DOCTRINE Xtienne
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RÈGLE  S. AUGUSTIN
POLÉMIQUES

COMMENTAIRES SUR L’ECRITURE.

DE LA DOCTRINE CHRÉTIENNE.

IN OEUVRES  COMPLÈTES DE SAINT AUGUSTIN, traduites pour la première fois en français sous la direction de M. Raulx, Tome IV, p. 1-87. BAR-LE-DUC,1866.

 

PROLOGUE. IL N'EST PAS INUTILE D'ENSEIGNER A INTERPRÉTER L'ÉCRITURE SAINTE.

LIVRE PREMIER.

CHAPITRE PREMIER. POUR TRAITER DE L'ÉCRITURE, IL FAUT SAVOIR EN DÉCOUVRIR ET EN EXPOSER LE SENS.

CHAPITRE II. LES CHOSES ET LES SIGNES.

CHAPITRE III. DIVISION DES CHOSES.

CHAPITRE IV. DE LA JOUISSANCE ET DE L'USAGE

CHAPITRE V. L'OBJET DE NOTRE JOUISSANCE EST LA SAINTE TRINITÉ.

CHAPITRE VI. DIEU NE PEUT SE DÉFINIR.

CHAPITRE VII. TOUS LES HOMMES COMPRENNENT SOUS L'IDÉE DE DIEU L'ÊTRE LE PLUS EXCELLENT.

CHAPITRE VIII. DIEU EST LA SAGESSE IMMUABLE ET DOIT ÊTRE PRÉFÉRÉ A TOUT.

CHAPITRE IX. TOUS LES HOMMES PORTENT LE MÊME JUGEMENT.

CHAPITRE X. PURETÉ D’AME NÉCESSAIRE POUR VOIR DIEU.

CHAPITRE XI. LA SAGESSE INCARNÉE NOUS APPREND A PURIFIER NOTRE COEUR.

CHAPITRE XII. COMMENT LA SAGESSE DIVINE EST VENUE A NOUS.

CHAPITRE XIV. COMMENT LA SAGESSE DIVINE A GUÉRI L'HOMME.

CHAPITRE XV. LA RÉSURRECTION ET L'ASCENSION DE JÉSUS-CHRIST SOUTIENNENT NOTRE FOI ; LE JUGEMENT LA STIMULE.

CHAPITRE XVI. JÉSUS-CHRIST PURIFIE SON ÉGLISE.

CHAPITRE XVII. LA VOIE DE LA PATRIE OUVERTE DANS LE PARDON DES PÉCHÉS.

CHAPITRE XVIII. LES CLEFS CONFIÉES A L'ÉGLISE.

CHAPITRE XIX. MORT ET RÉSURRECTION DU CORPS ET DE L’AME.

CHAPITRES XX ET XXI. RÉSURRECTION POUR LE CHATIMENT.

CHAPITRE XXII. DIEU SEUL OBJET DE NOTRE JOUISSANCE. .

CHAPITRE XXIII. L'HOMME S'AIME NATURELLEMENT. QUAND CET AMOUR EST-IL DÉSORDONNÉ!

CHAPITRE XXIV. PERSONNE NE HAIT SA PROPRE CHAIR, PAS MÊME CELUI QUI LA CHATIE.

CHAPITRE XXV. QUEL AMOUR ON DOIT A SON CORPS.

CHAPITRE XXVI. DU COMMANDEMENT QUI PRESCRIT L'AMOUR DE DIEU, DU PROCHAIN ET DE SOI-MÊME.

CHAPITRE XXVII. ORDRE DANS LEQUEL ON DOIT AIMER.

CHAPITRE XXVIII. QUI DOIT-ON SECOURIR DE PRÉFÉRENCE

CHAPITRE XXIX. ON DOIT TENDRE A CE QUE DIEU SOIT UNIVERSELLEMENT AIMÉ.

CHAPITRE XXX. TOUS LES HOMMES ET LES ANGES MÊMES SONT NOTRE PROCHAIN.

CHAPITRE XXXI. DIEU SE SERT DE NOUS ET N'EN JOUIT PAS.

CHAPITRE XXXII. COMMENT DIEU SE SERT DE L'HOMME.

CHAPITRE XXXIII. COMMENT IL FAUT JOUIR DE L'HOMME.

CHAPITRE XXXIV. LE CHRIST EST LA PREMIÈRE VOIE QUI MÈNE A DIEU.

CHAPITRE XXXV. L'AMOUR DE DIEU ET DU PROCHAIN EST LA PLÉNITUDE ET LA FIN DE L'ÉCRITURE.

CHAPITRE XXXVI. CE QU'IL FAUT PENSER D'UNE INTERPRÉTATION DEFECTUEUSE DE L'ÉCRITURE, SI ELLE SERT A ÉDIFIER LA CHARITÉ.

CHAPITRE XXXVII. ON DOIT INSTRUIRE UN INTERPRÈTE QUI SE TROMPE.

CHAPITRE XXXVIII. LA CHARITÉ DEMEURE ÉTERNELLEMENT.

CHAPITRE XXXIX. L'ÉCRITURE N'EST POINT NÉCESSAIRE A L'HOMME QUI POSSÈDE LA FOI, L'ESPÉRANCE ET LA CHARITÉ.

CHAPITRE XL. DANS QUEL ESPRIT ON DOIT LIRE L'ÉCRITURE.

LIVRE DEUXIÈME.

CHAPITRE PREMIER. NATURE DU SIGNE ET SES DIFFÉRENTES ESPÈCES.

CHAPITRE II. QUELS SIGNES SONT L'OBJET DE CE LIVRE.

CHAPITRE III. LA PAROLE EST AU PREMIER RANG PARMI LES SIGNES.

CHAPITRE IV. ORIGINE DES LETTRES.

CHAPITRE V. DIVERSITÉ DES LANGUES.

CHAPITRE VI. UTILITÉ QUI RESSORT DE L'OBSCURITÉ DE L'ÉCRITURE.

CHAPITRE VII. LES SEPT DEGRÉS QUI CONDUISENT A LA SAGESSE.

CHAPITRE VIII. LIVRES CANONIQUES.

CHAPITRE IX. RÈGLE A SUIVRE DANS L'ÉTUDE DE L'ÉCRITURE.

CHAPITRE X. OBSCURITÉ DE L'ÉCRITURE DANS LES SIGNES QU'ELLE EMPLOIE.

CHAPITRE XI. LA SCIENCE DES LANGUES NÉCESSAIRE POUR L'INTELLIGENCE DES SIGNES.

CHAPITRE XII. UTILITÉ DES DIFFÉRENTES INTERPRÉTATIONS.

CHAPITRE XIII. COMMENT IL FAUT CORRIGER UN DÉFAUT DE TRADUCTION.

CHAPITRE XIV. SOURCES OU L'ON DOIT PUISER LA CONNAISSANCE DES TERMES ET DES LOCUTIONS INCONNUES.

CHAPITRE XV. EXCELLENCE DE LA VERSION ITALIQUE ET DE CELLE DES SEPTANTE.

CHAPITRE XVI. UTILITÉ DE LA CONNAISSANCE DES LANGUES, DE LA NATURE, DES NOMBRES ET DE LA MUSIQUE POUR L'INTELLIGENCE DES SIGNES FIGURÉS.

CHAPITRE XVII. ORIGINE DE LA FABLE DES NEUF MUSES.

CHAPITRE XVIII. NE PAS MÉPRISER CE QUE LES PROFANES ONT DE BON ET D'UTILE.

CHAPITRE XIX. DEUX SORTES DE SCIENCES PARMI LES PAIENS.

CHAPITRE XX. SCIENCES HUMAINES REMPLIES DE SUPERSTITIONS.

CHAPITRE XXI. SUPERSTITIONS DES ASTROLOGUES.

CHAPITRE XXII. VANITÉ DES PRÉDICTIONS FONDÉES SUR L'OBSERVATION DES ASTRES.

CHAPITRE XXIII. POURQUOI IL FAUT REJETER LA SCIENCE DES ASTROLOGUES.

CHAPITRE XXIV. TOUT USAGE SUPERSTITIEUX SUPPOSE LE COMMERCE AVEC LES DÉMONS.

CHAPITRE XXV. LES INSTITUTIONS HUMAINES EXEMPTES DE SUPERSTITIONS SONT EN PARTIE SUPERFLUES ET EN PARTIE UTILES ET NÉCESSAIRES.

CHAPITRE XXVI. INSTITUTIONS HUMAINES A REJETER ; CELLES QU'IL FAUT ADOPTER.

CHAPITRE XXVII. SCIENCES QUI NE SONT PAS D'INSTITUTION HUMAINE.

CHAPITRE XXVIII. UTILITÉ DE L'HISTOIRE.

CHAPITRE XXIX. UTILITÉ DE LA CONNAISSANCE DES ANIMAUX, DES PLANTES, DES ARBRES, POUR L'INTELLIGENCE DE L'ÉCRITURE.

CHAPITRE XXX. UTILITÉ DES ARTS MÉCANIQUES.

CHAPITRE XXXI. UTILITÉ DE LA DIALECTIQUE.

CHAPITRE XXXII. D'OÙ PROVIENT LA LOGIQUE DANS LES CONCLUSIONS.

CHAPITRE XXXIII. CONSÉQUENCES VRAIES DE PROPOSITIONS FAUSSES, ET CONSÉQUENCES FAUSSES DE PROPOSITIONS VRAIES.

CHAPITRE XXXIV. CONNAISSANCE DES RÉGLES, DES CONSÉQUENCES ET DE LA VÉRITÉ DES PROPOSITIONS.

CHAPITRE XXXV. SCIENCE DE LA DÉFINITION ET DE LA DIVISION DES CHOSES, VRAIE EN ELLE-MÊME.

CHAPITRE XXXVI. MÈMES OBSERVATIONS SUR LES RÈGLES DE L'ÉLOQUENCE.

CHAPITRE XXXVII. UTILITÉ DE LA RHÉTORIQUE ET DE LA DIALECTIQUE.

CHAPITRE XXXVIII. ORIGINE DE LA SCIENCE DES NOMBRES.

CHAPITRE XXXIX.  SCIENCES AUXQUELLES ON PEUT S'APPLIQUER.

CHAPITRE XL. IL FAUT PROFITER DE CE QUE LES PAÏENS ONT DE VRAI.

CHAPITRE XLI. DANS QUEL ESPRIT IL FAUT ÉTUDIER L'ÉCRITURE.

CHAPITRE XLII. DIFFÉRENCE ENTRE LES LIVRES SAINTS ET LES LIVRES PROFANES.

LIVRE TROISIÈME.

CHAPITRE PREMIER. OBJET DE CE LIVRE.

CHAPITRE II. AMBIGUITÉ QUI HAIT DE LA DIVISION DES TERMES.

CHAPITRE III. INCERTITUDE QUI NAÎT DE LA PRONONCIATION.

CHAPITRE IV. AMBIGUITÉ QUI PROVIENT DES PAROLES.

CHAPITRE V. NE PAS PRENDRE A LA LETTRE LES EXPRESSIFS FIGURÉES.

CHAPITRE VI. UTILITÉ DES FIGURES POUR LES JUIFS.

CHAPITRE VII. CULTE DES IDOLES ET DES CRÉATURES.

CHAPITRE VIII. LES JUIFS ET LES GENTILS AFFRANCHIS DIFFÉREMMENT DE LA SERVITUDE DES SIGNES.

CHAPITRE IX. COMMENT ON EST ESCLAVE DES SIGNES.

CHAPITRE X. COMMENT RECONNAITRE QU'UNE EXPRESSION EST FIGURÉE.

CHAPITRE XI. RÈGLE POUR JUGER CE QUI, DANS L'ÉCRITURE, PRÉSENTE UN CARACTÈRE DE SÉVÉRITÉ.

CHAPITRE XII. RÈGLE POUR JUGER DES ACTIONS QUI PARAISSENT CRIMINELLES.

CHAPITRE XIII. SUITE DU MÊME SUJET.

CHAPITRE XIV. ERREUR DE CEUX QUI NE CROIENT PAS A LA JUSTICE ABSOLUE.

CHAPITRE XV. RÈGLE POUR LES EXPRESSIONS FIGURÉES.

CHAPITRE XVI. DES PASSAGES QUI RENFERMENT QUELQUE PRÉCEPTE.

CHAPITRE XVII. IL Y A DES PRÉCEPTES COMMUNS A TOUS, D'AUTRES QUI SONT PARTICULIERS.

CHAPITRE XVIII. ON DOIT CONSIDÉRER LE TEMPS OÙ UNE CHOSE A ÉTÉ COMMANDÉE OU PERMISE.

CHAPITRE XIX. LES MECHANTS JUGENT DES AUTRES D'APRÈS EUX-MÊMES.

CHAPITRE XX. CONTINUATION DU MÊME SUJET.

CHAPITRE XXI. MODÉRATION DE DAVID QUOIQU'IL AIT ÉTÉ ADULTÈRE.

CHAPITRE XXII. ACTIONS LOUÉES DANS L'ÉCRITURE, MAINTENANT CONTRAIRES AUX BONNES MOEURS.

CHAPITRE XXIII. CONCLUSION A TIRER DES FAUTES DES HOMMES LES PLUS CÉLÈBRES.

CHAPITRE XXIV. EXAMINER AVANT TOUT LA NATURE DE L'EXPRESSION.

CHAPITRE XXV. LE MÊME TERME N'A PAS TOUJOURS LA MÈNE SIGNIFICATION.

CHAPITRE XXVI. LES PASSAGES CLAIRS SERVENT À DISSIPER LES OBSCURITÉS.

CHAPITRE XXVII. UN MÊME PASSAGE PEUT ÊTRE INTERPRÉTÉ DIFFÉREMMENT.

CHAPITRE XXVIII. L'ÉCRITURE S'EXPLIQUE MIEUX PAR ELLE-MÊME QUE PAR LA RAISON.

CHAPITRE XIX. NÉCESSITÉ DE LA CONNAISSANCE DES DIVERSES SORTES DE FIGURES.

CHAPITRE XXX. RÈGLES DU DONATISTE TICHONIUS.

CHAPITRE XXXI. PREMIÈRE RÈGLE DE TICHONIUS.

CHAPITRE XXXII. DEUXIÈME RÈGLE.

CHAPITRE XXXIII. TROISIÈME RÈGLE.

CHAPITRE XXXIV. QUATRIÈME RÈGLE.

CHAPITRE XXXV. CINQUIÈME RÈGLE.

CHAPITRE XXXVI. SIXIÈME RÈGLE.

CHAPITRE XXXV. SEPTIÈME RÈGLE.

LIVRE QUATRIÈME.

PROLOGUE.

CHAPITRE PREMIER. IL N'EST PAS ICI QUESTION DE PRÉCEPTES DE RHÉTORIQUE.

CHAPITRE II. LE DOCTEUR CHRÉTIEN DOIT SE SERVIR DE L'ART DE LA RHÉTORIQUE.

CHAPITRE III. A QUEL AGE ET DE QUELLE MANIÈRE IL CONVIENT D'APPRENDRE LA RHÉTORIQUE.

CHAPITRE IV. DEVOIRS DU DOCTEUR CHRÉTIEN.

CHAPITRE V. LA SAGESSE PRÉFÉRABLE A L'ÉLOQUENCE DANS L'ORATEUR CHRÉTIEN.

CHAPITRE VI. LA SAGESSE JOINTE A L'ÉLOQUENCE DANS LES AUTEURS SACRÉS.

CHAPITRE VII. TRAITS D'ÉLOQUENCE TIRÉS DE L'ECRITURE.

CHAPITRE VIII. L'OBSCURITÉ DES AUTEURS SACRÉS N'EST PAS A IMITER.

CHAPITRE IX. MANIÈRE DE TRAITER LES SUJETS DIFFICILES ET OBSCURS.

CHAPITRE X. IMPORTANCE DE LA CLARTÉ DANS LE DISCOURS.

CHAPITRE XI. INSTRUIRE CLAIREMENT ET AGRÉABLEMENT.

CHAPITRE XII. L'ORATEUR DOIT INSTRUIRE; PLAIRE ET TOUCHER.

CHAPITRE XIII. IL FAUT PARVENIR A TOUCHER L'AUDITEUR.

CHAPITRE XIV. L'ART DE PLAIRE NE DOIT PAS NUIRE A LA VÉRITÉ NI A LA GRAVITÉ.

CHAPITRE XV. AVANT DE PARLER, L'ORATEUR DOIT PRIER.

CHAPITRE XVI. LES RÈGLES DE L'ÉLOQUENCE NE SONT PAS INUTILES, QUOIQUE DIEU LUI-MÊME FASSE LES DOCTEURS.

CHAPITRE XVII. TROIS GENRES D'ÉLOQUENCE.

CHAPITRE XVIII. L'ORATEUR CHRÉTIEN N'A QUE DES SUJETS RELEVÉS A TRAITER.

CHAPITE XIX. IL FAUT CEPENDANT VARIER LE STYLE.

CHAPITRE XX. EXEMPLES TIRÉS DE L'ECRITURE POUR CHAQUE GENRE DE STYLE.

CHAPITRE XXI. EXEMPLES TIRÉS DES DOCTEURS DE L'ÉGLISE.

CHAPITRE XXII. ON DOIT VARIER LE DISCOURS PAR LES DIFFÉRENTS GENRES DE STYLE.

CHAPITRE XXIII. MANIÈRE D'ALLIER LES TROIS GENRES DE STYLE.

CHAPITRE XXIV. EFFETS DU SUBLIME.

CHAPITRE XXV. BUT QUE SE PROPOSE LE STYLE TEMPÉRÉ.

CHAPITRE. XXVI. DANS CHAQUE GENRE, L'ORATEUR DOIT SE FAIRE ENTENDRE AVEC CLARTÉ, AVEC PLAISIR ET AVEC DOCILITÉ.

CHAPITRE XXVII. PUISSANCE DE L'ORATEUR DONT LA VIE RÉPOND A SES DISCOURS.

CHAPITRE XXVIII. L'ORATEUR DOIT PLUS S'ATTACHER A LA VÉRITÉ QU'A LA FORME.

CHAPITRE XXIX. UN ORATEUR PEUT SE SERVIR D'UN DISCOURS COMPOSÉ PAR UN AUTRE.

CHAPITRE XXX. L'ORATEUR DOIT PRIER AVANT DE PARLER.

CHAPITRE XXXI. AUGUSTIN S'EXCUSE SUR LA LONGUEUR DE CE LIVRE.

 

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DE LA DOCTRINE CHRÉTIENNE.

Les quatre livres de la Doctrine chrétienne ont été traduits par M. l'abbé HUSSENOT.

 

PROLOGUE. IL N'EST PAS INUTILE D'ENSEIGNER A INTERPRÉTER L'ÉCRITURE SAINTE.

 

1. Il y a pour l'interprétation de l'Écriture, des règles que l'on peut, je crois, donner avec avantage à ceux qui s'appliquent à les étudier ils en profiteront, non-seulement quand ils liront les oeuvres de ceux qui ont porté la lumière dans les passages obscurs des divines lettres, mais encore lorsqu'ils en donneront aux autres l'intelligence. J'ai résolu de formuler ces préceptes en faveur de ceux qui ont le désir et la faculté de les apprendre, pourvu toutefois que notre , Dieu et Seigneur ne me refuse point pour les écrire, les inspirations qu'il a coutume de m'envoyer quand j'y réfléchis. Avant de commencer, je crois devoir répondre à ceux qui blâmeront mon dessein, ou qui le blâmeraient, si je ne prévenais leur critique; et si malgré mes observations, certains esprits persistent à censurer mon oeuvre, du moins ils ne feront aucune impression sur les autres: ils ne les détourneront pas d'une utile étude pour les jeter dans une ignorante paresse, comme ils auraient pu le faire, si l'on n'était prémuni et fortifié contre leurs attaques.

2. Quelques-uns censureront cet ouvrage, parce qu'ils ne comprendront pas les règles que j'y dois établir. D'autres en auront l'intelligence; mais quand ils voudront les appliquer, quand ils chercheront à s'en servir pour l'interprétation (les divines Écritures, et qu'ils se verront dans l'impossibilité de découvrir et d'expliquer ce qu'ils désirent, ils penseront que je me suis livré à un travail inutile. N'y trouvant aucun secours pour eux-mêmes, ils jugeront qu'il ne peut servir davantage à personne. Il se rencontrera, une troisième espèce de censeurs, parmi ceux qui en réalité interprètent ou croient bien interpréter les livres saints. Sans avoir jamais la aucune règle du genre de celles que j'ai dessein de tracer, ils croient à tort ou â raison qu'ils ont obtenu la grâce de commenter l'Écriture, et ils crieront partout que ces règles ne sont nullement nécessaires, et due tout ce que l'on peut découvrir de salutaires clartés dans la profondeur des divins oracles est dû exclusivement à l'assistance divine.

3. Je répondrai à tous en peu de mots. A (2) ceux qui ne comprennent pas les préceptes que je trace, je dirai que leur défaut d'intelligence n'est pas un motif de me censurer. Pourraient-ils me censurer, si, voulant voir à son déclin ou à son croissant la lune ou tout autre astre peu apparent, la faiblesse de leurs yeux ne leur permettait pas même d'apercevoir mon doigt qui le leur montre ? Pour ceux qui, même avec la connaissance et l'intelligence de ces règles, ne pourront pénétrer dans les obscurités des divines Ecritures, qu'ils se regardent comme capables d'apercevoir mon doigt, mais non les astres vers lesquels je le dirige pour les leur indiquer. Que les uns et les autres cessent donc de me blâmer, et qu'ils conjurent le ciel de communiquer à leurs yeux la lumière. Si je puis mouvoir mon doigt pour indiquer, je ne puis donner des yeux pour faire voir le mouvement que j'imprime ni l'objet que je désigne.

4. Venons à ceux qui se félicitent des dons du ciel, qui se glorifient de comprendre et d'exposer les saints Livres, sans le secours de préceptes semblables à ceux que j'ai dessein de formuler, et qui, pour ce motif, s'arrêtent à l'idée que je n'ai entrepris qu'un travail superflu. Sans doute ils peuvent se réjouir des dons précieux qu'ils ont reçus de Dieu; mais pour tempérer l'amertume de leurs critiques, ne doivent-ils pas se rappeler que        c'est de la bouche des hommes qu'ils ont reçu la connaissance des lettres mêmes? Parce qu'Antoine, ce saint et parfait solitaire d'Egypte, parvint, sans aucune connaissance des lettres; à retenir de mémoire les divines Ecritures, qu'il lui suffisait d'entendre lire, et à en acquérir l'intelligence par ses gages méditations, a-t-il le droit de les insulter? A-t-il aussi ce droit, l'esclave barbare devenu chrétien, de qui nous ont parlé dernièrement les hommes les plus graves et les plus dignes de foi? Sans aucun maître pour lui enseigner les lettres, il en            obtint par ses prières une pleine connaissance; car, après trois jours de supplications, il put, au grand étonnement de  ceux qui étaient là; parcourir à la lecture le volume qui lui fut présenté.

5. Si l'on révoque en doute la véracité de ces faits, je ne lutterai pas. Mais je m'adresse à des chrétiens qui se flattent de connaître les Ecritures sans le secours de l'homme; s'il en est ainsi, ils jouissent assurément d'un grand privilège. Ce qu'ils ne peuvent nier toutefois, c'est que nous avons tous appris notre propre langue par l'habitude de l'entendre parler dès notre première enfance, et que c'est de la même manière, ou par les leçons d'un précepteur, que nous avons acquis la connaissance de toute autre langue étrangère; grecque ou hébraïque, peu importe. Maintenant dirons-nous à tous nos frères de ne plus en enseigner aucune à leurs enfants, parce qu'en un instant les apôtres remplis des lumières de l'Esprit-Saint descendu sur eux, se sont mis à parler les langues de toutes les nations; ou que celui qui n'aura pas reçu des dons semblables ne doit pas se regarder comme chrétien, mais douter s'il a reçu le Saint-Esprit? Loin de là; que chacun de nous apprenne humblement de l'homme ce qu'il doit apprendre de lui, et que celui qui instruit les autres communique sans orgueil et sans envie ce qu'il a reçu. Ne tentons point non plus celui à qui nous avons donné notre foi; trompés par les ruses et la perversité de l'ennemi, peut-être refuserions-nous, pour entendre et apprendre l'Evangile même, d'aller dans les églises en lire le texte sacré, ou en écouter la lecture et la prédication; peut-être attendrions-nous que nous fussions ravis jusqu'au troisième ciel, soit avec notre corps, soit sans notre corps, ainsi que s'exprime l'Apôtre, pour y entendre des paroles ineffables qu'il n'est. pas permis à l'homme de rapporter (1), » pour y voir Jésus-Christ, notre Seigneur, et recevoir l'Evangile de sa bouche, plutôt que de celle des hommes.

6. Loin de nous, de telles prétentions, elles sont trop pleines d'orgueil et de dangers; rappelons-nous plutôt qu'instruit par la voix di vine qui l'avait terrassé du haut du ciel, Paul lui-même fut envoyé vers un homme pour recevoir de lui les sacrements- et être incorporé à l'Eglise (2). Après avoir appris de la bouche d'un ange que ses prières avaient été exaucées, et ses aumônes agréées de Dieu, le centurion Corneille fut également adressé à Pierre pour être baptisé de sa main. Il devait non-seulement recevoir de lui les Sacrements, mais encore apprendre ce qu'il faut croire,        ce qu'il faut espérer et ce qu'il faut aimer (3). L'ange, sans doute, pouvait faire tout cela; mais la condition de l'homme serait bien vile,

 

1. II Cor. XII, 4. — 2. Act. IX, 3-7. — 3. Ibid. X, 1- 6.

 

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si Dieu semblait ne vouloir pas transmettre sa parole aux hommes par l'organe des hommes. Eh! comment serait vraie cette maxime : « Le temple de Dieu est saint et vous êtes ce temple (1), » si Dieu ne rendait point d'oracles du sein de ce temple humain, s'il ne faisait plus entendre que du haut du ciel et par le ministère des anges, tout ce qu'il veut faire connaître aux hommes? Ensuite, si nous n'avions rien à apprendre de nos semblables, la charité elle-même qui nous étreint dans le nœud de l'unité, ne pourrait plus travailler au mélange et à la fusion des cœurs.

7. Aussi l'Apôtre ne renvoya point à un ange cet eunuque qui lisait le prophète Isaïe sans le comprendre; et. ce qu'il n'entendait point ne lui fut ni expliqué par un ange, ni découvert intérieurement par une révélation divine, sans le concours d'aucun homme. Une inspiration céleste lui adressa Philippe, qui connaissait le prophète Isaïe ; cet apôtre s'assit près de lui, et dans un langage humain lui découvrit ce que cette prophétie avait d'obscur pour lui. Moïse ne conversa-t-il pas avec Dieu? Cependant il reçut avec prudence et sans orgueil le conseil que lui donnait son beau-père, un étranger, pour le gouvernement et l'administration d'un peuple si nombreux. Ce grand homme savait que, quel que soit celui qui dicte un sage conseil, il faut l'attribuer non à celui qui le donne,        mais au Dieu immuable qui est la vérité même.

8. Enfin, celui qui sans avoir étudié       aucun précepte, remercie le ciel de lui avoir donné l'intelligence de toutes les obscurités de l'Ecriture, celui-là ne se trompe point, car il est vrai que de lui-même il n'a pas cette intelligence; elle ne vient pas de lui mais du         ciel ainsi, il cherche la gloire de Dieu et non la sienne. Cependant, s'il lit et comprend sans aucun interprète humain, pourquoi affecte-t-il d'expliquer lui-même aux autres? pourquoi ne les renvoie-t-il pas à Dieu? Eux aussi ne devraient yen à l'homme et ne seraient éclairés que par l'enseignement du Maître intérieur? Il craint sans doute d'entendre : « Mauvais serviteur, pourquoi ne mettrais-tu pas mon argent entre les mains des banquiers (2) ? »

 

1. I Cor. IV, 17. — 2. Matth. XXV, 27.

 

Ces hommes livrent à d'autres, par leurs discours ou leurs écrits, ce qu'ils comprennent dans les Ecritures, et moi, si je livre à mon tour, non-seulement ce qu'ils comprennent, mais encore les règles à observer pour bien comprendre, pourront-ils m'en faire un crime? Personne ne doit rien considérer comme sa propriété, si ce n'est peut-être le mensonge. Tout ce qui est vrai procède de Celui qui a dit : « Je suis la vérité (1). » Qu'avons nous en effet que nous n'ayons point reçu? Et si nous l'avons reçu, pourquoi nous en glorifier comme si. nous ne l'avions point reçu (2) ?

9. Celui qui lit en présence d'auditeurs qui savent lire, exprime sans doute ce qu'il connaît; mais celui qui enseigne les lettres, apprend aux autres à lire; chacun d'eux néanmoins ne communique que ce qu'il a reçu. De même exposer ce qu'on comprend dans l'Ecriture, c'est remplir en quelque sorte l'office du lecteur qui fait entendre les lettres qu'il connaît; mais tracer des règles pour conduire à l'intelligence de l'Ecriture, c'est ressembler au maître qui enseigne les lettres, c'est-à-dire qui apprend à lire; et si celui qui sait lire n'est point, quand il rencontre un ouvrage, dans la nécessité de recourir à un lecteur étranger pour connaître ce qui y est écrit, celui qui aura été instruit des règles que je travaille à formuler, pourra également s'en servir comme des lettres ; et s'il vient à rencontrer dans les Saints Livres quelque passage obscur, il ne sera point forcé de chercher un interprète pour en comprendre le sens caché; mais en marchant dans la voie qui va s'ouvrir, il le pénètrera lui-même sans erreur, du moins sans tomber dans une interprétation absurde ou dangereuse. Cet ouvrage même pourra montrer suffisamment que mon travail est utile et que c'est à tort qu'on voudrait le blâmer; cependant si l'on juge que par ces observations préliminaires, nous avons convenablement répondu à tous nos détracteurs, voici ce qui s'offre à nous dès l'entrée de la carrière où nous voulons marcher.

 

1. Jean, XIV, 7. — 2 I Cor. IV, 7.

 

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LIVRE PREMIER.

 

Pour découvrir le sens de l'Ecriture, il faut se rappeler que tout ce qu'elle comprend se divise en choses- et en signes. Parmi les choses, il en est dont nous pouvons jouir ; il eu est d'autres dont nous ne pouvons que faire usage. A Dieu seul nous devons nous attacher pour jouir de lui, c'est à cette jouissance que nous conduisent les mystères du Verbe incarné et l'autorité confiée à l'Èglise. Tout le reste, même ce cire nous, devons aimer, est simplement destiné à notre usage, puisque cet amour doit être rattaché à Dieu. Ainsi toute l'Ecriture se rapporte au double précepte de la charité, à l'amour à Dieu pour lui-même et à l'amour du prochain par rapport à Dieu.

 

 

CHAPITRE PREMIER. POUR TRAITER DE L'ÉCRITURE, IL FAUT SAVOIR EN DÉCOUVRIR ET EN EXPOSER LE SENS.

 

1. L'interprétation de l'Ecriture comprend deux choses : la manière de découvrir ce que l'on y doit comprendre, et la manière d'exposer ce que l'on y a compris. Nous parlerons successivement de la première et de la seconde. C'est une grande et difficile entreprise; n'est-il clone pas téméraire de m'y engager? Oui, sans doute, si nous présumions de nos forces; mais lotit notre espoir de mener à bonne fin cet ouvrage, repose en Celui dont nous avons déjà reçu dans nos méditations bien des lumières sur ce sujet, et nous ne doutons point qu'il ne nous accorde celtes qui nous Manquent, dès que nous aurons commencé à communiquer celles qu'il nous a départies. Car posséder sans la donner une chose qui se donne sans s'épuiser, c'est ne pas la posséder encore comme il convient. Or, Dieu a dit : « Quiconque a déjà, on lui donnera encore (1). » Il donnera donc à ceux qui possèdent, c'est-à-dire, que si on use ave„ largesse de ce qu'on a reçu, il remplira et comblera la mesure qu'il a confiée. Ici il n'y avait que cinq pains et là que sept, avant de les donner â une multitude affamée;

 

1. Matth. XIII, 12.

 

à peine eut-on  commencé à les distribuer, qu'après en avoir rassasié plusieurs milliers d'hommes, on en remplit des corbeilles et des paniers entiers (1). De même donc que le pain se multiplia sous les mains qui le rompaient, ainsi ce que Dieu nous a déjà donné pour entreprendre cet ouvrage, des que nous aurons commencé à le communiquer, se fécondera sous le souffle de son inspiration, et loin de, nous trouver jamais réduit à la disette dans le cours de notre tâche, nous aurons à nous réjouir au sein d'une merveilleuse abondance.

 

 

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CHAPITRE II. LES CHOSES ET LES SIGNES.

 

2. Tout enseignement a pour objet les choses ou, les signes; c'est par les seconds qu'on arrive à la connaissance des premières. J'appelle proprement chose ce qui ne sert pas à déterminer un autre objet, comme le bois, la pierre, un animal, ou, tout être semblable. Ceci donc ne s'applique pas au bois que Moïse, au rapport de l'Ecriture, jeta dans les eaux amères pour les adoucir (2), ni à la pierre que Jacob avait posé sous sa tête (3), à l'animal qu'Abraham immola en place de son fils (4). Car ce

 

1. Matth. XIV, 17-21; XV, 34-38. — 2. Exod, XV,           26. — 3. Genès. XVIII, 17. — 4. Ibid. XXII, 13.

 

 

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bois, cette pierre et cet animal, outre la propriété d'être choses, » ont encore celle d'être signes » d'autres choses. Or il est des signes dont l'usage exclusif est de signifier quelque chose; telle est la parole que l'on n'emploie jamais qu'à cette titi. On comprend dès lors que j'entends par signe, » ce qui s'emploie pour désigner quelque chose. Ainsi tout signe est en même temps une certaine chose, autrement il ne serait absolument rien; mais toute chose n'est pas un signe. C'est pourquoi, dans cette division des choses et des signes, lorsque nous traiterons des choses, il pourra s'en rencontrer plusieurs qui aient la propriété de signifier; Tuais nous en parierons de manière à ne pas renverser l'ordre d'après lequel nous devons traiter d'abord des choses et ensuite des signes ; et rappelons-nous que nous n'avons à considérer ici dans les choses que ce qu'elles sont en elles-mêmes, et non ce qu'elles peuvent signifier d'ailleurs.

 

 

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CHAPITRE III. DIVISION DES CHOSES.

 

3. Il y a des choses dont il faut jouir, d'autres dont il faut user, d'autres enfin qui sont appelées à cette jouissance et à cet usage. Celles dont ou doit jouir, nous rendent heureux. Celles dont on doit user, nous soutiennent dans nos efforts vers la béatitude, et sont comme autant d'appuis et d'échelons à l'aide desquels nous pouvons parvenir et nous unir à l'objet qui doit faire notre bonheur. Pour nous, destinés à la jouissance et à l'usage de ces choses, nous sommes placés entre les premières et les secondes; si nous voulons jouir de celles dont il faudrait seulement user, nous entravons notre marche, et parfois même nous lui imprimons  une fausse direction, en sorte que l'amour des biens inférieurs qui nous enlace, retarde pour nous, si même il ne l'éloigne pour jamais, la possession de ceux qui doivent être l'objet de notre jouissance.

 

 

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CHAPITRE IV. DE LA JOUISSANCE ET DE L'USAGE

 

4. Jouir, c'est s'attacher par amour à une chose pour elle-même. User, c'est. faire servir ce qui tombe sous l'usage, à obtenir l'objet qu'on aime, si toutefois il peut être aimé. Car user d'une chose pour une fin illégitime, c'est moins un usage qu'un abus. Représentons-nous donc comme des voyageurs qui n'ont de bonheur à attendre que dans la patrie; désireux de la rejoindre pour mettre titi terme aux peines et aux misères de l'exil, nous avons besoin d'employer les véhicules nécessaires pour nous transporter sur terre ou sur mer jusqu'à cette patrie dont nous voudrions jouir. Mais si, captivés par les beautés du voyage et les douceurs mêmes du transport, nous nous arrêtons à jouir de ce dont il fallait seulement user, alors nous désirons voir la voie se prolonger, et sous l'empire d'un plaisir funeste, nous oublions la patrie dont les charmes devaient nous rendre heureux. Ainsi en est-il dans le cours de cette vie mortelle où nous voyageons loin du Seigneur (1); s'il est vrai que nous soupirions après la patrie où se rencontre le vrai bonheur, il faut user de ce monde et non pas en jouir; il faut s'en servir pour découvrir et admirer dans l'image des créatures, les grandeurs invisibles du Créateur (2), et s'élever ainsi de la vue des choses sensibles et passagères à la contemplation des choses spirituelles et permanentes.

 

 

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CHAPITRE V. L'OBJET DE NOTRE JOUISSANCE EST LA SAINTE TRINITÉ.

 

5. La Trinité sainte, Père, Fils et Saint-Esprit, tel est donc l'objet de notre jouissance. Chose unique dans son excellence et commune à tous ceux qui en jouissent, si toutefois nous pouvons l'appeler une chose, et non pas plutôt la cause de toutes choses; et encore ce dernier ternie suffit-il pour l'exprimer? Car il est difficile de trouver un nom qui convienne à un Eire si sublime, et ce que nous avons encore de plus expressif, est de dire que cette Trinité sainte est le Dieu unique; principe, soutien et fin de toutes choses (3). Ainsi le Pie et le Fils et l'Esprit-Saint sont chacun Dieu, et tous ensemble ne sont qu'un seul Dieu; chacun d'eux possède la plénitude de substance, et les trois ne sont qu'une même substance. Le Père n'est ni le Fils ni l'Esprit-Saint; le Fils n'est ni le Père ni l'Esprit-Saint, et l'Esprit-Saint n'est ni le Père ni le Fils, mais le

 

1. II Cor. V, 6. — 2 Rom. I, 20. —  3. Rom. XI, 38.

 

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Père est seulement le Père, le Fils seulement le Fils, et l'Esprit-Saint seulement l'Esprit-Saint. Aux trois appartiennent la même éternité, la même immutabilité, la même majesté et la même puissance. L'unité est dans le Père, l'égalité dans le Fils, et dans l'Esprit-Saint le lien de l'unité et de l'égalité. Et les trois sont tous trois un dans le Père, tous trois égaux dans le Fils, et tous trois unis dans l'Esprit-Saint.

 

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CHAPITRE VI. DIEU NE PEUT SE DÉFINIR.

 

6. Avons-nous dit et fait entendre un seul mot digne de Dieu? Non, sans doute, et je sens bien n'avoir eu que le désir de le faire, car ce que j'ai pu dire n'est pas ce que j'ai voulu dire. Si j'en ai la conviction, n'est-ce pas parce que Dieu est ineffable? Et si ce que ,j'ai dit était ineffable, aurais-je pu l'exprimer? Comment. même dire de Dieu qu'il est ineffable, puisque tout en lui. appliquant . cette expression, c'est en dire quelque chose? 11 existe ainsi je ne sais quelle contradiction dans les termes; car si l'on doit regarder comme ineffable ce qui ne peut s'exprimer, ce dont on peut dire seulement qu'il est ineffable, n'est plus ineffable. Prévenons par le silence cette lutte de mots, plutôt que de chercher à y mettre un terme par la discussion. Dieu cependant, dont on ne peut dignement parler, n'a point dédaigné l'hommage de la parole de l'homme, et il nous a fait un devoir de célébrer avec joie dans notre langage ses louanges et sa gloire. De là le nom même de Dieu, Deus, que nous lui donnons. Ce n'est point assurément le son de ces deux simples syllabes qui le fait connaître; mais lorsqu'elles viennent frapper les oreilles de tous ceux qui comprennent la langue latine, elles éveillent aussitôt dans leur esprit la pensée d'une nature immortelle et souveraine dans son excellence.

 

 

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CHAPITRE VII. TOUS LES HOMMES COMPRENNENT SOUS L'IDÉE DE DIEU L'ÊTRE LE PLUS EXCELLENT.

 

7. Quand, en effet, les hommes s'arrêtent à considérer le Dieu souverain, et je parle de

ceux-mêmes qui se figurent d'autres dieux dans le ciel ou sur la terre, à qui ils rendent des vœux et des hommages, toujours ils se le représentent comme la nature la plus excellente et la plus sublime que leur esprit puisse concevoir. Mais ils sont touchés par des biens de différente nature, les uns par les plaisirs des sens, d'autres par les plaisirs de l'esprit. Ceux donc qui se laissent captiver par les sens, regardent comme le Dieu souverain le ciel, ou ce qu'ils y voient de plus éclatant, ou le monde lui-même. Et ceux dont les conceptions s'élèvent au delà des limites de cet univers, imaginent quelque substance lumineuse qu'ils supposent infinie, et à laquelle ils prêtent, dans leurs vaines fictions, telle forme qu’ils jugent la plus parfaite; ils lui attribuent même la figure du corps humain, quand ils la préfèrent à toutes les autres. S'ils n'admettent pas l'existence d'un Dieu souverain de tous les dieux, mais en imaginent un nombre infini de même ordre, ils se représentent toujours chacun d'eux sous la forme corporelle qu'ils .jugent la plus parfaite. Quant à ceux qui cherchent à découvrir par l'intelligence ce qu'est Dieu, ils le placent au-dessus de toutes les natures visibles et corporelles, au-dessus même de toutes les substances intelligentes et spirituelles, au-dessus de tous les êtres muables. Tous proclament à l'envi l'excellence de la nature divine, et pas un- seul ne se rencontre qui regarde Dieu comme un être inférieur à quelqu'autre que ce soit. Ainsi tous reconnaissent d'une voix unanime pour Dieu toute substance qu'ils estiment au-dessus de toutes les autres.

 

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CHAPITRE VIII. DIEU EST LA SAGESSE IMMUABLE ET DOIT ÊTRE PRÉFÉRÉ A TOUT.

 

8. Tous ceux qui s'appliquent à se former l'idée de Dieu, le conçoivent comme une nature vivante; mais ceux-là seuls évitent de tomber dans des pensées absurdes et indignes de la divinité, qui le conçoivent comme la vie même. Car toutes les formes corporelles qui s'offrent à leurs regards leur apparaissent vivantes ou inanimées, et ils préfèrent celle qui possède la vie à celle qui en est privée. Ils comprennent aussi que cette forme corporelle vivante, quels que soient l'éclat dont elle brille, la grandeur qui la distingue et la (7) beauté dont elle est ornée, n'est pas la même chose que la vie qui l'anime, et ils attribuent à cette vie une excellence incomparable sur la matière à laquelle elle est unie. S'attachent-ils ensuite à considérer la vie en elle-même? ils estiment bien supérieure à la vie purement végétative des plantes, la vie sensitive des animaux, et plus parfaite que cette dernière, la vie intelligente de l'homme. Frappés de nouveau du caractère de mutabilité clé cette vie intelligente, ils se voient forcés de lui préférer encore une autre vie inaccessible au changement, c'est-à-dire cette vie qui ne s'écarte jamais des principes de la sagesse, et qui est proprement la sagesse même. Car l'esprit dont on dit qu’il est sage, c'est-à-dire qu'il a acquis la sagesse, n'était point sage avant de l'avoir acquise; tandis que la sagesse par essence n'a jamais cessé et ne peut jamais cesser d'être sage. Si les hommes ne connaissaient cette sagesse, ils ne préféreraient pas ainsi sans hésiter la vie immuablement sage à la vie sujette au changement. Car la règle de vérité elle-même qui leur fait porter ce jugement, leur apparaît avec ce caractère d'immutabilité, et cela dans une région supérieure à leur propre nature, puisqu'ils soient en eux le changement et la vicissitude.

 

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CHAPITRE IX. TOUS LES HOMMES PORTENT LE MÊME JUGEMENT.

 

9. Qui serait assez insensé pour oser dire Comment sais-tu qu'on doit préférer la vie et la sagesse immuables à la vie sujette au changement? Car la vérité dont on me demande l'origine, brille d'un éclat égal et invariable aux yeux de tous les hommes. Ne pas la saisir c'est ressembler à un aveugle en plein soleil; il ne lui sert de rien de recevoir sur les yeux les rayons d'une lumière aussi resplendissante. Mais malheur à qui la voit et la fuit! la vivacité de son esprit s'est émoussée dans l'amour des ombres charnelles. Et c'est ainsi que les désirs dépravés de leur coeur, comme autant de vents contraires, entraînent les hommes loin des rivages de leur patrie, pendant qu'ils s'attachent à des biens périssables et de moindre valeur que ceux dont ils reconnaissent la supériorité et l'excellence.

 

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CHAPITRE X. PURETÉ D’AME NÉCESSAIRE POUR VOIR DIEU.

 

10. Nous sommes donc destinés à jouir de cette vérité toujours vivante et immuable, et par laquelle la Trinité sainte, le Dieu souverain de l'univers, gouverne toutes ses créatures. Or, il faut purifier notre coeur pour le rendre capable d'apercevoir cette divine lumière et de s'y attacher une fois qu'il l'aura contemplée. Etablir en nous cette pureté, n'est-ce pas en quelque sorte marcher et naviguer vers la patrie ? Car Dieu est partout, et on s'approche de lui, non par les mouvements du corps, mais par la pureté des désirs et l'innocence des moeurs.

 

 

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CHAPITRE XI. LA SAGESSE INCARNÉE NOUS APPREND A PURIFIER NOTRE COEUR.

 

11. Nous serions sur ce point dans une impuissance absolue, si la Sagesse elle-même daignant s'accommoder à notre profonde infirmité, ne nous eût donné un modèle de vie, dans une nature semblable à la nôtre. Mais si la sagesse pour nous est d'aller vers elle; elle, en venant à nous, a passé aux yeux des hommes superbes comme ayant fait une folie. Et si nous retrouvons la force en allant à elle, elle, en venant vers nous, a été regardée comme faible et infirme. « Mais ce qui parait en Dieu une folie, est plus sage que tous les hommes, et ce qui parait en Dieu une faiblesse, est plus fort que tous les hommes (1). » Elle était elle-même la patrie, et elle s'est abaissée jusqu'à devenir la voie qui nous y conduit. Partout présente et visible à l'oeil du coeur qui est pur et sain, elle a daigné aussi se montrer sensiblement à ceux dont cet oeil intérieur était malade et souillé. « Car Dieu voyant que le monde avec la sagesse humaine ne pouvait le connaître dans les ouvrages de sa sagesse divine, il lui a plu de sauver par la folie de la prédication ceux qui croiraient en lui (2). »

 

1. I Cor. I, 26. — 2 Ibid. I, 21.

 

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CHAPITRE XII. COMMENT LA SAGESSE DIVINE EST VENUE A NOUS.

 

12. Ce n'est donc point en franchissant les espaces qu'elle est venue à nous, mais en apparaissant aux yeux des mortels sous l'enveloppe d'une chair mortelle. Elle est donc aussi venue là où elle était déjà, puisqu'elle était dans ce monde, et que par elle le monde a été fait. Mais entraînés par la passion de jouir de la créature plutôt que du Créateur, les hommes qui se conformaient à l'image de ce monde, et méritaient ainsi d'en porter le nom, n'ont point connu cette sagesse; de là cette parole tic l'évangéliste : « Et le monde ne l'a pas connu (1). » Ainsi le monde avec la sagesse humaine, ne pouvait connaître Dieu dans les ouvrages de sa sagesse divine. Pourquoi donc est-elle venue là ou elle était, sinon parce qu'il a plu à Dieu de sauver par la folie de la prédication ceux qui croiraient en lui ? Et comment est-elle venue? N'est-ce pas quand « le Verbe s'est fait chair et qu'il a habité parmi nous (2) ? » Quand nous parlons, la pensée intime de notre coeur devient un son, c'est-à-dire la parole sensible qui transmet cette pensée à l'esprit des auditeurs, en frappant leurs oreilles charnelles; et cette pensée néanmoins ne se change pas en la nature de ce même son, mais, conservant toute son intégrité sans aucune trace d'altération ni de changement, elle ne fait que revêtir la forme extérieure d'une voix qui l'insinue aux oreilles. Ainsi en est-il du Verbe divin; sans changer sa nature, il s'est fait chair pour habiter au milieu de nous.

 

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CHAPITRE XIV. COMMENT LA SAGESSE DIVINE A GUÉRI L'HOMME.

 

13. Cette divine Sagesse a voulu guérir et fortifier les pécheurs à la manière dont on rend la santé aux malades. A l'exemple des médecins qui s'appliquent à bander les blessures, non pas sans ordre, mais avec un certain art qui ajoute à l'utilité de leur appareil une agréable

 

1 Jean, I, 10. — 2. Ibid. I,14.

 

proportion, la Sagesse, en revêtant la nature humaine, a su proportionner ses remèdes à nos blessures, nous les appliquant tantôt d'une nature contraire, tantôt d'une forme semblable à celle du mal. Le médecin qui soigne une blessure du corps, emploie les contraires; il combat, par exemple, le chaud par le froid, le sec par l'humide, et ainsi du reste. Il emploie aussi les semblables; ainsi il applique un linge de forme arrondie on allongée à une blessure de cette forme; il ne fait pas servir la même ligature pour tous les membres sans distinction, mais il la réserve pour ceux auxquels elle peut naturellement s'adapter. C'est ainsi que la Sagesse divine s'est montrée elle-même dans ce qu'elle a fait pour guérir l'homme, se donnant à la rois et comme médecin et comme remède. L'homme était tombé par orgueil; elle a eu recours à l'humilité pour le relever, La sagesse du serpent nous avait trompés ; la folie de Dieu nous désabuse. La divine sagesse n'était que folie aux yeux de ceux qui méprisaient Dieu; et la divine folie est devenue la véritable sagesse pour ceux qui triomphent du démon. En abusant de l'immortalité, nous avions rencontré la mort; le Christ nous a l'ait retrouver la vie dans le bon usage qu'il a fait de notre mortalité. C'est du cœur corrompu de la femme que s'était répandue la contagion; c'est du corps pur et saint de la femme que nous est venue la guérison. A ce même genre de remèdes contraires appartiennent les vertus du Christ, dont l'imitation tend à déraciner nos vices. Voici maintenant les appareils conformes à la nature du mal, et semblables, pour ainsi dire, à des ligatures adaptées à nos membres malades et à nos blessures. Il est né de la femme pour délivrer ceux que la femme avait perdus; il s'est fait homme pour sauver les hommes, mortel pour sauver les mortels, et par sa mort, il a racheté ceux que la mort avait frappés. Il est bien d'autres traits semblables que je laisse à considérer plus au, long à ceux qui ne sont pas comme moi dans la nécessité de poursuivre un ouvrage commencé ; ils s'instruiront merveilleusement en voyant l'économie de la médecine chrétienne employer ces remèdes, semblables ou contraires.

