VIRGINITÉ
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DE LA SAINTE VIRGINITÉ.

Traduction de M. l'abbé BURLERAUX.

In Œuvres complètes de Saint Augustin, traduites pour la première fois sous la direction de M. Raulx, Bar-Le Duc, 1869, Tome XII. P. 123-149.

 

 

DE LA SAINTE VIRGINITÉ.

CHAPITRE PREMIER. RESPECT DU AUX SAINTS PATRIARCHES.

CHAPITRE II. JÉSUS-CHRIST, FILS D'UNE VIERGE ET ÉPOUX DES VIERGES.

CHAPITRE III. PARENTÉ SPIRITUELLE AVEC JÉSUS-CHRIST.

CHAPITRE IV. LE VOEU DE VIRGINITÉ EN MARIE.

CHAPITRE V. LA PLUS BELLE GLOIRE DES VIERGES.

CHAPITRE VI. PRIVILÉGE SPÉCIAL DE MARIE.

CHAPITRE VII. LA VIRGINITÉ SUPÉRIEURE A TOUTE FÉCONDITÉ CONJUGALE.

CHAPITRE VIII. POURQUOI LA VIRGINITÉ DOIT ÊTRE HONORÉE.

CHAPITRE IX. NULLE COMPENSATION POSSIBLE A LA VIRGINITÉ PERDUE.

CHAPITRE X. N'EST-CE PAS DU MARIAGE QUE NAISSENT LES VIERGES ?

CHAPITRE XI. LA GLOIRE DES VIERGES, C'EST D'ÊTRE CONSACRÉES A DIEU.

CHAPITRE XII. LES VIERGES, ENFANTS DE L'ÉGLISE.

CHAPITRE XIII. SI LA CONTINENCE N'EST UTILE QUE POUR LA VIE PRÉSENTE.

CHAPITRE XIV. LA VIRGINITÉ GLORIFIÉE AU CIEL.

CHAPITRE XV. LA VIRGINITÉ N'EST QU'UN CONSEIL ET NON UN PRÉCEPTE.

CHAPITRE XVI. TRIBULATION DE LA CHAIR DANS LE MARIAGE.

CHAPITRE XVII. L'APOTRE CONDAMNE-T-IL LE MARIAGE

CHAPITRE XVIII. SI L'EXCELLENCE DE LA VIRGINITÉ CONDAMNE LE MARIAGE.

CHAPITRE XIX. DEUX ERREURS AU SUJET DE LA VIRGINITÉ ET DU MARIAGE.

CHAPITRE XX. L'APOTRE CONDAMNE-T-IL DES NOCES ?

CHAPITRE XXI. RÉSUMÉ DE CE QUI PRÉCÈDE.

CHAPITRE XXII. ON DOIT AIMER LA VIRGINITÉ SURTOUT PAR RAPPORT A LA VIE FUTURE. — TÉMOIGNAGE DE SAINT PAUL.

CHAPITRE XXIII. TÉMOIGNAGE DE JÉSUS-CHRIST.

CHAPITRE XXIV. TÉMOIGNAGE D'ISAÏE.

CHAPITRE XXV. LA RÉCOMPENSE ÉTERNELLE PRÉDITE PAR ISAIE.

CHAPITRE XXVI. LE DENIER ACCORDÉ A TOUS LES OUVRIERS DE LA VIGNE.

CHAPITRE XXVII. GLOIRE EXCELLENTE ET SPÉCIALE RÉSERVÉE AUX VIERGES.

CHAPITRE XXVIII. JUSQU'A QUEL POINT TOUS PEUVENT-ILS SUIVRE L'AGNEAU.

CHAPITRE XXIX. GENRE D'IMITATION RÉSERVÉ AUX VIERGES. AU CIEL POINT DE JALOUSIE.

CHAPITRE XXX. LA VIRGINITÉ, OEUVRE DE SURÉROGATION ET NON DE PRÉCEPTE.

CHAPITRE XXXI. L'HUMILITÉ NÉCESSAIRE AUX VIERGES.

CHAPITRE XXXII. L'HUMILITÉ PRESCRITE PAR JÉSUS-CHRIST.

CHAPITRE XXXIII. L’HUMILITÉ NÉCESSAIRE AUX CHRÉTIENS, MAIS SURTOUT AUX VIERGES.

CHAPITRE XXXIV. QUELLES VIERGES EXHORTONS-NOUS A L'HUMILITÉ.

CHAPITRE XXXV. L'HUMILITÉ APPRISE A L'ÉCOLE DE JÉSUS-CHRIST.

CHAPITRE XXXVI. LA DOCTRINE DE L'HUMILITÉ FACILEMENT COMPRISE PAR LES PÉCHEURS.

CHAPITRE XXXVII. BEAU MODÈLE D'HUMILITÉ PROPOSÉ AUX VIERGES.

CHAPITRE XXXVIII. LA CRAINTE NÉCESSAIRE AUX VIERGES.

CHAPITRE XXXIX. FRAGILITÉ HUMAINE.

CHAPITRE XL. LES CHUTES OU PROCHAIN SONT UN AVERTISSEMENT POUR NOUS. — LA VIRGINITÉ EST UN DON DE DIEU.

CHAPITRE XLI. TOUTES LES VERTUS SONT DES DONS DE DIEU.

CHAPITRE XLII. C'EST DIEU QUI DONNE LA CONTINENCE ET LA SAGESSE.

CHAPITRE XLIII. LES VIERGES NE DOIVENT PAS SE PRÉVALOIR DU DON DE DIEU.

CHAPITRE XLIV. MOTIF D'HUMILITÉ POUR UNE VIERGE.

CHAPITRE XLV. LE CENTIÈME, LE SOIXANTIÈME ET LE TRENTIÈME.

CHAPITRE XLVI. EXCELLENCE DE LA VIE COMMUNE POUR LES VIERGES.

CHAPITRE XLVII. QUELLE VIERGE EST SURE DE POUVOIR ENDURER LE MARTYRE ?

CHAPITRE XLVIII. AUTRE MOTIF D'HUMILITÉ.

CHAPITRE XLIV. L'AVEU DES PÉCHÉS.

CHAPITRE L. LE PÉCHÉ LÉGER, AGGRAVÉ PAR L'ORGUEIL ET DÉTRUIT PAR L'HUMILITÉ.

CHAPITRE LI. DIEU EST LE GARDIEN DE LE LA VIRGINITÉ DANS LES HUMBLES.

CHAPITRE LII. LA PRATIQUE DE L'HUMILITÉ, NÉCESSAIRE AUX VIERGES.

CHAPITRE LIII. LES VIERGES DOIVENT ÊTRE D'AUTANT PLUS HUMBLES QU'ELLES SONT PLUS SAINTES.

CHAPITRE LIV. LES VIERGES DOIVENT AIMER JÉSUS-CHRIST DE TOUT LEUR COEUR.

CHAPITRE LV. BONHEUR D'AIMER L'ÉPOUX DIVIN.

CHAPITRE LVI. CONCLUSION.

 

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DE LA SAINTE VIRGINITÉ.

 

Combien la virginité l'emporte sur la chasteté conjugale. — Ne pas condamner le mariage ni l'égaler à la virginité. — L'humilité fortement recommandée aux vierges.

 

CHAPITRE PREMIER. RESPECT DU AUX SAINTS PATRIARCHES.

 

1. Dans le livre de ce qui est bien dans l'état conjugal, que nous avons publié dernièrement, nous donnions aux vierges, et nous leur renouvelons ici le conseil salutaire de ne point se laisser éblouir par l'excellence du don qu'elles ont reçu du ciel; nous leur disions de refouler dans leur âme tout sentiment de mépris à l'égard de ces pères et de ces mères, nobles ancêtres du peuple de Dieu. L'Apôtre (1), ne voulant pas que la greffe sauvage pût se livrer à l'orgueil, compare à l'olivier franc ces patriarches qui préparaient la venue du Christ par leur fécondité même. Pour atténuer leur mérite, qu'on se garde bien de répéter contre eux, que de droit divin la continence l'emporte sur le mariage, et la virginité sur l'état conjugal. Dans la personne de ces patriarches se préparaient et s'enfantaient les événements futurs, dont la réalisation nous frappe aujourd'hui d'étonnement et d'admiration. Quand donc nous voyons en eux la fécondité comblée d'honneurs ou la stérilité rendue féconde ; loin de chercher l'explication de ces phénomènes dans les désirs ou les joies humaines, cherchons-la uniquement dans la profondeur des desseins du ciel. Mais aujourd'hui qu'il nous Est dit : « Que ceux qui ne peuvent se vaincre, se marient (2) », n'exhortons plus au mariage, mais consolons ceux qui y sont condamnés. Et ceux à qui il est dit : « Saisisse qui peut saisir (3) » , exhortons-les à ne concevoir aucune terreur, comme aussi à repousser tout sentiment d'orgueil. Si donc nous devons exalter la virginité pour la faire aimer, nous devons aussi lui donner des conseils polir l'empêcher de s'élever.

 

1. Rom. XI, 17, 18. — 2. I Cor. VII, 9. — 3. Matt. XIX, 12.

 

 

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CHAPITRE II. JÉSUS-CHRIST, FILS D'UNE VIERGE ET ÉPOUX DES VIERGES.

 

2. C'est là le but que nous nous proposons dans cet ouvrage. Puisse Jésus-Christ me soutenir de sa grâce, lui le Fils d'une Vierge, l'Époux des vierges, né corporellement d'un sein virginal et uni spirituellement par un mariage virginal ! L'Église universelle est tout à la fois vierge et épouse de Jésus-Christ, selon la parole de l'Apôtre (1). De quelle gloire, dès lors, ne sont pas couronnés ceux de ses membres qui réalisent, dans leur propre chair, ce que l'Église tout entière réalise dans sa foi, imitant ainsi la mère de son Époux et de son Seigneur? L'Église est en même temps vierge et mère. Si elle n'est pas vierge , de qui donc cette intégrité que nous entourons de notre sollicitude? Si elle n'est pas mère, de qui donc ces enfants que nous engendrons par la parole? Marie a enfanté corporellement le Chef de cette famille ; l'Eglise enfante spirituellement les membres de ce Chef. Dans l'une et l'autre de ces deux mères, la virginité n'est point un obstacle à la fécondité, ni la fécondité un obstacle à la virginité. L'Église est donc sainte de corps et d'esprit, mais dans l'universalité de ses membres elle n'est vierge que d'esprit et non pas de corps ; combien n'est-elle pas plus sainte dans ceux de ses membres où elle est vierge de corps et d'esprit ?

 

 

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CHAPITRE III. PARENTÉ SPIRITUELLE AVEC JÉSUS-CHRIST.

 

3. Il est écrit dans l'Évangile que la mère et les frères, c'est-à-dire les parents de Jésus

 

 

1. II Cor. XI, 2.

 

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Christ le firent prévenir qu'ils l'attendaient au dehors, parce que la foule ne leur permettait pas d'arriver jusqu'à lui. Et le Sauveur de répondre : « Quelle est ma mère et qui sont mes frères ? » Puis, étendant. la main sur ses disciples, il ajouta : «Voici mes frères; et quiconque fera la volonté de mon Père, celui-là est mon frère, ma soeur et ma mère (1) ». N'est-ce pas nous dire clairement qu'il préfère notre alliance spirituelle à la parenté charnelle ? N'est-ce pas nous annoncer que le bonheur, pour les hommes, ne consiste pas à avoir, avec les justes et les saints, une parenté charnelle, mais à leur être uni par l'imitation de leur vie et la soumission à leur doctrine ? Marie fut donc plus heureuse en recevant la foi de Jésus-Christ, qu'en enfantant sa chair. «Bienheureux le sein qui vous a porté », s'écriait une femme ; « bien plus heureux, reprit le Sauveur, ceux qui écoutent la parole de Dieu et la mettent en pratique (2) ». A ceux de ses frères, c'est-à-dire à ceux de ses parents qui ne crurent point en lui, de quel avantage fut cette parenté ? La maternité même de Marie n'eût été pour elle d'aucune utilité , si en portant Jésus-Christ dans sa chair, elle ne l'avait porté plus heureusement dans son coeur.

 

 

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CHAPITRE IV. LE VOEU DE VIRGINITÉ EN MARIE.

 

4. Ce qui rehausse le mérite de sa virginité, ce n'est point que Jésus-Christ, en descendant en elle, s'en soit fait le gardien avant tout contact avec son époux, c'est que cette virginité était déjà par elle consacrée à Dieu avant que le Sauveur la choisît pour sa Mère. C'est là ce que Marie nous fait entendre dans sa réponse à l'ange qui lui annonçait l'Incarnation. « Comment, dit-elle, cela pourra-t-il se faire, puisque je ne connais pas d'homme (1)? » Ces paroles supposent clairement que Marie avait déjà voué à Dieu sa virginité. Mais parce qu'un tel voeu était alors contraire aux moeurs des Juifs, elle dut se marier avec un homme juste, lequel devait, non pas lui ravir par violence , mais lui conserver contre toute violence la virginité qu'elle avait vouée. D'ailleurs elle pouvait se contenter de dire: «Comment cela pourra-t-il se faire?» sans ajouter: puisque « je ne connais point d'homme ». Si elle était mariée dans l'attention d'user du mariage, eût

 

1. Matt. XII, 48-50. — 2. Luc, XI, 27, 28. — 3. Luc, I, 34.

 

elle demandé comment elle pourrait enfanter le Fils qui lui était promis ?

Dès que, par un prodige éclatant, le Fils de Dieu devait revêtir en elle la forme d'esclave, elle pouvait bien recevoir l'ordre de rester vierge ; mais comme Marie devait servir de modèle aux autres vierges, Dieu ne voulut pas laisser croire que celle-là seule devait rester vierge, qui tout en restant Vierge aurait mérité de devenir mère. Marie voua donc sa virginité quand elle ignorait encore son futur et miraculeux enfantement. Ainsi devait-elle, en imitant la vie des anges dans un corps mortel, être fidèle à un voeu et non pas à un commandement, faire un choix dicté par l'amour et non obéir en esclave. Dès lors, en naissant d'une Vierge qui, avant de connaître sa maternité future, avait voué la virginité, Jésus-Christ montra qu'il préférait approuver la virginité plutôt que de l'imposer. Ainsi voulut-il que la virginité fût libre jusque dans la femme qu'il prit pour sa Mère en se faisant esclave.

 

 

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CHAPITRE V. LA PLUS BELLE GLOIRE DES VIERGES.

 

5. Que les vierges ne s'attristent donc pas de ne pouvoir, comme Marie, unir la maternité charnelle à la virginité. En effet, celle-ci ne pouvait enfanter convenablement que Celui dont la naissance miraculeuse est sans égale dans la nature. Remarquons toutefois que cet Enfant de la plus sainte des Vierges est une véritable gloire pour les autres vierges; car , en accomplissant la volonté du Père céleste , elles deviennent réellement avec Marie, mères de Jésus-Christ. N'avons-nous pas rapporté plus haut cette sentence du Sauveur. « Quiconque fait la volonté de mon Père qui est au ciel, devient mon frère et ma soeur et ma mère?» Tous ces degrés de parenté se réalisent spirituellement dans le peuple que Jésus-Christ s'est acquis par son sang. Les hommes justes et les saintes femmes deviennent ses frères et ses soeurs, puisqu'ils doivent partager avec lui l'héritage céleste. Sa mère, c'est l'Eglise tout entière, qui, par la grâce de Dieu, lui enfante chaque jour de nouveaux membres, c'est-à-dire des fidèles. Sa mère, c'est aussi toute âme pieuse accomplissant la volonté de son Père, par la fécondité de la charité qu'il dépose dans tous ceux qu'il enfante, jusqu'à ce qu'il soit (126) formé en eux (1). Donc, en faisant la volonté de Dieu, Marie qui n'est Mère de Jésus-Christ que corporellement, est devenue spirituellement et sa Mère et sa Soeur.

 

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CHAPITRE VI. PRIVILÉGE SPÉCIAL DE MARIE.

