étranger ». Qu'est-ce que l'eau? L'esprit. L'eau est-elle toujours l'emblème de l'esprit? Pas toujours. En certains endroits de l'Écriture, elle signifie l'esprit; en d'autres, le baptême ; en ceux-ci, les nations ; en ceux-là, la prudence. Il est dit quelque part : « La prudence est une source de vie pour celui qui la possède (1) ». En différents passages de l'Écriture, le mot eau a donc des sens divers. Ici, cependant, et sous ce vocable, vous avez reconnu l'Esprit-Saint; non pas d'après notre interprétation, mais d'après le témoignage de l'Évangile; car il y est dit : « Mais il parlait ainsi, à cause de l'Esprit que devaient recevoir ceux qui croiraient en lui ». Puisque le mot eau signifie Esprit-Saint, et que cette épître nous dit : « Ne croyez pas à tout esprit, mais éprouvez si les esprits sont de Dieu », nous devons le comprendre, c'est en ce sens qu'il est écrit : « Abstiens-toi de l'eau de l'étranger, ne bois pas à une source étrangère (2) ». Qu'est-ce à dire : « Ne bois pas à une source étrangère? » Ne crois pas à un esprit étranger.

12. Reste donc à savoir comment on éprouve si l'esprit est de Dieu. Jean nous en a indiqué

 

1. Prov. XVI, 22.— 2. Id. IX, 18, suiv. les Septante.

 

le signe ; mais ce signe est peut-être difficile à saisir ; examinons cependant. Il nous faut revenir à la charité; c'est elle qui nous instruit, parce qu'elle est cette onction. Toutefois, que dit ici l'Apôtre ? « Eprouvez si les esprits sont de Dieu ; car il est venu beaucoup de faux prophètes dans le monde ». Voilà bien désignés tous les hérétiques et tous les schismatiques. Comment donc est-ce que j'éprouve l'Esprit? Jean continue : « Voici comment on reconnaît l'Esprit de Dieu ». Prêtez l'oreille de votre coeur. Nous nous tourmentions et nous disions : Qui le connaît? qui le discerne? L'Apôtre va nous dire son signe distinctif : « Voici comment on reconnaît l'Esprit de Dieu. Tout-esprit qui confesse que Jésus-Christ est venu dans la chair, est de Dieu ; et tout esprit qui divise Jésus-Christ, n'est point de Dieu , et c'est là l'antéchrist dont vous avez ouï dire qu'il doit venir, et il est déjà dans le monde ». Nous dressons les oreilles comme si nous allions apprendre à discerner les esprits ; et nous entendons de telles choses, que le discernement est, pour nous, encore aussi difficile. En effet, que dit Jean? « Tout esprit qui confesse que Jésus-Christ est venu dans la chair, est de Dieu ». L'esprit qui se trouve chez les hérétiques, est donc de Dieu, puisqu'ils confessent que Jésus-Christ est venu dans la chair? Peut-être, à ces paroles, se lèvent-ils déjà contre nous, et disent-ils Vous, vous n'avez pas l'Esprit de Dieu; mais nous, nous confessons que Jésus-Christ est venu dans la chair, et Jean a déclaré que l'Esprit de Dieu n'habite pas en ceux qui refusent de confesser que Jésus-Christ est venu dans la chair. Questionne les Ariens; ils confessent que Jésus-Christ est venu dans la chair; interroge les Eunoméens : ils confessent que Jésus-Christ est venu dans la chair; les Macédoniens : ils confessent que Jésus-Christ est venu dans la chair; les Cataphryges : ils confessent que Jésus-Christ est venu dans la chair; les Novatiens : ils confessent que Jésus-Christ est venu dans la chair. Tous les hérétiques ont-ils donc l'Esprit de Dieu? Il n'y a donc pas de faux prophètes? Il n'y a donc, de leur part, ni déception, ni séduction? Certainement ils sont des antéchrists ceux qui sont sortis du milieu de nous sans être, néanmoins, des nôtres.

13. Que faire donc? Comment discerner (209) les esprits? Attention ! Marchons tous de coeur, et frappons. La charité même veille, parce que c'est elle qui doit frapper, c'est elle qui doit ouvrir. Au nom de Notre-Seigneur Jésus-Christ, vous comprendrez dans un instant. Vous savez qu'il a été dit précédemment : « Celui qui nie que Jésus-Christ soit venu dans la chair, est un antéchrist (1) ». Sur ce texte , nous avons cherché à savoir qui est-ce qui le nie, et nous nous sommes aperçu que ce n'est ni nous ni les hérétiques précités, mais nous avons vu que certains le sont par leur conduite (2); et, à l'appui, nous avons cité ces paroles de l'Apôtre : « Ils font profession de connaître Dieu, « mais ils le nient par leurs œuvres (3) ». Cherchons donc de même maintenant à savoir comment on nie Dieu, sinon de parole, au moins par les oeuvres. Quel est l'esprit qui n'est pas de Dieu ? « Celui qui nie que Jésus-Christ soit venu dans la chair ». Et quel est l'esprit qui est de Dieu? « Celui qui confesse que Jésus-Christ est venu dans la chair ». Quel est celui qui confesse que Jésus-Christ est venu dans la chair? Voilà, mes frères, le moment venu d'examiner les oeuvres, sans tenir compte des paroles. Voyons pourquoi le Christ est venu dans la chair, et nous saurons qui sont ceux qui nient qu'il y soit venu. Si tu ne fais attention qu'à la profession de foi, tu le remarqueras, beaucoup d'hérétiques confessent que Jésus-Christ est venu dans la chair; mais la vérité les condamne. Car pourquoi le Christ est-il venu dans la chair? N'était-il pas Dieu? N'est-ce pas de lui qu'il est écrit : « Au commencement était le Verbe, « et le Verbe était en Dieu, et le Verbe était a Dieu (4) ? » N'était-ce pas lui qui nourrissait les anges? N'est-ce pas lui qui les nourrit ? N'est-il pas vents du ciel sans le quitter ? N'y est-il pas remonté, sans pour cela nous abandonner? Pourquoi donc est-il venu dans la chair? Parce qu'il fallait nous faire entrevoir l'espérance de ressusciter. Il était Dieu, et il s'est incarné ; comme Dieu, il ne pouvait mourir; en tarit qu'homme, il en était susceptible; il s'est donc fait homme, afin de mourir pour nous. Mais comment est il mort pour nous? « Personne ne peut témoigner un plus grand amour qu'en mourant pour ses amis (5) ». C'est donc par charité qu'il s'est

 

1. I Jean, II, 19, 22.— 2. Traité III, II,. 7-9.— 3. Tit. I, 16.— 4. Jean, I, 1.—  5. Id. XV, 13.

 

fait homme. D'où il suit que quiconque n'a pas la charité, nie que le Christ soit venu dans la chair. Adresse maintenant cette question à n'importe quel hérétique : Le Christ est-il venu dans la chair? — Oui, je le crois, je le confesse.— Bien mieux, tu le nies.— Comment cela? Est-ce que tu ne m'entends point parler? —  Non. Tu le nies, et je t'en donne la preuve. Oui, tu le confesses de bouche, mais tu le nies de coeur, tes paroles en sont un aveu, tes actes un démenti.— Comment est-ce que je le nie par mes oeuvres? — Parce que le Christ s'est incarné afin de mourir pour nous, et il est mort pour nous, parce qu'il nous a montré beaucoup de charité. « Personne ne peut témoigner un plus grand amour que de mourir pour ses amis ». Tu n'as pas la charité, parce que, pour t'élever, tu scindes l'unité. De là, comprenez quel est l'esprit de Dieu. Frappez, touchez ces vases d'argile pour voir s'ils ne craquent pas, s'ils ne donnent pas un son faux; voyez si leur son est net, si la charité se trouve en eux. Tu te sépares violemment de l'union avec le monde entier, tu divises l'Eglise par des schismes, tu mets en lambeaux le corps du Christ. I1 s'est fait homme pour nous réunir tous, et toi, tu cries pour nous diviser. C'est donc l'Esprit de Dieu qui dit que Jésus-Christ est venu dans la chair, qui le dit, non de bouche, mais d'effet; qui le dit, non pas en faisant du bruit, mais en l'aimant. Mais cet esprit n'est pas de Dieu, qui nie que Jésus-Christ soit venu dans la chair; qui le nie, lui aussi, non de bouche, mais par sa conduite, non par parole, mais d'effet. Ce qui nous aide à discerner nos frères est donc nettement indiqué. Beaucoup le sont réellement, parce qu'ils le sont du fond du coeur ; mais personne ne l'est extérieurement, à moins que l'extérieur ne soit pas trompeur.

14. Remarquez bien que Jean en revient aux œuvres : « Et tout esprit qui divise le Christ et nie qu'il soit venu dans la chair, n'est pas de Dieu ». Diviser par les oeuvres, s'entend. Que te montre l'Apôtre? Celui qui nie, puisqu'il dit : « Il divise ». Le Christ était venu établir l'union, et toi, tu viens semer la division. Tu veux disloquer les membres du Christ. Comment ? Tu ne nies pas que le Christ soit venu dans la chair, et tu brises l'Eglise de Dieu que le Christ avait faite une? Tu marches donc à l'encontre du Christ; tu (210) es, par conséquent, un antéchrist. Au dedans ou au dehors, peu importe; tu n'en es pas moins un antéchrist ; un antéchrist caché, si tu l'es intérieurement; un antéchrist déclaré, si tu l'es au dehors; voilà toute la différence. Tu brises le Christ et tu nies qu'il soit venu dans la chair; tu n'es pas de Dieu. C'est pourquoi le Sauveur dit dans l'Evangile : « Celui qui détruira l'un de ces moindres commandements et qui instruira ainsi les hommes, sera le dernier dans le royaume des cieux». Qu'est-ce à dire : Est détruit? Qu'est-ce à dire : Est enseigné? Est détruit par les oeuvres; est enseigné comme de bouche. « Vous qui prêchez qu'il ne faut pas dérober, vous dérobez (1) ». Celui qui dérobe détruit le précepte par sa conduite, et il semble ainsi recommander le vol. « Il sera le dernier dans le royaume des cieux », c'est-à-dire dans l'Église du temps. De cet homme il a été dit : « Faites ce qu'ils vous disent ; mais ce qu'ils

 

1. Rom. II, 21.

 

font, ne le faites pas (1). Mais celui qui fera et « enseignera sera appelé grand dans le royaume des cieux (2) ». Il oppose ici le mot« fera » au mot « détruira » qu'il a dit plus haut; en d'autres termes : Celui qui fera et qui enseignera de la même façon. Par conséquent, celui qui ne fait pas, détruit. Que nous enseigne-t-il, sinon à examiner les actes et à ne pas nous fier aux paroles? L'obscurité des choses nous force à parler beaucoup , car notre principal but est de mettre à la portée de nos frères, même les plus arriérés, ce que le Sauveur a bien voulu nous révéler; en effet, ils ont tous été rachetés au prix du sang du Christ. Je crains même que cette Epître ne soit pas, comme je l'avais promis, complètement expliquée ces jours-ci; mais, s'il plaît à Dieu, il vaudra mieux ne pas terminer tout à fait que surcharger vos coeurs d'une nourriture trop abondante.

 

1. Matth. XXIII, 3.— 2. Id. V, 19.

 

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SEPTIÈME TRAITÉ.

DEPUIS LES PAROLES SUIVANTES : « MES PETITS ENFANTS, VOUS ÊTES DE DIEU », JUSQU'À CES AUTRES : « NUL HOMME N'A JAMAIS VU DIEU ». (Chap. IV, 4-12.)

DIEU EST AMOUR.

 

Les antéchrists, c'est-à-dire ceux qui n'ont pas la foi soutenue par les oeuvres de la charité, ne connaissent pas Dieu ; au lieu de l'écouter, ils prêtent l'oreille aux leçons d'un monde égoïste et vindicatif. Pour nous qui croyons et aimons, nous savons que Jésus-Christ vient de Dieu, que Dieu est amour, et que nous devons le payer de retour en aimant nos frères; nous ne voyons pas Dieu, mais encore une fois il est amour; son amour pour nous s'est montré par le don de son Fils; notre amour doit aussi se manifester par les oeuvres, et inspirer toute notre conduite pour lui donner du prix.

1. Pour tous les fidèles qui soupirent après la céleste patrie, le monde est ce qu'était le désert pour le peuplé d'Israël. Ils n'étaient pas encore arrivés au pays de leurs pères, ils voulaient y entrer; mais sous la conduite de Dieu, ils ne pouvaient se tromper de chemin; les ordres de l'Éternel leur servaient de guide. Quarante années durant, ils firent des marches et des contre-marches, s'arrêtèrent très peu le long de leur chemin; tous le savent. Leur marche était sans cesse retardée, non que Dieu les abandonnât, mais parce qu'il les éprouvait. Ce que Dieu nous promet est d'une ineffable douceur; cela est bon, nous dit l'Écriture, et vous nous avez entendus bien des fois vous rappeler « que l'oeil de l'homme ne l'a point vu, que son oreille ne l'a pas entendu, que son coeur ne l'a jamais compris (1) ». Les maux du temps nous éprouvent; nous puisons notre instruction dans les peines de la vie présente. Mais, si dans ce désert vous ne voulez point mourir de soif, désaltérez-vous à la source de la charité.

 

1. Isa. LXIV, 4; I Cor. II, 9.

 

210

 

Cette source, Dieu a voulu la placer ici-bas, afin que nous ne tombions pas de défaut dans le cours de notre voyage; nous y puiserons plus abondamment encore lorsque nous serons parvenus à entrer dans la patrie. On vous a tout à l'heure donné lecture de l'Evangile ; relativement aux paroles qui terminaient cette leçon, je vous demanderai : De quoi avez-vous entendu parler, si ce n'est de la charité? En effet, nous avons fait un pacte avec Dieu dans la prière, c'est de pardonner au prochain les torts qu'il peut avoir à notre égard, si nous voulons que le Seigneur nous pardonne à nous-mêmes nos offenses envers lui (1). Qui est-ce qui nous les pardonne? La charité seule. Ote la charité du coeur humain, il n'y a plus en lui que haine; il ne sait point pardonner. Que la charité s'y trouve, elle pardonne en toute sécurité, parce qu'elle ne sait pas se tenir à l'étroit. Cette Epître elle-même, que nous avons entrepris de vous, expliquer, voyez si, d'un bout à l'autre, elle vous recommande antre chose que la charité, oui, la charité toute seule? Il ne faut pas craindre de la faire détester en parlant souvent d'elle; car qu'aimerait-on si l'amour venait à être haï? Cette charité qui nous porte à aimer ardemment tout le reste,. combien on doit la chérir elle-même? C'est donc une chose qui ne doit jamais s'éloigner ni de notre coeur, ni de notre bouche.

2. « Mes petits enfants, vous êtes de Dieu, et vous l'avez vaincu » ; qui, sinon l'antéchrist ? Car l'Apôtre avait dit auparavant : « Quiconque divise Jésus-Christ et nie qu'il  soit venu dans la chair, n'est pas de Dieu (2)». Si vous vous en souvenez, nous vous avons fait voir que tous ceux-là nient que Jésus-Christ soit venu dans la chair, qui violent le précepte de la charité ; c'est, en effet, par charité, et non par nécessité, que Jésus s'est fait homme. Ainsi nous donne-t-il l'exemple de la charité qu'il nous recommande lui-même dans l'Evangile : « Personne ne peut témoigner un plus grand amour qu'en donnant sa vie pour ses amis (3) ». Mais comment le Fils de Dieu aurait-il pu donner sa vie pour nous, s'il ne s'était préalablement revêtu d'un corps capable de mourir? Quoi qu'on puisse dire, si l'on viole le précepte de la charité, on nie donc, par sa conduite, que le Christ soit venu dans la chair; et à cette condition,

 

1. Matth. VI,12.— 2. Jean, IV, 3.— 3. Id. XV, 13.

 

n’importe où l'on se trouve, n'importe où l'on soit entré, on est un antéchrist. Mais que dit l'Apôtre aux citoyens de ce pays qui est notre patrie et vers lequel se dirigent nos aspirations? « Vous l'avez vaincu »: Et pourquoi l'ont-ils vaincu ? « Parce que Celui qui est en vous est plus grand que celui qui est dans le monde ». Jean veut les empêcher d'attribuer la victoire à leurs propres forces, et d'être eux-mêmes vaincus par l'enflure de l'orgueil; car le démon se rend vainqueur de tous ceux qu'il rend orgueilleux ; il veut leur faire conserver l'humilité ; pour cela, quel langage leur tient-il? « Vous l'avez vaincu ». A ces mots : « Vous l'avez vaincu », on redresse, on relève la tête, on prétend à des louanges. Ne te fais pas si grand à tes yeux ; vois qui est-ce qui a vaincu en toi. Pourquoi as-tu remporté la victoire ? « Parce que Celui qui est en vous est plus grand que celui qui est dans le monde ». Sois humble; porte ton maître, sois la monture de ton cavalier ; il est bon pour toi qu'il te guide et te conduise. Car si tu ne l'as point pour cavalier, tu peux lever la tête, tu peux marcher; néanmoins, malheur à toi; sans conducteur, abandonné à toi-même, tu te serviras de ta liberté pour te jeter au milieu de bêtes féroces qui te dévoreront.

3. « Ils sont du monde ». Qui ceux-là? Les antéchrists. Vous savez qui sont ceux qui sont antéchrists ; si vous ne l'êtes pas vous-mêmes, vous les connaissez; quiconque l'est, ne les connaît pas. « Ils sont du monde, c'est pourquoi ils parlent le langage du monde, et le monde les écoute ». Qui sont ceux qui parlent le langage du monde ? Remarquez-le: ce sont les ennemis de la charité. Vous avez entendu le Seigneur vous dire : « Si vous remettez aux hommes leurs fautes, votre Père céleste vous remettra aussi vos péchés. Mais si vous ne remettez point aux hommes leurs fautes, votre Père céleste ne vous remettra point non plus vos péchés (1) ». Tel est le verdict de la vérité; et si ce n'est point là le langage de la vérité, donnes-en la preuve. Si tu es chrétien et que tu croies au Christ, rappelle-toi qu'il a dit: « Je suis la vérité (2) ». Cette parole est vraie, elle est à l'abri de toute attaque. Ecoute maintenant les hommes qui parlent le langage du monde : et tu ne te vengeras pas? et celui-là pourra se vanter qu'il a

 

1. Matth. VI, 14, 15.— 2. Jean, XV, 6.

 

212

 

ainsi agi à ton égard ? Ah, que plutôt il sente qu'il a affaire à un homme ! Tous les jours, on entend parler de la sorte; ils parlent le langage du monde ceux qui tiennent de pareils discours; et le monde les écoute. Il n'y a pour s'exprimer ainsi que ceux qui aiment le monde, et de tous ceux qui les écoutent aucun ne déteste le monde; et celui qui aime le monde, qui néglige l'exercice de la charité, celui-là, vous le savez pour l'avoir entendu dire, nie que Jésus-Christ soit venu dans la chair. Pendant sa vie mortelle, le Sauveur a-t-il agi à la manière du monde? A-t-il cherché à se venger de ceux qui le souffletaient? Pendant qu'il était attaché à la croix, n'a-t-il pas dit au contraire : « Père, pardonnez-leur, car ils ne savent ce qu'ils font (1) ? » Puisque, ayant le pouvoir de se venger, il ne s'est pas même laissé aller à des menaces, pourquoi en faire toi-même ? Pourquoi te mettre hors d'haleine? N'es-tu pas sous la dépendance d'autrui? Le Christ est mort quand il l'a voulu, et sans proférer une seule menace; pour toi, tu ne sais quand tu mourras, et tu en profères?

