Les Adversaires

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LES ADVERSAIRES DE LUTHER.

 

Parlant un jour du cardinal de Salzbourg, le docteur Luther dit : « Ce cardinal n'est pas un frère d'ignorance, mais un frère de malice ; il affecte des semblants de bon vouloir et de douceur, mais il n'est pas sincère ; il peut artificieusement se préparer et s'accommoder aux humeurs des gens, comme font les Italiens, qui donnent de belles paroles tandis que leurs cœurs restent remplis de malice. » — Et le docteur Luther ajouta en soupirant 

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profondément: « Ah ! Seigneur Jésus! donne-moi assez de vie et de force pour que je puisse raser la tête de ce prélat, car il tourne grandement ton nom en dérision ; c'est un coquin fieffé; il ne se gène pas pour se vanter qu'il est peu de ses stratagèmes qui ne lui aient réussi. Dernièrement j'écrivis en termes très rudes et très-durs à ce prélat et je lui reprochais avec beaucoup d'amertume et ses dérisions et ses mépris ; alors il avoua que dans les choses de la religion il avait tort, et qu'à cet égard il céderait volontiers le devant à Luther et se laisserait reprendre par lui; mais que, dans les autres affaires et les circonstances temporelles, il ne plierait en rien devant lui. Je vois que je dois le piquer encore. Ah! Seigneur! nous ne devons pas jouer avec toi, ni abuser de ton saint nom; il suffit que nous ayons péché contre loi; nous devons nous repentir et être contrits de nos fautes. A coup sûr, ce cardinal est comme un soldat qui vint dernièrement a moi, et quand Je lui conseillai de renoncer à sa conduite déréglée, il me répondit : «Si je pensais ainsi, je ne retournerais jamais à la guerre ! » Il en est de même de ce cardinal. » 

La bonne et pieuse princesse électrice de Saxe me demanda dernièrement s'il restait quelque espoir que le cardinal de Salzbourg se convertit. Je lui répondis : « Je ne le crois pas; cependant ce serait une grande joie pour moi s'il rentrait à temps en lui-même, revenait a la vérité et se repentait; mais il ne faut guère s'y attendre : je l'aurais plutôt pensé de Pilate, d'Hérode et de Dioclétien, qui péchèrent ouvertement. » La princesse me répliqua : « Dieu est tout-puissant et miséricordieux, et il aurait accueilli Judas s'il s'était repenti. » — Je répondis : « C'est vrai, madame, et Dieu ferait aussi miséricorde à Satan si, du fond de son cœur, il pouvait dire : Que Dieu ait pitié d'un pécheur connue moi. Mais hélas! il n'y a pas d'espoir pour ce cardinal, parce, qu'il s'oppose a la vérité reconnue. Il y a peu de jours qu'il a fait massacrer misérablement onze chrétiens, parce qu'ils avaient reçu la communion sous les deux espèces. Il est vrai que Dieu est tout-puissant et miséricordieux ; il peut accomplir au delà 

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de ce que nous sommes en état d'espérer, mais il ne peut faire que ce qu'il a prédestiné de faire, comme dit saint Paul : Ceux qu'il prédestine, il les appelle. Quand le Seigneur Dieu dit : « Je ne ferai pas ceci ou cela », alors il est temps pour nous de laisser nos cœurs s'abandonner au repos, comme Dieu dit a Samuel : Pourquoi pleures-tu pour Saül, voyant que je l'ai rejeté? Aussi ai-je perdu tout espoir au sujet de ce cardinal ; je remets ce qui adviendra à Dieu ; il y pourvoira. » 

Le docteur Luther dit une autre fois : « Le cardinal m'a souvent écrit en termes fort affectueux, pensant huiler mes lèvres, au point que je lui ai conseillé de prendre une femme; mais, eu même temps, il cherchait, sous le voile de ces paroles flatteuses, à me tromper. À la diète impériale d'Augsbourg, je reconnus sou véritable caractère ; il faisait encore montre d'une grande amitié pour moi, et, dans les cas importants, il me choisissait pour arbitre. Lorsque je fus parti, m'éloignant de la diète, il assembla les habitants de la ville et il leur adressa ces paroles : « bonnes gens, soyez moi soumis et recevez la communion sous une seule espèce, et non-seulement je serai pour vous un seigneur affectionné, mais de plus un père, un frère et un ami, et j'obtiendrai pour vous de l'empereur de grands privilèges, Mais dans le cas que vous refusiez de m'obéir, je serai votre ennemi déclaré et je jetterai vous et votre ville dans la plus grande  confusion. » N'étaient-ce pas les paroles d'un empereur turc plutôt que d'un prélat chrétien?»

« Au sujet de ce cardinal », dit une autre fois le docteur Luther, «je laisserai derrière moi ce témoignage, qu'après Néron et Caligula, il est le plus acharné des persécuteurs qui se soient élevés contre les serviteurs de Jésus-Christ. » 

Depuis vingt ans, j'ai vu plus de cinquante sectaires qui ont prétendu m'instruire ; mais Dieu m'a mis en garde contre eux; 

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il a dit : «Je te montrerai ce que tu dois souffrir en mon nom. » Saint Paul a dit aussi : « Il faut qu'il y ait des hérésies. » Puisqu'il en était ainsi du temps de l'apôtre, devons-nous nous attendre à être mieux traités que nos pères? Dès que la tyrannie et la persécution cessent, l'hérésie se déclare. 

On raconta qu'un grand nombre d'anabaptistes ayant été mis à mort, avaient péri avec beaucoup de fermeté et de joie. Pierre Weller demanda au docteur Luther s'ils étaient sauvés; le docteur répondit : «Nous devons juger et prononcer d'après l'Evangile ; il est écrit : « Celui qui ne croit pas est déjà condamné. » Nous devons donc tenir pour assuré qu'ils sont dans l'erreur, et qu'ils sont réprouvés. Toutefois, Dieu peut faire quelque chose en dehors des règles établies, ce qui nous est interdit.» 

On demanda si l'on pouvait mettre à mort les anabaptistes; le docteur Luther répondit : « Il y a deux sortes d'anabaptistes; les uns sont des séditieux déclarés ; leur doctrine est l'ennemie de l'autorité; un prince peut les juger et les condamner à mort; d'autres sont des fanatiques qui ont des opinions folles et étranges; pour ceux-là il faut d'ordinaire les bannir 

Le docteur Jacques Schenk, qui a été prédicateur de l'électeur Jean Frédéric, a agi de façon que, dit-il la vérité, on ne peut plus le croire. Il parle sans discernement au sujet du péché,

 

1 Luther avait dit une autre fois dans un moment d'humeur tolérante : « Christus non voluit vi et igne cogere hommes ad fidem.» Cependant Mélancthon conseilla et approuva le supplice de trois anabaptistes, Juste Muller de Schœnau, J. Peisker d'Eutersdorf et Henry Kraul, tailleur à Esperfelt; il applaudit à la mort de Servet. 

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ainsi que je l'ai moi-même entendu dire eu chaire à Eisenach, car il s'exprimait ainsi : «Le péché, le péché, le péché n'est rien (1), Dieu recevra les pécheurs, et il a dit qu'ils entreraient dans son royaume.» Schenk ne fait pas la distinction entre les péchés qui ont été commis et ceux que l'on commet au moment même et que l'on a l'intention de commettre. Lorsque le vulgaire entend dire que Dieu recevra les pécheurs, il dit: «Eh bien, péchons donc!» C’est une doctrine fort erronée. Quand il est dit que Dieu recevra les pécheurs, cela s'entend des pécheurs qui auront fait pénitence; il ya une distinction importante à faire entre agnitum peccatum qu'accompagne le repentir, et velle peccare qui est une inspiration du diable. 

Philippe Mélanchton écrivit de Francfort, qu'il avait à lutter avec les antinomiens, et qu'ils avaient séduit beaucoup de gens dans cette ville où ils avaient grandement répandu leurs opinions. Le docteur Luther dit :«Le diable est déchaîné, il se démène et frémit. Il occasionne de grands malheurs par l'entremise des antinomiens; il s'ensuivra bien des résultats fâcheux lorsque la loi sortira ainsi de l'Eglise pour passer dans l'Hôtel-de-Ville.» 