 

6. Ainsi Marie est l'unique femme dont on puisse dire qu'elle est tout à la fois mère et vierge, non-seulement d'esprit mais aussi de corps. Elle est mère spirituellement, non pas de Jésus-Christ, dont elle est elle-même la fille spirituelle, puisque tous ceux qui ont cru en lui, et Marie est du nombre, sont appelés les enfants de l'Époux (2) ; mais des membres de Jésus-Christ, et c'est nous qui sommes ces membres. En effet, elle a coopéré, par sa charité, à faire naître dans l'Église les fidèles qui sont les membres de ce Chef. Elle est corporellement sa mère; car il fallait que, par un insigne miracle, notre Chef naquît d'une vierge, selon la chair, pour signifier par là que ses membres naîtraient spirituellement d'une autre vierge qui est l'Église. Marie seule est donc à la fois, selon l'esprit et selon la chair, mère et vierge, la mère et la vierge de Jésus-Christ. Dans la personne des saints, appelés à la possession du royaume de Dieu, l'Église tout entière est aussi spirituellement la mère et la vierge de Jésus-Christ ; dans quelques-uns des fidèles elle est, de corps, vierge de Jésus-Christ; dans d'autres elle est mère, mais non de Jésus-Christ. Quant aux femmes mariées et aux vierges consacrées à Dieu, si elles sont saintes de mœurs, si la charité vient en elles, d'un coeur pur, d'une bonne conscience et d'une foi sincère (3), par cela même qu'elles accomplissent la volonté du Père, elles sont spirituellement mères de Jésus-Christ. Celles qui, dans la vie conjugale, enfantent corporellement, ce n'est pas Jésus-Christ, mais Adam qu'elles enfantent. De là leur empressement à procurer les sacrements (4) à leurs enfants, pour les faire devenir membres de Jésus-Christ: elles savent à qui elles ont donné la vie.

 

1. Gal. IV, 19. — 2. Matt. IX, 15. — 3. I Tim. I, 5. — 4. Le Baptême, la Confirmation et l'Eucharistie.

 

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CHAPITRE VII. LA VIRGINITÉ SUPÉRIEURE A TOUTE FÉCONDITÉ CONJUGALE.

 

7. Que la fécondité conjugale se garde donc de disputer la supériorité à l'intégrité virginale, en s'appuyant sur Marie elle-même. Qu'elle se garde donc de dire aux vierges de Dieu : Marie eut dans son corps deux choses que nous devons honorer : la virginité et la fécondité, car elle enfanta tout en restant vierge. Puisque nous ne pouvons les unes et les autres aspirer à tout ce bonheur, nous l'avons divisé : vous serez vierges et nous mères. A ce qui vous manque en fécondité, trouvez une compensation dans la virginité ; pour nous, nous trouvons à l'intégrité perdue un dédommagement dans le bénéfice de la maternité. Ce langage des mères chrétiennes aux vierges consacrées pourrait avoir encore quelqu'apparence de justesse, si elles enfantaient corporellement des chrétiens. Alors, du moins, si l'on en excepte la virginité, elles pourraient se comparer à Marie, en ce sens que, si la Vierge a enfanté le Chef, elles en enfantent les membres. Mais, leur laissant même soutenir qu'elles ne se sont mariées que pour avoir des enfants, et que dans ces enfants elles n'ont vu autre chose que le bonheur de les gagner à Jésus-Christ, on peut toujours leur répondre que ce ne sont pas des chrétiens qui naissent de leur chair; pour le devenir, il faut que l'Église, déjà vierge spirituelle du Sauveur, et spirituellement la mère de ses membres, les enfante, leur donne une naissance , nouvelle. A cet enfantement nouveau, les mères coopèrent néanmoins pour faire de ces enfants ce qu'elles savent bien qu'elles n'en ont pas fait par la maternité corporelle. Elles y coopèrent en tant qu'elles sont elles-mêmes vierges et mères de Jésus-Christ, savoir par la foi qui opère par la charité (1).

 

 

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CHAPITRE VIII. POURQUOI LA VIRGINITÉ DOIT ÊTRE HONORÉE.

 

8. Aucune fécondité de la chair ne peut donc être comparée à la sainte virginité, même à la virginité corporelle. Si nous honorons cette virginité, ce n'est pas en tant qu'elle est virginité, mais en tant qu'elle est consacrée à Dieu; car si c'est dans la chair qu'elle se conserve

 

1. Gal. V,6.

 

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c'est surtout par la religion et par la dévotion de l'esprit. En ce sens, quoi de plus spirituel que la virginité même du corps, quand elle est vouée et conservée par la continence religieuse? En effet, de même que toute souillure, avant de se produire dans le corps, a déjà été conçue dans l'esprit; de même la chasteté du corps suppose toujours la chasteté de l'esprit. Si donc, quoique s'appliquant à la chair, la chasteté a pour principe non pas la chair, mais l'esprit qui retient la chair dans les limites de la pudeur conjugale, combien plus devons-nous mettre au nombre des biens les plus glorieux de l'âme, cette continence qui voue, consacre et conserve l'intégrité pour en faire honneur au Créateur de l'âme et de la chair !

 

 

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CHAPITRE IX. NULLE COMPENSATION POSSIBLE A LA VIRGINITÉ PERDUE.

 

9. S'agit-il donc de cette fécondité de la chair qui, à notre époque, ne cherche dans le mariage que la gloire d'avoir des enfants, pour les consacrer à Jésus-Christ? Je dis encore qu'elle ne saurait compenser la virginité perdue. Avant Jésus-Christ, quand on attendait sa venue selon la chair, la maternité était une sorte de nécessité pour cette nation nombreuse et prophétique. Mais aujourd'hui que le corps du Christ peut se former de membres recueillis dans toutes les nations et de toutes les races appelées à former le peuple de Dieu et la cité céleste, que celui qui peut pratiquer la sainte virginité la pratique (1), et qu'il n'y ait pour se marier que celle qui ne peut garder la continence (2). Je suppose qu'une femme riche consacre des sommes immenses à acheter des esclaves de toute nation pour en faire des chrétiens; quelles entrailles seraient assez fécondes pour donner à Jésus-Christ des enfants aussi nombreux? Et pourtant cette femme oserait-elle comparer son argent au mérite de la sainte virginité? Ne dites donc pas que la virginité perdue est dignement compensée par la fécondité de la chair qui donne à la religion des enfants chrétiens, car vous seriez obligées de conclure qu'il serait préférable de vendre sa virginité pour une grande somme d'argent avec laquelle on donnerait à l'Eglise beaucoup plus de chrétiens, que ne pourrait le faire le sein le plus fécond.

 

1. Matt. XIX, 12. — 2. II Cor. VII, 9.

 

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CHAPITRE X. N'EST-CE PAS DU MARIAGE QUE NAISSENT LES VIERGES ?

 

Epouses fidèles, gardez donc les avantages qui sont propres à votre état et dont nous avons parlé dans le livre précédent; mais considérez les vierges consacrées, vous le faites d'ailleurs avec raison, comme étant d'un ordre plus élevé que le vôtre, ainsi que nous le montrons en ce moment.

10. En effet, pour égaler le mariage à la continence, c'est en vain que vous prétendez que c'est de lui que naissent les vierges. Cette naissance, loin d'être l'oeuvre propre du mariage, n'est-elle pas plutôt celle de la nature ? D'après l'institution divine, toute union des deux sexes, qu'elle soit licite et honnête ou bien honteuse et illicite, produit toujours un enfant vierge, mais non pas une vierge consacrée. Malgré le crime des parents, un enfant naît vierge; et malgré le mariage, on ne saurait naître avec la sainte virginité.

 

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CHAPITRE XI. LA GLOIRE DES VIERGES, C'EST D'ÊTRE CONSACRÉES A DIEU.

 

11. Ce que nous louons dans les vierges, ce n'est pas leur virginité même, c'est leur consécration à Dieu dans les exercices d'une pieuse continence. En effet, je crois pouvoir dire, sans témérité, qu'une femme mariée me paraît plus heureuse qu'une fille à marier, car la première possède ce que celle-ci désire, surtout si elle n'est encore fiancée à personne. La première ne cherche à plaire qu'à celui à qui elle s'est mariée; la seconde, ne sachant à qui elle appartiendra, désire plaire à plusieurs. Ce qui sauve sa pudeur contre les passions de la foule, c'est qu'elle cherche dans la foule, non pas un adultère, mais un époux. La vierge, certainement supérieure à l'épouse, n'est donc pas celle qui, sans rechercher l'amour de la multitude, n'aspire qu'à être aimée d'un seul, ni celle qui, l'ayant trouvé, s'occupe du monde et prend souci de plaire à son mari (1) ; mais celle qui a voué tout son amour au plus beau des enfants des hommes (2),et qui ne pouvant le concevoir dans sa chair comme Marie, le conçoit dans son coeur et lui consacre (intégrité de sa chair.

1. I Cor. VII, 34. — 2. Ps. XLV, 3.

 

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CHAPITRE XII. LES VIERGES, ENFANTS DE L'ÉGLISE.

 

Toute fécondité corporelle est impuissante à enfanter ces vierges; elles ne naissent ni de la chair ni du sang. Vous demandez quelle est leur mère ; je réponds : c'est l'Eglise. Une autre qu'une vierge peut-elle produire des vierges? et cette vierge n'est-ce pas celle dont il est dit: que pour demeurer chaste elle a été fiancée à un seul homme, à Jésus-Christ ? Si elle n'est pas tout entière vierge de corps, elle l'est d'esprit, et c'est d'elle que naissent les vierges de corps et d'esprit.

12. Toutefois j'affirme que le mariage est bon, non pas précisément parce qu'il produit une postérité, mais parce qu'il la produit dans l'honnêteté, dans le droit, dans la pudeur et pour le bien de la société ; parce qu'il sert à donner aux enfants une éducation commune, salutaire et constante ; parce qu'enfin les époux s'y gardent la fidélité et ne profanent point le sacrement.

 

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CHAPITRE XIII. SI LA CONTINENCE N'EST UTILE QUE POUR LA VIE PRÉSENTE.

 

Ces caractères, toutefois, sont purement humains; tandis que l'intégrité virginale, la continence absolue et l'incorruptibilité perpétuelle dans une chair corruptible, nous élèvent à la dignité des anges. Comment donc comparer à cet état la fécondité de la chair, la pudeur conjugale ? La fécondité est-elle au pouvoir de l'homme, est-elle du domaine de l'éternité? Le libre arbitre n'a aucun pouvoir sur elle, et au ciel il n'est plus question de pudeur conjugale. D'où je conclus que dans ce royaume immortel, quelque grande récompense est spécialement réservée à ceux qui, dans leur chair, ont quelque chose qui n'est pas de la chair.

13. C'est donc une erreur étrange de croire que la continence, si elle est bonne pour le siècle présent, n'est d'aucune utilité pour le royaume des cieux. Le mariage, dit-on, est la source de beaucoup de soucis temporels, dont s'exemptent ceux qui pratiquent la continence; voilà pourquoi il est mieux de ne pas se marier, car on échappe ainsi aux tortures de cette vie; quant à la vie future, la continence n'est

 

1. II Cor. XI, 2.

 

pour elle d'aucun avantage. Et pour faire croire que cette vaine opinion n'est pas l'oeuvre de l'imagination, on invoque en sa faveur ce passage de l'Apôtre : « Quant aux vierges, je n'ai aucun précepte à leur imposer au nom du Seigneur ; je ne puis formuler qu'un conseil, moi qui, favorisé de la miséricorde divine, ai pu y rester fidèle. Je pense donc qu'il est bon que l'homme reste continent à cause de la nécessité présente (1) ». La conclusion évidente, ajoute-t-on, c'est que la virginité n'est bonne que pour la vie présente, sans relation aucune avec la vie future. Mais l'Apôtre n'envisageait-il pas ces nécessités de la terre au point de vue du ciel, lui dont le ministère tout entier tend vers les biens de la vie future ?

 

 

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CHAPITRE XIV. LA VIRGINITÉ GLORIFIÉE AU CIEL.

 

14. Nous devons, sans doute, éviter les nécessités présentes, mais par là j'entends uniquement celles qui diminuent les biens de la vie future. Telle est la nécessité qui oblige la vie conjugale à s'occuper des choses de la terre, l'homme à chercher à plaire à sa femme et ta femme à son mari. Cette nécessité, toutefois, n'exclut pas du royaume des cieux ; il n'y a que le péché qui produise cette séparation, voilà pourquoi il est l'objet d'un précepte formel et non pas d'un simple conseil ; car, ne pas obéir à un précepte divin, c'est mériter la damnation. Il y aura donc une augmentation de gloire pour celui qui aura cherché plus avidement ce qui plaît davantage à Dieu. Une telle augmentation ne peut pas être pour le mariage, car cet état nécessite d'autres soucis que la recherche de ce qui peut plaire à Dieu. De là cette parole : « Je n'ai sur la virginité aucun précepte divin à imposer (1) ». En effet, ne pas remplir un commandement, c'est se rendre coupable et mériter le châtiment. Ce n'est donc pas un péché de se marier, puisque le mariage n'est pas défendu par un commandement ; il suit de là que la virginité n'est l'objet d'aucun précepte divin. D'un autre côté, pour arriver à la vie éternelle il faut être sans péché, soit qu'on l'ait toujours évité, soit qu'on en ait obtenu la rémission. Mais dans le ciel il est une gloire qui ne sera accordée qu'à quelques-uns des vainqueurs, à ceux-là seulement qui, non contents de se dépouiller

 

1. I Cor. VII, 25, 26.

 

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du péché, auront voué librement quelque sacrifice au Rédempteur, sacrifice qu'ils auraient pu, sans crime, ne pas vouer, mais dont le voeu et la réalisation leur sera un titre de gloire. Voilà pourquoi « je donne un conseil, dit l'Apôtre, comme ayant moi-même obtenu de Dieu la faveur miséricordieuse d'y être fidèle ». Dois-je avec jalousie conserver pour moi ce conseil, moi qui suis fidèle, non par l'effet de mes propres mérites, mais grâce à la divine miséricorde ? « Je pense donc qu'à raison de la nécessité présente, c'est un bien de rester vierge » ; mais ce n'est pas un précepte que j'impose, je n'en ai reçu aucun, c'est un conseil que je donne. Je sais, en effet, quelle nécessité pèse dans cette vie sur ceux qui sont entrés dans le mariage; car, dans cet état, s'ils s'occupent encore des choses de Dieu, ce ne peut-être d'une manière assez constante pour arriver à cette gloire qui ne sera le partage que de quelques élus dans la vie éternelle. « Une étoile diffère d'une autre étoile en clarté; ainsi en sera-t-il pour la résurrection des morts (1). L'homme donc a fait bien de rester vierge ».

 

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CHAPITRE XV. LA VIRGINITÉ N'EST QU'UN CONSEIL ET NON UN PRÉCEPTE.

 

 

15. Le même apôtre dit encore: « Es-tu uni à une épouse, ne cherche pas une rupture; es-tu déchargé du lien conjugal, ne cherche point d'épouse ». La première de ces deux propositions est l'expression d'un précepte que l'on ne saurait violer sans crime. En effet, d'après la parole même du Sauveur, il n'est permis de se séparer d'une épouse que dans le cas de fornication (2). La seconde proposition n'est qu'un conseil et non un précepte ; on pourrait licitement contracter de nouveaux liens, mais le mieux est de s'abstenir. Le même docteur continue : « En prenant une épouse tu n'as point péché; de même, si une vierge se marie, elle ne pèche pas ». En disant un peu plus haut : « Si tu es dans le mariage, ne cherche pas à le dissoudre », l'Apôtre a-t-il ajouté : Et si vous brisez cette union, vous ne péchez pas? Le pouvait-il, après des paroles comme celles-ci : « A ceux qui sont mariés, j'ordonne, non pas moi mais le Seigneur, de ne pas se séparer; si la femme se sépare,

 

1. I Cor. XV, 41,42. — 2. Matt. XIX, 9.

 

qu'elle garde la continence, ou qu'elle se a réconcilie avec son mari ». Il peut arriver, en effet, que le mari et non la femme soit la cause de cette séparation. Il ajoute : « Et que le mari ne quitte point sa femme (1) », sans mentionner clairement que ce soit là un précepte divin, cependant il se garde bien de conclure : et s'il l'abandonne, il ne pèche pas. Car c'est là un précepte formel que l'on ne peut violer sans crime, ce n'est pas un simple conseil dont l'omission priverait d'un bien sans être un péché. Si « donc tu es délivré d'une épouse, n'en cherche pas une nouvelle » ; ce n'est pas ici un mal qu'il défend, mais un mieux qu'il conseille ; voilà pourquoi il ajoute aussitôt : « En te mariant tu n'as point péché; de même si une vierge se marie, elle ne pèche pas ».

 

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CHAPITRE XVI. TRIBULATION DE LA CHAIR DANS LE MARIAGE.