4. « Mais nous, nous sommes de Dieu ». Voyons pourquoi; voyez si c'est pour un autre motif que celui de la charité? « Mais nous, nous sommes de Dieu. Celui qui connaît Dieu, nous écoute ; celui qui n'est pas de Dieu, ne nous écoute point. C'est à cela que nous reconnaissons l'esprit de vérité et l'esprit d'erreur ». Car celui qui nous écoute, a l'esprit de vérité; et celui qui ne nous écoute pas, a l'esprit d'erreur. Voyez ce que l'Apôtre nous recommande; écoutons-le de préférence, puisqu'il nous parle en esprit de vérité, comme à des hommes qui ne sont ni des antéchrists, ni des amateurs du monde , ni le monde lui-même, si nous sommes nés de Dieu. « Mes bien-aimés », ajoute-t-il. Voyez ce qui précède : « Mais nous, nous sommes de Dieu. Celui qui connaît Dieu, nous écoute ; celui qui n'est pas de Dieu, ne nous écoute point ». Par là il nous rend attentifs; puisque celui qui est de Dieu, écoute, tandis que celui qui n'en est pas, n'écoute point; et voilà le moyen de distinguer l'esprit de vérité de l'esprit d'erreur. Voyons quel avis il va nous donner; voyons en quoi nous devons l'écouter. « Mes bien-aimés, aimons-nous les uns les autres ». Pourquoi? Parce que c'est

 

1. Luc, XXIII, 34.

 

un homme qui nous le recommande? « Car l'amour vient de Dieu ». Beau titre de recommandation en faveur de l'amour ! « Il vient de Dieu ». Jean va aller plus loin; écoutons-le attentivement. Tout à l'heure il a dit : « L'amour vient de Dieu »; il ajoute : « Tout homme qui aime est de Dieu, et il connaît Dieu. Celui qui n'aime pas ne connaît pas Dieu ». Pourquoi? «Parce que Dieu est amour ». Que pouvait-il dire de plus, mes frères? Quand même nous ne trouverions aucun mot d'éloge à l'endroit de la charité, dans aucune des pages de cette Epître, quand même les autres Ecritures resteraient complètement muettes à cet égard, quand même ce passage serait unique en ce sens, nous devrions l'écouter comme venant de l'Esprit de Dieu : « Parce que Dieu est amour » . Nous ne devrions rien chercher de plus.

5. Remarquez maintenant qu'agir contre la charité, c'est agir contre Dieu. Que personne ne dise: C'est un homme que j'offense, lorsque je n'aime pas mon frère : (attention !) il est facile de pécher contre un homme, sans pécher contre Dieu.— Comment, tu ne pèches pas contre Dieu, quand tu pèches contre la charité? a Dieu est amour n. Est-ce nous qui le disons ? Ah ! si nous tenions nous-mêmes ce langage, quelqu'un d'entre vous pourrait se scandaliser et dire : Qu'a-t-il dit ? Qu'a-t-il voulu dire par ces mots : « Dieu est amour ? » Dieu nous a communiqué l'amour, Dieu nous a fait don de l'amour. « L'amour vient de Dieu : Dieu est amour ». Mes frères, vous avez entre les mains des Ecritures divines; cette épître est canonique ; on la lit chez tous les peuples; on la conserve, parce qu'elle s'appuie sur l'autorité de l'univers ; elle a fondé le monde chrétien, l'Esprit-Saint vous y parle et vous dit : « Dieu est amour ». Si tu l'oses, déclare-toi contre Dieu, et n'aime pas ton frère.

6. Mais pourquoi l'Apôtre disait-il tout à l'heure : « L'amour vient de Dieu », et dit-il maintenant: «Dieu est amour?» Le voici. Dieu est Père, Fils et Saint-Esprit : le Fils est Dieu de Dieu ; le Saint-Esprit est Dieu de Dieu, et ces trois sont un seul Dieu, et non trois dieux. Si le Fils est Dieu, si le Saint-Esprit est Dieu, si, enfin , celui-là aime en qui demeure le Saint-Esprit, l'amour est donc Dieu, mais Dieu parce qu'il est de Dieu. Tu lis, dans l'Epître (213)

de saint Jean, ces deux passages : « L'amour est de Dieu », et « l'amour est Dieu ». Du Père seul, l'Ecriture n'a jamais dit qu'il est de Dieu. Lors donc que tu lis : « Est de Dieu », tu dois l'entendre du Fils ou de l'Esprit-Saint. Et quand l'Apôtre nous dit : « La charité de Dieu a été répandue dans nos coeurs par l'Esprit-Saint qui nous a été donné (1) », nous devons comprendre que dans l'amour se trouve l'Esprit-Saint; c'est cet Esprit-Saint que les méchants ne peuvent recevoir ; il est cette source dont nous parle l'Ecriture : « Que la source de tes eaux appartienne à toi seul, et qu'aucun étranger ne la partage avec toi (2) ». Car tous ceux qui n'aiment pas Dieu sont des étrangers, des antéchrists ; et quoiqu'ils fréquentent les basïliques, on ne saurait les ranger au nombre des enfants de Dieu ; à eux n'appartient pas cette source de vie. Un méchant peut être baptisé, il peut même avoir le don de prophétie. Nous voyons que le roi Saül prophétisait ; il persécutait le saint homme David, et, à ce moment-là même, il fut rempli de l'esprit de prophétie, et il commença à prophétiser (3). Un méchant peut aussi recevoir le sacrement du corps et du sang du Seigneur, car c'est de telles gens qu'il est dit : « Celui a qui boit et qui mange indignement, boit et mange sa condamnation (4)». Il peut encore porter le nom du Christ ; c'est-à-dire, s'appeler chrétien ; c'est d'eux qu'il est écrit a Ils profanaient le nom de leur Dieu (5) ». Quant à tous ces sacrements, un méchant même peut les avoir; mais quant à la charité, il ne l'a pas ; c'est chose impossible pour lui. Elle est donc un don personnel; c'est une source propre à chaque particulier. L'Esprit de Dieu vous exhorte à vous y désaltérer; l'Esprit de Dieu vous engage à l'y puiser lui-même.

7. « Dieu a fait paraître son amour pour nous ». Voilà pour nous un motif d'aimer Dieu. Pourrions-nous l'aimer, s'il ne nous avait aimés le premier ? Si nous étions lents à l'aimer les premiers, soyons, du moins, empressés à le payer de retour. Il a été le premier à nous aimer ; et nous ne l'aimons pas de même. Il nous a aimés, quoique pécheurs, mais pour nous délivrer de nos fautes ; il nous a aimés, quoique pécheurs,

 

1. Rom. V, 5.—  2. Prov. V, 16, 17.— 3. I Rois, XIX. — 4. I Cor. XI, 29.— 5. Ezéch. XXXVI, 20.

 

mais il ne nous a pas réunis pour nous donner occasion de pécher. Il nous a aimés, bien que nous fussions malades; mais s'il nous a visités, c'était afin de nous guérir. « Dieu est donc amour. Dieu a fait paraître son amour pour nous, en envoyant son Fils unique dans le monde, afin que nous vivions par lui ». Le Sauveur a dit lui-même : « Personne ne peut donner une plus grande preuve d'amour que de sacrifier sa vie pour a ses amis ». Et la preuve que le Christ nous a aimés, c'est qu'il est mort pour nous. Comment le Père nous a-t-il témoigné son affection ?En envoyant son Fils unique mourir pour nous; aussi, Paul nous dit-il : « S'il n'a pas épargné son propre Fils, et s'il l'a livré à la mort pour nous tous, que ne nous donnera-t-il pas après nous l'avoir donné (1) ? » Le Père a livré le Christ; Judas l'a aussi livré ; n'ont-ils pas, en quelque sorte, agi l'un comme l'autre ? Judas a été un traître; s'ensuit-il que Dieu le Père en ait été un ? Non, dis-tu. « Il n'a pas épargné son propre Fils, mais il l'a livré pour nous tous ». Ces paroles ne sont pas de moi, elles sont de l'Apôtre. Non-seulement le Père a livré son Fils, mais il s'est lui-même livré. Le même Apôtre dit encore : « Il m'a aimé et s'est livré pour moi' ». Puisque le Père a livré son Fils, et que le Fils s'est livré lui-même, qu'a fait Judas ? La tradition du Christ a été le fait du Père, comme elle a été le fait du Fils, et aussi celui de Judas : de la part de tous trois, acte unique; mais quelle différence entre le Père qui livre son Fils, et le Fils qui se livre lui-même, et le disciple Judas qui livre son maître? Le Père et le Fils ont agi par charité ; Judas s'est conduit en traître. Vous le voyez; il ne suffit pas devoir ce que fait un homme, il importe surtout de savoir quelles sont ses intentions et sa volonté. Nous voyons concourir au même acte, d'un côté, Dieu le Père, de l'autre, Judas nous bénissons Dieu le Père; nous maudissons Judas. Pourquoi bénir le Père et maudire Judas? Nous bénissons la charité, nous maudissons l'iniquité. Le Christ a été livré ; quel immense avantage, en a retiré le monde? En livrant son Maître, Judas a-t-il songé à coopérer à ce bienfait ? Dieu s'est proposé de nous sauver en nous donnant de quoi nous racheter ; Judas a voulu s'approprier la somme d'argent pour laquelle il a vendu le

 

1. Rom. VIII, 32.— 2. Galat. II, 20.

 

214

 

Christ: Le Fils a eu en vue le prix qu'il a donné pour nous, et Judas a en vue le prix qu'il a retiré de son forfait. La différence d'intention a fait la différence d'action. L'acte était un ; mais si nous pesons la diversité des intentions qui l'ont produit, nous l'aimerons sous un rapport, et, sous l'autre, nous le condamnerons : nous le glorifierons sous un point de vue ; sous l'autre, nous le détesterons. Tant vaut la charité ! Remarquez-le, elle seule établit une différence entre les actions humaines; elle seule les distingue les unes des autres.

8. Ce que nous venons de dire s'applique à des actions de même nature. S'il s'agit d'actions de nature différente, nous reconnaîtrons, par exemple, que la charité rend un homme sévère, et que l'iniquité en rend un autre flatteur. Un père frappe son enfant, un corrupteur l'approuve. A ne considérer que les coups et les flatteries, où est celui qui ne recherchera pas les caresses et n'évitera pas les coups ? Mais considère les personnes et, tu le verras, les coups sont l'effet de la charité, et les flatteries celui de l'iniquité. Faites bien attention à ceci : les actions humaines se discernent les unes des autres par le principe de la charité. Beaucoup peuvent se faire, qui aient les apparences de la bonté et qui, néanmoins, ne soient pas le fruit de la charité. Les épines mêmes ne fleurissent-elles pas ? Certains actes, au contraire, semblent durs et cruels, qui se font, par motif de charité, pour le règlement des moeurs. Une fois pour toutes, on t'impose un précepte facile : Aime, et fais ce que tu voudras. Soit que tu gardes le silence, garde-le par amour; soit que tu cries, élève la voix par amour ; soit que tu corriges autrui, corrige-le par amour ; soit que tu uses d'indulgence, sois indulgent par amour; aie dans le coeur la racine de l'amour, et de cette racine il ne pourra rien sortir que de bon.

9. « En cela consiste l'amour. Dieu a fait paraître son amour pour nous, en envoyant son Fils unique dans le mondé, afin que nous vivions par lui. Et voilà en quoi consiste cet amour :ce n'est pas nous qui avons aimé Dieu, mais c'est lui qui nous a aimés le premier ». Nous ne l'avons pas aimé les premiers, mais il nous a aimés, afin que nous l'aimions. « Et il a envoyé son Fils comme apaiseur pour nos péchés ». Apaiseur, sacrificateur. Il a offert une victime de propitiation pour nos péchés. Où a-t-il trouvé une hostie? Où a-t-il trouvé la victime sans tache qu'il voulait offrir? N'en trouvant pas d'autre, il s'est offert lui-même. « Mes bien-aimés, si Dieu nous a aimés de cette sorte, nous devons aussi nous aimer les uns les autres.  « Pierre », dit le Sauveur, « m'aimes-tu? » —  Et il répondit: « Je vous aime ». — « Pais mes brebis (1) » .

10. « Nul homme n'a jamais vu Dieu ». Dieu est invisible : c'est avec le coeur, et non avec les yeux, qu'il faut chercher à le découvrir. Mais de même que, quand nous voulons considérer le soleil, nous nous lavons les yeux du corps à l'aide desquels il nous est possible de voir sa lumière ; ainsi devons-nous purifier l'oeil qui peut nous faire apercevoir Dieu, lorsque nous voulons le contempler. Ecoute l'Evangile : « Bienheureux ceux qui ont le coeur pur, car ils verront Dieu (2)». Que personne, toutefois, ne cherche à se faire une idée de Dieu, d'après la concupiscence des yeux; car alors on se représenterait une forme immense, ou on projetterait dans l'espace les dimensions d'une incommensurable étendue, on les étendrait autant que possible, dans l'espace des champs, comme s'étendent les rayons de ce soleil que nous voyons au-dessus de nous; ou l'on se figurerait avoir sous les yeux un vieillard à l'air vénérable. N'imagine rien de tout cela: Si tu veux voir Dieu, il y a une chose à laquelle tu es à même de penser: « L'amour est Dieu ». Quelle figure a l'amour? Quelle forme? Quelle taille? Quels pieds? Quelles mains?Personne ne peut le dire: Il a pourtant des pieds, puisqu'ils conduisent à l'église; il a des mains, puisqu'elles donnent aux pauvres; il a des yeux, puisqu'ils savent découvrir le nécessiteux. « Bienheureux », dit le Prophète, « celui qui veille sur le pauvre et l'indigent (3) ». Il a des oreilles ; le Seigneur en parle ainsi : « Que celui qui a des oreilles pour entendre, entende  (4) ». Il n'a pas de membres qui occupent des places différentes ; mais l'homme qui a la charité, voit tout en même temps avec les yeux de son âme. Habite en elle, elle habitera en toi; demeure en elle, elle demeurera en toi. Eh quoi ! mes frères, peut-on aimer ce qu'on ne voit pas ? Alors, pourquoi vous redresser, élever la voix, battre des mains,

 

1. Jean, XXI, 15-17.— 2. Matth. V, 8.— 3. 4 Ps. XL, 2.— 4. Luc, VIII, 8.

 

215

 

quand on. prononce devant vous l'éloge de la charité ? Que vous ai-je montré ? Ai-je étalé devant vous quelque peinture ? Ai-je fait briller à vos yeux l'or et l'argent ? Ai-je tiré d'un trésor des pierres précieuses? Qu'ai-je fait paraître de semblable en votre présence ? Les traits de mon visage se sont-ils altérés pendant que je vous parlais ? J'ai un corps; je suis le même qu'au moment où je suis venu ici ; vous êtes ce que vous étiez, lorsque vous êtes entrés; je fais l'éloge de la charité, vous élevez la voix. Certainement, vous ne voyez rien ; mais ce qui vous plaît lorsque vous applaudissez, puisse-t-i1 vous plaire toujours, afin que vous le conserviez dans votre coeur ! Car, mes frères, remarquez bien ce que je vous dis : autant que le Seigneur me le permets, je vous engage à vous procurer un inappréciable trésor. Si l'on vous montrait un vase ciselé, doré, artistement travaillé, si bien fait qu'il attire à lui les regards de votre corps, et toutes les puissances de votre âme, et vous fasse admirer le talent de l'ouvrier, le poids de l'argent, l'éclat du métal, chacun de vous ne s'écrierait-il pas : Oh, si j'avais ce vase ! Et vous parleriez inutilement, puisqu'il ne vous appartiendrait pas. Ou, si quelqu'un voulait l'avoir, il imaginerait le moyen de l'enlever de la maison étrangère où il se trouverait. Je vous fais l'éloge de la charité : si elle vous convient, ayez-la, possédez-la; pas n'est besoin que vous la dérobiez à un autre, ou que vous pensiez à l'acheter ; elle est à votre disposition, et pour rien. Mettez la. main dessus; saisissez-la; rien de plus doux qu'elle. Et si vous la trouvez telle quand on vous en parle, que sera-ce quand vous la posséderez?

11. S'il en est parmi vous, mes frères, pour vouloir conserver la charité , ils doivent avant tout ne pas la croire méprisable ou paresseuse; il ne faudrait pas non plus s'imaginer que sa conservation est le résultat, non pas d'un peu de douceur, ou, plutôt, de la douceur, mais du relâchement ou de la négligence. Ne va pas t'imaginer que tu aimes ton serviteur, parce que tu ne le frappes jamais; ou ton;. fils, parce que tu lui ménages les sévérités. de , la discipline; ou ton voisin, parce que tu ne le reprends point. Ce n'est pas là de la charité, c'est de la mollesse. La, charité doit être ardente à corriger, à ramener au bien ; mais si les moeurs d'autrui sont régulières, qu'on s'en réjouisse; si elles sont dépravées, qu'on les redresse. Dans un homme, aime l'homme , et déteste l'erreur ; car l'homme est l'oeuvre de Dieu, tandis que l'erreur est le fait de l'homme, Aime ce: que Dieu a fait, mais n'aime pas ce que fait l'homme. Aimer l'oeuvre de Dieu, c'est l'élever; la chérir, c'est la rendre meilleure; et lors même que tu sévis, tu agis uniquement par le désir de corriger; aussi la charité s'est-elle manifestée sous la forme de la colombe, qui est descendue sur le Sauveur (1). C'est sous cette forme de colombe que le Saint-Esprit est descendu pour répandre la charité dans nos âmes. Pourquoi cela? La colombe n'a pas de fiel ; cependant, elle emploie son bec et ses ailes à défendre son nid; et si elle fait du mal, elle le fait sans amertume. Ainsi agit un père; car il corrige; son fils, il le corrige pour le ramener au bien. Comme je l'ai dit : le corrupteur veut vendre sa victime, et il met de l'amertume dans ses caresses: un père veut rendre meilleur, et il, châtie sans y mettre aucun fiel. Soyez tels pour tous. Voyez, mes frères, la grandeur de cet enseignement, la beauté de cette doctrine l Chacun a des enfants, ou désire. en avoir; ou, si on a résolu,. sans retour, de n'en point avoir selon la chair, on souhaite au moins d'en avoir selon l'esprit; alors, où est le père qui ne corrige pas ses enfants? Où est l'enfant qui n'est pas châtié par son père (2)? Celui-ci, pourtant, semble faire du mal; c'est l'amour, c'est la charité .qui, punit; elle punit, pour ainsi dire, sans amertume, à la manière d'une colombe, et non comme un corbeau. A cette occasion, mes frères, il me vient à l'esprit de vous dire que ces violateurs du précepte de la charité ont fait schisme; comme ils détestent la charité, de même ils haïssent la colombe. Mais la colombe les condamne. Elle descend du ciel; les nuées s'ouvrent; elle se repose sur la tête du Sauveur. Pourquoi cela? Afin, qu'on entende : « C'est, lui qui baptise (3) ». Arrière, voleurs; arrière , envahisseurs    du patrimoine   du Christ. Vous avez osé planter vos titres de dominations dans vos propriétés,. partout où vous prétendez dominer. Le Christ connaît ses titres ; il réclame son bien ; il ne détruit pas d'inscriptions ; il entre, et, par là même, il possède. Ainsi, chez celui qui vient à la

 

1. Matth. III, 16.— 2. Hébr. XII, 7.— 3. Jean, I, 33.

 

 

216

 

catholique on n'efface pas le baptême, pour ne pas effacer le titre du Maître. Mais que se passe-t-il dans la catholique? On reconnaît une inscription ; le propriétaire entre sous l'égide de ses propres titres, là même où le voleur entrait à l'aide des titres d'autrui.

 

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HUITIÈME TRAITÉ.

DEPUIS LES PAROLES SUIVANTES : « SI NOUS NOUS AIMONS LES UNS LES AUTRES, DIEU DEMEURERA EN NOUS », JUSQU'À CES AUTRES : « DIEU EST AMOUR; ET QUICONQUE DEMEURE DANS L'AMOUR DEMEURE EN DIEU, ET DIEU DEMEURE EN LUI ». (Chap. IV, 12-16.)

LA CHARITÉ N'EST NI ORGUEILLEUSE NI VINDICATIVE.

 

Nous ne pouvons pas toujours nous livrer aux mêmes occupations, mais nos oeuvres doivent sans cesse s'inspirer de l'humilité qui est le fondement de la charité et des sentiments de la charité elle-même. La charité ne sait être ni orgueilleuse, ni jalouse; elle se souvient que si Dieu a élevé l'homme au-dessus des êtres privés de raison, il ne l'a pas constitué le supérieur de ses semblables, ni, à plus forte raison, du Tout-Puissant : aussi, quand elle fait le bien, elle ne cherche pas plus à s'élever qu'à dérober aux regards les bonnes oeuvres par lesquelles elle peut travailler à la gloire de Dieu et édifier le prochain. La charité ne sait pas non plus faire de distinction entre les amis et les ennemis; car, sans faire attention à leurs travers, elle les aime comme les créatures de Dieu, comme des hommes qui peuvent hériter du ciel ; elle supporte donc ses ennemis avec patience et leur rend le bien pour le mal, se souvenant que Dieu est amour, qu'il nous a pardonné à nous-mêmes, et qu'il nous a donné son Esprit comme gage du bonheur du ciel.