Le 15 avril 1539, on reçut des propositions imprimées à Leipzick et que l'on disait avoir été soutenues par Jean Hammer ; il y disputait avec beaucoup de subtilité ; il divisait la pénitence en trois espèces différentes, disant que celle des juifs, celle des païens et celle des chrétiens n'étaient pas les mêmes. Le docteur 

1 Luther avançait bien quelque chose d'analogue, lorsqu'il écrivait à Mélanchton, le 1er août 1521 ; « Sois pécheur et pèche énergiquement, mais que la foi soit plus grande que ton péché.... Il nous suffit que nous reconnaissions, par les richesses de la gloire de Dieu , l'agneau qui efface les péchés du monde, et dont le péché ne peut nous arracher, quand même nous commettrions en un seul jour un millier de milliers de fois la fornication ou le meurtre (ab hoc non avellit nos peccatum etiamsi milites uno die fornicemur aut occidamus). » 

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Luther dit : « Qui aurait pensé que l'on pût rencontrer des esprits aussi extravagants? Distinguer la pénitence d'après m personnes, est une erreur pernicieuse et condamnable; il n'est qu'une pénitence pour tous les hommes, puisque tous les hommes, les uns aussi bien que les autres, ont offensé un même Dieu, qu'ils soient juifs, chrétiens ou païens. Autant vaudrait dire qu'il y a une espèce de pénitence pour les hommes, et une pour les femmes; une pour les princes, et une pour les sujets; une pour les maîtres, une pour les valets ; une pour les riches, et une pour les pauvres. Est-ce que Dieu fait ainsi acception des personnes? »

 

Lorsque les hérétiques, a dit saint Hilaire, se prennent aux cheveux et se battent, la véritable Église a la paix. C'est ainsi que la secte d'Arius s'était développée après les sabelliens, et d'elle vinrent les eunomiens et les macédoniens (1); tandis qu'ils étaient en train de se mordre et de se déchirer, l'Eglise put goûter du repos et du calme, 

En 1542, maître Mathesius et les autres commensaux lurent a la table du docteur Luther l'ouvrage du juif baptisé Antoine 

1 Le système de Sabellius n'est qu'imparfaitement connu ; selon saint Epiphane, il était emprunte à un évangile apocryphe répandu en Egypte, écrit sous l'inspiration de la philosophie juive d'Alexandrie. Autant qu'il est permis de le reconnaître à travers l'obscurité des temps, Sabellius enseignait que Dieu et le monde étaient identiques, et que le Fils n'avait été qu'une forme de l'unité divine tombée passagèrement dans l'humanité.— Eunome, évêque de Cyzique, avait cherché à concilier l'arianisme et le sabellianisme ; il avançait que le Fils et le Saint-Esprit étaient des créatures, et que le Saint-Esprit était une production du Fils. Il ajouta, pour multiplier ses prosélytes, que ceux qui conserveraient sa doctrine, ne pourraient perdre la grâce, quelques péchés qu'ils commissent. Cette secte s'éteignit promptement, ainsi que celle de Macédonius, patriarche de Constantinople, qui, après avoir professé le semi-arianisme, fut déposé en 360 par les Ariens purs, et qui enseigna que le Saint-Esprit n'était qu'une simple créature semblable aux auges, quoique d'un ordre supérieur, assertion condamnée en 381 par le concile de Constantinople. 

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Margarita, De variis ritibus et ceremoniis Judœorum; le docteur dit : «Toutes les religions qui sont en opposition avec la véritable se fondent sur l’opus operatum, sur l'œuvre accomplie, disant : « Je ferai ceci ou cela, ce sera agréable à Dieu.» Mais il faut faire attention à une règle essentielle; c'est que toute oeuvre semblable est un acte d'idolâtrie. Les papistes n'admettaient pas ce principe, et chez eux ce n'était qu'œuvres de ce genre, ils en avaient beaucoup emprunté aux Juifs. » 

Martin Cellarius, ce drôle fort impie (1), me flattait en me disant : « Ta vocation est supérieure à celle des apôtres. » Je répondis : « Ah ! je ne suis nullement à comparer aux apôtres. » Il m'envoya quatre gros cahiers qu'il avait écrits au sujet du temple de Moïse et des allégories qu'il présentait; il s'y vantait arrogamment et il me louait aussi beaucoup, m'élevant au-dessus des apôtres. Satan a employé ces paroles pour me vexer. Je ne voulus pas le croire, et il m'insulta grossièrement ; je lui répondis: «Va-t'en, et fais ce que tu voudras. » Un autre vint me trouver du fond de la Basse-Allemagne, voulant disputer avec moi point sur point; c'était un ignare et je lui dis : « Nous ne disputerons qu'au sujet d'un pot de bière.» Il partit et me laissa. 

On parla d'un anabaptiste fameux qui, pendant trois jours, avail erré dans la solitude sans boire ni manger, et qui, revenant ensuite dans la ville, convoqua tous les habitants, les gens instruits comme les ignorants. Il les plaça en deux endroits sépares, et lorsqu'il s'adressa aux savants, il s'emporta beaucoup 

1 Cellarius, surnommé Borrhœus, après avoir été un des plus rigides sectateurs des dogmes de Luther, devint un anabaptiste des plus zélés; il mourut à Bâle en 1564. Il avait, sur ses derniers jours , embrassé les opinions des sociniens. Ses nombreux écrits théologiques, ses commentaires sur la Bible, rentrent dans la classe passablement considérable des livres qui sont comme si jamais ils n'avaient été. 

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contre la sagesse du monde ; lorsqu'il parla aux ignorants, il loua et exalta beaucoup leur simplicité. Le docteur Luther dit : « Les anabaptistes n'ont rien écrit contre moi; ils n'ont ni docteur ni personnage illustre parmi eux. C'est une canaille séditieuse. »

 

Les anabaptistes sont d'abominables coquins; ils se vantent d'être d'une extrême patience, ils disent qu'ils ne veulent pas porter les armes, et ils sont toujours altérés de sang (1). Ils n'ont pas l'image de Dieu, mais celle d'un vrai diable. Carlostadt fut un anabaptiste, il laissa mourir son fils sans baptême. 

Le roi d'Angleterre a écrit contre moi, mais c'est le diable qui l'a inspiré, et c'est du diable qu'il recevra sa récompense; il voudrait bien me poursuivre jusqu'en Allemagne; Dieu se chargera de nous défendre (2). 

1 Au sujet des anabaptistes, voir leur Histoire par le P. Catrou, le Pantheon anabaptisticum et enthusiasticum de Kornmayer, 1702, folio, etc. On connaît les fureurs et la fin tragique de Jean de Leyde, qui avait établi à Munster la polygamie et la communauté des biens. Parmi les nombreuses ramifications de l'anabaptisme, on peut signaler les Apostoliques qui, prenant à la lettre un précepte de l'Evangile, ne prêchaient que sur les toits des maisons, les Taciturnes, qui s'imposaient la règle d'un silence inviolable, les Impeccables, qui prétendaient ne pouvoir commettre un péché, une fois leur régénération spirituelle consommée, les Sabbataires, qui rejetaient le dimanche et fêtaient le samedi. 

1 Nous avons rapporté quelques-unes des invectives dont Luther couvrit Henry Mil. Extrayons encore de la gigantesque collection des œuvres de l'ex-moine trois ou quatre lignes qu'il aurait payées de sa tête s'il s'était trouvé au pouvoir de son adversaire : «Ut nescias an ipsa mania sic insanire possit, aut ipsa stoliditas tam fatua sit, quam est caput hoc Henrici nostri... Damnabilis putredo ista et vermis  Jus mihi erit majestatem anglicam luto suo et stercore conspergere... Impudens mendacium..... morbus virulentissimi animi sui.... pus invidiae et malitiœ.....os impurum.....Pudescitne tua frons, Henrice, non jam rex, sed sacrilegus latro... Nonne et ipse Henricus cum suis porcis et asinis docuerunt... cum insensatis monstris me hoc libro agere, qui omnia mea optima et modesta scripta, tum humillimam meam submissionem contempserunt, et magis ex mea modestia induruerunt. Deinde a virulentia et malitiis abstinui. 