 

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CHAPITRE XV. LA RÉSURRECTION ET L'ASCENSION DE JÉSUS-CHRIST SOUTIENNENT NOTRE FOI ; LE JUGEMENT LA STIMULE.

 

14. Maintenant la croyance à la résurrection et à l'ascension du Seigneur donne à notre foi l'appui d'une grande espérance. Elle nous fait comprendre, de la manière la plus saisissante, avec qu'elle plénitude de volonté le Christ a donné sa vie pour nous, puisqu'il a eu le pouvoir de la reprendre ainsi. Quelle douce et consolante confiance pour l'espérance des fidèles, lorsqu'ils considèrent toutes les souffrances que ce grand Dieu a supportées pour eux avant même qu'ils eussent la foi! Mais quelle frayeur pour les chrétiens lâches et sans ferveur, quand ils se le représentent descendant du ciel pour juger les vivants et les morts! Que cette pensée est propre à les ramener à la fidélité à leurs devoirs, et à les porter bien plus à désirer son avènement par une vie sainte, qu'à le redouter par une vie criminelle!          Et quelle langue pourra jamais exprimer, quel esprit pourra concevoir la magnifique récompense qu'il nous réserve à la fin de la carrière, puisque, pour nous consoler dans le pèlerinage de la terre, il répand sur nous avec abondance son divin Esprit, qui nous inspire, au milieu des adversités de cette vie, une si grande confiance et un si ardent amour pour Celui que nous ne pouvons encore contempler ; puisque enfin, pour l'instruction et l'édification de son Eglise, il verse sur chacun de ses membres des dons si variés, qu'il nous fait accomplir , non-seulement sans murmure mais avec joie, les devoirs qu'il nous impose ?

 

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CHAPITRE XVI. JÉSUS-CHRIST PURIFIE SON ÉGLISE.

 

15. Car l'Eglise, suivant la doctrine de l'Apôtre, est le corps du Christ; elle est aussi appelée son épouse (1). Ce corps mystique est composé de plusieurs membres voués à des fonctions différentes (2), et il leur communique la santé en les resserrant par les liens de l'unité et de la charité. Dans le cours de cette vie, il purifie son Eglise par des épreuves et des peines médicinales,

 

1. Ephès. V, 23. — 2. II Rom. XII, 4.

 

afin qu'après l'avoir tirée du siècle présent, il l'unisse à lui pour l'éternité, comme une épouse n'ayant ni tache, ni ride, ni rien qui lui déplaise (1).

 

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CHAPITRE XVII. LA VOIE DE LA PATRIE OUVERTE DANS LE PARDON DES PÉCHÉS.

 

16. Nous sommes donc présentement sur la voie de la patrie , sur cette voie qui se parcourt par la sainteté des affectons et non en franchissant les espaces. La malice de nos péchés l'avait fermée comme d'une barrière toute hérissée d'épines. Or celui qui s'est abaissé jusqu'à devenir lui-même la voie de notre retour, pouvait-il montrer plus de bonté et de miséricorde qu'en remettant leurs péchés aux cours repentants et convertis, et en se laissant clouer à la croix, pour renverser l'infranchissable barrière qui s'opposait à notre passage?

 

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CHAPITRE XVIII. LES CLEFS CONFIÉES A L'ÉGLISE.

 

17. Aussi Jésus-Christ a confié à son Eglise le pouvoir des clefs, en sorte que ce qu'elle lierait ou délierait sur la terre serait lié ou délié dans le ciel (2). Il établissait ainsi que les péchés ne seraient point pardonnés à ceux qui ne croiraient pas que l'Eglise peut les absoudre ; et que celui qui, placé dans son sein, reconnaîtrait en elle ce pouvoir, et s'éloignerait du péché par une vie nouvelle, obtiendrait, par le mérite de sa foi et de sa conversion, une guérison parfaite. Refuser de croire au pardon des péchés, n'est-ce pas se rendre plus criminel encore par le désespoir, puisqu'en doutant du fruit de sa conversion, on ne voit plus d'autre parti meilleur que celui de croupir dans le mal?

 

 

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CHAPITRE XIX. MORT ET RÉSURRECTION DU CORPS ET DE L’AME.

 

18. Maintenant l'âme subit un certain genre de mort, quand, par la pénitence, elle renonce à sa vie et à ses moeurs antérieures; ainsi le corps

 

1. Eph. V, 25-32. — 2. Matt. XVI, 19.

 

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meurt quand s'éteint le souffle qui l'animait et si l'âme après la pénitence qui a détruit ses moeurs dépravées, reprend une vie meilleure, aussi devons-nous croire et espérer que Je corps, après cette mort que nous devons tous comme un tribut au péché, sera heureusement transformé au jour de la résurrection, puisqu'il est impossible que la chair et le sang possèdent le royaume de Dieu. Alors ce corps corruptible et mortel sera revêtu de l'incorruptibilité et de l'immortalité (1) ; il ne ressentira plus l'aiguillon de la souffrance, parce qu'il vivra de la vie de l'âme parfaite et bienheureuse au sein du souverain repos.

 

 

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CHAPITRES XX ET XXI. RÉSURRECTION POUR LE CHATIMENT.

 

19. Mais l'âme qui ne meurt pas au siècle présent, et ne commence point à se conformer à l'image de la vérité, est frappée d'une mort bien plus déplorable que la mort corporelle ; elle vivra , non pour entrer en jouissance de la béatitude céleste, mais pour subir de terribles châtiments. C'est donc un point de foi dont il nous faut admettre l'incontestable vérité, que ni l'âme ni le corps ne périssent entièrement, mais que les impies ressusciteront pour des supplices impossibles à décrire, et les justes pour une vie éternellement heureuse.

 

 

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CHAPITRE XXII. DIEU SEUL OBJET DE NOTRE JOUISSANCE. .

 

20. De toutes les choses dont nous avons parlé, il ne faut jouir que de celles que nous avons désignées comme stables et éternelles, et pour y parvenir, user seulement de toutes les autres. Mais nous qui sommes appelés à cette jouissance et à cet usage, nous sommes nous-mêmes (lu nombre des choses. C'est en effet une grande chose que l'homme, formé à l'image et à la ressemblance de Dieu, non pas dans le corps mortel dont il est revêtu, mais dans son âme raisonnable qui l'élève si haut en dignité au-dessus des animaux. C'est donc une importante question de savoir si les hommes doivent jouir ou simplement user les uns des autres, ou s'ils

 

1. I Cor. XV, 50, 53.

 

peuvent l'un et l'autre. Car il nous a été ordonné de nous aimer les uns les autres ; mais il s'agit de savoir si l'homme doit aimer l'homme pour lui-même ou par rapport à un autre objet. L'aimer pour lui-même, c'est jouir de lui ; l'aimer par rapport à une autre objet, c'est seulement en user. Or je crois qu'on ne peut aimer l’homme que relativement à une autre fin ; car nous ne devons aimer pour lui-même que l'objet qui est le principe de notre béatitude, et bien qu'en réalité il soit encore absent, l'espérance seule de le posséder nous console en cette vie. Or il est écrit: « Maudit soit celui qui place son espérance en l'homme (1) !»

21. On ne peut même jouir de soi, puisqu'il est certain qu'on ne doit pas s'aimer pour soi-même, mais par rapport à celui dont on doit jouir. L'homme atteint sa plus grande perfection, lorsqu'il fait converger sa vie tout entière vers la vie immuable et s'y attache de toute son affection; mais s'il s'aime pour lui-même, il ne se rapporte plus à Dieu, il se rapporte à soi-même, et s'éloigne de ce qui est immuable. Aussi ne peut-il jouir de lui-même qu'à son détriment; car il est plus parfait lorsqu'il s'unit tout entier et se lie intimement au bien immuable, une lorsqu'il s'eu sépare pour se replier sur lui-même. Si tu ne dois pas t'aimer pour toi-même, mais relativement Celui qui est par excellence la fin directe de ton amour, personne autre n'a le droit de se plaindre, de ce que tu ne l'aimes que par rapport à Dieu. Voici en effet la règle divine de l'amour : « Tu aimeras, dit le Seigneur, ton prochain comme toi-même. Mais tu aimeras ton Dieu de tout ton coeur, de toute ton âme et de tout ton esprit (2). » Ainsi tu dois rapporter toutes tes pensées, toute ta vie et toute ton intelligence à Celui dont la main t'a départi ces mêmes biens dont tu lui fais hommage. En disant : « De tout ton coeur, de toute ton âme et de tout ton esprit, » il a voulu ne laisser aucune portion de notre vie qui ne fût consacrée à cet amour, et qui nous permît de placer ailleurs notre jouissance ; il demande que tout autre objet qui pourrait solliciter l'affection de notre coeur, soit reporté par le courant de l'amour divin au centre où il aboutit. Aimer son prochain selon la règle c'est donc aimer en même temps qu'il aime Dieu de tout son coeur, de toute son âme et de tout son esprit. En aimant ainsi son prochain

 

1. Jérém, XVII, 16. — 2. Lévit. XIX, 18; Deut. VI, 5. Matt, XXII, 37.

 

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comme soi-même, on absorbe l'un et l'autre amour dans le fleuve de l'amour divin lequel ne peut souffrir la moindre dérivation qui l'affaiblisse.

 

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CHAPITRE XXIII. L'HOMME S'AIME NATURELLEMENT. QUAND CET AMOUR EST-IL DÉSORDONNÉ!

 

22. Nous ne devons pas aimer indistinctement toutes les choses destinées à notre usage, mais celles-là seulement qui, par une destinée commune avec nous, se rapportent à Dieu, comme l'homme et l'ange, ou qui en vertu des rapports qui les rattachent à nous-mêmes, doivent recevoir par nous les dons de Dieu, comme notre corps.

Assurément les martyrs n'ont pas aimé le crime de leurs persécuteurs, et cependant ils ont fait servir ce crime à mériter la possession de Dieu. Il y a donc quatre objets différents qu'il nous faut aimer : le premier est au-dessus de nous, le second est nous-mêmes, le troisième est près de nous, et le quatrième au-dessous: Quant au second et au quatrième, il n'était besoin d'aucune loi qui prescrivit de les aimer. Car si loin que l'homme s'écarte de la vérité, jamais il ne perd l'amour de lui-même et de son corps. En fuyant la lumière immuable qui règne sur toutes choses, il cherche a devenir maître souverain de lui-même et de son corps; peut-il donc s'empêcher de s'aimer ainsi que son corps?

23. Il regarde même comme un immense avantage, de pouvoir dominer sur d'autres hommes ses semblables. C'est le propre du Cœur vicieux de désirer ardemment et de revendiquer comme un droit ce qui n'appartient proprement qu'à Dieu seul. Or un tel amour de soi mérite plutôt le nom de haine. Car c'est une injustice de vouloir ainsi dominer sur ce qui est inférieur à soi, tandis qu'on refuse sa propre soumission à une autorité supérieure ; et c'est bien à juste titre qu'il a été dit : « Celui qui aime l'iniquité hait son âme (1). » De là viennent les défaillances de l'âme qui trouve un continuel tourment dans son corps mortel. Car elle est inévitablement contrainte de l'aimer, et de gémir sous le fardeau de sa corruption. Le principe de l'immortalité et de l'incorruptibilité pour le corps réside dans la vie saine et parfaite de l'âme ;

 

1. Ps. X, 6.

 

cette vie, l'âme ne la puise que dans son attachement inébranlable au bien supérieur, c’est-à-dire au Dieu immuable. Mais celui qui aspire à dominer sur les hommes, que la nature a faits ses égaux, ne montre qu'un intolérable orgueil.

 

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CHAPITRE XXIV. PERSONNE NE HAIT SA PROPRE CHAIR, PAS MÊME CELUI QUI LA CHATIE.

 

24. Ainsi personne ne se hait soi-même. Cette vérité n'a jamais été contestée dans aucune secte. Personne non plus ne hait son propre corps, selon cette parole si vraie de l'Apôtre : « Nul ne hait sa propre chair (1). » Si donc il est des hommes qui assurent qu'ils préféreraient n'avoir point de corps, ils sont dans une complète erreur; car ce n'est pas leur corps, mais son fardeau et sa corruption qu'ils détestent. Ils voudraient en réalité, non pas exister sans corps, mais en posséder un qui fût agile et incorruptible; or comme ils n'ont pas d'autre idée de l'inné, à leurs yeux un corps dans de telles conditions n'en serait plus un. Il en est d'autres qui semblent diriger contre leur corps une sorte de persécution, en l'astreignant aux privations et aux travaux; s'ils savent se contenir dans de justes bornes, ils cherchent non pas à s'affranchir de ce corps, mais à le rendre soumis et propre à l'accomplissement du devoir. En le soumettant ainsi à des exercices pénibles et laborieux, ils tendent à faire mourir les passions qui font du corps un usage pervers, c'est-à-dire, ces habitudes et ces inclinations de l’âme  qui l'entraînent aux viles et basses jouissances. Loin de se donner la mort, ils veillent à la conservation de leur vigueur et de leur force.

25. Mais ceux qui, sous ce rapport, dépassent toute limite raisonnable, intentent la guerre à leur corps comme à un ennemi naturel. Ils ne comprennent pas cette parole de l'Ecriture : « La chair a des désirs contraires à ceux de l'esprit, et l'esprit en a de contraires à ceux de la chair : ils sont opposés l'un à l'autre (2). » l'Apôtre a voulu désigner ce penchant effréné de la chair contre lequel l'esprit s'élève et lutte, non pour faire périr le corps, mais pour le réduire sous sa puissance, comme l'exige l'ordre

 

1. Gal. V, 17. — 2. Eph, V, 13.

 

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naturel, en domptant sa concupiscence, son inclination perverse. Et puisqu'après la résurrection, le corps revêtu de l'immortalité doit vivre dans une perpétuelle soumission à l'esprit, au sein d'une paix inaltérable, ne doit-on pas s'efforcer dits cette vie, de réprimer l'inclination de la chair, de la tourner au bien, en sorte qu'elle ne résiste plus à l'esprit par des mouvements désordonnés ? Mais jusqu'à ce que ce but soit atteint, la chair s'élève contre l'esprit, et l'esprit contre la chair; l'esprit lutte, non par haine, mais par le sentiment de sa dignité et de sa puissance, parce qu'il veut que la chair qu'il aime soit soumise à ce qui lui est supérieur; la chair résiste, de son côté, noir par haine encore, mais par la force de l'inclination que la génération lui a transmise, et qui n'a l'ait que s'accroître et s'invétérer par les lois de la nature. En domptant la chair, l'esprit ne tend donc qu'à briser les liens funestes de l'inclination corrompue, et à faire naître la paix que donne l'inclination vertueuse. Quoi qu'il en soit, il est certain que ceux-mêmes qui détestent leur corps, par suite de faux préjugés, ne pourraient se résoudre à perdre, meure sans douleur, un de leurs yeux, dussent-ils voir avec l'autre seul aussi parfaitement qu'auparavant, s'ils n'y étaient déterminés par l'appât d'un avantage qu'ils jugeraient prépondérant. Cette réflexion suffit pour démontrer à ceux qui cherchent la vérité sans obstination, la certitude de cette parole de l'Apôtre : « Personne ne hait sa propre chair , » et de ce qu'il ajoute : « Mais il la nourrit et la soutient, comme le Christ son Eglise (1). »

 

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CHAPITRE XXV. QUEL AMOUR ON DOIT A SON CORPS.

 

26. Il faut donc prescrire à !'homme la mesure de son amour, c'est-à-dire la manière dont il doit s'aimer, pour que cet amour lui profite; car il y aurait folie à douter qu'il s'aime lui-même et qu'il cherche son propre avantage. Ce qu'il faut aussi lui prescrire, c'est la manière dont il doit aimer son corps; la mesure et la prudence avec laquelle il doit lui consacrer ses soins. Car il n'est pas moins incontestable qu'il aime ce corps et qu'il désire le conserver sain et entier. Or on peut aimer autre chose plus que le salut et l'intégrité de son corps. En effet il

 

1. Eph. V, 18.

 

s'est rencontré en grand nombre des hommes qui ont supporté volontairement les plus vives douleurs et la perte de quelques-uns de leurs membres, pour obtenir ce qu'ils aimaient encore davantage. Ce n'est donc pas une preuve qu'on n'aime pas le salut et l'intégrité de sur corps, parce qu'on lui préfère un autre bien. Ainsi malgré l'amour que l'avare éprouve pour l'argent, il ne laisse pas que d'acheter du pain, et dans ce but il donne son argent, qu'il aime passionnément, et désire accroître sans cesse; mais il estime encore plus la vie de son corps que ce pain doit soutenir. Il serait superflu de nous arrêter plus longtemps sur une vérité aussi claire, et cependant c'est une nécessité que nous imposent trop souvent les erreurs des impies.

 

 

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CHAPITRE XXVI. DU COMMANDEMENT QUI PRESCRIT L'AMOUR DE DIEU, DU PROCHAIN ET DE SOI-MÊME.

 

27. Si donc il n'est pas nécessaire de prescrire à l'homme l'amour de lui-même et de son corps; si aimer ce que nous sommes et la partie inférieure de nous-mêmes, c'est une toi imprescriptible de la nature qui s'étend jusqu'aux animaux , lesquels s'aiment ainsi que leur corps,il ne faillait un commandement d'amour que relativement à l'Etre souverain placé au dessus  de nous, et à notre . semblable qui est notre prochain. « Tu aimeras, dit la loi, ton Dieu de tout ton coeur, de toute ton unie et de tout ton esprit, et tu aimeras ton prochain comme toi-même. Toute la loi et les prophètes sont renfermés dans ces deux commandements (1). » La fin du précepte est donc l'amour (2), et un double amour, de Dieu et du prochain. Si maintenant tu te considères tout entier, ton âme et ton corps; si tu considères également ton prochain dans ces deux parties constitutives de l'homme, tu reconnaîtras que dans ces deux préceptes a été compris tout ce qui doit. être l'objet de notre amour. En plaçant l’amour de Dieu au premier rang, et en nous le prescrivant de manière que tous les mouvements de notre coeur viennent s'y confondre, il semble que la loi n'ait point parlé de l'amour de nous-mêmes; mais quand il a été dit : « Tu aimeras ton prochain comme toi-même, » c'était bien en même temps exprimer cet amour.

 

1. Math. XXII, 37-40. —  2. I Tim. I, 5.

 

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CHAPITRE XXVII. ORDRE DANS LEQUEL ON DOIT AIMER.

 

28. L'homme qui vit selon les lois de la justice et cite la sainteté, est celui qui sait estimer les choses à leur véritable valeur ; en lui l'amour est parfaitement ordonné. Il n'aime pas ce qu'il ne faut pas aimer, et il aime ce qu'il doit aimer; moins une chose est aimable, moins il l'aime ; la mesure de son amour s'étend ou se rétrécit selon que l'objet est plus ou moins aimable, et elle reste égale pour ce qui est également digne d'amour. Tout pécheur considéré comme pécheur ne peut être aimé ; et tout homme en tant qu'homme doit être aimé par rapport à Dieu, et Dieu pour lui-même. Si donc Dieu doit être aimé plus que tout homme, chacun doit aimer plus que soi-même. Nous devons aussi aimer le prochain plus que notre corps; parce que nous devons tout aimer relativement à Dieu et que le prochain est appelé à partager avec nous la jouissance de cet Etre souverain ; privilège qui n'appartient pas au corps, puisqu'il n'a de vie que par notre âme, qui seule nous fait jouir de Dieu.

 

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CHAPITRE XXVIII. QUI DOIT-ON SECOURIR DE PRÉFÉRENCE

 

29. On doit un égal amour à tous les hommes; mais comme il nous est impossible de faire du bien à tous, il faut consacrer de préférence nos services à ceux qu'en raison, des temps, des lieux, ou de toute autre circonstances, le sort nous a en quelque sorte plus étroitement unis. Car si vous aviez un superflu, dont il faudrait gratifier l'indigence, sans pouvoir en faire deux parts, et que vous rencontriez deux malheureux dont aucun ne pourrait se prévaloir da litre d'une misère plus profonde ou d'une amitié plus intime, rien de plus juste alors que de déterminer par le sort celui à qui vous devriez donner ce qu'il vous serait impossible d'accorder aux deux en même temps ; ainsi en est-il à l'égard des hommes ; ne pouvant étendre vos faveurs à tous, regardez comme vous étant d signés par le sort ceux que les circonstances de cette vie vous rattachent par des liens plus étroits.

 

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CHAPITRE XXIX. ON DOIT TENDRE A CE QUE DIEU SOIT UNIVERSELLEMENT AIMÉ.

 

30. L'amour que nous avons pour tous les hommes appelés de concert avec nous à la jouissance de Dieu, s'étend à ceux que nous assistons ou qui nous assistent, à ceux dont nous soulageons l'indigence ou qui peuvent soulager la nôtre, et à ceux mêmes avec lesquels nous n'avons aucun échange de services réciproques. Or, nous devons désirer de les voir tous partager notre amour pour Dieu, et faire converger à cette fin tous les services que nous leur rendons ou que nous recevons de leur part. Dans ces théâtres où règnent la licence et la corruption, on voit un spectateur se prendre d'affection pour un comédien, et mettre son plus grand bonheur à le voir exceller dans son art ; il aime tous ceux qui partagent son sentiment, non en leur propre considération, mais en vile de celui qui est l'objet de leur affection commune ; plus son amour est vif et ardent, plus il s'attache à faire briller son talent et à lui concilier les coeurs ; s'il voit quelqu'un rester insensible, il essaie de vaincre sa froideur en l'accablant des louanges de son favori ; s'il en rencontre un autre qui haïsse celui qu'il aime., il s'irrite contre cette haine, et multiplie ses efforts pour arriver à l'éteindre. Et nous, que ne devons-nous pas faire polir étendre et propager l'amour de Dieu, dont la jouissance est le principe du vrai bonheur ; de Dieu, dont ceux qui l'aiment tiennent tout ce qu'ils sont, jusqu'à cet amour même ; de Dieu, dont nous n'avons pas à craindre qu'il puisse déplaire à ceux qui l'ont une fois connu ; de Dieu enfui, qui veut; être aimé, non pour son propre avantage,- mais pour donner à ceux qui l'aiment une récompense éternelle, qui sera de le posséder lui-même? De là vient que nous aimons jusqu'à nos ennemis; et qu'aurions-nous à craindre d'eux puisqu'ils ne peuvent nous enlever l'objet de notre amour? Ils nous inspirent plutôt une affectueuse compassion, car ils ont le malheur de nous haïr d'autant plus qu'ils sont plus éloignés du Dieu que nous aimons. S'ils reviennent à lui, ils sont invinciblement entraînés à l'aimer, comme la source du vrai bonheur, et à nous aimer (14) nous-mêmes, comme étant destinés à partager avec eux la même félicité.

 

 

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CHAPITRE XXX. TOUS LES HOMMES ET LES ANGES MÊMES SONT NOTRE PROCHAIN.

 

31. Ici se présente une question à propos des anges. Pour eux aussi le bonheur consiste dans la jouissance de Celui que nous désirons voir un jour l'objet de la nôtre ; et plus nous jouissons de lui en cette vie, à travers les voiles qui nous le cachent, ou dans les images qui nous le représentent, plus notre pèlerinage nous devient doux et facile, et plus nous désirons ardemment en toucher le ternie. Il n'est donc pas hors de propos d'examiner si l'obligation d'aimer les anges est comprise dans les deux préceptes dont nous avons parlé. Que l'amour du prochain ne souffre d'exception pour aucun d'entre les hommes, le Seigneur dans l'Evangile et l'apôtre Paul l'attestent formellement. Car un jour que le Seigneur exposait à un docteur de la loi les deux préceptes de l'amour, lui disant que toute la loi et les prophètes y étaient renfermés, ce docteur lui adressa cette question: « Qui donc est mon prochain ? » Alors le Sauveur lui proposa la parabole d'un homme qui descendait de Jérusalem à Jéricho ; cet homme tomba entre les mains des voleurs qui le blessèrent gravement et s'en allèrent, le laissant abattu et à demi-mort. Jésus montra alors que celui-là seul avait été son prochain qui, touché de son malheur, avait pris soin de guérir ses blessures, ce dont le docteur ne put s'empêcher de convenir lui-même. Et le Seigneur lui dit: « Va et fais de même (1), » voulant nous laisser entendre que le prochain est celui envers qui on doit exercer la miséricorde, s'il est dans le besoin, ou qu'il faudrait soulager, si son indigence le réclamait. Delà découle déjà cette conséquence, que celui dont nous sommes en droit d'attendre le même office est aussi notre prochain. Car le nom même supposé le rapport mutuel de deux êtres; nous ne pouvons être le prochain de quelqu'un, qu'il ne soit le nôtre. Or, qui ne voit qu'il n'est pas un seul homme qu'on ne doive soulager et secourir, quand ce devoir s'étend jusqu'aux ennemis mêmes, selon cette parole du Seigneur : « Aimez

 

1. Luc, X, 27, 37.

 

vos ennemis, faites du bien à ceux qui vous haïssent (1) ? »

32. Telle est aussi la doctrine de l'apôtre Paul, quand il dit : « Ces commandements : tu ne commettras point d'adultère, tu ne tueras point, tu ne déroberas point, tu ne désireras point le bien d'autrui, et s'il y en a quelqu'autre semblable, tous ces commandements sont compris en abrégé dans cette parole : Tu aimeras ton prochain comme toi-même. L'amour qu'on a pour son prochain ne souffre pas qu'on lui fasse aucun mal (2) . » Penser que l'Apôtre n'a pas étendu ce précepte à tous les hommes, c'est être contraint d'avouer, ce qui est le comble de l'absurdité et du crime, qu'à ses yeux il n'y a point un péché à abuser de la femme d'un infidèle ou d'un ennemi, à le mettre à mort ou à convoiter son bien ; si c'est folie de le prétendre, n'est-il pas incontestable qu'on doit regarder tout homme comme son prochain, puisqu'il n'est permis de faire de mal à personne?

33. Maintenant si le nom de prochain s'applique tant à celui envers qui nous devons exercer la miséricorde, qu'à celui qui doit la pratiquer à notre égard, il est de toute évidence que le précepte qui nous ordonne d'aimer le prochain, comprend par là même les saints anges, puisqu'ils nous donnent les preuves les plus frappantes d'une miséricordieuse compassion, ainsi que l'attestent un si grand nombre de passages des divines Ecritures. C'est d'après ce principe que le Seigneur notre Dieu a daigné appeler lui-même notre prochain. Car Jésus-Christ s'est peint sous les traits du Samaritain secourant ce malheureux, abandonné sur le chemin par les voleurs, couvert de blessures et à demi-mort. Et le Prophète disait dans sa prière : « J'avais pour chacun d'eux de la complaisance, comme pour un proche et pour un frère (3). »

Mais comme la substance divine est élevée par son excellence bien au-dessus de notre nature, le précepte de l'amour de Dieu a été distingué de celui du prochain. Dieu exerce la miséricorde à notre égard par l'inclination de sa bonté, et nous la pratiquons les uns vis-à-vis des autres à cause de cette même bonté ; en d'autres termes, Dieu a compassion de nous pour nous faire jouir de lui, et nous avons compassion les uns des autres pour mériter cette jouissance.

 

1. Matt. V, 44. — 2 Rom. XIII, 9. — 3. Ps. XXXIV, 14.

 

 

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CHAPITRE XXXI. DIEU SE SERT DE NOUS ET N'EN JOUIT PAS.

 

34. Quand nous disons que nous jouissons d'une chose que nous aimons pour elle-même que nous ne devons jouir que de l'objet qui nous rend heureux, et user seulement de tous les autres, il semble qu'il reste sur ce point quelque obscurité à dissiper. Car Dieu nous aime, et chaque page des divines Ecritures nous rappelle son amour. Comment donc nous aime-t-il? Veut-il se servir de nous ou bien en jouir? Sil place en nous sa jouissance, il a donc besoin de nos biens; ce qu'on ne peut raisonnablement admettre. Tout le bien qui est en nous est-il autre que lui-même, ou ne procède-t-il pas de lui? Qui peut douter que la lumière n’a nul besoin de l'éclat des êtres qu'elle éclaire elle-même? Le Prophète aussi proclame la même vérité : « J'ai dit au Seigneur : vous êtes mon Dieu, et vous n'avez aucun besoin de mes biens (1). » Dieu donc ne jouit pas, mais il se sert de nous. En dehors de cette jouissance ou de cet usage, je ne vois pas comment il nous aimerait.

 

 

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CHAPITRE XXXII. COMMENT DIEU SE SERT DE L'HOMME.

 

35. Mais en Dieu l'usage est bien différent du nôtre. Nous usons des créatures pour parvenir à la possession de sa bonté infinie, et il use de nous pour manifester cette bonté. C'est parce qu'il est bon que nous avons l'existence, et nous ne sommes bons que dans la mesure de notre être. Comme d'ailleurs il est juste, nous ne pouvons faire le mal impunément; et notre être diminue en raison du mal que nous commettons. La souveraineté et la primauté de l'être n'appartiennent qu'à Celui qui possède l'immutabilité parfaite, et qui a pu dire en toute vérité. « Je suis l’ETRE. » Et : « Tu leur diras : C'est l’ETRE qui m'a envoyé vers vous (2). » En sorte que toutes les autres existences ne sont que par lui, et ne participent à la bonté qu'autant qu'elles participent à l'être. Dans l'usage qu'il fait de nous, Dieu donc n'en

 

1. Ps. XVI, 1. — 2. Exod. III, 14.

 

visage pas sa propre utilité,      mais la nôtre ; l'unique fin qu'il se propose, c'est la manifestation de sa bonté. Pour nous, quand touchés (le compassion pour quelqu'un, nous lui consacrons nos soins, nous avons bien en vue de procurer son avantage, mais par une mystérieuse conséquence, nous assurons par là même le nôtre, puisque Dieu ne laisse pas sans récompense la miséricorde exercée à l'égard (le l'indigent. Cette récompense souveraine est de jouir de lui, et de pouvoir tous, en participant à cette jouissance, jouir aussi en lui les uns des autres.

 

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CHAPITRE XXXIII. COMMENT IL FAUT JOUIR DE L'HOMME.

 

36. Etablir en nous cette jouissance, c'est nous arrêter sur la voie, et n'attendre plus que de l'homme ou de l'ange le bonheur que nous espérons. C'est la prétention de l'homme orgueilleux et de l'ange superbe; ils se plaisent à voir d'autres créatures placer en eux leurs espérances. Bien différente est la conduite de l'homme saint et de l'ange fidèle. Quand ils nous voient, au milieu des fatigues de notre pèlerinage, chercher à fixer en eux notre repos, ils ne songent qu'à raviver nos forces, en nous appliquant les secours que la main divine leur a confiés pour nous, et même en nous faisant part des faveurs particulières dont ils sont comblés; et après nous avoir ainsi rendu une nouvelle ardeur, ils nous pressent de poursuivre notre marche vers Celui dont la jouissance nous fera goûter avec eux un égal bonheur. C'est pourquoi l'Apôtre s'écrie : « Est-ce Paul qui a été crucifié pour vous? ou avez-vous été baptisés au nom de Paul (1) ? » Et encore : « Ce n'est pas celui qui filante ou qui arrose qui est quelque chose, mais Dieu seul qui donne l'accroissement (2). » Et l'ange n'a-t-il pas soin d'inviter l'homme qui l'adore, à n'adorer que le Seigneur, dont il n'est comme lui que le serviteur (3)?

37. Mais si tu jouis de l'homme en Dieu, c'est moins l'homme alors, c'est plutôt Dieu qui devient l'objet de ta jouissance. Car tu jouis de Celui qui fait ton bonheur, et ta joie sera d'être parvenu à Celui qui seul soutenait ton espérance. C'est pourquoi saint Paul écrivait à Philémon : « Oui, mon frère, que je jouisse de

 

1. I Cor. I, 13. — 2. Ib. III, 7. — 3 Apoc. XIX,10.

 

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toi dans le Seigneur (1). » S'il eût dit seulement : « que je jouisse de toi, » sans ajouter : « dans  le Seigneur, » c'était établir en lui l'espoir de son bonheur. Il est vrai qu'user d'une chose avec plaisir, c'est en quelque sorte en jouir; car la présence d'un objet aimé emporte nécessairement avec elle une certaine délectation. Si tu la reçois sans t'y arrêter, et si tu la reportes en Celui qui doit être le centre de ton repos, tu n'auras tait qu'en user : elle ne pourra s'appeler une véritable jouissance. Mais, si tu viens à y attacher et à y fixer ton cœur, en la constituant ainsi comme le terme de ta joie, tu en fais l'objet d'une véritable jouissance, que tu ne dois chercher qu'en la Trinité sainte, seul bien souverain et immuable.

 

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CHAPITRE XXXIV. LE CHRIST EST LA PREMIÈRE VOIE QUI MÈNE A DIEU.

 

38. N'est-il pas surprenant que la Vérité éternelle, le Verbe par qui tout a été créé, s'étant fait chair pour habiter au milieu de nous, saint Paul dise cependant : « Si nous avons connu » Jésus-Christ selon la chair, maintenant nous « ne le connaissons plus de cette sorte (2) ? » Car Dieu ayant voulu se donner, non-seulement comme la possession de ceux qui parviennent à lui, mais encore comme la première voie qui y conduit, a daigné revêtir notre chair. De là cette parole : « Dieu m'a créé au commence« ment de ses voies (3); » et Jésus-Christ devait être le point de départ pour ceux qui voudraient aller à Dieu. Mais quand l'Apôtre écrivait cette parole, quoiqu'il fût encore sur la voie et qu'il s'efforçât de remporter le prix de la félicité céleste à laquelle Dieu l'appelait, oubliant ce qui était derrière lui, et s'avançant vers ce qui était en avant, il avait alors dépassé le commencement de la carrière; il n'avait plus besoin de ces moyens, nécessaires, pour entrer dans la voie, à tous ceux qui désirent arriver à la vérité et établir leur repos dans l'éternelle vie. Car le Christ a dit : « Je suis la voie, la vérité et la vie (5) ; » c'est-à-dire, c'est par moi que l'on vient, c'est à moi que l'on arrive, et c'est en moi que l'on demeure. Car arriver au Fils; c'est arriver aussi au Père

 

1. Phil. 20. — 2. II Cor. V, 46. — 3. Prov. VIII, 32. — 4. Philip.  III, 12-14. — 5. Jean, XIV, 6.

 

que nous connaissons par le Fils qui est son égal; et l'Esprit-Saint, par des liens ineffables, nous unit pour toujours au bien souverain et immuable. Or ce qui nous fait comprendre qu'aucune créature ne doit nous arrêter sur notre chemin, c'est que le Seigneur lui-même ne nous a pas permis de nous fixer en lui, en tant: qu'il s'est donné comme notre voie, mais seulement de passer par lui; il voulait nous Miter le danger de nous attacher dans notre faiblesse aux choses sensibles et passagères, à celles mêmes qu'il s'était unies, et qu'il avait accomplies pour notre salut; il voulait nous les faire servir plutôt à accélérer notre marche et à mériter de parvenir jusqu'à Celui qui a délivré notre nature des misères du temps, et l'a placée à la droite du Père.

 

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CHAPITRE XXXV. L'AMOUR DE DIEU ET DU PROCHAIN EST LA PLÉNITUDE ET LA FIN DE L'ÉCRITURE.

 

39. Tout ce que nous avons pu dire jusqu'alors en traitant des choses, se résume à établir cette grande vérité, que la plénitude et la fin de la loi et de toutes les divines Ecritures, consiste dans l'amour de l'objet dont nous devons jouir, et de la créature qui doit en jouir avec nous (1); car il n'était pas nécessaire de commander à l'homme de s'aimer lui-même. Pour nous donner la connaissance de cette loi d'amour et le pouvoir de l'accomplir, la divine Providence, en vue de notre salut, nous a tracé l'usage que nous devons faire des choses de la vie présente; elle nous prescrit de n'y point placer notre amour et notre joie comme dans leur terme, mais de n'y attacher qu'une affection transitoire, comme on aime le chemin que l'on suit, le véhicule qui transporte, ou autre chose semblable; nous ne devons aimer ces appuis de notre faiblesse qu'en vue du terme vers lequel ils nous portent.

 

 

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CHAPITRE XXXVI. CE QU'IL FAUT PENSER D'UNE INTERPRÉTATION DEFECTUEUSE DE L'ÉCRITURE, SI ELLE SERT A ÉDIFIER LA CHARITÉ.

 

40. C'est donc à tort qu'on se flatterait de comprendre les divines Ecritures en tout; ou

 

1. Rom. XIII, 10; I Tim. 1,5.

 

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en partie, si cette connaissance ne sert pas à établir le double amour de Dieu et du prochain : c'est ne pas en avoir encore la moindre intelligence. Mais celui qui en exprime un sens propre à édifier cette même charité, sans toutefois rendre la pensée de l'écrivain sacré dans le passage qu'il interprète, se trompe à la vérité ; cependant son erreur n'est point dangereuse, et réellement il ne ment point. Le mensonge, en effet, suppose en celui qui l'émet l'intention délibérée de dire une fausseté, et c'est pourquoi nous rencontrons tant d'hommes qui veulent bien mentir et pas un seul qui supporte d'être trompé. Si donc l'homme émet sciemment le mensonge , et se laisse tromper que par l'ignorance, il est évident que, sur le même sujet, la condition de l'homme trompé est préférable à celle du menteur; car il vaut mieux être victime de l'injustice que de la commettre. Or, mentir, c'est commettre une injustice; et penser que le mensonge peut être quelquefois utile, c'est s'obliger à en dire autant de l'injustice. Mentir, c'est par là même être infidèle, puisque c'est exiger de celui que l'on trompe une foi que l'on viole à son égard. Mais tout violateur de la foi est injuste; donc ou l'injustice est quelquefois utile, ce qui est impossible, ou bien il faut admettre que le mensonge ne le sera jamais.

 

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CHAPITRE XXXVII. ON DOIT INSTRUIRE UN INTERPRÈTE QUI SE TROMPE.

 

41. L'interprète qui donne aux divines Ecritures un sens différent de celui de l'auteur sacré, tombe dans l'erreur, malgré leur infaillible véracité; mais, comme je l'ai observé, si son erreur est propre à édifier la charité, qui est la fin des commandements, elle ne ressemble qu'à celle du voyageur qui abandonne son chemin, et qui së rend à travers la campagne au terme où ce chemin devait le faire aboutir. Toutefois on doit redresser son erreur, et lui faire comprendre toute l'importance qu'il y a de ne pas s'écarter de la voie, dans la crainte que l'habitude d'en sortir ne l'entraîne dans une direction opposée ou dangereuse. Car en donnant sur un point une interprétation téméraire qui ne rend pas la pensée de l'auteur inspiré, il rencontre presque toujours des détails qu'il ne peut faire accorder avec son

sentiment. S'il admet que ces passages ne contiennent rien que de vrai et d'incontestable, l'interprétation qu'il avait émise ne peut qu'être faussé; et alors, par une conséquence inexplicable, l'attachement à son propre sens le conduit à condamner plutôt la parole de l'Ecriture que son sentiment privé; et s'il s'abandonne à ce travers funeste, il y trouvera infailliblement sa ruine. « Car nous marchons ici-bas par la foi, et non encore par la claire vue (1). » Or la foi devient chancelante dès que l'autorité des divines Ecritures est ébranlée : et dès lors que la foi chancelle, la charité elle-même se refroidit. Ainsi perdre la foi c'est perdre nécessairement la charité ; car comment aimer ce qu'on ne croit pas exister ? Mais quand on croit et que l'on aime, quand de plus la vie est sainte et pure , on sent naître en même temps l'espérance de parvenir à l'objet aimé. Toute science et toute interprétation de l'Ecriture est donc fondée sur ces trois vertus : la foi, l'espérance et la charité.

 

 

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CHAPITRE XXXVIII. LA CHARITÉ DEMEURE ÉTERNELLEMENT.

 

42. A la foi succèdera la claire vue de l'essence divine, et à l'espérance la béatitude elle-même à laquelle nous tendons. Mais quand la foi et l'espérance auront disparu, la charité n'en sera que plus ardente et plus parfaite. Car si la foi nous fait aimer ce que nous ne voyons pas encore, que sera-ce quand nous pourrons le contempler? Et si par l'espérance nous aimons la gloire après laquelle nous soupirons, quel ne sera pas notre amour quand nous en sera donnée la possession? Voici en effet la grande différence entre les biens du temps et ceux de l'éternité : on aime davantage les premiers avant de les posséder, et on les méprise aussitôt qu'on en jouit : peuvent-ils en effet combler les désirs d'un cœur qui ne trouve son vrai repos que dans l’éternité? Mais la possession des biens éternels nous les fait aimer plus vivement que quand nous étions encore à les espérer. Non, celui qui les désire ne les estimera jamais au delà de leur valeur; jamais il n'aura à les mépriser, ni à les trouver au-dessous de l'idée qu'il s'était formée; quelque haute estime qu'il en conçoive en cette vie,

 

1. I Cor. V, 7.

 

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la possession les lui découvrira bien autrement précieux encore.

 

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CHAPITRE XXXIX. L'ÉCRITURE N'EST POINT NÉCESSAIRE A L'HOMME QUI POSSÈDE LA FOI, L'ESPÉRANCE ET LA CHARITÉ.

 

 

43. Ainsi l'homme dont la vie a pour fondement inébranlable la foi, l'espérance et la charité, n'a besoin de l'Ecriture que pour instruire les autres. N'est-ce pas sous la direction de ces trois vertus que tant de cénobites passent saintement leur vie dans la solitude, sans le secours des saints Livres ? Aussi il nie semble qu'en eux s'est déjà accomplie cette parole : « Les prophéties s'anéantiront, les langues cesseront, et la « science sera abolie (1). » Reconnaissons toutefois que les saintes Lettres ont servi à développer en eux la foi, l'espérance et la charité, au point que, arrivés au sommet de la perfection, ils ne s'attachent plus à rien de ce qui est imparfait. Je ne parle que de cette perfection qui est possible sur la terre; car en regard de la vie future, il n'est point d'homme juste et saint dont la vie puisse ici-bas se dire parfaite. C'est pourquoi, selon, l'Apôtre : « Ces trois vertus, la foi, l'espérance et la charité demeurent à présent, mais la charité est la plus excellente des trois (2). » Car lorsque nous mettrons le pied sur le seuil de l'éternité, la foi et l'espérance disparaîtront, et la charité n'en restera que plus ardente et plus inébranlable.

 

1. Cor. XIII, 8. — 2. Ibid. 13.

 

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CHAPITRE XL. DANS QUEL ESPRIT ON DOIT LIRE L'ÉCRITURE.

 

44. Celui donc qui connaîtra fille la fin de la loi, c'est la charité qui naît « d'un coeur pur, d'une bonne conscience et d'une foi sincère (1) » et qui veut rapporter à ces trois vertus toute l'intelligence des Ecritures , peut avec confiance s'adonner à l'interprétation de ces divins Livres. L'Apôtre, en effet; dit de la charité, qu'elle « naît d'un coeur pur, » afin que l'on n'aime rien qui ne soit digne d'amour. Il dit encore : « d'une conscience bonne, » pour assurer un fondement à l'espérance; car comment espérer d'obtenir jamais ce qu'on croit et ce qu'on aime, si l'on sent en soi les remords d'une conscience criminelle ? Il ajoute enfin : « d'une foi sincère , » parce que si notre foi est dégagée de toute erreur, nous n'aimons pas ce qu'il ne faut pas aimer, et en menant une vie innocente nous avons la douté confiance que notre espoir ne sera point confondu.

Je crois avoir parlé des choses qui renferment l'objet de notre foi, dans la mesure qui me semble suffisante pour les circonstances présentes, cette matière ayant déjà été traitée ailleurs assez amplement soit par moi, soit par d'autres. Nous terminons donc ici ce livre. Nous consacrerons le reste de notre travail à parler des signes, selon les lumières que Dieu nous accordera.

 

1. I Tim. 1, 6.

 

 

 

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LIVRE DEUXIÈME.

 

Saint Augustin traite ici des signes et des termes en usage dans l'Ecriture.            — Il démontre que la plupart du temps la difficulté d'assigner au texte sacré son vrai sens, tient à ce que ces signes sont inconnus ou équivoques. — Après avoir tracé le canon des Livres saints, il indique quelles sont les langues qu'il faut savoir, et les diverses connaissances qu'il est utile d'acquérir, pour bien comprendre le langage des écrivains inspirés. — Il répudie les sciences superstitieuses des païens et termine en rappelant avec quelles dispositions on doit entreprendre l'étude des Ecritures.

 

 

CHAPITRE PREMIER. NATURE DU SIGNE ET SES DIFFÉRENTES ESPÈCES.

 

1. Au commencement du livre précédent, où j'ai traité des choses, j'ai fait observer qu'on ne devait considérer que ce qu'elles sont en elles-mêmes, sans s'arrêter à ce qu'elles pouvaient signifier d'ailleurs. Ayant à parler des signes, je préviens au contraire qu'il ne faut pas s'attacher à ce qu'ils sont en eux-mêmes, mais à leur propriété significative, ou à l'objet qu'ils désignent. On entend par signe ce qui, outre l'objet qu'il offre à nos sens, fait naître dans notre esprit l'idée d'une autre chose. Ainsi la vue des traces d'un animal nous découvre son passage ; la fumée nous révèle l'existence du feu caché à nos regards; le cri poussé par quelqu'un manifeste le sentiment qui l'agite; le son de la trompette apprend aux soldats quand, dans le combat, ils doivent avancer, rétrograder ou exécuter tout autre mouvement.

2. Les signes sont naturels ou artificiels. Les signes naturels sont ceux qui, en dehors de toute détermination particulière, font connaître par eux-mêmes un autre objet : telle est la fumée qui révèle le feu. Il n'y a ici aucune convention arbitraire, puisqu'on sait par expérience que nécessairement il y a du feu là où l'on voit s'élever la fumée. Comme signes du même genre, nous citerons encore les traces qu'imprime sur la terre un animal dans son passage ; l'aspect du visage où se peint la colère ou la tristesse de l'homme agité par ses passions : sans nul dessein prémédité de notre part; nos traits sont comme un miroir où viennent se refléter les divers mouvements de notre âme . Il n'entre pas dans notre plan de traiter de cette sorte de signes . Cependant comme ils se sont rencontrés dans notre division, nous n'avons pu les passer entièrement sous silence; nous nous bornerons à ce qui vient d'en être dit.

 

 

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CHAPITRE II. QUELS SIGNES SONT L'OBJET DE CE LIVRE.

 

3. Les signes artificiels sont ceux que les êtres animés se donnent mutuellement pour manifester , autant qu'il est possible, leurs pensées, leurs sentiments, et les différents mouvements de leur âme. L'unique fin que l'on se propose en adressant un signe à quelqu'un, c'est d'exprimer et de faire passer dans son esprit ce que l'on conçoit dans le sien. Nous consacrerons notre travail à étudier les signes de ce genre, selon qu'ils sont en usage parmi les hommes; puisque les signes (20) d'institution divine que renferment les saintes Ecritures nous ont été marqués par les hommes qui les y ont insérés. Les animaux ont aussi entre eux certains signes par lesquels ils communiquent leurs sensations. Quant le coq rencontre quelque nourriture, d'un signe de sa voix il fait accourir la poule; les colombes s'appellent mutuellement par leur cri plaintif; et combien d'autres faits semblables il est facile de remarquer ! Quant à décider si les signes expriment les mouvements de l'âme indépendamment de la volonté, comme l'aspect du visage et le cri de la douleur; ou si, en réalité, ils ne les expriment qu'en vertu d'une convention arbitraire, c'est une question étrangère à notre sujet, et que nous laissons de côté comme inutile.

 

 

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CHAPITRE III. LA PAROLE EST AU PREMIER RANG PARMI LES SIGNES.

 

4. Parmi les signes dont se servent les hommes pour se communiquer leurs pensées, quelquesuns ont rapport au sens de la vue, le plus grand nombre au sens de l'ouïe, très peu aux autres sens. Un mouvement de tête est un signe qui ne s'adresse qu'aux yeux de celui à qui l'on veut faire connaître sa volonté. Certains hommes savent traduire la plupart de leurs sentiments par les gestes des mains ; les histrions font des mouvements de tous leurs membres des signes intelligibles pour les spectateurs, et parlent, pour ainsi dire, à leurs yeux; la vue de l'étendard et du drapeau transmet aux soldats les ordres de leurs chefs. Tous ces signes sont comme une sorte de langage visible. ,Mais la plupart, comme nous l'avons observé, se rapportent au sens de l'ouïe , et consistent principalement dans les paroles. Ainsi la trompette, la flûte et la harpe font entendre le plus souvent un son, non-seulement suave et harmonieux, mais encore significatif. En comparaison des paroles, les signes de cette espèce sont très peu nombreux. La parole en effet est le signe de premier ordre dont se servent les hommes pour exprimer leurs pensées, quand ils veulent les manifester au dehors. Le Seigneur fit voir un signe, dans l'odeur du parfum qui fut répandu sur ses pieds (1); un autre, dans la

 

1. Jean, XII, I,7.

 

réception du sacrement de son corps et de son sang (1) ; et un autre encore, dans la guérison qu'obtint cette femme en touchant le bord de. son vêtement (2). Mais le nombre incalculable des signes qui servent aux hommes à communiquer leurs pensées , consiste dans les paroles. Car, par la parole, j'ai pu exprimer tous ces signes dont je n'ai fait qu'énoncer les différents genres ; tandis qu'il me serait impossible d'exprimer la parole elle-même à l'aide de ces signes.

 

 

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CHAPITRE IV. ORIGINE DES LETTRES.