 

1. En paroles, la charité est chose bien douce ; en pratique, elle est chose plus douce encore. Nous ne pouvons pas en parler sans cesse; car nous travaillons beaucoup; la multiplicité de nos occupations se partage notre attention, en sorte qu'il n'est pas loisible à notre langue de toujours parler de la charité; elle ne saurait pourtant mieux faire. Mais s'il nous est impossible de nous en entretenir sans relâche, nous pouvons, du moins, la conserver toujours dans nos coeurs. Ainsi, nous chantons maintenant l'Alleluia, mais sommes-nous à même de le chanter perpétuellement? C'est à peine si nous le chantons, je ne dirai pas, pendant toute la durée d'une fleuré, mais même pendant la moindre petite partie d'une seule heure; puis, nous vaquons à autre chose. Alleluia, vous le savez, signifie : Louez Dieu. Louer Dieu verbalement, sans interruption, c'est impossible ; mais on peut le louer toujours par une conduite régulière. Les oeuvres de miséricorde. les affectueux sentiments de la charité, une piété sainte, une chasteté à l'abri de toute souillure , une sobriété pleine de modestie sont à pratiquer toujours; que nous soyons sur la place publique ou dans notre maison, sous les regards de nos semblables ou dans le secret de nos demeures, que nous parlions ou que nous gardions le silence, que nous agissions ou que nous nous tenions en repos, nous ne devons jamais négliger de faire ces actes de vertu que je viens d'énumérer, parce qu'ils n'exigent pas d'autres efforts que ceux de l'âme. Toutefois, pourrait-on nommer tous ces actes intérieurs? Ils forment comme une armée, l'armée du prince qui habite en ton âme , au fonds de ton coeur. De même qu'un prince occupe ses soldats à ce qui lui plaît; ainsi, quand NotreSeigneur Jésus-Christ commence à demeurer par la foi dans notre homme intérieur (1), c'est-à-dire dans notre âme, il emploie toutes ces vertus comme des ministres soumis à ses ordres. Ces vertus ne peuvent se voir des yeux du corps, et, cependant, il suffit de les nommer pour en faire l'éloge ; mais on ne les louerait pas sans les aimer, et, sans les voir, on ne les aimerait pas; et puisqu'on ne peut les aimer si on ne les voit, on les voit donc avec d'autres yeux, c'est-à-dire avec les

 

1. Ephés. III, 17.

 

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yeux intérieurs de l'âme. Ces vertus invisibles communiquent aux membres du corps un mouvement visible; sous leur influence, les pieds marchent; pour où aller? Là où les conduira la bonne volonté, qui se trouve au service du bon prince. Les mains travaillent, mais que font-elles? Ce que commande la charité, intérieurement inspirée par l'Esprit-Saint. On voit agir les membres, sans voir le moteur caché qui leur commande de remuer. Qui est-ce qui les pousse à agir? II n'y a guère, pour le savoir, que celui qui commande, et, intérieurement, celui qui reçoit les ordres.

2. Voilà, mes frères, ce que vous venez d'apprendre, au moment où l'on vous donnait lecture de l'Evangile ; vous le savez certainement, si vous avez prêté à cette lecture, non-seulement l'oreille de votre corps, mais aussi celle de votre coeur. Que dit le Sauveur? « Prenez garde de faire vos bonnes oeuvres devant les hommes, afin qu'ils vous voient (1) ».        A-t-il voulu dire que tout ce que nous faisons de bon, nous devons le dérober aux regards des hommes, et craindre qu'on le voie? Si tu redoutes d'avoir des témoins, tu n'auras pas d'imitateurs; il faut donc qu'on t'aperçoive; mais ce n'est pas dans le dessein de te faire voir, que tu dois agir. Ni le motif, ni le but de ta joie ne doivent être d'avoir été aperçu, d'avoir reçu des éloges, comme si tes bonnes actions ne devaient pas avoir d'autre résultat. Tout cela n'est rien. Méprise les louanges qu'on te donne ; qu'en toi soit loué celui qui se sert de toi pour agir. Quand tu fais le bien, ne travaille donc point pour ta propre gloire, mais pour la gloire de Celui qui te donne la grâce de bien faire. De ton chef vient le pouvoir de mal agir; de Dieu vient celui de bien faire. Les méchants considèrent les choses d'une tout autre façon ; voyez comme ils raisonnent à rebours. Ce qu'ils font de bien, ils prétendent se l'attribuer; s'ils font mal, c'est à Dieu qu'ils s'en prennent. Retourne ce je ne sais quoi de tordu et de fait à contre-sens; cette manière de procéder, mets-lui en quelque sorte la tête en bas ; ce qui est en haut, fais-le descendre; ce qui est en bas, place-le en haut. Veux-tu placer Dieu au dernier échelon, pour te placer au premier? Au lieu de t’élever, tu tombes à terre, car Dieu est toujours au dessus. Eh quoi ! serais-tu donc

 

1. Matth. VI, 1.

 

bien, tandis que Dieu serait mal? Si tu veux parler plus vrai, dis plutôt : Je suis mal, Dieu est bien ; et ce que je suis en bien vient de lui, parce que tout ce que je fais de moi-même est mal. Cet aveu affermit le coeur; il constitue le fondement de la charité. En effet, si c'est pour nous un devoir de cacher le bien que nous faisons, afin que personne ne s'en aperçoive, que deviendra la leçon faite par le Sauveur dans son discours sur la montagne? Un peu avant de nous recommander l'humilité dans les bonnes œuvres, il a dit : « Que vos bonnes oeuvres paraissent aux regards des hommes ». Il ne s'est pas arrêté là; il n'a pas terminé là sa recommandation, car il a ajouté : « Afin qu'ils glorifient votre Père, qui est dans les cieux (1) ». Que dit aussi l'Apôtre : « Les églises de Judée, qui sont dans le Christ, ne me connaissaient pas de figure; seulement, elles entendaient dire : « Celui qui nous persécutait jadis, prêche maintenant la foi qu'il cherchait précédemment à détruire; et, en moi, elles glorifiaient Dieu (2) ». Il avait cette belle réputation. Voyez, néanmoins, comment il l'a fait tourner, non point à sa propre gloire, mais à la gloire de Dieu. Autant que cela dépend de lui, ce destructeur de l'Eglise, ce persécuteur jaloux et méchant avoue lui-même ce qu'il a été ; ne lui jetons pas la pierre. Paul aime à nous entendre rappeler ses fautes, afin que celui qui a guéri de telles faiblesses, soit glorifié; car la main du médecin a sondé la profondeur de ses plaies et les a cicatrisée. La voix de Dieu, descendue des cieux, a jeté par terre un persécuteur et fait lever un prédicateur; elle a tué Saul, et communiqué la vie à Paul (3). Saül avait persécuté un saint homme (4). De là le nom que portait Saul, quand il persécutait les Chrétiens. Plus tard, de Saul il est devenu Paul (5). Que veut dire le mot Paul? Petit. Quand c'était Saul, c'était un homme superbe, bouffi d'orgueil; quand ce fut Paul, ce fut un homme humble , petit. Aussi , quand. nous disons : Je vous verrai bientôt après, paulo post, c'est comme s'il y avait post modicum , après un petit intervalle. Que Paul soit devenu petit, en voici la preuve : « Car je suis le moindre des Apôtres (6) » ; il dit encore ailleurs : « Moi, le plus petit d'entre les saints (7) ». Ainsi était-

 

1. Matth. V, 16.— 2. Galat. I, 22-24.— 3. Act. IX.— 4. I Rois, XIX.— 5. Act. XIII, 9.— 6. I Cor. XV, 9.— 7. Ephés. III, 8.

 

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il, parmi les Apôtres, comme l'extrémité basse de la robe. Mais pareille à la femme qu'affligeait une perte de sang, l'Eglise des Gentils le toucha et fut guérie (1).

3. Aussi, mes frères, je vous l'ai dit, je le répète, et si je le pouvais, je le redirais sans cesse : Occupez-vous, et que vos oeuvres soient, tantôt d'une nature, tantôt d'une autre, selon le temps, les heures et les jours. Est-il possible de toujours parler? de toujours se taire ? de toujours réparer ses forces ? de toujours jeûner? de toujours donner du pain aux malheureux? de toujours vêtir ceux qui sont nus? de toujours visiter les malades? de toujours rétablir l'accord entre les dissidents ? de toujours ensevelir les morts? A ce moment-ci, une occupation ; à ce moment-là, une autre. Nos actions commencent et finissent; mais le maître, qui les inspire, ne commence ni ne doit cesser d'agir. La charité ne doit pas avoir en vous d'intermittence : les oeuvres qui en découlent doivent se montrer au moment opportun : donc, comme il est écrit, « que la charité fraternelle demeure toujours en vous (2) ».

4. Il en est peut-être parmi vous pour s'étonner de ce que, depuis le premier mot de l'épître que nous vous expliquons, le bienheureux Jean ne nous a rien recommandé aussi expressément que la charité fraternelle. Il dit : « Celui qui aime son frère (3) » ; et encore : « Un commandement nous a été donné, c'est de nous aimer les uns les autres (4) ». Continuellement il nous a parlé de la charité fraternelle : pour l'amour de Dieu, c'est-à-dire, pour cet amour que nous devons avoir pour pieu, il n'en a point parlé aussi souvent; et cependant il n'a, pas tout à fait gardé le silence à son égard. Quant à l'amour des ennemis, il n'y a, à vrai dire, fait presque aucune allusion dans le cours de cette épître. En nous prêchant, en nous recommandant vivement la charité, il ne nous dit pas d'aimer nos ennemis, mais il nous dit d'aimer nos frères. Lorsque, tout à l'heure, on nous a lu l'Evangile, nous avons entendu ces paroles : « Si vous aimez ceux qui vous aiment, quelle récompense en aurez-vous? Les publicains ne le font-ils pas aussi (5) ». Pourquoi donc l'apôtre Jean attache-t-il à la charité fraternelle une si grande importance, qu'il nous la

 

1. Matth. IX, 20-22.— 2. Hébr. XIII, 1.— 3. I Jean, II, 10.— 4. Id. III, 23.—  5. Matth. V, 46.

 

recommande comme un moyen d'être parfaits, tandis que, d'après le Sauveur, il ne suffit pas d'aimer ses frères, mais qu'il faut pousser la charité au point d'aimer même ses ennemis? Celui qui va jusqu'à aimer ses ennemis, ne néglige point d'aimer ses frères. Il en est d'elle comme du feu : il lui faut d'abord s'attaquer aux objets les plus rapprochés, pour de là s'étendre jusqu'aux plus éloignés. Top frère est plus proche de toi que je ne sais quel homme. A son tour, cet homme que tu ne connaissais pas encore, et qui ne nourrit contre toi aucune animosité, est plus rapproché de toi qu'un ennemi qui joint l'action à ses mauvais sentiments. Etends ta charité jusqu'aux plus proches, mais ne dis pas que tu l'as étendue; car aimer ceux qui te touchent, c'est aimer non loin de toi; étends la jusqu'à ceux que tu ne connais pas et qui ne t'ont fait aucun mal : va même plus loin qu'eux, pousse la charité jusqu'à aimer tes ennemis : sans aucun doute, Dieu le commande. Mais pourquoi n'a-il point parlé de l'amour des ennemis ?

5. Toute charité, même celle qu'on nomme charnelle, et qui est, à vrai dire, non pas la charité, mais bien plutôt, l’amour (car le mot charité se dit d'ordinaire dans les meilleures occasions ; on l'emploie pour signifier les plus nobles sentiments) , toute charité, mes très-chers frères, présuppose un certain bon vouloir pour ceux que l'on aime. Le Sauveur s'était lui-même servi du mot aimer, quand il a dit : « Pierre, m'aimes-tu (1)? » Nous ne devons pas chérir, nous ne pouvons pas chérir ou aimer les hommes de toute manière, nous ne devons pas les aimer dans le sens qu'attachent à ce mot les viveurs lorsque nous les entendons dire : J'aime les grives. Tu demandes pourquoi ? Parce qu'ils veulent les tuer et les manger. Ces gens-là disent qu'ils aiment les grives, mais c'est pour les anéantir, c'est pour qu'il n'en soit plus question; et tout ce que nous aimons dans le dessein de le manger, nous l'aimons pour en faire la fin et réparer nos forces. Devons-nous aimer les hommes, comme s'ils étaient réservés à nous nourrir? Mais il y a une amitié de bienveillance qui nous porte parfois à rendre service à ceux que nous aimons. Qu'en sera-t-il, si nous ne pouvons leur être utiles ? Alors notre amitié se bornera à être

1. Jean, XXI, 17.

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bienveillante. Car nous ne devons pas désirer qu'il y ait des malheureux, pour avoir l'occasion de faire des oeuvres de miséricorde. Tu donnes du pain à celui qui a faim ; mais il vaudrait mieux que personne n'eût faim, et que tu ne fusses généreux à l'égard de personne. Tu donnes des vêtements à celui qui est nu ; plaise à Dieu que tous soient vêtus et qu'aucun ne se trouve dans la nécessité à cet égard ! Tu ensevelis les morts; si seulement commençait bientôt cette vie bienheureuse ait sein de laquelle personne ne mourra ! Tu rétablis la concorde parmi des dissidents ; ah, que bientôt encore vienne cette paix de la Jérusalem éternelle, qui ne sera troublée par aucune discorde! Tous les bons offices sont nécessités par le besoin d'autrui. Fais disparaître les malheureux, à l'instant même cesseront les oeuvres de miséricorde. Les oeuvres de miséricorde cesseront, mais le feu de la charité s'éteindra-t-il? Tu aimes, de meilleur coeur, l'homme heureux à qui tu n'as à rendre aucun service ; en ce cas, ton amitié est plus pure et beaucoup plus sincère. De fait, si tu viens en aide à un malheureux, peut-être désires-tu t'élever au-dessus de lui ; peut-être veux-tu voir au-dessous de toi celui qui est la cause du bien que tu as fait. Cet homme s'est trouvé dans le besoin ; tu as subvenu à ses nécessités : parce que tu l'as aidé, il te semble être plus grand que celui à qui tu as rendu service. Désire l'avoir pour égal, afin que tous deux vous soyez soumis à Celui-là seul qui n'a besoin de rien.

6. En cela, l'âme orgueilleuse a dépassé les bornes, et s'est en quelque sorte montrée avare ; car « l'avarice est la racine de tous les maux (1) ». Il est dit encore : « Le commencement de tout péché est l'orgueil (2) ». Nous cherchons parfois à savoir comment peuvent s'accorder ces deux passages : « L'avarice est la racine de tous les maux »; et: « Le  commencement de tout péché est l'orgueil ». Si l'orgueil est le commencement de tout péché, il est évidemment la racine de tous les maux. Sans aucun doute, la racine de tous les maux est l'avarice ; l'avarice se trouve aussi dans l'orgueil, car l'homme avare excède les bornes. Qu'est-ce qu'être avare? S'avancer plus loin qu'il ne faut : l'orgueil a fait tomber Adam : « L'orgueil », dit le Sage, « est le commencement de tous les maux ». Est-ce

 

1. Tim. VI, 10.— 2. Eccli. X, 15.

 

l'avarice ? Quoi de plus avare que celui à qui Dieu n'a pu suffire ? Aussi, mes frères, nous lisons la manière dont l'homme a été fait à l'image et à la ressemblance de Dieu. Qu'est-ce que Dieu a dit de lui ? « Qu'il ait l'autorité sur les poissons de la mer, sur les « oiseaux du ciel et sur les animaux qui se « meuvent sur la terre (1) ». Dieu a-t-il ajouté Qu'il ait autorité sur les hommes ? « Qu'il ait autorité », par là, il lui a donné l'empire naturel. A l'égard de quels êtres ? « Des poissons de la mer, des oiseaux du ciel, des animaux qui se meuvent sur la terre ». Pourquoi cette puissance de l'homme, à l'égard de tous ces animaux, est-elle naturelle? Parce que l'homme la puise dans ce fait qu'il a été créé à l'image de Dieu. En quoi a-t-il été créé à l'image de Dieu ? Dans son intelligence, dans son esprit, comme homme intérieur. En tant qu'il comprend la vérité, il distingue entre la justice et l'injustice, il sait par qui il a été créé ; il peut se faire une idée de, son Créateur et l'adorer. Quiconque est doué de prudence, possède aussi cette science. Aussi, comme beaucoup détruisent en eux l'image de Dieu parleurs passions mauvaises, et, à force d'immortalité éteignent cette sorte de flamme intelligente, l'Ecriture leur crie « Ne devenez point pareils au cheval et au mulet, qui manquent d'intelligence (2) ». C'est dire, en d'autres termes : Je t'ai placé au-dessus du cheval et du mulet ; je t'ai fait à mors image ; je t'ai donné l'autorité sur les animaux. Pourquoi ? Parce que les bêtes ne sont pas pourvues d'une âme raisonnable ; mais, comme tu en es doué, tu saisis la vérité, tu comprends ce qui est au-dessus de toi: sois donc soumis à celui qui est au-dessus de toi, et que les êtres, à la tête desquels tuas été placé, t'obéissent: Toutefois, l'homme ayant, par le péché, abandonné celui sous la dépendance de qui il devait vivre, il dépend de ceux qu'il devait dominer.

7. Remarquez que je dis : Dieu, l'homme, les animaux : par exemple, au-dessus de toi, Dieu ; les animaux au dessous. Reconnais l'autorité de Celui qui est au-dessus de toi, et ceux qui se trouvent au dessous, reconnaîtront la tienne. Aussi, Daniel ayant reconnu que Dieu était au-dessus de lui, fut reconnu par les lions, comme étant au-dessus d'eux (3). Mais si tu ne reconnais pas ton Maître;

 

1. Gen. I, 26.— 2. Ps. XXXI, 9.— 3. Dan. VI, 22.

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si tu méprises ton supérieur,. tu te mets, par là même, sous les pieds de ton inférieur. Aussi, qu'est-ce qui a dompté l'orgueil des Egyptiens ? Des grenouilles et des mouches (1). Pour cela, Dieu aurait pu employer des lions: mais un lion ne doit servir qu'à épouvanter des grands hommes. Autant l'orgueil les avait rendus superbes, autant furent méprisables et abjects les êtres destinés à casser leur mauvaise tête. Mais les lions ont reconnu Daniel, parce qu'il était soumis à Dieu. Eh quoi 1 n'étaient-ils pas soumis à Dieu, les martyrs qui ont combattu avec les bêtes, et qui ont été déchirés par les animaux féroces ? Les trois compagnons de Daniel étaient-ils donc des serviteurs de Dieu, et les Macchabées ne l'étaient-ils pas ? Le feu aurait-il reconnu ces trois hommes pour des serviteurs de Dieu, puisqu'il ne les a pas consumés, puisqu'il n'a pas même touché leurs vêtements (2)? N'aurait-il pas reconnu, comme tels, les Macchabées (3) ? Mes frères, il a reconnu les Macchabées et les hommes de la fournaise. Mais il fallait que, avec la permission de Dieu, les Macchabées fussent éprouvés ; car Dieu a dit dans l'Ecriture : « Il frappe de verges tous ceux a qu'il reçoit parmi ses enfants (4) » . Pensez-vous, mes frères, que le fer aurait traversé les entrailles du Sauveur, pour venir ensuite se fixer dans le bois de sa croix, s'il ne l'avait permis? Est-ce que sa créature ne l'a pas connu ? Ou plutôt, n'a-t-il pas voulu donner à ses disciples l'exemple de la patience ? C'est pourquoi le Seigneur a visiblement délivré quelques-uns de ses serviteurs, tandis qu'il a laissé visiblement les autres au milieu de l'épreuve.: pourtant, il les a tous délivrés spirituellement ; sous ce rapport, aucun n'a été abandonné. A en juger par l'apparence, il a semblé sauver ceux-ci et délaisser ceux-là ; et s'il en a sauvé, c'était afin qu'il ne fût pas possible de dire qu'il en était incapable. Il a donné des preuves de son pouvoir, afin que, quand il n agit pas, tu saisisses ses intentions les moins apparentes, et que tu ne l'accuses pas d'incapacité. Mais quoi , mes frères ? Un jour viendra, où nous briserons toutes les chaînes de notre condition mortelle : alors finira le temps de l'épreuve ; alors sera écoulé le fleuve de ce siècle; alors nous récupérerons cette robe primitive, cette immortalité que nous avons perdue par le

1. Exod. VIII.— 2. Dan. III, 50.— 3. II Machab. VII.— 4. Hébr. XII, 6.

péché : notre corps corruptible se revêtira d'incorruptibilité, c'est-à-dire, notre chair, aujourd'hui sujette à la corruption, y échappera, et de mortelle qu'elle est maintenant, elle se revêtira d'immortalité (1); alors aussi, en cet endroit où il ne sera plus nécessaire d'être éprouvé et flagellé, toute créature reconnaîtra les parfaits enfants de Dieu ; alors aussi, tout nous sera soumis, pourvu que maintenant nous soyons nous-mêmes soumis à Dieu.