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On montra au docteur Luther le livre de Guillaume Postel sur la concorde de l'univers (1), dans lequel cet auteur s'efforce de déduire de la nature et de la raison les articles de la foi, et de ramener les Juifs, les Turcs et tous les hommes, afin que tous les cultes divers se réunissent en une même foi. Le docteur Luther dit: « Il a trop voulu entreprendre. Avant notre époque, il a été composé d'autres livres de théologie où l'on s'efforçait de démontrer la religion chrétienne par les ressources de la raison naturelle. Mais Postel a montré la vérité du proverbe : les Français manquent de cervelle. Ce sera folie de la part de ceux qui voudront ramener au principe de la foi toutes les idolâtries diverses. » Philippe Mélanchton dit alors qu'un marchand lui avait dit avoir vu des Indiens adorer des serpents et rendre les plus grands hommages à un dragon monstrueux. — « Le monde, répondit le docteur Luther, est très-attaché à ses sectes diverses; il aime les cérémonies resplendissantes. Voyez cependant combien il se répandait de larmes lors de la profession des religieux. Ah ! que de pleurs devaient couler aussi lorsque des parents faisaient à Moloch un horrible sacrifice de leurs enfants! » 

Un Hongrois proposa par écrit au docteur Luther des questions futiles et extraordinaires, et le docteur dit :« Oh! plût à Dieu que 

1 De orbis terrœ concordia (Paris, 1543 ; Bâle, vers 1544). Cette dernière édition forme un in-f° de 454 pages. Il est divisé en quatre livres : le premier est consacré à une explication rabinico-scolaslique de la doctrine chrétienne; c'est un morceau fort obscur et que personne ne cherchera a comprendre. Le second livre discute et réfute l'Alcoran. Le troisième développe les principes de la loi naturelle, tels qu'ils sont répandus chez tous les peuples ; il pèse les théories de la justice et du droit, les mêmes dans toutes les religions. Le quatrième livre enfin expose les moyens de faire embrasser la religion chrétienne aux Juifs, aux Musulmans et aux idolâtres. En dépit de toutes ses extravagances, Postel fut un homme d'un immense savoir ; on peut consulter son Histoire, écrite par le P. Desbillons (Liège, 1773),et l’Histoire(en allemand) de la folie humaine, par Adelung, 1788, t. VI, p. 106-206. Dans une intéressante notice sur la bibliographie des feux, M. Nodier lui a accordé quelques lignes remarquables. 

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nous demeurassions dans la volonté que Dieu nous a révélée! c'est en Jésus-Christ qu'il nous a proposé tout ce que nous devions entendre, c'est en lui qu'il veut nous donner toutes choses, pourvu que nous nous humiliions dans une sincère obéissance; mais c'est ce que nous n'admettons pas, et nous demandons pourquoi Dieu a fait ceci et cela. Grande est la sottise des hommes; c'est comme si le vase de terre voulait dire au potier comment il faut s'y prendre pour le former. Nous sommes hors d'état de comprendre même les choses dont nos yeux sont témoins, et nous prétendons disputer avec Dieu au sujet du salut, de la régénération, du baptême des enfants, des mystères des sacrements. Imbéciles que nous sommes, pouvons-nous seulement expliquer l'origine du vent qui s'échappe de nos entrailles (1)? L'Écriture dit: « Que le monde entier tremble, si Dieu prononce une seule parole. » Il faut alors croire et se soumettre. Voyez ces papistes qui osent mettre l'autorité d'une prétendue Église au-dessus de celle de la parole de Dieu. C'est un blasphème affreux et intolérable. 

Je ne répondrai à aucun des livres que Cochlœus pourra composer contre moi, et cela redoublera sa colère; si je lui répondais, il s'en enorgueillirait (2); mais il ne mérite pas que je lui lasse cet honneur 

1 Unde veniat nobis crepitus ventris

2 Le chanoine Cochlœus écrivit la Vie de Luther, dont il avait été l'infatigable adversaire; cette biographie, où l'impartialité ne se montre guère, a été imprimée en 1549, en 1565, en 1568. Plus lard, le cordelier Taillepied réunit, dans une autre Vie du réformateur, nombre de petits contes qui avaient cours parmi les adversaires du protestantisme. —  donnons-en quelques échantillons, en consultant aussi l’Histoire de la naissance, progrès et hérésie de ce siècle , par Florimond de Rémond ( Rouen, 1618, 2 vol. 4°.)

Luther naquit le 12 octobre, à 11 heures 36 minutes. Sa mère, Marguerite, gagnait sa vie à décrasser ceux qui allaient laisser leurs ordures aux estuves publiques. On raconte des choses étranges de l'accouplement d'un démon avec cette femme, lorsque le diable, en forme de marchant lapidaire, vint loger chez son père. Je ne veux entrer en caution de la vérité de cette histoire que sa mère se fut jouée avec un démon. Erasme 

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Cochlaeus écrivit un traité où il appela le docteur Luther une bête à sept têtes, et l'on rapporta à table que le fils du margrave avait dit : « Si Luther a en effet autant de têtes, il sera donc bien invincible; jusqu'ici il n'en a eu qu'une seule, et personne n'a pu venir à bout de lui. » 

Mon petit livre contre le duc George n'a pas provoqué autant de courroux que deux autres écrits de ma façon, celui contre les écrits de l'empereur, et l’Avertissement à mes chers  

en parle à mots couverts dans une de ses épîtres. Vier l'a récitée comme chose fabuleuse ; Coclée et Simon Fontaines, comme histoire véritable.... Le diable fut vu par l'empereur Maximilien sur les épaules de Luther, en 1518, à Augsbourg; Bredenbachius en fait le récit en son septième livre, chapitre 41. En hébreu, en grec, en latin, le nom de Luther donne le chiffre mystérieux de 666 , le nombre de la bête de l'Apocalypse... Sesenus , compagnon de Luther, étant un jour près de la rivière d’Albir (l'Elbe), se noya, de quoi Luther en fut fest marry tellement qu'avec certaines oraisons qu'il prononça auprès du corps, en grande affection, s'efforça à le miraculeusement ressusciter, mais il perdit ses peines. Aux confins et limites de Wuitemberg, naguères avait une vache fait un fort horrible monstre, à savoir un veau ayant la tête charnue et pelée, semblait qui fût enchaperonné du froc de Luther. Ce que Dieu avait permis pour montrer l'abomination de Luther. Ainsi l'ont interprété tous gens doctes et de saine réputation. Il y avait en un village nommé Chéol plusieurs démoniacles qu'on avait conduits là pour être guéris par les intercessions et prières d'un saint honoré en ce lieu. Toul à coup ces pauvres créatures affligées des malins esprits furent délivrées. Ce fut le même jour que Luther trépassa. C'est chose qui fut au vu et su de tout le monde. Mais le jour après, ces mêmes esprits rentrèrent dans le corps des tourmentez. Interrogez où ils étaient allés le jour précèdent, ils firent response que, sur le commandement de leur prince, ils avaient été appelés au convoi de l'âme du grand prophète et de leur compagnon Luther. Un sien serviteur confirma ceci ayant raconté depuis que la nuit même, ayant ouvert la fenêtre pour donner de l'air à la chambre où le corps de son maître reposait, il vit non sans beaucoup d'effroi, plusieurs fantômes en diverses formes dansant et sautelant..... Luther voulant une fois exorciser une possédée, le diable le prit par le collet, le tirassa par la chambre et l'eût étranglé sur l'heure s'il n'eût été secouru. Stafile son disciple, qui fut présent à cette farce, l'a écrite au long : Luther sautait et virevoltait autour de la table , puant et sale de ce qu'il avait lâché dans ses chausses. Stafile craignant que le diable ne s'en prît à lui, enfonça la porte avec une cognée. 