 

5. Mais comme les paroles passent aussitôt qu'elles ont frappé l'air, et disparaissent avec le son qu'elles produisent, on a imaginé les lettres comme signes destinés à les fixer. Elles deviennent ainsi perceptibles à nos yeux, non par elles-mêmes, mais par les signes qui les représentent. Or, ces signes ne pouvaient être communs à tous les peuples, par suite de cette dissension funeste qui s'établit au sein du genre humain, chacun voulant s'arroger la suprême domination; et cet orgueil se révéla dans cette tour que les hommes tentèrent d'élever jusqu'au ciel ; folle entreprise où. leur impiété mérita de voir la discorde s'introduire, non-seulement dans leurs esprits, mais encore dans leur langage (3).

 

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CHAPITRE V. DIVERSITÉ DES LANGUES.

 

6. L'Ecriture sainte, ce souverain remède aux maladies qui rongent le cœur humain, ne fut écrite d'abord, il est vrai, que dans une seule langue, au moyen de laquelle elle put facilement se répandre dans l'univers; mais traduite dans les diverses langues du monde, elle vint à la connaisssance de tous les peuples, pour leur Salut. Ce qu'on se propose en la lisant, c'est d'y découvrir les pensées et les volontés de ceux qui l'ont écrite, et, par là même, les, volontés de Dieu, dont les auteurs sacrés ne sont à nos yeux que les fidèles interprètes.

 

1. Luc, XII, 19, 20. — 2. Matt. IX, 21. — 3. Gen. XI, 1-9.

 

 

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CHAPITRE VI. UTILITÉ QUI RESSORT DE L'OBSCURITÉ DE L'ÉCRITURE.

 

7. Cependant ceux qui lisent les saints Livres avec une confiance téméraire, s'égarent bientôt dans une foule de passages difficiles et obscurs, et prennent un sens pour un autre; parfois même certains textes sont enveloppés d'un voile si épais, qu'ils ne peuvent en donner une interprétation quelconque. Je ne doute nullement que ce ne soit une disposition particulière de la sagesse divine, qui a voulu dompter l'orgueil de l'homme par le travail, et prémunir contre le dégoût son esprit qui trop souvent méprise ce qu'il découvre facilement. Qu'on dise, par exemple, que les hommes saints et parfaits sont ceux dont l'Église du Christ propose la vie et les moeurs comme exemples aux infidèles qui viennent à elle, pour les arracher à leurs vaines superstitions, et se les incorporer en les faisant marcher sur les traces de ces justes ; qu'on représente ces zélés et fidèles serviteurs du vrai Dieu, déposant le fardeau du siècle, se plongeant dans les eaux saintes du baptême, et au sortir de là produisant, sous l'action féconde de l'Esprit-Saint, le fruit. du double amour de Dieu et du prochain : comment se fait-il qu'ainsi exprimée cette vérité frappe moins agréablement l'auditeur, que si on la lui découvre figurée dans ce passage du Cantique des cantiques, où on adresse à l'Église cette louange comme à une femme ravissante de beauté : « Tes dents sont comme un troupeau de brebis tondues qui montent du lavoir, et qui portent un double fruit sans qu'il y en ait de stérile parlai elles (1) ? » Y découvrons-nous une vérité différente de celle qui nous était présentée en termes clairs et sans figure?Et cependant je ne sais pourquoi je contemple avec plus de charme les saints quand je les considère comme les dents de l’Église, arrachant les hommes au joug de Ferreur, brisant la pureté de leurs cœurs, les broyant et tes triturant en quelque sorte pour les lui incorporer. Comme je me plais à les considérer sous la délicieuse image de ces brebis tondues qui, après avoir déposé les fardeaux du siècle comme (les toisons, et remontant du lavoir, c'est-à-dire du bain baptismal,            portent

 

1. Cant. IV, 2.

 

toutes un double fruit, les deux préceptes de l'amour, sans qu'il y en ait une seule de stérile et qui ne produise ces fruits de sainteté !

8. Mais pourquoi cette même vérité s'offre-t-elle ainsi à moi avec plus de charmes, que si l'Écriture ne la représentait pas sous de semblables figures ? Il serait difficile de l'expliquer, et c'est d'ailleurs une question étrangère à notre sujet. Toujours est-il certain qu'on découvre plus volontiers la vérité sous les figures qui la voilent, et qu'on trouve avec une satisfaction plus vive ce qu'on à cherché avec quelque peine. Ceux qui ne découvrent pas aussitôt l'objet de leurs recherches, se sentent excités comme par l'aiguillion de la faim; tandis que la découverte trop facile de la vérité engendre souvent la tiédeur avec le dégoût: dans les deux cas, néanmoins, il faut se prémunir contre le découragement. C'est dans ce dessein que l'Esprit-Saint a composé les divines Écritures de la manière la plus admirable et la plus salutaire. Il a disposé des passages clairs et évidents, comme aliment au besoin pressant de connaître, et d'autres plus obscurs, comme remède contre le dégoût et l'ennui. Il n'est presque rien d'ailleurs de ce qui est caché sous ces obscurités, qu'on ne trouve exprimé clairement en d'autres endroits.

 

 

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CHAPITRE VII. LES SEPT DEGRÉS QUI CONDUISENT A LA SAGESSE.

 

9. Il faut donc avant tout que la crainte de Dieu nous dispose à connaître sa volonté, et ce qu'il nous commande de rechercher ou de fuir. Il est nécessaire que cette crainte frappe vivement notre âme de la pensée de notre mortalité et du trépas qui nous attend, et que, perçant les désirs de la chair, elle attache à la croix toutes les révoltes de l'orgueil. Vient ensuite la piété qui doit nous rendre dociles, et nous apprendre à ne jamais contredire la divine Écriture, soit que nous en saisissions le sens, et que nous remarquions qu'elle attaque quelqu'un de nos vices, soit qu'elle reste fermée à notre intelligence, et nous expose à penser que nous pouvons concevoir de nous-mêmes des pensées et donner des prescriptions plus sages. Nous devons croire avec une entière conviction que, même dans ces obscurités, elle renferme plus (22) de vérité et de sagesse que nous ne pouvons en produire de nous-mêmes.

10. Après ces deux degrés de la crainte et de la piété on arrive au troisième, qui est celui de la science, objet spécial de ce traité. C'est dans ce degré que s'exerce quiconque s'applique à l'étude des divines Écritures. Tout ce qu'il y découvrira se résumera dans cette vérité : qu'il faut aimer Dieu de tout son cœur, de toute son âme et de tout son esprit. et le prochain comme soi-même, en sorte que l'amour du prochain et de soi-même se rapporte à Dieu. Nous avons parlé de ce double précepte dans le livre précédent, où nous avons traité des choses. Aussi, à peine l'homme ouvrant l'Écriture, s'est-il reconnu épris de l'amour du siècle et des choses passagères, qu'il se sent très éloigné de ce parfait amour de Dieu et du prochain qu'elle lui prescrit. Alors la crainte qui le frappe de la pensée du jugement de Dieu, et la piété qui le soumet avec une pleine conviction à l'autorité des saints Livres, le forcent à verser des larmes sur sa misère. Car cette science, en ouvrant son coeur à l'espérance, lui apprend, non à présumer, mais à gémir, et ces larmes jointes à de ferventes prières, lui obtiennent le secours céleste qui l'éloigne de l'abîme du désespoir. Il entre alors dans le quatrième degré, qui est la force, où il sent naître en lui la faim et la soif de la justice. C'est parla force qu'il s'arrache aux joies mortelles .qu'il goûtait dans les choses passagères et qu'il les repousse, pour ne plus aimer que les biens éternels, c'est-à-dire la Trinité toujours une et immuable.

11. Aussitôt qu'il aperçoit cette divine lumière projetant au loin ses rayons, et qu'il sent que la faiblesse de son regard ne peut en supporter l'éclat, il monte au cinquième degré, qui est le conseil. Là, il s'applique à purifier dans les oeuvres de miséricorde, son âme agitée et irritée contre elle-même, de toutes les souillures contractées dans les jouissances terrestres. Là, avec une sainte ardeur, il s'exerce et se, perfectionne dans l'amour du prochain; et, lorsque rempli de force et d'espérance, il est parvenu jusqu'à aimer ses ennemis, il s'élance au sixième degré, oit il purifie cet mil qui seul peut contempler la divinité, autant qu'il est donné à ceux qui meurent au siècle présent. Car plus on meurt à ce monde,

 

1. Matt. XXII, 37, 39.

 

plus on voit Dieu; et plus on vit pour la créature, plus Dieu se cache. Et alors même que cette lumière infinie commence à paraître moins accablante, plus certaine et plus ravissante, nous ne l'apercevons encore qu'en énigme et dans un miroir (1), parce que dans le pèlerinage de cette vie, nous marchons plus par la foi que par la claire vue (2), quoique notre conversation soit déjà dans les cieux (3). Celui qui est parvenu à ce degré, purifie tellement l'oeil de son coeur, qu'il ne peut plus préférer ou comparer à la vérité souveraine, ni le prochain, ni, par conséquent, lui-même. Et telle sera dans ce juste la simplicité et la pureté du cœur, que jamais ni l'envie de plaire aux hommes, ni la crainte des épreuves et des adversités de cette vie, ne seront capables de le détacher de l'amour de la vérité. C'est ainsi que cet enfant de Dieu s'élève jusqu'à la sagesse, qui est le septième degré et il en jouit au sein de la paix la plus profonde. Le commencement de la sagesse est la crainte de Dieu (4), et c'est de cette crainte qu'en passant par les autres degrés on tend à la sagesse et qu'on y arrive.

 

 

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CHAPITRE VIII. LIVRES CANONIQUES.

 

12. Revenons maintenant au troisième degré, dont nous nous sommes proposé de traiter spécialement, suivant les lumières qu'il plaira à Dieu de nous accorder. La règle la plus sage à suivre pour pénétrer dans les profondeurs des divines Écritures, est de commencer par les lire tout entières afin d'en acquérir au moins la connaissance que peut en donner cette lecture, si l'on n'arrive pas encore à les comprendre. On se bornera d'abord à celles qui sont réputées canoniques. Il y aura moins de danger à lire les autres, lorsqu'on sera instruit des vérités de la foi; il serait à craindre que, s'emparant d'un esprit encore faible, et le prévenant de leurs fables et de leurs dangereuses erreurs, elles ne lui inspirassent des préjugés contraires à une saine interprétation.

Pour les Écritures canoniques, on suivra l'autorité du plus grand nombre des Églises catholiques, au premier rang desquelles on devra mettre celles qui ont eu le privilège

 

1. II Cor. XIII, 12. — 2. IICor. V, 6, 7. — 3. Philipp. III, 20. — 4. Ps. CX, 10 ; Eccli. I, 16.

 

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d'être le siège des apôtres et d'en recevoir des lettres. On aura pour principe et pour règle en cette matière, de préférer celles que reçoivent toutes les Eglises catholiques à celles qui sont rejetées de quelques-unes; et parmi celles que toutes les Eglises n'admettent pas, on préférera celles que reçoivent des Eglises plus nombreuses et plus considérables, à celles qui n'ont l'assentiment que de quelques Eglises de moindre autorité. Si l'on rencontre certains livres admis par un plus grand nombre d'Eglises, et d'autres par des Eglises plus considérables, circonstance d'ailleurs difficile à se produire, je pense qu'on doit leur reconnaître le même degré d'autorité.

13. Le canon entier des Ecritures, auquel se rapportent les considérations que nous venons d'exposer, se compose des livres suivants : les cinq livres de Moïse : la Genèse, l'Exode, le Lévitique, les Nombres et le Deutéronome; le livre de Josué, le livre des Juges, le petit livre de Ruth, qui semble plutôt faire partie du commencement de l'histoire des Rois, et les deux livres des Paralipomènes, qui sont, non une suite des précédents, mais comme des suppléments qui en suivent l'ordre et la marche. Tels sont les Livres historiques, où les époques s'enchaînent les unes aux autres, et où se déroule la suite naturelle des évènements. Il en est d'autres dont les faits n'ont aucun lien qui les rattache à cet ordre naturel ni entre eux. Ce sont les livres de Job, de Tobie, d'Esther, de Judith, les deux livres des Macchabées, et les deux livres d'Esdras, qui semblent plutôt continuer l'histoire suivie des livres des Rois ou des Paralipomènes. Viennent ensuite parmi les prophètes, le livre des psaumes de David, les trois livres de Salomon : les Proverbes, le Cantique des Cantiques et l'Ecclésiaste. Une certaine ressemblance de forme et de style a fait attribuer à Salomon les deux livres de la Sagesse et de l’Ecclésiastique, mais une tradition constante leur donne pour auteur Jésus Sirach (1) ; toutefois l'autorité qu'on leur a reconnue dans l'Eglise doit les faire ranger au nombre des livres prophétiques. Les autres livres sont ceux des prophètes proprement dits; les livres des douze prophètes qu'on n'a jamais séparés ne forment ensemble qu'un seul livre. Ces prophètes sont Osée, Joël, Amos, Abdias, Jonas, Michée, Nahum, Habacuc, Sophonie, Aggée, Zacharie,

 

1. II Rétr. I, ch. IV, n. 2.

 

Malachie. Ensuite les quatre livres des quatre grands prophètes, Isaïe, Jérémie, Daniel et Ezéchiel. Tels sont les quarante-quatre livres qui font autorité dans l’Ancien Testament (1). Le Nouveau comprend les quatre livres de l'Evangile selon Mathieu, selon Marc, selon Luc et selon Jean; les quatorze épîtres de l'apôtre Paul une aux Romains, deux aux Corinthiens, une aux Galates, une aux Ephésiens, une aux Philippiens, deux aux Thessaloniciens, une aux Colossiens, deux à Timothée, une à Tite, une à Philémon et une aux Hébreux; deux épîtres de saint Pierre, trois de saint Jean, une de saint Jacques, le livre des Actes des apôtres, le livre de l'Apocalypse de saint Jean.

 

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CHAPITRE IX. RÈGLE A SUIVRE DANS L'ÉTUDE DE L'ÉCRITURE.

 

14. C'est dans tous ces livres canoniques que les âmes touchées de la crainte de Dieu et rendues dociles par la piété, cherchent à connaître sa volonté. On doit débuter dans cette étude et ce travail, ainsi que nous l'avons observé, par une certaine connaissance de ces ouvrages; commencer, sinon encore par. en pénétrer le sens, du moins par les lire pour en confier le contenu à sa mémoire, ou ne pas les ignorer complètement. Ensuite rechercher avec attention et discernement les vérités qui y sont clairement exposées, comme les préceptes des mœurs et les règles de la foi : on les y découvre d'autant plus que l'intelligence a plus de vivacité et de pénétration. Il est remarquable en effet que les passages les plus clairs de l'Ecriture renferment tout ce qui concerne la foi et les moeurs, je veux dire l'espérance et l'amour, dont nous avons parlé dans le livre précédent. Après s'être ainsi en quelque sorte familiarisé avec le langage des saints livres, ou entreprend de pénétrer dans les obscurités qu'ils renferment, et d'en faire jaillir la lumière; les passages les plus clairs servent à interpréter ceux dont le sens serait voilé, et les vérités incontestables, à établir avec certitude celles dont on pourrait douter encore. Ici la mémoire est d'un grand secours; mais si on en manque, les préceptes que nous traçons ne peuvent la donner.

 

1. Ibid.

 

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CHAPITRE X. OBSCURITÉ DE L'ÉCRITURE DANS LES SIGNES QU'ELLE EMPLOIE.

 

15. L'intelligence de quelques passages de l'Écriture peut échapper pour deux raisons le sens inconnu, ou la signification équivoque des signes sous lesquels est enveloppée la pensée de l'auteur sacré. Or, les signes sont propres ou figurés. Les signes propres sont ceux qu'on emploie pour désigner les objets pour lesquels ils ont été directement institués. C'est ainsi que par le mot boeuf, nous entendons cet animal auquel donnent ce nom tous ceux qui parlent avec nous la même langue. Les signes sont figurés, quand les choses désignées par les termes qui leur sont propres, servent à déterminer elles-mêmes quelque objet différent. Ainsi le mot boeuf nous rappelle, à la vérité, l'animal ordinairement appelé de ce nom; mais, sous l'emblème de cet animal, nous entendons aussi quelquefois le prédicateur de l'Evangile dont l'Écriture a voulu parler, selon l'interprétation de l'Apôtre, quand elle a dit : « Tu ne tiendras point la bouche liée au boeuf qui foule le grain (1). »

 

 

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CHAPITRE XI. LA SCIENCE DES LANGUES NÉCESSAIRE POUR L'INTELLIGENCE DES SIGNES.

 

16. La connaissance des signes propres dépend principalement de celle des langues. Nous proposant ici d'éclairer ceux qui parlent la langue latine, nous leur dirons que, pour l'intelligence des Écritures, ils doivent posséder deux autres langues, qui sont le grec et l'hébreu, afin de pouvoir recourir aux textes originaux, toutes les fois que la diversité infinie des interprètes latins n'engendrera que le doute et l'incertitude. D'ailleurs il se rencontre, dans nos Livres saints, certaines expressions hébraïques qui n'ont jamais été traduites, comme Amen, Alleluia, Racha, Hosanna et d'autres. On eût pu en traduire quelques-unes, telles que amen, alleluia; mais on a voulu les conserver dans leur forme antique, pour en rendre l'autorité plus respectable; pour d'autres, telles que Racha et Hosanna, on prétend qu'il était

 

1. I Cor. IX, 19.

 

impossible de les faire passer dans une autre langue. Il est en effet des expressions tellement propres à certaines langues, qu'aucune traduction ne peut en reproduise la signification dans une langue étrangère. Ainsi en est-il principalement des interjections, qui servent plutôt à exprimer des mouvements subits de l'âme, qu'une conception raisonnée de l'esprit. A ce genre appartiennent les deux termes cités plus haut. Racha, dit-on, est un signe d'indignation, et Hosanna un cri de joie. Mais ce qui rend nécessaire la connaissance du grec et de l'hébreu, ce ne sont pas les termes de cette nature, qui d'ailleurs sont peu nombreux, et qu'il est facile de remarquer et de comprendre, mais, comme nous l'avons observé, la diversité des interprètes. On peut compter ceux qui ont traduit l'Écriture d'hébreu en grec, tandis que le nombre des interprètes latins est infini.

Car, dans les premiers temps du christianisme, dès qu'un exemplaire grec tombait entre les mains de quelqu'un qui croyait avoir certaine connaissance de l'une et de l’autre langue, il se hasardait à le traduire.

 

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CHAPITRE XII. UTILITÉ DES DIFFÉRENTES INTERPRÉTATIONS.

 

17. Cette grande variété de traductions sert plus encore à l'intelligence des Écritures, qu'elle n'y met obstacle, quand on s'attache à les lire avec une véritable application. C'est en consultant plusieurs traducteurs que souvent on est arrivé à saisir le sens de quelques passages très-obscurs. Dans le prophète Isaïe, par exemple, là où un interprète a dit : « Ne méprise pas ceux de la maison et de ta race (1); » un autre a traduit : « Ne méprise pas ta chair. » Tous deux s'appuient mutuellement, et l'un sert à éclaircir l'autre. En effet on pourrait prendre le mot chair dans un sens naturel, il serait alors prescrit à chacun de ne pas mépriser son corps; et « ceux de la maison et de la race » s'entendraient, dans le sens figuré, des chrétiens qui sont nés spirituellement avec nous de la même semence, de la parole divine. Mais en mettant en regard le sens des deux traducteurs, on découvre, comme plus vraisemblable, qu'il nous est ordonné en cet endroit, de ne pas mépriser ceux

 

1. Is. LVIII, 7.

 

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qui nous sont unis par les liens du sang. Car en rapprochant de « chair, » ceux qui sont de « la même race, » on voit paraître tout d'abord ceux qu'unissent entre eux les liens du sang. C'est de là que viennent, à mon avis, ces paroles de l'Apôtre : « Je tâche d'exciter une sainte jalousie dans ma chair, afin d'en sauver quelques uns (1). » Il voulait que l'exemple de ceux qui croyaient déjà, les amenât à leur tour à la foi, en leur inspirant une salutaire émulation. Il appelle donc les Juifs sa chair, par suite de leur commune origine avec lui. Dans un autre passage du même prophète, un traducteur a dit : « Si vous ne croyez, vous ne comprendrez point (2) ; » un autre a rendu:, « Si vous ne croyez, vous ne demeurerez point. » Comment savoir quel est celui qui a exprimé le vrai sens, à moins de recourir à la langue originale? Cependant une lecture approfondie fait ressortir une grande vérité de ces deux interprétations. Il est difficile que les interprètes s'écartent tellement les uns des autres, qu'ils ne conservent entre eux quelque point de contact. Voici l'explication. La vue de l'essence divine par l'intelligence est permanente et éternelle; tandis que la foi ne nourrit, pour ainsi dire, que de lait les hommes encore enveloppés comme des enfants dans les langes des choses passagères de cette vie. C'est par la foi que nous marchons ici-bas et non encore par une vue claire et parfaite (3). Or, il est nécessaire que nous marchions à la lumière de la foi pour parvenir à cette vue claire et permanente, dont nous jouirons éternellement par le moyen de notre intelligence purifiée, qui nous tiendra unis à la vérité. C'est pourquoi l'un des traducteurs a dit: « Si vous ne croyez, vous ne demeurerez point, » et l'autre : « Si vous ne croyez, vous ne comprendrez point. »

18. L'ambiguïté des termes de la langue originale contribue encore souvent à jeter un interprète dans l'erreur, quand il ne saisit pas parfaitement la pensée de l'auteur, et cette ambiguïté lui fait donner une explication absolument étrangère au sens véritable. Quelques traducteurs ont ainsi rendu ce passage des Psaumes. « Leurs pieds sont aigus pour répandre le sang (4) . » Or, oxuV, en grec, signifie aigu et léger. Le vrai sens n'a dons; été saisi que par celui quia traduit : «Leurs pieds

 

1. Rom. XI, 14. — 2. Is. VII. 9. — 3 II Cor. V, 7. — 4. Ps. XIII, 5.

 

 sont prompts et légers pour répandre le sang : » les autres, trompés par un terme équivoque, sont tombés dans une fausse interprétation. D'autres traductions sont non-seulement obscures, mais entièrement fausses; il faut alors s'appliquer à les corriger plus qu'à les éclaircir, et à les comprendre. Tel est l'exemple suivant : Parce que moscoV, en grec, signifie « un veau, » certains interprètes ont traduit le terme mosceumata  par  « troupeaux de veaux, » ne voyant pas que la. véritable signification était celle de plantes. Et cette erreur s'est glissée dans un si grand nombre d'exemplaires, qu'à peine on en rencontre un seul où on lise différemment. Cependant rien de plus facile à déterminer que le vrai sens de ce mot, qui ressort si clairement de ceux qui suivent. N'est-il pas plus naturel de dire : « Les plantes adultérines ne jetteront point de profondes racines, » que de dire : « Les troupes de veaux, etc..., » animaux qui marchent sur la terre et n'y sont point fixés par des racines? D'ailleurs l'ordre et la suite du discours autorisent pleinement cette interprétation.

 

 

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CHAPITRE XIII. COMMENT IL FAUT CORRIGER UN DÉFAUT DE TRADUCTION.

 

49. Mais il est souvent difficile de découvrir la véritable pensée de l'écrivain sacré, au milieu des différentes traductions que les interprètes ont cherché à en donner, dans la mesure de leur pénétration et de leur intelligence, à moins de consulter la langue qu'ils ont traduite en latin, ou de consulter les traductions de ceux qui se. sont trop attachés aux mots. Ces traductions ne suffisent pas sans doute, mais elles servent à découvrir la vérité ou l'erreur dans celles ou l'on a préféré suivre la pensée plutôt que la signification rigoureuse des expressions. Car on donne souvent des traductions de mots et même de locutions que la langue latine se refuse d'admettre, quand on veut conserver les principes des premiers maîtres en cette langue. Ces sortes de traductions ne nuisent pas ordinairement à l'intelligence des choses ; mais elles peuvent choquer les esprits que la pensée frappe plus (26) agréablement, quand elle, est rendue dans son intégrité sous les termes qui lui sont propres. Le solécisme, par, exemple, n'est qu'une alliance de mots contraire aux règles tracées avant nous par les maîtres du langage. Or, qu'importe à celui qui ne cherche que la vérité, de savoir s'il faut dire en latin : Inter homines ou inter hominibus. Un barbarisme n'est qu'un mot écrit ou prononcé autrement qu'il ne l'a toujours été avant nous. Qu'importe à celui qui demande à Dieu qu'il daigne lui pardonner ses péchés, de savoir s'il doit faire longue ou brève la troisième syllabe de ignoscere, pardonner, et de quelle manière il faut le prononcer ? La pureté du langage est-elle donc autre chose que la conformité aux règles observées autour de nous et autorisées par la pratique des temps antérieurs?

20. Mais plus les hommes sont faibles, plus ils sont susceptibles, et ils sont d'autant plus faibles qu'ils veulent paraître plus instruits. Je dis plus instruits, non dans la connaissance de la vérité, dont le propre est d'édifier, mais dans la science du langage, dont il est facile de tirer vanité, puisque la science de la vérité même n'engendre que trop souvent l'orgueil, si l'esprit ne s'abaisse sous le joug du Seigneur. La construction de la phrase suivante est-elle un obstacle au lecteur : Quae est terra in qua isti insidunt super eam, etc : « Considérez quel est le pays et les peuples qui l'habitent, s'il est bon ou mauvais et quelles sont les villes et ceux qui y résident (1) ? Plutôt que d'y chercher un sens profond et mystérieux, je n'y vois qu'une forme d'expression empruntée à une langue étrangère. De même le terme floriet, en usage parmi les peuples dans le chant de ce verset des psaumes : Super ipsum autem floriet sanctificatio mea : « Ma sainteté fleurira sur sa tête (2), » n'enlève            rien à l'intégrité de la pensée. Et cependant une oreille plus délicate et plus exercée préférerait entendre florebit au lieu de floriet. L'emploi habituel de ce terme dans le chant s'oppose seul à ce qu'on fasse cette simple correction. Le lecteur qui ne s'arrête pas à ce qui ne peut altérer le sens véritable, n'attache aucune importance sérieuse à ces irrégularités de langage. Il en serait autrement dans ce passage de saint Paul : Quod stultum est Dei, sapientius est hominibus, et quod infirmum est

 

1. Nomb. XIII, 20. — 2. Ps. CXXXI, 18.

 

Dei, fortius est hominibus : «  Ce qui paraît en Dieu une folie est plus sage que la sagesse des hommes, et ce qui paraît en Dieu une faiblesse est plus fort que la force des hommes (1). » Si. on eût voulu reproduire la construction grecque et dire : Sapientius est homiuum, fortius est hominum, un lecteur attentif en aurait sans doute saisi le sens vrai, mais un esprit moins pénétrant ou n'aurait pas compris, ou serait tombé dans une fausse interprétation. Car cette locution, en latin, est non-seulement défectueuse, mais présente aussi une équivoque, et semble insinuer que la folie et la faiblesse des hommes ont plus de sagesse et de force que la force et la sagesse de Dieu. Sapientius est hominibus, n'est pas d'ailleurs sans ambiguïté, quoiqu'il n'y ait pas de solécisme; c'est l'évidence de la pensée qui seule fait reconnaître si hominibus est au datif ou à l'ablatif. La traduction la plus irréprochable, eût donc été celle-ci Sapientius est quam homines, fortius est quam homines.

 

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CHAPITRE XIV. SOURCES OU L'ON DOIT PUISER LA CONNAISSANCE DES TERMES ET DES LOCUTIONS INCONNUES.

 

21. Nous parlerons dans la suite des signes équivoques; occupons-nous d'abord des signes inconnus. Or il y a deux sortes de paroles inconnues . car le lecteur peut être arrêté par une expression, ou par une locution inconnue. Si elles proviennent de langues étrangères, qu'on en demande la signification à ceux qui parlent ces langues, ou qu'on les apprenne soi-même si l'on se reconnaît assez d'intelligence et de loisir pour cette étude, ou enfin qu'on compare entre eux les différents interprètes. Si, dans notre propre langue, on rencontre des termes ou des locutions dont on ignore le sens, on le découvre facilement par l'habitude de les lire et de les entendre. Il est d'une extrême importance de confier à sa mémoire ces sortes d'expressions et de locutions inconnues, afin de les avoir présentes à l'esprit, quand il se rencontrera quelqu'un plus éclairé, qu'on pourra consulter à cet égard, ou quand on lira quelque passage dont le contexte en fera saisir la propriété ou la signification. Constatons cependant ici que tel est l'empire de   l'habitude,

 

1. I Cor. I, 25.

 

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même quand il s'agit de s'instruire, que ceux qui ont été en quelque sorte nourris et élevés dans l'étude des saintes Écritures, trouvent ces locutions plus étranges et moins con formes au génie de la langue latine, que celles qu'ils ont apprises dans l'Écriture, et qu'on ne rencontre pas dans les meilleurs auteurs latins. Ajoutons qu'il est d'une grande utilité en cette matière, de comparer entr'elles les traductions, et d'en faire une étude attentive et un examen intelligent. Mais avant tout qu'on fasse disparaître toute erreur du texte; car ceux qui désirent connaître l'Écriture, doivent s'appliquer d'abord à en corriger les exemplaires. Ceux qui auront subi cette épreuve, devront jouir d'une autorité supérieure à celle des traductions qui ne sont le fruit que des lumières d'un seul interprète.

 

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CHAPITRE XV. EXCELLENCE DE LA VERSION ITALIQUE ET DE CELLE DES SEPTANTE.

 

22. La version latine qu'on doit préférer à toutes les autres, est la version italique : elle joint à la clarté de la pensée la fidélité des termes. Pour corriger les versions latines, quelles qu'elles soient, il faut recourir aux exemplaires grecs, et spécialement à la version des Septante, qui jouit de la plus grande autorité pour l'Ancien Testament (1) . Au témoignage des Églises les plus célèbres, une assistance miraculeuse de l'Esprit-Saint ne forma en quelque sorte de tous ces interprètes qu'une seule et même bouche. S'il faut en croire la tradition et plusieurs personnages dignes de foi (2), ces interprètes travaillèrent, chacun dans une cellule séparée, à traduire l'Écriture, et leurs traductions particulières se trouvèrent entièrement conformes les unes aux autres, jusques dans la nature et l'arrangement des termes Quelle autorité comparer, et encore moins            préférer à cette imposante autorité ? Et quand même ils auraient mis en commun leurs travaux et leurs lumières pour arriver à cette unanimité. de pensées et d'expressions, serait-il encore nécessaire, serait-il même convenable qu'un seul interprète, si profonde que fût sa science, tentât de réformer le sentiment de tant de

 

1. Voir Cité de Dieu, liv. XXVIII, chap. 43.

2. Saint Irénée, liv. 3, ch. 25 ; Clém. Alex. livre , Strom.; saint Cyrill. Jérus. Catéch, IV; saint Justin, mart. Disc. cont. les Gentils Comparez saint Jérôme, préf. du Pentateuq.

 

vénérables savants ? Y eût-il certaines divergences entre le texte hébreu et leur traduction; il faut considérer ici avant tout les vues de la Providence, dont ils furent les instruments. Cette Providence divine voulait que par la puissance du roi Ptolémée, ces livres que la nation juive refusait, par religion ou par envie, de livrer. aux autres peuples, fussent remis, dès cette époque reculée, entre les mains des nations qui devaient un jour croire en Jésus-Christ. Ils ont donc pu faire leur traduction de manière qu'elle fût en rapport avec les . besoins de ces peuples, selon que le jugeait l'Esprit-Saint qui les dirigeait et qui mettait sur leurs lèvres le même langage. Cependant, comme je l'ai remarqué, il n'est pas inutile, pour mieux saisir une pensée, de mettre en regard les interprètes qui se sont le plus attachés aux expressions. Ainsi, comme je l'ai déjà insinué, les traductions latines de l'ancien Testament doivent être corrigées, s'il est nécessaire, sur les exemplaires grecs, et principalement sur ceux des Septante, qui ont interprété l'Écriture avec une si étonnante conformité de pensées et d'expressions. A l'égard des livres du nouveau Testament, si la divergence des versions latines fait surgir quelque incertitude, il est incontestable qu'il faut s'en rapporter aux textes grecs, surtout à ceux qui passent dans toutes les Eglises pour les plus célèbres par leur fidélité et leur exactitude.

 

 

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CHAPITRE XVI. UTILITÉ DE LA CONNAISSANCE DES LANGUES, DE        LA NATURE, DES NOMBRES ET DE LA MUSIQUE POUR L'INTELLIGENCE DES SIGNES FIGURÉS.

 

23. Le lecteur qui rencontre des signes figurés dont il ignore la signification, doit la chercher, soit dans la connaissance des langues, soit dans celle des choses mêmes. Ainsi le nom de Siloë, cette piscine où le Seigneur envoya pour s'y laver, celui dont il avait oint les yeux avec de la terre détrempée de sa salive, renferme un symbole frappant et révèle un profond mystère. Si l'évangéliste n'eût expliqué ce terme d'une langue inconnue, nous en eussions ignoré la signification profonde. Il y a dans les Livres saints beaucoup d'autres noms hébreux dont les auteurs n'ont pas donné l'interprétation; et il est certain que cette

 

1. Jean, IX, 7.

 

 

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interprétation une fois connue, sert beaucoup à résoudre les difficultés de l'Écriture. Aussi plusieurs savants, très-versés dans la connaissance de cette langue, ont rendu un service considérable à la postérité, en s'appliquant à recueillir ces termes et à en donner l'explication; nous apprenant ce que signifie Adam, Eve, Abraham, Moïse, et ces noms de lieux : Jérusalem, Sion, Jéricho, Sina, Liban, Jourdain et tant d'autres noms hébreux qui nous sont inconnus. Il y a là une source de lumières pour l'intelligence des locutions figurées répandues dans les Livres saints.

24. Ce qui contribue aussi à rendre obscures les expressions métaphoriques, c'est l'ignorance de la nature des choses, comme des animaux, des pierres, des plantes, etc,..., que l'Écriture emploie souvent comme termes de comparaison. Nous savons, par exemple, que le serpent expose au péril son corps tout entier pour préserver sa tête. Cette connaissance ne nous fait-elle pas mieux saisir la pensée du Seigneur, quand il nous ordonne d'imiter la prudence du serpent (1) ? Ne nous fait-elle pas entendre que nous devons livrer tous nos membres à nos persécuteurs, pour conserver Jésus-Christ qui est notre chef, et ne pas laisser mourir et s'éteindre en nous la foi chrétienne en reniant notre Dieu, pour épargner notre corps? Le serpent, après s'être enfermé dans une étroite, caverne, y dépose son  ancienne enveloppe et y reprend de nouvelles forces. N'est-ce pas là nous dire que, à l'imitation de sa prudence, il nous faut. dépouiller le vieil homme, comme s'exprime l'Apôtre (2), nous revêtir du nouveau, et faire ce dépouillement en passant par la voie étroite, selon cette parole du Seigneur : « Entrez par la porte étroite (3) ? » Si donc la connaissance de la nature du serpent facilite l'intelligence des comparaisons que l'Écriture emprunte au caractère de cet animal, l'ignorance au contraire des habitudes des autres animaux ne peut que rendre incompréhensibles les nombreuses figures dont ils sont l'objet. J'en dirai autant à l'égard des pierres, des plantes et de tout ce qui tient à la terre par des racines. La connaissance de l'escarboucle qui brille dans les ténèbres, répand une vive lumière sur les obscurités des Livres saints, la où elle sert de comparaison. L'ignorance des propriétés du

 

1. Matth. X, 16. — 2. Eph. IV, 2 ; Coloss. 111. 9, 10. — 3 Matth. vi, 13,

 

béril et du diamant, est souvent un voile sur les yeux du lecteur. Comment voyons-nous si facilement, dans ce rameau d'olivier que la colombe rapporta à son retour dans l'arche (1), le signe d'une paix perpétuelle, sinon parce que nous savons que le doux contact de l'huile résiste à l'action des liquides étrangers, et que l'olivier est toujours couvert de son feuillage? Si plusieurs eussent connu l'hysope, et la propriété qu'a cette plante, si petite et si faible, de purifier les poumons et de faire pénétrer, dit-on, ses racines dans les rochers, ils auraient compris la raison de cette parole de l'Écriture « Vous m'arroserez avec l'hysope, et je serai  purifié (2). »

25. L'ignorance des nombres est encore un obstacle à l'intelligence de plusieurs passages métaphoriques et mystérieux de l'Écriture. Un esprit peu éclairé se demandera toujours avec étonnement pourquoi la durée du jeûne de Moïse, d'Elfe et du Seigneur a été de quarante jours. La difficulté que présente. cette figure disparaît avec la connaissance de la signification du nombre quarante. Il contient quatre fois dix, et comprend sous ce rapport la connaissance de toutes les choses soumises à la règle du temps. Le nombre quatre sert, en effet, à diviser le cours des jours et des années; le jour se compose des, heures du matin, du midi, du soir et de la nuit; et les mois, qui forment l'année, se distinguent en quatre saisons, le printemps, l'été, l'automne et l'hiver. Or, pendant que nous vivons dans le temps, il nous faut jeûner et nous abstenir des joies du temps, nous qui aspirons à vivre dans l'éternité. D'ailleurs, la rapidité du temps nous apprend assez par elle-même à mépriser les biens passagers et à désirer ceux qui sont permanents et éternels. D'un autre côté le nombre dix implique la science du Créateur et de la créature. Trois de ses parties représentent la Trinité divine, et les sept autres l'homme dans son corps et dans son principe vital. Ce principe de vie se manifeste par trois facultés différentes, qui ont donné lieu au précepte d'aimer Dieu de tout son « cœur,» de toute son« âme » et de tout son « esprit » Dans le corps se distinguent les quatre éléments qui le composent. Le nombre  dix multiplié par le nombre quatre, qui marque la révolution des temps, nous rappelle donc l'obligation où nous

 

1 Gen. VIII, 11. — 2. Ps. L, 9. — 3. Exod. XXIV, 18; III Rois, IX, 8 ; Matth. IV, 2. — 4. Ibid. XVII. 37.

 

 

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sommes de vivre dans la chasteté et la continence, et de renoncer aux joies frivoles du siècle présent. Tel est l'enseignement qui ressort de ce jeûne de quarante jours; enseignement exprimé par la Loi personnifiée dans Moïse, par les prophéties personnifiées dans Elie, et par le Seigneur lui-même, qui parut sur la montagne dans l'éclat de sa gloire aux yeux de ses trois disciples effrayés, ayant à ses côtés ces deux grands hommes, pour marquer que la Loi et les Prophètes lui rendaient témoignage (1).

C'est ainsi qu'on peut examiner encore comment du nombre quarante se forme le nombre cinquante, qui, dans la religion chrétienne, a reçu un caractère si sacré du mystère clé la Pentecôte ; constater que, répété trois fois, à raison des trois époques de la vie de l'humanité, avant la loi, sous la loi, et sous la grâce, ou à raison des noms du Père, du Fils et du Saint-Esprit, et augmenté du nombre auguste de la Trinité même, il s'applique au mystère de l'Eglise sanctifiée, et forme le nombre des cent cinquante-trois poissons que  prirent les apôtres après la résurrection du Seigneur, en jetant leurs filets du côté droit (2). D'autres mystères sont aussi voilés sous ces diverses figures des nombres répandus dans les saints Livres, et passent inaperçus aux yeux du lecteur peu versé dans cette connaissance.

26. Bien des vérités échappent aussi par suite de l'ignorance de ce qui tient à l'art de la musique. En traitant de la différence du psaltérion et de la harpe, un certain auteur a donné de plusieurs symboles une excellente explication. C'est une question qui a son intérêt, entre les hommes de l'art, de savoir s'il est quelque loi musicale qui oblige à donner au psaltérion le nombre de dix cordes (3). S'il n'existe aucune loi de ce genre, il faut reconnaître dans ce nombre une signification plus mystérieuse encore, tirée, soit des dix préceptes du Décalogue qui se rapportent au Créateur et à la créature, soit des considérations exposées plus haut sur le nombre dix. Ce nombre de quarante-six ans que dura la construction du temple, au rapport de l'Evangile (4), fait entendre je ne sais quelle harmonie ; car, appliqué à la formation du corps du- Seigneur, dont lui-même voulait parler sous la figure

 

1. Matth. XVII, 2, 3. — 2. Jean, XXI, 11. — 3. Ps. XXXII, 2; Ps. XCI, 4. — 4. Jean II, 20.

 

du temple, il contraint certains hérétiques à reconnaître que le Fils de Dieu a revêtu, non un corps fantastique, mais un véritable           corps humain. C'est ainsi que ça et là dans       l'Ecriture se montrent d'augustes de nobles allégories empruntées aux nombres et à la musique.

 

 

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CHAPITRE XVII. ORIGINE DE LA FABLE DES NEUF MUSES.

 

27. On doit en effet rejeter l'erreur des païens qui, dans leurs vaines superstitions, ont représenté les neuf Muses tommes filles de Jupiter et de la Mémoire. Varron, celui qui fut parmi eux le plus éclairé peut-être et le plus versé dans ces sortes de matières, s'est attaché à réfuter cette fable. Il rapporte qu'une ville, dont le nom m'échappe, chargea trois ouvriers de sculpter chacun trois statues des Muses, dont elle voulait orner le temple d'Apollon ; elle devait acheter celles qu'elle jugerait le plus parfaitement exécutées. Les trois artistes réussirent également dans leur oeuvre, et la ville fut si ravie de la beauté des neuf statues, qu' elle en fit l'acquisition et les dédia à Apollon dans son temple. Ce fut le poète Hésiode qui dans la suite leur imposa des noms. Les neuf Muses ne sont donc pas filles de Jupiter, mais l'oeuvre égale de ces trois artistes ; et cette ville avait commandé trois statues, non parce qu'elle en avait vu trois en songe, ou que ce même nombre était apparu à chacun de ses habitants ; mais par suite de la nature même des sons musicaux. Tout son, en tant qu'il forme un chant, peut se produire de trois manières différentes : ou par la voix, comme dans celui qui chante sans le secours d'aucun instrument; ou par le souffle, comme dans la flûte et la trompette ; ou par la percussion, comme sur la harpe, le tambour, et tout autre instrument qui résonne de la même sorte.

 

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CHAPITRE XVIII. NE PAS MÉPRISER CE QUE LES PROFANES ONT DE BON ET D'UTILE.

 

28. Que ce récit de Varron soit vrai ou faux, les superstitions profanes ne sont pas un motif de repousser la musique, quand elle sert à nous faciliter l'intelligence des saintes (30)  Ecritures ; pas plus que nous ne devons assister à leurs spectacles frivoles, parce que nous tirons de leurs instruments de musique des considérations qui nous font mieux saisir les choses. spirituelles. Laisserons-nous de côté l'étude des lettres, parce qu'ils prétendent que Mercure en a été l'inventeur? Fuirons-nous la justice et la vertu, parce qu'ils leur ont consacré des temples et qu'ils ont mieux aimé les adorer sous des images de pierres que de les porter dans leurs cœurs ? Loin de là : que tout chrétien fidèle et sincère sache que partout où il rencontre la vérité, elle appartient à son Dieu et Seigneur, et que, faisant profession de ne suivre que sa divine lumière, il déteste, jusques dans les Livres saints, les fables superstitieuses ; qu'il s'éloigne avec une douloureuse compassion de ces hommes, « qui, connaissant Dieu, ne l'ont point glorifié comme Dieu, et ne lui ont point rendu grâces de ses bienfaits ; mais, s'étant égarés dans leurs vaines pensées, leur cœur, privé d'intelligence, a été rempli de ténèbres. Car, en voulant passer pour sages, ils sont devenus de véritables insensés, et ils ont transféré l'honneur qui n'était dû qu'au Dieu incorruptible, à l'image d'un homme corruptible, et à des figures d'oiseaux, de bêtes à quatre pieds et de reptiles (1).»

 

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CHAPITRE XIX. DEUX SORTES DE SCIENCES PARMI LES PAIENS.

 

29. Pour donner à cette matière d'une si grande importance, de plus amples développements, nous ferons remarquer qu'il y a deux sortes de sciences en usage parmi les païens, et qui se traduisent dans leurs mœurs. L'une a pour objet les choses d'humaine institution, l'autre celles que l'homme a trouvées préalablement établies ou instituées de Dieu même. A l'égard des institutions humaines, une partie est entachée de superstitions, le reste en est exempt.

 

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CHAPITRE XX. SCIENCES HUMAINES REMPLIES DE SUPERSTITIONS.

 

30. Il faut regarder comme superstitieuses les institutions humaines relatives à l'érection

 

1. Rom. 1, 21-23.

 

et au culte des idoles ; soit qu'elles enseignent à honorer une créature quelconque comme la divinité, ou à consulter les démons, et à se lier avec ses esprits de ténèbres par des pactes et des conventions, telles que les opérations de la magie que l'on retrouve ordinairement dans les écrits des poètes, plutôt à titre de souvenirs que de doctrines. A cette catégorie appartiennent les livres des aruspices et des augures, remplis des plus vaines puérilités;            ces ligatures et ces remèdes réprouvés par la science de la médecine , et qui consistent soit dans des enchantements et dans je ne sais quelles marques appelées caractères, soit dans des choses qui se suspendent, se lient ou s'ajustent de certaine manière, non pour le soulagement du corps, mais pour en former des symboles secrets ou apparents. Pour en voiler le caractère superstitieux et lui prêter une efficacité naturelle, ils donnent à ces choses le nom imposant de physiques. Tels sont ces anneaux d'or suspendus aux oreilles, ces autres, faits d'os d'autruche, qui se mettent aux doigts, et la coutume, quand on a le hoquet, de se presser avec la main droite le pouce de la main gauche.

31. A ces extravagances viennent s'ajouter mille observations aussi vaines, quand un membre tressaille, quand une pierre; un chien ou un enfant se rencontrent entre deux amis qui se promènent ensemble. Encore vaut-il mieux les voir fouler aux pieds la pierre qu'ils regardent comme cause de la rupture de leur amitié, que frapper un enfant qui vient à passer au milieu d'eux. Mais        ici les enfants trouvent quelquefois leurs vengeurs dans les chiens; s'il est des hommes assez superstitieux pour oser frapper un chien qui passe entre eux, ce n'est pas impunément, car souvent cet animal envoie à un véritable médecin celui qui cherchait un vain remède en le frappant. Et ces autres chimères : Ne point passer devant sa maison sans mettre le pied sur le seuil ; retourner à son lit, si on éternue en se chaussant ; rentrer chez soi, si l'on fait un faux pas en marchant ; si un vêtement est rongé par les souris, regretter moins le dommage que trembler dans l'appréhension du malheur qui doit arriver. A cette occasion Caton répondit fort plaisamment. Un homme le consultait sur ce que des -souris avaient rongé ses souliers : ce n'est pas là, lui dit-il, une (31) merveille; il y en aurait une si les souliers avaient rongé les souris.

 

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CHAPITRE XXI. SUPERSTITIONS DES ASTROLOGUES.

 

32. Mettons encore au nombre des sectateurs de ces dangereuses superstitions les faiseurs d'horoscopes, qui observent les jours de la naissance et sont aujourd'hui vulgairement connus sous le nom de mathématiciens. Ils peuvent sans doute étudier la véritable situation des astres à la naissance de quelqu'un, et parfois la découvrir ; mais c'est une étrange aberration d'appuyer sur cette découverte la prédiction des actions et des évènements de la vie; ils vendent chèrement à la crédulité ignorante un avilissante servitude. Un homme entre chez l'un de ces mathématiciens avec la conscience de sa liberté, et il donne son argent pour savoir au sortir de là qu'il est sous l'esclavage de Mars, de Vénus ou plutôt de tous les astres, auxquels ceux qui tombèrent les premiers dans cette erreur et qui la transmirent à la postérité, imposèrent, tantôt des noms de bêtes, par suite d'une certaine ressemblance, tantôt des noms d'hommes, en l'honneur de quelques hommes. Rien là d'étonnant, puisqu'à une époque encore toute récente, les Romains ont voulu dédier l'étoile que nous appelons Lucifer, à la gloire et au

nom de César (1). Son nom fût peut-être resté à cet astre jusqu'aux âges les plus reculés, si Vénus, son aïeule, n'eût joui            avant lui de ce titre; héritage qu'elle n'avait aucun droit de transmettre à ses descendants, puisque, pendant sa vie, elle n'en avait pas eu la possession, ni réclamé la jouissance. Quand           on découvrait au ciel un astre non encore consacré à la mémoire de quelque ancien héros, on s'empressait, comme c'est la coutume, d'y attacher un nom illustre. C'est ainsi que le cinquième et le sixième mois ont été appelés juillet et août, en l’honneur de Jules César et d'Auguste. Qui ne sait que longtemps auparavant, ces astres accomplissaient leur course dans les cieux ? Ce n'est qu'après la mort de ces héros, dont la puissance des rois ou la vanité des hommes voulait célébrer la mémoire, qu'on a donné leurs noms aux astres, comme pour les élever jusqu'au ciel. Mais quels que

 

1. Voy. Virg. Eglogue IX.

 

soient les noms que les hommes donnent à ces astres, ils ne sont néanmoins que l'oeuvre de Dieu, qui les a placés dans l'ordre qu'il lui a plu ; leurs mouvements sont soumis à une règle fixe, et servent à marquer la distinction et la variété des saisons. Il est facile d'observer ces divers mouvements à la naissance de quel qu'un, à l'aide des règles découvertes et tracées par ces hommes que l'Ecriture condamne dans ces paroles: « S'ils ont pu avoir assez   de lumière pour connaître l'ordre du monde, comment n'ont-ils pas connu plus facilement celui qui en est le Seigneur et le Maître (1) ? ».

 

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CHAPITRE XXII. VANITÉ DES PRÉDICTIONS FONDÉES SUR L'OBSERVATION DES ASTRES.