8. Le chrétien doit donc être ainsi disposé qu'il ne s'élève pas, dans un sentiment de vaine gloire, au-dessus des autres hommes. Dieu t'a fait la grâce d'être supérieur aux animaux, c'est-à-dire meilleur qu'eux : c'est naturel chez toi; tu seras toujours meilleur que la bête. Mais si tu veux surpasser les autres hommes, tu porteras toujours envie à ceux qui sembleront t'égaler. Tu dois vouloir que tous les hommes soient tes égaux ; et si ta prudence l'emporte sur celle d'un autre, tu dois désirer qu'il soit lui-même prudent. Tant qu'il est peu instruit, il s'instruit à ton école : tant qu'il est ignorant, il a besoin de toi ; aussi, tu as l'air d'être le maître, et lui, le disciple ; et parce que tu l'instruis, tu es son supérieur ; et parce qu'il s'instruit auprès de toi, il est ton inférieur. A moins de désirer le voir ton égal, tu veux toujours l'avoir pour disciple ; et si tu veux toujours l'avoir pour disciple, tu seras un maître jaloux; et si tu es jaloux de lui, comment pourras-tu l'instruire ? Je t'en conjure, ne lui enseigne pas la jalousie. Ecoute l'Apôtre, il parle du fond des entrailles de la charité : « Je voudrais que tous les hommes fussent comme moi (2) ». Comment pouvait-il vouloir que tous lui fussent égaux ? Il se montrait supérieur à tous, par cela même que la charité le portait à désirer de les avoir tous pour égaux. L'homme a donc franchi les bornes ; celui que Dieu avait placé au-dessus de tous les êtres a voulu avoir davantage encore, puisqu'il a voulu se placer au-dessus des hommes. Voilà bien l'orgueil.

9. Et voyez les admirables oeuvres opérées par l'orgueil : il sait imiter la charité et agir presque comme elle, soyez-en bien convaincus. La charité nourrit celui qui a faim l'orgueil lui donne aussi des aliments ; la charité fait le bien pour la gloire de Dieu ; l'orgueil, pour sa propre gloire. La charité

1. I Cor. XV, 53, 54.— 2. Id. VII, 7.

 

revêt l'homme qui est nu, l'orgueil lui donne aussi des vêtements ; la charité jeûne, l'orgueil pareillement ; la charité ensevelit les morts, l'orgueil ne les laisse point privés de sépulture. L'orgueil se remue en face de toutes les bonnes oeuvres que veut faire et que fait la charité : il conduit, en quelque sorte, ses chevaux ; mais la charité est intérieure, elle ne laisse pas de place à l'orgueil mal inspiré : je ne dis pas, occupé à de mauvaises oeuvres, mais mal inspiré. Malheur à l'homme dont le cocher est l'orgueil ; il faut, de toute nécessité, qu'il tombe dans le précipice. Quand l'orgueil est le mobile des bonnes oeuvres, quelqu'un le sait-il ? Qui est-ce qui le voit ? A quel signe le reconnaître ? Nous voyons des oeuvres : la charité nourrit les pauvres, l'orgueil en fait autant ; la charité est hospitalière, l'orgueil aussi ; la charité s'entremet en faveur du pauvre, l'orgueil agit de même. Qu'est-ce à dire ? Nulle différence sensible entre toutes ces oeuvres. J'ose dire quelque chose, mais ce n'est pas de moi-même, car c'est Paul qui l'a dit : La charité meurt, ou, en d'autres termes, l'homme qui a la charité, confesse le nom du Christ et va au martyre; l'orgueil fait une confession pareille, et marche aussi au supplice : l'un a la charité, l'autre ne l'a pas. Pour celui qui n'a pas la charité, qu'il écoute ces paroles de l'Apôtre : « Quand je distribuerais tout mon bien aux pauvres, quand je livrerais mon corps aux flammes, si je n'ai pas la charité, tout cela ne me sert de rien (1)». L'Ecriture divine veut donc nous faire négliger la pompeuse apparence dont se revêtent ces oeuvres extérieures, et pénétrer jusqu'à leur nature intime : de ces dehors orgueilleux qui frappent les regards du public, elle veut nous faire passer à la réalité même des choses. Reviens à ta conscience , interroge-la. Ne t'arrête pas à considérer la fleur qui brille aux yeux, remarque la nature de la racine qui se trouve en terre. Est-ce la cupidité qui est enracinée dans ton coeur ? Ses oeuvres peuvent sembler bonnes, mais elles ne peuvent l'être réellement. Est-ce la charité? Alors, sois tranquille; elle ne peut rien produire de mauvais. L'orgueilleux est flatteur, l'homme qui aime est sévère : le premier donne des vêtements, le second une correction ; celui-ci veut rendre meilleur, celui-là veut plaire. Les blessures

1. I Cor. XIII, 3.

faites par la charité sont plus profitables que l'aumône donnée par l'orgueil. Rentrez donc en vous-mêmes, mes frères, et, dans tout ce que vous faites, portez vos regards sur le Dieu qui vous voit ; et, puisqu'il vous voit, voyez vous-mêmes quels sont les mobiles secrets de vos actions. Si votre coeur ne vous accuse pas de vous conduire sous l'impression de la vaine gloire, c'est bien :'soyez tranquilles. Toutefois, lorsque vous faites bien, ne craignez pas que les autres vous voient. Crains plutôt d'agir dans l'intention d'être louangé ; que les autres te voient, et qu'ils louent Dieu. Si, en effet, tu te dérobes aux regards de tes semblables, tu leur ôtes l'occasion de t'imiter, tu mets obstacle à ce que Dieu soit glorifié. Il en est deux auxquels tu fais l'aumône ; ils ont besoin l'un de pain, l'autre de justice. Entre ces deux hommes, qu'on peut également appeler du nom de faméliques, car il est dit : « Bienheureux ceux qui ont faim et soif de la justice, parce qu'ils seront rassasiés (1) » ; entre ces deux faméliques, tu as été placé pour faire le bien ; si la charité est le principe de tes actions, tu prends pitié de l'un et de l'autre, tu veux pourvoir aux besoins de tous les deux. Celui-ci cherche un morceau de pain qu'il puisse manger, celui-là, un exemple à imiter. Tu donnes du pain au premier, donne-toi au second ; ainsi, tu auras fait l'aumône à chacun d'eux : l'un te sera reconnaissant de ce que tu auras fait disparaître la faim qui le tourmentait: l'autre sera devenu l'imitateur de l'exemple que tu lui auras donné.

10. Comme hommes de miséricorde, ayez donc compassion d'autrui, car, par cela même que vous aimerez vas ennemis, vous aimerez vos frères. Ne vous imaginez pas que Jean ne vous ait rien commandé par rapport à l'amour de nos ennemis ; car il n'a point passé sous silence la charité fraternelle. Vous aimez des frères. Comment, diras-tu, aimons-nous en eux des frères ? Je me demande pour quel motif tu aimes un ennemi : pourquoi l'aimes-tu? Pour qu'il jouisse de la santé dans le cours de cette vie ? A quoi bon la santé, si elle ne lui est pas avantageuse ? Pour qu'il soit riche ? A quoi bon les richesses, si elles doivent l'aveugler ? Pour qu'il se marie ? A quoi bon une femme, si elle doit empoisonner son existence? Pour qu'il ait de la

 

1. Matth. V, 6.

 

222

famille ? A quoi bon des enfants, s'ils doivent être mauvais ? Ils sont donc incertains les avantages que tu sembles désirer à ton ennemi, en raison de l'affection que tu lui portes : oui, ils sont incertains. Souhaite-lui de partager avec toi le bonheur de la vie éternelle ; souhaite-lui d'être ton frère. Si l'amour, que tu as pour ton ennemi, te porte à désirer qu'il soit ton frère, tu aimes donc un frère en l'aimant. En lui, tu n'affectionnes pas ce qu'il y a, mais ce que tu voudrais y rencontrer. Si je ne me trompe, j'ai déjà proposé cette comparaison à votre charité : Un arbre vigoureux est déposé sur une place publique ; il vient d'être abattu, il est encore enveloppé de son écorce: en le voyant, un ouvrier habile l'aime ; j'ignore ce qu'il veut en faire. Mais l'ouvrier n'aime pas cet arbre en ce sens que celui-ci doive toujours rester le même. Il le voit tel qu'il sera quand il aura été travaillé, et non tel qu'il est dans ses affections : il aime ce qu'il deviendra, et non ce qu'il est présentement. C'est de la même manière que Dieu aime les pécheurs. Nous disons que Dieu a aimé les pécheurs, car il a dit : « Ce ne sont pas ceux qui se portent bien qui ont besoin du médecin, mais les malades (1) ». Nous étions pécheurs ; nous a-t-il aimés en ce sens que nous devions persévérer dans le péché ? Nous étions comme . un arbre ramené de la forêt ; il était, lui, comme un ouvrier habile : il nous a vus, et il a pensé, non pas à ce que nous étions, mais a ce qu'il ferait de nous. Il en est ainsi de toi. Tu vois que ton ennemi te fait opposition, qu'il te fait du mal, qu'il te blesse par des propos piquants, qu'il t'accable d'affronts, et ,te poursuit de sa haine : à. ces marques, tu reconnais qu'il est homme. Tu vois tous ces procédés haineux qui te viennent de l'homme, et, en même temps, tu aperçois en lui la créature de ton Dieu. En tant qu'homme créé, il est l'oeuvre de Dieu ; mais comme ton ennemi, il est l'auteur de ses iniques procédés : s'il te porte envie, il est responsable de ses actes. Que dis-tu en toi-même ? Seigneur, soyez indulgent à son égard, pardonnez-lui ses péchés , inspirez-lui la crainte, changez-le. En lui, tu n'affectionnes pas ce qui s'y trouve, mais ce que tu voudrais y rencontrer. Par conséquent, lorsque tu aimes un ennemi, tu aimes un. frère. C'est pourquoi

 

1. Matth. IX, 12.

 

la charité parfaite consiste à aimer ses ennemis ; elle est comprise dans la charité fraternelle. Et que personne ne dise qu'à cet égard l'apôtre Jean nous a commandé moins, et que Notre-Seigneur Jésus-Christ nous a commandé davantage : Jean nous a donné le précepte d'aimer nos frères, et le Christ celui de chérir même nos ennemis (1). Remarque en quel sens le Christ t'a recommandé d'aimer tes ennemis. Est-ce en ce sens qu'ils doivent persévérer dans leur inimitié ? Si tu les aimes en ce sens, au lieu de les aimer, tu les détestes. Vois comment il les a lui-même affectionnés : il ne voulait pas les voir persévérer dans le péché. « Père », dit-il, « pardonnez-leur, car ils ne savent ce qu'ils font (2) ». II désirait la conversion de ceux pour lesquels il demandait pardon : et ces pommes, dont il souhaitait la conversion, il a bien voulu, d'ennemis qu'ils étaient, en faire ses frères, et, en réalité, il les a rendus tels. Il a été mis à mort et enseveli . Il est ressuscité et monté au ciel ; il a envoyé l'Esprit-Saint à ses disciples : ils ont, avec confiance, commencé à prêcher son nom ; ils ont opéré des miracles au nom de Jésus crucifié et plis à mort. Ces miracles, les bourreaux du Sauveur les ont vus, et ceux qui, dans l'excès de leur fureur, avaient fait couler le sang du Christ, s'en sont abreuvés en croyant en lui.

11. En vous disant ceci, mes frères, j'ai été un peu long; néanmoins, il me fallait vous parler ainsi, puisque je devais recommander aussi chaleureusement que possible à votre charité la charité même. Si la charité est nulle en vous, nous avons perdu notre temps à parler; mais si vos âmes en sont embrasées, nous avons comme jeté l'huile sur le feu ; et peut-être nos paroles en ont-elles allumé la flamme dans des coeurs où elle ne brûlait pas. Chez les uns, la charité qui s'y trouvait a pris de l'accroissement; chez les autres, elle ne se trouvait pas, mais elle y a pris naissance. Nous vous avons donc tenu ce langage, afin que vous ne mettiez pas de lenteur à aimer vos ennemis. Un homme s'acharne-t-il contre toi? Il te fait du mal: prie pour lui ; il te déteste. use d'indulgence à son égard. Son coeur, brûlé par la fièvre de la haine, abhorre ta personne; il guérira et te sera reconnaissant. Comment les médecins aiment-

 

1. Matth. V, 44.— 2. Luc, XXIII, 34.

 

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ils les malades? Les aiment-ils comme malades? S'ils les aimaient comme tels, ils voudraient les voir toujours tels. Si donc les médecins affectionnent les malades, c'est afin, non pas de les laisser dans leur infirmité, mais de leur rendre la santé. Combien, le plus souvent, ils ont à souffrir de la part des frénétiques? Quelles paroles injurieuses leur sont adressées? Presque toujours ils en reçoivent des mauvais traitements. Ils font la guerre à la fièvre de l'infirme, mais ils pardonnent à l'homme. Que dirai-je, mes frères? Aiment-ils leur ennemi? Loin de là : ils détestent leur ennemi, c'est-à-dire la maladie ; ils haïssent la maladie, et ils aiment l'homme qui les frappe; ils abhorrent la fièvre : car de qui, en réalité, reçoivent-ils des coups? De la maladie, de l'infirmité, de la fièvre. Ils font donc disparaître ce qui leur est opposé, pour ne laisser que ce qui leur vaudra de la reconnaissance. Agis de la même façon. Si ton ennemi te déteste et te déteste injustement, sache que la cupidité du siècle le domine et le porte à te haïr. En le haïssant toi-même, tu lui rends le mal pour le mal. Quel est le résultat de cette manière d'agir? Je pleurais le sort d'un seul malade, de celui qui te haïssait; maintenant, puisque tu lui rends haine pour haine, je gémis sur le compte de deux infirmes. Mais il en veut à ta fortune; il t'enlève je ne sais quels biens, les biens de la terre; il t'accable de tourments en cette vie voilà pourquoi tu es indisposé contre lui. Ne te tourmente pas ainsi, élève-toi au-dessus de ce monde, jusqu'au ciel ; là, tu auras le coeur au large ; l'espérance de la vie éternelle te mettra à l'abri de n'importe quelle inquiétude. Fais attention à ce que t'enlève ton ennemi ; il ne le ferait pas si celui « qui châtie quiconque devient son enfant », ne le permettait (1). Ton ennemi est aux mains de Dieu comme l'instrument de fer qui doit guérir tes plaies. Si Dieu sait qu'il est avantageux pour toi d'être dépouillé de tes biens, il le laisse te les enlever; s'il reconnaît comme utile pour toi que tu sois frappé, il le laisse te donner des coups; il se sert de lui pour te guérir ; désire donc que cet homme soit guéri à son tour.

12. «Jamais personne n'a vu Dieu». Voyez, mes très-chers: « Si nous nous aimons les uns les autres, Dieu demeurera en nous, et

 

1. Hébr. XII, 6.

 

son amour sera parfait en nous ». Commence d'aimer, tu arriveras à la perfection. As-tu commencé d'aimer? Dieu a commencé d'habiter en toi ; aime Celui qui a commencé d'habiter en toi, afin qu'il y établisse plus parfaitement sa demeure, et que, par là, il te rende parfait. « Si nous connaissons que nous demeurons en lui, et lui en nous, c'est qu'il nous a rendus participants de son Esprit ». Bien, grâces à Dieu. Nous savons qu'il habite en nous. Et comment même avons-nous appris que nous savons qu'il habite en nous? C'est que Jean nous a dit : « Il nous a rendus participants de son Esprit ». Comment savons-nous qu'il nous a fait entrer en participation de son Esprit? » Cela même, c'est-à-dire qu'il nous a rendus participants de son Esprit, qu'est-ce qui te l'apprend? Scrute les plus secrets replis de ton coeur; si la charité le remplit, tu as l'Esprit de Dieu. Comment savons-nous que tel est pour toi le moyen de connaître que l'Esprit de Dieu habite en toi ? Interroge l'apôtre Paul: « Parce que l'amour de Dieu a été répandu dans nos coeurs par le Saint-Esprit qui nous a été donné (1) ».

13. « Nous avons vu et nous rendons témoignage que le Père a envoyé son Fils pour être le Sauveur du monde ». Vous tous qui êtes malades, rassurez-vous; un pareil médecin est venu en ce monde, et vous manqueriez de confiance? La maladie était grave, les plaies incurables, l'infirmité portée à ses dernières limites. Tu fais attention à la grandeur du mal, et tu oublies de remarquer la toute-puissance du médecin ? Tu t'abandonnes au désespoir? mais le médecin peut tout ; nous en avons pour témoins ceux qui, d'abord guéris par lui, ont ensuite prêché son nom ; ne l'oublie pas, néanmoins: ces hommes ont été guéris plutôt en espérance qu'en réalité; car ainsi s'exprime l'Apôtre : « Car nous ne sommes encore sauvés qu'en espérance (2) ». La foi a commencé notre guérison; elle s'achèvera au moment où « ce corps corruptible sera revêtu d'incorruptibilité, et lorsque ce corps mortel sera revêtu d'immortalité (3)». C'est là de l'espérance, et non de la réalité. Mais quiconque goûte les joies de l'espérance, possédera aussi celles de la réalité, et quiconque ne connaît pas les unes, ne connaîtra pas non plus les autres.

 

1. Rom. V, 5.— 2. Id. VIII, 24.— 3. II Cor. XV, 53, 54.

 

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14. « Celui qui confesse que Jésus-Christ est le Fils de Dieu, Dieu demeure en lui et lui en Dieu ». Puissions-nous dire à quelques-uns seulement : « Celui qui confesse », non de bouche, mais de fait, non par ses paroles, mais par sa conduite. Il en est, en effet, beaucoup qui confessent de bouche et qui nient de fait. « Nous avons connu l'amour que Dieu a pour nous, et nous y avons cru ». Encore une fois, comment as-tu connu ? « Dieu est amour ». Jean l'avait déjà dit précédemment: il le répète encore. Il lui était impossible de te recommander la charité d'une manière plus instante qu'en te disant qu'elle est Dieu. Peut-être aurais-tu fait peu de cas de ce don de Dieu. Mépriseras-tu Dieu lui-même? « Dieu est amour, et quiconque demeure dans l'amour, demeure en Dieu, et Dieu en lui ». Le contenant et le contenu habitent mutuellement l'un dans l'autre. Tu habites en Dieu, mais pour être contenu en lui; Dieu habite en toi, mais pour te contenir et t'empêcher de tomber: Toutefois, ne va pas croire que tu sois pour Dieu une maison, comme est pour toi la maison qui supporte ton corps; si celle-ci venait à manquer sous tes pieds, tu tomberais; retire-toi de Dieu, il restera debout. Il ne perd rien lorsque tu l'abandonnes, il ne récupère rien quand tu reviens à lui. Tu guéris sans lui procurer aucun avantage; tu te purifies, tu reprends des forces, tu te corriges. Il est remède pour le malade, règle de vie pour le méchant, lumière pour celui qui est plongé dans les ténèbres, demeure pour l'homme sans abri. Tu reçois donc tout de sa générosité. Ne t'imagine pas que Dieu se trouve avantagé en quoi que ce soit, lorsque tu viens à lui ; tu ne deviens pas même son serviteur. Parce que tu ne voudrais pas lui obéir, parce que tous les hommes lui refuseraient la soumission, Dieu manquerait-il pour cela de serviteurs?