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Allemands (1). Le duc George ne put y tenir, il écrivit à cet égard à l'électeur, il fit écrire contre moi Meuchler de Dresde, il excite à présent cette cuiller de cuisine de Cochlœus ; mais ils trouveront leur maître. J'ai été fort modéré dans cet écrit, j'ai parlé avec beaucoup de douceur ; dorénavant je répondrai de façon à secouer rudement ces bavards, à jeter à bas leurs messes, de sorte qu'ils ne sauront plus s'ils auront encore ou non le sacrement sur l'autel. 

Le docteur Luther dit que le docteur Eck avait du talent et d'heureuses dispositions: il ne serait pas fort disposé à soutenir la cause du pape et se tiendrait volontiers entre les deux partis; mais il penche vers le pape, afin de satisfaire son ventre. C'est un véritable pourceau, très-avide d'argent ; à la diète d'Augsbourg, comme il n'avait pas reçu un canonicat qui avait été vendu à un autre pour une somme de quatre cents florins, il menaça de déserter la cause du pape. Dans les disputes et les conférences, il se montre instruit et habile, mais il est très-froid dans ses écrits et dans ses prédications. Il ne serait pas fâché de rester neutre , mais pareilles gens sont ceux qui font le plus de mal. Les Athéniens, en gens sages et prudents, prononcèrent la peine de mort contre ceux qui voulaient tirer gloire et honneur des deux partis à la fois. 

1 Warnung an meine lieben Deutschen. Cet écrit audacieux parut simultanément en latin : Commonitio D. M. Lutheri ad Germanos sitos. Il s'agissait de savoir si l'on pouvait faire, en sûreté de conscience, la guerre à l'empereur. Luther levait tout scrupule à cet égard dans ce pamphlet dont M. Audin a reproduit les principaux traits : « Quand des égorgeurs et des chiens de sang n'ont qu'un désir, celui de tuer, de brûler, de rôtir, il n'y a pas de mal à s'insurger, à opposer la force a la force, le glaive au glaive. Il ne faut pas traiter de rébellion ce que ces chiens de sang appellent rébellion. Qui s'élève contre le droit ne se révolte pas, car alors toute négative du droit serait une révolte. Donc, résister a ces chiens de meurtriers, ce n'est pas faire de la rébellion ; qui dit : papiste, dit oppresseur. » 

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Charles de Miltitz, homme vain et arrogant, vendit son patrimoine pour 6000 florins, aspira à une position plus élevée, se rendit en Italie, y obtint de grasses prébendes et de bons canonicats. Il chercha à m'entraîner avec lui et à me livrer au pape; il apporta de Rome une rose d'or que le pape envoyait à l'électeur Frédéric; enfin, il fut légat de l'archevêque de Mayence (1), et il se noya dans le Rhin. 

Le docteur Schmidt, évêque de Vienne, prononça publiquement ces paroles à la diète de Spire : « Avant d'embrasser les croyances de Luther, je croirais à l'Alcoran, car les Turcs observent nombre de cérémonies et de bonnes oeuvres, telles que la prière, le jeûne, etc. » Le docteur Luther dit à cet égard : « Il prophétise mieux qu'il ne pense, car il embrassera en effet l'Alcoran avant d'arriver à la connaissance de la vérité. » 

Il y avait à Wittemberg un poêle, nommé Lemnius, qui fit des vers contre le docteur Luther (2), et le docteur les ayant vus, 

1 Albert, archevêque de Mayence et de Strasbourg, frère de l'électeur de Brandebourg et l'un des adversaires les plus déterminés de Luther. Il eut une bonne pari dans les invectives dont l'ex-moine saxon gratifiait si libéralement ceux qui lui déplaisaient; il faudrait remonter jusqu'à Aristophane pour trouver un exemple d'un pareil débordement d'épithètes injurieuses, qui ne sauraient passer d'une langue dans une autre : cardinal d'enfer, bourreau de cardinal, fripon de valet, tête folle, épicurien forcené , assassin , chien couvert de sang, ver impudent qui souille de sa Dente la chambre de l'empereur, voleur, brigand, coureur de p—ns, frère cadet de Caïn; il aurait fallu te pendre dix fois a une potence trois fois plus haute que le faite d'une maison; Luther le réserve une bonne et joyeuse nuit de carnaval. Apprête-toi à le trémousser ; c'est Luther qui jouera du fifre, etc. 

2 Lemnius (ou Lemchen) indisposa contre lui les docteurs de Wittemberg en dédiant deux livres d'épigrammes à l’archevêque de Mayence ; il fut accusé d'avoir insulté l'électeur de Saxe en le peignant sous les traits de Midas ; il prit la fuite, il fut condamné a un bannissement perpétuel, il trouva un asile à Caire, où il fut nommé recteur de l'école municipale ; il mourut de la peste en 1550. Il a laissé diverses poésies, des églogues, quatre livres d’Amores , une traduction en vers latins de l’Odyssée, une comédie peu édifiante (Monachopornomachia , 1538) d'une extrême rareté et que Gollsched a analysée dans son Histoire du Théâtre allemand (2ème — partie , p. 102). Lemnius grossit le factieux recueil de ses épigrammes d'un troisième livre où il dirigea contre Luther des traits sanglants ; il composa aussi un mémoire justificatif auquel Schelhorn a consacré une notice dans ses Amaenitates (t. I, p. 850), et dont le titre indique assez le style acrimonieux : Apologia contra decretum quod, imperio et tyrannide Mart. Lutheri et Justi Jonœ, Witemb. Universitas coacta iniquissime et mendacissime evulgavit Coloniae, 1540.  

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dit : « Voyez combien le diable nous en veut, il dirige de toutes parts ses flèches contre nous. Il a à son service, parmi les papistes, des coquins qu'il emploie à nous harceler et à nous combattre. Il n'en use pas de même avec le Turc qu'il laisse bien tranquille; mais comme nous voulons prêcher l'Evangile, il nous poursuit comme un lion furieux. Mais il ne faut avoir ni peur, ni étonnement, ni chagrin de tout ceci ; souvenons-nous de ce qui est écrit mi saint Jean (chap. XV, v. 10) : « si vous étiez du monde, le monde aimerait ce qui est sien; mais paire que vous n'êtes point du inonde et que je vous ai élus, le inonde vous hait. » Ce béjaune dit de nous toute sorte de mal ; il loue les évêques qui nous persécutent et il les appelle saints. Quoiqu'ils sachent bien que notre doctrine est bonne, ils la condamnent. C'est de pareilles gens que saint Paul a dit qu'ils étaient autocatacriti, c'est-à-dire condamnés par eux-mêmes. Bien que les croyants soient les plus grands coquins, ils ne veulent pas suivre ceux qui enseignent mieux qu'eux. Ils n'ont aucun autre motif, si ce n'est qu'ils sont riches, grands et puissants, tandis que nous sommes pauvres, faibles et débiles. Or, vous savez al qu'a dit Salomon (Proverbes, ch. XVII, V. 15) : « Celui qui déclare juste le méchant et celui qui déclare méchant le juste sont tous deux en abomination à l'Eternel. » Il nous faut donc nous opposer aux méchants et aux papistes et ne point nous taire. Il faut dire hautement que le pape est l'antéchrist; les princes et les seigneurs ne valent pas mieux que les évoques qui ont fait pacte et alliance avec le pape : vous êtes tous des réprouvés, d'impies coquins et des ennemis de Dieu. » 

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On montra au docteur Luther un autre écrit de Lemnius où il y avait aussi beaucoup d'injures contre le pauvre sexe féminin, et le docteur dit : « C'est bon ; qu'ils dirigent contre nous leurs invectives et leurs calomnies; Jésus-Christ a dit : « Vous serez bienheureux quand on vous aura injuriés et persécutés, et quand, à cause de moi, on aura dit contre vous, en mentant, toute mauvaise parole. Réjouissez-vous et vous égayez, parce que votre salaire est grand aux cieux. » (Saint Matthieu, ch. V, v. 11). 