 

16. Nous lisons ensuite, à propos des époux : « Ils éprouveront les tribulations de la chair. Pour moi je vous épargne » . L'Apôtre voulait par là exhorter à la virginité et à la continence perpétuelle et détourner quelque peu du mariage ; non pas qu'il soit illicite ou défendu, mais parce qu'il est une cause de peines et de chagrins. Il y a en effet une grande différence entre la turpitude et la tribulation de la chair la première est le résultat d'un crime ; la seconde n'est qu'une épreuve à laquelle des hommes se condamnent souvent dans leurs fonctions les plus honorables. A présent donc que le Christ ne demande point qu'on prépare son avènement en multipliant la famille, ne serait-ce pas folie de s'exposer à cette tribulation de la chair, dans le mariage, à moins que l'on ait à craindre de faire, par l'incontinence, des chutes horriblement déplorables, sous l'influence tentatrice du démon ? En disant qu'il épargne ceux qui s'exposent à éprouver cette tribulation de la chair, l'Apôtre me paraît avoir voulu ne pas expliquer en quoi consiste cette même tribulation de la chair qu'il prédit à ceux qui s'engagent dans le mariage. Du reste, ne peut-elle pas résulter des soupçons au sujet de la fidélité conjugale, des alarmes au sujet de la formation et de l'éducation des enfants, des craintes et des chagrins du veuvage? Une fois engagés dans les liens du mariage, sont-

 

1. I Cor. VII, 27, 28, 10, 11.

 

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ils nombreux ceux qui n'ont rien à éprouver de ces affections diverses? Mais, gardons-nous de toute exagération, dans la crainte de ne pas épargner nous-mêmes ceux que l'Apôtre a voulu épargner.

 

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CHAPITRE XVII. L'APOTRE CONDAMNE-T-IL LE MARIAGE

 

17. Les réflexions précédentes suffisent pour mettre le lecteur en garde contre ceux- qui calomnient le mariage et veulent en trouver la condamnation indirecte dans cette maxime : « Ils éprouveront  la tribulation de la chair, mais moi je vous épargne ». Doit-on regarder ces dernières paroles comme une condamnation ? En voulant les épargner; ne se blesserait-il pas lui-même , car il y aurait mensonge dans les paroles suivantes : «En te mariant tu n'as point péché, et si une vierge se marie elle ne pèche pas ? » Voir dans la sainte Ecriture, ou chercher  à y voir un mensonge, n'est-ce pas se frayer une voie pour s'autoriser à mentir, ou pour soutenir une opinion condamnable, dès que l’on veut se livrer à l'erreur ? Si pour les confondre, vous leur alléguez un passage évident des Saints Livres, aussitôt ils s'emparent de cette idée, pour se défendre contre la vérité et s'exposer, sans protection aucune, à tous les coups du démon; ils prétendent que l'auteur du livre n'a pas dit vrai, soit pour avoir voulu épargner les faibles, soit pour avoir cherché à effrayer les rebelles. De cette manière ils trouvent toujours le moyen de défendre la doctrine la plus perverse. Corriger leur opinion, ils s'en gardent bien; ils préfèrent la soutenir, dussent-ils ne négliger aucun subterfuge pour annuler l'autorité de la sainte Ecriture, qui seule est capable de briser les fronts les plus orgueilleux et les plus insensibles.

 

 

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CHAPITRE XVIII. SI L'EXCELLENCE DE LA VIRGINITÉ CONDAMNE LE MARIAGE.

 

            18. Vous tous qui avez embrassé la continence perpétuelle et la virginité, vous jouissez, sans doute, d'un bien qui l’emporte beaucoup sur le mariage, mais gardez-vous d'en conclure que le mariage est un mal. Rappelez-vous plutôt cette maxime, si pleine de vérité, prononcée par l'Apôtre : « Celui qui marie sa fille fait bien, mais celui qui ne la marie pas fait encore mieux. En prenant une épouse, tu n'as pas péché, et si une vierge se marie, « elle ne  pèche pas ». Un peu plus loin : « A mon avis, il sera plus heureux en persévérant dans la. virginité ». Puis, craignant que son avis ne paraisse une opinion purement humaine, il ajoute aussitôt : « Je le pense et en cela je suis animé de l’Esprit de Dieu ». Préférer les dons les plus excellents, sans condamner les moindres, c’est là une doctrine divine, apostolique, vraie et parfaitement sûre. Dans l’Ecriture, la vérité révélée l’emporte de beaucoup sur toutes les conceptions humaines relatives à la virginité d’esprit ou de corps. Que l’on aime la chasteté, très-bien ; mais que l’on se garde aussi de nier la vérité. En effet quelles fautes ne peuvent souffrir dans leur propre chair, ceux qui pensent que dans ce passage même, où il exaltait la virginité du corps, l’Apôtre était victime de la corruption du mensonge.

Avant tout donc et surtout, il est nécessaire que ceux qui embrassent la sainte virginité, possèdent la foi la plus ferme sur la véracité des saintes Ecritures et qu'en particulier ils acceptent comme vraie cette parole: « En prenant une épousé tu n’as point péché, et si « une vierge se marie elle ne pèche pas». Qu'ils rejettent de leur esprit la simple pensée que c'est amoindrir le précieux bien de l'intégrité, que de ne pas condamner les noces comme mauvaises. Au contraire, ne doit-on pas espérer une récompense d'autant plus belle, que l'on était plus fermement persuadé qu'en se mariant-on ne serait pas condamné? Comment croire que la couronne ne sera pas d'autant plus glorieuse que l'on a résisté au désir légitime de se marier ! Vous voulez demeurer vierges, c'est bien; mais en renonçant au mariage, ne le regardez pas comme un foyer d'iniquité; qu'il vous suffise de vous élever au-dessus de la colline d'un bien inférieur, pour vous reposer sur la montagne d'une continence plus parfaite. Quiconque a placé sa demeure sur cette colline, n'est plus libre d'en sortir quand il voudra, « car la femme est liée « pendant toute la vie de son époux (1) ». Cependant elle peut servir d'échelon pour monter jusqu'à la continence du veuvage; au lieu que si l'on aspire à la continence virginale; ou bien il faut éviter cette colline en résistant à

 

1. I Cor. VII, 38, 40.

 

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toute demande de mariage ; ou bien il faut s’élever au-dessus en rendant, ces demandes impossibles.

 

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CHAPITRE XIX. DEUX ERREURS AU SUJET DE LA VIRGINITÉ ET DU MARIAGE.

 

19. Peut-être serait-il venu à la pensée de quelqu'un, de croire que la récompense serait la même pour ceux qui se contentent du bien et pour ceux qui s'élèvent au plus parfait. Voilà pourquoi j'ai cru devoir réfuter l'opinion de ceux qui, dans ce but, donnaient une fausse interprétation à ces paroles de l'Apôtre : « Je pense que c'est là un bien a cause de la nécessité présente ». De là en effet ils prétendaient conclure que si la virginité est utile, ce n'est pas à raison de la récompense céleste, mais uniquement pour la vie présenté, et il s'ensuivait que dans l'éternité, les vierges n'obtiendraient exactement que la récompense réservée aux autres. Cette discussion du texte m'a ensuite amené à ces autres paroles : « Ils éprouveront la tribulation de la chair; mais pour moi je vous épargne ». Alors j'ai attaqué d'autres ennemis, qui loin d'égaler le mariage à la virginité, condamnaient le managé d'une manière absolue C'était une autre erreur. En se fuyant réciproquement, ces deux erreurs se combattent l'une l'autre, parce qu'elles ne veulent point du juste milieu de la vérité. En restant dans ce milieu, en nous appuyant sur la droite raison et sur l'autorité des saintes Ecritures, il est évident pour nous, d'abord que le mariage n'est point un péché, ensuite qu'il est inférieur en dignité et en mérite à la continence virginale, voire même au veuvage.

 

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CHAPITRE XX. L'APOTRE CONDAMNE-T-IL DES NOCES ?

 

Nous venons de remarquer que les uns, tout de feu pour la virginité, condamnent le mariage à l'égal de l'adultère. D'autres au contraire, pleins d'amour pour le mariage, soutiennent qu'il n'y aura qu'une seule et même récompense pour la virginité perpétuelle et pour la pudeur conjugale. D'après les uns, la gloire de Susanne devient l'humiliation de Marie; et d'après les autres, l'excellence de l'état de Marie est la condamnation de Susanne.

20. La difficulté vient de ces paroles de l'Apôtre : « Quant à moi je vous épargne ». Or il est faux que saint Paul ait voulu, par là, dissimuler la peiné qui attendrait les époux dans le siècle futur. Il est faux qu'il condamne à l'enfer celle que Daniel a sauvée d'une condamnation temporelle. Il est faux que l'union conjugale soit pour elle un droit au châtiment devant le tribunal de Jésus-Christ, quand, pour rester fidèle au Christ elle a préféré exposer sa vie, et serait morte, s'il l'avait fallu, sous le coup d'une fausse accusation d'adultère. « J'aime mieux », dit-elle, « tomber entre vos mains, que de pécher en présente de mon Dieu. (1) ». A quoi bon ce noble langage, si Dieu devait, non pas la sauver parce qu'elle conservait sa pudeur conjugale, mais la condamner parce qu'elle était épouse ? Que les calomniateurs du mariage l'avouent donc : Quand la vérité des saintes Ecritures protégé la chasteté conjugale, c'est l'Esprit-Saint qui défend Susanne contre ses faux témoins, et la justifie d'un crime s’opposé. Mais ici il le fait bien plus en grand. Alors il ne s'agissait que d'une épouse, il s'agit aujourd'hui de toutes. Il ne s'agissait alors que d'un adultère occulte et supposé, maintenant il s'agit d'incriminer le mariage véritable et légal. Alors, sur l'attestation de quelques vieillards criminels on accusait une femme; aujourd'hui, ce sont tous les maris et toutes les femmes que l'on accuse sur le silence de l'Apôtre. Croyez-le, disent-ils, c'est votre condamnation qu'il a tué, quand il a dit : « Pour moi je vous épargne ».

Et qui donc a prononcé cette parole !  N'est-ce pas celui qui avait dit un peu plus haut : « Si tu prends une épouse, tu ne pèches pas et si une vierge se marie, elle ne pèche pas ? » Pourquoi, dans sa réticence modeste, entrevoir le crime des époux, tandis que dans son langage manifeste vous refusez de voir leur justification: Condamne-t-il dans son silence ceux qu'il absout dans ses paroles ? Accuser Susanne non du crime de mariage, mais du crime, d'adultère, est-ce une plus grande faute que d'accuser de mensonge la doctrine apostolique ? Comment échapperions-nous à un aussi grand danger, si nous n'avions pas pour nous l'évidence et la certitude que le mariage honnête ne peut pas plus être condamné, que la sainte Écriture ne peut se tromper.

 

1. Dan. XIII, 23.

 

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CHAPITRE XXI. RÉSUMÉ DE CE QUI PRÉCÈDE.

 

21. Mais, direz-vous, qu'importe cette discussion à la sainte virginité ou à la continence perpétuelle que nous avons à traiter ici ? Je réponds d'abord, ce que j'ai déjà répondu, que la gloire de la virginité est d'autant plus belle que, pour l'acquérir, on s'est élevé au-dessus de l'honneur conjugal, ou, en d'autres termes, que l'on a renoncé au mariage qui pourtant n'est pas un péché. Autrement on ne devrait plus louer la continence perpétuelle, il suffirait de ne pas la condamner, car alors elle deviendrait le moyen nécessaire d'échapper au crime du mariage. Je réponds ensuite que ce n'est point sur des raisons humaines, mais sur l'autorité de l'Ecriture divine, que l'on doit inviter les hommes à cet état de perfection ; comment, dès lors, ne pas insister fortement pour justifier la sainte Ecriture, et empêcher qu'elle paraisse mensongère en quelque point que ce soit? Forcer à la virginité en condamnant le mariage, ce n'est pas plaider sa cause, c'est la compromettre. Comment, en effet, faire croire à la vérité de cette parole : « Celui qui ne marie pas sa fille fait mieux », si l'on ne voit que mensonge dans cette autre qui précède immédiatement : « Celui qui marie sa fille fait bien? » Admettez au contraire que les vierges croient, d'une foi certaine, à l'Ecriture, quand elle affirme que le mariage est bon; vous les verrez aussitôt, s'appuyant sur l'infaillible autorité de cette même Ecriture, s'animer d'une ardeur nouvelle et s'élancer vers le bien supérieur qu'elles ont préféré.

Mais je crois en avoir dit assez sur ce sujet; je crois aussi n'avoir rien négligé pour prouver que cette parole de l'Apôtre : « Je pense que cela est bon pour la nécessité présente », ne peut s'interpréter dans ce sens que la virginité soit pour ce monde préférable au mariage, tandis que pour l'éternité et le siècle futur, virginité et mariage seraient dans un rang de parfaite égalité. Quant à ces autres paroles, relatives aux personnes mariées : « Elles éprouvèrent la tribulation de la chair, mais « je vous épargne (1) », je crois avoir démontré qu'elles ne peuvent être interprétées en ce sens que l'Apôtre ait mieux aimé taire qu'affirmer du mariage qu'il est un péché et une cause de

 

1. I Cor. VII, 38, 26, 28.

 

damnation. Pour ceux qui ne les comprennent pas, ces deux maximes semblent être deux erreurs diamétralement opposées. Ceux qui prétendent égaler les époux aux vierges interprètent en leur faveur la nécessité présente dont parle l'apôtre ; et ceux qui condamnent le mariage s'appuient sur ces autres paroles « Pour moi, je vous épargne ». Nous appuyant donc sur la foi et sur la saine doctrine des Ecritures, nous disons que le mariage n'est point un péché, et cependant qu'il est un état moins parfait, non-seulement que celui de la virginité, mais même que celui de la viduité. Nous disons que la nécessité présenté pour les époux, sans leur ôter le droit à la vie éternelle, les prive, par le fait même, de cette gloire par excellence réservée à la chasteté perpétuelle. Nous disons que dans cette vie le mariage n'est utile que pour ceux à qui la continence est impossible; nous ajoutons que sans vouloir passer sous silence la tribulation de la chair qui résulté de l'affection charnelle, sans laquelle le mariage n'est pas possible pour les incontinents, l'Apôtre n'en a pas parlé plus longuement, pour épargner ces détails à la faiblesse humaine.

 

 

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CHAPITRE XXII. ON DOIT AIMER LA VIRGINITÉ SURTOUT PAR RAPPORT A LA VIE FUTURE. — TÉMOIGNAGE DE SAINT PAUL.

 

22. Citons à ce sujet, autant que nous le permettra notre faible mémoire, les témoignages les plus évidents de la sainte Ecriture. Il en résulte clairement que ce n'est pas pour la vie présente, mais surtout pour la vie future, que l'on doit aimer la continence perpétuelle. Cette conclusion découle naturellement de ces paroles du même apôtre : « Celui qui est sans épouse s'occupe de ce qui est de Dieu et de ce qui peut lui plaire; tandis que celui qui est marié s'occupe des choses du monde et cherche à plaire à sa femme. Le coeur de l'épouse est partagé, tandis que celle qui n'est pas mariée recherche avec sollicitude ce qui peut glorifier le Seigneur et la rendre sainte de corps et d'esprit. Celle qui est mariée s'occupe des choses du monde et cherche à plaire à son époux (1) ». L'Apôtre ne dit pas qu'elle s'occupe de ce qui peut lui procurer la sécurité dans le monde et la soustraire aux

 

1. I Cor. VII, 32-34.

 

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tourments plus graves du temps. La différence qu'il établit entre la vierge et l'épouse, il ne la fonde pas sur la liberté dont la vierge jouit à l'égard des peines temporelles auxquelles l'épouse est soumise, mais, dit-il, ses pensées ne sont que pour le Seigneur; elle cherche ce qui peut le glorifier et la rendre sainte de corps et d'esprit. Quelque partisan insensé de la chicane dira-t-il: Ce n'est pas pour le royaume des cieux, mais pour le siècle présent que nous voulons plaire à Dieu; c'est pour la vie présente et non pour la vie future que nous voulons être saints de corps et d'esprit? Une telle assertion soulève la pitié la plus profonde. L'Apôtre n'a-t-il pas dit: « Si c'est uniquement pour cette vie que nous espérons dans le Christ, nous sommes les plus malheureux de tous les hommes (1) ? » Si donc c'est folie de rompre son pain en faveur de l'indigent quand on ne le fait que pour cette vie, sera-ce faire preuve de prudence d'astreindre son corps à la continence perpétuelle, si cette sévérité n'a droit à aucune récompense dans l'autre monde ?