Dieu n'a nul besoin de serviteurs, mais ses serviteurs ont besoin de lui. C'est pourquoi le Psalmiste s'est exprimé ainsi : « J'ai dit au Seigneur : Vous êtes mon Dieu ». Il est le vrai Seigneur. Et qu'ajoute le Prophète ? « Parce que vous n'avez pas besoin de mes biens (1) ». Tu as besoin du bien de ton serviteur; lui a besoin du tien, car il faut que tu le nourrisses; tu as besoin du sien, car il te faut son aide. Tu ne peux ni puiser à la fontaine, ni faire cuire ton eau, ni courir devant ton cheval, ni soigner ta monture. Tu le vois, tu as besoin du bien de ton serviteur, de ses services ; par conséquent, tu n'es pas maître dans la véritable acception du mot, puisque tu as besoin de ton inférieur. Celui-là est véritablement notre maître, qui ne nous demande rien; et malheur à nous si nous voulions nous passer de lui ! Il n'attend rien de nous, et il nous a cherchés lors même que nous ne le cherchions pas. Une de ses brebis s'était égarée, il l'a trouvée et joyeusement rapportée sur ses épaules (2). Cette brebis était-elle indispensable à son pasteur? ou plutôt le pasteur n'était-il pas nécessaire à cette brebis? Plus j'éprouve de plaisir à vous parler de la charité, moins je voudrais arriver au terme de cette Epître ; car nulle autre n'est plus entraînante à nous faire aimer la charité. Rien de plus doux à vous annoncer , rien de plus sain à vous communiquer, à condition néanmoins, que vous vivrez saintement et que vous établirez fortement en vous le don de Dieu. Ne vous montrez pas ingrats ; n’oubliez pont cette grâce infinie du Dieu qui, ayant un Fils unique, n’a pas consenti à n’en avoir qu’un, et qui pour lui donner des frères, a bien voulu adopter d’autres enfants et les destiner à posséder avec lui la vie éternelle.

 

1. Ps. XV, 2. — 2. Luc, XV, 4, 5.

 

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 NEUVIÈME TRAITÉ.

DEPUIS LES PAROLES SUIVANTES : « L'AMOUR DE DIEU EST PARFAIT EN NOUS », JUSQU'À CES AUTRES : « ET C'EST DE DIEU MÊME QUE NOUS AVONS REÇU CE COMMANDEMENT : QUE CELUI QUI AIME DIEU, AIME AUSSI SON FRÈRE ». (Chap. IV, 17-21.)

LA CONFIANCE AU JUGEMENT.

 

Nous avons une preuve de l'existence de la charité en nous dans la confiance que nous inspire le jugement. Si, au lieu de le craindre comme font ceux qui commencent à être parfaits, nous désirons le voir venir, c'est que nous sommes, comme Dieu, charitables, même envers nos ennemis; c'est que nous avons en nous la charité parfaite. Cette charité doit y être précédée parla crainte ; mais quand elle y est une fois établie, la crainte disparaît, et notre justice devient elle-même parfaite. A côté de cette crainte imparfaite par où commence la charité parfaite, se trouve une crainte pure qui demeure même avec cette charité ; elle consiste à redouter d'être séparé de Dieu : elle s'inspire donc du véritable amour divin. Celui que domine la crainte imparfaite, doit se souvenir incessamment de la présence de Dieu, et il ne péchera plus; l'autre vit saintement et il a confiance de ne pas être délaissé par le Seigneur : il a confiance dans le jugement. Pour en être là, aimons Dieu, nous lui devons la réciprocité : aimons aussi nos semblables, car l'amour de Dieu et celui du prochain sont inséparables.

 

1. Votre charité s'en souvient, il nous reste à traiter et à vous expliquer, aussi bien que Dieu noua en fera la grâce, la dernière partie de l'Epître de l'apôtre Jean; nous n'oublions point notre dette, et vous ne devez pas vous-mêmes oublier de nous en demander le paiement. La charité, que cette Epitre nous recommande par-dessus tout et presque exclusivement, nous porte à remplir, avec la plus scrupuleuse fidélité, nos engagements, et fait de vous les plus bienveillants des créanciers. Je vous donne le nom de créanciers bienveillants, parce que, où ne se trouve pas la charité, il n'y en a que de durs; mais où elle se rencontre, celui-là même qui exige le paiement d'une dette le fait avec douceur; et pour celui qui est forcé de remplir ses engagements, lors même qu'il lui faut s'imposer quelque peine, la charité rend cette peine si légère qu'elle en devient presque nulle. Prenons un exemple parmi les êtres vivants privés de parole et de raison, animés des sentiments d'une charité, non pas spirituelle, mais purement charnelle et naturelle; leurs petits n'exigent-ils pas, mais avec une vive amitié, le lait des mères? Quoiqu'ils se jettent brusquement sur ses mamelles pour les sucer, la mère aime mieux les voir ainsi, que les voir ne pas téter et ne pas exiger d'elle ce que leur doit son affection. Nous voyons souvent des génisses déjà grandes frapper à coups de tête la mamelle et soulever, en quelque sorte par là, le corps de leur mère, sans néanmoins en recevoir de coups de pieds qui les éloigne; et même, quand le veau n'est point là pour sucer son lait, elle l'appelle par ses mugissements. Par conséquent, si nous avons en nous cette charité spirituelle dont parle l'Apôtre quand il dit: « Je me suis rendu petit parmi vous , comme une nourrice pleine de tendresse pour ses enfants (1) », nous aimons à vous voir exiger de nous l'acquit de nos dettes. Nous n'aimons point ceux qui se montrent lents à le faire, car nous avons peur de ceux qui manquent de zèle. Nous avons dû interrompre la suite du texte de cette Epître, en raison de leçons importantes qu'il nous a fallu y intercaler à cause de certains jours de tête, leçons dont nous nous sommes borné à vous donner la lecture sans vous en donner l'explication. Reprenons donc aujourd'hui l'ordre interrompu, et que votre sainteté écoute avec attention ce qui nous reste à lui dire. Je ne sais s'il est possible de nous recommander la charité en des termes plus élevés que ceux-ci : « Dieu est amour ». Eloge bref, mais admirable ! Eloge en peu de mots, mais plein de magnificence dans les idées qu'il éveille ! Que c'est bientôt dit : « Dieu est amour ! » Oui, c'est court; un mot, voilà tout; mais pèse ce mot, combien il dit de choses ! « Dieu est amour; et celui qui demeure dans l'amour

 

1. Thess. II, 7.

 

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demeure en Dieu, et Dieu en lui (1) ». Que Dieu soit pour toi une maison, sois une maison pour Dieu; demeure en Dieu, et que Dieu demeure en toi. Dieu demeure en toi pour te contenir; tu demeures en Dieu pour ne pas tomber; car ainsi parle de la charité l'apôtre Paul: « La charité ne tombe pas (2) ». Comment tomber lorsqu'on se tient en Dieu ?

2. « L'amour de Dieu est parfait en nous, en ce que nous avons confiance pour le jour  du jugement, parce que nous sommes en ce monde, comme il y est lui-même ». L'Apôtre indique, pour chacun, le moyen de s'éprouver soi-même, de savoir dans quelle proportion la charité a augmenté en lui, ou plutôt, quels progrès il a faits dans la charité. Si la charité est Dieu, Dieu n'augmente ni ne diminue; la charité n'est donc censée augmenter en toi que parce que tu fais en elle des progrès. Cherche alors à savoir combien tu as profité en fait de charité; écoute ce que te dira ton coeur, et tu auras la mesure de ton avancement dans cette vertu. Jean a promis de nous indiquer la manière de connaître Dieu, et il a dit: « L'amour de Dieu est parfait en nous, en ce » ; cherche en quoi? « que nous avons confiance pour le jour du jugement ». Quiconque a confiance pour le jour du jugement, la charité est parfaite en lui. Qu'est-ce qu'avoir confiance pour le jour du jugement? C'est ne pas craindre de le voir venir. Il est des hommes qui n'y croient pas; ceux-là ne peuvent avoir confiance pour un jour qu'ils ne croient point devoir venir. Laissons de côté cette sorte de personnes. Que Dieu les ressuscite pour qu'ils vivent ; pour nous , avons-nous à parler d'hommes morts ? Ils ne croient pas au jour du jugement à venir; ils ne craignent ni ne désirent ce à quoi ils ne croient point. Quelqu'un commence à croire au jour du jugement; dès lors qu'il commence à y croire, il commence à le craindre. Mais parce qu'il craint encore, il n'a pas encore confiance pour le jour du jugement; la charité n'est pas encore parfaite en lui. Néanmoins, y a-t-il lieu de désespérer. De ce que tu vois le commencement, est-ce pour toi un motif de désespérer de la fin? Quel commencement aperçois-je, me diras-tu ?La crainte. Ecoute l'Ecriture : « La crainte du « Seigneur est le commencement de la sagesse (3) ». Cet homme a donc commencé à

 

1. I Jean, IV, 16.— 2. I Cor. XIII, 8.— 3. Eccli. I,16.

 

craindre le jour du jugement : que cette crainte lui serve à se corriger, qu'il se montre vigilant à l'égard de ses ennemis, c'est-à-dire de ses péchés; qu'il commence à revivre de la vie intérieure et à mortifier ses membres terrestres, selon ces paroles de l'Apôtre : « Faites mourir les membres de l'homme terrestre qui est en vous ». Il donne aux passions désordonnées de l'âme le nom de membres de l'homme terrestre; car, pour expliquer sa pensée , il ajoute « L'avarice, l'impureté (1) », et tous les autres vices dont il fait ensuite mention. Autant celui qui commence à craindre le jour du jugement mortifie ses membres terrestres , autant ses membres célestes grandissent et se fortifient : ces membres célestes ne sont autres que toutes les bonnes oeuvres. Dès lors que les membres célestes se font voir, le chrétien commence à désirer ce qu'il craignait. Il craignait de voir le Christ venir et trouver un impie à condamner; il désire maintenant que le Christ vienne, parce qu'il trouvera un homme pieux à récompenser. Et dès l'instant qu'avec une âme chaste, désireuse de recevoir les baisers de son époux, il souhaite la venue du Christ, il renonce à l'adultère; la foi, l'espérance et la charité, le rendent intérieurement vierge. Il a désormais confiance dans le jour du jugement, et il ne se déclare point contre lui-même, quand il prie et qu'il dit: « Que votre règne arrive (2) ». Car celui qui redoute la venue du royaume de Dieu, craint d'être exaucé. Mais celui qui prie avec la confiance qu'inspire la charité, souhaite le voir venir. Quelqu'un parlait de ce désir quand il disait dans un psaume : « Et vous, Seigneur, jusques à quand ? Tournez-vous vers moi, Seigneur, et sauvez mon âme (3) ». Il gémissait de voir son existence se prolonger. Il y a des hommes qui se soumettent à mourir, il en est d'autres, et ceux-là sont parfaits, qui se soumettent à vivre. Qu'ai-je dit? Celui qui désire voir son existence d'ici-bas se prolonger encore, supporte avec soumission la nécessité de mourir, quand l'heure en est venue pour lui; il lutte contre lui-même, afin de suivre la volonté de Dieu, et, dans son coeur, il aime mieux se conformer au bon vouloir de Dieu qu'à ses propres aspirations : du désir qu'il éprouve de vivre encore, naît avec la mort

 

1. Coloss. III, 5.— 2. Matth. VI, 10.— 3. Ps. VI, 4, 5.

 

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une lutte à laquelle il apporte de la patience et du courage, afin de mourir sans regrets. Pour celui qui, suivant la parole de l'Apôtre, désire « être dégagé des liens du corps, pour se trouver avec Jésus-Christ », il ne supporte pas avec soumission la nécessité de mourir; mais il se soumet sans murmure à la nécessité de vivre, et il quitte ce monde avec bonheur. Vois l'Apôtre ; il vivait patiemment, c'est-à-dire, il n'aimait pas cette vie terrestre, mais il la supportait sans se plaindre. « J'éprouve, » disait-il, « un ardent désir d'être dégagé des liens du corps, et d'être avec Jésus-Christ, ce qui est sans comparaison le meilleur; mais il est nécessaire pour vous que je demeure en cette vie (1)». Donc, mes frères , mettez-vous à l'oeuvre, luttez au dedans de vous-mêmes, pour que vous désiriez ce jour du jugement. Commencer à désirer ce jour, c'est le seul moyen de prouver qu'on a la charité parfaite. Celui-là le désire, qui a confiance en lui ; et celui-là a confiance en lui, dont la conscience ne tremble point, parce qu'elle s'appuie sur une charité parfaite et sincère.

3. « Son amour est parfait en nous, en ce que nous avons confiance pour le jour du jugement » . Pourquoi aurons-nous confiance ? « Parce que nous sommes dans ce monde comme il y est ». Tu connais maintenant le motif de ta confiance : « Parce que nous sommes dans le monde comme il y a est lui-même ». L'Apôtre ne semble-t-il pas avoir dit une chose impossible ?En effet, l'homme peut-il être comme Dieu? Je vous l'ai déjà dit: le mot a comme » n'est pas toujours employé pour signifier égalité , il exprime aussi parfois une certaine ressemblance. Ne dis-tu pas : Cette image a des oreilles comme j'en ai moi-même ? Ces oreilles sont-elles, néanmoins, identiquement les mêmes? Cependant tu emploies à leur égard le mot « comme ». Puisque nous avons été créés à l'image de Dieu, pourquoi ne sommes nous pas comme Dieu? C'est que nous ne lui sommes pas égaux, mais que nous avons, avec lui, une certaine ressemblance. D'où nous vient donc notre confiance pour le jour du jugement? « De ce que nous sommes en « ce monde, comme il y est lui-même ». Nous devons rapporter ces paroles à la charité, et les entendre en ce sens. Le Sauveur dit dans

 

1. Philipp. I, 23, 24.

 

l'Evangile: « Si vous aimez ceux qui vous aiment, quelle récompense en aurez-vous? Les publicains n'agissent-ils pas ainsi ? » Que veut-il donc de nous? « Et moi, je vous dis : Aimez vos ennemis, et priez pour ceux qui vous persécutent ». S'il nous commande d'aimer nos ennemis, quel modèle de charité nous présente-t-il? Dieu lui-même, car il ajoute: « Afin que vous soyez les enfants de votre Père, qui est dans les cieux ». Comment Dieu nous donne-t-il l'exemple de la charité? Il aime ses ennemis, « puisqu'il fait « lever son soleil sur les bons et sur les méchants, et pleuvoir sur les justes et les injustes (1) ». Puis donc que Dieu nous invite à être assez parfaits pour aimer nos ennemis, comme il a lui-même aimé les siens, notre confiance, pour le jour du jugement, vient « de ce que nous sommes en ce monde, « comme il y est lui-même ». Comme il manifeste son amour à l'égard de ses ennemis, en faisant lever son soleil sur les bons et sur les méchants, et pleuvoir sur les justes et les injustes; ainsi, et parce que nous ne pouvons leur distribuer les rayons du soleil et la pluie, nous versons pour eux des larmes, lorsque nous prions en leur faveur.

4. Voyez maintenant ce que l'Apôtre dit de la confiance, dont nous avons parlé. Comment savoir si notre charité est parfaite ? « La crainte ne se trouve point dans l'amour ». Aussi, que dire de celui qui a commencé à craindre le jour du jugement? S'il avait la charité parfaite il ne craindrait pas ; car la charité parfaite rendant parfaite sa justice, il n'aurait aucun motif de crainte, il aurait même un motif de désirer la fin de l'iniquité et la venue du royaume de Dieu. Donc, « la crainte ne se trouve pas dans la charité ». Mais de quelle charité s'agit-il ? Ce n'est point de la charité commencée. De laquelle, alors? «Mais », dit Jean, « l'amour parfait chasse la crainte », commencez donc par la crainte ; car « la crainte du Seigneur est le commencement de la sagesse ». La crainte prépare, en quelque sorte, la place à la charité, et quand la charité commence à habiter en nos coeurs, elle en chasse la crainte, qui lui avait préparé là une place. La crainte y diminue à mesure que la charité y augmente, et plus profondément y pénètre celle-ci, plus celle-là s'en éloigne; moindre est la

 

1. Matth. V, 44-46.

 

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charité, plus grande est la crainte; plus grande est la charité, moindre est la crainte. S'il n'y a pas de crainte en nous, la charité ne peut y entrer. Quand on coud un vêtement, nous voyons que le fil pénètre dans l'étoffe au moyen de l'aiguille ; celle-ci entre d'abord, mais tant qu'elle ne sort pas, le fil n'entre pas. Ainsi en est-il de la crainte d'abord elle se rend maîtresse de l'âme, mais elle n'y reste pas indéfiniment; car si elle y a pénétré, c'était afin d'y introduire la charité. La sécurité une fois établie en nous, quelle joie devient notre partage, soit pour la vie présente, soit pour la vie à venir? Dans cette vie, qui serait à même de nous devenir nuisible, si la charité remplit notre coeur? Voyez comme la charité fait tressaillir l'Apôtre d'aise et de joie : « Qui nous séparera », dit-il, « de l'amour de Jésus-Christ? L'affliction? les angoisses ? la persécution ? la faim ? la nudité? les périls? le glaive (1)? » Pierre dit aussi : « Qui sera capable de vous nuire, si vous ne songez qu'à faire du bien (2) ? La crainte ne se trouve point dans l'amour, mais l'amour parfait chasse la crainte, car la crainte est accompagnée de peine ». Une conscience pécheresse tourmente le coeur : la justification n'a pas encore eu lieu, il y a encore là quelque chose qui chatouille et qui pique. Aussi, que dit le Psalmiste au sujet de la perfection de la justice? «Vous avez changé ma tristesse en joie; vous avez déchiré mon  cilice et m'avez ceint d'allégresse, afin que ma gloire chante vos louanges, et que je ne sois point piqué (3) ». Qu'est-ce à dire : « Afin que le ne sois point piqué? » Afin qu'il n'y ait rien pour aiguillonner ma conscience. La crainte t'aiguillonne? n'aie pas peur; voilà que pénètre en toi la charité qui cicatrise les plaies faites par la crainte. La crainte de Dieu blesse l'âme de la manière dont l'instrument tranchant du médecin blesse le corps: cet instrument enlève les chairs putréfiées, et, néanmoins il semble élargir la plaie. Quand ces chairs étaient encore adhérentes au corps, la plaie était moins grande, mais elle était dangereuse; le médecin y applique le fer, et la douleur que ressentait précédemment le malade s'accroît au moment où l'homme de l'art tranche dans les chairs : il souffre plus lorsqu'on le soigne que quand on le laissait seul avec son mal ; mais si l'application du

 

1. Rom. VIII, 35.— 2. I Pierre, III, 13.— 3. Ps. XXIX, 12, 13.

 

remède lui cause des douleurs plus vives, c'est afin que toute douleur disparaisse pour toujours, lorsqu'il sera revenu à la santé. Que ton coeur soit donc en proie à la crainte, afin que la crainte y amène la charité; qu'à l'instrument du médecin succède la cicatrice. Le médecin est si adroit, qu'après ses opérations il ne reste pas trace de cicatrice; seulement, il faut te mettre docilement entre ses mains. Car si tu n'éprouves aucun sentiment de crainte, tu ne pourras pas être justifié. C'est une sentence édictée par l'Ecriture : « Car celui qui est sans crainte, ne pourra parvenir à la justice (1) ». Il est donc indispensable que la crainte pénètre d'abord dans le coeur, pour qu'ensuite la charité y pénètre à son tour. La crainte est le remède, la charité est la santé. « Celui qui craint n'est point parfait dans l'amour ». Pourquoi? « Parce que la crainte est accompagnée de peine », de la même manière que le médecin ne peut trancher dans le corps humain sans lui causer de douleur.