On parla de Jean Faber, le méchant et venimeux calomniateur, et le docteur Luther dit : « Pareils individus, pleins de poison, sont ce qu'il y a de plus nuisible et de plus détestable ; il ne faut ni disputer, ni avoir affaire avec eux; ils ne viennent point droit devant vous, mais ils agissent par une haine furieuse. Tels étaient Cochlaeus, Emser, Eck   etc. 

Le 11 octobre 1538, on parla de l'animosité affreuse de Cochlaeus et de Tetzel qui ont écrit contre la confession d'Augsbourg et qui vantent beaucoup l'autorité des Pères; le docteur Luther dit : « Je ne lirai point leurs livres. Qu'importe? Nous avons au ciel un Père qui est au-dessus de tous les pères; leur tas de guenilles rapetassées ne signifient rien. Ils écrivent sous l'inspiration d'un cœur corrompu et vicieux, et chacun sait, bien que leurs ouvrages ne sont qu'un tissu d'impudents mensonges.» 

Le docteur Luther dit : « Voici comment s'opère la génération d'un papillon. C'est d'abord une chenille qui se suspend à 

1 Donnons encore un échantillon de l'animosité de la polémique engagée entre ces écrivains : Carlostadt compose, en 1520, sous la dictée de Luther, un écrit contre Eck et l'intitule : Contra brutissimum asinum et assertum doctorculum. Luther , après avoir traité Emser de bouc , écrit à Mélanchton : « Emsero non respondebo... nisi is dignior sit, quam ut cum stercore committatur. » Il disait aussi : « Asinos pontificios non curo ; indigni enim sunt qui de laboribus meis judicent. » 

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une muraille et se forme un abri ; ensuite, au printemps, lorsque le soleil a de l'éclat et de la chaleur, elle sort de sa coque et clic s'envole sous la forme d'un papillon. Quand approche l'heure de sa mort, il se suspend à une feuille ou à un arbre et il pond une longue traînée d'œufs d'où éclosent autant déjeunes chenilles. Il y a donc là ce qu'on appelle generatio reciproca, ce qui a d'abord été chenille redevient chenille. J'ai trouve dans mon jardin diverses espèces de chenilles, je crois que c'est le diable qui les y a apportées. Elles ont aussi des cornes sur le nez. Il est dans tout ceci de grandes ressemblances avec les sectaires. Les chenilles offrent à l'œil de belles boucles d'or et d'argent, leur robe est belle et brillante ; mais au dedans elles sont pleines de poison. Les sectaires se présentent sous des dehors pieux et saints, mais ils avancent des doctrines fausses, erronées et corrompues. De même que d'une chenille il vient beaucoup de chenilles, un fanatique, séduisant beaucoup de monde, produit une foule de fanatiques et de visionnaires.» 

Un autre fois le docteur Luther compara les sectaires à des fruits piqués des vers et non parvenus à maturité, qu'un peu de vent fait tomber de l'arbre. 

Le 18 août 1538, le docteur Luther exprima son étonnement au sujet de l'insolence et delà présomption d'Agricola qui cherchait à dominer et qui, étant devenu puissant, laissait à l'écart et 

1 Jean Agricola , né en 1490, eut une part remarquable aux travaux , aux actes qui assurèrent le succès de la réformation. Son véritable nom était Scintiller ou Moissonneur, qu'il latinisa suivant l'usage de son siècle. Il donna naissance à la secte des antinomiens, en soutenant contre Melanchton l'inutilité de la loi de Moïse dans l'œuvre de la conversion chrétienne. Les disputes que souleva sa doctrine le déterminèrent à quitter Wittemberg en 1540 et à accepter la place que lui offrait l'électeur de Brandebourg, de premier prédicateur de la cour de Berlin; il mourut dans cette ville en 1566. 

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dédaignait la cause de l'Evangile. Philippe Mélanchton répondit: «Les gens occupés de grandes affaires temporelles font peu d'attention à leur conscience et ils en étouffent la voix ; aussi Dieu les châtie-t-il souvent en les abaissant et en les renversant. » Le docteur Luther répliqua : « Qui aurait prévu la secte des antinomiens? J'ai vu s'élever et cesser trois orages violents; Munzer, les sacramentaires et les anabaptistes : mais dès qu'une secte est éteinte, il en renaît une nouvelle. Il n'y a nul terme à la nécessité d'écrire. Je ne désire pas que ma vie se prolonge, car il n'y a plus de paix à espérer. Les anciens, comme saint Bernard, ont eu raison de dire : « Il faut prêcher sur quatre choses, sur les vertus et sur les vices, sur les récompenses et les menaces divines. C'est une belle sentence. » 

Lorsque Munzer était à Zwickau, il alla trouver une jeune fille qui était d'une grande beauté, et il lui dit « qu'il venait vers elle obéissant à une voix divine qui lui avait prescrit de coucher avec elle ; autrement il ne pourrait pas enseigner la parole de Dieu.» C'est ce qu'à son lit de mort cette fille a révélé à son confesseur (1). 

1 Munzer, curé d'Alstaedt dans la Thuringe, se mit à la tête des sectaires qui, sortant des entrailles de la réforme , et poussant à leur dernière limite les doctrines du libre examen et de l'indépendance individuelle, se mirent en révolte ouverte contre toute autorité. Luther n'avait voulu briser que la tiare et la mitre ; les novateurs, en rudes logiciens, prétendirent fouler aux pieds le diadème et l'épée, jeter aux vents les codes et les lois. Le style de ces nouveaux prophètes est brusque, coupé, rempli d'images bibliques, étincelant d'expressions audacieuses ; lisez les prédications de Munzer , de Storch , de Stubner ; vous croirez avoir sous les yeux une page des Paroles d'un croyant. « Voici ce que je vous annonce, » s'écriait Storch : « Dieu ma envoyé son ange. Que l'impie tremble, que le juste espère. Le règne de l'impie durera peu ; l'élu de Dieu montera sur le trône. Des vêlements simples, une nourriture grossière, du pain et du sel ; alors Dieu descendra sur vous. » Entraînés par ces déclamations frénétiques , les paysans de la Franconie se soulevèrent ; les princes, réunis par un danger commun, marchèrent contre les insurgés ; on se choqua à Frankhausen en 1525; mal armes et sans discipline, les paysans furent écrasés sous les pieds des chevaux, leur déroute fut complète. Munzer, blessé et pris, fut décapité. L'insurrection s'éteignit avec lui. 

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Le 29 septembre 1538, le docteur Luther parla beaucoup il l'insolence des sectaires et de leurs chefs. Carlostadt était orgueilleux (1), opiniâtre, enflé de l'idée qu'il avait de soi ; Zwingle fut d'abord un homme juste, pieux et recommandable (2), mais tel devint son aveuglement qu'il osa dire et écrire : « Je soutions qu'aucun homme au monde n'a cru que le corps et le sang de Jésus-Christ fussent dans l'eucharistie. «C'est ainsi qu'il a eu l'audace de s'exprimer, bravant l'autorité et la foi de tons les hommes. Aussi a-t-il péri misérablement. 

1 Luther écrivait dans son traité Contre les prophètes célestes : « Carlostadt dit ne pouvoir raisonnablement comprendre que le corps de Jésus-Christ se réduise dans un si petit espace. Mais si l'on consulte la raison, on n'aura plus foi à aucun mystère. » — A la page suivante, Luther ajoutait cette phrase étrange, que M. Michelet qualifie de bouffonnerie et d'une incroyable audace : « Tu penses apparemment que l'ivrogne Christ ayant trop bu à souper, a étourdi ses disciples de paroles superflues.» l'ne antre fois, Luther attaquant en chaire Carlostadt sur sa doctrine de l'Eucharistie , s'oublia jusqu'à dire : « Prenez garde, Dieu ne peut souffrir qu'on se joue à lui, comme font les saints : quia Deus non potest ferre jocum, sicut sancti ferunt. » (serm. Dom. prim. quadrag.) 