 

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CHAPITRE XXIII. TÉMOIGNAGE DE JÉSUS-CHRIST.

 

13. Ecoutons Notre-Seigneur nous formulant lui-même cette maxime évidente. Il venait, d'un accent majestueux et divin, de défendre aux époux de se séparer, excepté pour cause de fornication; ses disciples lui répondent : « Si telle est la condition de l'homme avec sa femme, il est préférable de ne pas se marier. Tous, réplique le Sauveur, ne comprennent pas cette parole. Il en est qui naissent eunuques; d'autres le deviennent par le crime des hommes ; il en est enfin qui se le rendent en vue du royaume des cieux. Que celui qui peut comprendre, comprenne (2) ». Quoi de plus vrai? quoi de plus clair? Jésus-Christ, c'est-à-dire la Vérité, la Force et la Sagesse de Dieu, nous dit que ceux qui, dans un motif religieux, s'abstiennent du mariage, c'est pour le royaume des cieux qu'ils le font; et la vanité humaine ose soutenir follement que ceux qui se vouent à la virginité, ne se proposent que d'échapper à la nécessité présente des peines conjugales, et qu'ils n'ont pas d'autre récompense que les autres à attendre dans le royaume des cieux !

 

1. I Cor. XV, 19. — 2. Matt. XIX, 10-12.

 

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CHAPITRE XXIV. TÉMOIGNAGE D'ISAÏE.

 

 24. De quels eunuques le Seigneur parle-t-il par le prophète Isaïe, quand il promet de leur donner dans sa demeure une place privilégiée, plus belle que celle des fils et des filles ? N'est-ce pas de ceux qui le sont devenus pour le royaume de Dieu? Quant à ceux qui, comme les eunuques des riches et des rois, le deviennent par le crime des maîtres, il leur suffit d'être chrétiens et d'observer les commandements de Dieu : et s'ils sont dans une disposition telle qu'ils embrasseraient le mariage s'ils en avaient le pouvoir, ils tombent, aux yeux de Dieu, dans une égalité complète avec les fidèles mariés qui apprennent à leurs enfants à placer leur espérance en Dieu seul. Leur récompense ne peut donc pas être supérieure à celle des fils et des filles. En effet, s'ils ne se marient pas, c'est uniquement parce qu'ils ne le peuvent, ce n'est point par l'effort de leur volonté. Libre à qui le voudra de soutenir que le prophète s'adressait aux eunuques charnels et véritables; cette erreur même ne peut que servir la cause que je défends. Car ce n'est pas seulement à ceux qui n'ont aucune place dans sa demeure céleste que Dieu préfère ces eunuques, mais à ceux mêmes qui, dans les devoirs du mariage, ne portent aucune atteinte à la vertu conjugale. En disant qu'il leur donnera une place de beaucoup plus belle, il affirme que les époux en auront une, mais de beaucoup inférieure.

Admettrons-nous que c'est dans la maison de Dieu simplement que sont appelés ces eunuques selon la chair, qui n'étaient pas admis dans les rangs du peuple juif, et qui au lieu de se faire juifs, se convertissent sous nos yeux au christianisme; et que le prophète ne parle pas de ceux qui pour se donner à la continence et pour éviter le mariage embrassent la chasteté parfaite dans le but unique de parvenir plus sûrement au royaume des cieux? Quelle folie, dès lors et quelle erreur de croire que les eunuques selon la chair obtiendront au ciel une gloire plus brillante que les personnes mariées; tandis que ceux qui embrassent la continence volontaire dates un motif religieux, ceux qui châtient leur corps jusqu'à mépriser le mariage, ceux qui portent le fer de la mortification non pas dans le corps seulement, mais jusqu'à la racine même de la (134) concupiscence, ceux enfin qui, dans une chair mortelle, mènent une vie céleste et angélique, ceux-là n'auraient ni plus de mérite ni plus de gloire  que les personnes mariées ! Et quand Jésus-Christ loué ostensiblement ceux qui se condamnent? à la continence, non pas  pour échapper aux soucis de ce siècle, mais pour le royaume des cieux, un: chrétien oserait le contredire et affirmer que si la continence est utile polir la vie présente, elle ne l'est point pour le siècle futur ! Qu'ils fassent un pas de plus, qu'ils prétendent que le royaume des cieux se confond avec la vie présente ! Pourquoi leur aveugle présomption n'irait-elle pas jusqu'à cette absurdité? Et quelle absurdité plus révoltante ! Si quelquefois c'est l'Eglise de la terre qui est désignée par ces paroles le royaume des cieux, n'est-ce point parce qu'elle se prépare à la vie future et éternelle? Cette Eglise, il est vrai, possède la: promesse de la vie future et éternelle (1) ; mais dans toutes ses bonnes œuvres ce « ne sont pas les choses  visibles qu'elle envisage mais les choses invisibles. Car les choses visibles sont temporelles, taudis que les choses invisibles sont  éternelles (2) ».

 

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CHAPITRE XXV. LA RÉCOMPENSE ÉTERNELLE PRÉDITE PAR ISAIE.

 

25. L'Esprit-Saint a daigné lui-même confondre l'impudence et la folie de ces obstinés; il a victorieusement triomphé de leurs attaques furibondes, en entourant la vérité d'un mur infranchissable. En parlant des eunuques il avait dit : « Je leur donnerai dans ma maison la place par excellence, une gloire beaucoup plus belle qu'aux fils et aux filles». Puis craignant qu'un oeil trop charnel ne voie dans ces paroles une promesse temporelle, il ajoute aussitôt : « Je leur donnerai un nom éternel qui ne leur fera jamais défaut (3). C'est comme s'il eût dit : Pourquoi tergiverser, aveuglement impie , pourquoi tergiverser ? Pourquoi envelopper des ombres de ta perversité une vérité si pure ? Devant cette éclatante lumière des Ecritures, pourquoi chercher à invoquer des ténèbres accusatrices? Pourquoi ne promettre à la sainte continence qu'une récompense temporelle ? « Je leur donnerai un nom éternel! » Pourquoi ne supposer qu'un but purement humain à ceux

 

1. I Tim. IV, 8. — 2. II Cor. IV, 18. — 3. Is. LVI, 4, 5.

 

qui ont conservé intègre leur virginité, et qui ne renoncent pas aux jouissances de la chair que pour donner toutes leurs pensées à Dieu, et chercher en tout à lui plaire? « Je leur donnerai un nom éternel !  » Sur quoi vous appuyez-vous pour. soutenir qu'il ne s'agit que de la terre, dans ce royaume des cieux pour lequel ils ne reculent devant aucune des exigences de la virginité ? « Je leur donnerai un nom éternel ! » Ce mot ne signifie-t-il à vos yeux qu'un nom durable? Ecoutez donc cette accumulation, cette insistance: « Et ce nom ne défaillira jamais ! » Que cherchez-vous de plus? Que voulez-vous de plus ce nom éternel, quel qu'il soit, avec sa signification évidente d'une gloire propre et excellente, est réservé aux eunuques de Dieu, à l'exclusion du grand nombre, alors même ,que tous seraient dans le même royaume et dans la même demeure. La propriété essentielle d'un nom, n'est-elle pas de distinguer de tous les autres ceux qui l'ont reçu?

 

 

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CHAPITRE XXVI. LE DENIER ACCORDÉ A TOUS LES OUVRIERS DE LA VIGNE.

 

26. Que signifie alors, nous disent-ils, ce denier accordé indistinctement à tous les ouvriers de la vigne, soit à ceux qui avaient travaillé depuis la première heure, soit à ceux qui n'avaient commencé qu'à la onzième (1) ? — Et comment ne pas y voir la preuve que tous posséderont en commun le royaume des cieux ou la vie éternelle; dans ce séjour où seront rassemblés tous deux que Dieu a prédestinés, appelés, justifiés et glorifiés? « Il faut », dit l’Apôtre, « que ce corps corruptible révélé l’incorruptibilité, et que ce corps mortel revête l'immortalité » ; tel est le denier ou la récompense commune. «Les étoiles », cependant; «diffèrent l'une de l'autre en splendeur; telle sera aussi la résurrection des morts». Evidemment, il est ici question de la différence des mérites chez les saints. Le denier désigne le ciel, j'y consens ; mais n'est-ce pas au ciel que sont aussi suspendus tous les astres? Et cependant « autre est la gloire du soleil, autre celle de la lune, autre celle des étoiles (2)». Veut-on voir dans ce denier l'image de la santé du corps? La santé, quand elle existe, n'est-elle pas commune à tous les membres?

 

1. Matt. XX, 9. — 2. I Cor. XV, 53, 41, 42.

 

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et si elle persévère jusqu'à la mort, jusque-là aussi elle est leur partage égal. Et cependant « c'est Dieu qui a déplacé ces membres dans le corps, comme il l'a voulu (1) », afin que le corps tout entier ne fût pas l’oeil, ne fût pas l'ouïe, l'odorat. Chacune de ces parties a sa spécialité, quoique, pour toutes, la santé soit égale et commune. Ainsi la vie éternelle en elle-même sera le partage de tous les saints; voilà ce que figure le denier accordé à tous les ouvriers. Mais, dans le ciel, les mérites brilleront d'un éclat divers; voilà pourquoi il y a diverses demeures dans la maison de mon Père (2). Le denier est le même pour tous quant à sa nature, parce que la vie, au ciel, n'est pas plus longue pour les uns que pour les autres; mais les demeures y sont nombreuses et diverses, parce que la gloire n'y est pas la même pour tous.

 

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CHAPITRE XXVII. GLOIRE EXCELLENTE ET SPÉCIALE RÉSERVÉE AUX VIERGES.

 

27. Courage donc, enfant de Dieu,Jeunes gens et jeunes filles , hommes et femmes vierges; persévérez jusqu'à la fin. Louez le Seigneur avec d'autant plus de suavité que vous pensez à lui plus fréquemment; espérez d'autant plus heureusement en lui que vous le servez avec d'autant plus de constance; aimez-le avec d'autant plus d'ardeur que vous apportez plus de soins à lui plaire. « Les reins ceints et la lampe allumée, attendez le Seigneur à son retour des noces (3)». Aux noces de l'Agneau vous apporterez un cantique nouveau, que vous chanterez sur vos harpes. Ce cantique ne sera pas celui que chante toute la terre, à laquelle il est dit : « Chantez au Seigneur un cantique nouveau; que toute la terre chante le Seigneur (4)». Ce cantique, vous seuls pourrez le chanter. C'est vous qu'a vus dans l'Apocalypse ce disciple bien-aimé qui reposa sa tête sur la poitrine de son Maître, et y aspira à longs traits., pour les célébrer ensuite, les merveilles du Verbe de Dieu. Il vous a vus en nombre incalculable, chantant sur vos harpes la virginité sans tache dans le corps, et la vérité pure dans le coeur. Il a écrit de vous que vous suivez l'Agneau partout où il va (5). Et où donc va l'Agneau, quand nul autre que vous n'ose ou ne peut le suivre?

 

1. I Cor. XII, 18. — 2.  Jean, XIV, 2. — 3. Luc, XII, 35, 36. — 4. Ps. XCV, 1. — 5. Apoc. XIV, 2-4.

 

Où va-t-il? Dans quelles forêts? Dans quels gras pâturages? Là sans doute où la joie surabonde, non pas cette vaine joie du siècle, ces mensonges insensé; non pas même cette joie que goûteront dans le royaume des cieux, ceux qui ne sont pas vierges; mais une joie différente de toutes les autres joies, la joie des vierges, joie de Jésus-Christ, en Jésus-Christ, avec Jésus-Christ, après Jésus-Christ, par Jésus-Christ, pour Jésus-Christ. La joie propre aux vierges de Jésus-Christ, n'est pas la même que la joie des époux, qui pourtant appartiennent aussi à Jésus-Christ. Aux autres, d'autres joies, mais à personne une joie aussi grande. Plongez-vous-y, suivez-y l'Agneau, car la chair de l'Agneau est vierge aussi. En croissant, l'Enfant divin a conservé en lui-même ce trésor qu'il n'a ravi à sa mère ni dans sa conception, ni dans sa naissance. Il est donc vrai de dire que vous le suivez parla virginité du coeur et de la chair. En effet, qu'est-ce. que suivre quelqu'un, sinon l'imiter? «Jésus-Christ a souffert pour nous, nous donnant l'exemple, afin, dit saint Pierre, que nous marchions sur ses traces (1) ». Chacun le suit dans ce en quoi il l'imite, non pas en tant qu'il est le Fils unique de Dieu, par qui tout a été fait, mais en tant qu'il est le Fils de l'homme, car c'est ainsi qu'il s'est posé comme modèle et a réalisé dans sa personne tout ce .qu'il nous est nécessaire d'imiter. Combien de choses pour tous à reproduire dans sa personne ! Quant à la virginité de la chair, elle n'est point donnée à tous, car elle est devenue absolument impossible à ceux qui l'ont une première fois perdue.

 

 

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CHAPITRE XXVIII. JUSQU'A QUEL POINT TOUS PEUVENT-ILS SUIVRE L'AGNEAU.

 

28. Que ceux qui ont perdu la virginité du corps suivent l'Agneau, non point partout où il ira, mais jusqu'où ils pourront. Or ils le peuvent partout, excepté dans la gloire de la virginité. «Bienheureux les pauvres en esprit»: imitez celui qui étant la richesse même, s'est fait pauvre pour nous (2). « Bienheureux ceux qui sont doux» : imitez Celui qui a dit «Apprenez de moi que je suis doux et humble de coeur (3)». Bienheureux ceux qui pleurent»: imitez Celui qui a pleuré sur Jérusalem (4).

 

1. I Pier. II, 21. — 2. II Cor. VIII, 9. — 3. Matt. XI, 29. — 4. Luc, XIX, 41.

 

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« Bienheureux ceux qui ont faim et soif de la justice » ; imitez Celui qui a dit: « Ma nourriture est de faire la volonté de celui qui m'a envoyé (1) ». « Bienheureux ceux qui font miséricorde » : imitez Celui qui a porté secours à l'étranger blessé par les voleurs et gisant demi-mort sur le chemin. «Bienheureux ceux « qui ont le coeur pur » : imitez Celui qui n'a commis aucun péché et dont les lèvres n'ont jamais articulé le mensonge (2). «Bienheureux ceux qui aiment la paix» : imitez Celui qui, parlant de ses persécuteurs, s'est écrié: « Mon Père, pardonnez-leur, car ils ne savent ce qu'ils font (3)». «Bienheureux ceux qui souffrent persécution pour la justice (4) » : imitez « Celui qui a souffert pour vous, vous donnant l'exemple, afin que vous marchiez sur ses traces (5) ». Ceux qui suivent cette voie d'imitation, suivent par cela même l'Agneau. Les époux peuvent aussi courir cette carrière leur marche y sera sans doute moins ferme et moins parfaite; toutefois ces sentiers ne leur sont point fermés.

 

 

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CHAPITRE XXIX. GENRE D'IMITATION RÉSERVÉ AUX VIERGES. AU CIEL POINT DE JALOUSIE.

 

29. Mais voici que l'Agneau s'avance dans la voie de la virginité. Comment pourraient le suivre ceux qui ont perdu ce qu'ils ne peuvent plus recouvrer? Vous, du moins, ses vierges bien-aimées, suivez-le; marchez sur ses traces; la virginité vous donne seule le droit de le suivre partout où il va. Nous pouvons exhorter les époux à le suivre vers tout autre degré de la sainteté; mais celui-ci leur est irrévocablement fermé. Suivez-le donc, et conservez avec constance ce que vous avez voué avec ardeur. Loin de vous tout ce qui pourrait vous ravir la belle virginité ; car une fois perdue , tout serait impuissant à vous la rendre.

La foule des fidèles, qui ne peut jusque-là suivre l'Agneau , vous contemplera avec amour ; elle vous verra et ne jalousera point votre bonheur; en glorifiant en vous ce qu'elle n'a point, elle le possédera en quelque sorte. Chanter ce cantique nouveau qui vous est propre, la foule ne le peut; mais elle pourra

 

1. Jean, IV, 34. — 2. Luc, X, 30-35. — 3. I Pierre, II, 22. — 4. Luc, XXIII, 34. — 5. Matt. V, 3-10. — 6. I Pier. II, 21.