 

33. Mais prétendre s'appuyer sur ces observations pour prédire, à la naissance des hommes, leurs moeurs, leurs actions et les évènements de leur vie, c'est une grande erreur et une insigne folie. C'est une superstition qui trouve sa réfutation la plus parfaite dans l'enseignement même de ceux qui se sont appliqués à l'étude de ces dangereuses puérilités. Car, que sont leurs constellations, sinon l'aspect et la situation où se trouvent les astres à la naissance de celui sur le sort duquel ces misérables sont consultés par de plus misérables encore ? Ne peut-il pas arriver que deux jumeaux se suivent de si près, au sortir du sein maternel, qu'entre la naissance de l'un et celle de l'autre, il n'y ait nul intervalle de

temps   saisissable, et qui puisse être marqué par différents mouvements des constellations ? Nécessairement donc il y aura des jumeaux qui naîtront sous la même constellation, sans que rien se ressemble dans les évènements qu'ils auront à accomplir ou à subir ; souvent même il y aura entr'eux cette immense distance, que l'un sera au comble du bonheur pendant que l'autre gémira sous le poids de l'infortune. Tels furent Esaü et Jacob, dont la naissance fut tellement simultanée, que Jacob, qui venait le dernier, tenait         de sa main le pied de son frère, qui le précédait (2). Assurément l'observation du jour et de l'heure de leur naissance ne pouvait constater pour les deux qu'une seule et même constellation.

 

1. Sag. XIII, 9. — 2. Gen. XXV, 25.

 

 

32

 

Et cependant, quelle différence entre leurs mœurs, leurs actions, leurs travaux et leurs destinées ? Nous en avons pour garant le témoignage de l'Ecriture, aujourd'hui répandue parmi tous les peuples.

34. Dira-t-on que le plus court intervalle de temps qui sépare la naissance de deux jumeaux, est d'une grande importance dans la nature et eu égard à la vitesse prodigieuse des corps célestes ? Quand même je reconnaîtrais cette importance, un mathématicien peut-il saisir un instant si rapide dans les constellations, à l'aspect desquelles il se vante de prédire les destinées? Si donc il ne découvre aucune différence dans les constellations, s'il les voit nécessairement les mêmes et pour Jacob et pour Esaü, que lui sert que dans les corps célestes, il y ait cet intervalle qu'il soutient avec une assurance téméraire, s'il n'existe point sur ces tablettes qu'il consulte en, vain avec tant d'application ? Aussi doit-on mettre au nombre des conventions faites avec les démons, ces doctrines qui enseignent à chercher la connaissance des évènements dans des signes établis par la vanité présomptueuse des hommes.

 

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CHAPITRE XXIII. POURQUOI IL FAUT REJETER LA SCIENCE DES ASTROLOGUES.

 

35. Il arrive en effet que, par un secret jugement de Dieu, les hommes au cœur perverti sont livrés aux illusions et aux erreurs que mérite la dépravation de leurs désirs ; qu'ils sont séduits et trompés par les anges prévaricateurs à qui la providence de Dieu a soumis cette partie inférieure du monde, pour la plus grande beauté de l'univers. Sous l'empire de leurs artifices et de leurs prestiges, ces hommes à l'aide de leurs sciences divinatoires, aussi funestes que superstitieuses, révèlent des événements passés ou à venir, qui arrivent souvent comme ils ont été prédits, et d'une manière conforme à leurs observations ; et leur curiosité, de plus en plus stimulée, les jette et les enlace dans les noeuds inextricables de la plus pernicieuse erreur.

L'Écriture, signalant le danger, a stigmatisé cet égarement de l'esprit humain ; non-seulement elle nous avertit de fuir avec. horreur ces extravagances comme provenant de la

bouche des professeurs de mensonges, elle va jusqu'à dire : « Quant même ce qu'ils vous « auront dit arriverait, ne les croyez point (1). » Parce que l'ombre de Samuel, après sa mort, ne prophétisa rien que de vrai au roi Saül (2), les sacrilèges qui furent commis, en évoquant ce fantôme, n'en sont pas moins détestables.

Et bien que cette femme ventriloque, dont il est parlé dans les Actes, rendit un témoignage véritable aux Apôtres du Seigneur, saint Paul n'épargna pas pour ce motif l'esprit qui était en elle, mais il la délivra en menaçant et en chassant le démon qui l'obsédait (3).

36. Tout chrétien doit donc fuir et rejeter ces superstitions puériles ou dangereuses, qui entretiennent un commerce contagieux entre les hommes et les démons, et ne sont que la convention d'une fausse et perfide amitié. « Ce n'est pas, dit saint Paul, qu'une idole soit quelque chose, mais je dis que ce que les païens immolent, ils l'immolent aux démons et non pas à Dieu. Or je ne veux pas que « vous ayez aucune société avec les démons (4). »

Ce que l'Apôtre dit des idoles et des victimes immolées , en leur honneur, il le faut dire de toutes ces vaines institutions qui portent à honorer les idoles ou une créature quelconque, comme on honore Dieu ; lui enseignent à recourir à ces remèdes et à ces observances qui n'ont point été divinement et publiquement établis pour développer l'amour de Dieu et du prochain, et ne font que livrer le cœur de quelques misérables aux désirs déréglés des choses temporelles. Dans ces sortes de sciences on ne saurait trop craindre ni trop éviter toute société avec les démons, car de concert avec leur chef, ils ne cherchent qu'à nous fermer la voie du retour à la patrie.

Mais ce n'est pas seulement aux astres, que Dieu a créés et placés chacun à son rang, que les hommes ont emprunté tant de fausses conjectures : ils en ont tiré des différentes productions de la nature, de tous les évènements déterminés par l'action de la Providence divine, et les ont consignées dans leurs écrits, comme des règles infaillibles, dès qu'ils étaient témoins d'un phénomène extraordinaire, comme quand une mule était devenue féconde, bu qu'un corps quelconque avait été frappé de la foudre.

 

1. Deut. XIII, 1-3. — 2. I Rois, XXVIII, 14-20 ; Eccli. XLVI, 23. — 3. Act. XVI, 16-18. — 4. I Cor. X,19, 20.

 

 

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CHAPITRE XXIV. TOUT USAGE SUPERSTITIEUX SUPPOSE LE COMMERCE AVEC LES DÉMONS.

 

37. Toutes ces superstitions n'ont d'efficacité qu'autant que l'homme y met sa confiance, et que par ce langage muet il s'associe avec les démons. Et pourtant que renferment-elles, sinon des curiosités qui empoisonnent, des inquiétudes qui tourmentent, et une servitude qui conduit à la mort ? Ce n'est point leur vertu gui leur a attiré l'attention des hommes, ce sont les observations mêmes dont elle sont été l'objet, qui leur ont prêté quelque valeur. Aussi produisent-elles des effets différents selon la diversité des pensées et des espérances de leurs sectateurs. Car les esprits de mensonge font arriver à chacun, des évènements conformes aux désirs et aux craintes dont ils le voient agité, La lettre X, par exemple, qui sert à marquer le nombre dix, a chez les Grecs une signification autre que chez les Latins ; signification qu'elle tient, non de sa nature, mais d'une convention arbitraire ; et celui qui, connaissant ces deux langues, écrirait à un grec, n'emploierait pas, pour exprimer sa pensée, cette lettre dans le même sens que s'il écrivait à un latin. « Beta, » sous la même prononciation, est le nom d'une lettre chez le Grecs; et chez les Latins, celui d'une sorte de betterave. Ces deux syllabes : « lege, » ont un sens bien différent dans les deux langues. Toutes ces expressions frappent donc diversement les esprits, selon la diversité des conventions adoptées dans la société à laquelle ils appartiennent : ce n'est pas parce, qu'elles avaient telle signification par elles-mêmes qu'on les a adoptées ; elles n'ont de sens que celui qui leur a été donné d'un commun accord. Ainsi en est-il de ces signes dont on se sert pour lier un commerce funeste avec les démons : ils n'ont de valeur que celle que leur attribuent ceux qui les observent. La manière dont agissent les augures en est une preuve manifeste ; car avant l'observation comme après la découverte de leurs signes, ils ne s'arrêtent nullement à considérer le vol des oiseaux ni à écouter leurs cris: quelle signification en effet peut-on y trouver, sinon celle qu'il plaît à l'observateur d'y attacher ?

 

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CHAPITRE XXV. LES INSTITUTIONS HUMAINES EXEMPTES DE SUPERSTITIONS SONT EN PARTIE SUPERFLUES ET EN PARTIE UTILES ET NÉCESSAIRES.

 

38. Après avoir détruit et déraciné de telles extravagances dans l'esprit du chrétien, nous avons à examiner désormais les institutions humaines exemptes de superstition, et que les hommes ont établies entre eux, et non avec les démons.

On doit regarder comme institutions humaines, toutes celles qui n'ont parmi les hommes d'autre valeur que celles qu'ils sont convenus de leur attribuer. Les unes sont superflues et excessives, les autres utiles et nécessaires. Pour parler des signes que font les histrions dans leurs danses, si la signification de leurs gestes était naturelle, et non de pure convention, un héraut n'aurait pas été chargé autrefois d'expliquer aux citoyens de Carthage ce que le pantomime voulait exprimer par sa danse. Bien des vieillards se souviennent de cet usage, et nous en parlent souvent. Ce qui confirme leur témoignage, c'est que, aujourd'hui encore, lorsqu'on entre au théâtre où se jouent ces représentations puériles, sans y être initié, c'est en vain qu'on y prête toute son attention, si quelqu'un n'explique ce que signifient les gestes des acteurs. Tous cependant cherchent à produire des signes qui ressemblent autant que possible à la chose signifiée. Mais comme il peut exister entre les choses divers points de ressemblance, la véritable signification des signes ne se détermine que par une mutuelle convention entre les hommes.

39. Quant aux peintures, aux statues et autres œuvres de ce genre, personne ne s'y méprend, surtout quand elles émanent de la main d'artistes distingués ; il est facile de reconnaître ce qu'elles représentent. Ce sont là des institutions humaines superflues, à moins qu'elles ne tirent quelque importance de la fin, du motif, du lieu, du temps et de l'autorité qui les fait produire. Reconnaissons encore la même origine à ces compositions et à ces fables sans nombre dont les fictions mensongères ont tant de charmés pour les hommes. Et qu'y a-t-il, dans ce qui émane de l'homme, qui soit plus (34) véritablement son oeuvre que ce qui est erreur et mensonge ?

Il est d'autres, institutions humaines qui sont utiles et nécessaires : tels sont les vêtements divers et les ornements extérieurs qui servent à distinguer les sexes et les dignités ; ces autres signes innombrables qui rendent possibles, ou du moins facilitent les rapports de la vie sociale:  tes poids, les mesures, l'effigie et la valeur des monnaies propres à chaque pays et à chaque peuple, etc. Si ces choses n'étaient pas d'institution humaine, elles ne seraient pas si différentes parmi les peuples, et ne changeraient pas dans une même nation au gré de ses princes.

 

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CHAPITRE XXVI. INSTITUTIONS HUMAINES A REJETER ; CELLES QU'IL FAUT ADOPTER.

 

40. Toutes les institutions humaines qui ont pour objet l'usage des choses nécessaires à la vie, sont loin d'être indignes de l'attention du chrétien. Il doit même y consacrer une étude suffisante et les fixer dans sa mémoire. Car il en est quelques-unes qui ont un sens figuratif, et ressemblent assez aux signes naturels. Mais je le répète; il faut repousser avec horreur toutes celles qui servent à nouer quelqu'alliance avec les démons. Quant à celles qui ont pour objet les rapports des hommes entre eux, on peut en user dans ce qu'elles n'ont pas de superflu et d'excessif, comme les figures des lettres sans lesquelles on ne pourrait lire ; la science des diverses langues dans la mesure de son utilité, ainsi que nous l'avons déjà observé. On peut y rapporter aussi les notes, qui ont fait donner le nom de notaires à ceux qui en font une étude particulière. Ce sont là des institutions utiles et dont il est permis de s'instruire : elles n'entraînent dans aucune superstition et n'amollissent point par le luxe, pourvu que le soin que l'on y consacre ne soit pas un obstacle aux fins plus importantes auxquelles elles doivent concourir.

 

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CHAPITRE XXVII. SCIENCES QUI NE SONT PAS D'INSTITUTION HUMAINE.

 

41. J'arrive à ces connaissances qui comprennent les faits accomplis dans la suite des temps, ou ce que la, sagesse divine a établies, et que les hommes n'ont enseignées que comme fruits de leurs observations et de leurs recherchés. Quelle que soit la source où on les puise, on ne peut les regarder comme des institutions humaines. Les unes sont du domaine des sens, les autres de celui de l'esprit. A l'égard des choses qui s'apprennent par l'entremise des sens, ou l'histoire nous en instruit, ou la démonstration nous les fait saisir, ou l'expérience nous les fait conjecturer.

 

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CHAPITRE XXVIII. UTILITÉ DE L'HISTOIRE.

 

42. Tout ce que l'histoire nous apprend des faits qui se sont produits dans la suite des siècles antérieurs, nous facilite singulièrement l'intelligence de livres saints, alors même qu'on n'y chercherait, dans les écoles profanes, qu'une vaine érudition. Que de faits n'avons-nous pas à déterminer souvent par le moyen des Olympiades et les noms des consuls ? C'est pour avoir ignoré sous quel consulat le Seigneur est né, et sous lequel il est mort, que plusieurs ont cru faussement qu'il avait souffert à l'âge de quarante-six ans; parce que les Juifs avaient dit un jour que l'édification du temple, qui était la figure du corps du Seigneur, avait duré ce même nombre d'années (1) . Le récit évangélique nous apprend qu'il avait près de trente ans à l'époque de son baptême ; quant au nombre d'années qu'il passa ensuite sur la terra, on peut le déterminer, il est vrai, parla suite de ses actions ; mais pour dissiper jusqu'à l'ombre du doute, et établir sur ce point plus de lumière et de certitude, il suffit de confronter l'histoire profane avec l'Evangile. On verra alors que ce n'est pas en vain qu'il a été dit qu'on avait consacré quarante-six ans à la construction du temple. Car, ne pouvant appliquer ce nombre à l'âge du Seigneur, on   sera contraint de le rapporter à un mystère caché de ce corps humain, dont n'a pas dédaigné de se revêtir pour nous le Fils unique de Dieu, par qui toutes choses ont été faites.

43. Comme preuve de l'utilité de l'histoire, sans parler ici des Grecs, avec quelle force notre illustre Ambroise ne réfute-t-il pas cette indigne

 

1. Jean, II, 20.

 

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calomnie des admirateurs de Platon, que toutes les maximes de Jésus-Christ Notre-Seigneur, qu'ils sont contraints d'admirer et de publier, ont été tirées des livres de ce philosophe, lequel vivait sans aucun doute longtemps avant l'avènement du Sauveur ? Ce saint prélat ayant découvert dans l'histoire profane que Platon s'était rendu en Égypte, à l'époque même où Jérémie s'y trouvait, a démontré, comme plus vraisemblable, qu'il avait eu connaissance de nos livres saints par l'entremise de ce prophète, et que c'est là qu'il a puisé ces doctrines et ces écrits qu'on admire à juste titre. Les1ivres du peuple hébreu, qui pratiqua par excellence le culte d'un seul Dieu, et dont descend Jésus-Christ selon la chair, existaient bien avant que parut Pythagore même, dont les disciples, assure-t-on, enseignèrent la théologie à Platon. Ainsi en rapprochant les diverses époques, il paraît plus raisonnable de croire que ces philosophes ont tiré de nos livres saints tout ce qu'ils ont de bon et de vrai, plutôt que d'admettre cette insigne folie que Jésus-Christ ait emprunté à Platon.

44. Quoique les choses établies autrefois par les hommes puissent être l'objet d'un récit historique, on ne doit cependant pas mettre l'histoire au rang des institutions humaines, parce que les évènements passés, qui ne peuvent plus n'avoir pas existé, appartiennent à l'ordre des temps dont Dieu est le Créateur et le modérateur suprême. Autre chose est de raconter ce qui est fait, et autre chose d'enseigner ce qui est à faire. L'histoire raconte fidèlement et utilement les faits ; tandis que les livres des devins et tous les écrits de cette sorte prétendent enseigner, avec plus de présomption que de certitude, ce qu'il faut faire et observer.

 

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CHAPITRE XXIX. UTILITÉ DE LA CONNAISSANCE DES ANIMAUX, DES PLANTES, DES ARBRES, POUR L'INTELLIGENCE DE L'ÉCRITURE.

 

45. Il y a aussi une sorte de narration, semblable à la démonstration, qui fait connaître non les choses passées, mais les choses présentes à ceux qui les ignorent. Tels sont les écrits qui traitent de la situation des lieux, de la nature des animaux, des propriétés des plantes, des  arbres, des pierres et des autres corps. Nous en avons parlé  plus haut, et nous avons fait ressortir l'utilité de ces connaissances pour résoudre les difficultés de l'Ecriture. Qu'on n'y cherche point de ces signes qu'on emploie comme remèdes ou comme instruments de quelque superstition. Nous avons déjà condamné cet usage impie, bien différent de l'usage permis et légitime dont il est: ici question. Dire par exemple : Si vous prenez cette herbe broyée, vous ne souffrirez plus aux entrailles ; et dire : Votre douleur cessera, si vous suspendez cette herbe à votre cou; est chose bien différente. D'un coté on voit une propriété salutaire, et de l'autre une superstition condamnable. Et alors même qu'il n'y a ni enchantement, ni invocations, ni caractères, il est très-souvent douteux si ce que l'on attache ou ce qu'on applique au corps pour le guérir, agit par une efficacité naturelle, à laquelle on est libre de recourir, ou s'il ne tire sa vertu que de la manière significative et mystérieuse dont on l'emploie. Sous ce rapport, plus l'efficacité du remède paraîtra étonnante, plus il sera de la prudence chrétienne de le rejeter. Quand on ne peut découvrir d'où provient la vertu d'une chose, il importe de considérer l'intention qui en dirige l'usage, si c'est uniquement pour la guérison ou le soulagement du corps, si c'est suivant les principes de la médecine et de l'agriculture.

46. C'est par la démonstration, et non par la narration historique, que s'acquiert la connaissance des astres. L'Ecriture en dit fort peu de choses. Si l'on connaît généralement le cours de la lune, qui sert à déterminer chaque année le jour où doit se célébrer la solennité de la passion du Seigneur, il n'y a, pour les autres astres, qu'un petit nombre de savants qui aient une science certaine de leur lever, de leur coucher, et de leurs divers mouvements. Cette science n'implique sans doute par elle-même aucune superstition ; mais son utilité est fort restreinte, et pour ainsi dire nulle, relativement à l'étude des divines Ecritures ; elle y met plutôt obstacle par le but futile qu'on s'y propose. Ajoutons qu'à raison des rapports qu'elle a avec les dangereuses erreurs de ces prophètes insensés des destinées humaines, il est plus avantageux et plus convenable de la mépriser. Outre la démonstration de ce qui existe présentement, la science des astres renferme encore une sorte d'histoire du passé, en ce sens que leur situation et leur: mouvements actuels conduisent régulièrement (36) à connaître leur ancien cours. Elle enseigne de plus à former sur l'avenir des conjectures qui ne sont ni douteuses, ni de mauvais présage, mais certaines et constantes ;conjectures qui doivent servir, non à faire sur les actions et les évènements de notre vie des prédictions semblables aux extravagances des astrologues, mais à prévoir ce qui a rapport aux astres mêmes. Ainsi celui qui observe les phases de la lune, peut, en constatant le point où elle en est aujourd'hui de son cours, reconnaître où elle en était il y a plusieurs années auparavant, et où elle en sera plusieurs années dans la suite, à un jour déterminé. Un observateur expérimenté établit des calculs aussi infaillibles sur chacun des autres astres. J'ai déjà déclaré ce que je pense de toute cette science, relativement à l'usage qu'on peut en faire.

 

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CHAPITRE XXX. UTILITÉ DES ARTS MÉCANIQUES.

 

47. Parmi les arts, il en est dont l'objet est de façonner quelqu'ouvrage; et le travail de l'ouvrier laisse après lui des oeuvres permanentes, comme une maison, un banc, un vase et autres choses semblables ; d'autres qui servent en quelque sorte d'instruments à l'action divine, comme la médecine, l'agriculture et le gouvernement ; d'autres enfin dont tout l'effet n'est que dans l'action même, tel que l'exercice de la danse, de la course et de la lutte. Or, dans tous ces arts, l'expérience du passé sert aussi à conjecturer l'avenir : car nul de ceux qui les professent ne travaille sans rattacher au souvenir des effets passés l'espérance des mêmes résultats pour l'avenir. Il est bon, dans le cours de cette vie, de s'appliquer quelque peu et comme en passant, à la connaissance de ces arts, non pour les exercer, à moins qu'une profession particulière n'y oblige, ce dont il n'est pas ici question ; mais simplement pour pouvoir en juger, et pour ne pas ignorer ce que l'Ecriture veut faire entendre, quand elle emploie des locutions figurées tirées de cette source.

 

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CHAPITRE XXXI. UTILITÉ DE LA DIALECTIQUE.

 

48. Il nous reste à parler des connaissances qui sont, non plus du domaine des sens extérieurs, mais du ressort de l'esprit, et qui consistent principalement dans la science du raisonnement et des nombres. La science du raisonnement est de la plus grande utilité pour approfondir et résoudre toutes les difficultés qui se rencontrent dans l'Ecriture. Seulement on doit se mettre en garde contre la passion de la dispute et contre la satisfaction puérile de tromper son adversaire. Il y a en effet une foule de ces raisonnements appelés sophismes, dont les fausses conclusions présentent ordinairement un tel caractère de vérité, qu'elles surprennent, non-seulement les esprits moins pénétrants, mais même les intelligences éclairées, pour peu qu'elles n'y prennent garde. Dans .une conversation, quelqu'un s'adressant à son interlocuteur lui dit: Vous n'êtes pas ce que je suis. Ce dernier en convint; et c'était vrai, ne fût-ce qu'en ce sens que l'un était insidieux et l'autre simple et droit. Il ajouta alors : Or je suis un homme. Ce qui lui ayant été accordé, il tira cette conclusion : Donc vous n'êtes pas un homme. L'Ecriture, je crois, a sévèrement condamné ces sortes de conclusions captieuses, quand elle a dit : « Celui qui parle par sophismes est digne de haine (1). » Cependant on regarde aussi comme sophistique tout discours qui, sans être insidieux, sacrifie la gravité à une recherché affectée des ornements du style.

49. Il y a en outre de ces raisonnements où certaines conséquences se tirent logiquement de principes faux et erronés posés par un adversaire. Un homme droit et instruit oppose à son interlocuteur ces conclusions qu'il réprouve, pour le contraindre à abandonner l'erreur dont elles découlent ; car en y persistant, il est forcé d'admettre des conséquences qu'il repousse. Ainsi l'Apôtre ne tirait pas une conclusion vraie en elle-même, quand il disait :

« Jésus-Christ n'est donc pas ressuscité; notre prédication est donc vaine; votre foi est donc  inutile (2). » Ce qui est très-faux, puisque Jésus-Christ est réellement ressuscité, puisque la prédication de ce mystère n'était pas vaine,

 

1. Eccli. XXXVII, 23. — 2. I Cor. XV, 24.

 

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ni la foi des fidèles inutile. Mais ces fausses assertions découlaient logiquement des principes de ceux qui niaient la résurrection des morts. Or, en rejetant ces fausses conclusions, qu'il faudrait admettre si les morts ne ressuscitent, pas la conséquence nécessaire est qu'ils ressuscitent. Comme on tire des conséquences logiques aussi bien de l'erreur que de la vérité, il est facile d'en apprendre les règles mêmes dans les écales profanes. Quant à. la vérité des principes, c'est dans les livres ecclésiastiques qu'il faut la chercher.

 

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CHAPITRE XXXII. D'OÙ PROVIENT LA LOGIQUE DANS LES CONCLUSIONS.

 

50. La vérité logique des conséquences n'est -ras l'œuvre de l'esprit humain, qui ne fait que la découvrir et la constater pour son instruction et celle des autres; elle a son origine dans la raison divine et éternelle des choses. L'historien qui raconte les faits arrivés dans l'ordre des temps, ne rapporte pas ce qu'il a fait lui-même; le naturaliste qui dépeint la situation des lieux, les propriétés des animaux, des plantes et des pierres; l'astronome qui découvre les astres et leurs mouvements divers, n'enseignent rien qui soit l'œuvre des pommes. De même celui qui dit : quand le conséquent est faux, l'antécédent l'est nécessairement aussi, affirme une vérité évidente ; il ne dépend pas de lui qu'il, en soit ainsi, il ne fait que le démontrer. C'est sur cet axiôme que repose te raisonnement de saint Paul dont nous avons parlé. La proposition antécédente était que les morts ne ressuscitent pas; erreur que l'Apôtre voulait renverser. De cette proposition il suit nécessairement que le Christ' n'est pas ressuscité. Mais cette conséquence étant fausse, puisqu'il est certain que le Christ est ressuscité, on doit. conclure que la proposition antécédente l'est aussi, et conséquemment qu'il y a une résurrection des morts. En deux mots : s'il n'y a pas de résurrection des morts, le Christ n'est pas ressuscité ; or le Christ est ressuscité; donc il y a une résurrection des morts. L'esprit de l'homme n'a pas établi, il a seulement constaté qu'en renversant une conséquence on détruit nécessairement son antécédent. Cette règle a rapport à la vérité logique des conclusions, et non à la vérité absolue des propositions.

 

 

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CHAPITRE XXXIII. CONSÉQUENCES VRAIES DE PROPOSITIONS FAUSSES, ET CONSÉQUENCES FAUSSES DE PROPOSITIONS VRAIES.

 

51. Dans le raisonnement précédent, établi sur la résurrection, la conséquence est vraie logiquement et en elle-même. Voici maintenant comment de propositions fausses ou peut, tirer des conséquences très-logiques. Supposons que quelqu'un soit convenu de cette proposition : si le limaçon est animal, il a une voix. En lui prouvant que le limaçon n'a point de voix, on devra conclure qu'il n'est point un animal, puisqu'en détruisant la conséquence, on détruit par là même la proposition qui précède . Cette dernière conclusion est fausse en elle-même , mais elle est logiquement déduite d'une proposition fausse qu'on avait accordée . La vérité d'une proposition existe par elle-même, tandis que la vérité logique d'une conséquence dépend du principe posé ou concédé par l'adversaire. Or, on tire de ces conséquences fausses en elles-mêmes, mais logiquement vraies, pour redresser une erreur, ainsi que nous l'avons observé, et pour démontrer qu'on avait tort d'accorder un principe dont on voit qu'il faut rejeter les conséquences.

Il est facile dès lors de comprendre que de propositions vraies, on peut déduire des conclusions fausses; de même que de propositions fausses on en déduit de vraies. Qu'on dise par exemple : Si cet homme est juste, il est bon ; or, il n'est pas juste ; ces deux propositions accordées, la conclusion sera : donc il n'est pas bon. Quoique toutes ces assertions puissent être vraies, Cependant la conclusion n'est pas logiquement déduite. Car ôter l'antécédent n'est pas détruire nécessairement la conséquence, comme ôter la conséquence c'est détruire l'antécédent. Ainsi il est vrai de dire : S'il est orateur, il est homme ; mais si vous niez l'antécédent : or, il n'est pas orateur, vous ne pouvez tirer comme conséquence : donc il n'est pas homme.

 

 

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CHAPITRE XXXIV. CONNAISSANCE DES RÉGLES, DES CONSÉQUENCES ET DE LA VÉRITÉ DES PROPOSITIONS.

 

52. C'est donc chose bien différente de connaître les règles de la déduction des conséquences, et de connaître la vérité des propositions. Ces règles apprennent ce qui est conséquence,           ce qui ne l'est pas et ce qui répugne. S'il est orateur, il est homme; voilà qui est conséquent ; s'il est homme, il est orateur ; ceci ne l'est pas; s'il est homme, il est quadrupède ; voilà qui répugne. Il ne s'agit ici que de la connexion des propositions entre elles ; mais pour juger de la vérité des propositions, il faut les considérer en elles-mêmes, et non dans leurs liaisons et leurs rapports. Quant à celles qui paraissent incertaines, si elles ont une connexion évidente avec d'autres qui sont varies et certaines, elles deviennent par là même incontestables. — Quelques esprits se prévalent de cette science des rapports des propositions, comme. si c'était connaître la vérité même, tandis que d'autres, en possession des vrais principes, s'humilient. trop d'ignorer les règles d'après lesquelles se tire une conséquence. Ne vaut-il pas mieux, par exemple, savoir que les morts ressuscitent, que de connaître que s'il n'y a point de résurrection des morts , la conséquence est que Jésus-Christ n'est pas ressuscité ?

 

 

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CHAPITRE XXXV. SCIENCE DE LA DÉFINITION ET DE LA DIVISION DES CHOSES, VRAIE EN ELLE-MÊME.

 

53. Quoique la science de la définition et de la division s'exerce souvent dans le domaine de l'erreur, on ne peut en inférer qu'elle soit fausse en elle-même. Elle a son principe, non dans le travail de l'esprit humain, mais dans la raison des choses. Quoiqu'elle ait servi aux poètes dans leurs fables, aux philosophes et aux hérétiques, je veux dire aux faux chrétiens , dans leurs opinions erronées, il n'en est pas moins vrai que toute définition , toute division ne doit rien renfermer d'étranger au sujet, ni rien omettre qui en soit de l'essence, même quand le faux est la matière à définir ou à diviser. Car le faux lui-même se définit, en disant qu'il consiste à présenter une chose autre qu'elle n'est : définition qui est vraie, quoique le faux ne puisse l'être. On peut en outre le diviser, et dire qu'il y en a deux sortes : l'une, des choses qui absolument ne peuvent pas être, et l'autre, des choses qui ne sont pas, bien qu'elles soient possibles. Prétendre, par exemple , que sept et trois font onze, c'est avancer une absurdité; et dire qu'il a plu aux calendes de janvier, quand il n'en est rien, c'est soutenir un fait qui pouvait avoir lieu, bien qu'il n'ait pas existé. La définition et la division du faux peuvent donc être vraies, quoique le faux lui-même ne le soit jamais.

 

 

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CHAPITRE XXXVI. MÈMES OBSERVATIONS SUR LES RÈGLES DE L'ÉLOQUENCE.

 

54. L'éloquence elle-même, aux formes plus développées et plus étendues, a ses règles qui sont vraies, quoiqu'elles puissent servir à la persuasion de l'erreur. Mais comme elles servent également à persuader la vérité, ce n'est pas l'éloquence elle-même, mais ceux qui en font un usage pervers, qu'il faut condamner. Car ce ne sont pas les hommes qui ont établi qu'une démonstration- de bienveillance prévienne favorablement l'auditeur; qu'une narration claire et précise insinue facilement son objet dans l'esprit; qu'un récit varié soutienne l'attention et prévienne l'ennui. Ces règles et autres semblables sont toujours vraies, dans la cause de l'erreur comme dans celle de la vérité, en ce sens que leur effet est de porter la connaissance ou la persuasion dans les esprits, de leur inspirer pour une chose le désir ou la répulsion. Les hommes leur ont reconnu cette puissance, mais ils ne la leur ont pas communiquée.

 

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CHAPITRE XXXVII. UTILITÉ DE LA RHÉTORIQUE ET DE LA DIALECTIQUE.

 

55. L'art de l'éloquence doit servir plus à exprimer ce que l'on a compris qu'à le faire comprendre. La science des conclusions, des définitions et des divisions facilite beaucoup l'intelligence des choses ; seulement, que celui qui la possède ne se persuade pas facilement tenir la vérité même qui est le principe du bonheur. Il arrive souvent néanmoins qu'on  (39) parvient plus facilement à la fin qu'on se propose dans l'étude de cette science, qu'à en apprendre les préceptes si épineux et si ardus. Qu'un homme imagine de tracer des règles pour marcher ; qu'il enseigne qu'il ne faut lever le pied qui est en arrière qu'après avoir posé celui qui est en avant; qu'il explique en détail les mouvements à imprimer aux diverses articulations des membres : tout ce qu'il dit est vrai, et il le faut observer pour marcher. Mais n'est-il pas plus facile de réduire ces règles en pratique en se mettant à marcher, que d'y prendre garde dans l'action même, ou de les comprendre quand on les explique? Ont-elles le moindre intérêt pour celui qui ne peut en faire l'expérience, parce qu'il ne peut marcher? Ainsi en est-il de la science dont nous parlons ; souvent un esprit perspicace verra plutôt qu'une conséquence est fausse qu'il n'en comprendra les règles; une intelligence bornée ne pourra juger de la nature d'une conclusion, mais elle saisira encore moins les préceptes qui y ont rapport. Ces sortes de sciences offrent donc plus de satisfaction par la manière dont la vérité est présentée, que d'utilité réelle pour la discussion et le jugement. Peut-être cependant servent-elles à rendre les esprits plus exercés : et encore est-il à désirer qu'ils n'en deviennent pas plus pervers et plus orgueilleux, qu'ils ne se plaisent à tromper par des questions et des raisonnements spécieux, et qu'ils ne regardent ces connaissances qu'ils ont acquises, comme un rare privilège qui les élève bien au-dessus des hommes sages et vertueux.

 

 

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CHAPITRE XXXVIII. ORIGINE DE LA SCIENCE DES NOMBRES.

 

56. Quant à la science des nombres, il est évident pour l'esprit le moins éclairé, qu'elle n'est pas de l'institution des hommes, et qu'ils n'ont fait que la découvrir.. Virgile a bien pu changer la mesure de la première syllabe du mot Italia, et de brève qu'elle était auparavant, la faire longue ; mais personne ne pourra établir que trois fois trois ne fassent pas neuf, qu'ils ne puissent former un carré, qu'ils ne soient le triple du nombre trois, ou une fois et demie le nombre six, ou qu'ils forment le double d'un nombre quelconque, puisque les nombres intelligibles n'ont pas de fraction. Soit donc qu’ on considère ces nombres en eux-mêmes, soit qu'ils servent à établir les lois des figures, de l'harmonie et des mouvements , toujours ils sont soumis à des règles invariables que les hommes n'ont point inventées, mais que la perspicacité des savants a seulement découvertes.

57. Cependant, s'adonner à ces diverses connaissances pour s'en prévaloir aux yeux de l'ignorance; ne pas découvrir le principe d'où découle la vérité des choses qu'on a simplement reconnues comme vraies, ni d'où procède non-seulement la vérité, mais encore l'immuabilité de celles qu'on sait être immuables; ne pas savoir s'élever de la vue des choses sensibles à la considération de l'urne humaine, de manière à en constater, d'un côté, sa mutabilité dans la vissicitude de ses lumières et de ses ténèbres, et de l'autre, son rang sublime entre l'immuable vérité qui est au-dessus d'elle et les. choses passagères. qui sont au dessous, pour rapporter tout à la louange et à l'amour du Dieu que l'on proclame auteur de toutes choses : ce peut être un titre à la réputation de savant, mais jamais à celle d'homme sage.

 

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CHAPITRE XXXIX.  SCIENCES AUXQUELLES ON PEUT S'APPLIQUER.

 

58. C'est donc, à mon avis, une sage prescription à tracer aux jeunes gens studieux et capables, qui ont, avec la crainte de Dieu, le désir de la vie heureuse, de n'embrasser témérairement aucune des sciences qui s'enseignent en dehors de l'Eglise de Jésus-Christ, comme ; moyens infaillibles d'arriver au bonheur, mais d'en faire un discernement exact et judicieux. Toutes ces sciences humaines, dont les principes varient au gré de leurs auteurs qui n'offrent que les ténèbres de leurs erreurs et de leurs doutes, surtout si elles supposent un commerce avec les démons à l'aide de quelques .signes de convention, qu'ils les répudient entièrement et qu'ils les détestent. Qu'ils laissent également de côté toutes les connaissances vaines et superflues. Quant aux institutions humaines qui ont pour but de faciliter les rapports de la vie sociale, qu'ils s'y appliquent autant que 1a nécessité l'exige. A part l'histoire des  (40) évènements des siècles passés ou de l'époque actuelle, les expériences et les conjectures que l'on tire des arts utiles, de la science du raisonnement et des nombres, je ne vois pas à quoi peuvent servir toutes les autres sciences profanes. Il faut s'en tenir à la maxime du poète : « Rien de trop (1) » ; surtout en ce qui a rapport aux choses sensibles et dépendantes des temps et des lieux.

59. Quelques auteurs ont travaillé à interpréter séparément tous les termes et tous les noms hébreux, syriaques, égyptiens et ceux de toute langue étrangère que l'Ecriture avait employés sans les expliquer. Eusèbe a inséré dans son histoire tous les documents propres à résoudre les difficultés des Livres saints qui y sont relatives. C'était épargner au chrétien une foule de recherches pour quelques questions de peu , importance. De même un écrivain capable, animé du noble désir de se rendre utile à ses frères, pourrait, je crois, exposer à part la situation des lieux, la nature des animaux, des plantes, des arbres, des pierres, des métaux et de toutes les espèces d'êtres dont il est fait mention dans l'Ecriture. Il est facile aussi d'expliquer la raison des nombres qu'elle emploie. Peut-être ces divers travaux sont ils déjà réalisés en tout ou en partie, car il nous est arrivé de découvrir des écrits, émanés de chrétiens vertueux et éclairés, dont la composition nous était restée .inconnue ; parce que la négligence des uns ou l'envie des autres nous en dérobait la connaissance. Quant à l'art du raisonnement, je ne crois pas qu'il puisse être l'objet d'un travail de ce genre, parce qu'il soutient toutes les parties du texte sacré, dont il est comme le nerf. Il sert plus à éclairer ou à résoudre les passages obscurs, dont nous traiterons dans la suite, qu'à expliquer les signes inconnus dont nous parlons maintenant.

 

 

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CHAPITRE XL. IL FAUT PROFITER DE CE QUE LES PAÏENS ONT DE VRAI.

 

60. Si les philosophes et principalement les platoniciens ont parfois quelques vérités conformes à nos vérités religieuses , nous ne devons pas les rejeter, mais les leur ravir comme à d'injustes possesseurs et les faire passer

 

1. Térence, And. Act. I, scène I.

 

à notre usage. Le peuple d'Israël rencontra chez les Egyptiens, non-seulement des idoles et des fardeaux accablants qu'il devait fuir et détester, mais encore des vases d'or et d'argent, des vêtements précieux, qu'il leur enleva secrètement en sortant de l'Egypte, pour les employer à de plus saints usages. Il ne le fit pas de sa propre autorité, mais par un commandement exprès de la part de Dieu : et les Egyptiens ignorant leur dessein leur confiaient ces richesses, dont ils faisaient eux-mêmes un criminel abus (1). De même les sciences des infidèles ne renferment pas uniquement des fictions superstitieuses et des fables, des prescriptions onéreuses et vaines, que nous devons tous fuir et détester, en nous séparant de la société païenne sous la conduite du Christ. Elles contiennent aussi ce que les arts libéraux ont de plus propre à servir la vérité, d'excellents préceptes des moeurs, quelques vérités relatives au culte d'un Dieu unique. C'est là leur or et leur argent; ils ne les ont pas créés, mais tirés des trésors de la divine Providence, répandus partout comme les métaux au sein de la terre, et ils en font un usage indigné en les sacrifiant aux démons. En brisant tous les lieus qui l'attachaient à leur société perverse, le chrétien doit enlever ces richesses pour les faire servir à la juste cause de la diffusion de l'Evangile ; il doit aussi leur ravir, autant que possible, leurs vêtements de prix, c'est-à-dire ces institutions humaines qui répondent aux nécessités de la vie sociale, à laquelle nous sommes astreints ici bas, pour les convertir en des usages chrétiens.

61. N'est-ce pas là ce qu'ont fait nos    plus illustres modèles? Pour ne rien dire des vivants, ne voyons-nous pas de combien d'or, d'argent, de vêtements précieux, se sont chargés en sortant de l'Egypte, et Cyprien, cet éloquent docteur et cet heureux martyr, et Lactance, et Victorin, et Optat, et Hilaire et une foule d'autres parmi les Grecs? Ne l'avait-il pas déjà fait auparavant, ce fidèle serviteur de Dieu, Moïse lui-même, dont il est dit qu'il avait été instruit dans toute la sagesse des Egytiens (2)? Certainement le paganisme , engoué de ses superstitions, n'eût jamais fait part à ces grands hommes des connaissances utiles dont il était en possession, surtout à une époque où il repoussait le joug du Christ et

 

1. Exod. III, 22; XII, 35: - 2 Act. VII, 10.

 

 

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persécutait les chrétiens, s'il eût soupçonné qu'ils dussent s'en servir pour établir le culte d'un Dieu unique et renverser par là celui des idoles. Mais en confiant son or, son argent, ses vêtements précieux au peuple de Dieu sortant de l'Égypte, il ignorait que ce qu'il donnait allait être consacré à la gloire du Christ. Le fait consigné dans l'Exode, fut, sans aucun doute, la figure de celui dont je parle; ce que je dis, sans préjudice pour toute autre interprétation semblable ou meilleure qu'on pourrait en donner.

 

 

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CHAPITRE XLI. DANS QUEL ESPRIT IL FAUT ÉTUDIER L'ÉCRITURE.

 

62. Déjà éclairé par ce que nous avons dit, celui qui s'applique à l'étude des Écritures devra, en ouvrant les saints Livres, se rappeler sans cesse cette parole de l'Apôtre: « La science « enfle, et la charité édifie (1). » Il comprendra que, tout en sortant de l'Égypte chargé de richesses, il ne peut être sauvé s'il ne célèbre la Pâque. Or Jésus-Chrst est l'Agneau pascal qui a été immolé pour nous (2) ; et son immolation nous enseigne de la manière la plus saisissante, il nous crie comme s'il nous voyait gémir en Egypte sous le joug de Pharaon : « Venez à moi, vous tous qui êtes fatigués et accablés de pesants fardeaux, et je vous soulagerai. Prenez mon joug sur vous et apprenez de moi que je suis doux et humble de coeur, et vous trouverez le repos de vos âmes; car mon joug est doux et mon fardeau est léger (3). » A qui s'adressent ces paroles, sinon à ceux qui sont doux et humbles de coeur, que la science n'enfle point et que la charité édifie? Qu'ils se souviennent donc qu'autrefois ceux qui célébraient la Pâque avec des cérémonies qui n'étaient que des ombres et des figures, avaient été marqués avec l'hysope avant de teindre leurs portes du sang  de l'agneau (4). L'hysope est une plante douce et humble; mais rien de plus fort et de plus pénétrant que ses racines : « afin qu'enracinés et fondés dans la charité, nous puissions comprendre avec tous les saints, quelle est la largeur, la longueur, la hauteur et la profondeur (5) », c'est

 

1. I Cor. VIII, 1.

2. Ibid. V, 7.

3. Matth. XI, 28-30.

4. Exode, XII, 22.

5. Ephès. III, 17.

 

à-dire la croix du Seigneur. La largeur, c'est le bois transversal sur lequel sont étendues les mains; la longueur, c'est la partie qui monte de la terre jusqu'à là traverse, et à laquelle est attaché le corps à partir des mains; la hauteur va de la traverse au sommet où repose la tête ; et la profondeur est la partie fixée et cachée dans la terre. Dans ce signe de la croix, le chrétien peut lire la règle de ses actions; faire le bien en Jésus-Christ, s'attacher indissolublement à lui, porter ses désirs vers les biens célestes, et ne pas exposer les divins mystères à la profanation. Purifiés par cette vie sainte, nous pourrons connaître l'amour de Jésus-Christ envers nous, cet amour qui surpasse toute connaissance et par lequel ce Verbe divin qui a fait toutes choses, est égal au Père, afin que nous soyons comblés (le toute la plénitude des dons de Dieu (1). L'hysope, par sa vertu purgative, nous avertit encore de ne pas nous laisser enfler par cette science puisée dans les dépouilles de l'Égypte, et de ne pas livrer notre coeur aux folles inspirations de l'orgueil. « Vous m'arroserez, dit le prophète, avec l'hysope, et je serai purifié; vous me laverez et je deviendrai plus blanc que la neige. Tout ce que vous me ferez entendre m'annoncera l'allégresse et la paix (2). » Et pour. montrer que l'hysope est le symbole de la mort de l'orgueil, il ajoute immédiatement : « Et mes os qui sont dans l'humiliation tressailleront de joie (3). »

 

 

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CHAPITRE XLII. DIFFÉRENCE ENTRE LES LIVRES SAINTS ET LES LIVRES PROFANES.

 

63. Autant les richesses dont le peuple d'Israël fut comblé dans la suite à Jérusalem, principalement sous le règne de Salomon (4), Surpassaient l'or, l'argent et les vêtements précieux qu'il enleva de l'Egypte, autant la science des saintes Écritures l'emporte sur toute la science, même utile, réunie dans les livres profanes. Car toute connaissance puisée ailleurs, y est condamnée si elle est nuisible; si elle est utile elle y est renfermée. Et non-seulement elles offrent tout ce qu'il y a d'utile chez les

 

1. Ephès. III, 17-19.

2. Ps. L, 7.

3. Ibid. 10.

4. III Rois, X, 14-23.

 

 

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païens; mais encore, ce qu'on ne trouve nulle part, on le rencontre dans la simplicité admirable et la sublime profondeur de ces Livres divins. Le lecteur ainsi éclairé, n'ayant plus à craindre d'être arrêté par les signes inconnus, devenu doux et humble de cœur, volontiers courbé sons le joug du Christ, et chargé de son fardeau léger, fondé, enraciné, affermi dans la charité et prémuni contre l'enflure de la science, peut entreprendre d'examiner et d'approfondir les signes ambigus dont je vais parler dans le troisième livre, selon les lumières qu'il plaira à Dieu de m'accorder.

 

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LIVRE TROISIÈME.

 

Après avoir parlé, dans le livre précédent, de la connaissance des signes, le saint Docteur traite, dans celui-ci; du sens incertain et ambigu que peut offrir le texte sacré. — L'incertitude du sens, dans les termes propres, tient à la manière de les diviser dans la prononciation, où à leur double signification. —La suite et l'enchaînement du texte, la comparaison des différents interprètes entre eux, l'étude de la langue d'où l'Écriture a été traduite, sont les moyens de résoudre la première difficulté. — Pour les expressions métaphoriques, l'Auteur trace les règles qui doivent servir à reconnaître quand une locution est figurée, et dans quel sens il faut l'entendre. — Il termine en exposant les sept règles du donatiste Tichonius, relatives à cette question.

 

CHAPITRE PREMIER. OBJET DE CE LIVRE.

 

1. L'homme qui craint Dieu cherche avec soin sa volonté dans les saintes Écritures: La piété lui inspire la douceur, et l'éloigne de l'esprit de contention. Il prévient par la science des langues tout ce qui pourrait l'arrêter dans les termes et les locutions inconnues. Il acquiert les connaissances nécessaires sur la nature et les propriétés des choses qui servent de comparaisons. Qu'il ait ensuite entre les mains des exemplaires purifiés avec soin de toute erreur, il peut alors entreprendre de discuter et d'éclaircir les passages douteux du texte sacré. Nous allons, autant que nous en sommes capable, lui apprendre à ne pas s'y laisser tromper. Peut-être l'élévation de son génie ou l’étendue de ses lumières lui fera-t-elle mépriser ces règles comme vaines et puériles. Mais enfin, s'il est disposé à recevoir nos instructions,. nous lui ferons observer que toute ambiguïté de l’Ecriture réside dans les termes propres ou dans les termes métaphoriques. Nous avons déjà indiqué cette division dans le livre précédent.

 

 

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CHAPITRE II. AMBIGUITÉ QUI HAIT DE LA DIVISION DES TERMES.

 

2. Quand l'obscurité dit, texte provient des termes propres, il faut examiner d'abord sil n'y a pas eu division ou prononciation défectueuse des mots. Si, après une étude attentive, on demeure incertain de quelle manière les termes doivent être reliés entre eux ou prononcés, il faut recourir à la règle de la foi établie par les passages plus clairs de l'Écriture, et par l'autorité de l'Église. Nous en avons suffisamment parlé dans le premier Livre en traitant des choses. S'il y a incertitude entre deux ou plusieurs sens également orthodoxes, il ne reste qu'à examiner le contexte dans ce qui précède et ce qui suit, pour découvrir, parmi les sens divers qui se présentent, celui que réclament l'enchaînement et la liaison du discours.

3. Citons des exemples. Voici lune division des termes qui constitue une hérésie : In principio erat Verbum, et Verbum erat apud Deum, et Deus erat. « Au commencement était le Verbe, et le Verbe était en Dieu, et Dieu était. » Ce qui suit n'a plus le même sens : Verbum hoc (44) erat in principio apud Deum. « Le Verbe était en Dieu dès le commencement. » C'est évidemment nier la divinité du Verbe . Erreur que repousse la règle de la foi en nous enseignant l'égalité des trois personnes de la Trinité, et en nous faisant lire : Et Deus erat Verbum : « et le Verbe était Dieu, » et ajouter ensuite : Hoc erat. in principio, etc... « Il était au commencement avec Dieu (1). »

4. Dans le passage suivant de saint Paul, on peut établir une double division des termes, sans que le sens soit opposé à la foi : c'est l'ensemble du texte qui indique celle qu'il faut adopter. Et quid eligam ingoro : compellor auteur ex duobus, concupiscentiam habens dissolvi et esse cum Christo ; multo enim magis optimum ; manere in carne necessarium propter vos (2). Il est douteux si on doit lire : ex duobus concupiscentiam habens, ou : Compellor autem ex duobus; en sorte que les mots suivants : concupiscentiam habens etc... appartiennent à une autre proposition. Mais comme l'Apôtre ajoute immédiatement : multo enim magis optimum, il fait voir que son désir se portait vers ce qui était le meilleur pour lui, de manière qu'étant pressé des deux côtés, de l'un était le désir, et de l'autre la nécessité, c'est-à-dire, le désir d'être avec Jésus-Christ, et la nécessité de demeurer encore en cette vie. La conjonction enim, car, fait disparaître toute incertitude, et les interprètes qui ont supprimé cette particule, ont voulu faire prévaloir l'opinion que l'Apôtre était animé d'un double désir. Voici donc comme il faut allier les termes : Et quid eligam ignoro; compellor autem ex duobus : « J'ignore ce que je dois choisir, car je suis pressé des deux côtés; » ensuite l'Apôtre s'explique : concupiscentiam habens, etc... « D'une part je désire être dégagé des liens du corps et être avec Jésus-Christ. » Et comme si on lui demandait pourquoi là est l'objet de son désir : multo enim magis optimum, ajoute-t-il; « car c'est assurément le meilleur pour moi. » Pourquoi donc est-il pressé des deux côtés? Parce qu'il sent encore la. nécessité de demeurer en cette vie pour le bien de ses frères, ainsi qu'il l'exprime : manere in carne necessarium propter vos.