2 Zwingle, né en 1484 et successivement curé à Einsiedeln et à Zurich, attaqua la doctrine des indulgences dans un sermon prononcé en ÏS16, devançant ainsi Luther d'une année. En 1524, il parvint à faire prononcer, dans le canton de Zurich, l'abolition de la messe et du culte des images. Il se maria la même année, et il eut à soutenir avec Luther une vive controverse au sujet de la présence de Jésus-Christ dans l'eucharistie. Le Saxon admettait la réalité, le Suisse s'en tenait à la figure. La dispute s'échauffa de plus en plus, Zwingle n'épargna rien pour adoucir l'esprit de Luther, mais le docteur de Wittemberg resta inflexible et ne voulut entendre à aucun accommodement. Le landgrave de Hesse s'efforça de réunir les deux partis : Marbourg fut choisi pour le lieu de la conférence; Zwingle s'y rendit en 1529 avec Bucer, OEdion et OEcolampade ; Luther avec Mélanchton , Jonas , Agricola et Osiander. Après beaucoup de conférences particulières et de contestations publiques, ces théologiens rédigèrent quatorze articles contenant l'exposition des dogmes controversés, et ils les signèrent d'un commun accord. La paix ne fut troublée qu'api es la mort de Zwingle ; il périt le 10 octobre 1581, dans un combat qui eut lieu à Cappel entre les catholiques et les Zurichois, il se publie en ce moment (novembre 1843) à Zurich un choix des Praktische Schriften de Zwingle, traduits du latin ou rajeunis ; le septième volume in-12 de cette collection a vu le jour. 

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Zwingle a tiré l'épée, aussi a-t-il reçu sa récompense; car, ainsi que l'a dit l'Evangile : « Tous ceux qui ont pris l'épée périront par l'épée » (saint Matthieu, chap. XXVI, v. 52). Si Dieu l'a admis à la béatitude, c'a été extra régulant, contre la teneur de la parole divine et par une exception particulière. — Le docteur Luther ajouta : « Zwingle et OEcolampade sont comme Phaëton et Icare chez les poètes ; ils veulent être maîtres et ils croient pouvoir accomplir tout ce que leur suggère leur présomption. 

Les troubles de l'Église viennent de ce que les sectaires n'écoutent pas la parole de Dieu ou qu'ils croient dominer sur elle; au lieu de chercher humblement en bas afin de trouver Jésus-Christ parmi les langes de sa crèche, ils aspirent en haut. Et pourtant quelle n'est pas l'autorité de cette parole que Dieu a mise dans la bouche de son Fils et de ses apôtres ! Aussi saint Paul écrivait-il aux Thessaloniciens : « Vous aves reçu de noua la parole de la prédication de Dieu, non comme la parole des hommes, mais, ainsi qu'elle est véritablement, comme la parole de Dieu.» Mais l'on ne s'en tient pas à la parole divine, et les sectaires recherchent indiscrètement le pourquoi. Ils demandent pourquoi Dieu est-il eu même temps un et triple ? pourquoi une des personnes divines a-t-elle été Dieu et homme ? pourquoi Jésus-Christ a-t-il pris une vierge pour mère? pourquoi étend-il sa miséricorde sur celui-ci et non sur celui-là ? 

Le 13 septembre 1538, il y eut contre les antinomiens une vive dispute qui dura près de cinq heures, et durant laquelle le docteur Luther s'éleva avec la plus grande force contre les novateurs, leur disant qu'ils détruisaient l'Évangile et qu'ils rejetaient la loi de Dieu, et qu'ils entraînaient à mal les esprits qui étaient dans la sécurité. Il ajouta qu'il les combattrait tant qu'il lui resterait un souffle de vie, dût-il en mourir.— Le soir, il s'entretint longuement de l'hérésie d'Arius , prêtre d'Alexandrie (1); 

1 Pour qui veut étudier à fond l'origine et les développements des doctrines de ce célèbre hérésiarque , il n'est pas d'ouvrage plus complet et plus savant à consulter que celui de Moehler : Athanase et l'Eglise de son temps en lutte avec l'arianisme. M. Lerminier a inséré dans la Revue des Deux-Mondes (juin 1840, t. XXVI, p. 813-839), une notice remarquable sur cette profonde et savante analyse de tous les écrits de saint Athanase. L'ouvrage allemand a été traduit en français par M. Cohen (Paris, Debecourt, 3 vol. 8°).  

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lorsqu'il commença à répandre sa doctrine , le patriarche d'Alexandrie, Pierre, dit qu'elle était erronée et tendant à déshonorer Jésus-Christ, car celui qui nie la divinité de Jésus-Christ lui enlève toute sa gloire. Arius commença d'abord par prétendre que Jésus-Christ n'était qu'une créature, mais douée de perfection. Combattu par les catholiques et par les pieux évêques, il dit ensuite que Jésus-Christ était la plus parfaite des créatures et que toutes avaient été faites par lui et qu'il était au-dessus des anges. Il avança ensuite que Jésus-Christ était Dieu émanant de; Dieu , la lumière procédant de la lumière , et il développa des doctrines si subtiles, que beaucoup de gens se rallièrent à lui et partagèrent ses idées. Le pieux évêque de Milan, Auxence, contre lequel saint Hilaire a composé une épitre, tomba dans ces erreurs. Arius finit par dire que Jésus-Christ avait été crée de la même essence que le Père, mais il ne voulut pas renoncer à celle assertion de création. Alors s'engagea la dispute sur le mot homousion qui fut inséré au symbole d'Athanase, mais qui n'est point dans la Bible, ni dans l'Écriture sainte. — En somme, ce que je voulais dire, c'est qu'il n'est pas d'hérésie , d'erreur et d'idolâtrie, quelque grossière qu'elle soit, qui ne trouve des partisans et des soutiens; nous le voyons à Rome, où, aujourd'hui même, le pape est honoré comme un Dieu. 

Je ne connais rien de relatif à Jésus-Christ que le diable n'ait déjà combattu ; aussi faut-il qu'il revienne sur ses pas et qu'il ranime les vieilles hérésies et les antiques erreurs. 

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Je crois que Balaam est réprouvé (1), quoiqu'il ail eu de grandes révélations qui ne sont point au-dessous de celles de Daniel, puisqu'il embrasse aussi quatre empires dans sa prophétie. C'est un exemple contre la présomption , afin que l'homme ne s'enfle point d'orgueil et ne présume point des dons de Dieu. Si l'on savait que l'on est saint lorsque l'on prophétise , on serait heureux, mais Dieu a rejeté Balaam, Saül et Caïphe qui avaient aussi prophétisé par l'inspiration de l'Esprit saint. Ah ! que l'homme se maintienne fermement dans la crainte de Dieu, qu'il prie et qu'il ne soit point adonné à l'orgueil. 

En 1536, lorsque les théologiens suisses étaient venus à Wittemberg au sujet de la dispute sur l'eucharistie , le docteur Luther dit : « Dieu a représenté les hérétiques et les réprouvés, sous l'image du renard et du loup; ces deux animaux oui l'air aussi doux et aussi pieux que si, à toute heure, ils récitaient le Pater et le Credo, mais que le diable leur donne sa confiance!» 

Dieu est un juge équitable, et il ne laisse pas sans les punir les blasphémateurs et les ennemis de sa parole ; ils périssent misérablement; c'est ce qu'il a manifesté à Hambourg ces jours derniers. Il se trouvait dans cette ville un misérable qui déclamait contre l'Evangile et qui avait corrompu beaucoup de monde ; on ne gagnait rien à lui faire des représentations et à l'admonester. Il tomba ensuite dans un désespoir extrême, et, rejetant toute consolation, il dit : « Mes péchés sont trop grands pour que j'en obtienne le pardon, car j'ai égaré beaucoup de gens ; » et, en plein 

1 Telle est aussi l'opinion des rabins ; consulter la Bibliotheca rabinica de Bartolocci (t. I, p. 655) au sujet des idées plus qu'étranges consignées, touchant ce faux prophète , dans les écrits des Talmudistes : de eo obscœna proferunt, ut quod abutebatur asina sua, et per mentulam divinaret ; addunt postremo eum sepultum esse in inferno, et in caldario ferventis spermalis cruciari

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jour, il s'échappa de sa maison et se jeta dans un canal. L'eau n'était pas assez profonde pour le submerger, et la foule accourut ; l'on chercha à le sauver et on lui adressa des paroles de consolation. Mais il s'enfonça davantage dans l'eau et il se nova. — Il y avait aussi à Bâle un blasphémateur qui se précipita par une croisée et qui se brisa le cou. Tout cela est l'effet de l'équitable jugement de Dieu. Ne pas croire à la parole divine, c'est déjà digne de réprobation , mais la blasphémer et la tourner en dérision, c'est trop fort et trop abominable. 