 

l'entendre et se réjouir de votre glorieux privilège. Pour vous, qui le chanterez et l'entendrez tout ensemble, plus beaux seront vos tressaillements, plus grand sera votre bonheur. Ce bonheur, toutefois, ne soulèvera aucune amertume dans l'âme de ceux qui en seront privés. Car l'Agneau, que vous suivrez partout où il va, n'abandonnera pas ceux qui ne peuvent le suivre avec vous. Il est tout-puissant; il vous précédera sans se séparer des autres, car « Dieu sera tout en tous (1) ». Les moins favorisés ne nourriront aucune jalousie contre vous; et là où nulle jalousie ne règne , les différences ne détruisent point l'union. Confiance donc, courage et persévérance, vous qui, pour le Seigneur votre Dieu, formez et accomplissez les veaux de perpétuelle continence, non pour le siècle présent, mais pour le royaume des cieux !

 

 

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CHAPITRE XXX. LA VIRGINITÉ, OEUVRE DE SURÉROGATION ET NON DE PRÉCEPTE.

 

30. Et vous qui n'avez pas fait ce voeu, emparez-vous-en, si vous le pouvez (2) ; courez sans relâche, afin d'arriver au but (3). Apportez chacun votre victime et entrez dans le sanctuaire du Seigneur (4). Pourtant aucune nécessité ne vous contraint; vous êtes libres. Il est dit : « Tu ne commettra point d'adultère, tu ne tueras point (5) » ; mais il n'est pas dit vous ne vous marierez pas. Là s'impose le précepte, ici s'offre le conseil. Suivez-le et vous serez glorifiés; mais en résistant au précepte vous seriez condamnés. Dans l'un, Dieu nous impose un devoir; dans l'autre, si nous faisons plus que ce qui nous est commandé, le Seigneur nous le rendra au centuple (6). N'oubliez pas que dans la demeure éternelle, il y aura, quelle qu'elle soit, une place plus excellente que celle des fils et des filles. N'oubliez pas qu'il y aura là un nom éternel (7). Qui nous expliquera ce que doit être ce nom? Quel qu'il soit, il est certain qu'il sera éternel. Cette foi, cette espérance et cet amour vous ont rendus capables non pas seulement d'éviter les unions défendues, mais encore de vous élever au-dessus même de ce qui vous est permis.

 

1. I Cor. XV, 28. — 2. Matt. XIX, 12. — 3. I Cor. IX, 24. — 4. Ps. XCV, 8. — 5. Exo. XX, 13,14. — 6. Luc, X, 35. — 7. Is. LVI, 5.

 

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CHAPITRE XXXI. L'HUMILITÉ NÉCESSAIRE AUX VIERGES.

 

31. Nous n'avons rien négligé pour exalter, comme il le mérite, le privilège de la chasteté. Mais plus il est excellent et divin, plus il nous impose aussi la nécessité de parler de sa plus sûre gardienne, l'humilité. Si, appuyées sur les saintes Ecritures, les vierges se comparent aux personnes mariées, elles se trouveront supérieures par leurs oeuvres et par la récompense, par leur veau et par la couronne qui l'attend. Mais qu'aussitôt elles se rappellent ces paroles de l'Ecriture : « Plus tu es grand, plus tu dois en tout t'humilier et tu trouveras grâce devant le Seigneur (1)». La mesure de l'humilité pour chacun, est la mesure même de sa grandeur. De là le danger de l'orgueil, dont les insinuations perverses sont toujours en proportion du degré d'élévation. Il est immédiatement suivi de la jalousie, sa compagne et sa fille. En effet, c'est de l'orgueil qu'est issue la jalousie ; la mère et la fille sont inséparables. Le grand maître de ces deux vices, c'est le démon. Voilà pourquoi la religion chrétienne s'attaque avant tout à l'orgueil et à sa fille, la jalousie. Son précepte par excellence, c'est l'humilité, principe et sauvegarde de la charité. C'est de la charité que l'Apôtre dit : « Elle ne jalouse pas » ; et comme s'il voulait en donner la raison, il ajoute aussitôt : « Elle ne s'enfle pas (2) » ; c'est-à-dire, elle repousse l'envie parce que l'orgueil lui est en horreur. La première chose que fit Jésus-Christ, le grand docteur de l'humilité, fut « de s'anéantir lui-même en prenant la forme d'esclave, en se faisant semblable à l'homme et en prenant l'extérieur de l'homme; il s'est humilié lui-même en se faisant obéissant jusqu'à la mort, et à la mort de la croix (3) ». Que la doctrine de Jésus-Christ se propose d'une manière spéciale d'insinuer l'humilité ; qu'elle en fasse un précepte vivement recommandé, comment recueillir tous les documents qui le prouvent, ou en donner une explication complète? Que celui qui voudra faire un traité spécial de l'humilité, tente cette noble entreprise; mais tel n'est pas le but de cet ouvrage; du reste, la vertu dont il y est traité est si grande, qu'elle doit avant tout se défier de l'orgueil.

 

1. Eccli. III, 20. — 2. I Cor. XIII, 4. — 3. Philip. II, 7, 8.

 

 

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CHAPITRE XXXII. L'HUMILITÉ PRESCRITE PAR JÉSUS-CHRIST.

 

32. Je vais donc citer quelques passages seulement, ceux que le Seigneur daigne me rappeler à la mémoire et dans lesquels Jésus-Christ expose sa doctrine sur l'humilité. Ces passages suffiront pour le but que je me propose. Dans le premier grand discours qu'il ait adressé à ses disciples, il commence par ces paroles : « Bienheureux les pauvres en esprit, car le royaume des cieux est à eux (1) », paroles qui évidemment ne s'appliquent qu'aux humbles. Si Jésus-Christ loue avec une complaisance si marquée la foi du centurion, s'il déclare qu'il n'en a jamais trouvé d'aussi vive en Israël, c'est parce que l'humilité lui a dicté ces paroles : « Je ne suis pas digne que vous entriez dans ma maison (2) ». Saint Luc indique clairement que ce centurion ne se rendit pas en personne auprès du Sauveur, mais qu'il députa vers lui quelques-uns de ses amis (3). Saint Matthieu au contraire nous le montre aux pieds même de Jésus-Christ pourquoi, sinon pour nous faire entendre que son humilité le plaçait plus près de Jésus-Christ que ceux qu'il lui avait envoyés? De là, ce mot du prophète : « Le Seigneur est plus élevé que les cieux, et il jette un regard sur les humbles, tandis qu'il ne voit que de loin les superbes (4) »; car ceux-ci ne s'approchent point de lui. De là aussi cette parole du Sauveur à la chananéenne : « O femme, ta  foi est grande ; qu'il soit fait comme tu veux ». Et cependant il n'y avait qu'un instant qu'il l'avait traitée de chienne et avait affirmé qu'on ne devait pas lui jeter le pain des enfants. Accueillant humblement cette dure parole, elle avait répondu : « C'est vrai, Seigneur, mais les chiens ne mangent-ils pas les miettes qui tombent de la table de leur maître? » Ce qu'elle n'avait pu obtenir par ses clameurs multipliées, elle l'obtint par son humilité (5).

Deux hommes, l'un, pharisien, l'autre publicain, nous sont proposés priant dans le temple. C'est pour confondre ceux qui se croient justes et qui n'ont que du mépris pour les autres. Ici le Sauveur préfère la confession des péchés à l'énumération des bonnes oeuvras. Le pharisien, en effet, remerciait

 

1. Matt. V, 3. — 2. Id. VIII, 5-10. — 3. Luc, VII , 6, 7. — 4. Ps. CXXXVII, 6. — 5. Matt. XV, 22-28.

 

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Dieu des actions dans lesquelles il se complaisait : « Je vous rends grâces, dit-il, de ce que je ne suis pas comme les autres hommes, injustes , voleurs , adultères , et surtout comme ce publicain. Je jeûne deux fois la semaine, je donne la dîme de tout ce que je possède. Quant au publicain, il se tenait loin du sanctuaire, et sans oser lever les yeux au ciel, il se frappait la poitrine en disant  « Seigneur, ayez pitié de moi qui ne suis qu'un pécheur ». La sentence divine ne se fit point attendre : « En vérité, je vous le déclare , le publicain descendit plus justifié que le pharisien ». La raison, la voici : « Celui qui s'élève sera abaissé, et celui qui s'abaisse sera exalté (1) ». Il peut donc arriver que quelqu'un évite réellement le mal et trouve en lui un bien réel dont il rend grâces au Père des lumières, de qui vient tout don parfait et excellent (2). Cependant il sera réprouvé pour son orgueil, si seulement dans sa pensée et devant Dieu il méprise les autres pécheurs, surtout ceux qui confessent leurs fautes. Car les pécheurs, loin de mériter d'orgueilleux reproches, doivent exciter, la pitié et la confiance.

Les apôtres demandaient à leur Maître lequel d'entre eux serait le premier; le Sauveur plaça au milieu d'eux un petit enfant en leur disant : « Si vous ne devenez comme cet enfant, vous n'entrerez pas dans le royaume des cieux (3) ». N'était-ce pas recommander hautement l'humilité et en faire le principe de toute grandeur réelle? Aux enfants de Zébédée qui ambitionnaient d'être assis à ses côtés dans son royaume, Jésus-Christ répondit qu'ils devaient se préparer à boire son calice (4), les humiliations auxquelles il s'est condamné jusqu'à mourir et mourir sur la croix (5), plutôt que d'aspirer orgueilleusement à être préférés aux autres. C'était leur montrer clairement qu'il ne rendrait grands que ceux qui l'auraient suivi dans le chemin de l’humilité. Immédiatement avant sa passion, il lava les pieds à ses Apôtres, et les avertit de faire les uns à l'égard des autres ce qui venait d'être fait pour eux, par leur Seigneur et Maître (6) ; quelle puissante exhortation à l'humilité! Or, pour la leur adresser, il choisit le moment où, sur le point de courir à la mort, il attirait sur lui leurs regards étonnés. C'était là le dernier

 

1. Luc, VIII, 10-14. — 2.  Jac, I, 17. — 3. Matt. XVIII, 1-3. — 4. Id. XX, 21, 22 . — 5. Philipp. II, 8. — 6. Jean, XIII, 1-17.

 

exemple offert à leur imitation par le divin Maître; c'était celui aussi dont ils devaient garder plus fidèlement le souvenir. Ce qu'il aurait pu faire en toute autre circonstance, pendant qu'il était avec eux, le Sauveur le réserva pour ce moment suprême. En toute autre occasion l'exemple eût été donné, mais il n'eût pas été également bien reçu.

 

 

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CHAPITRE XXXIII. L’HUMILITÉ NÉCESSAIRE AUX CHRÉTIENS, MAIS SURTOUT AUX VIERGES.

 

33. Le chrétien porte le nom même de Jésus-Christ. C'est assez dire qu'il doit pratiquer l'humilité, car ce serait ne pas connaîtra; l'Evangile que de ne pas y voir les plus hautes leçons d'humilité que nous y donne le Sauveur. Mais la pratique de cette vertu est spécialement nécessaire à ceux qui brillent au-dessus des autres par quelque privilège spécial. Ceux-là surtout ne doivent pas oublier cette parole déjà citée : « Plus tu es grand, plus tu dois t'humilier et tu. trouveras grâce devant Dieu (1) ». Comme une grande vertu, dans l'Eglise de Dieu. c'est la continence perpétuelle et surtout la sainte virginité, aucun soin n'est à négliger  pour soustraire cette vertu à l'injustice de l'orgueil.

 

 

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CHAPITRE XXXIV. QUELLES VIERGES EXHORTONS-NOUS A L'HUMILITÉ.

 

34. Saint Paul signale des veuves curieuses et causeuses, et il attribue ce défaut à l’oisiveté. «Celles qui restent dans l'oisiveté, dit-il, mettent leur plaisir à aller de maison en maison ; elles ne sont pas seulement oisives, elles sont aussi curieuses et causeuses, et s’entretiennent de ce qu’elles devraient taire». Parlant encore de ces veuves, il avait dit plus haut : « Evitez les jeunes veuves. Comme elles passent leur vie dans tes délices, elles veulent se marier en Jésus-Christ; mais elles sont condamnables parce qu'elles ont violé leurs premiers engagements », c'est-à-dire qu'elles n'ont pas persévéré dans leur première résolution. L'Apôtre ne dit pas que ces jeunes veuves se marient, mais qu'elles veulent se marier. Beaucoup, en effet, renoncent au mariage, non point par fidélité à une belle résolution, mais par crainte d'un (139) déshonneur public. Cette crainte elle-même vient de l'orgueil, qui redoute plutôt de déplaire aux hommes qu'à Dieu. Celles donc qui veulent se marier, mais qui ne le font pas parce qu'elles ne le pourraient impunément, feraient beaucoup mieux de se marier que de, brûler, c'est-à-dire que de sentir la flamme secrète de la concupiscence les dévorer dans leur conscience; d'autant plus qu'elles se repentent de leur engagement et qu'elles ont honte de l'avouer. A moins donc qu'elles ne répriment les élans de leur coeur, à moins qu'à l'aide de la crainte et de la grâce de Dieu elles ne domptent leurs passions, elles doivent être mises au rang des morts. Si elles vivent dans les délices, elles méritent cette dénomination, car on doit alors leur appliquer ce mot de l'Apôtre : « Celle qui vit dans les délices, est réellement morte, toute vivante qu'elle paraisse (1) ». Vivent-elles dans le jeûne et les travaux? Alors encore elles doivent être mises au rang des morts, si elles n'usent d'aucune répression à l'égard de leur coeur et si elles s'adonnent à l'ostentation plutôt qu'à la réforme d'elles-mêmes. A de telles vierges c'est en vain que je chercherais à recommander le grand travail de l'humilité; il suffit que leur orgueil soit confondu et tourmenté par les blessures de la conscience.

            Il en est de même de celles qui se livrent à l'intempérance, à l'avarice ou à quelqu'autre maladie aussi condamnable. Elles professent la continence corporelle, et leurs moeurs perverses sont en elles une contradiction manifeste. A quoi bon, dès lors, chercher à leur recommander encore le soin important de l'humilité chrétienne? N'iraient-elles pas faire ostentation de leur misère, et ne se contenteraient-elles pas du retard apporté au châtiment qu'elles méritent? Que dire de celles que tourmente le désir de plaire, soit par un vêtement dont leur profession condamne l'élégance affectée, soit par les bandelettes capricieuses dont elles ornent leur tête, soit par les renflements exagérés de leur chevelure, soit par la ténuité des voiles qui laissent apercevoir la vanité de leur coiffure? A ces vierges on ne doit point parler d'humilité; qu'on leur rappelle avant tout les devoirs de la chasteté et les délicatesses de la pudeur.

Présentez-moi une vierge professant la continence perpétuelle, étrangère à tous ces vices

 

1. I Tim. V, 11, 12, 13, 6.

 

et à toutes ces faiblesses, je ne crains plus pour elle qu'une seule chose, l'orgueil; je tremble qu'elle ne s'enorgueillisse de l'heureux état dont elle jouit. Plus elle a de motifs de se complaire en elle-même, plus je crains qu'elle ne déplaise à Celui « qui résiste aux superbes et donne sa grâce aux humbles (1) ».

 

 

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CHAPITRE XXXV. L'HUMILITÉ APPRISE A L'ÉCOLE DE JÉSUS-CHRIST.

 

35. C'est surtout dans la personne de Jésus-Christ qu'il nous faut considérer le précepte et l'exemple de l'intégrité virginale. A ceux qui pratiquent la continence je ne puis, au sujet de l'humilité, que répéter ce que le Sauveur nous dit à tous : « Apprenez de moi que je suis doux et humble de coeur ». C'est par là qu'il terminait la révélation de ses grandeurs; et quand lui, si grand, veut nous montrer combien pour nous il s'est fait petit, il s'écrie: « Je le confesse devant vous, ô mon Père, Seigneur du ciel et de la terre, vous avez caché ces choses aux sages et aux prudents et vous les avez révélées aux petits. C'est là, ô mon Père, le dessein qui vous a plu. Tout m'a été donné par mon Père, et personne ne connaît le Fils , le Père seul le connaît; et personne ne connaît le Père, si ce n'est le Fils et celui à qui le Fils l'a révélé. Venez à moi, vous tous qui êtes affligés « et chargés, et je vous soulagerai. Portez mon « joug sur vos épaules et apprenez de moi que je suis doux et humble de coeur (2) ». Oui, Celui à qui le Père a tout donné et que personne ne connaît si ce n'est le Père; Celui qui seul connaît le Père, et qui peut seul le faire connaître, Jésus-Christ enfin n'a pas dit : Apprenez de moi à créer le monde ou à ressusciter les morts, mais . « Que je suis doux et humble de coeur ». O enseignement salutaire! O Maître et Seigneur des hommes dans le sein desquels la mort s'est glissée avec le breuvage de l'orgueil ! Jésus-Christ n'a pas voulu enseigner ce qu'il n'était pas, il n'a voulu commander que ce qu'il accomplissait lui-même! Je vous vois, ô Jésus, je vous contemple avec ces yeux de la foi, que vous m'avez ouverts, criant au genre humain assemblé tout entier : « Venez à moi et apprenez de moi» . O Fils éternel de Dieu par qui tout a été fait , Fils de l'homme, qui avez été fait vous-même

 

1. Jac. IV, 6. — 2. Matt. I, 25-29.

 

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dans la plénitude des temps, qu'apprendrons-nous en venant à vous ! « Que je suis doux,  répond-il, et humble de coeur ». Est-ce à cela que se résument tous les trésors de sagesse et de science cachés en vous (1)? Tout, pour nous, consiste-t-il à apprendre de vous que vous êtes doux et humble de coeur? Etre petit, est-ce donc une si grande chose, que si elle ne venait pas de vous il serait impossible de l'apprendre? Je le crois en toute assurance; car on ne peut trouver le repos de l'âme qu'à la condition de rejeter loin de soi cette humeur inquiétante, qui nous faisait paraître grands à nos yeux, quand nous étions en proie à cette maladie de l'orgueil.