5. Lorsque la difficulté ne peut être résolue ni par la règle de la foi, ni par la suite du texte, rien n'empêche alors de diviser les termes

 

1. Jean, I, 1, 2. — 2. Philip. I, 23, 24.

 

selon tel ou tel sens qui en résulte. Prenons ce passage de l'épître aux Corinthiens : Has ergo promissiones habelites, carissimi, mundemus nos ab omni coinquinatione carvis et spiritus, perficientes sanctificationem in timore Dei. Capite nos. Nemini nocuimus (1). Il est douteux si on doit lire : Mundemus nos ab omni coinquinatione carnis et Spiritus : « Purifions-nous de tout ce qui souille la chair et l'esprit, » selon cet autre passage : « afin qu'elle soit sainte de corps et d'esprit, (2) » ou bien s'il faut couper ainsi la phrase : Mundemus nos ab omni coinquinatione carnis, en sorte que la suite forme un autre sens : Et spiritus perficientes, etc,.. « Et achevant l'œuvre de la sanctification de votre esprit, dans la crainte de Dieu, donnez-nous place dans votre coeur. » En pareil cas, c'est au lecteur à adopter telle division des termes qu'il juge préférable.

 

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CHAPITRE III. INCERTITUDE QUI NAÎT DE LA PRONONCIATION.

 

6. A l'égard du doute sur la manière de prononcer, il faut observer les mêmes règles que pour la division des mots. A moins d'une négligence excessive qui tombe dans une prononciation trop défectueuse, la règle de la foi, ou la suite du texte suffira pour lever toute difficulté; et si, malgré ces moyens, le doute persévère, il n'y aura plus faute de la part du lecteur, quelle que soit la prononciation qu'il adopte. Sans la foi qui nous apprend que Dieu ne formera aucune accusation contre ses élus, et que Jésus-Christ ne les condamnera pas, on pourrait, après les interrogations suivantes : « Qui accusera les élus de Dieu? Qui les condamnera? » prononcer sous forme de réponse : « Dieu, qui les justifie. Jésus-Christ, qui est mort. » Comme ce serait folie d'admettre un tel sentiment, on doit prononcer de manière qu'il y ait d'abord une demande et ensuite une interrogation. Entre la demande et l'interrogation il y a cette différence, disent les anciens, qu'à la demande on peut faire plusieurs réponses, tandis que l'interrogation n'attend qu'un qui ou un non. Ainsi, après avoir posé, la demande : « Qui accusera les élus de Dieu? Qui les condamnera? » On

 

1. II Cor. VII, I, 2. — 2. I Cor. VII, 34.

 

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poursuivra sous forme d'interrogation : « Dieu qui les justifie ? Jésus-Christ qui est mort, qui même est ressuscité, qui est assis à la droite de Dieu et qui intercède pour nous (1)? » Non, sera la réponse sous-entendue. Dans ce passage de saint Paul: Quid ergo dicemus ? quia gentes quae non sectabantur justitiam, apprehenderunt justitiam; si après cette demande: Quid ergo dicemus, « que dirons-nous » ? on ne donnait à ce qui suit le ton de la réponse: Quia gentes, etc... « Que les gentils qui ne cherchaient point la justice, ont embrassé la justice (2) » ; il n'y aurait point de liaison dans le discours. Dans ces paroles de Nathanaël: A Nazareth potest aliquid boni esse (3)? l'interrogation finit-elle à ces mots : A Nazareth? le reste formant une affirmation; ou, bien s'étend-elle à la phrase entière avec l'expression du doute « Peut-il venir quelque chose de bon de Nazareth » ? C'est ce que je ne puis décider. Mais dans les deux hypothèses, l'intégrité de la foi est sauve.

7. Quelquefois le doute , tient à une syllabe dont le sens varie selon qu'elle se prononce. Dans cet endroit du Psalmiste : Non est absconditum a te os meum qnod fecisti in abscondito (4),  le lecteur ne voit pas d'abord s'il doit faire longue ou brève la syllabe os. S'il la fait brève, c'est le terme, qui au pluriel ossa, signifie les os ; s'il la fait longue, elle est le singulier de ora, qui signifie bouche. Le texte original fait disparaître tout équivoque : le grec porte osteon  os; et non stoma  bouche. C'est pourquoi il arrive souvent que des expressions vulgaires font mieux saisir la pensée que les termes classiques. J'aimerais mieux qu'on eût dit avec un barbarisme : ossum meum, que d'avoir employé une expression moins claire, parce qu'elle est plus latine. Parfois aussi la prononciation douteuse d'une syllabe se détermine par le même terme placé plus loin: Quae praedico vobis, sicut praaedixi, quoniam qui talia agunt, regnum Dei non possidebunt. Je vous déclare, comme je vous l'ai déjà dit, que ceux qui commettent ces crimes ne seront point héritiers du royaume de Dieu (5). » Si l'Apôtre eût dit seulement: Quae praedico, sans ajouter: sicut praedixi, il eût fallu recourir à la langue originale pour

 

1. Rom. VIII, I 33, 34.— 2. Ibid, IX, 30. — 3. Jean, I, 46. — 4. Ps. CXXXVIII, 15. — 5. Gal. V, 21.

 

savoir si la seconde syllabe de praedico est longue ou brève. Mais l'expression sicut praedixi, et non praedicavi, démontre clairement qu'on doit la faire longue.

 

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CHAPITRE IV. AMBIGUITÉ QUI PROVIENT DES PAROLES.

 

8. Outre les obscurités qui naissent des rapports des termes et de la prononciation, il en est encore d'autres à examiner, telle que celle-ci dans ces paroles de l'épître aux Thessaloniciens : Propterea consolati sumus in vobis fratres (1). Faut-il entendre: o fratres, ou bien, hos fratres ? Ni l'un ni l'autre sens ne répugnent à la foi. La langue grecque ne donnant pas à ces cas les mêmes désinences, indique que le terme en question est au vocatif: o fratres. Si l'interprète eût ainsi traduit: Consolationem habuims, fratres, in vobis, il se fût moins astreint aux mots, mais il eût rendu plus clairement la pensée; ou s'il eût ajouté nostri, tout lecteur aurait entendu le vocatif en disant : Consolati sumus, fratres nostri, in vobis. Mais c'est une licence qui peut devenir dangereuse. Un interprète en a fait usage dans ce passage de l'épître aux Corinthiens: Quotidie morior, per vestram gloriam, fratres, quant habeo in Christo Jesus (2). Il traduit: Quotidie morior, per vestram juro gloriam : « Je meurs chaque jour mes frères, je le jure par la gloire que je reçois de vous en Jésus-Christ, » parce que le terme grec nh exprime clairement le sens du serment. Rarement donc, flans les Livres saints, les termes propres présentent des obscurités qui ne puissent facilement s'éclaircir par l'ensemble du texte, qui dévoile la pensée de l'auteur, ou par le rapprochement des diverses traductions, ou par l'étude de la langue originale.

 

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CHAPITRE V. NE PAS PRENDRE A LA LETTRE LES EXPRESSIFS FIGURÉES.

 

6. Nous allons nous occuper désormais des obscurités qui naissent des termes métaphoriques. La matière réclame une attention sérieuse et une grande perspicacité. Il faut éviter avant

 

1. I Thess. III, 7. — 2. I Cor. XV, 31.

 

 

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tout de prendre à la lettre une expression figurée. L'Apôtre nous prémunit contre ce danger. « La lettre tue, dit-il, c'est l'esprit qui vivifie (1). » Entendre littéralement ce qui est dit dans un sens figuré, c'est ne penser que selon la chair. Est-il pour l'âme une mort plus réelle que de courber ce qui l'élève au-dessus de la brute, c'est-à-dire son intelligence sous le joug de la chair, en ne s'attachant qu'à la lettre? Celui qui en est là prend les termes métaphoriques dans leur sens propre, et sous cette première écorce, il n'y a plus pour lui d'autre signification. Parlez-lui du sabbat; ce nom ne rappelle à son esprit que l'un des sept jours que le temps ramène dans sa course périodique. Faites sonner à son oreille le mot de sacrifice; sa pensée ne s'élève pas au delà de l'offrande ordinaire des animaux et des fruits de la terre. Déplorable servitude de l'âme qui prend le signe pour la réalité et ne sait pas élever son regard au-dessus des objets sensibles, pour jouir de l'éclat de l'éternelle lumière!

 

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CHAPITRE VI. UTILITÉ DES FIGURES POUR LES JUIFS.

 

10. Telle fut la servitude du peuple Juif,, mais cependant bien différente de celle dès autres nations, car toutes les figures sensibles auxquelles il était asservi, le ramenaient sans cesse à la croyance d'un Dieu unique. Tout en prenant pour la réalité les signes des choses spirituelles dont il ig4orait la vraie signification, il avait l'intime conviction de plaire par ce culte servile au Dieu unique, auteur de toutes choses. Cet asservissement fut pour les Juifs, dit saint Paul, ce qu'un précepteur est pour les enfants (2). Aussi ceux qui restèrent opiniâtrement attachés à ces figures, se soulevèrent contre le Seigneur, qui n'y avait plus aucun égard, alors que le temps était venu où elles devaient recevoir leur accomplissement (3). Delà toutes les calomnies que leurs princes ourdirent contre lui, parce qu'il guérissait les malades le jour du sabbat (4). Delà l'obstination du peuple, attaché à ces signes comme à autant de réalités, à ne pas reconnaître comme Dieu, ni comme envoyé de Dieu, celui qui ne professait pas pour eux le même respect que lui. Mais ceux

 

1. II Cor. III, 6. — 2. Gala III, 24. — 3. Matt. XII, 3. — 4. Luc, VI, 7.

 

qui crurent à la divinité de Jésus-Christ, et qui formèrent la première église de Jérusalem, furent une preuve bien frappante de l'utilité d'avoir été sous la loi, comme sous un conducteur. Ces- cérémonies figuratives étaient un lien qui rattachait leurs fidèles observateurs au culte du Dieu unique, qui a fait le ciel et la terre. Quoique le sens spirituel de ces figures et de ces obligations charnelles fût voilé à leurs yeux, ils y avaient appris à honorer un Dieu éternel. N'ayant plus qu'un pas à faire pour entrer dans l'intelligence des, choses spirituelles, ils se trouvèrent si bien préparés à l'effusion des dons de l'Esprit-Saint, qu'on les vit vendre tous leurs biens, en déposer le prix aux pieds des apôtres, pour être distribués aux pauvres et se consacrer eux-mêmes tout entiers à Dieu, comme un temple nouveau dont l'ancien n'était que l'image terrestre.

 

 

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CHAPITRE VII. CULTE DES IDOLES ET DES CRÉATURES.

 

 

11. Ce fait ne s'est produit nulle part dans l'Eglise des Gentils, parce que, regardant comme des dieux les idoles, ouvrages de leurs mains, ils étaient plus éloignés de la lumière de la vérité. Et si parfois le paganisme a cherché à présenter les idoles comme de. simples figures, toujours il les a rapportées au culte et à l'adoration de la créature. Qu'importe, par exemple, que la statue de Neptune ne soit pas regardée comme un Dieu, s'il faut y voir l'image de la mer, ou de toutes les eaux qui jaillissent des fontaines, suivant cette description qu'en fait un de ses poètes, si .j'ai bonne mémoire :

 

Père des eaux dont la couronne

Se forme du cristal qui sur ton front résonne ;

Toi qui de ton menton large et majestueux,

Vois couler à grands flots la mer qui t'environne,

Et les fleuves errants sortir de tes cheveux.

(CLAUDIEN.)

 

Sous cette douce enveloppe de la cosse qu'y a-t-il, sinon de petits grains qui raisonnent? C'est la nourriture des pourceaux et non des hommes. Celui-là me comprend qui connaît l'Evangile (2). A quoi bon me présenter l'idole de Neptune comme l'image des eaux, sinon peut-être pour, que je n'adore ni l'un ni

 

1. Act, IV, 34. — 2. Luc, XV, 16.

 

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l'autre? La mer entière n'est pas plus un Dieu à mes yeux, que quelque statue que ce soit. Sans doute ceux qui ont érigé en divinités les ouvrages des hommes, sont tombés plus avant d'ans l'abîme de l'erreur, que ceux qui ont adoré les oeuvres de Dieu. Quant à nous, nous n'avons à aimer et à adorer qu'un seul Dieu (1), auteur de toutes les créatures, dont les païens vénéraient les figures comme autant de divinités, ou comme des signes et des images qui les représentent. Or , si prendre pour la réalité un signe véritablement utile dans sa fin, est déjà une servitude indigne de l'homme, que dire, quand on s'arrête à des figures de choses futiles comme à autant de réalités? Et quand même on ne verrait dans ces images que les objets qu'elles représentent , vouer à ces objets un culte religieux, n'est-ce pas toujours se courber sous le joug d'une erreur et d'une servitude avilissantes?

 

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CHAPITRE VIII. LES JUIFS ET LES GENTILS AFFRANCHIS DIFFÉREMMENT DE LA SERVITUDE DES SIGNES.

 

12. Ainsi la liberté chrétienne a brisé les liens de ceux qu'elle a trouvés assujettis aux figures véritablement utiles, comme étant les plus près de son règne, en les élevant à l'intelligence des mystères voilés sous ces figures. Ce furent les membres qui formèrent les églises des fidèles Israélites. Mais ceux qui étaient asservis à des symboles vains et inutiles, elle les a affranchis, en rejetant et en détruisant tous ces symboles et le culte servile dont ils étaient le principe. Elle arrachait ainsi les nations païennes à cette corruption engendrée par la multitude. des fausses divinités, et que l'Écriture désigne si souvent sous le terme de fornication; elles les amenait à la connaissance et à l'adoration d'un seul Dieu; elle voulait, non plus les soumettre à des signes autrefois utiles, mais leur apprendre à ne plus en considérer que le sens spirituel et mystérieux.

 

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CHAPITRE IX. COMMENT ON EST ESCLAVE DES SIGNES.

 

13. C'est être esclave des signes, que de faire ou de vénérer un symbole dont on ignore la signification. Mais s'il s'agit de signes

 

1. Deut. VI, 5.

 

divinement institués, dont on saisit le sens et la portée, ce n'est plus rendre hommage à des signes sensibles et passagers, mais aux mystères mêmes qu'ils représentent. A ce titre, l'homme était véritablement spirituel et libre, même sous la loi de servitude, alors que ne devaient pas encore être dévoilées aux esprits charnels ces figures dont le joug servait à dompter l'orgueil. Tels étaient les patriarches, les prophètes, et tous les justes par l'organe desquels l'Esprit-Saint nous a transmis les lumières et les consolations des Ecritures. Maintenant, depuis qu'a paru, dans la résurrection du Sauveur, le signe éclatant de notre liberté, nous avons été affranchis de l'observation onéreuse de ce culte figuratif, dont la signification nous a été révélée. A des pratiques multipliées, le Seigneur et les Apôtres en ont subsistué un petit nombre, dont l'accomplissement est facile, le sens sublime, et où tout respire la pureté ; comme le sacrement du baptême, et la célébration du corps et du sang du Seigneur. Celui qui connaît et reçoit ces signes augustes, sait quels mystères ils renferment, et l'hommage qu'il leur rend, tient, non de la servitude de la chair, mais de la liberté de l'esprit. Toutefois, comme ne s'attacher qu'à la lettre , et prendre le signe pour là réalité qu'il recouvre, c'est l'indice d'un âme faible et servile; ainsi donner à des figures des interprétations vaines et stériles, est la marque d'un esprit livré à l'illusion et à l'erreur. D'un autre côté , savoir reconnaître ce qui est une figure, quoiqu'on n'en comprenne pas le sens, ce n'est plus être esclave; mieux vaut alors être asservi à des figures inconnues , mais utiles, que de chercher, en en donnant des interprétations futiles, à secouer le joug de la servitude , pour s'engager dans les liens de l'erreur.

 

 

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CHAPITRE X. COMMENT RECONNAITRE QU'UNE EXPRESSION EST FIGURÉE.

 

14. On ne doit jamais, avons-nous dit, donner un sens littéral à une expression figurée. Ajoutons que de même, il faut éviter de prendre le sens méthaphorique pour le sens littéral. Il est donc nécessaire de déterminer d'abord par quel moyen on peut reconnaître si une expression est naturelle ou métaphorique. Le principe général est de tenir pour figuré tout

 

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ce qui, dans le texte sacré, n'a pas un rapport réel aux vérités de la foi, ou à la pureté des mœurs. La pureté des moeurs a pour objet l'amour de Dieu et du prochain, et les vérités de la foi, la connaissance de l'un et de l'autre. Quant à l'espérance, elle se forme dans la conscience de chacun, en raison des progrès qu'il fait dans cette connaissance et cet amour. Nous avons traité ces matières dans le premier livre.

15. Mais, par suite de la propension qu'ont les hommes de juger de la nature du péché, plutôt d'après la coutume que par l'influence de la convoitise, il arrive très-souvent qu'ils ne condamnent ou n'approuvent que ce que l'usage approuve ou condamne dans la société au sein de laquelle ils vivent. De là vient que, là où l'Écriture condamne ou défend ce que la coutume réprouve ou autorise, les esprits qui d'ailleurs s'inclinent devant l’autorité de la parole divine, ne voient qu'un langage figuré. Cependant l'Écriture ne prescrit que la charité, ne condamne que la cupidité, et établit ainsi la règle des mœurs. De même un esprit imbu de quelque opinion erronée prendra dans un sens figuré toutes les assertions contraires des Livres saints. Et cependant, dans tout ce qui tient au passé, au présent et à l'avenir, ces livres n'affirment que ce qui est de foi catholique. Ils racontent le passé, prédisent l'avenir, exposent le présent, et tout cela concourt à nourrir et à corrober la charité, à vaincre et à déraciner la cupidité.

16. J'appelle charité ce mouvement de l'âme qui la porte à jouir de Dieu pour lui-même, du prochain et de soi-même par rapport à Dieu. J'appelle cupidité ce penchant qui entraîne l'âme à jouir de soi, du prochain et de tout objet sensible en dehors de Dieu. On appelle intempérance, « flagitium, » tout ce que fait cette cupidité effrénée pour corrompre l'âme et le corps; et iniquité, « facinus, » ce qu'elle entreprend pour nuire à autrui. Telles sont les deux sources d'où jaillissent tous les crimes; mais l'intempérance marche la première. Quand elle a jeté l'âme dans un vide affreux et dans une entière indigence, cette âme se livre à toutes sortes d'injustices pour satisfaire ses désirs corrompus, ou renverser tout ce qui y met obstacle. De même ce que fait la charité pour son propre avantage, se nomme utilité; et ce qu'elle fait dans l'intérêt du prochain, s'appelle bienfaisance. L'utilité précède, parce qu'on

ne peut faire part à autrui de ce qu'on n'a pas. Or, plus le règne de la cupidité s'affaiblit, plus se fortifie celui de la charité.

 

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CHAPITRE XI. RÈGLE POUR JUGER CE QUI, DANS L'ÉCRITURE, PRÉSENTE UN CARACTÈRE DE SÉVÉRITÉ.

 

17. Tout ce qui dans les discours et les faits que l'Écriture nous rapporte comme émanés de Dieu ou des saints, présente un caractère de cruauté et de rigueur, tend. à renverser l'empire de la cupidité. Si le texte parle clairement en ce sens, inutile d'y chercher une autre pensée voilée sous une figurée. Tel est ce passage de l'Apôtre : « Tu t'amasses un trésor de colère pour le jour de la colère et de la manifestation du juste jugement de Dieu, qui rendra à chacun selon ses œuvres, donnant la vie éternelle à ceux qui, par leur patience dans les bonnes oeuvres , cherchent la gloire , l'honneur et l'immortalité, et répandant sa fureur et sa colère sur ceux qui ont l'esprit contentieux, et qui ne se rendent point à la vérité, mais qui embrassent l'iniquité. L'affliction et le désespoir accableront l'âme de tout homme qui fait le mal, du Juif premièrement, et ensuite du Gentil (1). » Ces paroles s'adressent évidemment à ceux qui n'ayant pas voulu vaincre la cupidité, tombent avec elle dans une ruine commune. Ceux qui en ont secoué le joug, sont clairement désignés dans les paroles suivantes: « Ceux qui appartiennent à Jésus-Christ, ont crucifié leur chair avec leurs vices et leurs mauvais désirs (2). » Il y a sans doute dans ces passages quelques termes métaphoriques, comme « colère de Dieu, » ils « ont crucifié; » mais ils ne sont ni assez nombreux, ni placés de manière à voiler le sens, et à former des énigmes et des allégories que je regarde proprement comme un langage figuré. Mais dans cet endroit du prophète Jérémie : « Je t'ai choisi et établi aujourd'hui sur les peuples et sur les royaumes, afin d'arracher et de détruire, de dissiper (3) ; » nul doute que toutes les expressions ne soient figurées, et ne doivent se rapporter à la fin que nous avons signalée.

 

1. Rom. II, 6-9. — 2. Gal. V, 24. — 3. Jérém,I, 16.

 

 

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CHAPITRE XII. RÈGLE POUR JUGER DES ACTIONS QUI PARAISSENT CRIMINELLES.

 

18. Il est en outre des paroles et des actions que l'Écriture attribue à Dieu et â ces hommes dont elle proclame la sainteté, et qui paraissent des crimes aux yeux de l'ignorance. Ce sont autant de figures dont les significations mystérieuses, une fois connues, servent d'aliment à la charité. User des choses passagères avec plus de modération qu'on ne le fait habituellement autour de soi, c'est agir par sobriété ou par superstition. Mais, dépasser, dans cet usage, les bornes où se . renferment ordinairement les hommes vertueux, c'est une conduite qui est ou un mystère, ou un crime. Car ce n'est pas un tel usage en lui-même, mais la passion qui le détermine, qui est un mal. Jamais un esprit réfléchi n'assimilera l'action de cette femme qui répandit sur les pieds du Sauveur un parfum précieux (1), à ce qui se pratique dans les orgies abominables des hommes livrés a la corruption et à l'impudicité. C'est un parfum délicieux qu'une bonne réputation; celui qui la mérite parles œuvres d'une vie sainte, en marchant sur les traces du Christ, oint en quelque sorte ses pieds du plus suave parfum. Ainsi ce qui, pour le commun des hommes, est le plus souvent un crime, en Dieu, ou dans un prophète, devient la figure d'un grand mystère. Il y a loin de l'alliance que contracté un homme perdu de mœurs avec une prostituée, à celle que le prophète Osée contracta comme un présage (2). Si c'est un crime pour des hommes livrés aux excès je l'ivresse et de la débauche, de paraître nus dans leurs festins, ce n'en est pas un de se mettre nu dans un bain.

19. Il importe donc de considérer attentivement ce qui convient aux lieux, aux temps et aux personnes, pour ne pas crier témérairement ;tu crime. L'homme sage pourra manger modérément et sans avidité d'un mets exquis, tandis que l'insensé se jettera avec une voracité brutale sur des aliments grossiers. Ne vaut-il pas mieux manger du poisson comme fit le Seigneur (3), que des lentilles à la manière d'Esaü, petit-fils d'Abraham (4), ou de l'orge à la manière des brutes? Pour avoir une nourriture plus vile,

 

1. Jean, XII, 3. — 2. Osée, I, 2. — 3 Luc, XXIV, 43. — 4. Gen. XXV, 34.

 

les animaux n'en sont pas plus sobres que nous. Sous ce rapport, la règle d'après laquelle nos actions sont à louer ou à condamner, se tire, non de la nature des choses dont nous usons, mais du motif qui nous en fait user, et du désir que nous en éprouvons.

20. Pour les anciens justes, les royaumes de la terre étaient l'image et l'annonce dit royaume du ciel. C'était, de leur temps, une coutume innocente qu'un homme eût à la fois plusieurs femmes, pour rendre sa postérité plus nombreuse (1) ; et par là même, il n'était pas permis à une femme d'avoir plusieurs maris, puisqu'elle ne pouvait en devenir plus féconde : s'abandonner ainsi en vue du gain ou des enfants, c'est plutôt chez la femme prostitution et débauche. L'Écriture n'a point condamné la conduite de ces saints personnages, autorisée par les mœurs de leur époque, et où la passion n'avait aucune part, bien qu'aujourd'hui on ne puisse se la permettre sans crime. Tous les faits de ce genre qu'elle a consignes, qu'on les prenne dans le sens propre et historique, ou dans le sens prophétique et figuré, doivent être expliqués comme ayant pour fin l'amour de Dieu ou du, prochain, ou l'amour de l'un et de l'autre. C'était autrefois chez les Romains une infamie de porter de longues robes à manches , tandis qu'aujourd'hui c'est une honte pour les fils de famille distinguée de ne pas les porter ainsi. De même dans tout autre usage, doit-on s'attacher à bannir la passion qui, non-seulement fait un abus criminel des coutumes autorisées dans la société contemporaine, mais encore franchissant toutes les bornes, se jette dans les plus honteux écarts, et étale au grand jour ses ignobles convoitises, cachées jusqu'alors sous le voile des moeurs publiques.

 

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CHAPITRE XIII. SUITE DU MÊME SUJET.

 

21. Tout ce qui est conforme aux usages en vigueur dans la société au sein de laquelle la nécessité ou le devoir oblige de vivre, c'est aux cœurs nobles et vertueux à le rapporter à futilité et à la bienfaisance, soit directement, comme il nous convient, soit en figure, comme il était permis aux prophètes.

 

1. Gen. XVI, 3 ; XXV, 1 ; II Rois V, 13.

 

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CHAPITRE XIV. ERREUR DE CEUX QUI NE CROIENT PAS A LA JUSTICE ABSOLUE.

 

22. Quand des esprits peu éclairés, façonnés à des moeurs différentes, viennent à lire ces actions des prophètes , ils n'y voient que des crimes, à moins que l'autorité de l'Ecriture ne réforme leur jugement, et ils ne s'aperçoivent pas que leurs propres usages dans les mariages, les festins, les vêtements, les ornements et la nourriture, ne sont pour d'autres peuples et pour d'autres temps, que des usages criminels. Frappés de cette variété infinie de coutumes et de moeurs, certains esprits livrés à cet état d'assoupissement ou ils n'étaient ni ensevelis dans le profond sommeil de la folie, ni capables d'ouvrir les yeux à la lumière de la sagesse, ont pensé qu'il n'y a point de justice subsistant par elle-même; que pour chaque peuple les usages particuliers étaient la règle du juste ; et comme les coutumes varient chez tous les peuples, tandis que la justice doit être partout immuable , ils ont conclu qu'évidemment il n'y avait de justice nulle part. Ils n'ont pas compris que cette maxime, par exemple, pour ne pas en citer d'autres : « Ne fais pas à autrui ce que tu ne veux pas qu'on te fasse (1), » devait toujours rester la même en face des moeurs les plus diverses. Appliqué à l'amour de Dieu, ce principe éteint toutes les ardeurs de l'intempérance; appliqué à l'amour du prochain , il prévient toutes les injustices. Quel est celui qui aime de voir sa maison souillée? Qu'il ne souille donc pas la maison de Dieu, c'est-à-dire, soi-même. Et s'il n'est personne qui souffre qu'on lui nuise, que de son côté il ne nuise jamais à autrui.

 

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CHAPITRE XV. RÈGLE POUR LES EXPRESSIONS FIGURÉES.

 

23. Ainsi à l'empire tyrannique de la cupidité succède le règne de la charité, fondé sur les lois si justes de l'amour de Dieu pour lui-même, du prochain et de soi-même par rapport à Dieu. A l'égard des locutions figurées , on aura donc pour règle de faire du texte sacré l'étude la plus attentive, jusqu'à ce qu'on

 

1. Tob, IV, 16. ; Matt. VII, 12.

 

découvre une interprétation qui conduise à ce règne de la charité. Si on y arrive directement par le sens littéral, on est certain dès lors que l'expression n'est pas métaphorique.

 

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CHAPITRE XVI. DES PASSAGES QUI RENFERMENT QUELQUE PRÉCEPTE.

 

24. Une expression n'est pas figurée, quand elle renferme un précepte qui défend l'intempérance ou l'injustice, qui commande l'utilité ou la bienfaisance. Elle l'est, au contraire, dans le cas où elle semble commander le mal et défendre le bien. « Si vous ne mangez, » dit le Sauveur, « la chair du Fils de l'homme, et si vous ne buvez son sang, vous n'aurez point la vie en vous (1). » N'est-ce pas là, en apparence, commander un crime? C'est donc ici une figure par laquelle nous est imposé le devoir de participer à la passion du Sauveur, et de conserver le doux et salutaire souvenir de sa chair couverte de plaies; et attachée pour nous à la croix. L'Ecriture dit : « Si ton ennemi a faim, donne-lui à manger; s'il a soif, donne-lui à boire. » C'est là sans nul doute prescrire la bienfaisance. Mais, dans ce qui suit : « En faisant ainsi, tu amasseras sur sa tête des charbons ardents (2), » vous verrez peut-être un précepte de vengeance. Croyez donc que ce passage renferme une figure. Comme il prête à une double interprétation, l'une pour le bien et l'autre pour le mal, la charité doit vous faire adopter de préférence la première, et vous faire voir dans ces charbons ardents les larmes brûlantes de la pénitence, qui. guérissent de son orgueil celui qui s'afflige d'avoir été l'ennemi d'un homme qui a daigné soulager sa misère. De même quand le Seigneur dit : « Celui qui aime sa vie la  perdra (3); » il est loin de défendre l'utilité propre qui nous oblige de veiller à la conservation de notre vie. « Perdre sa vie » est une locution figurée dont le sens est qu'on doit renoncer à l'usage criminel et déréglé qu'on en fait maintenant, usage qui tient courbé vers les biens de la terre et empêche d'aspirer à ceux de l'éternité. Ailleurs il est écrit : « Fais miséricorde, et ne reçois pas le pécheur (4). » La seconde partie de cette maxime paraît

 

1. Jean. VI, 54. — 2. Prov. XXV, 21, 22 ; Rom. XII, 20. — 3. Jean, VII, 25. — 4. Eccli. XII, 4.

 

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défendre la bienfaisance. Mais ici le « pécheur » a été mis par métaphore pour le « péché » et ce qui nous est prescrit, c'est de ne pas prendre part au péché du pécheur.

 

 

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CHAPITRE XVII. IL Y A DES PRÉCEPTES COMMUNS A TOUS, D'AUTRES QUI SONT PARTICULIERS.

 

25. Souvent il arrive que celui qui est ou qui se croit élevé à un degré supérieur dans la vie spirituelle, regarde comme autant de figures les préceptes imposés à ceux qui suivent la voie commune. Qu'il ait embrassé, par exemple, le célibat, et se soit fait eunuque en vue du royaume des cieux (1), tout ce que les Livres saints contiennent sur l'obligation d'aimer et de gouverner son épouse, lui paraît devoir être entendu dans le sens figuré et non littéral. Qu'un autre ait résolu de conserver sa fille vierge, il ne voit qu'une expression métaphorique dans ces paroles : « Marie ta fille et tu auras fait un grand ouvrage (2). » Une des considérations qui contribuent à l'intelligence de l'Ecriture, c'est donc de savoir qu'il y a des préceptes communs à tous les hommes, et d'autres qui ne s'adressent qu'aux personnes d'une condition particulière. Il convenait que le remède fût non-seulement appliqué d'une manière générale pour la guérison du corps entier, mais encore approprié à l'infirmité particulière de chacun des .membres. Car il faut guérir et perfectionner dans sa condition celui qui ne peut être élevé à une condition supérieure.

 

 

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CHAPITRE XVIII. ON DOIT CONSIDÉRER LE TEMPS OÙ UNE CHOSE A ÉTÉ COMMANDÉE OU PERMISE.

 

26. Un autre danger à éviter, c'est de ne pas regarder, comme pouvant être autorisés de nos jours, certains usages rapportés dans l'Ecriture, quoique, même dans le sens naturel, il ne soient ni des désordres ni des crimes, eu égard aux moeurs de ces temps reculés. Il n'y aurait, pour se les permettre, qu'une cupidité sans frein, qui chercherait à s'appuyer de l'autorité de l'Ecriture, laquelle ne tend au contraire qu'à la détruire. Le malheureux

 

1. Matt. XIX, 12. — 2 Eccli. VII, 27.

 

esclave de cette cupidité ne voit, pas l'enseignement salutaire qui ressort de là pour ceux qui ouvrent leurs coeurs à de plus nobles désirs, savoir : qu'une coutume qu'ils réprouvent aujourd'hui peut être bonne et légitime, et que celle qu'ils suivent peut devenir criminelle, en supposant que la charité purifie la première, et que la passion vienne corrompre la seconde.

27. Si, à une autre époque, un homme à. pu, avec plusieurs femmes, demeurer dans les règles de la chasteté, un autre aujourd'hui peut, avec une seule, se livrer à l'incontinence. J'estime bien plus celui qui rapporte à une fin plus élevée la fécondité de plusieurs femmes, que celui qui s'attache à une seule pour elle-même. D'un côté, on ne cherche qu'un avantage conforme aux nécessités du temps ; et de l'autre, qu'à satisfaire une convoitise qui se repaît de voluptés charnelles. Ceux à qui l'Apôtre permet, par indulgence et comme remède à leur incontinence, de vivre chacun avec son épouse (1), sont assurément moins parfaits devant Dieu, que ceux qui, autrefois, dans l'union avec plusieurs femmes, n'avaient en vue que de multiplier la race humaine de même que le sage ne se propose dans le boire et le manger que la conservation de sa santé. C'est pourquoi s'ils eussent vécu sur la terre à l'époque de la venue du Seigneur, alors que ce n'était plus le temps de disperser les pierres, mais de les ramasser (2), ils se fussent immédiatement condamnés à une continence perpétuelle pour gagner le royaume des cieux : car il n'y a peine dans la privation qu'autant qu'il y a plaisir dans la jouissance. Ils n'ignorent pas que, même entre époux, l'abus du mariage est une véritable luxure. C'est ce que témoignait Tobie, dans cette prière qu'il fit au jour de ses noces : « Soyez béni, Seigneur, Dieu de nos pères, et que votre nom soit béni dans tous les siècles des siècles. Que les cieux et que toutes les créatures vous louent. Vous avez créé Adam, et vous lui avez donné Eve pour aide et pour compagne. Et vous savez, Seigneur que maintenant je ne m'unis point à ma soeur par un motif de volupté, mais par la vérité même, afin, Seigneur, que vous nous fassiez miséricorde (3).

 

1. I Cor. VII, 2. — 2. Ecclé. III, 5. — 3. Tob. VIII, 7-9.

 

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CHAPITRE XIX. LES MECHANTS JUGENT DES AUTRES D'APRÈS EUX-MÊMES.

 

28.Mais il est des hommes dont la convoitise effrénée s'abandonne à des commerces infâmes ; des hommes qui, même avec une seule femme, ne se contentent pas de franchir les bornes où se renferme le désir de donner au monde des enfants, mais encore, esclaves avilis d'une déplorable liberté, ou plutôt d'une licence sans pudeur, se souillent sans cesse des excès les plus monstrueux. Ces hommes ne comprennent pas que les justes de l'antiquité aient pu conserver avec plusieurs femmes les règles de la tempérance, et n'aient cherché, dans cet usage, qu'à satisfaire au devoir où, chacun était alors de multiplier sa race ; et enchaînés parla passion, ils ne      croient absolument pas qu'avec plusieurs femmes on puisse se renfermer dans les limites où ils ne sa tiennent pas avec une seule.

29. Ils pourraient même dire qu'il ne faut pas louer les justes et les saints, parce que les honneurs et les louanges les enflent eux-mêmes d'orgueil : coeurs d'autant plus avides d'une vaine gloire, que la langue des flatteurs les a plus souvent et plus pompeusement encensés ; esprits légers et inconstants, le moindre souffle de la renommée qui les loue ou les condamne, suffit pour les jeter dans le gouffre du, désordre, ou les brise contre l'écueil du crime. Qu'ils reconnaissent donc combien il leur est difficile de rester insensibles à l'appât des louanges ou aux traits du mépris ;     mais qu'ils ne jugent pas des autres, d'après eux-mêmes.

 

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CHAPITRE XX. CONTINUATION DU MÊME SUJET.

 

Qu'ils sachent que nos saints apôtres n'ont jamais été ni enflés par les honneurs ni abattus par l'humiliation ; et cependant ils ont dû passer par cette double épreuve. Pendant que les fidèles célébraient leur éloge, leurs persécuteurs les noircissaient de leurs calomnies. Or, de même que les apôtres savaient faire un saint usage de ces diverses épreuves, sans en

être corrompus ni ébranlés, de même les anciens justes, vivant avec plusieurs femmes, selon les règles admises de leurs temps, étaient loin de s'asservir à cette convoitise qui domine ceux qui refusent de croire à une telle modération.

30. Aussi ces hommes passionnés ne pourraient-ils se défendre d'une haine irréconciliable contre leurs propres enfants, qu'ils sauraient avoir attenté à l'honneur de leurs femmes ou de leur concubines.

 

 

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CHAPITRE XXI. MODÉRATION DE DAVID QUOIQU'IL AIT ÉTÉ ADULTÈRE.

 

David, après un pareil outrage reçu de la part d'un fils impie et dénaturé,          non-seulement souffrit patiemment sou insolence, mais le pleura même à sa mort (1). Il était loin de se livrer à une basse jalousie, lui qui ne se montra sensible qu'à la faute de son fils, et non à l'injure qui lui était faite. Il avait défendu de le mettre à mort, s'il était vaincu, afin qu'après sa défaite il eût le temps de déplorer sa conduite. Ses désirs ne furent pas accomplis ; et il fut moins affligé de sa perte que de la pensée des peines où cette âme adultère et parricide allait être plongée. Ne l'avait-on pas vu accablé de douteur par la maladie d'un autre de ses enfants, et, à sa mort,        ouvrir son tueur à la consolation et à la joie?

31. Voici une preuve frappante de la modération avec laquelle les anciens justes se conduisaient avec leurs femmes. Emporté par les ardeurs de l'âge et les heureux succès de ses entreprises, il ravit injustement une femme dont il fit mourir l'époux. Un prophète vint pour l'accuser et le convaincre de son crime. Il lui proposa la parabole d'un pauvre qui n'avait qu'une seule brebis, et à qui un de ses voisins, qui en possédait un grand nombre, prit cette unique brebis pour épargner les siennes et en faire un festin à l'hôte qu'il venait de recevoir. David, indigné, ordonna qu'on fit mourir cet homme, et que la brebis du pauvre lui fût rendue au quadruple. Il prononçait ainsi, sans le savoir; la condamnation d'une faute qu'il avait commise avec conscience. A peine lui eût-on fait saisir l'application, et annoncé le châtiment que Dieu lui réservait,

 

1. II Rois, XV, II, 33.

 

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qu'il expia son  péché   par la   pénitence (1). Chose remarquable, on ne représente à David son crime que sous l'emblème de la brebis du pauvre ; on ne lui rappelle pas, par la mort de ce pauvre, le meurtre du mari de celle qu'il a séduite ; de sorte que la sentence de condamnation qu'il rend contre lui-même tombe seulement sur son adultère. Qu'on juge par là de la modération avec laquelle il put posséder plusieurs femmes, quand on le voit contraint de se punir lui-même des excès qu'il a commis avec une seule. Mais la passion dans ce prince ne fut qu'un acte passager, et non une inclination permanente ; le Prophète désigne ce désir illégitime sous la figure d'un étranger qui passe. Il ne dit pas que le voisin du pauvre lui avait enlevé sa brebis pour la servir à son roi, mais à un hôte descendu chez lui. Quant à Salomon, son fils, cette passion ne fut pas en lui un écart transitoire, mais un tyran qui régna sur son coeur. L'Écriture le déclare assez, quand elle l'accuse d'avoir aimé les femmes (2). Les commencements de sa vie n'avaient été pourtant remplis que des désirs de la sagesse (3) ; mais, après l'avoir acquise par l'amour des biens spirituels, il la perdit dans l'amour des plaisirs charnels.

 

 

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CHAPITRE XXII. ACTIONS LOUÉES DANS L'ÉCRITURE, MAINTENANT CONTRAIRES AUX BONNES MOEURS.

 

32. L'ancien Testament tout entier, ou presque tout entier, peut donc s'interpréter, non-seulement dans le sens littéral, mais encore dans le sens figuré. Cependant pour les faits que le lecteur croira devoir prendre à la lettre, et dont les auteurs sont loués dans l'Écriture; si ces faits sont opposés à ce qui s'observe parmi les fidèles depuis l'établissement de la      loi nouvelle, il s'attachera à la figure qu'ils contiennent, pour la comprendre, mais il se gardera de prendre le fait lui-même comme règle de ses moeurs. Car bien des choses se pratiquaient alors légitimement, qu'on ne pourrait aujourd'hui se permettre sans péché.

 

1. II Rois, XII, 1-14. — 2. III Rois, XI, 1. — 3. II Paralip. I, 7-12.

 

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CHAPITRE XXIII. CONCLUSION A TIRER DES FAUTES DES HOMMES LES PLUS CÉLÈBRES.

 

33. Le lecteur, en lisant le récit des fautes où sont tombés les plus grands hommes, pourra y chercher et y découvrir quelque figure des futurs évènements. Toutefois, ces actions en elles-mêmes devront être pour lui une leçon que jamais il ne tire vanité de ses œuvres les plus saintes, et qu'en voyant dans des hommes aussi illustres des tempêtes si effrayantes et de si déplorables naufrages, il ne regarde pas les autres avec mépris comme autant de pécheurs, en vue de sa propre justice. Leurs chutes ont été consignées dans l'Écriture, pour nous faire trembler tous à cette parole de l'Apôtre : « Que celui qui semble être debout, prenne garde de ne pas tomber (1). » Car il n'y a presque pas une page des saints Livres, qui ne proclame cette vérité, que « Dieu résiste aux superbes et donne sa grâce aux humbles (2). »

 

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CHAPITRE XXIV. EXAMINER AVANT TOUT LA NATURE DE L'EXPRESSION.

 

34. Il importe donc avant tout d'examiner si l'expression qu'il s'agit de comprendre est propre ou figurée. Après s'être assuré qu'elle est figurée, il est facile, à l'aide des règles tracées dans le premier livre, de l'envisager sous toutes ses faces, jusqu'à ce qu'on parvienne à saisir le sens véritable, surtout quand à l'habitude de ce travail se joint la pratique d'une piété sincère. Nous avons indiqué plus haut la méthode à suivre pour distinguer entre une expression propre et une expression métaphorique.

 

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CHAPITRE XXV. LE MÊME TERME N'A PAS TOUJOURS LA MÈNE SIGNIFICATION.

 

Une fois la nature de l'expression déterminée, on remarquera que les termes qui la composent, sont tirés de choses semblables, ou qui y ont quelque rapport.

 

1. I Cor. X,12. —2. Jac. IV, 6.

 

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35. Mais comme les choses ont entr'elles plusieurs points de ressemblance, ce serait une erreur de croire que la signification d'un terne comme figure dans un certain passage, dût être partout la même. Ainsi quand le Seigneur dit : « Défiez-vous du levain des pharisiens, » il prenait le mot « levain » en mauvaise part ; et dans un sens favorable ici : « Le royaume des cieux est semblable à une femme qui cache du levain dans trois mesures « de farine, jusqu'à ce que la pâte soit toute fermentée (2). »

36. Cette variété de signification est de deux sortes. Chaque expression peut avoir des sens ou contraires, ou simplement différents. Les sens sont contraires, quand l'expression, prise métaphoriquement, doit s'entendre tantôt en bien, et tantôt en mal, comme dans l'exemple du levain rapporté ci-dessus. Le mot « lion», dans ce passage : « Le lion de la tribu de Juda a vaincu (3), » s'applique à Jésus-Christ ; et au démon dans cet autre : « Votre adversaire tourne autour de vous pour vous dévorer, comme un lion rugissant (4). » Ici le serpent est pris en bonne part : « Soyez prudents comme des serpents (5), » et là en mauvaise part, : « Le serpent, par ses artifices, séduisit Eve (6) ». De même pour le mot « pain, » dans les passages suivants : « Je suis le pain vivant descendu du ciel (7) ; » et : « Mangez hardiment des pains cachés (8). » On pourrait en citer beaucoup d'autres. La signification de ceux que je viens de rapporter n'est nullement douteuse ; je ne devais donner comme exemples que des expressions très-claires. Il en est d'autres qu'on ne sait pas en quel sens interpréter, par exemple : « Le Seigneur tient en sa main une coupe de vin pur, plein d'amertume (9). » Il est incertain si cette coupe désigne la colère de Dieu, non encore poussée jusqu'à l'extrémité, c'est-à-dire jusqu'à la lie, ou bien la grâce des Ecritures passant des Juifs aux gentils, parce que le Seigneur « a fait pencher cette coupe des uns sur les autres; » les Juifs conservant encore les pratiques légales, qu'ils n'interprètent que dans le sens, charnel, attendu que « la lie de la coupe n'est pas encore épuisée (10). » Une même expression, avons-nous dit, peut en outre avoir, non plus des sens contraires, mais plusieurs significations

 

1. Matt. XVI, 11. — 2. Luc, XIII, 21. — 3. Apoc. V, 5. — 4. I Pierre, V, 8. — 5. Matt              X, 16. — 6. II Cor. XI, 3. — 7. Jean, VI, 51. — 8. Prov. IX, 17. — 9 Ps. LXXIV, 9. — 10. Ibid.

 

différentes. Ainsi l'eau désigne tantôt le peuple, comme dans l'Apocalypse (1) , tantôt l'Esprit-Saint, dont il est écrit : « Des fleuves d'eaux vives couleront de son sein (2) ; »          sans parler de plusieurs autres sens que comporte cette expression dans les passages où elle est employée.

37. Car il y a des termes qui ont chacun, non-seulement deux, mais plusieurs significations diverses, selon la. suite du texte où ils se trouvent insérés.

 

 

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CHAPITRE XXVI. LES PASSAGES CLAIRS SERVENT À DISSIPER LES OBSCURITÉS.

 

Là où une expression a .un sens parfaitement clair, elle doit servir à découvrir de quelle manière il faut l'entendre dans un passage obscur. Peut-on mieux comprendre ces paroles du prophète s'adressant à Dieu : « Prenez vos armes et votre bouclier, et levez-vous pour me secourir (3), » que par ces autres : « Seigneur, vous nous avez couvert de votre bonne volonté comme d'un bouclier (4) ?» Il ne faut pas conclure de là que partout où on rencontrera le bouclier comme arme de protection, il signifiera la bonne volonté de Dieu. Car il est aussi parlé « du bouclier de la foi, avec lequel vous pourrez , dit l'Apôtre, éteindre tous les traits enflammés de l'ennemi (5). » De même ne doit-on pas toujours, quand il s'agit des armes spirituelles, regarder le bouclier comme l'emblème de la foi, puisque la foi est encore ailleurs désignée sous ce lui de la cuirasse : « Soyez revêtus de le cuirasse de la foi et de la charité. (5)»

 

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CHAPITRE XXVII. UN MÊME PASSAGE PEUT ÊTRE INTERPRÉTÉ DIFFÉREMMENT.

 

38. Quand un même passage de l'Ecriture admet, non pas un seul, mais deux ou plusieurs sens, sans qu'on puisse déterminer quel est véritablement celui de l'auteur, il n'y a nul danger à craindre, si, d'après d'autres textes de l'Ecriture, on peut démontrer que

 

1. Apoc. XVII, 15; XIX, 6. —2 Jean, VII, 38. — 3. Ps. XXXIV, 2. — 4. Ib. V, 13. — 5. Ephès, VI, 16. — 6. I Thess. V, 8.

 

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ces divers sens n'ont rien de contraire à la vérité. Toutefois celui qui veut pénétrer dans la profondeur des divins oracles, doit constamment s'efforcer de se rapprocher de la pensée de l'auteur par qui l'Esprit-Saint nous a donné cette partie des Livres sacrés, soit qu'il parvienne à la découvrir véritablement, soit qu'il tire de ses expressions un autre sentiment qui n'ai rien d'opposé à la pureté de la foi, et qui puisse s'appuyer sur un témoignage dès autres Ecritures. Peut-être l'auteur lui-même a-t-il vu dans ces expressions qu'on cherche à interpréter, cette autre signification qui leur est attribuée. Du moins il est certain que l'Esprit de Dieu, dont l'écrivain sacré n'était que l'instrument, a prévu que ce sentiment s'offrirait à la pensée de celui qui lirait ou entendrait lire ce passage ; je dis plus,  c'est sa providence qui le lui a inspiré, puisqu'il repose sur la vérité. Cette providence divine pouvait-elle se montrer plus admirable et plus féconde dans les saints livres, qu'en renfermant ainsi sous les mêmes expressions plusieurs sens différents, dont la vérité serait attestée par d'autres passages d'une autorité également divine?

 

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CHAPITRE XXVIII. L'ÉCRITURE S'EXPLIQUE MIEUX PAR ELLE-MÊME QUE PAR LA RAISON.

 

39. S'il se présente un sens dont la certitude ne puisse être établie par d'autres témoignages de l'Ecriture, il faut alors en montrer l'évidence par de solides raisonnements, bien que, peut-être, ce sentiment n'ait pas été celui de l'auteur en cet endroit. Mais cette méthode est très-dangereuse. La voie la plus sûre sera toujours celle de L'Écriture même ; et quand nous y cherchons la vérité cachée sous le voile des expressions métaphoriques, il faut que notre interprétation soit à l'abri de toute controverse, ou que, si elle est contestable, l'incertitude soit résolue par des, témoignages puisés ailleurs dans l'étendue des livres saints.

 

 

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CHAPITRE XIX. NÉCESSITÉ DE LA CONNAISSANCE DES DIVERSES SORTES DE FIGURES.