Le docteur Luther parla des Abélistes, hérétiques qui avaient pris le nom du patriarche Abel et qui adoptaient les dogmes les plus étranges que l'on ait jamais vus sous le soleil. Ils voulaient d'abord que tous ceux qui appartiendraient à leur secte fussent maries et amenassent leurs femmes avec eux ; ensuite qu'ils vécussent ensemble s'abstenant de tout commerce charnel et s'occupant de l'administration du ménage; pour héritiers ils adoptaient des enfants étrangers (1). C'était vraiment une secte bien étrange, et c'est ainsi que le mariage, cette institution de Dieu, est assailli de toutes parts. 

On parla des blasphèmes de Tetzel (2) qui appuyait ses mensonges de mots pompeux et de phrases ronflantes, et le docteur Luther dit : «Nous sommes dans le plus extrême aveuglement et notre ingratitude est grande , car nous avons été affranchis par le moyen de l'Évangile et par un effet de la grâce de Dieu, et 

1 Cette secte surgit en Afrique sous le rogne d'Honorius ; elle subsista peu de temps ; consulter saint Augustin, de Hœres., 78. 

2 Le dominicain Jean Tetzel, né vers 1470 à Misna, et dont les prédications relatives aux indulgences, soulevèrent le courroux de Luther. Ce fut le germe de l'incendie. Tetzel mourut à Leipzig en 1519; on prétend que ce fui de la douleur que lui causèrent les violents reproches du légat apostolique Millitz. Hecht, dans sa Germania sacra et litteralis , 1717, lui a consacré une assez longue notice. 

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nous n'en témoignons nulle reconnaissance , ce qui attirera sur nous la colère divine. Ah ! bon Dieu ! ne nous châtie pas selon nos péchés , mais aide-nous à nous amender. 

Satan , l'ennemi le plus acharné de notre Seigneur Jésus-Christ et de son Évangile, a amené les hommes à se forger toutes seules d'idoles et à adorer des oignons, des serpents, des priapes (1), et à commettre mille et mille abominations, ainsi que saint Paul l'a dit dans son épître aux Romains (chap. I, v. 21-23): « Leur cœur destitué d'intelligence a été rempli de ténèbres; M disant être sages , ils sont devenus fous, etc.» 

L'esprit de ténèbres n'a pas oublié les habits de moine dont ou recouvre les morts dans l'idée qu'ainsi leurs péchés seront pardonnes. Celte superstition et cette idolâtrie sont choses si horribles, que si je ne les avais pas vues, je n'aurais pas pu y croire. C'esi un semblable motif qui a amené buis les monarques à créer des ordres ; le roi de France a crée celui de Saint-Michel ; le roi d'Angleterre, celui de Saint-Georges; l'empereur, celui de la Toison-d'Or, etc. Tout cela a été une suite de l'inspiration du diable ; il a voulu contenter la vanité et la cupidité des hommes. 

1 Quant au culte du phallus, qui de l'Inde et de l'Egypte s'introduisit dans la Grèce, on peut consulter Dulaure, Des divinités génératrices, 1805, 8°; seconde édition, avec quelques changements, 1825 , 8°; J. J. Rosenbaum : Die Lustseuche im Alterthume (Halle, 1839, 8°, p. 62-78) et R. Payne Knight : an Account of the remains of the vorship of Priapus, lately existing at Isernia, in the Kingdom of Naples. To which is added a discourse on the worship of Priapus and its connexion with the mystic theology of the ancients, London, 1786. Ce volume fort rare, et dont le prix a dépassé 200 fr. dans quelques ventes, est un in-4° de 195 p. avec 18 planches. Je ne l'ai trouvé indiqué avec quelques détails dans aucun ouvrage français, mais j'ai sous les yeux deux notices dont il est l'objet, insérées dans des recueils allemands; l'une de Bottiger (Amalithea, t. lit, p. 408-418), l'autre de Choulant (Heckers Annalen, t. XXXIII (1836), p. 414-418). 

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Le pape s'est, de son côté , efforcé d'accomplir les volontés de son créateur le diable, et il n'a eu nul égard ni pour Dieu , ni pour les hommes. Aujourd'hui l'Évangile se montre dans une clarté plus grande que celle du jour, et le pape n'en continue pas moins de pécher sans vergogne. Il remplit tous les royaumes de cardinaux ; ce sont des douillets, des efféminés, des imbéciles; ils passent leur temps à la cour et dans les chambres des femmes, auprès desquelles ils se montrent galants. Il a partout mis une foule de cardinaux et d'évêques. Notre Allemagne est la proie des évêques , car l'on y en compte plus de quarante, sans parler des abbayes et des chapitres qui ont de plus grands revenus que les évêchés. En Allemagne, les évoques sont plus puissants que les princes. Voilà ce qui rend les papistes si insolents; ils s'appuient sur leur argent et sur leurs ressources ; nous ne voyons pas que, depuis vingt ans, un seul évoque se soit amendé. 

Les papistes se vantent de former l'Église et d'avoir pour eux l'autorité du concile ; ils veulent avoir le pouvoir de le réunir et de le faire cesser : ils n'ont aucune intelligence du sens de l'Ecriture sainte qu'ils comprennent moins que ne le ferait un entant, et ils sont bien pires que les Sadducéens, qui conservaient du moins quelques dehors ; mais ces papistes sont des impies, des blasphémateurs et des sodomites; ils consentiraient à réformer les cérémonies extérieures de l'Eglise, mais toute réforme qui m loucherait pas au vif dans la doctrine et dans le genre de vie serait nulle. 

Nous ne savons pas combien il est avantageux pour nous d'avoir des antagonistes, et que des hérétiques s'élèvent contre nous et nous attaquent. Si Cérinthe n'avait pas bougé (1), saint Jean

 

1 Cérinthe, juif d'Alexandrie, s'efforça de fondre ensemble les doctrines chrétienne, juive et chaldaïque; il enseignait que le Christ et Jésus étaient deux êtres distincts, dont le premier était un esprit et l'autre un homme. Il existe sur cet hérésiarque des dissertations spéciales de Paulus (Jéna, 1795; et de Schmidt (t. I, p. 181 de la Bibliothek fur Krit. unit. Exeg.). 

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n'aurait point écrit son Evangile. Mais Cérinthe s'étant élevé contre la divinité du Seigneur Jésus, Jean dut écrire : In principio erat Verbum, et il établit la distinction des trois personnes d'une manière si lucide que rien ne pouvait être plus clair. 

La coutume de dire trente messes pour un mort a été introduite par le pape Grégoire, et elle a duré huit cents ans. Ce pape était si pieux, c'est-à-dire si superstitieux,qu'un frère étant mort, laissant trois florins qu'il possédait à l'insu de la Communauté , Grégoire fit enterrer cet argent avec le trépassé, pour lequel il fit dire trente messes, afin de délivrer son âme des feux du purgatoire. 

Tetzel alla si loin qu'il fallut le combattre , car il écrivait et enseignait que l'indulgence accordée par le pape était la réconciliation entre Dieu et l'homme. Il prétendait que l'indulgence conservait toute son efficacité et sa force, lors même que le pécheur n'éprouvait aucun repentir et qu'il ne faisait point pénitence. Il disait que le pape pouvait d'avance remettre les péchés que l'on avait l'intention de commettre, et qu'une croix à laquelle le pape avait attaché des indulgences ne le cédait point en mérite à la vraie croix de Jésus-Christ et possédait mêmes vertus. Ce furent de pareilles énormités qui m'animèrent à écrire contre lui. 