 

 

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CHAPITRE XXXVI. LA DOCTRINE DE L'HUMILITÉ FACILEMENT COMPRISE PAR LES PÉCHEURS.

 

36. Qu'ils vous écoutent, qu'ils viennent à vous, qu'ils apprennent de vous à être doux et humbles, ceux qui , en vivant pour vous et non pour eux, cherchent la miséricorde et la vérité. Qu'il entende cette parole, le malheureux accablé sous son fardeau, qui n'ose pas même lever les yeux vers le ciel et se tient au loin, en se frappant la poitrine dans la conviction de son péché (2). Qu'ils l'entendent, ce centurion qui ne se juge pas digne de vous recevoir dans sa demeure (3) ; ce Zachée, prince des publicains, restituant quatre fois la valeur de ce qu'il a usurpé (4); cette pécheresse publique qui arrose vos pieds de ses larmes, confessant qu'elle avait été loin de suivre vos traces (5) ; ces femmes de mauvaise vie et ces publicains qui précèdent les Scribes et les Pharisiens dans le royaume des cieux (6); tous ces malades enfin qui vous font un crime de manger; ceux qui, se croyant sains, ne cherchaient pas le médecin, quand vous déclariez n'être pas venu pour appeler les justes mais les pécheurs à la pénitence'. En se convertissant à vous, tous ces malheureux deviennent facilement doux et humbles de coeur en votre présence, grâce au souvenir toujours vivant de leur vie criminelle et de votre infinie miséricorde ; car, où le péché a abondé, a surabondé la grâce (7).

 

1. Coloss. II, 3. — 2. Luc, XVII , 13. — 3. Math. VIII, 8. — 4. Luc, XIX, 2, 8. — 5. Luc, VII, 37, 38. — 6. Matt. XXX, 31. — 7. Id. IX,11-13. — 8. Rom. V, 20.

 

 

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CHAPITRE XXXVII. BEAU MODÈLE D'HUMILITÉ PROPOSÉ AUX VIERGES.

 

37. Mais regardez, Seigneur, cette troupe de vierges, enfants et jeunes filles; c'est dans votre Eglise que leurs rangs se sont formés; c'est auprès de vous qu'ils ont sucé le lait maternel ; c'est pour prononcer votre nom que leur langue s'est déliée ; ce nom a été pour eux le lait de l'enfance. Parmi eux aucun ne peut dire : J'ai d'abord été blasphémateur et calomniateur et outrageux, mais j'ai obtenu miséricorde parce que j'ai agi dans l'ignorance de mon incrédulité (1). Ce n'était pas un précepte mais un simple conseil que vous proclamiez en disant: « Qui peut prendre prenne », ils ont pris, ils ont voué. Pour le royaume des cieux ils ont embrassé la continence, non pas sous le coup de quelque menace de votre part, mais sous l'influence seule de vos exhortations (2).

A ceux-là criez et ils le comprendront, « que vous êtes doux et humble de coeur ». Plus ils sont grands, plus ils doivent s'humilier en tout, afin de trouver grâce à vos yeux. Ils sont justes; mais est-ce comme vous, jusqu'à justifier l'impie ? Ils sont chastes; mais leurs mères les ont engendrés et nourris dans le péché (3). Ils sont saints; mais vous êtes le Saint des saints. Ils sont vierges; mais ils ne sont pas nés d'une vierge. Ils sont purs d'esprit et de corps; mais ils ne sont pas le Verbe fait chair. Qu'ils apprennent donc, non pas de ceux qui ont besoin de pardon, mais de vous-même, Agneau de Dieu qui effacez les péchés du monde (4), qu'ils apprennent que vous êtes doux et humble de cœur.

38. O âme chrétiennement pudique , qui avez enchaîné l'appétit charnel jusqu'à vous refuser au mariage; qui avez refusé à votre corps, condamné à périr, la jouissance de se reproduire dans une postérité ; qui avez imprimé des habitudes célestes à des membres fragiles et terrestres ; pour vous apprendre l'humilité, je ne vous propose ni les publicains ni les pécheurs qui cependant précéderont les orgueilleux dans le royaume des cieux; je ne vous les propose pas, car, sortis qu'ils sont du gouffre impur, ils ne méritent pas d'être présentés à l'imitation de la sainte virginité. C'est au Roi du ciel que je vous renvoie, à Celui par qui les hommes ont été

 

1. 1 Tim. I, 13. — 2. Matt, XI, 8, 12. — 3. Ps. I, 7. — 4. Jean, I, 14, 29.

 

créés et qui, pour eux, s'est fait homme parmi les hommes. Je vous propose le plus beau des enfants des hommes (1), Celui qui a été couvert de mépris par les hommes et pour eux, Celui qui, Maître souverain des anges immortels, n'a pas dédaigné de se faire l'esclave des mortels, voilà votre modèle ! Ce n'est assurément pas l'iniquité qui le rendit humble,. mais la charité, « la charité qui ne jalouse pas, qui ne s'enfle pas, qui ne cherche pas son propre avantage (2)». Loin de chercher à se complaire en lui-même, Jésus-Christ a pu dire en toute vérité : « Les opprobres de ceux qui vous injuriaient sont retombés sur moi (3) ». Levez-vous, allez à lui et apprenez qu'il est doux et humble de coeur.

Vous n'irez pas à celui qui, écrasé sous le poids de l'iniquité, n'osait lever les yeux au ciel; mais à celui qui est descendu du ciel, entraîné sous le poids de sa charité (4) ! Vous n'irez pas à celle qui arrosa de ses larmes les pieds de son Maître, implorant le pardon pour sa vie criminelle ; mais à Celui qui, en pardonnant tous les péchés, a lavé les pieds de ses serviteurs (5). Je connais l'excellence de votre virginité ; voilà pourquoi je ne vous propose pas l'exemple du publicain accusant humblement ses fautes ; mais je crains pour vous le pharisien, tirant vanité de ses mérites (6). Je ne vous dis point . Soyez semblable à celle dont il fut dit : « Beaucoup de péchés lui sont remis, parce qu'elle a beaucoup aimé »; mais je crains qu'en voyant la légèreté de vos fautes pardonnées, vous n'aimiez que faiblement (7).

 

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CHAPITRE XXXVIII. LA CRAINTE NÉCESSAIRE AUX VIERGES.

 

39. Je suis pour vous saisi d'une grande crainte. Si vous vous glorifiez de pouvoir suivre l'Agneau, partout où il va, je tremble que, gonflées d'orgueil, vous ne puissiez le suivre par le sentier étroit. O âme virginale, conservez dans votre coeur ce que vous y avez reçu par le baptême , conservez aussi dans votre corps ce qui y était en naissant; mais il est bon aussi que, sous l'influence de la crainte du Seigneur, vous conceviez et enfantiez l'esprit de salut (8). « La crainte, il est vrai, n'est

 

1. Ps. XLIV, 3. — 2. I Cor. XIII, 4, 5 . — 3. Rom. XV, 3. — 4. Jean, II, 38. — 5. Id. XIII, 5. — 6. Luc, XVIII, 10 - 14. —  7. Id. VII, 38, 47. — 8. Is. XXVI, 18.

 

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pas dans la charité, et la charité parfaite l'exclut entièrement (1) ». Mais la crainte dont il est ici parlé, c'est la crainte humaine et non la crainte surnaturelle; la crainte des maux temporels et non la crainte du jugement de Dieu. « Gardez-vous de porter trop haut vos prétentions, mais craignez (2)? » Aimez la bonté de Dieu, mais craignez la sévérité de sa justice ; l'amour et la crainte ne supportent point l'orgueil. En aimant, vous craignez d'offenser gravement Celui que vous aimez et qui vous aime. Or, quelle offense plus grande que de déplaire, par l'orgueil, à Celui qui, à cause de vous, s'est attiré la haine des orgueilleux ? Cette chaste crainte, qui demeure dans le siècle des siècles (3), où peut-elle mieux se trouver qu'en vous qui, étrangère à toutes les pensées du monde et au soin de plaire à un époux, n'avez de pensées que pour Dieu et ne cherchez à plaire qu'à lui seul (4) ? La crainte humaine ne s'allie point avec la charité; mais cette crainte chaste dont je parle en est inséparable. Si vous n'aimez pas, craignez de périr; si vous aimez, craignez de déplaire. La charité exclut la première de ces deux craintes; elle s'allie intimement à la seconde.

Saint Paul a dit : « Nous n'avons pas reçu l'esprit de servitude pour craindre, mais l'esprit d'adoption des enfants et c'est par lui que nous crions : mon Père (5) » . L'Apôtre fait ici allusion à cette crainte, donnée sous l'Ancien Testament, de la perte des biens temporels, que Dieu avait promis à ceux qui, loin d'être ses enfants sous l'empire de la grâce, n'étaient que des esclaves sous l'empire de la loi. La crainte peut aussi avoir pour objet le feu éternel; servir Dieu pour échapper à ce feu, ce n'est pas encore faire preuve de charité parfaite. En effet, il y a une différence à établir entre le désir de la récompense et la crainte du châtiment. S'écrier :  « Où irai-je loin de votre esprit? finirai-je loin de votre face (6) ?» c'est bien différent que de dire: « J'ai demandé une seule chose au Seigneur et je m'y attacherai : c'est d'habiter tous les jours de ma vie dans la maison du Seigneur, afin d'y contempler les joies éternelles et de m'abriter, moi son temple » ; ou bien encore : « Ne détournez pas de moi votre face (7) » ; ou encore. « Mon âme est défaillante au désir d'arriver à la maison du

 

1. I Jean, IV, 18. — 2. Rom. XI, 20. — 3. Ps. XVIII, 10. — 4. I Cor. VII, 32. — 5. Rom. VIII, 13. — 6. Ps. CXXXVIII 7. — 7. Ps. XXVI, 4, 9.

 

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Seigneur (1) ». Laissez les premières paroles à celui qui n'osait pas lever les yeux au ciel et à celle qui arrosait de ses larmes les pieds du Sauveur pour obtenir le pardon de ses crimes; les autres ne s'appliquent qu'à vous, dont l'unique sollicitude est de plaire au Seigneur et de vous rendre sainte de corps et d'esprit. La crainte agitée; celle que rejette la charité parfaite, doit s'approprier les premières paroles; les secondes appartiennent à cette chaste crainte du Seigneur, qui subsiste encore  pour les siècle des siècles. A l'une et à l'autre il doit être dit : «Gardez-vous déporter trop haut vos prétentions, mais craignez » ; que l'homme donc ne s'élève ni par la justification de ses péchés, ni par la, présomption de sa justice. Si l'Apôtre a dit : « Vous n'avez pas reçu l'esprit de servitude pour craindre » ; il dît aussi de la crainte qui accompagne la charité : « J'ai beaucoup craint pour vous et beaucoup tremblé (2) ». Ne voulant pas que l'olivier greffé s'élevât d'orgueil au-dessus des rameaux brisés de l'olivier sauvage, il a prononcé cette sentence : « N'aspirez point à tant « de hauteur, mais craignez ». S'adressant ensuite à tous les membres du Christ en général, il ajoute : « Opérez votre salut avec crainte et tremblement, car c'est Dieu qui opère en vous la volonté et l'action suivant son bon plaisir (3) ». Il n'est plus possible dès lors d’appliquer, d'une manière exclusive, à l'Ancien Testament , ces autres paroles : « Servez le Seigneur avec crainte et tressaillez en lui avec tremblement (4) » .

 

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CHAPITRE XXXIX. FRAGILITÉ HUMAINE.

 

40. S'il est des membres de son corps, de la sainte Eglise, qui doivent aspirer à fournir à l'Esprit-Saint un lieu de repos, n'est-ce pas ceux qui professent la sainteté virginale ? Comment peut-il reposer, s'il ne trouve pas de lieu convenable? Ce lieu, n'est-ce pas le cœur humble; ce cœur il le remplit et ne le quitte point, il l'élève et ne l'abaisse pas. Ecoutons ces paroles d'une clarté évidente : « Sur qui se reposera mon Esprit? Sur celui qui est « humble, tranquille, et qui craint mes oracles (1) ». Déjà votre vie est juste , pieuse, pure, sainte et d'une chasteté virginale ;

 

1. Ps. LXXXIII, 3. — 2. I Cor. II, 3. — 3. Philip. II, 12, 13. — 4. Ps. II, 11 .— 5. Is. LXVI, 2.

 

cependant vous êtes encore en ce monde, et vous n'êtes pas humilié d'entendre ces paroles: «Est-ce que toute la vie humaine sur la  terre n'est pas une tentation (1) ? » Ne trouvez-vous pas votre présomption condamnée par ces mots. « Malheur au monde à cause de ses scandales (2) ? » Vous ne tremblez pas d'être du nombre de la multitude dont la « charité se refroidit parce qu'abonde l'iniquité (3) ». Vous ne frappez pas votre poitrine à ces paroles: « Que celui qui se flatte d'être debout, prenne garde de tomber (4)». Entre ces avertissements du ciel d'un côté, et de l'autre entre ces dangers de la vie, à quoi bon insister pou persuader l'humilité aux vierges saintes?

 

 

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CHAPITRE XL. LES CHUTES OU PROCHAIN SONT UN AVERTISSEMENT POUR NOUS. — LA VIRGINITÉ EST UN DON DE DIEU.

 

41. Si Dieu permet que dans votre profession même il arrive un si grand nombre de chutes, n'est-ce pas pour que cette vite augmente votre crainte et étouffe votre orgueil, cet orgueil que Dieu hait à tel point que pour lui seul le Très-Haut s'est condamné à tant d'humiliations ? Pour diminuer votre crainte et accroître votre orgueil, jusqu'au point de n'aimer que faiblement Celui qui vous a aimés jusqu'à se livrer lui-même pour vous (5), direz-vous qu'il ne vous a été accordé qu'un léger pardon, puisque, depuis votre enfance, vous avez gardé la foi, la pudeur, une pieuse chasteté et une virginité sans tache? Quoi donc ! ne devriez-vous pas aimer avec des ardeurs d'autant plus vives Celui qui, en pardonnant les crimes de ceux qui reviennent à lui, a soutenu votre faiblesse et-vous a empêché de tomber ? Ce pharisien, qui aimait si peu, parce qu'il croyait qu'il n'avait eu besoin que d'un léger pardon (6), n'était-il pas victime de cette erreur aveugle, qui, en lui laissant ignorer la justice divine, le portait à ne chercher que la sienne propre et le tenait ainsi en dehors du royaume de Dieu (7) ? Mais vous, race choisie, et choisie entre les élus mêmes, chœurs de vierges, appelés à la suite de l'Agneau, vous aussi, la grâce vous a sauvée par la foi, et ce don ne vient pas de vous, mais de Dieu; il n'est pas le fruit de vos oeuvres,

 

1. Job, VII, 1. — 2. Matt. XVIII, 7. — 3. Id. XXIV, 12. — 4. I Cor. X, 12. — 5. I Gal. II, 20. — 6. Luc, VII, 36-47. — 7. Rom., X, 3.

 

pourquoi donc y trouveriez-vous un sujet, d'orgueil? «Nous sommes son ouvrage, créés, en Jésus-Christ, dans les bonnes oeuvres pour lesquelles Dieu nous a préparé le chemin (1) ».