 

40. Les savants ne doivent pas ignorer que nos auteurs sacrés ont employé tous ces genres de locutions que les grammairiens appellent du nom grec de « tropes » ; qu'ils en ont fait un usage plus fréquent et plus riche que ne pensent ceux qui ne les ont pas lus, et qui ont appris ailleurs ces figurés du langage. Ceux qui ont connaissance de ce genre d'ornements, savent les distinguer dans les saintes lettres, dont l’intelligence leur devient ainsi plus facile. Ce n'est pas ici le lieu de les enseigner à ceux qui les ignorent, car je ne veux pas faire un cours de grammaire. Mais j'engage beaucoup à les apprendre ailleurs, comme je l'ai déjà fait dans le second livre, où j'ai parlé de la nécessité de la connaissance des langues. Car les lettres, d'où la grammaire a tiré son nom, puisque les Grecs les appellent Grammata , sont les signes des sons articulés du langage. L'Écriture nous offre, non-seulement des exemples de ces figures, comme de toute autre chose, mais les noms mêmes de quelques-unes, comme des allégories, des énigmes, des paraboles. D'ailleurs, presque toutes ces figures dont l'enseignement fait partie des arts libéraux se retrouvent sur les lèvres de ceux qui n'ont jamais entendu de grammairiens, et abondent dans le langage vulgaire. Ne dit-on pas tous les jours :          Comme vous florissez ! figure qui se nomme métaphore ? N'appelle-t-on pas piscine un réservoir qui ne renferme aucun poisson, et n'est pas destiné à en recevoir, quoique ce terme tire de là son origine ? C'est là une catachrèse.

41. Il serait trop long de citer des exemples d'autres figures. La langue vulgaire a même su en former qui sont d'autant plus frappantes, qu'elles signifient le contraire de ce qu'expriment les paroles, telles que l'ironie et l'antiphrase. L'ironie indique sa pensée par le mode de prononciation ; ainsi on dit à quelqu'un qui fait le mal : Vous faites là une bonne action ! L'antiphrase, pour signifier l'opposé, n'a pas recours au ton de la prononciation ; elle emploie des termes particuliers tirés du contraire, comme celui de lucus donné à un bois sacré, parce  que la lumière n'y pénètre pas ; ou certaines expressions consacrées par l'usage, bien qu'elles n'aient pas toujours le même sens, comme quand nous cherchons une chose dans un lieu où elle n'est pas, et qu'on nous dit: il en est rempli ; quelquefois c'est par certaines paroles ajoutées qu'elle fait entendre le contraire de ce qu'elle exprime, (56) par exemple: Défiez-vous de cet homme, car c'est un homme de bien. Quel est l'ignorant qui en parle ainsi, sans savoir ni la nature, ni les noms de toutes ces figures ? Cependant la connaissance en est indispensable pour résoudre les difficultés de l'Ecriture ; car si un passage pris à la lettre n'offre qu'un sens absurde, il faut examiner s'il n'y a pas là telle ou telle ligure qui cache le sens    véritable. C'est par ce moyen qu'on a porté la lumière dans la plupart des obscurités.

 

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CHAPITRE XXX. RÈGLES DU DONATISTE TICHONIUS.

 

12. Un certain Tichonius, qui a vivement combattu les Donatistes dans ses écrits, tout Donatiste qu'il était, et dont l'aveuglement nous parait d'autant plus étrange qu'il n'abandonna pas entièrement cette secte, a composé un livre intitulé « des Règles », parce qu'il y expose sept règles à l'aide desquelles on peut pénétrer dans les mystères cachés de l'Ecriture. La première est « de Notre-Seigneur et de son corps » ; la seconde, « du corps du Seigneur  partagé en deux » ; la troisième des promesses et de la loi » ; la quatrième, de l'espèce et         du genre » ; la cinquième, « des temps » ; la sixième, «de la récapituliation»; la septième, « du démon et de son corps » . Considérées de la manière dont il les expose, ces règles sont certainement d'un grand secours pour porter la lumière dans les obscurités des saints Livres ; mais elles ne suffisent pas toujours, car on doit recourir encore à bien d'autres moyens pour résoudre toutes les difficultés; Tichonius lui-même, en plusieurs circonstances, les a laissées de côté comme inutiles. Aucune de ces règles, par exemple, n'avait de rapport à la question de savoir ce qu'il faut entendre par les anges des sept Églises, dont il est parlé dans l'Apocalypse, et auxquels saint Jean avait reçu l'ordre d'écrire. C'est par une suite de raisonnements qu'il arrive à conclure que ces anges représentent les Eglises, mêmes (1). Sa longue dissertation sur un point aussi difficile à élucider ne fait aucune mention des dites règles. Je me borne à ce seul exemple, par ce que ce serait une tâche trop langue et trop pénible d'énumérer tous les passages pour lesquels elles demeurent insuffisantes.

 

1. Apoc. 1, 20.

 

43. L'auteur, en les recommandant leur attribuait une portée telle, que leur emploi intelligent pouvait faire jaillir la lumière de toutes les parties de l'Ecriture. Voici comme il débute : « Rien ne m'a paru plus nécessaire  que d'écrire un livre des Règles, et d'y donner comme autant de clefs et de flambeaux pour pénétrer dans les secrets de la Loi. Ces règles mystérieuses sondent toutes les profondeurs, et ouvrent le trésor de la vérité à ceux qui ne pouvaient les découvrir. Si on les reçoit avec la même simplicité que nous les donnons, tout ce qui est fermé s'ouvrira, tout ce qui est voilé sera éclairci, et quiconque voudra parcourir l'immense forêt des prophéties, sera conduit comme par des sentiers lumineux qui l'éloigneront de toute erreur. » S'il se fût contenté de dire que ces règles mystérieuses sondent quelques-unes des profondeurs, même les plus secrètes, des divins oracles, et aplanissent grand nombre de difficultés, sans présumer vouloir tout éclaircir, il fût resté dans le vrai. Sans donner à son livré, si utile d'ailleurs et si bien travaillé, un mérite exagéré, il n'eût pas flatté d'une vaine attente le lecteur qui en prendrait connaissance. J'ai cru devoir consigner ici ces réflexions pour engager les esprits studieux à lire ce livre assurément très-propre à faciliter l'intelligence de l'Ecriture, et pour prévenir de ne pas entendre plus qu'il ne renferme. Il doit être lu avec prudence, en raison de quelques erreurs qu'il faut attribuer à la fragilité humaine, mais principalement à cause des maximes hérétiques que l'auteur y a émises comme Donatiste. Je vais expliquer en peu de mots les avis et les instructions renfermées dans ces règles.

 

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CHAPITRE XXXI. PREMIÈRE RÈGLE DE TICHONIUS.

 

44. La première règle   est « du Seigneur et «de son corps. » Elle nous apprend que quelquefois le chef et le corps, c'est-à-dire, le Christ et l'Eglise, sont représentés dans une seule personne ; car ce n'est pas vainement qu'il a été dit aux fidèles : « Vous êtes de la race d'Abraham (1) ; » quoiqu'à vrai dire le Christ seul soit de cette race. Ne soyons donc pas étonnés si, dans une seule et même personne,

 

1. Gal. III, 29.

 

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le discours passe tantôt du chef au corps, et tantôt du corps au chef. Ainsi, c'est la même personne qui parle ici : « Dieu m'a mis sur la tête une couronne semblable à celle d'un époux  et il m'a paré des ornements d'une épouse (1). » Et cependant il faut distinguer, dans ces paroles, ce qui se rapporte au chef, ou à Jésus-Christ, et ce qui convient au corps, c'est-à-dire, à l'Eglise.

 

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CHAPITRE XXXII. DEUXIÈME RÈGLE.

 

45. La seconde règle est « du corps du Seigneur partagé en deux » . Ce titre était peu convenable, car ce qui ne sera pas éternellement avec Jésus-Christ ne peut former effectivement son corps. Il fallait dire : « du corps du Seigneur véritable et mélangé; » ou bien : « véritable et déguisé, » ou de quelqu'autre manière. Les hypocrites, en effet, non-seulement ne seront pas avec lui dans l'éternité, mais ils n'y sont pas même sur la terre, quoiqu'en apparence ils fassent partie de son Eglise. On aurait donc pu intituler cette règle : « de l'Eglise mélangée. » Elle exige du lecteur une grande attention, pour discerner quand l'Ecriture, paraissant s'adresser toujours aux élus, ou en parler, a déjà passé aux réprouvés, parce que les uns et les autres ne forment qu'un seul corps, par suite de leur mélangé ici-bas, et de la participation aux mêmes sacrements. En voici un exemple tiré du  Cantique des Cantiques : « Je suis brune, mais je suis belle comme les tentes de Cédar, comme les pavillons de Salomon (2). » L'épouse ne dit pas : J'ai été brune comme les tentes de Cédar , et maintenant je suis belle comme les pavillons de Salomon; mais elle dit qu'elle est l'un et l'autre en même temps, à cause de l'union passagère des bons et des mauvais poissons dans les mêmes filets (3). Les tentes de Cédar représentent ici Ismaël, qui ne doit point partager l'héritage avec le fils de la femme libre (4). Ainsi, après avoir dit des justes, dans Isaïe : « Je conduirai les aveugles dans « des voies qui leur sont inconnues, et ils « marcheront dans des sentiers où ils n'ont « jamais été ; je changerai leurs ténèbres en « lumière, et je redresserai leurs voies tortueuses ;

 

1 Is. LXI, 10. — 2. Cant. 1, 5. — 3. Matt. XIII, 48. — 4. Gen. XXI, 10 ; Galat. IV, 30.

 

je leur ferai ce que je dis; et ne les abandonnerai pas (1); » Dieu parle aussitôt des méchants confondus avec les bons, et il ajoute « Mais ils sont retournés en arrière. » Il semble parler toujours des premiers, quoique ces paroles désignent évidemment les méchants. Mais, comme ils sont maintenant mêlés les uns aux autres, il continue, en apparence, à s'adresser à ceux dont il parlait auparavant. Un jour, néanmoins, se fera la séparation, figurée dans ce serviteur de l'Evangile, que son maître doit séparer, à son arrivée, pour lui donner place au rang des hypocrites ?

 

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CHAPITRE XXXIII. TROISIÈME RÈGLE.

 

46. La troisième règle est : « Des promesses et de la loi. » On pourrait l'intituler autrement : « De l'esprit et de la terre, » comme nous l'avons fait dans le livre que nous avons écrit sur ce sujet; ou même : « De la grâce et du commandement. » Néanmoins, cette règle me semble plutôt une grande question qu'une règle véritable, qui doive servir à résoudre les questions mêmes. L'ignorance des pélagiens sur ce point donna naissance à leur hérésie ou à ses progrès. Tichonius s'est appliqué à éclaircir cette question; son travail est bon, mais incomplet. Traitant de la foi et des oeuvres, il soutient que les oeuvres nous sont données de Dieu par le mérite de la foi, mais que la foi est tellement de nous qu'elle ne nous vient pas de Dieu. Il ne pensait pas à ces paroles de l'Apôtre : « Que Dieu le Père et le Seigneur Jésus-Christ donne à nos frères la paix et la charité avec la foi (3). » Mais il n'avait pu connaître l'hérésie pélagienne qui s'est élevée de nos jours, et qui nous a tant occupé à défendre contre elle la grâce que Dieu nous donne par Notre-Seigneur Jésus-Christ. Selon ce mot de saint Paul : « Il faut qu'il y ait des hérésies, afin qu'on découvre par là ceux d'entre vous qui sont solidement à Dieu (4), » cette hérésie nous a fait redoubler d'activité et de vigilance, et découvrir dans l'Ecriture ce qui avait échappé à Tichonius, d'autant moins circonspect qu'il n'avait point d'ennemis à combattre; nous y .avons vu que la foi elle-même est un don de Celui qui la

 

1. Is. XLII, 1, 17 .2. Matth. XXIV, 51. — 3. Ephès. VI, 23. — I Cor. XI, 19.

 

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distribue à chacun dans la mesure qui lui est propre. De là ces paroles aux Philippiens : « Il vous a été donné, non-seulement de croire en Jésus-Christ, mais même de souffrir pour lui (1 ). » Ainsi donc, comment douter que l'un et l'autre soient un don de Dieu, quand on affirme d'une manière si positive et si claire que l'un et l'autre ont été donnés par lui Cette vérité repose sur bien d'autres témoignages ; mais je ne veux pas m'arrêter ici à une question que j'ai traitée en tant d'autres circonstances.

 

 

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CHAPITRE XXXIV. QUATRIÈME RÈGLE.

 

47. La quatrième règle est : « De l'espèce et du genre. » Par l'espèce il faut entendre la partie, et par le genre le tout, dont l'espèce n'est que la partie. Ainsi chaque ville est une partie de l'universalité des peuples; elle forme l'espèce, et l'ensemble des peuples constitue le genre. Nous n'avons pas à entrer ici dans les distinctions subtiles des dialecticiens qui disputent fort ingénieusement sur la différence qui existe entre l'espèce et la partie. La question reste la même quand il s'agit, non plus seulement d'une ville, mais d'une province, d'une nation, d'un royaume tout entier. Car ce n'est pas uniquement quand il s'adresse à Jérusalem, par exemple, ou à quelque cité païenne, comme Tyr et Babylone, que le texte sacré a une signification qui s'étend plus loin que ces villes et s'applique mieux à tous les peuples ; c'est aussi quand il parle d'une province entière, comme la Judée, l'Egypte; l'Assyrie, qui renferment un grand nombre de villes, tout en ne formant qu'une partie de l'univers ; ce. qui est dit de l'une de ces provinces se rapporte plutôt à toute la terre , ou, pour parler avec Tichonius, au genre, dont chaque peuple constitue l'espèce. Ces notions n'ont pas échappé même au vulgaire; et les plus ignorants savent distinguer entre les obligations spéciales et les obligations générales que renferme chaque édit impérial. Il en est de même relativement aux hommes; car tout ce qui est dit de Salomon ne peut lui convenir et devient parfaitement clair si on l'applique à Jésus-Christ ou à l'Eglise , dont le prince est un des membres.  .

 

1. Philip. I, 29.

 

48. Le sens des paroles ne va pas toujours au delà des limites de l'espèce; souvent il s'y rapporte directement et même ne peut guère, évidemment, s'appliquer qu'à elle seule. Mais quand l'Ecriture passe de l'espèce au genre, continuant en apparence à parler de l'espèce, le lecteur doit y faire attention, pour ne pas chercher dans l'espèce ce qu'il trouvera. plus naturellement et plus sûrement dans le genre. Tel est ce passage d'Ezéchiel : « Les enfants d'Israël ont habité dans leur terre; ils l'ont souillée par le dérèglement de leur voie, par leurs idoles et par leurs péchés. Leur voie est devenue impure à mes yeux, comme la femme qui souffre l'accident de son sexe.  J’ai répandu ma colère sur eux; je les ai écartés en divers pays, et je les ai dispersés parmi les peuples; je les ai jugés et je leur ai rendu selon leur voie et selon leurs oeuvres (1). » Ces paroles s'entendent clairement de cette maison d'Israël dont l'Apôtre a dit: « Considérez Israël selon la chair (2), » parce que cet Israël charnel a fait et souffert ce qui vient d'être rapporté. La suite du texte s'entend aussi du même peuple, tuais à partir de ces paroles : « Et je sanctifierai mon nom si grand et si saint, qui a été souillé parmi les nations et que vous avez déshonoré au milieu d'elles; et ces nations sauront que je suis le Seigneur. » Le lecteur remarquera qu'il s'agit non plus de l'espèce, mais du genre, car le Prophète poursuit : « Lorsque j'aurai été sanctifié à leurs yeux au milieu de vous, je vous retirerai d'entre les peuples, je vous rassemblerai de tous les pays, et je vous ramènerai dans votre terre. Je répandrai sur vous de l'eau pure, et vous serez purifiés de toutes vos souillures, et je vous purifierai des ordures de toutes vos idoles. Je vous donnerai un coeur nouveau et un esprit nouveau au milieu de vous. J'ôterai do votre chair le coeur de pierre et je vous donnerai un cœur de chair. Je mettrai mon Esprit au milieu de vous. Je ferai que vous marchiez dans la  voie de mes préceptes, que vous gardiez mes ordonnances, et que vous les pratiquiez. Vous habiterez dans la terre que j'ai donnée à vos pères. Vous serez mon peuple et je serai votre Dieu, et je vous purifierai de toutes vos souillures (3) ». Cette prophétie regarde le nouveau Testament qui renferme, non-seulement

 

1. Ezéch. XXXVI, 17-19. — 2. I Cor. X, 18. — 3. Ezéch. XXXVI, 23-29.

 

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les restes d'une nation dont il est dit ailleurs : « Le nombre des enfants d'Israël fût-il aussi grand que les grains de sable de la mer, à peine le reste sera sauvé (1) , » mais qui embrasse tous les peuples, selon la pro messe faite à leur pères qui sont aussi les nôtres : vérité incontestable aux yeux de celui qui reconnaît dans ces paroles l'annonce du bain de le régénération maintenant ouvert à toutes les nations, et sait entendre ce passage où l'Apôtre exalte le prix et l'excellence de la grâce de la nouvelle alliance sur celle de l'ancien Testament : « Vous êtes vous-mêmes notre lettre de recommandation; elle est écrite, non avec de l'encre, mais avec l'Esprit du Dieu vivant ; non sur des tables de pierre, mais sur des tables de chair qui sont vos coeurs (4). » Il fait évidemment allusion à ces expressions du Prophète : « Et je vous donnerai un cœur nouveau et un esprit nouveau au milieu de vous. J'ôterai de votre chair un cœur de pierre, et je vous donnerai un cœur de chair. » Ce cœur de chair dont l'Apôtre dit : « Des tables de chair qui sont vos coeurs, » doit être distingué du cœur de pierre par la vie de sentiment, c’est-à-dire, par la vie de l'intelligence. C'est ainsi que se forme l'Israël spirituel, non d'un seul peuple, mais de tous les peuples, comme il a été promis à nos pères, dans un de leurs descendants qui est Jésus-Christ.

49. Cet Israël spirituel se distingue donc de cet autre Israël charnel formé d'un seul peuple, non par la noblesse de l'origine, mais par la nouveauté de la grâce; non par la race, mais par l'esprit. Or, quand la parole sublime et profonde du Prophète s'adresse à l'un, elle passe insensiblement à l'autre, tandis qu'elle semble encore se rapporter au premier; en cela elle est, non pas un ennemi jaloux qui cherche à nous fermer l'intelligence de l'Écriture, mais un sage médecin qui procure à notre esprit un exercice salutaire., Ainsi, quand le prophète dit : « Je vous ramènerai dans votre terre, » et un peu plus loin, comme pour exprimer de nouveau la même pensée : « Et vous habiterez dans la terre que j'ai donnée à vos pères, » gardons-nous d'entendre ces paroles à la lettre, comme l'Israël charnel, mais dans le sens figuré, comme l'Israël spirituel. Car c'est l'Église sans tache et sans ride (3), composée de toutes les nations et destinée à

 

1. Is. X, 22. — 2. II Cor. III, 2,3. — 3. Ephés. V,27.

 

régner éternellement avec le Christ, qui est la véritable terre des vivants et des bienheureux (1). C'est cette terre qui a été donnée à nos pères, quand, par un décret de l'infaillible et immuable volonté de Dieu, elle leur a été promise. Car, par la foi qu'ils avaient qu'elle leur serait octroyée en son temps, et eu égard à la stabilité de la promesse et de la prédestination divine, ne devaient-ils pas la regarder comme leur étant déjà donnée? Saint Paul n'écrivait-il pas à Timothée, au sujet de la grâce accordée aux justes : « Dieu nous a appelés par sa vocation sainte, non selon nos couvres, mais selon le décret de sa volonté et la grâce qui nous a été accordée avant tous les siècles en Jésus-Christ, et qui a paru maintenant par l'avènement de notre Sauveur( 2) ? » Il parle d'une grâce donnée, quand ceux à qui elle devait l'être n'existaient pas encore, parce que dans la disposition et la prédestination divine, était déjà accompli ce qui ne devait arriver que dans la suite des temps et qui maintenant « a été manifesté. » Le passage cité plus haut peut aussi s'interpréter de la terre du siècle futur, alors qu'il y aura un ciel nouveau et une terre nouvelle, où les pécheurs ne pourront habiter. C'est donc avec raison qu'il est dit aux justes que cette terre leur appartient, puisque les impies n'y auront aucune. part; car elle a été aussi véritablement donnée quand a été établie la promesse qui en assurait un jour la possession.

 

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CHAPITRE XXXV. CINQUIÈME RÈGLE.

 

50. Tichonius établit une cinquième règle qu'il appelle: « Des temps. » Cette règle a pour but de déterminer ou de faire conjecturer certains espaces de temps qui ne sont pas bien précisés dans l'Écriture. L'application s'en fait de deux manières : par la synecdoche ou par les nombres consacrés dans la loi. La synecdoche est une figure qui fait entendre la partie par le tout, ou le tout par la partie. Un évangéliste, par exemple, place à huit jours de distance, et un autre évangéliste à six le fait de la transfiguration du Seigneur, quand sur la montagne, en présence de trois de ses disciples, sa face devint resplendissante comme le soleil et ses vêtements blancs comme la

 

1. Ps. XXVI, 13. — 2. II Tim. I, 9, 10.

 

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neige (1). Les deux récits ne peuvent être en même temps vrais quant au nombre de jours, à moins de supposer que celui qui parle de huit jours prend pour deux jours entiers la fin de celui où Jésus-Christ prédit cet évènement et le commencement de celui où il l'accomplit ; tandis que celui qui n'en met que six n'a compté que les six jours pleins compris entre ces deux termes. C'est à l'aide de cette même figure, où la partie est prise pour le tout, que se résout la même difficulté sur la résurrection du Sauveur. Si l'on ne prend pour des jours entiers la fin du jour où il a souffert en y ajoutant même la nuit précédente et la nuit sur la fin de laquelle il est ressuscité, par l'adjonction du dimanche qui commençait à luire, il est impossible de trouver les trois jours et les trois nuits pendant lesquels le Christ a prédit qu'il serait dans le sein de la terre (3).

51. Tichonius appelle nombres consacrés par la loi, ceux dont elle fait le plus grand usage, comme les nombres sept, dix, douze et autres, qu'un lecteur attentif remarquera facilement. Presque toujours ces nombres expriment un temps indéfini; ainsi : « Je vous louerai sept fois le jour (2), » c'est-à-dire : « La louange du Seigneur sera toujours dans ma bouche. (4) » Ils conservent la même signification, soit qu'on les multiplie, par exemple, par dix, comme soixante-dix, sept cents : ce qui autorise à entendre, dans le sens spirituel, les soixante-dix années de Jérémie (5), de toute la durée de l'exil de l'Eglise ici-bas; soit qu'on les multiplie par eux-mêmes, comme dix par dix qui donnent cent, douze par douze, cent quarante-quatre, nombre qui, dans l'Apocalypse s, désigne l'assemblée universelle des saints. On voit ici que ces nombres servent, non-seulement à résoudre les difficultés relatives aux espaces de temps, mais que leurs significations s'étendent plus loin et touchent à une foule d'autres questions. Ainsi le nombre précité de l'Apocalypse se rapporte, non aux temps, mais aux hommes.

 

1. Luc, IX, 28 ; Matth. XVII, 1, 2 ; Marc, IX, 1, 2. — 2. Matth. XII, 40. — 3.Ps. CXVIII, 164. — 4. Ps. XXXIII, 2. — 5. Jérém, XXV, 11.— 6. Apoc. VII, 4.

 

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CHAPITRE XXXVI. SIXIÈME RÈGLE.

 

52. La sixième règle de Tichonius est celle de « la récapitulation. » Elle est d'un secours précieux pour dissiper certaines obscurités du texte sacré. Quelquefois les faits sont placés dans le récit comme s'il étaient postérieurs dans l'ordre des temps, et se reliaient entre eux par une succession naturelle ; tandis que la narration, d'une manière inaperçue, s'est reportée à des événements antérieurs qui avaient été omis. On pourrait tomber dans l'erreur sans le secours de cette règle. Prenons ce passage de la Genèse : « Le Seigneur Dieu planta du côté de l'Orient un jardin de plaisir, et il y mit l'homme qu'il avait formé; il produisit aussi de la terre toutes sortes de beaux arbres dont les fruits étaient agréables à la vue et délicieux au goût. » Le récit semblé insinuer que ces dernières créations n'eurent lieu qu'après que Dieu eut formé l'homme et l'eut placé dans le paradis ; mais   l'auteur, qui n'avait exposé qu'en peu de mots que Dieu planta ce jardin de délices et qu'il y plaça l'homme, fait une récapitulation et revient sur ses pas pour dire ce qu'il avait omis, savoir, la manière dont Dieu orna ce jardin, en produisant de la terre toutes sortes de beaux arbres, dont les fruits étaient agréables à la vue et délicieux au goût. L'auteur poursuit: « L'arbre de vie et l'arbre de la science du bien et du mal furent aussi placés dans le milieu du paradis ». Il parle ensuite du fleuve qui devait arroser ce jardin et qui se divisait en quatre autres grands fleuves ; circonstances qui toutes se rattachent à la création de ce délicieux séjour. Après quoi, il reprend le fait qu'il avait déjà énoncé, et qui venait effectivement à la suite des autres : « Le Seigneur Dieu prit l'homme qu'il avait formé et le mit dans le paradis. (1) » Ce ne fut en effet qu'à la suite de ces diverses créations que Dieu plaça l'homme dans le paradis, comme l'ordre des faits l'indique maintenant, et non auparavant, comme on pourrait le croire d'après le récit, si l'attention n'y faisait découvrir une récapitulation dans laquelle l'historien reprend des choses qu'il avait passées sous silence.

 

1. Gen. II, 8-15.

 

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53. Au même livre encore, dans le dénombrement des descendants de Noé, il est dit : « Ce sont là les fils de Cham, selon leurs alliances, leurs langues, leurs terres et leurs nations. » Et après l'énumération des enfants de Sem : « Ce sont là les fils de Sem, selon leurs alliances, leurs langues, leurs terres et leurs nations. » Puis on ajoute en parlant de tous : « Ce sont les familles des enfants de Noé, selon les divers peuples qui en sont sortis; et c'est de ces familles que se sont formées toutes les nations qui sont sur la terre depuis le déluge. La terre n'avait alors qu'une même bouche et qu'une même voix, commune à tous (1). » Ces dernières paroles semblent indiquer qu'à l'époque où ils furent dispersés sur la face de la terre et formèrent des nations distinctes, ils n'avaient encore qu'une même langue; ce qui est évidemment contraire à ce qui est dit plus haut, que les tribus avaient leurs langues. Dirait-on de chaque tribu, qui formait une nation, qu'elle avait déjà sa langue propre, quand il n'y avait encore qu'un langage commun à tous les hommes? C'est donc par récapitulation que l'auteur ajoutait : « La terre n'avait alors qu'une même bouche et une même voix commune à tous. » Sans aucune transition, il reprend son récit de plus haut, pour exposer la cause de cette division des langues parmi les hommes, et immédiatement il nous la montre dans la construction de cette fameuse tour, alors que, par un juste jugement de Dieu, ce châtiment fut imposé à leur orgueil.

54. Cette sorte de récapitulation est quelquefois plus insensible encore, comme dans cet endroit de l'Evangile où le Sauveur dit : « Au jour que Loth sortit de Sodome, une pluie  de feu tomba du ciel qui consuma tous les habitants; et il en sera de même au jour où le Fils de l'homme se manifestera: qu'à cette heure, celui qui sera sur le toit et qui aura ses meubles dans la maison, ne s'amuse pas à descendre pour les aller chercher; que de même celui qui sera dans le champ ne retourne pas en arrière et se souvienne de la femme de Loth (2). » Mais sera-t-il temps, quand le Seigneur aura paru, d'observer ces prescriptions, de ne point regarder derrière soi, c'est-à-dire, de ne pas revenir sur un passé auquel

 

1. Gen. X, 20, 31, 32 ; XI, 1. — 2. Luc, XVII, 29-32.

 

on a renoncé ? N'est ce pas plutôt maintenant qu'il le faut faire, afin qu'à l'avènement du Seigneur chacun reçoive selon sa fidélité ou son mépris pour la loi divine? Cependant ces paroles : « à cette heure, » semblent désigner l'heure solennelle de la manifestation du Seigneur. Il faut l'attention vigilante du lecteur pour y découvrir une récapitulation; il y est amené d'ailleurs par une autre passage de l'Ecriture qui, du temps même des apôtres, proclamait déjà cet oracle : « Mes enfants, nous voici à la dernière heure (1). » Cette heure pendant laquelle on doit observer les prescriptions du Sauveur, s'entend donc du temps que doit durer la prédication de l'Evangile, jusqu'au grand jour de la manifestation, car l'heure à laquelle le Seigneur paraîtra, sera l'heure même du jugement (2).

 

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CHAPITRE XXXV. SEPTIÈME RÈGLE.

 

55. La septième et dernière règle de Tichonius est celle qu'il intitule : « Du démon et de son corps. » Le diable est, en effet, le chef des impies, qui sont en quelque sorte son corps, destinés à subir avec lui le supplice du feu inextinguible (3) ; de même que Jésus-Christ est le chef de l'Eglise, qui est son corps, appelée à régner avec lui dans la gloire éternelle (4). Dans la première règle : « Du Seigneur et de son corps », on doit s'attacher à découvrir, dans ce qui est dit d'une même personne,            ce qui convient au chef et qui se rapporte au corps. De même dans cette dernière, on attribue parfois au démon ce qui s'applique plus directement à son corps. Ce corps est formé, non-seulement de ceux qui sont manifestement hors de l'Eglise, mais aussi de ceux qui, lui appartenant déjà, se trouvent néanmoins mêlés parmi les élus jusqu'au terme de cette vie, alors que le van séparera pour toujours la paille du bon grain (5). Ces paroles d'Isaïe : « Comment a pu tomber Lucifer, qui s'élevait avec tant d'éclat dès le matin (6)? » et les suivantes qui, sous la figure du roi de Babylone, s'adressent à la même personne, s'appliquent clairement au démon. Et cependant celles-ci : « Celui qui envoie à toutes les nations, a été brisé sur la terre (7), » ne conviennent pas uniquement au

 

1. I Jean, II, 18. — 2. Rom. II, 5 ; XIII, 11. — 3. Matth. XXV, 41. — 4. Eph, I, 22. — 5. Luc, III, 17. — 6. Is. XIV, 12. — 7. Ibid.

 

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chef. Car si le démon envoie des anges vers tous les peuples, ce n'est pas lui-même, mais son corps qui est brisé sur la terre; sinon en ce sens qu'il réside dans ce corps écrasé comme la poussière que le vent emporte de la surface de la terre (1).

56. Toutes ces règles, à l'exception de celle de « la loi et des promesses, » font entendre une chose par une autre, ce qui est le caractère propre des locutions figurées. Mais l'emploi des figures me paraît trop étendu pour qu'un esprit puisse en saisir tout l'ensemble. Car il y a locution figurée toutes les fois qu'une chose sert à en signifier une autre, bien que la figure n'ait pas de nom en littérature. Dans les sujets où une figure s'emploie habituellement, l'esprit la saisit sans effort; mais dans lestas extraordinaires, l'intelligence, pour la comprendre, doit s'activer et travailler plus ou moins, selon le degré de grâce qu'elle a reçu de Dieu, ou selon les secours qui lui sont accordés. Aussi, soit pour les termes dont la signification

 

1. Ps. I, 4.

 

est littérale, soit pour les expressions figurées, où une chose en signifie une autre, et dont je crois avoir suffisamment parlé, je recommande à ceux qui étudient l'Ecriture de remarquer attentivement et de confier à leur mémoire les divers genres d'expressions qu'elle emploie, et la manière dont une chose y est ordinairement exprimée; surtout je les exhorte à recourir à la prière pour en obtenir l'intelligence. L'Ecriture elle-même leur apprend que c'est « le Seigneur qui donne la sagesse, que c'est de lui que viennent la science et l'intelligence (1); » et que c'est lui-même qui leur a inspiré jusqu'à cet amour de l'étude, s'il est accompagné d'une sincère piété.

Nous terminons ici ce que nous avions à dire des termes considérés comme signes. Il nous reste maintenant à parler, dans le livre suivant, de la manière d'exprimer ce qu'on a compris, selon qu'il plaira à Dieu de nous éclairer.

 

1. Prov. IX, 6.

 

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LIVRE QUATRIÈME.

 

Le saint Docteur, après avoir enseigné la manière d'interpréter l'Ecriture et d'en découvrir le sens véritable, arrive maintenant à parler de la manière d'exprimer la doctrine qu'on y a puisée. — Son intention n'est pas de donner des préceptes de rhétorique ; cependant il expose avec soin tous les devoirs de l'orateur chrétien. — Il lui offre, dans les Livres saints et dans les auteurs ecclésiastiques, les plus beaux modèles de l'éloquence jointe à la sagesse, et en cite plusieurs extraits dans les divers genres de style. — Il termine en exhortant l'orateur à recourir surtout à la prière, et à donner lui-même dans sa conduite l'exemple de ce qu'il enseigne dans ses discours.

 

PROLOGUE.

 

1. En commençant cet ouvragé de la Doctrine chrétienne, je l'ai divisé en deux parties. Car, après quelques observations préliminaires, où je répondais d'avance à la critique, je disais : « L'interprétation de l'Ecriture comprend deux choses : la manière de découvrir ce qu'on y doit comprendre, et la manière d'exprimer ce qu'on y a compris. Nous parlerons successivement de la première et de la seconde. » La première partie a été assez longuement traitée dans les trois livres précédents. Nous allons maintenant, avec l'aide de Dieu, aborder la seconde; nous renfermerons, s'il est possible, le peu que nous avons à dire dans un seul livre, qui sera le quatrième et dernier de cet ouvrage.

 

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CHAPITRE PREMIER. IL N'EST PAS ICI QUESTION DE PRÉCEPTES DE RHÉTORIQUE.

 

2. Je préviens d'abord les lecteurs de ne pas attendre ici de moi des préceptes de rhétorique, tels que je les ai appris et enseignés dans les écoles profanes. Ils ne sont pas inutiles, sans doute; mais si quelque sage trouve assez de loisir pour ce genre d'étude, il devra les apprendre ailleurs, et ne pas les chercher dans cet ouvrage, ni dans tout autre des miens.

 

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CHAPITRE II. LE DOCTEUR CHRÉTIEN DOIT SE SERVIR DE L'ART DE LA RHÉTORIQUE.

 

3. Si l'art de la rhétorique s'emploie pour persuader le faux comme le vrai, comment prétendre que les défenseurs de la vérité puissent la laisser désarmée en face de l'erreur; qu'ils soient dépourvus du talent qu'ont les professeurs de mensonges, de rendre, dès le début, l'auditeur bienveillant, attentif de docile? Verra-t-on les uns exposer leurs erreurs avec précision, clarté et vraisemblance, et les autres enseigner la vérité d'une           manière insipide, obscure, incapable de produire la conviction? Ceux-là ébranler la vérité et soutenir le mensonge par le faux éclat de leurs sophismes, et ceux-ci demeurer impuissants à (64)

réfuter l'erreur et à défendre la vérité? Les premiers sauront-ils, en faveur du mensonge, émouvoir l'auditeur, l'effrayer, l'affliger, le réjouir, l'exhorter, l'entraîner avec force, tandis que les seconds seront lents, froids, sans animation et sans vie pour la cause de lai vérité ? Quelle folie de le penser! Si donc le talent de la parole peut être mis au service d'une double cause; s'il est si puissant pour persuader le bien ou le mal, pourquoi les hommes vertueux ne s'efforceraient-ils pas de l'acquérir, pour le consacrer à la défense de la vérité, quand les méchants en abusent indignement pour les intérêts de l’injustice et de l'erreur?

 

 

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CHAPITRE III. A QUEL AGE ET DE QUELLE MANIÈRE IL CONVIENT D'APPRENDRE LA RHÉTORIQUE.

 

4. L'application des règles et des préceptes relatifs à cet art, jointe à une élocution facile, abondante, habile à se servir des ornements et des ressources dit langage, constitue la véritable éloquence. C'est à ceux qui peuvent facilement les apprendre à y consacrer un temps convenable, dans un âge propre à cette étude; mais, je le répète, ils ne les trouveront pas dans cet ouvrage. Les princes mêmes de l'éloquence, à Rome, n'ont pas craint d'affirmer que quiconque ne peut acquérir promptement la connaissance de la rhétorique, n'y parviendra jamais (1). Qu'est-il besoin d'examiner si une telle assertion est vraie ? Quand même les plus faibles     intelligences pourraient enfin y arriver, nous n'attachons pas à ces préceptes une importance telle qu'on doive y consacrer les années de l'âge mûr, ou celles qui sont destinées à des occupations plus sérieuses. Cette application revient aux jeunes gens; encore n'est-ce pas à tous ceux que nous désirons voir instruits pour l'avantage de l'Eglise; elle ne convient qu'à ceux qui n'ont pas dû se livrer encore à des intérêts plus pressants et plus graves. Un esprit vif et pénétrant qui lit ou entend les hommes éloquents, le devient plus facilement lui-même, qu'en s'attachant aux préceptes de l'éloquence. Outre le canon des Écritures, qui jouit heureusement du plus haut degré d'autorité, combien d'autres modèles l'Église ne lui offre-t-elle pas? N'y

 

1. Cicéron, de l'orateur.

 

chercherait-il, en les lisant, que la substance des idées, il finit par se pénétrer, dans ce travail, de la forme et du style; surtout s'il s'exerce a écrire à dicter et à exprimer ses propres pensées selon, les règles de la piété et de la foi. Mais une intelligence bornée ne comprend rien aux règles de la rhétorique ; et lors même que, par un travail opiniâtre, elle viendrait à en saisir quelque chose, quelle en serait l'utilité? Ceux mêmes qui les connaissent et qui s'expriment avec facilité et élégance; ne peuvent, tout cri parlant, penser à ces règles pour les observer, à moins qu'elles ne soient le sujet du discours. Je crois même qu'il n'en est pas un seul qui puisse       en même temps parler éloquemment et penser aux préceptes qu'il faut suivre pour y réussir. Car il est à craindre que la pensée n'échappe à l'esprit pendant qu'il s'applique à l'exprimer avec art. Et néanmoins les grands orateurs, dans leurs harangues et leurs discours, ont parfaitement observé les règles de l'éloquence, sans y avoir songé pendant qu'ils se préparaient ou qu'ils parlaient, soient qu'ils les eussent apprises, soient qu'ils les ignorassent entièrement. Ils les observent, parce qu'ils sont éloquents, mais ils n'y ont pas recours pour le devenir.

5. Si donc l'enfant n'apprend à parler qu'en retenant les expressions de ceux qui parlent, pourquoi un homme, sans 'aucun précepte de l'art, ne pourrait-il devenir éloquent en lisant et en écoutant les discours des maîtres d'éloquence, et en les' imitant dans la mesure de ses facultés ? L'expérience n'en est-elle pas la preuve la plus péremptoire? Combien n'en connaissons-nous pas qui, sans avoir étudié la rhétorique, se montrent plus éloquents que d'autres qui en ont appris les règles? Au contraire, nous n'en voyons pas un seul qui soit éloquent, sans avoir lu ou entendu les modèles de l'éloquence? Aussi la grammaire elle-même, qui est l'art de parler correctement, serait-elle inutile aux enfants, s'il leur était donné de grandir et de vivre dans une société dont le langage fût pur. Ignorant les vices du langage, avec l'heureuse habitude qu'ils auraient contractée, ils sauraient reprendre et éviter toute expression défectueuse qui viendrait frapper leurs oreilles, comme nous voyons le citadin , même illettré, corriger le langage d'un homme de la campagne.

 

 

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CHAPITRE IV. DEVOIRS DU DOCTEUR CHRÉTIEN.

 

6. Celui qui entreprend d'interpréter et d'enseigner les divines Écritures, de défendre la foi et de combattre l'erreur, doit instruire à faire le bien et à fuir le mal ; il doit en parlant se concilier les esprits prévenus, ranimer ceux dont l'attention se relâche, et annoncer à ceux qui l'ignorent ce qu'ils ont à faire et ce qu'ils ont à attendre. Quand il aura trouvé ou. rendu ses auditeurs bienveillants, attentifs et dociles, il développera son sujet, selon que l'exigent les circonstances. Si on doit instruire, qu'on le fasse par une simple exposition de la vérité ou du fait, autant que cela est nécessaire pour en donner connaissance à l'auditeur. S'agit-il de leur rendre certain ce qui pour eux est douteux? il faut recourir au raisonnement en s'appuyant de preuves solides. Mais s'il est plus à propos d'émouvoir les auditeurs que de les instruire, pour leur inspirer le courage d'accomplir ce qu'ils savent, et de conformer leur conduite à leurs croyances, on doit donner alors plus de force au discours: prières et menaces, excitations et instances, en un mot, tout ce qui est capable de remuer, les cœurs, doit être mis en œuvre.

 

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CHAPITRE V. LA SAGESSE PRÉFÉRABLE A L'ÉLOQUENCE DANS L'ORATEUR CHRÉTIEN.

 

7. La plupart des orateurs ne manquent jamais dans leurs discours d'observer ce que je viens de dire. Mais les uns le font d’une manière obscure, froide et sans art: les autres avec vivacité, élégance et entraînement. La première qualité nécessaire à l'orateur Chrétien, pour être utile à ses auditeurs, est donc de savoir raisonner et parler avec sagesse, si on ne le peut avec éloquence, bien que cette utilité soit moindre que si, à la sagesse, on pouvait unir l'éloquence. Mais on doit d'autant plus se défier d'un orateur qui brille par une éloquence sans sagesse, qu'il charme davantage, ses auditeurs dans des choses vaines et puériles ; car en trouvant qu'il parle avec éloquence, on croit aisément qu'il parle avec vérité. Cette observation n'a pas échappé même aux partisans de la rhétorique; ils ont avoué que si la sagesse sans l'éloquence ne pouvait être que d'une faible utilité pour la république, l'éloquence sans la sagesse au contraire y devenait la plupart du temps la source des plus grands maux, et jamais du moindre avantage (1). Si la force de la vérité a pu obtenir un tel aveu de ceux-mêmes qui ont consacré des ouvrages entiers à tracer les règles de l'éloquence et l'obtenir dans ces ouvrages mêmes, tout privés qu'ils étaient de la véritable et céleste sagesse qui descend du Père des lumières, pourrions-nous penser autrement, nous qui sommes les enfants et les ministres de cette même sagesse ? Or, l'homme parle avec plus ou moins de si gesse, selon les progrès qu'il a faits dans la connaissance des saintes Écritures. J'entends cette connaissance qui consiste, non à les lire beaucoup, pour les confier à sa mémoire, mais à les bien comprendre, et à en approfondir le sens. Car il y en a qui les lisent sans les étudier. Ils les lisent pour les retenir, et ils ne songent pas à en avoir l'intelligence. J'estime bien autrement ceux qui en retiennent moins les paroles, et qui en découvrent les profondeurs des yeux du coeur. Mais je préfère encore aux uns et aux autres, celui qui les cite quand il veut et les comprend comme il faut.

8. Il est donc très nécessaire à l'orateur qui doit exprimer avec sagesse ce qu'il ne peut dire avec éloquence, de graver dans sa mémoire les expressions de l'Écriture. Plus il se reconnaît pauvre de son propre fonds, plus il doit s'enrichir en puisant à cette source. La parole divine servira de preuve à sa parole ; et lui, si petit par ses propres discours, s'élèvera en quelle sorte, en empruntant de grands témoignages. On plaît par les preuves, quand on ne peut plaire par la beauté du langage. Quant à l'orateur qui veut unir l'éloquence à la sagesse, il est certain que, s'il y parvient, il obtiendra un plus grand succès. Je l'engage fortement à lire, à écouter et à imiter les hommes vraiment éloquents, plutôt que de consacrer son temps à suivre les leçons des maîtres de rhétorique; je parle de ces hommes dont les discours se font justement admirer autant pour la sagesse que pour l'éloquence ; car c'est avec plaisir qu'on entend une parole éloquente, et. c'est avec profit qu'on écoute une parole sage. Aussi l'Écriture ne dit pas : la multitude des éloquents, mais « la multitude des sages est le salut de l'univers (2). » S'il faut souvent prendre des choses amères, quand elles sont utiles, on doit toujours éviter ta douceur. quand elle est pernicieuse. Mais est-il rien de meilleur que le mélange de l'utile et de l'agréable ? Plus on désire alors ce qui est agréable, plus on profite de

 

1. Cicéron, liv. I, De L'Invention. — 2. Sag. VI, 26.

 

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ce qui est utile. Or, il y a dans l'Eglise des auteurs qui ont interprété les divins oracles, non seulement avec sagesse, mais aussi avec éloquence ; le temps manquera plutôt pour les parcourir, qu'eux mêmes ne pourront faire défaut à l'étude la plus persévérante.

 

 

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CHAPITRE VI. LA SAGESSE JOINTE A L'ÉLOQUENCE DANS LES AUTEURS SACRÉS.

 

9. On demandera peut-être si nos auteurs sacrés, dont les écrits divinement inspirés nous offrent un code si autorisé et si salutaire des plus pures doctrines, ont été doués non-seulement de sagesse, mais aussi d'éloquence. Pour moi et pour ceux qui partagent mes sentiments, cette question n'offre aucune difficulté. Partout où je puis les comprendre, rien ne me parait plus sage et en même temps plus éloquent. J'ose même avancer que tous ceux qui saisissent fidèlement leur pensée, comprennent aussi qu'ils ne pouvaient parler autrement. De même qu'il y a une éloquence qui sied mieux à la ,jeunesse, et une autre plus convenable à l'âge mûr et que l'éloquence cesse de porter ce nom, dès qu'elle n'est plus en rapport avec l'orateur; de même il y à une éloquence propre à ces hommes divins, revêtus d'une autorité souveraine. Telle a été la leur. Nulle autre ne leur convenait, et la leur ne pouvait convenir à d'autres; elle leur est essentiellement propre; plus elle paraît simple, plus elle s'élève au dessus des orateurs profanes, non par l'enflure, mais par la solidité. Là où je ne puis sonder la profondeur de leurs écrits, j'avoue que leur éloquence est pour moi moins sensible; et néanmoins je ne. doute pas qu'elle ne soit la même que dans les passages que je comprends. Il convenait même que dans ces salutaires et divins oracles, il se mêlât à l'éloquence une obscurité qui servit aux progrès de notre intelligence, non-seulement par la découverte de la vérité, mais aussi par un utile exercice.

10. Je pourrais même, si j'en avais le loisir, montrer dans les livres sacrés de ceux que la Providence divine nous a donnés pour nous-instruire, et nous faire passer de ce siècle corrompu au siècle bienheureux, toutes les qualités et tous les ornements d'éloquence dont se glorifient ces hommes qui préfèrent l'enflure de leur langage à la majesté de nos auteurs inspirés. Mais ce qui me charme le plus dans ces grands hommes, ce n'est pas ce qu'ils ont de commun avec les orateurs et les poètes païens. Ce que j'admire, ce qui m'étonne, c'est que, par une éloquence qui leur est propre, ils ont usé de l'éloquence profane, demanière à lui donner place dans leurs discours, sans l'y laisser dominer. La négliger; c'était la condamner ; lui donner trop d'éclat, c'était en faire parade ; alternative qu'ils ne pouvaient admettre. Aussi là où un esprit éclairé en découvre les caractères, telle est la nature de la pensée, que les paroles ne paraissent point cherchées, mais comme placées d'elles-mêmes pour la signification des choses; vous diriez que lorsque la sagesse sort de sa demeure, qui est le cœur du sage, l'éloquence la suit sans être appelée, comme une esclave dont elle ne se sépare jamais.

 

 

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CHAPITRE VII. TRAITS D'ÉLOQUENCE TIRÉS DE L'ECRITURE.

 

11. Quelle clarté saisissante, et en même temps quelle sagesse dans ces paroles de l'Apôtre! « Nous nous glorifions dans nos tribulations, sachant que la tribulation produit la patience, la patience l'épreuve, et l'épreuve l'espérance. Or, cette espérance ne nous trompe point, parce que l'amour de Dieu a été répandu dans nos cœurs parle Saint-Esprit qui nous a été donné (1). » Quel savant assez ignorant, pour ainsi m'exprimer, oserait prétendre que l'Apôtre s'est attaché à suivre les règles de l'art? Ne serait-il pas la risée de tous les chrétiens, éclairés ou non ? et cependant il y a là une figure que les Grecs appellent climax  et nous gradation, pour ne pas dire échelle, figure dans laquelle les expressions ou les pensées s'enchaînent les unes aux autres, comme ci-dessus, où la patience est liée à la tribulation, l'épreuve à la patience, et l'espérance à l'épreuve. Il y a même dans ce passage un autre genre de beauté. A la suite de ces phrases coupées et détachées, appelées par les grecs cvla, et commata , qui se prononcent séparément, vient ce qu'on appelle une période, dont les membres s'énoncent d'une manière suspensive, jusqu'à la fin du dernier. La première de ces phrases détachées qui précédent la période, est celle-ci : « La tribulation produit la patience » ; la seconde : « la patience l'épreuve » ; et la troisième : « et l'épreuve l'espérance. » Vient ensuite la période qui renferme aussi trois membres, dont le premier est : « Or, l'espérance ne nous trompe

 

1. Rom. V, 3-5.

 

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point » ; le second : « parce que l'amour de Dieu a été répandu dans nos cœurs » ; le troisième : « par l'Esprit-Saint qui nous a été donné », Ces observations font partie de l'enseignement méthodique de l'art. Si donc nous disons que l'Apôtre n'a pas cherché à en observer les règles, nous sommes loin de soutenir qu'en lui l'éloquence n'ait pas accompagné la sagesse.