5. Il y a une autre sentence qui semblerait opposée à celle-ci, si l'on n'en saisissait pas bien le sens : le psalmiste dit, en effet, dans un certain endroit : « La crainte du Seigneur est sainte, elle subsiste éternellement (2) ». Il nous parle d'une crainte éternelle, mais sainte. Or, s'il nous fait voir une crainte sans fin, ses paroles ne sont-elles pas en contradiction avec ce passage de l'épître de Jean : « La crainte ne se trouve pas dans la charité, mais la charité parfaite chasse la crainte? » Examinons bien le sens de ces deux sentences divines. Quoiqu'il y ait deux livres, deux oracles, deux paroles, un seul et même Esprit les a inspirés. Jean a dit une chose, David a dit l'autre ; mais n'allez pas vous imaginer qu'ils aient parlé sous l'inspiration de deux esprits différents. Si deux flûtes peuvent s'enfler, sous le souffle d'une même bouche, le même esprit serait-il incapable d'agir à la fois sur deux cœurs, de faire remuer deux langues ? Si deux flûtes, gonflées par le même esprit, . c'est-à-dire par le même souffle, sont ensemble en consonance, deux langues, animées par l'Esprit de Dieu, peuvent-elles se trouver en dissonance ? Il y a donc entre les deux passages précités consonance et accord; seulement il faut les bien comprendre. L'Esprit de Dieu a, inspiré. et animé deux coeurs,

 

1. Eccli. I, 28.— 2. Ps. XVIII, 10.

 

229

 

deux bouches, deux langues; l'une de ces langues nous a dit : « La crainte ne se trouve point dans la charité, mais la charité parfaite chasse la crainte»; l'autre s'est exprimée ainsi : « La crainte du Seigneur est sainte, elle demeure pendant les siècles des siècles ». Qu'est-ce que cela ? Le Prophète et l'Apôtre seraient-ils en désaccord ? Non : secoue tes oreilles, écoute la mélodie. Le premier ajoute, non sans raison, le mot « saint » ; le second ne l'ajoute pas. Pourquoi ? C'est qu'il y a une crainte à laquelle on donne le nom de sainte, et il yen a une autre qu'on n'appelle pas ainsi. Discernons bien l'une de l'autre ces deux sortes de crainte, et nous verrons que les deux flûtes sont en accord parfait. Comment comprendre cette consonance ? comment faire ce discernement ? Que votre charité me prête son attention. Il est des hommes qui craignent Dieu, parce qu'ils ont peur d'être précipités dans la géhenne, de brûler avec le diable dans les flammes éternelles. Voilà l'espèce de crainte qui amène à sa suite la charité; mais elle n'entre dans le coeur que pour en sortir bientôt. Si, en effet, tu en es encore à craindre Dieu à cause des châtiments qu'il inflige, tu n'aimes pas encore celui que tu redoutes de la sorte. Tu ne désires pas les biens de l'éternité; tu en crains les maux. Mais parce que ces malheurs te remplissent d'effroi, tu te corriges, tu commences à désirer le bonheur éternel; et, quand tu commences à désirer le bonheur éternel, une crainte toute pure se trouve en toi. En quoi consiste la crainte pure ? A aimer les biens éternels. Attention 1 Autre chose est de craindre que Dieu te jette dans le feu de l'enfer avec le diable ; autre chose de craindre qu'il s'éloigne de toi. La crainte, en vertu de laquelle tu redoutes que Dieu te jette dans le feu de l'enfer avec le diable, n'est pas encore pure; car, loin de procéder de l'amour divin, elle a sa source dans l'appréhension du châtiment ; mais parce que tu crains Dieu, que le souvenir de sa présence ne t'abandonne pas; et alors ton coeur s'attachera à lui, et tu désireras jouir de lui.

6. Pour te faire bien saisir la différence qui se trouve entre la crainte que chasse la charité parfaite, et la crainte pure qui demeure éternellement, je ne saurais employer une comparaison plus juste que celle-ci : Supposé deux femmes mariées. L'une veut commettre l'adultère, se repaître de honteuses jouissances, mais elle craint d'être condamnée par son époux. Elle craint son époux, mais elle le craint parce qu'elle aime encore le mal ; loin d'être agréable à une telle personne, la présence de son -mari lui est importune; et si, par hasard, elle vit criminellement, elle redoute de le voir revenir. Tels sont ceux qui craignent de voir venir le jour du jugement. L'autre aime son mari ; elle lui réserve de chastes baisers ; elle ne se souille d'aucune des abominations de l'adultère; elle souhaite voir son époux à côté d'elle. Comment distinguer la crainte de la première de ces deux femmes, d'avec la crainte de la seconde ? Toutes deux éprouvent le sentiment de la crainte. Interroge-les, elles te font une réponse presque identique. Adresse à l'une d'elles cette question : Crains-tu ton époux ? Elle te répond : Oui, je le crains. Fais à l'autre la même question : Crains-tu ton mari ? Elle te fera la même réponse : Oui, je le crains. Mêmes paroles, mais dispositions intérieures bien différentes ! Demande-leur maintenant Pourquoi craindre ton époux.? La première répond : Je crains de le voir venir ; et l'autre: Je crains de le voir s'éloigner. Celle-là dit J'ai peur d'être condamnée ; et celle-ci : J'ai peur d'être délaissée. Suppose pareille chose dans le coeur des chrétiens, et tu y rencontres soit la crainte que chasse la charité parfaite, soit la crainte pure qui demeure éternellement.

7. Parlons donc d'abord de ceux qui craignent Dieu, comme la femme qui trouve son plaisir dans le mal, craint son mari; elle redoute de se voir condamnée par lui. Adressons-nous donc d'abord à cette sorte de personnes. O âme, qui appréhendes Dieu dans la crainte de le voir te condamner, de la même manière qu'une femme attirée intérieurement au crime, redoute son mari et les reproches qu'il lui adresserait, puisses-tu te déplaire comme te déplaît cette malheureuse femme ! Si tu as une épouse, désires-tu qu'elle appréhende ta présence et tes réprimandes ?Désires-tu la voir portée au crime par ses passions, mais retenue dans le respect de son devoir, non par la haine du mal, mais par la crainte gênante du châtiment ? Montre-toi à l'égard de Dieu comme tu voudrais que ta femme se montrât vis-à-vis de toi, si tu en as une, ou si tu n'en as point, mais que tu désires en avoir une. Que disons-nous, mes frères ? Cette femme, (230) qui craint son mari et qui en appréhende les reproches, ne commet peut-être pas l'adultère, dans la crainte de voir son crime parvenir à la connaissance de son mari, et lui enlever à elle-même cette vie temporelle ; néanmoins, son époux est capable de se laisser tromper, car il est homme, et de la même nature que la femme qui est capable de le tromper. Elle craint son mari, aux regards duquel elle peut ne pas se trouver exposée, et toi, tu ne crains pas toujours la présence de l'époux de ton âme qui veille sans cesse sur toi ? « Les yeux du Seigneur sont ouverts sur ceux qui font le mal (1) ». L'absence de son mari comble les désirs de cette femme; elle serait peut-être heureuse d'en profiter pour commettre l'adultère, et pourtant elle se dit : Je ne le commettrai pas : sans doute, mon mari est absent, mais il est presque impossible qu'il ne parvienne point, de manière ou d'autre, à connaître ma faute. Elle se retient donc, dans la crainte que celui-ci ne découvre son inconduite, quoique à la rigueur il puisse l'ignorer toujours, quoiqu'elle puisse le tromper, quoiqu'il puisse encore la croire vertueuse malgré ses écarts, et chaste en dépit de son adultère ; et toi, tu ne crains pas les regards de celui que personne ne peut induire en erreur ? tu ne crains pas la présence de celui dont tu ne peux t'éloigner ? Prie Dieu de jeter les peux sur toi, et de les détourner de tes fautes. « Détournez votre face de mes péchés ». Mais comment mériteras-tu que le Seigneur détourne ses regards et ne voie pas tes fautes ? C'est en ne détournant pas tes yeux de tes péchés. Car, le Prophète a dit dans un psaume : « Je reconnais mon iniquité, et mon crime est toujours devant  moi (2) ». Reconnais tes fautes, et alors Dieu te les pardonnera.

8. Nous avons adressé la parole à l'âme encore remplie de la crainte qui ne demeure pas éternellement, mais que chasse la charité parfaite : parlons maintenant à celle qui nourrit en elle-même une crainte pure, une crainte destinée -à demeurer toujours. Pensons-nous rencontrer une telle âme, à qui nous puissions parler ? A ton avis, s'en trouve-t-il une dans cette assemblée ? dans cette basilique ? sur cette terre ? Il est impossible qu'il n'y en ait pas, mais elle se dérobe à nos regards : c'est l'hiver, et la sève se cache à

 

1. Ps. XXXIII, 17.— 2. Id. I, II, 5.

 

l'intérieur de la plante, dans la racine même. Peut-être nos paroles vont-elles jusqu'à ses oreilles. Mais n'importe où se trouve cette âme, je voudrais la rencontrer, et alors je la prierais, non pas de prêter l'oreille à mes paroles, mais de me faire entendre sa voix. Elle m'instruirait bien plus qu'elle ne s'instruirait elle-même à mon école. Une âme sainte, enflammée, désireuse du règne de Dieu, ce n'est pas moi qui lui parle, c'est Dieu en personne ; il la console, il l'aide à vivre patiemment sur la terre, en lui parlant ainsi Tu veux que je vienne, et je sais que telle est ta volonté; je sais qui tu es; tu peux attendre en toute sécurité mon avènement; tu souffres, je ne l'ignore pas non plus, attends et souffre encore, me voici, j'arriverai incessamment. Mais à celui qui aime, le retard est pénible; semblable à un lis qui croît au milieu des épines, cette âme chante et soupire; écoute-la ; voici ses paroles : « Je chanterai votre louange, et je connaîtrai les voies de l'innocence, quand vous viendrez à moi (1) ». Mais, dans cette voie de l'innocence, elle est, avec raison, à l'abri de la crainte; car « la charité parfaite chasse la crainte » . Et quand elle s'approche de son Dieu, elle craint, mais elle est plus tranquille. Qu'appréhende-t-elle? Elle se tiendra sur ses gardes, elle se mettra à l'abri de ses passions, elle s'efforcera de ne plus pécher, non pour n'être pas jetée au feu éternel, mais pour n'être point abandonnée de Dieu. Et alors, qu'y aura-t-il en elle? Une crainte pure, qui demeure éternellement. Nous avons entendu deux flûtes parfaitement d'accord entre elles: l'une parle de la crainte, l'autre aussi ; mais quand celle-là parle de la crainte en vertu de laquelle on redoute d'être condamné, celle-ci nous parle de là crainte d'une âme qui tremble de se voir abandonnée. La première est, chassée parla charité, la seconde demeure éternellement.

9. « Aimons Dieu, puisqu'il nous a aimés a le premier ». Car comment l'aimer, s'il ne nous avait aimés le premier? En l'aimant, nous sommes devenus ses amis; mais pendant que nous étions ses ennemis, il nous a aimés afin que nous devinssions ses amis. Il nous a aimés le premier, et c'est de lui que nous avons reçu la grâce de l'aimer. Nous ne l'aimions pas encore; l'amour que nous avons pour lui, nous embellit à ses yeux. Que fait un

1. Ps. C, I, 2.

 

231

 

homme difforme et laid de figure, s'il aime une belle femme; ou bien, que fait une femme difforme, laide et noire, si elle aime un bel homme ? Son affection pour lui serait-elle capable de la rendre belle? L'amitié que cet homme ressentira pour une belle femme, aura-t-elle le privilège de le rendre agréable à la vue? Il aime une femme charmante, et quand il se regarde au miroir, il rougit de montrer son visage à sa belle, à celle qui possède son coeur. Que fera-t-il pour devenir beau? Attendra-t-il que la beauté lui vienne? Mais pendant qu'il attendra, viendra la vieillesse, qui ajoutera encore à sa laideur. Il n'est donc pas question de faire une chose ou l'autre, de donner à cet homme tel ou tel avis; il n'a qu'un parti à prendre : s'arrêter et ne pas être assez hardi pour aimer une personne si différente de lui-même; ou bien si, par hasard, il l'aime trop et qu'il veuille l'épouser, il doit rechercher en elle, non la beauté du corps, mais la pureté des mœurs. Mais, mes frères, le péché souille notre âme; en aimant Dieu, elle recouvre sa beauté première. Quel amour rend pure l'âme qui en est remplie? Pour Dieu, il est toujours beau, jamais difforme, jamais sujet à changer. Lui, qui est toujours beau, il nous a aimés le premier ! Et, en quel état nous trouvions-nous quand il nous a aimés, sinon dans un état de souillure et de difformité? Evidemment, ce n'était point pour nous y laisser, mais pour nous en tirer, et, de difformes que nous étions, nous rendre beaux. Et comment nous revêtirons-nous de beauté ?, En aimant celui qui est toujours beau. Autant l'amour de Dieu grandit en toi, autant s'y manifeste la beauté; car la charité est la beauté de l'âme. « Aimons Dieu, parce qu'il nous a aimés le premier ». Ecoute l'apôtre Paul : « Dieu a fait paraître son amour envers nous, puisque, quand nous étions encore pécheurs, Jésus-Christ est mort pour nous (1) ». Il était juste, et nous, injustes ; il était pur, et nous, souillés. Où trouvons-nous la preuve que Jésus était pur? « Vous surpassez en beauté les plus beaux des enfants des hommes; la grâce est répandue sur vos lèvres (2) ». D'où vient cette beauté ? Voyez encore d'où elle lui vient : « Il surpasse en beauté les plus beaux des enfants des hommes », parce qu' « au commencement était le Verbe, et »

 

1. Rom. V, 8, 9.— 2. Ps. XLIV, 9.

 

que « le Verbe était en Dieu, et que le Verbe était Dieu (1) ». Mais comme il s'est fait homme, il s'est, en quelque sorte, revêtu de ta malpropreté, c'est-à-dire, il a pris ta nature mortelle, afin de se placer à ton niveau, de devenir ton égal et de te porter à aimer la beauté intérieure. Nous avons trouvé la preuve de cette beauté qui distinguait Jésus du reste des enfants des hommes. Où trouvons-nous celle de son état de souillure et de difformité? Qui nous fait connaître qu'il a aussi été difforme? Interroge Isaïe : « Nous l'avons vu, et il n'avait ni éclat ni beauté (2) ». Voilà deux flûtes qui semblent être en discordance; mais c'est le même Esprit qui les remplit de son souffle. L'une dit, par l'organe du Psalmiste : « Il surpasse en beauté les plus beaux des enfants des hommes » ; l'autre dit, par la bouche d'Isaïe : « Nous l'avons vu, et il n'avait ni éclat ni beauté ». C'est le même Esprit qui a rempli de son souffle ces deux flûtes ; elles ne sont point en discordance. Ne détourne pas tes oreilles , applique ton intelligence. Interrogeons l'apôtre Paul; il nous expliquera comment ces deux flûtes sont en accord parfait. Ecoutons : « Il surpasse en beauté les enfants des hommes, lui qui, ayant la nature de Dieu, n'a point cru que ce fût de sa part une usurpation de s'égaler à Dieu ». Voilà pour ce passage : « Il surpasse en beauté les enfants des hommes ». Ecoutons encore : « Nous l'avons vu, et il n'avait ni éclat ni beauté: il s'est humilié lui-même en prenant la forme d'esclave, en se rendant semblable aux hommes, et en se faisant reconnaître comme homme par tout ce qui a paru de lui (3) ». « Il n'avait ni beauté ni éclat », afin de te donner éclat et beauté. Quel éclat? Quelle beauté? La dilection de la charité, afin que tu courres en aimant, et que tu aimes en courant. Tu es déjà beau, mais ne t'arrête pas, dans la crainte de perdre ce que tu as reçu; dirige ta course vers celui qui t'a fait beau. Sois donc beau pour qu'il t'aime à son tour. Reporte vers lui toutes les puissances de ton âme, cours à sa rencontre, empresse-toi pour recevoir ses embrassements, crains de t'éloigner de lui ; une crainte pure, et qui demeure éternellement, puisse-t-elle habiter en toi ! « Aimons Dieu, parce qu'il nous a aimés le premier ».

 

1. Jean, I, 1.— 2. Isa. LIII, 2.— 3. Philipp. II, 6, 7.

 

232

10. « Si quelqu'un dit : J'aime Dieu ». Quel Dieu ? Pourquoi l'aimons-nous? « Parce qu'il a nous a aimés le premier », et qu'il nous a fait la grâce de l'aimer. Il a aimé des hommes impies pour les rendre pieux, des hommes injustes pour les justifier, des hommes malades, afin de les guérir. « Aimons-le » donc, « puisqu'il nous a aimés le premier ». Interroge un chacun; qu'on te dise si l'on aime Dieu; on crie, on confesse: «Je l'aime», il le sait. Il y a un autre moyen de le savoir. a Si quelqu'un dit : J'aime Dieu, et qu'il « haïsse son frère, c'est un menteur ». Comment prouver que c'est un menteur? Ecoute : « Comment, en effet, celui qui n'aime pas son frère qu'il voit, peut-il aimer Dieu qu'il ne voit pas? » Eh quoi ! aime-t-on Dieu par cela même qu'on aime son frère? Il est nécessaire d'aimer Dieu, comme aussi la charité elle-même. Peut-on aimer son frère, sans aimer en même temps la charité ? Il faut aimer la charité. Eh quoi ! aime-t-on Dieu, par cela même qu'on aime la charité? Evidemment, oui. En aimant la charité, on aime Dieu. Aurais-tu déjà oublié ce que tu as dit il n'y a qu'un instant : « Dieu est amour (1)? » Puisque Dieu est charité, quiconque aime la charité, aime Dieu par là même. Aime donc ton frère, et sois tranquille. Tu ne peux dire : J'aime mon frère, mais je n'aime pas Dieu. De même que tu mens , si tu dis : J'aime Dieu, quand tu n'aimes pas ton frère; de même tu te trompes en disant : J'aime mon frère, si tu penses ne pas aimer Dieu. Pour aimer ton frère, il est indispensable pour toi d'aimer la charité elle-même; or, « Dieu est charité »; il faut donc que quiconque aime son frère, aime aussi Dieu. Si tu n'aimes pas ton frère que tu vois, comment pourrais-tu aimer Dieu que tu ne vois pas? Pourquoi ne voit-on pas Dieu ? C'est qu'on n'a pas la charité. On ne voit pas Dieu, parce qu'on n'a pas la charité; on n'a pas la charité, parce qu'on n'aime pas son frère : par conséquent, on ne voit pas Dieu, parce qu'on n'a pas la charité. Car, si l'on a la charité, on voit Dieu, puisque « Dieu est charité ». La charité éclaircit de plus en plus la vue de l'âme, et lui permet de contempler cette immuable substance dont la présence fera ses délices, quand elle en jouira éternellement avec les anges; mais qu'elle

 

1. I Jean, IV, 8, 16.

 

se hâte maintenant, afin de pouvoir se réjouir bientôt dans la patrie. Qu'elle ne donne point ses affections à ce lieu d'exil, qu'elle n'aime point le chemin où elle marche; que tout lui soit insupportable, à l'exception de celui qui l'appelle, jusqu'au moment où nous entrerons en possession de lui, et où nous lui dirons ce que disait autrefois le Psalmiste « Vous retranchez tous ceux qui vous deviennent infidèles ». Et qui sont ceux qui deviennent infidèles à Dieu? Ceux qui s'éloignent de lui et qui aiment le monde. Qu'en est-il de toi? Le Prophète continue, en disant : « Pour moi, mon bien est d'approcher du Seigneur (1) ». M'attacher gratuitement à Dieu, voilà tout mon bien. Si tu demandes au Prophète : Pourquoi t'attacher à Dieu ? et qu'il te réponde : Afin de recevoir quelques dons, ne lui diras-tu pas : Que te donnerait-il? Il est le créateur du ciel et de la terre; quel don t'accordera-t-il? Il t'appartient lui-même; trouve mieux, il te le donnera.

11. « Car, celui qui n'aime pas son frère qu'il voit, comment peut-il aimer Dieu qu'il ne voit pas? Et c'est de Dieu même que nous avons reçu ce commandement : « Que celui qui aime Dieu, aime aussi son frère ». Tu disais avec emphase: « J'aime Dieu », et tu détestes ton frère ! Homicide, comment peux-tu aimer Dieu? N'as-tu pas entendu ces paroles précitées dans l'épître de Jean : « Quiconque hait son frère, est un homicide? — Je n'aime pas mon frère, mais j'aime Dieu de tout mon coeur.— Si tu détestes ton frère, tu n'aimes pas du tout Dieu. Je le prouve par un autre passage du même livre. Jean lui-même a dit : « Dieu nous a donné un commandement, c'est de nous aimer les uns les autres (2) ». Peux-tu dire que tu aimes Dieu, dès lors que tu foules aux pieds son commandement? Quel est l'homme qui tiendrait ce langage : J'aime l'empereur, mais j'abhorre ses lois? L'empereur reconnaît qu'on l'aime, lorsqu'on observe ses lois dans toutes les provinces de son empire. Quelle est la loi du souverain Maître? « Je vous donne un commandement « nouveau, c'est que vous vous aimiez les uns les autres (3) ». Tu dis que tu aimes le Christ; observe donc son commandement, chéris ton frère. Mais si tu ne le chéris pas, comment peux-tu aimer le Christ, puisque

 

1. Ps. LXXII, 27, 28.— 2. I Jean, III, 15, 23.— 3. Jean, XIII, 34.

 

 

tu méprises son précepte? Mes frères, je ne me lasse point de vous parler de la charité au nom du Sauveur. Autant vous éprouvez le désir de la posséder, autant j'ai lieu de penser qu'elle grandit en vous et qu'elle en fait sortir la crainte, afin de n'y laisser qu'une crainte pure qui demeure éternellement. Supportons le monde , les tribulations, le scandale des tentations ; ne nous éloignons pas du chemin droit, attachons-nous à l'unité de l'Eglise, au Christ, à la charité; ne nous séparons, ni des membres de son épouse, ni de la foi, afin que nous puissions nous glorifier en sa présence; ainsi resterons-nous en lui pleins de tranquillité, maintenant par la foi, plus tard en le voyant tel qu'il est, comme nous en avons reçu la précieuse promesse dans le don de l'Esprit-Saint.