L'aimerez-vous donc d'autant moins qu'il vous aura plus comblés de ses dons? Unetelle démence ferait horreur. Puisque le Verbe a dits que celui-là aime moins, à qui il a été moins pardonné, si vous voulez exciter en vous de nouvelles ardeurs, si vous voulez aimer davantage Celui qui vous a rendus libres des sollicitudes et. des soins du mariage, regardez comme vous avant été pardonné tout le mal que, sous l'inspiration divine, vous avez évité. « Que vos yeux soient toujours vers le Seigneur, car il arrachera vos pieds aux embûches (2) ». Ou bien : « Si le Seigneur ne garde pas la cité, c'est en vain qu'a veillé celui qui la garde (3) ». L'Apôtre parlant de la continence elle-même, s'écrie : « Je voudrais que tous les hommes fussent comme moi, mais chacun a reçu de Dieu un don particulier, l'un d'une manière, l'autre d'une autre (4) ». Quel est Celui qui distribue ces dons, qui gratifie chacun comme il le veut (5)  ? N'est-ce pas Dieu qui ne connaît point l'iniquité (6)? Quant à savoir quel est son dessein en établissant la diversité de ses dons, l'homme ne le peut; il suffit que l'on sache que cette diversité est parfaitement équitable; et qui pourrait en douter? « Qu'avez-vous donc que vous n'ayez reçu (7) ? » et par l'effet de quelle perversité aimez-vous d'autant moins pue vous avez reçu davantage

 

 

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CHAPITRE XLI. TOUTES LES VERTUS SONT DES DONS DE DIEU.

 

42. Ainsi donc, la première condition pour parvenir à l'humilité, c'est de croire que la virginité. loin d'être notre oeuvre propre, est réellement le don par excellence, descendant du Père des lumières en qui ne se fait aucun changement ni aucune obscurité (8). Convaincu de cette vérité, que l'homme se garde bien de croire qu'il peut n'aimer que faiblement parce qu'il ne lui a été que peu pardonné. Qu'il se mette en garde contre l'ignorance de la justice de Dieu, contre la prétention de fonder sa

 

1. Eph. III 8-10.— 2. Ps. XXIV, 15. — 3. Ps. CXXVI, l. — 4. I Cor. VII, 7. — 5. Id. XII, 11. — 6. Rom. XI, 14. — 7. I Cor. IV, 7.— 8. Jac. I, 17.

 

justification sur lui-même et contre tout sentiment de révolte contre la sanctification qui nous vient du ciel. Telle ne fut pas la conduite de ce Simon qui fut devancé par cette femme à laquelle beaucoup de péchés furent pardonnés parce qu'elle aima beaucoup.

Une pensée plus salutaire; encore et en même temps plus vraie, c'est de regarder comme nous étant pardonnés tous les péchés auxquels Dieu nous a soustraits par sa grâce. J'en prends à témoin ces cris de pieuses supplications contenues dans les Saintes Ecritures, et qui nous prouvent que les préceptes de Dieu ne sont accomplis qu'avec la grâce et le secours du Dieu qui nous les impose. En effet, toutes ces prières seraient autant de mensonges, si nous pouvions; sans le secours de la grâce, accomplir ce que nous demandons. Ainsi le précepte par excellence n'est-il pas d'obéir aux commandements de Dieu? Or, cette obéissance est très-souvent l'objet de la prière : « Vous avez ordonné de garder vos commandements » , et immédiatement après : « Puissent mes voies se diriger toujours vers l'accomplissement de vos préceptes ! alors je ne serai pas confondu à la vue de vos commandements (1) ». Le prophète vient de rappeler les ordres de Dieu, maintenant il lui demande la grâce de les accomplir, afin de ne point se laisser aller au péché. Quand le péché est commis, on est obligé de s'en repentir; défendre, excuser son péché, c'est périr soi-même par orgueil, en refusant de faire périr le péché par la pénitence. Cette bonne volonté, nous la demandons à Dieu, ce qui prouve que nous ne pouvons l'avoir sans le secours de Celui à qui nous la demandons. « Placez, Seigneur, dit David, une garde à ma bouche et la continence en sentinelle sur mes lèvres; ne laissez pas mon coeur s'incliner vers des paroles coupables, jusqu'à chercher des excuses dans mon péché, à l'exemple des hommes qui commettent l'iniquité (2) ». Si donc l'obéissance qui nous porte à accomplir les commandements, et la pénitence qui accuse et non qui excuse; ses péchés, sont l'objet de la prière; c'est une preuve manifeste que l'obéissance et la pénitence nous viennent du ciel, qui nous eu fait le don ou nous en accorde le secours. Au sujet de l'obéissance en particulier, il est dit : « Les pas de l'homme sont dirigés par le Seigneur,

 

1. Ps. CXVIII, 4-6. — 2. Ps. CXL, 3, 4.

 

 

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c'est lui qui leur trace le chemin (1)». Au sujet de la pénitence, l'Apôtre s'écrie : « Dieu peut-être leur accordera la pénitence (2) ».

 

 

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CHAPITRE XLII. C'EST DIEU QUI DONNE LA CONTINENCE ET LA SAGESSE.

 

43. Enfin, quant à la continence il a été dit « Je savais que personne ne peut être continent, à moins que Dieu ne lui en fasse la grâce ; et c'est le propre de la sagesse de savoir de qui vient ce don (3) ».

Il ne suffit pas que la continence soit un don de Dieu, il faut à l'homme la sagesse de reconnaître que ce don ne vient pas de lui, mais de Dieu. Ecoutez : « Dieu a rendu sages des aveugles (4); le témoignage de Dieu est fidèle, il donne la sagesse aux enfants (5); si quelqu'un désire la sagesse, qu'il la demande à Dieu qui donne à tous abondamment et sans faire de reproche, et il l'obtiendra (6) ». Or, les vierges doivent être sages, si elles ne veulent pas que leurs lampes s'éteignent (7). Et comment seront-elles sages, si ce n'est en ne s'élevant pas vers ce qu'il y a de plus élevé, et en s'inclinant vers ce qu'il y a de plus humble, en s'occupant des petites choses (8) ? C'est la sagesse même qui a dit à l'homme: « La piété, voilà la sagesse (9) ». Si donc vous n'avez rien que vous ne l'ayez reçu, ne vous élevez point si haut dans vos pensées, mais craignez (10). Gardez-vous surtout de n'aimer que faiblement, sous prétexte qu'il ne vous a été que peu pardonné ; au contraire, aimez beaucoup, parce que vous avez beaucoup reçu. Si celui à qui il a été donné pour le dispenser de payer, aime beaucoup; combien plus doit aimer celui qui a reçu pour conserver. Or, si une âme a conservé sa pureté première, c'est que Dieu a dirigé ses pas; et si une autre a quitté l'impureté pour devenir chaste, c'est que Dieu l'a retirée du mal ; enfin, si l'on reste impudique jusqu'à la fin, c'est que Dieu a abandonné. Quoique Dieu fasse en cela, ses desseins nous sont inconnus, mais ils ne sauraient être injustes. S'il nous les cache, n'est-ce pas afin de nous faire craindre davantage et de nous empêcher de nous enorgueillir?

 

1. Ps. XXXVI, 23. — 2. II Tim. II, 25. — 3. Sag. VIII, 21. — 4. Ps. CXLV, 8. — 5. Ps. XVIII, 8. — 6. Jac. I, 5. — 7. Matt. XXV, 4. — 8. Rom. XII, 16. — 9. Job, XXVIII, 28. — 10. Rom. XI, 20

 

 

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CHAPITRE XLIII. LES VIERGES NE DOIVENT PAS SE PRÉVALOIR DU DON DE DIEU.

 

44. Quoique persuadé que c'est la grâce de Dieu qui l'a fait ce qu'il est, l'homme rencontre devant lui une autre sensation d'orgueil, celle de se prévaloir de la grâce même jusqu'à n'avoir que du mépris pour les autres. C'est le crime du pharisien, qui rendait grâces à Dieu du bien qui était en lui et en même temps se préférait au publicain, abîmé dans l'aveu de ses fautes (1). Que doit faire une vierge? Que doit-elle penser pour ne point se préférer à ceux ou à celles qui n'ont point reçu le don de la virginité? Ce n'est point une humilité feinte qu'on lui demande, mais une humilité réelle ; feindre l'humilité, ce serait le comble de l'orgueil. Après ces paroles: « Plus tu es grand, plus tu dois t'humilier en tout», l'Esprit-Saint, voulant nous montrer que l'humilité doit être véritable, ajoute aussitôt : « Et tu trouveras grâce devant Dieu (2) » ; lequel évidemment ne pourrait approuver une humilité menteuse.

 

 

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CHAPITRE XLIV. MOTIF D'HUMILITÉ POUR UNE VIERGE.

 

45. Que dirai-je encore ? Se peut-il quelque motif qui, mûrement pesé, empêche une vierge de se préférer à la femme fidèle, non-seulement à la veuve, mais même à l'épouse? Pour en trouver, je ne supposerai pas une vierge réprouvée, car qui ne sait que la femme obéissante doit être préférée à la vierge rebelle ? Je les suppose toutes deux d'une obéissance égale aux préceptes de Dieu; mais ne craindra-t-elle pas de préférer la sainte virginité aux chastes noces, et la continence au mariage, le fruit centième, au fruit trentième? Elle ne doit pas hésiter un seul instant. Et cependant, que cette vierge obéissante et craignant Dieu se garde bien de se préférer personnellement à cette femme également obéissante et craignant Dieu, autrement elle cesserait d'être humble, et « Dieu résiste aux superbes (3) ». Quelle pensée doit donc l'occuper? La pensée des dons secrets de Dieu ; dons qui ne sont jamais connus, même de ceux qui les possèdent, qu'en présence de l'épreuve. En effet, sans parler d'autre chose,

 

1. Luc, XVIII, 10-14. — 2. Eccli. III, 20. — 3. Jac. IV, 6.

 

cette vierge, tout empressée qu'elle est de se livrer aux exercices de la piété, à ce qui peut plaire à Dieu, oserait-elle affirmer qu'aucune faiblesse inconnue de la volonté, ne l'empêche d'être mûre pour le martyre; tandis que cette femme qu'elle méprise, peut déjà boire le calice de la souffrance chrétienne; ce calice prédit par Jésus-Christ aux deux disciples, amateurs du premier rang (1) ? Sait-elle que peut-être elle est bien loin de ressembler à Thècle, tandis que cette femme est déjà, peut-être, une autre Crispine ?

Quoi qu'il en soit, il est certain que ce don précieux du martyre ne se dévoile que dans la tentation.

 

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CHAPITRE XLV. LE CENTIÈME, LE SOIXANTIÈME ET LE TRENTIÈME.

 

46. Et cependant il est si grand que plusieurs auteurs y voient le fruit qui produit au centième. En effet, l'Eglise, dans sa souveraine autorité, a réservé, dans la célébration des saints mystères, une place signalée aux martyrs et aux vierges défuntes. Que signifie cette fécondité diverse ? J'en laisse la décision à plus habiles que moi. La virginité est-elle le centième; le veuvage le soixantième, et la vie conjugale le trentième? Ou bien, dans ces trois catégories, devons-nous voir le martyre, la virginité et le mariage? On bien encore, sera-ce la virginité unie au martyre qui produira au centième ; la virginité seule au soixantième, tandis que le mariage, par lui-même, ne produira qu'au trentième, et s'élèvera au soixantième s'il est uni au martyre? Comme les dons de la grâce sont multipliés, les uns plus grands, les autres plus faibles, ce qui a fait dire à l'Apôtre: «Aspirez toujours à des dons plus élevés (2)», ne serait-il pas plus juste d'admettre plus de trois catégories dans les dons de Dieu? D'abord ce serait une erreur de n'attribuer aucun fruit à la continence viduelle, ou de la placer dans un rang inférieur à la pudeur conjugale, ou de l'égaler à la gloire virginale. Ce serait se tromper aussi de croire que la couronne du martyre, qu'elle soit uniquement l'objet d'un désir habituel en dehors de toute occasion de souffrir, ou bien qu'elle ait eu occasion de se manifester dans les tourments, n'ajoute absolument aucun mérite à l'une ou à l'autre de ces trois espèces de chasteté. Enfin beaucoup de

 

1. Matt. XX, 22. — 2. I Cor. XII, 31.

 

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 vierges, quoiqu'engagées dans la continence perpétuelle, ne vont pas cependant jusqu'à réaliser cette parole du Seigneur: « Si tu veux être parfait, va, vends tout ce que tu as, donne-le aux pauvres, et tu auras acquis un grand trésor dans le ciel ; puis, viens et suis-moi (1) ». Elles n'oseraient, dès lors, se mêler à la société de ceux qui ne possèdent rien en propre, et pour qui tout est commun (2). Or, croyons-nous que les vierges qui portent jusque-là le renoncement, n'acquièrent aucun nouveau titre à la récompense? Ou bien que si elles ne vont pas jusqu'à ce degré de perfection, il ne leur sert de rien d'être vierges ?

 

 

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CHAPITRE XLVI. EXCELLENCE DE LA VIE COMMUNE POUR LES VIERGES.

 

Concluons, dès lors, que les dons de Dieu sont nombreux, mais différents l'un de l'autre en excellence. Tel n'a à faire fructifier qu'un petit nombre de ces dons, mais ils sont d'une nature plus élevée; tel autre n'a que des dons inférieurs, mais ils sont en plus grand nombre. Qui donc poussera la témérité jusqu'à égaliser ou diversifier entre les hommes les honneurs éternels qui les attendent, surtout quand il est certain que ces dons sont différents et qu'ils fructifient, non pas pour cette vie, mais pour la vie éternelle? Le Seigneur nous parle, il est vrai, de trois fructifications en particulier (3), mais il laisse supposer les autres. Un des évangélistes ne parle même que du centuple u; doit-on en conclure ou qu'il réprouvait ou qu'il ignorait les deux autres nombres? N'a-t-il pas plutôt voulu en abandonner la supputation à l'intelligence de chacun ?

47. Que le centuple désigne la virginité religieuse ou tout autre état, toujours est-il que nous ne devons pas confondre ces différents degrés de rapport. Personne, je crois, n'osera préférer la virginité au martyre, et tous affirmeront sans hésiter que ce don du martyre peut exister, quoiqu'occulte, tant qu'il n'est pas en face de l'épreuve qui doit le manifester.

 

1. Matt. XIX, 21. — 2. Act. II, 44 et IV, 32. — 3. Matt. XIII, 8. — 4. Luc, VIII, 8.

 

 

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CHAPITRE XLVII. QUELLE VIERGE EST SURE DE POUVOIR ENDURER LE MARTYRE ?

 

Ainsi, toute vierge peut conserver l'humilité sans porter aucune atteinte à la charité, le plus excellent des dons de Dieu, et sans lequel tous les autres dons ne sont rien, qu'ils soient rares ou nombreux, grands ou petits. Oui, elle a de quoi ne pas s'exalter, ne pas s'enorgueillir; en restant persuadée qu'en général la virginité l'emporte de beaucoup sur l'état du mariage, est-elle sûre si telle ou telle épouse ne pourrait pas aujourd'hui supporter, pour Jésus-Christ, des souffrances sous lesquelles elle succomberait elle-même, et que Dieu lui épargne pour ne pas soumettre sa faiblesse à de trop fortes épreuves ? « Dieu est fidèle, dit l'Apôtre, il ne permettra. pas que vous soyez  tentés au-dessus de vos forces; et si l'épreuve « se présente, il vous donnera la grâce de la surmonter  ». Il est donc possible que tels époux ou épouses vivant saintement dans l'état du mariage, soient capables de résister au mal jusqu'à avoir les entrailles déchirées et verser leur sang, tandis que telles vierges ne pourraient porter jusque-là l'amour de la justice ou de la pureté. Autre chose est, par amour pour la vérité, ou par fidélité à son devoir, de ne consentir ni aux suggestions ni aux caresses; et autre chose de résister aux tortures et aux mauvais traitements. Ce courage et cette force restent cachés jusqu'au moment où la tentation les dévoile et que l'expérience les manifeste. Si donc on est tenté d'orgueil à la vue de ce 'qu'on peut, qu'on pense humblement que peut-être on resterait impuissant devant quelque chose de plus parfait à accomplir; tandis que d'autres, qui sont dans un état inférieur à celui qui inspire de l'orgueil, pourraient ce qu'on ne pourrait pas soi-même. En suivant cette règle, on établira sa vie sur une humilité véritable et sincère ; « on se préviendra et on s'honorera mutuellement par des témoignages de respect (2) », et « chacun se trouvera inférieur à son frère (3) ».