12. Dans sa seconde épître aux Corinthiens, il reprend quelques faux Apôtres d'entre les Juifs qui parlaient mal de lui. Contraint de faire son propre éloge, il se l'impute comme une folié ; mais quelle sagesse et quelle éloquence dans ses paroles ! L'éloquence toutefois ne fait qu'accompagner la sagesse qui le dirige; la sagesse marche la première, sans repousser l'éloquence qui la suit. « Je vous le dis encore une fois : que personne me prenne pour un insensé, ou du moins, supportez ma folie, et permettez-moi de me glorifier aussi un peu. Croyez, si vous voulez, que ce je dis, je ne le dis pas selon Dieu, mais que je fais paraître de l'imprudence dans ce que je prends pour un sujet de me glorifier. Puisque plusieurs se glorifient selon la chair, je puis bien aussi me glorifier comme eux. Car, étant sages comme vous êtes, vous souffrez sans peine les imprudents. Vous souffrez même qu'on vous asservisse, qu'on vous dévore, qu'on prenne votre bien, qu'on vous traite avec hauteur, qu'on vous frappe au visage. C'est à ma confusion que je le dis; car je reconnais que nous avons été faibles en ce point. Mais pour ce qui est des autres avantages qu'ils osent s'attribuer eux-mêmes, je veux bien faire une imprudence, en me rendant en cela aussi hardi qu'eux . Sont-ils Hébreux ? Je le suis aussi. Sont- ils Israélites ? Je le suis aussi. Sont-ils de la race d'Abraham ? J'en suis aussi. Sont-ils ministres de Jésus-Christ? Quand je devrais passer pour imprudent, j'ose dire que je le suis encore plus qu'eux. J'ai plus souffert de travaux, plus reçu de coups, plus enduré de prisons; je me suis souvent vu tout près de la mort. J'ai reçu des, Juifs, en cinq fois différentes, quarante coups moins un. J'ai été battu de verges par trois fois; une fois j'ai été lapidé ; j'ai fait naufrage trois fois ; j'ai passé un jour et une nuit au fond de la mer; j'ai été souvent dans les voyages, dans les périls sur les fleuves, dans les périls de la part des voleurs, dans les périls de la part de ceux de ma nation, dans les périls de la part des païens, dans les périls au milieu des villes, dans les périls au milieu des déserts, dans les périls sur la mer, dans les périls entre les faux frères. J'ai souffert toutes sortes de ta figues et de travaux, les veilles fréquentes, la faim, la soif, les jeûnes réitérés, le froid et la nudité. Outre les maux extérieurs, le soin que j'ai des Églises attire sûr moi une foule d'affaires qui m'assiègent tous les jours. Qui est faible, sans que je m'affaiblisse avec lui? Qui est scandalisé, sans que je brûle ? S'il faut se glorifier de quelque chose, je me glorifierai de mes peines et de mes souffrances (1). » La moindre attention découvre dans ces paroles un trésor de sagesse, et la nature la plus endormie y sent coule un torrent d'éloquence.

13. Un critique judicieux reconnaîtra que ces phrases coupées, ces membres et ces périodes, dont je parlais plus haut, disposés avec une admirable variété, ont imprimé à ce discours ce cachet particulier, cette forme d'animation et de vie qui charme et entraîne les plus ignorants. Au début de notre citation, c'est une suite de périodes. La première est très courte, car elle n'a que deux membres : toute période ne peut en avoir moins, mais elle peut en renfermer davantage. Voici donc cette première : « Je vous le dis encore une fois: que personne ne me prenne pour un insensé ». Vient la seconde de trois membres ou du moins, supportez ma folie, et permettez-moi de me glorifier aussi un peu ». La troisième en renfermé quatre: « A l'égard. de ce que je vous dis, je ne parle pas selon le Seigneur, mais je fais paraître de l'imprudence, dans ce que je prends pour un sujet de me glorifier. » La quatrième n'en a que deux: « Puisque plusieurs se glorifient selon la chair, je puis bien me glorifier comme eux. » La cinquième de même Car étant sages comme vous l'êtes, vous souffrez sans peine les imprudents. » « La sixième encore deux : Vous souffrez même qu'on vous asservisse. » Suivent trois phrases détachées : « Qu'on vous dévore, qu'on prenne votre bien, qu'on vous traite avec hauteur. » Puis trois autres membres : Qu'on vous frappe au visage; c'est à ma confusion que je le dis, car je reconnais que nous avons été faibles en ce point. » Ensuite une période de trois membres: « Mais pour ce qui est des autres avantages qu'ils osent s'attribuer eux-mêmes, je veux bien faire une imprudence, en me rendant en cela aussi hardi qu'eux. » Ici se succèdent trois interrogations avec autant de réponses, toutes en phrases coupées: « Sont-ils Hébreux ? Je le suis aussi. Sont-ils Israëlites?

 

1. II Cor. XI, 16-30.

 

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« Je le suis aussi. Sont-ils de la race d'Abraham ? Je le suis aussi. » Aune quatrième et semblable interrogation, la réponse se fait, non par une phrase détachée, mais par un membre : « Sont-ils ministres de Jésus-Christ ? Quand je devrais passer pour imprudent à le dire, je le suis encore plus qu'eux ». Après, sans plus d'interrogation, se déroulent quatre phrases coupées : « J'ai plus souffert de travaux, plus enduré de prisons, plus reçu de coups, j'ai été plus sou vent exposé a la mort. » Ici vient s'interposer une courte période, dont les membres se distinguent par une prononciation suspensive, et dont le premier est : « Cinq différentes fois de la part des Juifs, » auquel se rattache le second : « j'ai reçu trente-neuf coups de fouet. » Ensuite reparaissent des phrases détachées, au nombre de trois : « J'ai été battu de verges par trois fois, j'ai été lapidé une fois, trois fois j'ai fait naufrage ». Puis un membre seul : « j'ai passé un jour et une nuit au fond de la mer ». Après se déroulent avec grâce quatorze phrases courtes et concises : « J'ai été souvent dans les voyages, dans les périls sur les fleuves, dans les périls de la part des voleurs, dans les périls de la part de ceux de ma nation, dans les périls de la part des païens, dans les périls au milieu des villes, dans les périls au milieu des déserts, dans les périls sur la mer, dans les périls entre les faux frères ; j'ai souffert toutes sortes de travaux et de fatigues, les veilles fréquentes, la faim et la soif, les jeûnes réitérés, le froid et la  nudité. » Ensuite une période de trois membres : « Outre ces maux extérieurs, une foule d'affaires m'assiègent tous les jours, le soin que j'ai de toutes les Eglises. » A cette période rattachent par interrogation : « Qui est faible sans que je m'affaiblisse ? Qui est scandalisé sans que je brûle ? » Enfin ce passage magnifique, qui permet à peine de respirer, se termine par une période à deux membres : « S'il faut se glorifier de quelque chose, je me glorifierai de mes peines et de mes souffrances. » Quelle beauté, quel charrue inexprimable deus l'art avec lequel l'auteur a su, après ce grand mouvement d'éloquence, amener cette simple narration, comme pour se reposer et reposer avec lui l'auditeur ! « Dieu, qui est le Père de Notre-Seigneur Jésus-Christ béni dans tous les siècles, sait que je ne mens point (1). » Il raconte ensuite brièvement les périls qu'il a courus, et la manière dont il y a échappé.

 

1. II Cor. XI, 31.

 

14. Il serait trop long d'analyser ainsi le reste de ce discours, et de montrer les beautés de même genre renfermées partout ailleurs dans nos livres saints. Que serait-ce si j'avais, voulu faire ressortir, rien que dans repassage emprunté à  Saint Paul, l'emploi de ces figures de langage qu'enseigne la rhétorique ? N'en aurais-je pas trop dit pour les hommes sages, et pas encore assez pour ceux qui étudient les règles de l'art? Dans les écoles, on donne une haute importance à tous ces préceptes; on les achète à grand prix, et on les vend avec ostentation. Je crains même que les détails dans lesquels je suis entré, ne se ressentent de cette vanité que je condamne. Mais je devais répondre à ces faux savants qui regardent nos écrivains sacrés- comme méprisables, sinon pour ne pas faire preuve, du moins pour rie pas faire parade de cette éloquence pour la quelle ils sont passionnés.

15. On croira peut-être que j'ai choisi l'Apôtre saint Paul, comme le seul modèle d'éloquence que nous ayons. S'il a dit quelque part : « Fussé-je inhabile pour la parole, je ne le suis pas pour la science (1), » c'est plutôt une concession qu'il a faite à ses détracteurs, que l'aveu d'un défaut qu'il aurait reconnu en lui. Cette interprétation serait la seule admissible, s'il eût dit : « Je « suis inhabile pour la parole, mais non pour la science. » Il n'hésite pas d'avouer qu'il possède la science, sans laquelle il ne pouvait être le docteur des nations; et si nous citons quelques passages, de lui comme modèles d'éloquence, nous les tirons de ces épîtres que ses détracteurs mêmes, qui méprisaient sa parole quand il était présent, ont reconnues pour être pleines de force est de gravité (2).

Je vais donc parler aussi de l'éloquence des Prophètes, qui ont fait un si fréquent usage des figures. Mais plus la vérité y est enveloppée d'expressions métaphoniques, plus on la goûte avec délices quand elle. est dévoilée. Je dois m'arrêter ici à des citations où je ne sois pas obligé d'interpréter le sens, mais où je puisse me borner à faire ressortir le mérite du style. Je les emprunterai de préférence, au livre de ce prophète qui nous apprend que son emploi était de garder les troupeaux, et que Dieu le tira de là pour l'envoyer prophétiser à son peuple (3). Je ne suivrai point la version des Septante. Cette version, faite sous une inspiration particulière de l'Esprit-Saint, semble, en certains endroits, avoir apporté les choses autrement que l'original, pour

 

1. II Corin. XI, 6. —2 Ibid. X, 10. — 3. Amos, VII, 14,16.

 

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avertir le lecteur d'y chercher un sens spirituel; c'est ce qui fait que parfois elle est plus obscure, parce que le style en est plus figuré. Je prendrai la version latine faite sur l'hébreu par le prêtre Jérôme, versé dans l'une et l'autre langue.

16. Voici donc comment s'élève Amos, d'humble habitant des champs devenu prophète, quand il attaque les hommes impies, superbes, dissolus, et foulant aux pieds la charité fraternelle: « Malheur à vous qui vivez en Sion dans l'abondance de toutes choses, et qui mettez votre confiance en la montagne de Samarie, grands qui êtes les chefs du peuple, qui entrez avec une pompe fastueuse dans les assemblées d'Iraël! Passez à Chalané et voyez. Allez de là dans Emath la grande, et descendez à Geth, au pays des Philistins, et dans les royaumes qui dépendent de ces villes. Examinez si les terres qu'ils possèdent sont plus étendues que les vôtres, vous que Dieu réserve pour le jour de l'affliction, et qui êtes prêts d'être asservis à un roi barbare; qui dormez sur des lits d'ivoire, et vous étendez mollement sur votre couche ; qui mangez les agneaux gras, et les génisses choisies de tout le troupeau.; qui chantez aux accords de la harpe. Ces hommes ont cru qu'ils étaient pour l'harmonie les rivaux de David ; et ils boivent le vin dans de larges coupes, et ils répandent sur eux les parfums les plus exquis, insensibles à la ruine de Joseph (1). » Si ces docteurs infatués de l'éloquence, qui méprisent nos prophètes comme des ignorants, étrangers aux délicatesses du langage, eussent eu à traiter le même sujet en présence des mêmes auditeurs, et s'ils eussent voulu le traiter convenablement, je le demande, auraient-ils désiré s'exprimer autrement.

17. Et-il rien de plus parfait à désirer pour les oreilles les plus délicates ? Avec quel éclat, dès le début, l'invective vient frapper les coeurs endormis, pour les réveiller ! « Malheur à vous qui vivez en Sion dans l'abondance de toutes choses, et qui mettez votre confiance en la montagne de Samarie, grands qui êtes les chefs des peuples, qui entrez avec une pompe fastueuse dans les assemblées d'Israël! » Ensuite, pour montrer l'ingratitude qu'ils professent à l'égard du Dieu qui leur avait donné un si vaste royaume, en mettant leur confiance dans la montagne de Samarie, où se pratiquait le culte des idoles : « Passez, dit-il, à Chalané et voyez. Allez de là dans Emath la grande, descendez à Geth au pays des Philistins, et dans les

 

1. Amos, VI, 1-6.

 

royaumes qui dépendent de ces villes; examinez « si les terres qu'ils possèdent sont plus étendues « que les vôtres. » Tous ces noms qui spécifient les lieux, Sion, Samarie, Chalané, Emath la grande, Geth des Philistins, ne sont-ils pas autant d'éclats de lumière qui ornent le récit? Quelle charmante variété encore dans tous ces mots : « Vous qui êtes dans l'abondance, qui mettez votre confiance, passez, allez, descendez ! »

18. Il annonce ensuite et comme conséquence, la captivité qui est sur le point d'arriver sous le règne d'un roi impie: « Vous qui êtes réservés pour le jour de l'affliction, et prêts d'être as« servis à un roi barbare. » Il décrit alors leurs oeuvres de mollesse et de prodigalité en ces termes: « Vous qui dormez sur des lits d'ivoire, et vous étendez mollement sur votre couche, qui mangez les agneaux les plus gras et les génisses choisies de tout le troupeau. » Ces six membres forment trois périodes dont chacune en renferme deux. Il ne dit pas : « Qui êtes réservés pour le jour de l'affliction, qui êtes prêts d'être asservis à un roi barbare, qui dormez sur des lits d'ivoire, qui vous étendez mollement sur votre couche, qui mangez les agneaux les plus gras et les génisses choisies de tout le troupeau. » Sans doute il y aurait eu une véritable beauté à voir ces six membres se dérouler sous le même pronom autant de fois répété, et d'entendre la voix de l'orateur les distinguer chacun séparément ; mais la forme la plus parfaite était de les réunir deux à deux sous le même pronom, exprimant aussi trois pensées, dont la première regarde l'annonce de la captivité : « Vous qui êtes réservés pour le jour de l'affliction, et prêts d'être asservis à un roi barbare; » la seconde, la mollesse de ce peuple : « Qui dormez sur des lits d'ivoire, et vous étendez mollement sur votre couche; » la troisième, leur intempérance brutale : « Qui mangez les agneaux les plus gras, et les génisses choisies de tout le troupeau. » Le lecteur est libre de prononcer séparément chacun des membres et d'en faire six, ou de prononcer le premier, le troisième et le cinquième, d'une manière suspensive, de façon à lier le second membre au premier, le quatrième au troisième et le sixième au cinquième, et à former trois belles périodes, chacune de deux membres, dont la première montre 1e malheur qui menace ces hommes ; la seconde, leur volupté et leur mollesse; la troisième, leur intempérance et leurs prodigalités.

 

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19. Il attaque ensuite leur passion désordonnée pour les plaisirs de l'oreille. Mais après avoir dit « Vous qui chantez aux accords de la harpe; n sachant que l'exercice modéré de la musique n'est pas incompatible avec la sagesse, tout à coup par un tour admirable d'éloquence, il suspend l'invective, cesse de s'adresser à ces hommes, quoiqu'il parle toujours d'eux, pour nous apprendre à distinguer la musique inspirée par la sagesse de celle que produit la passion. Ainsi il ne dit pas : Vous qui chantez aux accords de la harpe, et qui vous croyez en musique les rivaux de David. Mais après ces paroles que des hommes dissolus méritaient d'entendre : « Qui chantez aux accords de la harpe » , le prophète étale en quelque sorte aux yeux des autres leur ignorance, en ajoutant : « ils se sont crus en musique les rivaux de David et ils boivent le vin dans de larges coupes, ils répandent sur  eux les parfums les plus exquis. » La meilleure manière de prononcer cette période, est de faire une suspension aux deux premiers membres, pour terminer au troisième.

20. Quant à ces paroles qui terminent: « Et ils sont insensibles à la ruine de Joseph, » on peut les prononcer comme un seul membre de phrase, ou y faire une suspension, de sorte qu'il y ait une période de deux membres, le premier : « Et ils sont insensibles, » le second : « à la ruine de Joseph.. » Avec quelle admirable délicatesse l'auteur, au lieu de dire : Ils sont insensibles à l'affliction de leur frère, a mis pour le mot frère, celui de Joseph, désignant ainsi tous les frères sous le nom propre de celui qui dut aux siens la réputation la plus éclatante, par les maux qu'il en reçut et par les bienfaits dont il. les combla. J'ignore assurément si la rhétorique que j'ai apprise et enseignée, pourrait revendiquer une semblable figure. Mais tout ce qu'elle renferme de beauté, la douce impression qu'elle fait sur ceux qui la lisent et la comprennent, il est inutile de l'expliquer à quiconque ne la sent pas.

21. Il y a d'ailleurs dans ce passage que nous venons de citer comme exemple, bien d'autres traits d'une véritable éloquence. Mais on en apprend moins encore, à un auditeur sensible, par l'analyse la plus exacte, qu'on ne le ravit en le lui récitant avec âme. De telles paroles ne sont pas le fruit d'un art purement humain; c'est l'Esprit divin qui les a inspirées, en y mêlant l'éloquence avec la sagesse. Si, comme l'ont remarqué et avoué des orateurs très distingués, on n'a. pu découvrir et formuler méthodiquement tout ce qu'enseigne l'art oratoire, qu'en en voyant l'application dans les oeuvres du génie, qu'y a-t-il d'étonnant qu'on le retrouve dans les écrits des hommes envoyés par Celui-là même qui est la source auteur de tout génie? Reconnaissons donc que nos auteurs et nos docteurs sacrés ont su à la sagesse joindre l'éloquence, et cette éloquence seule convenait à leur caractère

 

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CHAPITRE VIII. L'OBSCURITÉ DES AUTEURS SACRÉS N'EST PAS A IMITER.

 

22. Les extraits que nous avons cités comme modèles d'éloquence, offrent un sens clair et facile à saisir; mais dans d'autres passages le langage de nos écrivains sacrés est voilé et obscur, et ce serait une erreur de vouloir les imiter sous ce rapport. Cette obscurité a un but utile et salutaire; elle doit servir à exercer et à développer l'esprit du lecteur, à le prémunir contre l'ennui et à exciter son ardeur dans la recherche de la vérité; elle sert aussi à éveiller les impies soit pour ménager leur conversion, soit pour leur dérober la connaissance de nos mystères. De là un don spécial, correspondant à cette obscurité, déposé dans la suite des temps au sein de l'Eglise,je veux dire le don d'intelligence et d'interprétation de l'Ecriture. Ceux qui l'expliquent, ne doivent donc pas s'exprimer comme si leur propre parole, revêtue d'une égale autorité, devait recevoir à son tour une nouvelle interprétation; toujours et avant tout ils doivent s'attacher à se faire comprendre, par la simplicité et la clarté de leur langage, en sorte qu'il n'y ait qu'un esprit excessivement borné qui ne puisse les saisir, et que ce qui entrave ou retarde l'intelligence, tienne plus à la subtilité et à la profondeur du sujet qu'à la forme de l'expression.

 

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CHAPITRE IX. MANIÈRE DE TRAITER LES SUJETS DIFFICILES ET OBSCURS.

 

23. Il y a effectivement des vérités qui par elles-mêmes ne sont pas intelligibles, ou qu'on parvient à peine à saisir, malgré l'exposition la plus claire et la plus lumineuse. On ne doit jamais les traiter en présence du peuple, ou (71) très-rarement, quand il y a urgence. Il convient mieux de le faire dans des conférences particulières, ou dans des livres qui ont la propriété de s'attacher le lecteur qui les comprend, et de ne pas être à charge à celui. qui refuse de les lire, faute de les entendre. Ne négligeons pas un devoir aussi noble que celui de communiquer aux autres, par toutes les explications possibles, l'intelligence des vérités dont nous sommes nous-mêmes en possession, , quand nous. trouvons un auditeur ou un interlocuteur animé du désir de s'instruire, et capable de saisir enfin ce qu'on lui expose; et ici appliquons-nous à enseigner; non pas avec éloquence, mais avec la plus saisissante clarté.

 

 

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CHAPITRE X. IMPORTANCE DE LA CLARTÉ DANS LE DISCOURS.

 

24. L'orateur qui s'attache à la clarté dans le discours, laissera parfois de côté une expression plus choisie et plus harmonieuse, pour prendre celle qui rend plus nettement sa pensée. Ce qui a fait dire à un écrivain, parlant de ce genre de style, qu'il se distinguait par une certaine négligence très soignée (1). Mais s'il rejette les ornements, ce n'est pas pour devenir bas et rampant. Telle doit être l'application d'un sage docteur à bien instruire, qu'il préfère à une expression plus obscure et ambiguë, par cela même qu'elle est plus latine et savante, une expression familière, qui sur les lèvres du vulgaire présente un sens clair et déterminé. Ainsi l'interprète sacré n'as pas craint de traduire : « Non congregabo conventicula eorum de sauguinibus ; je ne  serai point l'auteur de ces assemblées où ils se réunissent pour répandre les sangs des victimes (2)»; parce qu'il a jugé, dans l'intérêt de la pensée, devoir mettre au pluriel, en cette circonstances, le mot sanguis, qui en latin ne s'emploie qu'au singulier. Et pourquoi un docteur chrétien, s'adressant à des ignorants, ferait-il difficulté de dire ossum pour os, dans la crainte que cette syllabe ne soit prise pour celle qui , au pluriel, fait ora, bouche ; et non ossa, os; surtout quand on parle à des oreilles africaines ne sachant distinguer si une syllabe est longue ou brève ? A quoi sert la pureté d'un terme, s'il n'est compris de celui qui l'entend? Et à quoi bon parler, si celui à qui on s'adresse pour se faire comprendre, ne comprend pas? Si vous

 

1. Cicer. Orateur. — 2. Ps. XV, 4.

 

voulez instruire, rejetez tous les mots qui n'instruisent pas. Choisissez de préférence, quand vous le pouvez, les expressions pures, faciles à saisir; et si,vous ne le pouvez, parce que ces expressions manquent, ou qu'elles ne s'offrent pas à votre esprit, servez vous d'autres moins correctes, pourvu qu'elles soient propres à transmettre clairement votre pensée.

25. C'est, non seulement dans les conférences entre deux ou plusieurs personnes, mais surtout dans les discours adressés au peuple, qu'il faut s'attacher à se rendre intelligible. Dans une conférence, on peut adresser des questions; mais dans une assemblée où un seul se fait entendre, pendant que de toutes parts les yeux sont fixés sur lui en silence, il est contraire à l'usage et à la bienséance de se faire expliquer ce que l'on n'a pas compris. C'est pourquoi l'orateur doit avoir grand égard à ce silence obligatoire de l'auditeur. Ordinairement dans un auditoire animé du désir d'être éclairé, il se produit un certain mouvement qui indique qu'il a compris; jusque là, il faut retourner son sujet sous différentes formes, faculté que n'a pas celui qui prononce un discours préparé et appris mot à mot. Une fois certain qu'on a été compris, on doit,terminer ou passer à un autre sujet. Si on plaît en mettant la vérité en lumière, on devient insipide en s'arrêtant à une question désormais bien connue, et dont l'auditeur n'attendait que la solution. On peut plaire aussi sans doute en parlant de choses connues, quand on s'attache moins à la pensée qu'à la forme dont on la revêt. Si la forme, sans être nouvelle pour l'auditeur, le charme toujours, elle l'impressionne presqu'autant dans la bouche d'un lecteur que dans celle d'un orateur. Car quand un sujet est traité avec talent, non seulement on le lit une première fois avec plaisir, mais encore on le relit avec satisfaction dans la suite, si on n'en a pas perdu tout souvenir, et tous l'écoutent volontiers. Raviver la mémoire d'une chose oubliée, c'est en instruire de nouveau. Mais je ne parle pas ici de la manière de plaire, je parle de la manière d'instruire ceux qui ont le désir de l'être, et le moyen par excellence est de ne présenter que la vérité, et de la rendre intelligible à l'auditeur. Une fois ce but atteint, inutile de s'arrêter plus longtemps à la démontrer: mais, s'il est nécessaire, qu'on en fasse ressortir l'importance, pour la graver vivement dans le coeur, et cela brièvement, pour prévenir l'ennui.

 

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CHAPITRE XI. INSTRUIRE CLAIREMENT ET AGRÉABLEMENT.

 

26. Telle est l'éloquence de l'enseignement, laquelle consiste, non à rendre agréable ce qui déplaît, ni à faire pratiquer ce qu'on négligé, mais à éclaircir ce qui était obscur. Si cependant elle est dépourvue d'agrément, l'effet ne se produit que sur un petit nombre d'esprits sérieux, qui s'attachent courageusement à connaître la vérité; malgré la forme grossière et triviale sous laquelle on la leur présente, dès qu'ils l'ont saisie ils s'en nourrissent avec délices : car le caractère distinctif des esprits sages est d'aimer dans les paroles ce qu'elles ont de vrai, et non les paroles elles-mêmes. A quoi bon une clef d'or, si elle ne peut nous ouvrir? Et qu'importe une clef de bois, si elle nous ouvre, quand nous ne cherchons qu'à ouvrir ce qui était fermé? Mais sous certain rapport, il en est de ceux qui s1ntruisent comme de ceux qui mangent ; pour prévenir le dégoût, il faut assaisonner les aliments même les plus nécessaires de la vie.

 

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CHAPITRE XII. L'ORATEUR DOIT INSTRUIRE; PLAIRE ET TOUCHER.

 

27. Un célèbre auteur a donc dit avec raison que l'orateur doit instruire, plaire et toucher. Il ajoutait qu'instruire est une nécessité, que plaire est pour l'agrément et que le triomphe est de toucher (1). Le premier de ces trois devoirs, la nécessité d'instruire, se rapporte au sujet en lui même, et les deux autres à la manière de s'exprimer. L'orateur qui parle pour instruire, doit donc se regarder comme n'ayant rien dit encore, tant que l'auditeur ne l'a pas compris. Dire ce que l'on comprend soi-même, n'est pas encore l'avoir dit pour celui qui n'a point compris; maison l'a suffisament dit, dès qu'on s'est fait comprendre, quelle que soit la manière dont on s'est exprimé. Si d'un autre côté, on veut plaire ou toucher, la forme n'est plus indifférente ; on doit choisir celle qui fera atteindre le but. Comme pour soutenir l'attention de l'auditeur il faut plaire; il faut le toucher pour le déterminer à agir. Vous lui plaisez par un discours agréable, et vous l'avez touché, s'il aime ce que vous lui promettez, s'il craint le mal dont vous le menacez, s'il hait ce que vous condamnez, s'il embrasse ce que vous lui conseillez, s'il s'afflige

 

1. Rom. De l’Orateur.

 

 

des maux dont vous gémissez, s'il prend part à la joie que vous lui offrez, s'il a pitié de ceux dont vous lui dépeignez la misère, s'il fuit ceux dont vous lui faites craindre la société; en un mot si vous employez tout ce qu'une grande éloquence a de plus énergique pour remuer les cœurs, non pour leur apprendre ce qu'ils doivent faire, mais pour les déterminer à accomplir des devoirs déjà connus.

28. S'ils étaient dans l'ignorance, il faudrait les instruire, avant d'essayer de les toucher. Peut-être la simple connaissance des choses suffira pour les émouvoir, sans qu'il soit nécessaire de recourir aux grands ressorts de l'éloquence. On doit le faire cependant, si les circonstances l'exigent, c'est-à-dire, quand ils savent ce qu'il faut faire, et ne le font pas. Voilà ce qui prouve la nécessité d'instruire. Car si les hommes restent libres de pratiquer ou non ce qu'ils savent, comment prétendre qu'ils doivent faire ce qu'ils ignorent ? D'un autre côté, il n'est pas toujours nécessaire d'émouvoir, parce que l'instruction ou le charme de la parole suffit quelquefois pour, gagner l'auditeur. Et si le triomphe est de savoir toucher, c'est qu'on peut instruire et plaire, sans entraîner. Mais à quoi aboutissent ces deux conditions, sans la dernière ? J'ajouterai qu'il n'est pas toujours indispensable de plaire, puisque dans la simple exposition de la vérité qui se fait en instruisant, on ne s'attache pas directement à plaire par la forme sous laquelle on la présente ; c'est la vérité qui, par elle-même et de sa nature, charme dès qu'elle est connue. Souvent le mensonge mis à nu et bien prouvé jouit du même privilège. Il plaît, non comme mensonge, mais parce qu'il est vrai qu'il est mensonge, et on écoute volontiers la parole qui le démontre et le prouve.

 

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CHAPITRE XIII. IL FAUT PARVENIR A TOUCHER L'AUDITEUR.

 

29. Afin de condescendre à la faiblesse de ces esprits pour . qui la vérité reste insipide, si elle ne leur est présentée sous une formé attrayante, on a donné à l'art de plaire une grande place dans l'éloquence. Cependant il demeure sans effet sur ces coeurs endurcis à qui il ne sert de rien d'avoir compris l'orateur, et d'avoir été charmés par la beauté de son style. Que sert à un homme de confesser la vérité, de louer les charmes du discours, s'il ne se rend pas? N'est ce pas (73) l'unique fin que poursuit l'orateur dans tous les ressorts qu'il fait jouer ? Quand il enseigne une chose qu'il suffit de croire ou de connaître, se rendre, c'est simplement en confesser la vérité. Mais quand on enseigne ce qui se doit faire, et cela dans le dessein qu'on l'accomplisse, c'est en vain qu'on produit la conviction, en vain qu'on plaît par la beauté du langage, si l'on ne détermine l'auditeur à agir. L'orateur chrétien qui veut atteindre ce but, doit donc non-seulement instruire et captiver l'attention par le charme de sa parole, mais encore toucher pour s'assurer la victoire. C'est à une éloquence forte et sublime de porter le coup décisif sur un auditeur, que la pleine démonstration de la vérité, revêtue même des ornements du style, n'a pu encore déterminer à se rendre.

 

 

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CHAPITRE XIV. L'ART DE PLAIRE NE DOIT PAS NUIRE A LA VÉRITÉ NI A LA GRAVITÉ.

 

30. L'art de plaire a été poussé si loin qu'on voit des hommes lire ce qui n'est pas à faire, ce qu'il faut au contraire éviter et détester, ce qui est si criminel et si honteux qu'on n'a pu l'inspirer qu'à des cœurs mauvais et corrompus; ils le lisent non pour l'approuver mais uniquement pour se laisser aller aux charmes du style. Daigne le Seigneur préserver son Eglise du désordre que le prophète Jérémie reproche à la synagogue : » « L'horreur et l'effroi se sont répandus sur la terre. Les prophètes prophétisaient l’iniquité ; et les prêtres y applaudissaient, et mon peuple y prenait plaisir. Eh! que deviendrez-vous à l'avenir (1) ? » O éloquence d'autant plus terrible quelle est plus pure, d'autant plus véhémente qu'elle est plus solide! O véritable cognée qui fend les rochers! Car Dieu le déclare par le même organe, la parole qu'il nous annonce par ses prophètes, est semblable à la cognée (2). Loin de nous, loin de nous de voir jamais les prêtres applaudir aux prédicateurs de l’iniquité, et le peuple de Dieu y prendre plaisir! Loin de nous, dis je, une semblable démence! Que deviendrions-nous à l'avenir? Que notre langage soit moins intelligible, moins agréable et moins touchant, je le veux, pourvu qu'il soit conforme à la vérité; que le soit la justice, et non l'iniquité qu'on écoute avec plaisir. Aussi demande-t-elle à être présentée sous une forme agréable.

31. Dans une assemblée sérieuse, comme celle

 

1. Jér. V, 30, 31. — 2. Ibid. XLVI, 22.

 

dont parle le prophète : « Je vous louerai Seigneur, dans l'assemblée d'un peuple grave (1), » on regarde comme de mauvais goût cette délicatesse de style qui pour décrier, non des choses mensongères, mais des biens faibles et. fragiles, emploie des phrases pompeuses, sonores, quine conviendraient même pas s'il s'agissait des biens solides et durables. Nous en avons un exemple dans une des lettres du bienheureux Cyprien. Que ce passage ait été ainsi écrit, par accident ou à dessein, il devrait apprendre à la postérité quel langage la pureté de la doctrine chrétienne a substitué à cette surabondance vaine et frivole, et quelle éloquence plus sérieuse et plus modeste elle a su adopter, comme on le voit dans les lettres postérieures du saint évêque, où on l'aime sans danger, et où on la cherche avec piété, sans parvenir que fort difficilement à l'imiter. Voici donc comment il s'exprime dans cette lettre: « Allons nous asseoir en ce lieu. La solitude voisine « nous y invite. La vigne y fait courir ses branches errantes à travers le treillage qui les sou« tient, d'où elle tombe en festons entrelacés, et forme en même temps par l'abri de ses feuil« les un berceau de pampres verts (2). » Il y a là une admirable et prodigieuse fécondité de paroles, mais cette profusion excessive serait déplacée dans un discours grave et sérieux. Ceux qui aiment ce genre de style, pensent qu'un genre plus sévère ne vient que de l'impuissance de s'exprimer ainsi, et ils ne voient pas que c'est à dessein qu'on l'évite. Mais le saint évêque a prouvé qu'il pouvait l'employer, puisqu'il l'a employé quelquefois, et qu'il le répudiait, puisque jamais plus il n'y a eu recours.

 

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CHAPITRE XV. AVANT DE PARLER, L'ORATEUR DOIT PRIER.

 

32. L'orateur chrétien qui ne traite que des sujets convenables, c'est-à-dire, conformes à la justice, à la sainteté et à la vertu, doit donc s'efforcer de parler d'une manière claire, attrayante et persuasive. Qu'il soit bien convaincu qu'il y parviendra, dans la mesure de son talent, plutôt par la ferveur de la prière, que par les ressources de l'éloquence. Qu'il prie donc pour lui-même et pour ceux à qui il va adresser la parole, et qu'il soit ainsi orateur (3), avant d'être prédicateur. L'heure de parler arrivée, avant de commencer

 

1. Ps. XXXIV, 18. — 2. Cyr. ép. à Donat. — 3. Orateur, en latin signifie autant celui qui prie Dieu que celui qui parle aux hommes.

 

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qu'il élève son âme altérée, pour. répandre ce qu'il aura puisé à cette source divine, et faire part à ses auditeurs de son abondance. Pour ceux qui ont étudié la. matière, que de choses à dire sur tout sujet qui a trait à la foi et à là charité, et que de formes diverses sous lesquelles on peut les présenter ! Et qui sait çe que, dans la circonstance présente, il convient mieux à l'orateur d'exposer, ou à l'auditeur d'entendre, sinon Celui qui voit le fond de tous les murs? Qui peut aussi nous faire dire ce qu'il faut, et comme il le faut, sinon Celui qui tient en ses mains notre parole et nous-mêmes (1). Sans doute l'orateur doit d'abord apprendre tout ce qu'il doit connaître pour l'enseigner, et acquérir le talent de la parole, autant qu'il est nécessaire à un ministre de l'Eglise. Mais au moment même de parler, un esprit bien disposé n'a rien de plus sage à faire que de suivre ce conseil du Seigneur « Ne pensez ni à ce que vous devez dire, ni à la manière de l'exprimer. On vous donnera en effet dans le moment ce que vous aurez à dire; car ce n'est pas vous qui parlez, mais l'Esprit de votre Père qui parle en vous. (2) » Si l'Esprit-Saint parle en ceux qui pour Jésus-Christ se livrent aux persécuteurs, pourquoi ne parlerait-il pas également quand on donne, Jésus-Christ même à de dociles auditeurs?

 

 

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CHAPITRE XVI. LES RÈGLES DE L'ÉLOQUENCE NE SONT PAS INUTILES, QUOIQUE DIEU LUI-MÊME FASSE LES DOCTEURS.

 

33. Prétendra-t-on qu'il est inutile d'apprendre aux hommes ce qu'ils doivent enseigner et la manière de l'enseigner, puisque c'est l'Esprit-Saint qui fait les docteurs? Mais nous pourrons dire aussi qu'il est inutile de prier, parce que le Seigneur a dit : « Votre Père sait ce qui vous nécessaire avant que vous le lui demandiez (3); » que saint Paul ne devait nullement tracer à Tite et à Timothée ce qu'ils avaient à prescrire aux autres et la manière de le faire. Et pourtant quiconque a reçu la mission d'enseigner dans l'Eglise, doit avoir continuellement sous les yeux les trois lettres qu'il leur écrivait. Ne dit-il pas dans la première à Timothée : « Annonce ces choses, et les enseigne (4)? » Il parle de ce qu'il avait dit auparavant . N'ajoute-t-il pas dans cette même épître : « Ne reprends pas les vieillards avec rudesse, mais avertis-les comme les

 

1 Sag. VII,16. — 2. Matt. X, 19, 20. — 3. Ibid. VI, 8. — 4. I Tim. IV, 11.

 

pères (1)? » Dans la seconde : « Propose-toi pour modèle, dit-il au même disciple, les saintes  instructions que tu as entendues de moi. Mets-toi en état de paraître devant Dieu comme un ministre digne de son approbation; qui ne fait rien dont il ait sujet de rougir, et qui sait bien dispenser la parole de vérité (2). » Et un peu plus loin : « Annonce la parole, presse les  hommes à temps, à contre temps, reprends, supplie, menace sans te lasser jamais de les tolérer et de les instruire (3). » Ne dit-il pas à Tite qu'un évêque doit persévérer dans la doctrine de la foi, « afin qu'il soit capable d'exhorter selon la saine doctrine, et de convaincre ceux qui s'y opposent (4)? » Il ajoute : « Pour toi, instruis le peuple d'une manière qui soit digne de la saine doctrine. Enseigne aux vieillards à être sobres, etc. (5). » —  « Prêche les vérités, exhorte et reprends avec une pleine autorité. Que personne ne te méprise. Avertis-les d'être soumis aux princes et aux magistrats (6).. » Que conclure de là? Dirons-nous que l'Apôtre est en contradiction avec lui-même quand d'un côté il affirme que c'est l'Esprit-Saint qui fait les docteurs, et que de l'autre il leur trace lui-même ce qu'ils doivent enseigner et la manière de l'enseigner? Ne faut-il pas en inférer que jamais l'on ne doit cesser, avec la grâce de l'Esprit divin, d'instruire les docteurs mêmes, et que cependant « ni celui qui plante, ni celui qui arrose ne sont quelque chose, mais Dieu seul qui donne l'accroissement (7)? » C'est pourquoi les plus saints ministres, les Anges mêmes seraient impuissants à nous apprendre à établir en nous la vie divine, si Dieu ne nous rendait dociles à sa volonté, selon cette parole du psalmiste : « Enseignez-moi à faire votre volonté, parce que vous êtes mon Dieu (8). » C'est pourquoi encore l'Apôtre, parlant à Timothée, comme un maître à son disciple, lui dit : « Pour toi demeure ferme dans ce que tu as appris et ce qui t’a été confié, sachant de qui tu l'as appris (9). » Les remèdes corporels qu'un homme applique à un autre homme, n'opèrent que sur ceux à qui Dieu rend la santé. Dieu pourrait guérir sans le secours de ces remèdes, et sans le concours de sa puissance ils resteraient inefficaces; cependant on ne laisse pas que de les employer; ce qui devient un oeuvre de miséricorde ou de bienfaisance, quand la charité en est le principe. Ainsi en est-il de l'enseignement

 

1. I Tim, V, 1. — 2. II Tim. 1, 13; II, 15. — 3. Ibid. IV, 2. — 4. Tite, I, 9. — 5. Ibid. II, l, 2. —6. Ibid. III, 1. — 7. II Cor. III, 7. — 8. PS. CXLII, 10. — 9. II Tim. 111; 14.

 

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de la vérité : il n'a d'autre efficacité que celle qui lui est communiquée par Dieu, qui pouvait sans le ministère d'aucun homme, donner son Evangile à l'homme.

 

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CHAPITRE XVII. TROIS GENRES D'ÉLOQUENCE.

 

31. L'orateur qui s'attache à persuader la vérité, et dans ce but, à instruire, à plaire et à toucher; doit donc unir à la prière tous ses efforts pour arriver à parler, ainsi que nous l'avons dit, d'une manière claire, attrayante et persuasive. Toutes les fois qu'il y réussit, il est véritablement éloquent, lors même que l'auditeur résisterait encore. C'est en vue de ce triple devoir de l'orateur, instruire, plaire et toucher, que le maître de l'éloquence romaine exige de lui les trois qualités suivantes : « être éloquent, c'est savoir parler des petites choses dans un style simple; des choses médiocres, dans un style tempéré, et des grandes choses avec un style sublime (1), comme si dans une seule et même phrase il eût uni la fin aux moyens, en disant : la véritable éloquence consiste a ,traiter les petites choses dans un style simple, pour instruire; les sujets médiocres dans un style tempère, pour ;plaire; et les grands sujets dans un style sublime, pour toucher.

 

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CHAPITRE XVIII. L'ORATEUR CHRÉTIEN N'A QUE DES SUJETS RELEVÉS A TRAITER.

 

35. Cicéron aurait pu nous montrer ces trois genres d'éloquence comme il les entendait, dans les causes profanes, mais non dans les matières religieuses qu'est appelé à traiter l'orateur chrétiens auquel nous nous adressons. Dans les causes profanes, on regarde comme simples les questions relatives aux biens de la fortune, et comme de la plus haute importance celles d'où dépend la vie ou la mort d'un homme. Les sujets étrangers aux intérêts de cette nature, et oit on ne s'attache à porter l'auditeur ni a une action ni à une résolution quelconque, mais uniquement à lui plaire, ont reçu le nom de sujets tempérés ou médiocres, comme tenant le milieu entre les uns et les autres. C'est ce qui leur a fait donner le nom qu'ils portent ; car ce n'est pas proprement, mais abusivement que nous appelons

 

1. Cicér. de l'Orateur.

 

médiocre ce qui est petit. Il en est autrement dans les matières religieuses; les discours que nous adressons au peuple, surtout du haut de la chaire sacrée; ont pour objet d'assurer aux hommes, non la vie du temps, mais celle de l'éternité, et de les préserver d'une perte sans retour; là tout est grand, tout est relevé dans la bouche de l'orateur chrétien, même quand il parle de l'acquisition ou de la perte des biens de ce mondé, quelle qu'en soit la valeur. Car la justice, pour s'appliquer à ces intérêts de peu de valeur, n'en devient pas moindre, selon cette parole du Seigneur : « Celui qui est fidèle dans les petites choses, le sera aussi dans les grandes (1). » Ce qui en toi est petit, est petit ; mais être fidèle dans les petites choses, c'est quelque chose de grand. La nature du centre qui exige l'égalité de toutes les lignes aboutissant à la circonférence, est la même dans un cercle étroit que dans un cercle plus étendu. Ainsi en est-il de la justice : si elle s'exerce dans les moindres choses, elle ne perd rien de sa grandeur.

36. Voici du reste comme s'exprime l'Apôtre, au sujet des causes profanes; et de quoi y est-il question, sinon d'argent? « Comment se trouve-t-il quelqu'un parmi vous qui, ayant un différend avec son frère, ose l'appeler en jugement devant les infidèles, et non pas devant les saints ? Ne savez-vous pas que les saints doivent un jour juger le monde? Or, si le monde doit être jugé par vous, êtes-vous indignes de juger des moindres choses? Ne savez-vous pas que nous jugerons les Anges? Combien plus les choses du siècle? Si donc vous avez des différends entre vous touchant les intérêts de cette vie, prenez plutôt pour juges ceux qui tiennent le dernier rang dans l'Eglise. Je le dis pour vous faire rougir, n'y a-t-il donc parmi vous aucun homme sage qui puisse être juge entre ses frères? Mais un frère plaide contre son frère, et cela devant. des infidèles! C'est déjà certainement une faute que vous ayez des procès entre vous. Pourquoi ne supportez-vous pas plutôt qu'on vous fasse tort? Pourquoi ne souffrez-vous pas plutôt la fraude? Mais vous-mêmes vous lésez, vous fraudez et vos propres frères! Ne savez-vous pas que les injustes ne seront point héritiers du royaume de Dieu (2) ? » Pourquoi cette indignation de la part de l'Apôtre? pourquoi ces avertissements, ces reproches, ces réprimandes et ces menaces? Pourquoi dans sa parole ce ton si varié et si sévère pour exprimer

 

1. Luc, XVI, 10. — 2. I Cor. VI, 1-9.

 

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le sentiment qui l'agite? Pourquoi enfin ce style grandiose pour des choses si minimes? Les intérêts de ce siècle valaient-ils donc la peine qu'il en parlât ainsi? Non, sans doute; mais il parle pour la justice, la charité et la piété qui, aux yeux de tout esprit sensé, sont toujours de grandes choses, même dans les affaires de moindre importance.

37. Sans doute si nous avions à enseigner aux hommes la manière de soutenir les intérêts temporels ou ceux de leurs proches devant les juges de l'Eglise, nous devrions leur apprendre à les traiter avec simplicité, comme des choses de peu de valeur. Mais nous parlons ici du langage d'un homme appelé à annoncer les grandes vérités qui nous préservent des maux éternels de l'enfer, et nous conduisent à l'éternel bonheur. Or, quelque part qu'on en parle, soit en public, soit en particulier, à un seul ou à plusieurs, à des amis ou à des ennemis, dans un discours suivi, ou dans une conférence, dans un traité, dans un livre, ou dans des lettres longues ou courtes, toujours ces vérités sont grandes et relevées. Parce qu'un verre d'eau froide est de soi la chose la plus simple et de la moindre valeur, s'en suit-il qu'on doive dédaigner aussi cet oracle du Seigneur, quand il affirme que celui qui aura donné ce verre d'eau à l'un de ses disciples, ne perdra pas sa récompense (1), et que l'orateur chrétien, en traitant ce sujet dans l'assemblée des fidèles, devra croire que sa parole n'a rien de grand pour objet, qu'il lui faudra laisser de côté le style tempéré et sublime pour se borner au style simple? Quand nous avons eu nous-même l'occasion de parler sur cette matière, et que nous l'avons pu faire assez heureusement, grâce à l'inspiration divine, n'avons nous pas vu, pour ainsi dire, jaillir de cette eau froide une flamme mystérieuse (2), qui allait embraser les cœurs les plus glacés, et les porter aux oeuvres de miséricorde, dans l'espoir de la récompense céleste ?

 

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CHAPITE XIX. IL FAUT CEPENDANT VARIER LE STYLE.

 

38. Cependant, bien que l'orateur chrétien M'ait que des sujets relevés à traiter, il ne doit pas toujours employer un style de cette nature. Qu'il prenne le style simple, pour enseigner; le style tempéré, pour louer ou blâmer; et quand il lui faut déterminer à agir un auditeur qui

 

1. Matt. X, 42. — 2. II Macch. I, 32.

 

jusques là résiste, qu'il fasse alors jouer les grands ressorts de l'éloquence, et les plus propres à toucher les cœurs. Quelquefois, dans un même sujet relevé, il emploiera le style simple, pour instruire; le style tempéré, pour louer, et le style sublime pour ramener à la vérité un esprit qui en était éloigné. Qu'y a-t-il, par exemple, de plus grand que Dieu? Et cependant n'apprenons-nous pas à le connaître? Pour enseigner l'unité des trois personnes divines, ne doit-on pas se servir d'un style simple, afin que l'intelligence humaine saisisse, autant qu'elle en est capable, un mystère aussi profond? Ne sont-ce pas des preuves, et non des ornements qu'il faut ici? Il ne s'agit pas de toucher l'auditeur, mais de l'instruire et de l'éclairer. D'un autre côté, pour louer Dieu en lui-même ou dans ses ouvrages, quelles peintures brillantes,. quels tableaux magnifiques, s'offrent à l'homme qui consacre toutes ses facultés à bénir Celui qui est au-dessus de toute louange, et que tout être loue néanmoins à sa manière! Et enfin si l'orateur voit que Dieu n'est pas honoré, ou qu'on adore avec lui, ou à sa place, des idoles, des démons ou d'autres créatures, alors qu'il s'élève au style sublime, pour faire ressortir l'énormité d'un tel désordre, et en détourner les hommes.

 

 

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CHAPITRE XX. EXEMPLES TIRÉS DE L'ECRITURE POUR CHAQUE GENRE DE STYLE.

 

39. Pour ne rien citer que de clair, voici un exemple de style simple tiré de l'Apôtre Paul : « Dites-moi, vous qui voulez être sous la loi, n'entendez-vous point ce que dit la loi? Car il est écrit : Abraham eut deux fils, l'un de la servante, et l'autre de la femme libre. Mais celui de la servante naquit selon la chair, et celui de la femme libre naquit en vertu de la promesse. Tout ceci est une allégorie. Car ce sont les deux alliances, l'une sur le mont Sina, engendrant pour la servitude, est Agar; car Sina est une montagne d'Arabie qui représente la Jérusalem d'ici-bas, laquelle est esclave avec ses enfants; au lieu que la Jérusalem d'en haut est libre, et c'est elle qui est notre mère, etc. (1) » Tel est encore le raisonnement suivant: « Mes frères, je parle à la manière des hommes : Lorsque le testament d'un homme a été ratifié, nul ne le rejette ou n'y ajoute.

 

1. Gal. IV, 21-26.

 

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 « Or, les promesses ont été faites à Abraham et à celui qui naîtrait de lui. L'Ecriture ne dit pas : à ceux qui naîtront, comme parlant de plusieurs; mais comme d'un seul : et à celui qui naîtra de toi, c'est-à-dire au Christ. Voici donc ce que je dis : Dieu ayant ratifié un testament, la loi qui n'a été donnée que quatre-cent trente ans après, n'a pu le rendre nul, ni anéantir la promesse. Car si c'est par la loi qu'il y a héritage, ce n'est donc plus en vertu de la promesse. Or, c'est par la promesse que Dieu l'a donné à Abraham. » Le lecteur pouvait se demander : pourquoi la loi a-t-elle été donnée, si ce n'est point par elle que l'héritage nous est transmis? Aussi l'Apôtre se fait à lui-même cette objection : « Pourquoi donc la loi » ? Et il répond : « Elle a été établie à cause des transgressions, jusqu'à ce que vint le rejeton pour lequel Dieu a fait la promesse, et remise par les anges aux mains d'un médiateur. Mais il n'y a pas de médiateur pour un seul, et Dieu est seul » Ici se présentait cette autre objection que saisit Apôtre : « La loi est-elle donc contraire aux promesses de Dieu? Nullement, répond-il, » et la raison en est que : « Si la loi qui a été donnée, avait pu vivifier, la justice s'obtiendrait réellement par la loi. Mais l’Ecriture a tout renfermé sous le péché, afin que la promesse fût accomplie par la foi en  Jésus-Christ en faveur des croyants, etc.. (1). » Il y a encore d'autres passages de ce genre. Ainsi l'orateur qui vient instruire, doit s'appliquer, non-seulement à éclaircir ce qui est obscur et à résoudre les difficultés, mais à éclaircir en même temps toutes les questions incidentes qui peuvent surgir, dans la crainte qu'elles ne détruisent ce qu'il veut établir. Cependant, il faut alors qu'il en ait la solution présente à l'esprit, pour ne pas soulever des difficultés qu'il ne pourrait résoudre. En traitant ainsi et en résolvant toutes les questions incidentes et celles qu'elles font naître à leur tour, la suite du raisonnement s'étend de plus en plus, en sorte que l'orateur a besoin d'une mémoire très fidèle et très active pour pouvoir revenir à son point de départ. Et néanmoins il est très important de réfuter toutes les objections à mesure qu'elles se présentent, de peur qu'on ne les soulève dans une circonstance où il n'y aura personne pour y répondre, ou qu'elles ne s'offrent à l'esprit d'un auditeur qui, forcé à garder le silence, s'en ira moins ton. vaincu qu'il ne pourrait l'être.