 

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DIXIÈME TRAITÉ.

DEPUIS CES PAROLES DE JEAN :  « QUICONQUE CROIT QUE JÉSUS EST LE CHRIST, EST NÉ DE DIEU », JUSQU'A CES AUTRES : « L'AMOUR DE DIEU CONSISTE A OBSERVER SES COMMANDEMENTS ». (Chap. V, 1-13.)

LA CHARITÉ, CONSOMMATION DE LA LOI.

 

Pour être enfant de Dieu il faut croire en son Fils Jésus-Christ d'une foi qui opère par la charité, qui se traduise en bonnes œuvres. Cette charité doit s'étendre à tous nos frères, car ils sont les membres de Jésus-Christ; et aussi à Dieu, car elle est indivisible : c'est la consommation, c'est-à-dire la fin de la loi et la perfection de la justice; car elle consiste à garder les commandements. Il faut donc aimer et le Christ et ses membres quels qu'ils soient et n'importe où ils se trouvent ; mais pour les aimer, il ne faut pas les diviser, et par là déchirer l'Eglise comme font les Donatistes.

 

1. Je le suppose : ceux d'entre vous qui ont assisté à notre instruction d'hier se souviennent de l'endroit où nous nous sommes arrêté dans l'explication suivie que nous avons donnée des différents passages de cette Epître; nous en étions à celui-ci : « Celui qui n'aime  pas son frère qu'il voit, comment peut-il aimer Dieu qu'il ne voit pas? Et nous avons reçu de lui ce commandement: Que celui qui aime Dieu aime aussi son frère ». La discussion en était arrivée là. Voyons successivement les versets qui suivent. « Quiconque croit que Jésus est le Christ, est né de Dieu ». Quel est celui qui ne croit pas que Jésus est le Christ? C'est celui qui ne vit point d'une manière conforme à ses préceptes. Beaucoup disent : Je crois ; mais la foi sans les oeuvres ne sauve pas. A la foi doit nécessairement s'adjoindre la charité, car l'apôtre Paul a dit: « Et la foi qui opère par la charité (1) ». Avant de croire, ou bien tu n'as fait aucune bonne oeuvre, ou si tes oeuvres semblaient bonnes, elles étaient inutiles. Ou bien tu n'en as fait aucune, et en cela tu ressemblais à un homme sans pieds, ou incapable de marcher, parce

 

1.  Galat. V, 6.

 

que ses pieds sont retenus par des entraves ; ou bien tes oeuvres semblaient bonnes ; tu courais avant de croire, mais c'était hors du chemin, et au lieu d'arriver au but, tu divaguais. Il nous faut donc courir, mais courir dans le périmètre du chemin. Quiconque marche en dehors de son tracé, marche inutilement; je dis plus, il court au-devant de la fatigue, et plus il s'éloigne de la voie, plus il fait fausse route. Quelle voie devons-nous suivre? Le Christ a dit : « Je suis la voie ». Vers quelle patrie dirigeons-nous nos pas ? Il a dit encore : « Je suis la vérité (1) ». Tu marches par lui, tu marches vers lui pour te reposer en lui. Mais afin que nous fussions à même de marcher par lui, il s'est étendu jusqu'à nous; car nous étions bien loin : nous marchions en un pays bien éloigné de lui. C'était peu pour nous de marcher loin de lui; nous étions encore malades et nous ne pouvions nous mouvoir. Il est venu, comme médecin, nous visiter dans notre maladie, et comme nous étions égarés, il nous a tracé la route à suivre. Puisse-t-il nous sauver ! Puissions-nous marcher par lui ! Croire que Jésus

 

1. Jean, XIV, 6.

 

234

 

est le Christ, c'est croire à la manière des disciples du Sauveur, qui sont chrétiens, non-seulement de nom, mais encore par leur conduite et leurs oeuvres; ce n'est pas croire à la manière des démons, car, suivant l'expression de l'Ecriture, « les démons croient et ils tremblent (1) ». Les démons ont-ils pu avoir une foi plus vive que celle qu'ils affichaient dans ces paroles : « Nous savons qui tu es, le Fils de Dieu? » Ce qu'ont dit les démons, Pierre l'a dit aussi. Lorsque le Sauveur demandait à ses disciples qui il était, et ce que les hommes disaient de lui , ils répondirent : « Les uns disent que vous êtes Jean-Baptiste; d'autres, Elie ; d'autres, Jérémie ou l'un des Prophètes ». Jésus ajouta : « Et vous, qui dites-vous que je suis?» Pierre répondant, dit : « Vous êtes le Christ, Fils du Dieu vivant». Et Jésus lui adressa ces paroles : « Tu es heureux, Simon, fils de Jona, car la chair et le sang ne t'ont pas révélé ceci, mais mon Père qui est dans les cieux ». Voyez quelles choses admirables ont été dites à Pierre en conséquence de sa profession de foi: « Tu es Pierre, et sur cette pierre je bâtirai mon Eglise (2) ». Qu'est-ce à dire : « Sur cette pierre je bâtirai mon Eglise? » Sur cette profession de foi, sur ce qui a été dit : « Vous êtes le Christ, Fils du Dieu vivant ». « Sur cette pierre je fonderai mon Eglise ». Magnifique louange ! Pierre dit donc : « Vous êtes le Christ, Fils du Dieu vivant ». Les démons disent à leur tour :  « :Vous savons qui tu es, le Fils de Dieu, le Saint de Dieu ». Voilà ce que dit Pierre, voilà ce que disent les démons: mêmes paroles, mais sentiments bien différents ! Où trouvons-nous la preuve que Pierre parlait sous l'inspiration de l'amour? A la foi du chrétien s'adjoint la charité; celle des démons en est dépourvue. Comment en est-elle dépourvue? Pierre déclarait sa foi, pour s'attacher au Christ ; les démons déclaraient la leur, pour porter le Christ à s'éloigner d'eux. Car, avant de s'écrier : « Nous savons qui tu es; tu es le Fils de Dieu », ils avaient dit : « Qu'y a-t-il de commun entre toi et nous? Pourquoi es-tu venu avant le temps, pour nous perdre (3) ?» Autre chose est donc de confesser le Christ, pour t'attacher à lui ; autre chose est de le confesser, pour l'éloigner de toi. Vous le voyez, par conséquent; les mots : « Celui qui croit », ne signifient pas une foi comme

 

1. Jacques, II, 19.— 2. Matth. XVI, 13-18.— 3. Id. VIII, 29; Marc, I, 24.

beaucoup en ont une, mais une foi toute spéciale. C'est pourquoi, mes frères, qu'aucun hérétique ne vienne vous dire : Nous aussi, nous croyons. J'ai pris exemple des démons pour vous empêcher de vous réjouir des professions de foi de ceux qui vous parlent, avant d'avoir examiné leur manière de vivre.

2. Voyons donc ce que c'est que croire au Christ. Qu'est-ce donc que croire que Jésus est le Christ? L'Apôtre ajoute : « Quiconque croit que Jésus est le Christ, est né de Dieu ». Mais qu'est-ce que croire cela? « Et quiconque aime Celui qui a engendré, aime aussi celui qui est né de lui ». A la foi il joint aussitôt la charité, parce que, sans la charité, la foi est inutile. Avec la charité, c'est la foi du chrétien ; sans la charité, c'est la foi du démon; ceux qui ne croient pas sont pires que les démons, car ils sont devancés par eux. L'homme, n'importe lequel, qui refuse de croire, est encore loin d'imiter même les démons. Il croit au Christ, mais il le déteste; il fait profession de foi parce qu'il redoute le châtiment, et non parce qu'il désire être récompensé; les démons aussi craignent d'être punis. A cette sorte de crainte, adjoins la charité, et elle deviendra telle que la dépeignait l'apôtre Paul: « La foi qui opère par la charité (1) »; et alors tu trouveras un chrétien, un citoyen de Jérusalem, un concitoyen des anges, un pèlerin qui, pendant la route, soupire après la patrie. Joins-toi à lui; qu'il devienne ton compagnon de voyage, marche avec lui, si toutefois tu lui ressembles: « Quiconque aime Celui qui a engendré, aime aussi Celui qui est né de lui ». Qui est-ce qui a engendré? Le Père. Qui est-ce qui a été engendré? Le Fils. Que dit donc l'Apôtre? Quiconque aime le Père, aime aussi le Fils.

3. « Nous connaissons que nous aimons les enfants de Dieu ». Qu'est-ce que ceci, mes frères ? Tout à l'heure, Jean parlait du Fils de Dieu, et non des enfants de Dieu. Il avait attiré nos regards sur le Christ et nous avait dit : « Quiconque croit que Jésus est le Christ, est né de Dieu ; et quiconque aime Celui qui a engendré », c'est-à-dire le Père, « aime aussi Celui qui est né de lui », c'est-à-dire le Fils, Notre-Seigneur Jésus-Christ. Jean continue : « Nous connaissons que nous aimons les enfants de Dieu »; comme s'il

 

1. Galat. V, 6.

 

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allait dire. Nous connaissons que nous aimons le Fils de Dieu; le même Apôtre, qui disait tout à l'heure: Fils de Dieu, dit maintenant: enfants de Dieu, parce que les enfants de Dieu forment le corps de son Fils unique ; et comme il en est la tête et que nous en sommes les membres, il n'y a qu'un seul Fils de Dieu. Par conséquent, celui qui aime les enfants de Dieu aune aussi son Fils, comme celui qui aime le Fils, aime aussi le Père; et personne ne peut aimer le Père sans aimer le Fils, comme personne ne peut aimer le Fils de Dieu sans aimer ses enfants. Qui sont les enfants de Dieu? Les membres de son Fils. En aimant, l'on devient un de ses membres; par la charité, l'on entre dans l'ensemble du corps du Christ; et de toutes les parties se forme un seul Christ, qui s'aime lui-même. Lorsque, en effet, tous les membres s'aiment les uns les autres, le corps s'aime lui-même. « Dès qu'un membre souffre, tous les autres souffrent avec lui, et si un membre reçoit de l'honneur, tous les autres se réjouissent avec lui ». Que dit ensuite l'Apôtre? « Pour vous, vous êtes le corps et les membres du Christ (1) ». Tout à l'heure, en parlant de la charité fraternelle, Jean disait. « Celui qui n'aime pas son frère qu'il voit, comment pourrait-il aimer Dieu qu'il ne voit pas (2)?» Si tu dis que tu aimes ton frère, est-il vraiment possible que tu l'aimes sans aimer le Christ? Comment, quand aimes-tu les membres du Christ? Lorsque tu aimes les membres du Christ, tu aimes le Christ; lorsque tu aimes le Christ, tu aimes le Fils de Dieu ; lorsque tu aimes le Fils, tu aimes aussi le Père. L'amour ne saurait donc se partager. Choisis l'objet que tu veux aimer; tous les autres viendront à la suite. Que tu dises J'aime Dieu seul, Dieu le Père, tu es un menteur. Si tu aimes Dieu le Père, tu n'aimes pas lui seul, car si tu aimes le Père, tu aimes aussi le Fils. Voilà, dis-tu, que j'aime le Père et aussi le Fils, mais rien que cela, c'est-à-dire Dieu le Père et Dieu. son Fils, Notre-Seigneur Jésus-Christ, qui est monté aux cieux et s'est assis à la droite du Père, le Verbe, qui a fait toutes choses, qui s'est fait chair et qui a habité parmi nous a ; je n'aime rien de plus. Tu mens; car si tu aimes le chef, tu aimes aussi les membres; et si tu n'aimes pas les membres, tu n'aimes pas non

 

1. I Cor. XII, 26, 27.— 2. I Jean, IV, 20.— 3. Jean, I, 3, 14.

 

plus le chef. N'es-tu pas surpris d'entendre le chef élever la voix, et crier du haut du ciel, au nom des membres: « Saul, Saul, pourquoi me poursuis-tu (1) ? » Il appelle son persécuteur, le persécuteur de ses membres; il appelle son amant, l'amant de ses membres. Vous savez déjà, mes frères, qui sont ses membres : c'est l'Eglise même de Dieu. « Nous savons que nous aimons les enfants de Dieu quand nous aimons Dieu ». Et comment Dieu n'est-il pas distinct de ses enfants? Mais aimer Dieu, c'est aimer ses préceptes. Et quels sont ses préceptes? « Je vous donne un dernier commandement, c'est de vous aimer les uns les autres (2) ». Que personne ne croie être dispensé de l'un de ces deux amours en faisant parade de l'autre; car la vraie charité est absolument indivisible ; et comme elle-même ne peut se partager ainsi, elle ne fait qu'un de tous ceux sur lesquels elle s'exerce, et, semblable à une flamme ardente, elle les fond tous ensemble. C'est de l'or; le feu du creuset met les lingots en fusion, et il n'y a plus qu'un seul tout; mais si le feu de la charité ne brûle pas, il est impossible que de beaucoup se forme un ensemble. « De ce que nous aimons Dieu, nous apprenons que nous aimons ses enfants ».

4. Comment savons-nous que nous aimons les enfants de Dieu? « Parce que nous aimons Dieu, et que nous observons ses commandements ». La difficulté d'accomplir les préceptes divins nous arrache des soupirs. Ecoute ce qui suit. O homme, quand éprouves-tu tant de peine en aimant? Quand tu aimes l'avarice. On souffre à aimer ce que tu aimes; à aimer Dieu, jamais. L'avarice te condamnera à des peines, à des périls, à des brisements de corps et d'âme, à des tribulations, et tu subiras ses exigences. Dans quel but? Pour avoir de quoi remplir ton aire et perdre ta tranquillité. Avant de posséder tu étais peut-être plus tranquille que depuis le moment où tu as commencé à être riche. Voilà ce qu'a exigé de toi l'avarice; tu as rempli ta maison, mais la crainte des voleurs te fait trembler; tu as amassé de l'or, mais tu as perdu le sommeil. Voilà ce que t'a commandé l'avarice. Fais, a-t-elle dit, cela, et tu as fait. Qu'est-ce que Dieu te commande? Aime-moi. Si tu aimes l'or, tu en chercheras, et peut-être n'en trouveras-tu pas; quiconque

 

1. Act. IX, 4.— 2. Jean, XIII, 34.

 

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me cherche, je suis avec lui. Tu aimes les honneurs, et peut-être n'y parviendras-tu pas ; quel est celui qui m'a aimé sans pouvoir arriver jusqu'à moi ? Dieu le dit : Pour te procurer un protecteur, ou te faire un ami puissant, tu as recours à un autre qui est moins élevé. Aime-moi, te dit Dieu ; pas n'est besoin de recourir à un autre pour arriver jusqu'à moi ; l'amour te maintient sans cesse en ma présence. Y a-t-il rien de plus doux que cette charité? Ah, mes frères, ce n'est pas sans raison que le Psalmiste vous disait tout à l'heure : « Les impies m'ont raconté leurs fables, mais elles ne sont pas, Seigneur, comme votre loi (1) ». Quelle est la loi de Dieu? Son commandement. Quel est son commandement? C'est ce commandement nouveau que le Christ appelle de ce nom, parce qu'il établit d'autres devoirs. « Je vous donne un commandement nouveau, c'est de vous aimer les uns les autres (2) ». Ecoute attentivement; voilà bien la loi de Dieu, car l'Apôtre dit : « Portez les fardeaux les uns des autres, et vous accomplirez ainsi la loi de Jésus-Christ (3) ». La charité est donc la suprême perfection de toutes nos oeuvres. Là est le but, c'est pour cela que nous marchons; c'est vers elle que nous dirigeons notre course, et lorsque nous serons parvenus jusqu'à elle, nous nous reposerons.

5. Vous avez entendu ces paroles du Psalmiste : « J'ai vu la dernière consommation de toutes choses (4) ». Qu'avait-il vu ? A notre sens, avait-il gravi une montagne élevée dont la cime perçait les nues? Avait-il aperçu, de là, le circuit de la terre et toute la configuration de l'univers? Est-ce pour cela qu'il a dit: « J'ai vu la dernière consommation de toutes choses ? » Est-ce digne de louanges d'avoir des yeux corporels assez perçants pour découvrir sur la terre une montagne si élevée, que du haut de son sommet nous puissions contempler le dernier terme de toutes choses ? Ne va pas loin ; je te le dis, gravis la montagne, et vois le terme. Cette montagne, c'est le Christ; viens au Christ; de là tu apercevras le dernier terme de la consommation de toutes choses. Quel est ce terme? Interroge Paul. « La fin des commandements est la charité d'un coeur pur, d'une bonne conscience et d'une foi sincère (5) ». Il dit encore

 

1. Ps. CXVIII, 83.— 2. Jean, XV, 34.— 3. Galat. VI, 2.— 4. Ps. CXVIII, 96.— 5. I Tim. I, 5.

 

ailleurs : « La plénitude de la loi est la charité (1) ». Y a-t-il rien de plus fini, de plus complètement terminé que la plénitude? Car, mes frères, l'Apôtre emploie le mot « Fin » dans un bon sens. Ne l'entends donc pas dans le sens de consomption, mais dans celui de terminaison. Autre chose est, en effet, de dire : J'ai fini mon pain ; autre chose est de dire: J'ai fini ma tunique. J'ai fini mon pain, parce que je l'ai mangé ; j'ai fini ma tunique, parce qu'elle est tissée. Dans un cas comme dans l'autre, il est question de fin ; cependant, si le pain est fini, c'est qu'il est anéanti; et si la tunique est finie, c'est qu'elle est terminée. Du pain fini n'existe plus; une tunique finie est complètement faire. Interprétez donc le mot fin dans ce dernier sens, même quand on vous lit un psaume et que vous entendez ces mots : « Psaume de David pour la fin ». A chaque instant, dans les psaumes, se présentent ces paroles, et il vous faut comprendre ce que vous entendez. Qu'est-ce à dire : « Pour la fin? Jésus-Christ est la fin de la loi pour tous ceux qui croiront (2) ». Et qu'est-ce à dire: « Jésus-Christ est la fin ? » C'est que le Christ est Dieu, que la fin des commandements est la charité, et que Dieu est charité; car le Père, le Fils et le Saint-Esprit ne sont qu'un. Pour toi, la fin se trouve là ; ailleurs est la voie. Ne t'arrête pas en route; prends garde de ne point atteindre la fin. A n'importe quoi tu parviennes, va plus loin, marche toujours jusqu'à la fin. Quelle est la fin ? « Mon bien est de m'attacher « au Seigneur (3) ». Tu t'es approché de Dieu ; tu as terminé ta course; tu resteras désormais dans la patrie. Attention ! Un homme veut avoir de l'argent; que ce ne soit pas là ta fin ; pareil à un voyageur, va plus loin. Cherche où tu passeras, et non pas où tu t'arrêteras. Mais si tu aimes ce qui passe, l'avarice te tient dans ses filets; elle sera pour tes pieds comme une chaîne qui t'empêchera de faire un pas de plus. Va donc encore plus loin ; cherche la fin. Tu veux te procurer la santé du corps , ne t'arrête pas encore là. Qu'est-ce, en effet, que cette santé du corps, que la mort enlève, que la maladie affaiblit, qui est frivole, qui dépérira, qui passera? Tâche de la posséder, mais afin qu'une constitution maladive ne t'empêche point de vaquer aux bonnes oeuvres. En ce cas, elle n'est pas ta

 

1. Rom. XIII, 10.— 2. Id. X, 4.— 2. Ps. LXXII, 28.

 

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fin, puisque tu la recherches pour autre chose que pour elle-même. Tout ce que nous recherchons dans un autre but que d'en jouir, nous n'y trouvons pas notre fin; au contraire, tout objet que nous recherchons pour lui-même, sans porter nos vues ailleurs, nous en faisons notre fin. Tu recherches les honneurs, peut-être dans l'intention de faire quelque chose, d'accomplir une obligation, de plaire à Dieu. Ne leur donne pas tes affections, car tu pourrais les y fixer. Tu recherches les louanges ? Si c'est pour Dieu, tu fais bien ; si c'est pour toi, tu fais mal; tu t'arrêtes en chemin. Mais voilà qu'on t'aime, qu'on fait ton éloge ; ne t'applaudis pas pour toi-même des louanges qu'on te donne ; il faut t'en applaudir pour Dieu, afin que tu puisses chanter ces paroles: « Mon âme sera louée dans le Seigneur (1)». Tu fais un beau discours; en fait-on l'éloge? Ne l'accepte pas comme si ce discours venait de toi; là n'est pas ta fin. Si tu y trouves ta fin, tu es fini; mais tu es fini, non pas dans le sens de la perfection, mais dans le sens de la consomption. Ne reçois donc pas d'éloges pour les discours comme s'ils venaient de toi, comme s'ils étaient les tiens. Comment dois-tu en accepter l'éloge? Comme dit le Psalmiste: « En Dieu je louerai le discours; en Dieu je louerai la parole (2) ». Et par là s'accomplira en toi ce qui suit : « En Dieu j'ai placé mon espoir, je ne craindrai pas ce que l'homme peut me faire ». Quand c'est en Dieu que tu trouves la louange de tes oeuvres, tu n'as pas à craindre la vanité de ces éloges, car Dieu demeure toujours. Va donc encore plus loin que cela.