 

 

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CHAPITRE XLVIII. AUTRE MOTIF D'HUMILITÉ.

 

48. Que dirai-je du soin et de la vigilance à apporter pour éviter le péché? « Qui peut se

 

1. I Cor. X, 13. — 2. Rom. XIV, 10. — 3. Philip. II, 3.

 

glorifier d'avoir le coeur pur? qui peut se glorifier d'être sans péché (1) ? » On a peut-être conservé intègre la virginité depuis la naissance: « mais personne », dit Job; « n'est  pur en votre présence, pas même l'enfant qui n'est que depuis un jour sur la terre (2)». On a même conservé dans la foi une certaine chasteté virginale, celle qui unit l'Eglise vierge à son unique Époux; mais cet unique Époux, s'adressant non-seulement aux vierges d'esprit et de corps, mais à tous les chrétiens, depuis les plus spirituels jusqu'aux plus charnels, depuis les apôtres jusqu'aux derniers pénitents, depuis les sommités du ciel jusqu'aux extrémités de la terre (3), leur a appris à dire dans la prière : « Pardonnez-nous nos offenses comme nous pardonnons à ceux qui nous ont offensés. (4) » ; or, en nous faisant prier, le  Sauveur nous avertissait  de ne pas oublier ce que nous sommes, car, en nous apprenant à demander ce pardon, ce n'est pas pour les péchés commis dans la vie passée et effacés par le baptême , autrement cette prière ne serait que pour les catéchumènes jusqu'à leur baptême. Cette prière est récitée après le baptême et chaque jour, par les prêtres et les fidèles, par les pasteurs et le troupeau :n'est-ce pas une preuve manifeste que dans cette vie, qui est tout entière une tentation (5), personne ne peut se flatter d'être sans péché ?

 

 

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CHAPITRE XLIV. L'AVEU DES PÉCHÉS.

 

49. Si donc les vierges suivent l'Agneau partout où il va, c'est à la condition d'être irrépréhensibles, et elles le sont par l'expiation de leurs péchés et par la conservation de leur virginité; car on ne peut la recouvrer si on a eu le malheur de la perdre. L'Apocalypse, qui leur attribue ce privilège, les loue aussi d'avoir soustrait leurs lèvres à toute espèce de mensonges (6), les avertissant ainsi que la vérité leur défend de dire qu'elles sont sans péché. Le même Apôtre dit encore : « Si nous prétendons que nous sommes sans péché, nous nous trompons nous-mêmes , et la vérité n'est pas en nous. Si, au contraire, nous confessons nos fautes, Dieu, juste et fidèle, nous, les pardonnera et nous purifiera de toute iniquité. Au lieu qu'en disant que

 

1. Prov. XX, 9. —  2. Job. XXV, 4. — 3. Matt. XXIV, 31 — 4. Id. VI, 12. — 5. Job. VII, 1. — 6. Ap. XIV, 4, 5.

 

 

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nous n'avons pas péché, nous faisons de « Dieu un menteur, et sa parole n'est point en nous ». Ce passage n'a pas un sens restreint, il s'applique à tous les chrétiens sans en exclure les vierges. Cette confession est pour elles le moyen d'être sans mensonge, comme les a vues l'auteur de l'Apocalypse. Jusqu'au moment donc où elles auront atteint la perfection dans la gloire céleste, qu'elles cherchent l'innocence dans une humble confession de leurs fautes.

50. Peut-être allez-vous prendre de là occasion de vous tranquilliser sur vos péchés et même d'y persévérer par la raison qu'ils seront promptement effacés par une facile confession. C'est pour détruire cette illusion que l'Apôtre ajoute : « Mes petits enfants, je vous écris en ces termes, afin que vous ne péchiez pas. Si quelqu'un se rend coupable, nous avons Jésus-Christ pour avocat auprès de son Père; il nous servira de propitiation pour nos péchés (1) ». Ne quittons donc pas le péché avec la pensée d'y retomber bientôt; ne faisons aucun pacte avec l'iniquité; mettons notre joie à l'éviter, et non à la confesser.

 

 

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CHAPITRE L. LE PÉCHÉ LÉGER, AGGRAVÉ PAR L'ORGUEIL ET DÉTRUIT PAR L'HUMILITÉ.

 

Toutefois ceux-là même qui déploient la vigilance la plus active pour éviter le péché, entraînés qu'ils sont par la fragilité humaine, le commettent encore quelquefois; ces péchés sont légers, ils sont rares, mais enfin ce sont des péchés. Que l'orgueil vienne y ajouter son poids, ils deviennent de graves et redoutables péchés. Confessons-les plutôt avec la plus profonde humilité ; et le Prêtre que nous avons au ciel les effacera et ils disparaîtront avec la facilité la plus grande.

51. Je ne m'adresse toutefois nullement à ceux qui soutiennent que l'homme, ici-bas, peut vivre sans péché; je ne veux engager contre eux aucune discussion. On pourrait dire que nous jugeons des grandes âmes d'après notre profonde misère, et que nous nous aveuglons en nous comparant nous-mêmes à nous-mêmes (2). Mais je sais une chose, c'est que ces grandes âmes, et nous n'en sommes pas, nous n'en n'avons jamais connu de telles, plus elles sont grandes, plus elles s'humilient et prennent

 

1. Jean, I, 8 ; II, 2. — 2. II Cor. X, 12.

 

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partout le dernier rang afin de trouver grâce devant Dieu. Quelque grandes qu'elles soient, en effet, il sera toujours vrai de dire que « le serviteur n'est pas au-dessus de son Seigneur, ni le disciple plus grand que son Maître (1)». Or le Seigneur est Celui qui a dit : « Tout m'a été donné par mon Père » ; et le Maître . « Venez à moi vous tous qui êtes dans  la peine et apprenez de moi  ». Et qu'apprendrons-nous? « Que je suis doux et humble de coeur (2) ».

 

 

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CHAPITRE LI. DIEU EST LE GARDIEN DE LE LA VIRGINITÉ DANS LES HUMBLES.

 

52. Mais, me dira-t-on peut-être, ce n'est plus de la virginité, c'est de l'humilité que vous parlez. Mais ai-je entrepris de parler de la virginité en général, et non pas de la virginité selon le cœur de Dieu ? Or plus ce bien me paît précieux, plus je crains pour lui les ravages et les coups de l'orgueil. Garder la virginité, Dieu seul le peut, car lui seul en est la source. Or Dieu est charité (3) ; la véritable gardienne de la virginité, c'est donc la charité, et celle-ci ne siège que dans l'humilité. En effet, c'est uniquement dans un coeur humble qu'habite Celui qui représente l'Esprit-Saint comme prenant son repos dans celui qui est humble, paisible, et qui tremble à sa parole (4). Je ne suis donc pas sorti de mon sujet , car pour faire conserver avec plus de soin le bien que j'ai loué; j'ai voulu préparer la place à qui est chargé de la garder. Sans craindre aucunement de soulever contre moi la colère de ceux à qui je veux faire partager mes alarmes, je dis hautement qu'il sera plus facile aux époux humbles qu'aux vierges orgueilleuses, de suivre l'Agneau, non pas partout où il va, mais là où il leur sera donné de l'accompagner, Comment, en effet, suivre Celui dont on ne veut pas s'approcher? Et comment s'en approcher quand on ne vient pas à lui pour apprendre : « Je suis doux et humble de coeur? » Ainsi donc, si l'Agneau a des humbles à sa suite, et les conduit partout où il va, c'est qu'il trouve en eux une place pour y reposer sa tête. Or un homme orgueilleux et rusé lui disant : « Seigneur, je vous suivrai partout où vous irez »,

 

1. Jean, XIII, 16. — 2. Matt. X, 27-29. — 3. I Jean, IV, 8. — 4. Is. LXVI, 2.

 

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il lui répondit : « Les renards ont leurs tanières et les oiseaux leurs nids, tandis que le Fils de l'Homme n'a pas où reposer sa tête (1) ». Sous le nom de renards, le Sauveur condamnait l'astuce et la fraude; les oiseaux symbolisent l'orgueil; dans tout cela il ne trouvait donc pas l'humilité véritable sur laquelle il pût se reposer. Voilà pourquoi jamais il n'a suivi le Seigneur, cet homme qui avait promis de le suivre, non pas jusqu'à tel degré, mais partout où il irait.

 

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CHAPITRE LII. LA PRATIQUE DE L'HUMILITÉ, NÉCESSAIRE AUX VIERGES.

 

53. Courage donc, vierges du Seigneur, courage, suivez l'Agneau partout où il ira. Mais avant de le suivre, venez à lui et apprenez qu'il est doux et humble de coeur. Si vous l'aimez, venez humblement à Celui qui est l'humilité même, et ne vous séparez jamais de lui, si vous craignez de tomber; celui qui regarde comme un malheur de s'éloigner de lui, répète souvent cette humble supplication « Que le pied de l'orgueil ne vienne point « jusqu'à moi 1 ». Appuyées sur le pied de l'humilité, courez la voie de la plus haute perfection. Celui qui n'a pas rougi de descendre jusqu'à notre bassesse, exalte ceux qui le suivent dans l'humilité. Confiez-lui la garde des dons qu'il vous a faits; mettez en sûreté votre force près de lui s. Le mal que par sa protection vous ne commettrez pas, regardez-le comme vous étant pardonné ; autrement, vous seriez tentées de croire qu'il vous a été pardonné peu; vous n'aimeriez que peu, et gonflées d'un fatal orgueil, vous iriez jusqu'à mépriser les publicains' qui se frappent humblement la poitrine. Avez-vous fait en quelque chose l'expérience de vos forces ? Défiez-vous et ne vous enorgueillissez pas d'avoir pu porter tel fardeau. Quant à ce que vous n'avez pas expérimenté encore, priez afin que Dieu vous garde d'entreprendre au-delà de vos forces. Croyez que ceux que vous précédez extérieurement, vous sont supérieurs dans le secret de leur âme. Lorsque vous accueillez avec bienveillance le bien que l'on vous dit des autres, et que vous ignorez le bien que vous connaissez en vous, loin de diminuer par la comparaison, s'affermit

 

1. Matt. VIII, 19, 20. — 2. Ps. XXXV, 12. — 3. Ps. LVIII, 10.

 

et s'augmente par la charité; et celui que vous n'avez pas, vous l'obtiendrez d'autant plus facilement que vous le demanderez avec plus d'humilité. Prenez exemple sur celles qui persévèrent; quant à celles qui tombent, qu'elles augmentent vos craintes. Aimez celles-là et marchez sur leurs traces; pleurez sur celles-ci, de crainte que l'orgueil ne vous séduise. Gardez-vous de compter sur votre propre justice, et soumettez-vous à Dieu qui vous justifie. Pardonnez les fautes du prochain et priez pour les vôtres ; prévenez les péchés futurs par votre vigilance, et effacez par une humble confession les péchés passés.

 

 

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CHAPITRE LIII. LES VIERGES DOIVENT ÊTRE D'AUTANT PLUS HUMBLES QU'ELLES SONT PLUS SAINTES.

 

54. Vous êtes arrivées à conformer toutes vos oeuvres à la profession de la virginité. Homicides, sacrifices diaboliques, abominations, vols, rapines, fraudes, parjures, intempérance, luxure, avarice, ruse, jalousie, impiété, cruauté, non-seulement vous êtes dépouillées de tous ces vices, mais les fautes les plus légères ou qui le paraissent, on ne les rencontre point en vous. Ni votre visage n'est colère ; ni vos yeux, errants; ni votre langue, immodérée; ni votre rire, éclatant; ni vos jeux, bouffons; ni votre vêtement, immodeste; ni votre démarche, fière ou affectée ; « vous ne rendez point le mal pour le mal, la malédiction pour la malédiction (1); « Votre charité irait même jusqu'à donner votre vie pour vos frères (2) ». Voilà ce que vous êtes, parce que c'est là ce que vous devez être. Quand toutes ces vertus s'ajoutent à la virginité, les hommes ont sous les yeux le spectacle d'une vie angélique, et la terre voit des moeurs toutes célestes. Mais plus vous êtes grandes, plus vous devez vous humilier en tout, afin que vous trouviez grâce devant Dieu, qui résiste aux superbes, qui abaisse ceux qui s'élèvent, et laisse ceux qui s'enflent dans l'impossibilité de pénétrer par la porte étroite. C'est du reste une question superflue de demander si l'humilité se trouve partout où brûle la charité.

 

1. I Pier. III, 9. — 2. I Jean, III, 16.

 

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CHAPITRE LIV. LES VIERGES DOIVENT AIMER JÉSUS-CHRIST DE TOUT LEUR COEUR.

 

55. Puisque vous avez renoncé au mariage humain qui vous eût rendus pères où mères, aimez de tout votre cœur le plus beau des enfants des hommes. Il est tout entier à vous, puisque votre cœur est libre des liens du mariage. Contemplez la splendeur de votre bien-aimé : voyez-le égal à son Père et soumis à sa mère; régnant au ciel et serviteur sur la terre; créateur de tout être créé, et créé parmi tout. Contemplez avec amour ce qu'insultent en lui les orgueilleux; c'est sa beauté. Jetez les yeux de votre cœur sur les blessures du divin Crucifié, sur les cicatrices du divin Ressuscité, sur le sang d'un Dieu qui meurt, sur le prix de votre foi, sur le salaire de votre Rédemption. Appréciez la valeur de ces bienfaits; pesez-les dans la balance de la charité, et tout ce que vous aviez d'amour à dépenser pour votre mariage, donnez-le à l'Epoux.

 

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CHAPITRE LV. BONHEUR D'AIMER L'ÉPOUX DIVIN.

 

56. Ce qu'il recherche , c'est la beauté intérieure de cette âme par laquelle il vous a donné le pouvoir de devenir les filles bien-aimées de Dieu (1). Pour cela il ne demande pas de vous un beau corps, mais de belles moeurs pour réprimer les élans de la chair. Il n'est pas menteur dans ses promesses, et ne soulève pas la jalousie cruelle. Voyez avec quelle sécurité vous jouissez de son amour, car vous n'avez pas à craindre de lui déplaire par des soupçons. Le mari et la femme s'aiment parce qu'ils se voient, et ils craignent réciproquement ce qu'ils ne voient pas; ce qu'il voient ne peut donc leur procurer une joie assurée, puisque souvent ils soupçonnent intérieurement ce qui n'est pas. Dans Celui que vous ne voyez pas de vos yeux, mais que vous apercevez par la foi, vous ne

 

1. Jean, I, 12.

 

trouvez rien qui puisse vous blesser et vous n'avez pas à craindre qu'il s'offense de ce qui n'existe pas. Dans le mariage, vous auriez été ténues à un grand amour pour vos époux; quel amour ne devez-vous donc pas à Celui que vous avez préféré à tous les époux ? Tenez fixé dans votre cœur Celui qui pour vous fut attaché à la Croix; qu'il possède dans votre âme tout ce que vous avez refusé d'engager par le mariage. Il ne vous est pas permis de n'aimer que faiblement Celui pour qui vous avez refusé d'aimer, même ce que vous pouviez aimer. Or, si vous aimez de la sorte Celui qui fut doux et humble de coeur, je ne crains pour vous aucune espèce d'orgueil.

 

 

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CHAPITRE LVI. CONCLUSION.

 

57. Nous avons traité suffisamment, selon notre faible pouvoir, de la sainteté qui vous a mérité le nom de vierges consacrées, et de l'humilité qui est le moyen de conserver ce qui fait votre grandeur. Du reste, je laisse à ces trois enfants, que rafraîchissait dans les flammes Celui qu'ils aimaient de tout leur coeur, le soin de vous faire goûter. ce petit ouvrage; ils le feront en beaucoup moins de paroles, mais avec une autorité bien plus imposante, dans cet hymne où ils chantent la gloire de Dieu. En joignant l'humilité à la virginité dans les âmes invitées à bénir Dieu, ces enfants nous ont appris, jusqu'à la dernière évidence, que plus on est élevé dans la sainteté, plus on doit se mettre en garde contre les séductions de l'orgueil. Vous aussi, louez donc Celui, qui, au milieu des ardeurs de ce siècle, ne permet pas que vous brûliez des feux de la concupiscence, quoique vous ne soyez pas engagées dans les liens du mariage, et, en priant aussi pour nous, répétez : « Saints et humbles de coeur, bénissez le Seigneur, chantez l'hymne de la louange et tressaillez dans tous les siècles (1) ».

 

1. Dan. III, 87.

 

Traduction de M. l'abbé BURLERAUX.

 

 

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