 

1. Gal. III,15-22.

 

40. Voici maintenant quelques passages de l'Apôtre où nous trouvons le style tempéré : « Ne reprends pas les vieillards avec rudesse, mais avertis-les comme tes pères; les jeunes hommes comme tes frères; les femmes âgées comme tes mères; les jeunes filles comme tes sœurs (1). »

Et ailleurs : « Je vous conjure, mes frères, par la miséricorde de Dieu, de lui offrir vos corps  comme une hostie vivante, sainte et agréable à ses yeux. » Ce genre de style règne dans presque toute cette exhortation, où l'Apôtre s'élève à la plus grande beauté ; il y revêt la pensée de son ornement le plus naturel et le plus agréable :

« Ayant tous des dons différents selon la grâce qui nous a été donnée, que celui qui a reçu le don de prophétie, en use selon la règle de la foi; que celui qui est appelé au ministère,

s'y applique; à enseigner, enseigne; à exhorter, exhorte; à distribuer l'aumône, le fasse avec simplicité; à présider, soit attentif; à exercer les œuvres de miséricorde, le fasse avec joie; charité sans déguisement; ayant le mal en horreur vous attachant au bien; vous aimant mutuellement d'un amour fraternel; vous honorant les uns les autres avec prévenance; empressés au devoir; fervents d'esprit; servant le Seigneur; vous réjouissant par l'espérançe; patients dans la tribulation, persévérants dans la prière, charitables pour soulager les nécessités des saints, prompts à exercer l'hospitalité. Bénissez ceux qui vous persécutent; bénissez et ne maudissez point. Réjouissez-vous avec ceux qui se réjouissent, pleurez avec ceux qui pleurent; vous unissant tous dans les mêmes sentiments (2). » Et comme tout ce passage se termine gracieusement par cette période à deux membres : « N'aspirez pas à ce qui est élevé, mais accommodez-vous à ce qu'il  y a de plus humble! » Il continue un peu plus loin : « Toujours appliqués à vos devoirs, rendez à tous ce qui leur est dû : à qui le tribut, le tribut; à qui l'impôt, l'impôt; à qui la crainte, la crainte; à qui l'honneur, l'honneur. » Toutes ces phrases découpées se terminent aussi par une période de deux membres : « Ne devez rien à personne, sinon de vous aimer mutuellement. » Il ajoute ensuite : « La nuit est déjà fort avancée, et le jour approche. Renonçons donc aux oeuvres de ténèbres, et revêtons-nous des armes de lumière. Marchons avec bienséance comme du rapt le jour; non dans les excès de table

 

1. I Tim. V, 1, 2. — 2. Rom. XII, I, 6-16.

 

 

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et les ivrogneries; non dans les dissolutions et les impudicités; non dans l'esprit de contention et d'envie, mais revêtez-vous du Seigneur Jésus-Christ et ne cherchez pas à contenter la chair dans ses convoitises (1). » Si cette dernière phrase : « et carnis providentiam ne feceritis in concupiscentis, » eut été disposée de cette manière : et carnis providentiam ne in concupiscentiis feceritis, elle eût sans doute offert une cadence plus agréable; mais l'interprète a cru sagement devoir suivre l'ordre des termes dans l'original. A ceux qui connaissent assez le grec d'examiner quelle est l'harmonie de la phrase dans le texte dont s'est servi l'Apôtre. Pour moi, il me semble que la cadence fait défaut là où l'interprète a reproduit l'arrangement des termes.

41. Il faut convenir que cet ornement du style, qui consiste dans les chutes harmonieuses, manque à nos écrivains sacrés. Est-ce le fait du traducteur, ou, ce que je crois plus volontiers, ces auteurs ont-ils rejeté à dessein ces ornements? c'est ce que je ne puis décider, et j'avoue sur ce point mon ignorance. Cependant qu'un homme habile à réformer ces cadences, arrange leurs périodes selon les règles de l'art; que pour cela, il remplace seulement quelques expressions par d'autres de même signification, ou intervertisse l'ordre des termes, je suis certain qu'il reconnaîtra que ces écrivains inspirés n'ont manqué d'aucun de ces mérites qu'on va chercher près des grammairiens et des rhéteurs, et auxquels on attache tant d'importance. Leurs écrits, même dans notre langue, mais surtout dans la langue originale, lui offriront souvent des beautés qu'on ne rencontrera jamais dans les oeuvres les plus vantées de la littérature profane. Mais en voulant donner plus de cadence à ces vérités sublimés et divines, il faut éviter de leur faire perdre de leur gravité. D'ailleurs l'art de la musique qui traite à fond de la mesure (2), a si peu manqué à nos prophètes, que le savant prêtre Jérôme a rapporté plusieurs vers tirés de quelques-uns de leurs ouvrages; il les a cités dans la langue hébraïque, il n'a pas voulu les traduire, pour en conserver la mesure et la beauté (3). Pour moi, si je puis exprimer mon sentiment, qui m'est plus connu qu'à tout autre et que celui de tout autre, autant j'aime à employer, selon mon faible talent, ces cadences mesurés dans mes discours; autant je préfère ne les rencontrer que rarement dans les divins oracles.

 

1. Rom. XIII, 6-8 : 12-14. — 2. Entendez ici la Musique comme la représente sait Augustin dans le traité mémorable qu'il nous a laissé. Voir ci-dessus, tom. III. — 3. S. Jérôme, Prologue sur le livre de Job.

 

42. Quant au genre sublime, il diffère du style tempéré, moins par l'éclat des ornements, que par la vivacité des mouvements de l'âme. Il adopte la plupart de ces ornements, mais il ne les recherche pas, et il peut s'en passer. Il marche et se soutient de son propre mouvement, et quand la beauté de l'expression vient s'offrir, il la saisit plutôt par la grandeur de son sujet, que dans le dessein de plaire. Il lui suffit, pour atteindre son but, de trouver des termes convenables, non pas choisis avec art, mais dictés par l'élan du coeur. Qu'un guerrier courageux ait entre les mains une épée enrichie d'or et de pierreries, tout entier à la lutte, il se sert de son arme, non parce qu'elle est précieuse, mais parce qu'elle est une arme; mais il est toujours le même et aussi redoutable, quand il ne trouve d'autre arme que sa propre valeur. L'Apôtre veut que les ministres de l'Evangile souffrent patiemment tous les maux de cette vie, avec le soutien et les consolations des dons de Dieu. Le sujet est grand; il le traite d'une manière sublime et avec une grande richesse d'expressions. « Voici maintenant, dit-il, le temps favorable, voici maintenant les jours de salut. Ne donnant à personne aucun scandale, afin que notre ministère ne soit pas décrié; nous montrant au contraire comme des ministres de Dieu, rendons-nous recommandables en toutes choses par. une grande patience dans les tribulations, dans les nécessités, dans les angoisses, sous les coups, dans les prisons, dans les séductions, dans les travaux, dans les veilles, dans les jeûnes; par la pureté, par la science, par la longanimité, par la bonté, par le Saint-Esprit, par une charité sincère, par la parole de vérité, par la force de Dieu, par les armes de la justice, à droite et,à gauche, dans la gloire et l'ignominie, dans la mauvaise et la bonne réputation; comme séducteurs, et cependant sincères; comme inconnus, et toutefois très connus; comme mourants, et voici que nous vivons; comme châtiés, mais non mis à mort; comme tristes, mais toujours dans la joie; comme pauvres, mais enrichissant beaucoup d'autres; comme n'ayant rien, et possédant tout. » Quel entraînement encore dans ces paroles : « Pour vous, ô Corinthiens, notre bouche s'ouvre et mon coeur s'est dilaté (1), » et le reste qu'il serait trop long de rapporter !

43. Ailleurs il encourage les Romains à surmonter

 

1. II Cor. VI, 2-11.

 

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monter les persécutions de ce monde par la charité, et par une confiance assurée dans le secours de Dieu. « Nous savons, dit-il, que tout contribue au bien pour ceux qui aiment Dieu, pour ceux qu'il a appelés selon son décret; car ceux qu'il a connus par sa prescience, il les a aussi prédestinés pour être conformes à l'image de son Fils, afin qu'il fût l'aîné entre beaucoup des frères; et ceux qu'il a prédestinés, il les a aussi appelés; et ceux qu'il a appelés, il les a justifiés; et ceux qu'il a justifiés, il les a aussi glorifiés.. Après cela que dirons-nous donc? Si Dieu est pour nous, qui sera contre nous ? Lui qui n'a pas épargné son propre Fils, mais qui l'a livré pour nous tous, comment ne nous aurait-il pas donné toutes choses avec lui? Qui accusera les élus de Dieu? Dieu qui les justifie? Qui les condamnera? Jésus-Christ qui est mort pour eux, qui de plus est ressuscité, qui est assis à la droite de Dieu, qui même intercède pour nous ? Qui donc nous séparera de l'amour de Jésus-Christ ? Est-ce la tribulation ? est-ce l'angoisse? est-ce la persécution? est-ce la faim? est-ce la nudité? est-ce le péril ? est-ce le fer? selon qu'il est écrit : On nous égorge tous les jours à cause de vous, Seigneur, on nous regarde comme des brebis de tuerie. Mais en tout cela nous triomphons par Celui qui nous a aimés. Car je suis assuré que ni mort ni vie, ni Anges ni principautés, ni choses présentes, ni choses futures, ni violence, ni ce qu'il y a de plus élevé, ni ce qu'il y a de plus profond, ni toute autre créature ne nous pourra séparer de l'amour de Dieu qui est en Jésus-Christ Notre-Seigneur (1) »

44. Quoique l'épître aux Galates soit écrite tout entière dans le style simple, excepté vers la fin où il devient orné, cependant, dans un certain passage, l'Apôtre se laisse aller à un mouvement où, sans aucun de ces ornements que nous avons admirés plus haut, il ne pouvait que s'élever au genre sublime : « Vous observez, dit-il, certains jours, certains mois, certains temps et certaines années. J'appréhende pour vous d'avoir en vain travaillé parmi vous. Soyez comme moi, parce que moi j'ai été comme vous, je vous en conjure, mes frères. Vous ne m'avez offensé en rien. Vous savez que je vous ai autrefois an« poncé l'Évangile, dans la faiblesse de la chair. Or cette épreuve à laquelle vous avez été mis à cause de ma chair, vous ne l'avez ni méprisée, ni repoussée; mais vous m'avez reçu comme

 

1. Rom. VIII, 28-39.

 

un Ange de Dieu, comme le Christ Jésus. Où donc est votre bonheur? Car je vous rends ce

témoignage, que s'il eût été possible, vous vous seriez arraché les yeux pour me les donner. Je suis donc devenu votre ennemi, en vous disant la vérité? Ils ont pour vous un attache ment qui n'est pas bon, puisqu'ils veulent vous séparer de nous afin que vous vous attachiez à eux. Il faut au reste s'attacher toujours au bien, et non pas seulement quand je suis présent « parmi vous. Mes petits enfants, pour qui je sens de nouveau les douleurs de l'enfantement, jusqu'à ce que le Christ soit formé en vous, je voudrais maintenant être avec vous, pour diversifier mes paroles, car je suis embarrassé à votre égard (1). » Assurément il n'y a là ni antithèses, ni gradations suivies, ni phrases coupées, ni périodes harmonieuses; et cependant tout le discours ne perd rien de sa vivacité, nous la sentons à la lecture.

 

 

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CHAPITRE XXI. EXEMPLES TIRÉS DES DOCTEURS DE L'ÉGLISE.

 

45. Les divers passages empruntés à l'Apôtre, pour être clairs n'en sont pas moins profonds. Tels qu'ils ont été écrits et tels qu'on peut les confier à sa mémoire, il ne suffit pas de les lire ou de les entendre, si l'on ne veut pas s'arrêter à une connaissance superficielle ; il faut un habile interprète pour en découvrir la profondeur. Cherchons donc maintenant des modèles de ces divers genres de style dans ces écrivains qui, par la lecture des auteurs sacrés, ont acquis à un haut degré la science des choses divines et salutaires, et l'ont ensuite communiquée à l'Eglise.

Le bienheureux Cyprien emploie le style simple dans ce livre où il traite du mystère du calice. Il y résout la question de savoir si, dans le calice du Seigneur, il doit y avoir de l'eau pure, ou de l'eau mêlée de vin. Nous allons en citer un extrait. Après le prélude de sa lettre, commençant déjà à résoudre la question proposée: « Sachez, dit-il, que nous sommes avertis d'observer dans l'offrande du calice la tradition du Seigneur, et que nous ne devons rien faire que ce que le Seigneur a fait le premier pour nous; par conséquent il doit y avoir du vin dans le calice qui s'offre en mémoire de lui. Car si Jésus-Christ a dit : Je suis la véritable vigne (2), le sang de Jésus-Christ n'est pas certainement de l'eau, mais du

 

1. Gal. IV, 10-20. — 2. Jean, XV, 6.

 

 

vin ; et le sang par lequel il nous a rachetés et vivifiés ne peut paraître dans le calice, quand dans ce calice il n'y a point de vin qui puisse montrer le sang de Jésus-Christ, ce sang que désignent les oracles et les témoignages de toutes les Ecritures. Aussi voyons-nous dans la Genèse la prédiction de ce mystère en la personne de Noé, et une figure de la passion du Seigneur (1). Il est dit en effet que Noé but du vin, qu'il s'enivra, qu'il parut nu dans sa tente, qu'il s'endormit le corps découvert, que cette nudité fut aperçue par le second de ses fils, que ses deux autres fils le couvrirent, et le reste qu'il est inutile de rapporter (2). Il nous suffit de citer ce qui prouve que Noé, montrant en sa personne une figure de la vérité, ne but pas de l'eau, mais du vin, et qu'il fut en cette circonstance une expression sensible de la passion du Sauveur. Nous voyons encore ce sacrement du Seigneur figuré dans  le prêtre Melchisédech, selon le témoignage de l'Ecriture. Melchisédech, roi de Salem, dit-elle, offrit du pain et du vin; or il était prêtre du grand Dieu, et il bénit Abraham (3). Que Melchisédech ait été la figure du Christ, l'Esprit-Saint le déclare dans ce psaume où le Père dit à son Fils : «Je vous ai engendré avant l'aurore; vous êtes prêtre pour l'éternité selon l'ordre de Melchisédech (4). » Ce passage, ainsi que le reste de la lettre, est du style simple, comme il est facile de s'en convaincre en la lisant (5).

46. Saint Ambroise avait à traiter un grand sujet; il voulait montrer l'égalité de l'Esprit-Saint avec le Père et le Fils. Il emploie cependant le style simple, parce que la matière réclamait, non l'élégance des expressions, ni les grands mouvements qui touchent les cœurs, mais une exposition claire de la doctrine. Voici donc ce qu'il dit, entre autres choses, dès le commencement de son livre : « Frappé d'étonnement aux paroles de l'oracle qui lui apprenait que, malgré la défection de plusieurs milliers d'hommes, Dieu délivrerait son peuple de ses ennemis par la main d'un seul homme, Gédéon lui offrit en sacrifice un chevreau; et, suivant la recommandation de l'ange, il en mit la chair sur une pierre avec des pains sans levain, qu'il arrosa du jus de la victime. Sitôt que l'Ange eut touché l'offrande de l'extrémité de la baguette qu'il tenait, il jaillit de la pierre un feu qui consuma ce sacrifice (6). Ce signe semble indiquer que cette pierre était la figure du corps de Jésus-Christ.

 

1. Gen..IX, 21. — 2. Gen. IX, 20-23. — 3. Gen. XIV, 18. — 4. Ps. CIX, 4. — 5. CYP. épit. LXIII. — 6. Jug. VI, 11-21.

 

« Car il est écrit : Ils buvaient de l'eau de la pierre qui les suivait (1). Or cette pierre était le Christ (2). Assurément ceci ne pouvait se rapporter à sa divinité, mais à sa chair qui, par une effusion continuelle de son sang, a inondé  les coeurs altérés des peuples. Il fut donc alors annoncé mystérieusement que sur la croix le Seigneur Jésus détruirait dans sa chair les  péchés du,monde entier, et non-seulement les péchés d'actions, mais aussi les mauvais désirs du coeur. Car la chair du chevreau représente les péchés d'action, et le jus qui en sortit, les désirs de la cupidité, selon cette parole : « Mon peuple a conçu de très mauvais désirs,  et il a dit : Qui nous donnera de la chair à  manger (3)? En étendant sa baguette et en touchant la pierre d'où le feu sortit, l'Ange annonçait que la chair du Seigneur remplie de l'Esprit divin devait consumer tous les péchés de l'humanité. C'est pourquoi le Seigneur a dit: Je suis venu apporter le feu sur la terre » et le reste, où le saint docteur s'attache principalement à expliquer et à prouver son sujet.

47. Voici un exemple de style tempéré; il est de saint Cyprien dans l'éloge de la virginité : « Nous adressons maintenant la parole aux vierges, car nous devons en avoir d'autant plus soin, que la gloire de leur état est plus éclatante. La virginité est une fleur qui croît dans le champ de l'Eglise, la beauté et l'ornement de la grâce du Saint-Esprit, l'heureux signe de l'honneur et de la vertu, un ouvrage pur et accompli, une image de Dieu proportionnée à la sainteté du Seigneur, la plus illustre portion du troupeau. du Christ. Elles sont la joie de l'Eglise, font fleurir partout la merveilleuse fécondité de leur mère; plus se développe cette virginité glorieuse, plus aussi redouble l'allégresse de l'Eglise. » Sur la fin de la même lettre, il ajoute : « Comme nous avons porté l'image de l'homme fait de terre, portons l'image de l'homme descendu du ciel (4). La virginité la porte, cette image; la pureté, la sainteté, la vérité la portent. Elles la portent, attentives aux préceptes du Seigneur, fidèles à tous les devoirs de la religion et de la justice, fermes dans la foi, humbles dans la crainte, courageuses à tout souffrir, douces à supporter les injures, promptes à faire miséricorde, appliquées à conserver l'union et la paix avec le prochain. Vierges sages, voilà vos obligations. Vous devez les aimer, vous les devez remplir,

 

1. Nomb. XI, 4. — 2. I Cor. XI, 4. — 3 Nomb. XI, 4. — 4. I Cor. XV, 49

 

 

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vous qui êtes tout occupées de Dieu et de Jésus-Christ, et qui, par le mérite et le bonheur de votre choix, marchez les premières dans la voie du Seigneur à qui vous vous êtes consacrées. Vierges plus âgées, instruisez les jeunes; et vous jeunes encore, rendez service aux plus âgées, et enflammez de zèle vos compagnes. Animez, encouragez-vous mutuellement, excitez-vous à l'envi à acquérir la gloire parla vertu. Persévérez avec énergie , avancez spirituellement, parvenez heureusement ; seulement souvenez-vous de nous quand vous commencerez à porter la couronne de gloire due à votre virginité (1).

48. Saint Ambroise de son côté propose, dans le même style, à celles qui ont embrassé l'état de virginité, un exemple qu'elles doivent imiter, et reproduire dans leur conduite. « Elle était vierge, dit-il, non-seulement de corps, mais encore d'esprit. Elle n'altérait la pureté de ses désirs par aucun artifice ni par aucun détour; humble de coeur. sérieuse dans ses discours, sage dans ses pensées, avare de ses paroles, appliquée à la lecture, se confiant moins dans les richesses périssables que dans la prière du pauvre, attachée à son ouvrage, réservée dans son langage, fidèle à choisir. Dieu et non les hommes pour juge et témoin de ses sentiments, accoutumée à ne blesser personne, à souhaiter du bien à tous, à se lever devant les plus âgées, à n'être point jalouse de ses égales, à fuir l'ostentation, à suivre la raison, à aimer la vertu. Quand a-t-il paru seulement sur son visage rien qui pût déplaire à ses parents? Quand s'est-elle divisée avec ses proches ? Quand a-t-elle dédaigné la misère, raillé la faiblesse, évité l'indigent ? Elle ne voyait d'hommes assemblés que ceux dont sa charité n'avait pas à rougir, ou sa pudeur à s'effrayer. Rien de repoussant dans ses regards; rien d'aigre dans ses paroles; rien de hardi dans ses actions; rien d'indolent dans ses gestes; rien de trop libre dans sa démarche; rien d'impétueux dans sa voix; de manière que la beauté du dehors était une image fidèle de la bonté de son coeur. On doit juger d'une bonne maison par le vestibule même, et connaître au premier abord qu'il n'y a rien d'obscur, comme si une, lumière, placée à l'intérieur, projetait ses rayons au-dehors. Que dirai-je encore de ses épargnes pour se nourrir, et de ses excès pour servir le prochain? Elle allait pour lui au-delà des forces

 

1. S. Cyp. des Vierg.

 

de la nature; et pour elle à peine allait-elle jusqu'à ses besoins. Pas un moment de son temps qui ne fût pour la charité; pas un de ses jours qui échappât au jeûne; et quand parfois elle voulait reprendre des forces, elle prenait le premier aliment qui s'offrait plutôt pour empêcher la mort, que pour se procurer du plaisir (1), etc. » J'ai cite ce passage comme modèle de style tempéré, parce qu'il n'est pas question de porter à embrasser la virginité celles qui ne l'ont pas encore fait, mais de retracer les vertus que doivent pratiquer celles qui s'y sont vouées. Il n'appartient qu'à l'éloquence la plus sublime d'inspirer cette grande et courageuse résolution. Saint Cyprien parle simplement de l'état des vierges, et ne se propose nullement de le faire embrasser. Cependant le magnifique langage de saint Ambroise est propre aussi à inspirer cette détermination.

49. Je vais néanmoins citer des exemples du style sublime, tirés des oeuvres de ces deux grands hommes. Tous deux se sont élevés avec force contre ces femmes qui essaient, par des couleurs étrangères, de rehausser l'éclat de leur teint, ou plutôt de l'anéantir. Voici comme saint Cyprien s'en explique : « Si un savant peintre, par des couleurs capables de le disputer avec la nature, avait représenté la beauté du visage et la taille avantageuse. de quelqu'un; si après qu'il a achevé et perfectionné son ouvrage, un autre, se croyant plus habile, y portait la main pour réformer cette image déjà peinte et finie, l'outrage fait au premier artiste semblerait grave et son indignation très-juste. Et toi, tu penses porter impunément l'excès d'une témérité si monstrueuse, et l'injure faite au céleste ouvrier! Quand même tu ne serais pas impudique devant les hommes, ni déshonorée par ces couleurs qui ne sont que les amorces de la lubricité; aux yeux de Dieu dont tuas profané et violé tous les dons, tu parais plus coupable qu'une adultère. Ce que tu prends pour une parure, ce que tu regardes comme un ornement, c'est une insulte au divin ouvrage, c'est un violation de la vérité. Voici l'avertissement de l'Apôtre, il s'écrie : Purifiez-vous du vieux levain, afin que vous soyez une pâte nouvelle comme vous êtes des azymes. Car notre agneau pascal, le Christ, a été immolé. C'est pourquoi nous célébrons cette fête, non avec un vieux levain, ni avec un levain de malice et de corruption, mais avec les azymes de sincérité

 

1. S. Amb. des Vierg. liv. 2.

 

82

 

et de vérité (1). Y a-t-il sincérité et vérité, quand tu corromps la nature par des couleurs adultères et que tu ensevelis la vérité sous le fard du mensonge? Le Seigneur a dit: Vous ne pouvez rendre un seul de vos cheveux blanc ou noir (2); et toi tu prétends contredire cet arrêt irrévocable. Par de téméraires efforts, et par un sacrilège mépris de la parole de ton Dieu, tu oses peindre tes cheveux; ils deviennent ainsi le funeste présage de la chevelure ardente que tu appelles (3). » Il serait trop long de rapporter toute la suite de ce discours.

50. Voici comment s'exprime saint Ambroise sur le même sujet: « Voici, dit-il, ce qui enflamme le vice: dans la crainte de déplaire à leurs maris, elles se fardent le visage, et dans l'altération de leur teint, elles préparent l'altération de leur chasteté. Quelle folie d'employer l'art à défigurer la nature, et dans le même temps qu'on craint pour sa beauté le jugement d'un mari, de témoigner publiquement qu'on s'en défie soi-même! Car celle qui veut changer ce qu'elle est naturellement, est la première à prononcer contre elle-même; si elle prend tant de soin de plaire aux autres, c'est qu'auparavant elle se déplaît sans doute. Quel juge moins suspect chercherions-nous de ta laideur que toi-même, ô femme qui crains si fort qu'on ne te voie ? Si tu es belle, pourquoi te cacher? Si tu ne l'es pas, pourquoi feindre de l'être, puisque tu n'auras le plaisir ni d'ignorer ce que tu es, ni de te consoler par l'erreur d'autrui. Car ton mari en aime une autre, et toi tu cherches à plaire à un autre qu'à lui; tu t'irrites de ce qu'il est infidèle, et tu lui donnes des leçons d'adultère! C'est toi-même qui enseignes follement à te faire cette injure. La femme, même corrompue, a horreur de la prostitution, et si abjecte qu'elle soit, elle ne fait pas le crime pour le plaisir d'autrui, mais pour le sien. Il semble même que dans l'adultère les fautes soient en quelque sorte plus supportables. Car si dans ce vice on corrompt la pureté, dans celui de se farder on corrompt la nature même (4). » Cette éloquence assurément est propre à pénétrer vivement de pudeur et de crainte, à empêcher les femmes d'altérer leur beauté. Aussi nous y trouvons, non le style simple ou tempéré, mais le style le plus sublime. Dans les œuvres de ces deux docteurs auxquels j'ai emprunté ces extraits, et dans celles des autres écrivains ecclésiastiques

 

1. I Cor. V. 7, 3. — 2. Matt. V, 36. — 3. S. Cyp. ubi. supra. — 4. S. Ambroise, liv. I, des Vierges.

 

qui ont su parler d'une manière digne de la vérité, c'est-à-dire d'une manière saisissante, attrayante et animée, on rencontrera une foule d'exemples de ces trois genres de style, et par l'assiduité à les lire, à les entendre et à s'exercer on parviendra à faire des progrès soi-même.

 

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CHAPITRE XXII. ON DOIT VARIER LE DISCOURS PAR LES DIFFÉRENTS GENRES DE STYLE.

 

51. Loin d'être contraire aux règles, le mélange de ces divers genres de style, quand le goût: y préside, ne fait qu'introduire dans le discours une agréable variété. L'emploi trop prolongé d'un style uniforme soutient moins l'attention de l'auditeur. Mais le discours, si long qu'il soit, marche avec plus de grâce, si on passe d'un genre à un autre ; outre que chaque style revêt, dans la bouche d'un homme éloquent, une variété propre qui stimule sans cesse l'oreille de l'auditeur. Cependant, pour s'en tenir à un seul genre, le style simple se supporte plus longtemps que le style sublime. Plus il est nécessaire d'émouvoir l'auditeur pour l'entraîner, moins on doit le retenir dans cette émotion, quand elle est suffisamment produite. En voulant le surexciter davantage, il est à craindre qu'on ne détruise ce que l'éloquence avait déjà opéré. En descendant, par intervalles, au style simple, on remonte avec plus d'effet au sublime, en sorte que le discours se déroule comme la mer, dont les flots s'élèvent et s'abaissent tour à tour. Aussi quand on doit parler assez longtemps dans le genre sublime, il ne faut pas l'employer seul, mais le varier par le mélange des deux autres ; et le discours prendra le nom du genre qui y dominera.

 

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CHAPITRE XXIII. MANIÈRE D'ALLIER LES TROIS GENRES DE STYLE.

 

52. Il importe de savoir quel genre de style peut s'allier à un autre, et dans quelle circonstance cela est nécessaire. Dans le sublime, le début doit être toujours, ou presque toujours tempéré. Et même l'orateur peut se servir du style simple là où il pourrait employer le style sublime; dans ce rapprochement, la simplicité du premier fait ressortir davantage l'élévation du- second, et comme l'ombre à côté de la lumière, lui communique un plus vif éclat. Dans chaque genre d'éloquence, il se présente des difficultés à (83) résoudre qui demandent de la pénétration et de la clarté; c'est le rôle propre au genre simple. Il doit donc entrer dans les deux autres genres, quand il s'y rencontre des questions de cette nature; de même qu'il faut recourir au style tempéré, toutes les fois qu'il s'agit de louer ou de blâmer, et non de condamner ou d'absoudre quelqu'un, ni de faire prendre une détermination à l'auditeur. Ainsi le style sublime et le style simple admettent chacun les deux autres genres. Quant au style tempéré, il réclame non pas toujours, mais quelquefois le style simple, quand il survient, comme je l'ai dit, quelque question à résoudre, ou bien quand on veut traiter sans art certains détails, pour faire mieux paraître la beauté et la richesse des ornements qu'on emploie ailleurs. Il n'exige jamais le style sublime, parce que son but est de plaire à l'esprit, et non de le toucher.

 

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CHAPITRE XXIV. EFFETS DU SUBLIME.

 

53. Les plus chaleureux et les plus nombreux applaudissements prodigués à l'orateur ne sont pas assurément une preuve du sublime de son discours; la vive clarté du style simple et les ornements du style tempéré peuvent produire le même enthousiasme. Ordinairement le poids du sublime étouffe la voix et fait couler les larmes. J'entrepris un jour d'abolir, à Césarée en Mauritanie, une sorte de combat qu'on appelait attroupement; lutte barbare où non-seulement les citoyens, mais les parents, les frères, les pères et les enfants, divisés en deux partis, se battaient solennellement à coups de pierres durant plusieurs jours de suite, à une, certaine épode l'année, et s'entretuaient sans distinction. J'employai tout ce que je pus trouver de plus fort pour leur faire abandonner et détester une coutume si cruelle et si invétérée, et pour la détruire entièrement. Cependant je ne crus pas avoir réussi, quand ,j'entendis leurs acclamations ; mais lorsque je vis couler leurs larmes. Leurs applaudissements témoignaient qu'ils me comprenaient et m'écoutaient avec plaisir; mais leurs larmes me prouvèrent qu'ils étaient touchés. Dès lors, avant même que la suite l’eût démontré, je regardai comme abolie cette coutume funeste et sanglante, dont ils avaient hérité de leurs ancêtres depuis plusieurs siècles, et qui exerçait sur eux l'empire le plus tyrannique. Mon discours fini, j'invitai tous les coeurs et toutes les bouches à rendre grâces à Dieu. Déjà huit ans et plus se sont, écoulés, sans que depuis, par la miséricorde de Jésus-Christ, aucune scène de ce genre se soit reproduite parmi eux. Et combien d'autres petits faits nous apprennent que c'est moins par les applaudissements, que par les gémissements, les larmes et principalement le changement de vie, que s'est révélée la puissance exercée sur les hommes par une parole à la fois sublime et sage!

54. Sans doute le genre simple a pu souvent opérer un changement dans les esprits; mais c'était en leur apprenant ce qu'ils ignoraient, en leur faisant admettre ce qu'ils avaient regardé comme incroyable, et non en les déterminant à l’accomplissement d'un devoir bien connu qu'ils avaient repoussé jusqu'alors. Au genre sublime seul il appartient de triompher d'une telle résistance. Sans doute aussi le genre tempéré, employé avec éloquence dans le blâme ou la louange, a pu avoir pour effet sur certains esprits, non-seulement. de leur plaire, mais même de les porter à vivre d'une manière louable et à l'abri de tout reproche. Mais va-t-il jusqu'à changer tous ceux qu'il charme, comme le sublime détermine à agir tous ceux qu'il touche, comme le genre simple donne la connaissance et la certitude de la vérité à tous ceux qu'il instruit?

 

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CHAPITRE XXV. BUT QUE SE PROPOSE LE STYLE TEMPÉRÉ.

 

55. Ces deux derniers genres de stylé, eu égard à la fin qu'on s'y propose, sont donc extrêmement nécessaires à qui veut parler en même temps avec sagesse et avec éloquence. Quant au style tempéré qui a pour but. de plaire, on ne doit pas s'en servir pour lui-même. Lorsqu'un sujet, d'ailleurs utile et digne, rencontre un auditeur déjà éclairé et favorablement disposé, qui n'a. besoin d'être ni instruit ni touché, ce genre de style, par le charme de l'élocution, peut concourir à déterminer plus promptement son assentiment, ou à le rendre plus énergique et plus inébranlable. En effet l'éloquence, de quelque genre qu'elle soit, a toujours pour objet de parler d'une manière propre à produire la persuasion, et pour fin, de persuader ce que l'on a spécialement en vue dans le discours. Dans chacun des trois genres, l'orateur trouve sans doute ce (84) qui est propre à persuader; mais s'il ne persuade réellement, il manque la fin de l'éloquence. Dans le genre simple il persuade la vérité de ce qu'il expose; dans le sublime, il persuade de faire ce qu'on savait déjà être un devoir, tout en refusant de l'accomplir; dans le genre tempéré, il persuade la beauté et les ornements de son langage. Et que nous sert de nous proposer une fin semblable? Laissons-la à l'ambition de ceux qui ne cherchent que la gloire dans le talent de la parole, et se vantent eux-mêmes dans les panégyriques et autres discours de ce genre, où il ne s’agit ni d'instruire, ni de toucher l'auditeur, mais uniquement de lui plaire. Pour nous, rapportons cette fin à une fin plus relevée; proposons-nous, dans ce genre de style, le même but que dans le sublime, c'est-à-dire, de faire aimer aux hommes la vertu et fuir le désordre, s'ils n'en sont pas trop éloignés, pour qu'il soit nécessaire de faire jouer les grands ressorts de l'éloquence; ou s'ils sont, déjà dans cette disposition, de les y affermir et d'assurer leur persévérance. C'est ainsi que nous saurons employer le genre orné, non par ostentation, mais par prudence, non dans l'unique dessein de plaire, mais pour porter plus efficacement l'auditeur au bien que nous voulons lui persuader.

 

 

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CHAPITRE. XXVI. DANS CHAQUE GENRE, L'ORATEUR DOIT SE FAIRE ENTENDRE AVEC CLARTÉ, AVEC PLAISIR ET AVEC DOCILITÉ.

 

56. L'orateur, avons-nous dit, qui veut a la sagesse joindre l'éloquence, doit se faire entendre d'une manière intelligible, agréable et persuasive. Cependant on ne doit pas attribuer chacune de ces trois qualités à l'un des trois genres de style, comme si le langage de l'orateur devait être exclusivement clair dans le style simple, attrayant dans le style tempéré, et persuasif dans le sublime. Ces diverses qualités doivent, autant que possible, se trouver réunies dans chacun des trois genres. Ainsi, quand nous parlons simplement, nous ne prétendons pas produire le dégoût et l'ennui; nous désirons donc, non-seulement qu'on nous comprenne, mais qu'on nous écoute avec plaisir. Que cherchons-nous en enseignant les divins préceptes, sinon qu'on nous entende avec docilité, c'est-à-dire, qu'on ajoute foi à ces préceptes, par la grâce de Celui dont il est dit : « Vos témoignages sont très-dignes de confiance (1) ? »

 

1. Ps. CXII, 5.

 

Que veut aussi celui qui expose un fait dans le style le plus simple, sinon qu'on croie à sa parole ? Et qui voudra l'entendre, s'il ne donne à son langage un charme qui captive l'attention de l'auditeur? Et s'il ne se fait comprendre, comment l'écouter avec plaisir et avec docilité? Qu'un discours simple s'attache à résoudre des questions très difficiles,. et en donne une démonstration éclatante et inattendue; qu'il tire des sources les plus obscures et les plus inconnues les raisons les plus frappantes; qu'il renverse l'erreur d'un adversaire et prouve la fausseté d'une assertion réputée inattaquable; qu'en outre il revête certains charmes naturels et nullement étudiés, et donne à la chute de ses périodes une cadence qui n'ait rien d'affecté mais qui semble naître nécessairement du sujet même, alors il soulève de si vifs applaudissements, qu'à peine s'aperçoit-on de la simplicité du style. Cette éloquence, pour paraître saris ornements, et marcher comme nue et désarmée, n'enterrasse pas moins l'adversaire par sa vigueur et sa force; de ses puissantes étreintes elle renverse et détruit le mensonge qui lui résiste. Et pourquoi excite-t-elle de si nombreux et si chaleureux applaudissements, sinon parce que l'auditeur prend plaisir à voir ainsi démontrer, défendre et faire triompher la vérité? Dans ce genre simple, le docteur et l'orateur doivent donc s'appliquer à se faire entendre, non-seulement avec clarté, mais encore avec plaisir et avec docilité.

57. D'un autre côté, l'éloquence tempérée, sur les lèvres de l'orateur chrétien, ne rejette pas les ornements, et sait s'en revêtir avec dignité; non contente de plaire, comme l'ambitionne uniquement l'orateur profane, elle cherche aussi à gagner l'assentiment de l'auditeur, à lui inspirer le désir ou un attachement plus fort pour ce qu'elle loue, l'éloignement et l'horreur pour ce qu'elle blâme. Mais si la clarté lui manque, peut-elle se faire écouter avec plaisir? Même dans ce genre de style qui consiste principalement à plaire, l'orateur doit donc réunir ces trois conditions : être clair, agréable et persuasif.

58. Enfin dans le cas où il s'agit d'émouvoir et de toucher un auditeur qui, tout en reconnaissant la vérité et la beauté du langage de l'orateur, persiste néanmoins à n'en rien faire, nul doute qu'il ne faille recourir à l'éloquence sublime. Mais comment le toucher, s'il ne comprend ce qu'on lui dit? Comment fixer son attention, si on ne le captive par un certain charme?

 

85

 

Le genre sublime lui-même, appelé par son caractère à fléchir les Cœurs endurcis et à vaincre leurs résistances; ne peut donc produire la persuasion, qu'à la condition de se présenter en même temps sous une forme claire et attrayante.

 

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CHAPITRE XXVII. PUISSANCE DE L'ORATEUR DONT LA VIE RÉPOND A SES DISCOURS.

 

59. Pour produire la persuasion, la vie de l'orateur sera toujours d'un plus grand poids que les plus sublimes discours. Celui qui parle avec sagesse et avec éloquence et qui vit mal, peut, je l'avoue, en éclairer plusieurs qui ont un vif désir de s'instruire, tout en demeurant inutile à lui-même (1). » C'est-ce qui a fait dire à l'Apôtre : « Pourvu que Jésus-Christ soit annoncé n'importe que ce soit par occasion, ou par le zèle de la vérité (2). » Jésus-Christ est la vérité, et cependant la vérité peut n'être pas annoncée avec le zèle de la vérité; la vérité et la justice peuvent être prêchées avec un cœur hypocrite et corrompu. C'est ainsi qu'annoncent Jésus-Christ, ceux qui cherchent leurs propres intérêts et non les siens. Mais les vrais fidèles écoutent alors avec soumission, non la parole de l'homme, mais la parole du Seigneur qui a dit: «Faites ce qu'ils enseignent, mais ne faites pas ce qu'ils font; car ils disent et ne font pas. » C'est pourquoi on peut écouter utilement ceux qui ne font rien d'utile pour eux-mêmes. Il est vrai qu'ils cherchent leurs intérêts, mais ils n'osent pas enseigner leurs propres maximes du haut de la chaire chrétienne établie par la saine doctrine. Aussi, avant de leur infliger le reproche que je viens de rapporter, le Seigneur avait dit : « Ils se sont assis sur la chaire de Moïse (3). » Cette chaire qui n'était point à eux, mais à Moïse, les forçait donc à annoncer le bien tout en faisant le mal. Leur conduite n'avait d'autre règle que leurs propres convoitises: mais cette chaire, qui leur était étrangère, ne leur permettait pas d'enseigner leurs propres maximes.

60. Ils sont donc véritablement utiles à plusieurs en disant ce qu'ils ne font pas; mais à combien d'autres ne le seraient-ils pas d'ailleurs, s'ils faisaient ce qu'ils prêchent? Combien d'hommes qui cherchent à justifier leurs dérèglements, par la conduite de ceux qui sont préposés pour les instruire, se disant intérieurement, et parfois même à qui veut l'entendre : pourquoi ne fais-tu

 

1. Ezéch. XXXVII, 22. — 2. Philip. I, 18. — 3. Matt. XXIII, 2, 3.

 

pas toi-même ce que tu me commandes? Aussi n'écoutent-ils pas avec docilité celui qui ne s'écoute pas lui-même; et ils enveloppent dans un commun mépris et la parole de Dieu qu'ils entendent et le prédicateur qui la leur annonce. Aussi saint ,Paul, écrivant à Timothée, après lui avoir dit : « Que personne ne méprise ta jeunesse , » lui indique le moyen, de prévenir ces mépris : « Rends-toi, dit-il, le modèle des fidèles, dans tes entretiens, dans la manière d'agir avec le prochain, dans la charité, dans la foi, dans la chasteté (1). »

 

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CHAPITRE XXVIII. L'ORATEUR DOIT PLUS S'ATTACHER A LA VÉRITÉ QU'A LA FORME.

 

64. Un docteur de ce caractère puise dans une conduire exemplaire le droit, non-seulement de prendre le genre simple et tempéré, mais encore de s'élever au sublime pour triompher de l'auditeur. En menant une vie réglée, il s'attache aussi à s'assurer une réputation irréprochable, et à faire le bien, autant que possible, non-seulement devant Dieu, mais encore devant les hommes (2), en craignant l'un et en rendant service aux autres. Qu'il préfère aussi dans ses discours plaire plutôt par la pensée que par la forme; et qu'il se persuade qu'il ne parlé jamais mieux que quand il exprime plus fidèlement la vérité. Ce n'est pas à l'orateur à être l'esclave de l'expression; mais à l'expression à servir l'orateur. C'est la pensée de l'Apôtre, quand il dit : « Je n'emploie pas la sagesse de la parole pour ne pas anéantir la croix de Jésus-Christ (3).» Il confirme la même chose dans son épître à Timothée : «Ne t'arrête point à des disputes de paroles, qui ne sont propres qu'à pervertir ceux qui les écoutent (4). » Assurément l'Apôtre était loin de nous défendre de soutenir par la parole la vérité attaquée par ses ennemis; autrement à quoi servirait ce qu'il dit lui-même, en retraçant ces qualités d'un évêque « Qu'il soit capable d'exhorter selon la saine doctrine, et de réfuter ceux qui la combattent (5)? » S'arrêter à des disputes de paroles, c'est s'appliquer, non à faire triompher la vérité de l'erreur, mais à faire préférer son langage à celui d'un autre. Or, l'orateur étranger à ces luttes frivoles, qu'il parle d'une manière simple, tempérée ou sublime, n'a en vue dans ses discours, que de rendre la vérité claire, agréable et touchante;

 

1. I Tim. IV, 12. —2. II Cor. VIII, 21. — 3 I Cor, I, 17. — 4. II Tim. II, 14. — 5. Tit. I, 9.

 

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car là charité elle-même, qui est la fin des commandements et la plénitude de la loi (1), n'est plus selon la règle, quand elle n'a pas pour objet la vérité, mais le mensonge. Celui qui à la beauté du corps joint la difformité de l'âme, est plus à plaindre que si à cette difformité il joignait encore celle du corps; ainsi en est-il de ceux qui revêtent le mensonge d'une forme éloquente ; ils sont plus dignes de pitié que s'ils l'exposaient sans agrément et sans art. Qu'est-ce donc que parler avec éloquence et avec sagesse, sinon employer dans le style simple des termes clairs; dans le style tempéré des expressions brillantes; et dans le sublime des paroles vives et entraînantes, mais toujours pour exprimer la vérité qu'on doit faire entendre? L'orateur qui ne peut réunir ces deux conditions, doit dire avec sagesse ce qu'il ne sait dire avec éloquence, plutôt que de mettre de l'éloquence là où il ne peut parler avec sagesse. Et . si même parler avec sagesse est au dessus de ses forces, qu'il vive de manière, non-seulement à s'assurer pour lui-même la récompense, mais encore à servir de modèle aux autres, et à faire de sa conduite une sorte de prédication continuelle.

 

 

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CHAPITRE XXIX. UN ORATEUR PEUT SE SERVIR D'UN DISCOURS COMPOSÉ PAR UN AUTRE.

 

62. Il y a des hommes qui ont le talent de bien prononcer un discours, mais qui n'ont pas celui de le composer. S'ils empruntent quelque discours écrit avec éloquence et avec sagesse, et si après L'avoir appris de mémoire, ils le prononcent devant le peuple, rien dans cette conduite qui soit répréhensible. Il y a même en cela un grand avantage; le nombre des prédicateurs de la vérité augmente, sans que s'étende celui des maîtres, pourvu que tous ils annoncent la doctrine du seul Maître véritable, et qu'il n'y ait entre eux aucune division (2). Ce n'est point à eux que s'adresse le reproche que Dieu, par la bouche du prophète Jérémie, fait à ceux qui se ravissent les uns aux autres sa parole (3). Dérober, c'est prendre le bien d'autrui. Or, la parole de Dieu n'est pas un bien étranger à ceux qui s'y soumettent; celui-là au contraire est un ravisseur de la parole de Dieu, qui parle bien et qui vit mal. Tout ce qu'il d:t de bien, semble être l'expression de sa pensée, mais se trouve contredit par ses moeurs. Dieu appelle donc ravisseurs de sa parole ceux qui veulent

 

1. I Tim. I, 5 ; Rom. XIII, 10. — 2. I Cor. I, 10. — 3. Jérém. XXIII, 30.

 

paraître bons en l'annonçant, et qui sont pervertis parce qu'ils vivent selon leurs convoitises. Et si l'on veut y prêter une sérieuse attention, ils ne prêchent pas véritablement le bien dont ils parlent. Comment prêcher par la parole, ce qu'ils désavouent par leurs actions? C'est avec raison que l'Apôtre les stigmatise en ces termes .: « Ils font profession de connaître Dieu, et ils le nient parleurs œuvres (1). » Sous un rapport ils disent, et sous un autre ils ne disent pas; c'est le témoignage de la Vérité même : « Faites ce qu'ils disent, mais ne faites pas ce qu'ils font (2). » C'est-à-dire, ce que vous entendez sur leurs lèvres, faites-le; mais ce que vous voyez dans leurs oeuvres, ne le pratiquez pas; car ils disent et ils ne font pas.» Ils disent cependant, quoiqu'ils ne fassent rien. Et ailleurs nous lisons cette invective: «Hypocrites, comment pouvez-vous dire de bonnes choses tandis que vous êtes méchants ? (3) » Ce qui démontre que quand ils disent le bien, ce n'est pas eux qui le disent, puisque leur coeur et leurs actions désavouent leurs paroles. Il peut donc arriver qu'un homme éloquent, mais pervers, compose un discours en faveur de la vérité, pour être prononcé par un autre moins éloquent, mais plus vertueux que lui; le premier alors prend en soi, pour le donner, un bien qui n'était pas à lui, et le second reçoit d'un autre ce qui lui appartient véritablement. Mais quand les vrais fidèles se rendent ce mutuel service, les uns et les autres ne disent que ce qui est à eux; parce que le Dieu à qui appartient ce qu'ils disent, est aussi leur Dieu; et parce qu'ils s'approprient des discours qu'ils n'ont pas composés, en composant leur vie sur la doctrine qu'elles renferment.

 

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CHAPITRE XXX. L'ORATEUR DOIT PRIER AVANT DE PARLER.

 

63. Mais soit avant de parler au peuple ou en présence de quelques personnes,soit avant de dicter ce qui doit être prononcé en public ou lu par ceux qui en auront le désir et le pouvoir, l'orateur doit conjurer le Seigneur de mettre sur ses lèvres des paroles de vie. Si la reine Esther, avant de s'adresser au roi pour lui demander le salut temporel de sa nation, pria Dieu de lui inspirer des paroles convenables (4), combien plus l'orateur chrétien doit-il solliciter par la prière un tel don, lui dont les discours et les enseignements ont pour objet le salut éternel des hommes? Quant

 

1. Tit. I, 16. — 2. Matt. XXIII, 3. — 3. Matt. XII, 34. — 4. Esth. XIV, 13.

 

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à ceux qui ont à prononcer un discours d'emprunt, ils doivent, avant de le recevoir, prier pour ceux qui le composent, et demander à Dieu de leur inspirer ce qu'ils désirent eux-mêmes ; et après l'avoir reçu, prier encore pour qu'ils le prononcent dignement, et que ceux qui l'entendront en profitent. Qu'ensuite ils rendent grâces de l'heureux succès de leur parole à Celui qu'ils savent en être le véritable auteur; et qu'ainsi, quiconque se glorifie, se glorifie en Dieu, qui tient en ses mains et nous et nos discours (1).

 

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CHAPITRE XXXI. AUGUSTIN S'EXCUSE SUR LA LONGUEUR DE CE LIVRE.

 

64. Ce livre s'est étendu plus que je ne voulais et plus que je n'avais pensé. Mais il n'est pas trop long pour celui qui aura du plaisir à le lire ou à l'entendre. Si on le trouve trop étendu, qu'on le lise à plusieurs reprises, pour en avoir une véritable connaissance. Sion ne tient pas à le connaître, on n'a plus le droit de se plaindre de sa longueur. Cependant je rends grâces à Dieu d'avoir pu sous ces quatre Livres, non pas me représenter tel que je suis, moi à qui tant de choses font défaut, mais traiter, selon mes faibles moyens, des qualités que doit posséder ce lui qui, par l'étude de la saine doctrine, c'est-à-dire, de la doctrine chrétienne s'applique à travailler, non-seulement pour lui, mais aussi pour l'utilité des autres.

 

1. Sag. VII, 16.

 

 

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Les quatre livres de la Doctrine chrétienne ont été traduits par M. l'abbé HUSSENOT.

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