6. Voyez, mes frères, combien de choses nous devons laisser de côté, parce qu'elles ne sont pas notre fin. Nous nous en servons, comme feraient des voyageurs : nous les employons à nous restaurer, comme si nous nous trouvions de passage dans une hôtellerie; puis nous les négligeons. Où est donc notre fin? « Mes bien-aimés, nous sommes les enfants de Dieu, et ce que nous serons plus tard n'a point encore paru (3) ». Cette épître elle-même nous en avertit. Nous sommes donc encore en chemin, et n'importe où nous arrivions, nous devons encore passer outre, jusqu'à ce que nous soyons parvenus à une certaine fin. « Nous savons que quand il viendra dans sa gloire, nous serons semblables

 

1. Ps. XXXIII, 3.— 2. Id. LV, 5, 11.— 3. I Jean, III, 2.

 

à lui, parce que nous le verrons tel qu'il est (1) ». Voilà la fin ; il y aura là une perpétuelle louange ; là, on chantera, sans cesser jamais, un éternel Alleluia. C'est de cette fin que le Psalmiste dit : « J'ai vu la fin de toute consommation (2) ». Et comme si on lui demandait : Quelle est cette fin que tu as vue? il continue .« Votre commandement est singulièrement étendu ». Voilà la fin : l'étendue du commandement, c'est la charité, car où se trouve la charité, il n'y a pas de bornes. L'Apôtre était dans cet espace sans limites, quand il disait : « O Corinthiens, ma bouche s'ouvre et mon coeur se dilate vers vous vous n'êtes point à l'étroit dans mon coeur (3) » . Par conséquent, « votre commandement est singulièrement étendu ». Quel est ce commandement si vaste? « Je vous donne un commandement nouveau, c'est de vous aimer les uns les autres ». La charité n'est donc point circonscrite par des limites. Veux-tu ne pas te trouver à l'étroit sur la terre ? Habite au large. N'importe ce que puisse te faire un homme, il lui est impossible de te tenir à l'étroit, parce que tu aimes ce à quoi un homme ne peut nuire : tu aimes Dieu, ta fraternité, la loi divine, l'Église du Christ tout cela est éternel. Tu travailles sur la terre, mais tu recueilleras le fruit promis à ton travail. Qui peut t'enlever ce que tu aimes? Puisque personne ne peut t'enlever l'objet de tes affections, tu dors donc en toute sécurité : ou plutôt, tu veilles tranquille, dans la crainte de perdre, en dormant, ce que tu aimes. Ce n'est pas sans raison que le Prophète a dit « Illuminez mes yeux, de peur que je ne m'endorme un jour dans la mort (4) ». Ceux qui ferment les yeux à l'encontre de la charité, s'endorment dans les désirs des passions charnelles. Tiens-toi donc éveillé. Les convoitises charnelles consistent à manger, à boire, à se livrer à la luxure, à jouer, à aller à la chasse ; à la- suite de toutes ces vaines pompes marchent tous les maux. Ne savons-nous pas que ce sont là des convoitises ? Qui oserait nier leur influence sur le coeur humain? Mais par-dessus tout cela, il faut aimer la loi de Dieu. Elève la voix contre de tels conseillers : « Les impies m'ont raconté leurs fables; mais, Seigneur, elles ne sont pas comme votre loi (5)». Le plaisir que procure

 

1. I Jean, III, 2. — 2. Ps. CCXVIII, 96.— 3. II Cor. VI, 11,12.— 4. Ps. XII, 4.— 5. I Ps. CXVIII, 85.

 

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cette loi, demeure toujours ; non-seulement il se trouve où tu diriges tes pas, mais il te rappelle au but, lorsque tu t'en éloignes.

7. « Car l'amour de Dieu consiste à garder ses commandements ». Vous l'avez entendu : « Ces deux commandements renferment toute la loi et les Prophètes (1) ». Vois comme Dieu n'a point voulu distraire ton attention, et l'attirer sur un grand nombre de pages? « Ces deux commandements renferment toute la loi et les Prophètes ». Quels sont ces deux commandements ? « Tu aimeras le Seigneur ton Dieu, de tout ton coeur, de toute ton âme, de tout ton esprit, et ton prochain comme toi-même. Ces deux commandements renferment toute la loi et les Prophètes ». Voilà les préceptes sur lesquels roule toute cette épître. Possédez, par conséquent, la charité, et soyez tranquilles. Pourquoi craindre de faire du mal à autrui ? Fait-on du mal à celui qu'on aime? Aime, et il te sera impossible de faire autre chose que le bien. Mais peut-être reprends-tu le prochain ? C'est la charité, et non la méchanceté qui en est la cause. Peut-être le frappes-tu? C'est pour son bien, car l'affection que tu éprouves pour la charité ne te permet pas de fermer les yeux sur l'indiscipline. Les effets d'un sentiment sont, en quelque sorte , comme tout opposés et contraires à leur principe. Ainsi, parfois, la haine caresse et la charité corrige. Un homme, je ne sais lequel, déteste son ennemi, et simule devant lui l'amitié : il lui voit faire le mal, et il le louange ; il veut le perdre, il veut le voir se jeter en aveugle dans le précipice de ses passions, et ne pouvoir jamais en sortir; il l'approuve ; « Car le pécheur est approuvé dans les désirs de son âme (2) » ; il lui montre toute la douceur dont le flatteur est capable; il le déteste et il ne tarit pas en compliments. Un autre s'aperçoit que son ami agit mal : il le rappelle à ses devoirs; quand celui-ci ne l'écoute pas, il va jusqu'à lui parler sévèrement, il le reprend, il s'entreprend avec lui : il se trouve même quelquefois dans la pénible nécessité de l'attaquer en justice. Vous le voyez : la haine caresse, la charité corrige. Ne t'arrête aux paroles, ni de celui qui te flatte, ni de celui qui te reprend avec une sévérité cruelle : examine leurs tendances, vois les motifs qui les font agir. L'un flatte pour tromper, l'autre

1. Matth. XXII, 37, 40.— 2. Ps. IX, 3.

fait opposition pour corriger. Mes frères, il est donc inutile que nous dilations nous-mêmes votre coeur : demandez à Dieu la grâce de vous aimer les uns les autres. Aimez tous les hommes, même vos ennemis, non parce qu'ils sont vos frères, mais pour qu'ils le deviennent : ainsi brûlerez-vous toujours du feu de la charité fraternelle, soit à l'égard de celui qui est déjà devenu votre frère, soit à l'égard de votre ennemi, afin que votre dilection en fasse un de vos frères. Partout où vous aimez un frère, vous chérissez un ami. Il est déjà avec toi ; vous êtes déjà unis ensemble dans le sein de la grande famille catholique. Si ta conduite est bonne, tu aimes un frère dans la personne de ton ennemi. Mais tu aimes un homme qui ne croit pas encore au Christ, ou qui, s'il y croit, le fait à la manière des démons : tu lui reproches l'inutilité de sa foi. Aime-le, aime-le d'une affection toute fraternelle : il n'est pas encore ton frère, mais tu l'aimes, précisément afin qu'il le devienne. Toute notre charité se réduit donc à aimer, comme des frères, tous les chrétiens, tous les membres du Christ. Les leçons de la charité, sa force, ses fleurs, ses fruits, sa beauté, sa douceur, les aliments, le boire et le manger qu'elle donne, ses baisers, n'engendrent point le dégoût. Si elle est pour nous la source de pareils plaisirs dans le cours de notre pèlerinage, quelles joies ne nous réserve-t-elle pas dans la patrie ?

8. Courons donc, mes frères, courons et aimons le Christ. Quel Christ? Jésus-Christ. Qui est-il? Le Verbe de Dieu. Comment est-il venu nous visiter dans notre infirmité? « Le Verbe s'est fait chair, et il a habité parmi nous (1) ». Ce qu'avait prédit l'Ecriture est donc accompli : « Il fallait que le Christ souffrit et ressuscitât, le troisième jour, d'entre les morts (2) ». Où se trouve son corps.? Où luttent ses membres? Où faut-il que tu sois pour l'avoir comme chef ? « Et qu'on prêchât, en son nom, la pénitence et la rémission des péchés à toutes les nations, en commençant par Jérusalem (3) ».Que ta charité se répande là. Le Christ et l'Esprit-Saint par la bouche du Psalmiste s'écrient : « Votre commandement est singulièrement étendu (4) »; et je ne sais qui pose des bornes à la charité aux portes de l'Afrique ! Si tu prétends aimer le Christ, que ta charité s'étende jusqu'aux

 

1. Jean, I, 14.— 2. Luc, XXIV, 46.— 3. Id. 47.— 4. Ps. CXVIII, 96.

 

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confins de l'univers, parce que les membres du Christ s'y trouvent partout répandus. Si tu n'aimes qu'une portion de l'univers, ton amour est partagé ; et s'il est partagé, tu ne fais point partie du corps de Jésus-Christ; et si tu es en dehors de son corps, il n'est point ton chef. A quoi bon croire et blasphémer? Tu adores le Christ comme chef, et tu le blasphèmes dans son corps ? Il aime son corps. Si tu t'en es séparé, le chef ne t'a pas imité. Tu m'honores sans motif, te crie-t-il du haut du ciel : tu m'honores sans raison. C'est, par exemple, comme si un homme voulait en même temps te baiser à la tête, et écraser tes pieds. S'il pressait tes pieds avec des bottines armées de clous, au moment où il tiendrait ta tête entre ses mains pour l'embrasser, le laisserais-tu t'adresser tranquillement des paroles flatteuses ? Ne l'interromprais-tu point par tes cris, et ne lui dirais-tu pas : O homme, que fais-tu ? Tu m'écrases. Tu ne lui dirais pas : Tu écrases ma tête, puisqu'au moment même il donnerait à la tête une marque d'honneur: des cris s'échapperaient de ta tête, bien plus pour la défense de tes membres blessés, que pour la sienne propre, puisqu'on lui ferait honneur. Ta tête ne tiendrait-elle pas ce langage : Je neveux pas de tes témoignages de respect, ne m'écrase pas? Dis, si tu l'oses: Mais je n'ai pas voulu t'écraser. Dis à la tête : J'ai voulu te donner un baiser, j'ai voulu t'embrasser. Insensé, ne vois-tu pas que la partie de mon corps honorée par toi, tient à celle que tu blesses , puisqu'elles forment ensemble un seul et même tout? Tu m'honores par en haut, tu me blesses par en bas. La douleur du membre que tu foules à tes pieds surpasse de beaucoup la joie de la tête que tu honores; car le chef que tu honores gémit pour le membre que tu meurtris. Quel cri profère la langue ? J'ai mal. Elle ne dit pas : Mon pied a mal; mais : J'ai mal. O langue, qu'est-ce qui t'a touchée ? Qu'est-ce qui t'a frappée ? Qu'est-ce qui t'a serrée? Qu'est-ce qui t'a écrasée ? Personne. Mais je ne fais qu'un avec les pieds qu'on a écrasés. Comment veux -tu que je n'aie pas mal, puisque les liens qui m'unissent à eux ne sont pas rompus ?

9. Aussi, au moment de remonter au ciel le quarantième jour, Notre-Seigneur Jésus-Christ a-t-il recommandé son corps pour l'endroit où il devait le laisser ; car, il le

savait, plusieurs l'honoreraient en raison de sa résidence au ciel; mais il n'ignorait pas non plus l'inutilité des honneurs qu'ils lui rendraient, s'ils venaient à fouler aux pieds ses membres placés ici-bas. Afin de ne laisser place à erreur pour personne; afin qu'on n'écrasât pas ses pieds sur la terre, tandis qu'on adorerait sa tête dans le ciel, il dit où seraient ses membres. Avant de remonter vers son Père, il prononça des paroles, les dernières qui sortirent de sa bouche en ce monde. Sur le point d'entrer au ciel, le chef recommanda ses membres qui restaient sur la terre, puis il disparut. A partir de ce moment, tu n'entends plus le Christ parler ici-bas; si tu l'entends, il te parle du haut du ciel. Pourquoi a-t-il parlé du haut du ciel? Parce que ses membres étaient écrasés sur la terre. Aussi, de son séjour céleste dit-il au persécuteur Saul : « Saul, Saul, pourquoi me persécuter (1) ? » Je suis remonté au ciel, mais je demeure encore sur la terre. Au ciel, je suis assis à la droite du Père; sur terre, j'ai encore faim et soif : j'y suis encore exilé. Au moment de remonter vers son Père, comment donc a-t-il recommandé son corps ? Ses disciples l'interrogeaient : « Seigneur » , lui disaient-ils, « sera-ce en ce temps-ci que vous reviendrez ? Quand rétablirez-vous le royaume d'Israël? Il leur répondit », en s'en allant : « Ce n'est point à vous de connaître les temps ou les moments que le Père a disposés dans sa puissance. Mais vous recevrez la vertu de l'Esprit-Saint venant sur vous, et vous serez témoins pour moi » . Voyez en quels endroits il répand ses membres : voilà où il ne veut pas qu'on l’écrase. « Vous serez témoins pour moi à Jérusalem, et dans toute la Judée, et à Samarie, et jusqu'aux extrémités de la terre (2) ». Moi, qui monte au ciel, voilà où je réside encore. Je monte au ciel, en qualité de chef; mais mon corps reste ici. Ou reste-t-il ? Par toute la terre. Prends garde de le frapper, de lui faire violence, de le fouler aux pieds. Ce sont les dernières paroles que le Christ a prononcées avant de s'en aller au ciel. Supposez un homme cloué sur un lit de douleur, gisant dans sa maison, brisé par la maladie, sur le point de rendre l'âme, ayant, pour ainsi dire, la mort entre les dents : tourmenté au sujet d'une chose qui lui tient au coeur, et qu'il aime beaucoup, il porte sur elle ses

 

1. Act. IX, 4.— 2. Id. I, 6-8.

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pensées, puis il appelle ses héritiers, et leur dit : Je vous en conjure, faites cela. Il se fait en quelque sorte violence pour empêcher son âme de partir, avant qu'on lui ait promis d'accomplir ses suprêmes volontés. A peine a-t-il prononcé ces paroles, qu'il rend le dernier soupir et qu'on emporte son cadavre pour le mettre au tombeau. Quel souvenir les héritiers de cet homme conservent-ils de ses dernières paroles ? Le même que si on leur disait : N'exécutez pas ses recommandations ? Que répondraient-ils à pareille suggestion ? Comment? Je ne tiendrais aucun compte des dernières paroles de mon père mourant ? Je n'accomplirais pas les paroles après lesquelles il ne m'a plus rien dit, après lesquelles il est mort ? De toutes ses autres paroles, je pourrais faire un autre cas ; mais celles-ci me tiennent au coeur, parce qu'elles sont les dernières qu'il m'ait adressées; depuis lors, je ne l'ai plus vu, je ne l'ai plus entendu. Mes frères, j'en appelle à des coeurs chrétiens; si les recommandations d'un père mourant sont, à ce point douces, agréables et précieuses pour des héritiers ordinaires, vous, héritiers du Christ, quel cas vous devez tenir des dernières paroles qu'il a prononcées , avant d'aller, je ne dirai pas, en terre, mais au ciel ! Pour l'homme qui a vécu et qui est mort, son âme est transportée en une autre demeure, et l'on dépose son corps en terre ; que ses paroles s'accomplissent ou ne s'accomplissent pas, il ne s'en occupe nullement : il a autre chose à faire ou autre chose à souffrir : ou bien, il se réjouit dans le sein d'Abraham, ou bien, plongé dans le feu éternel, il désire une goutte d'eau pour se rafraîchir (1): quant à son cadavre, il gît inanimé dans le tombeau et ne sait si l'on tient compte des dernières paroles qu'il a dites avant de mourir. Quel profit espèrent retirer de leur infidélité les hommes qui n'exécutent pas les dernières paroles de celui qui demeure dans le ciel et voit du haut de son trône si on les méprisé ou si on les accomplit, de celui qui a dit : « Saul, Saul, pourquoi me persécuter (2) ? » de celui, enfin, qui se réserve, pour l'avenir, de porter son jugement sur les souffrances endurées par ses membres ?

10. Qu'avons-nous fait ? nous disent ces

 

1. Luc, XVI, 22, et suiv.— 2. Act. IX, 4.

 

hommes : nous avons souffert persécution, sans persécuter personne. Malheureux ! vous avez fait souffrir les autres : d'abord, parce que vous avez divisé l'Eglise. Vos paroles ont fait plus de mal qu'une épée. La servante de Sara, Agar, s'est montrée hautaine, et, en raison de son orgueil, elle a été punie par sa maîtresse. Cette punition était moins un châtiment qu'un moyen de la ramener au respect de son devoir. Aussi, quand elle eut quitté Sara, que lui dit l'ange? « Retourne auprès de ta maîtresse (1) » . Ame charnelle, ne ressembles-tu pas à cette servante insoumise, et si, par hasard, tu as enduré quelques contrariétés pour ton plus grand bien, pourquoi t'irriter? retourne à ta maîtresse, fais la paix avec elle. Voilà qu'on apporte les Evangiles nous y lisons jusqu'où s'étend l'Eglise : on nous contredit, et l'on nous crie: Traditeurs. Traditeurs de quoi ? Le Christ nous recommande son Eglise, et tu ne le crois pas ;.et, moi, je te croirais, quand tu maudis mes parents? Et tu veux que j'ajoute foi à ta parole au sujet des traditeurs? Crois d'abord toi-même au Christ. Y a-t-il rien de plus juste? Le Christ est Dieu ; tu n'es qu'un homme; à qui des deux faut-il croire de préférence? Le Christ a répandu son Eglise par toute la terre; si je te parlais de moi-même, je te dirais Méprise mes paroles ; mais c'est l'Evangile qui te parle ; prends-y garde. Que te dit l'Evangile ? « Il fallait que le Christ souffrît et ressuscitât d'entré les morts, et qu'on prêchât, en son nom, la pénitence et la remisa lion des péchés (2) ». L'Eglise est là où les péchés sont remis. Comment cela? Car il lui a été dit : « Je te donnerai les clefs du royaume des cieux : tout ce que tu délieras sur la terre sera délié dans le ciel, et tout ce que tu lieras sur la terre sera lié dans le ciel (3) ». Où se trouve répandue la rémission des péchés? « Parmi toutes les nations, en commençant par Jérusalem (4) ». Crois donc au Christ. Mais parce que tu comprends que, si tu crois au Christ, tu n'auras plus rien à dire des traditeurs, tu aimes mieux que je te croie quand tu dénigres mes pères, que de croire toi-même le Christ dévoilant l'avenir.

 

1. Gen. XVI, 4-9.— 2. Luc, XXIV, 46, 47.— 3. Matth. XVI, 19.— 4. Luc, XXIV, 47.

 

 

 

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