Saint Augustin et d'autres docteurs établissent entre un hérétique , un schismatique et un mauvais chrétien la différence que voici : un hérétique est celui qui avance et soutient opiniâtrement des opinions fausses et des doctrines contre les articles de la foi chrétienne et contre la juste intelligence de l'Écriture sainte ; un schismatique est celui qui professe la même véritable doctrine que la vraie Eglise de Jésus-Christ, mais qui n'est pas d'accord avec elle au sujet de quelques cérémonies et de quelques usages; un mauvais chrétien est d'accord pour la doctrine. 

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et pour les cérémonies avec l'Eglise, mais il vit mal et il mène une conduite déréglée et condamnable. 

Les papistes n'osent pas me qualifier d'hérétique, mais ils m'appellent schismatique , comme étant l'auteur d'une séparation. Mais moi, je regarde le pape comme un hérétique, et comme, un archi-hérétique, car il est l'adversaire de Jésus-Christ. 

Le docteur Luther montra un jour un tableau qui représentait comment le pape, avec son idolâtrie et ses superstitions, menait le monde entier : l'on y voyait le vaisseau de l'Eglise plein de moines et d'ecclésiastiques qui jetaient des planches et des instruments de sauvetage à des gens qui nageaient dans la merci qui étaient en danger d'être engloutis; le pape était assis au plus haut du navire, le Saint-Esprit le couvrait de ses ailes et il regardait le ciel ; des patriarches, des cardinaux, des évêques l'entouraient. C'est un tableau très-ancien qu'un moine avait fait et composé à Venise, et ce qu'il représentait, nous l'avons tous cru comme articles de foi. Il en est de même de la Véronique à Rome. Ce n'est qu'une pièce d'étoffe noire, recouverte de deux tapis de soie que l'on soulève pour la montrer. On a peint dessus une image que l'on donne comme y ayant été appliquée miraculeusement. 

Si j'avais la foi telle que l'Ecriture la demande de moi, alors seul je voudrais battre le Turc, étrangler le duc George et envoyer au supplice l'évêque de Mayence (1). 

1 Nous donnons ailleurs un échantillon des injures que lance Luther contre le cardinal de Brandebourg, Albert, archevêque de Mayence. Ajoutons qu'il lui adressa une fois une longue lettre pour l'engagera se marier. Voici un passage de cette épître assez singulière : « Il n'est pas bon que l'homme soit seul ; donnons-lui donc une aide qui soit avec lui. » Telle est la parole de Dieu : à moins que Dieu ne fasse un miracle en transformant un homme en ange, je ne vois pas que cet homme puisse , sans encourir l'indignation de Dieu, demeurer tout seul et sans femme. » Déjà nous avons rapporté maints passages qui montrent jusqu'à quel point Luther prenait à cœur l'indispensabilité de l'union conjugale ; citons encore quelques lignes, que nous prenons au hasard dans l'immense collection de ses œuvres, sur un sujet sur lequel il revient sans cesse : «Quid vero facerem ? num divinam legem potius, quae scortationem vetat, quam pontificias, quae nuptiis interdicunt, violarem ? Si corpus alicujus jejunio parasceves periclitetur, nonne illi etiam imperabitur ut edat (1557, t. II, p.463) ? Continentia non est emandata : insani et fatui papistoe virginitati et continentiae nihil patiuntur sequari, prodigiosis mendaciis utramque jactantes (Ib. II, 505). 

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le 8 novembre 1543, Gaspard Schwenckfeld envoya au docteur Luther un de ses livres intitulé : De la gloire, et à cet égard le docteur fut agité d'un zèle ardent, et il dit: «Schwenckfeld est un sot, qui non habet ingenium nec spiritum, sed est attonitus (1), ainsi que le sont tous les séducteurs; il ne sait ce qu'il balbutie ; voici son principe et son idée : La créature ne doit pas être adorée, parce qu'il est écrit : « Tu adoreras le Seigneur ton Dieu et tu ne serviras que lui. » Il pense donc que 

1 Schwenckfeld ou Suenckfeldius, personnage fort entêté d'idées empreintes d'une hétérodoxie bizarre, s'est recommandé aux bibliomanes par son traité De duplici statu , officio et cognitione Christi, 1546 , 8°. On assure qu'il n'existe qu'un seul exemplaire de cet opuscule ; bien qu'il n’ait que 22 pages, on le trouverait fort long si l'on essayait de le lire. Il s'est payé 144 fr. à la vente Gaignat en 1769, mais en 1839, à celle de M. de Pixerécourt, il est tombé à 30 fr. Flaccius Illyricus en donna une traduction allemande. Schwenckfeld écrivit plusieurs autres traités, peu recherchés de nos jours ; les amateurs de semblables raretés voient cependant avec plaisir le Novus homo, scripum anno 1543, 8°, 27 feuillets, qu'il publia sous le nom de Valentinus Cravaldus. En somme, le nombre des écrits de ce novateur s'élève à plus de quatre-vingts ; il niait l'inspiration des livres saints, il subordonnait la croyance à la raison individuelle ou à l'inspiration intérieure, il prétendait que Dieu se communique à chacun en particulier. Il a conservé jusqu'au dix-huitième siècle quelques disciples dans certains cantons de l'Allemagne. Les réformateurs se montrèrent fort peu tolérants à son égard ; Luther, après lui avoir écrit ie ne plus lui envoyer de ses livres quos diabolus vomit et cacat, le fit, en 1527, bannir de la Silésie, et Mélancthon n'en parle jamais sans défigurer son nom pour lui adresser une injure grossière ; Stenckfeld (champ puant) au lieu de Schwenckfeld. 

 

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le Christ, étant une créature, ne doit pas être adoré comme tel ; il se forge deux Christs, et dit qu'après la résurrection et la glorification, la créature est transformée en déité et qu'elle doit ainsi être adorée. Il trompe ainsi le peuple avec le nom glorieux de Christ, car il écrit en tête de son livre : A la louange du Christ. Un petit enfant aborde plus nettement la question quand il dit : «Je crois en Jésus-Christ, notre Seigneur, quia été conçu du Saint-Esprit, né de la Vierge Marie, etc.; » mais cet imbécile de Schwenckfeld veut forger deux Christs, l'un qui a été attaché sur la croix, l'autre qui est monté dans le ciel et qui est assis à la droite de Dieu, son père céleste. Nous ne devons point, à ce qu'il prétend, adorer ce Christ qui a été attaché sur la croix et qui est mort sur la terre. Mais Jésus-Christ se laisse adorer, lorsque l'homme se prosterne devant lui, et Jésus-Christ lui-même dit : Celui qui croit en moi croit aussi en celui qui m'a envoyé. Il a dit également : Tous les hommes doivent honorer le Fils comme ils honorent le Père. Ce visionnaire-là a tiré quelques mots de mon livre sur les dernières paroles de David; il se pare de ces expressions : communication de propriété et identité de personne ; il mêle ses phrases avec les miennes et il les donne comme si elles rendaient mon opinion. Il m'apprendra ce qu'est Jésus-Christ et comment je dois l'adorer. J'en sais (grâces à Dieu) plus long que lui; je connais bien mon Christ: qu'il ne vienne plus me fatiguer. — Alors le docteur Luther dit au docteur Luther : « Oh! seigneur, vos expressions sont trop dures. » Le docteur Luther répondit : « Semblables gens m'apprennent à être sévère ; c'est ainsi qu'il faut que nous parlions au diable. Que Schwenckfeld rétracte, par une déclaration publique, son hérésie au sujet du sacrement, et qu'il m'apporte le témoignage du docteur Jean Uess et du docteur Jean de Moibane de Breslau; autrement je ne le croirai pas, me jura-t-il qu'il a mis ses doigts dans les plaies. »

 

Le docteur Luther remit au messager qui lui avait apporté le livre de Schwenckfeld une lettre ouverte avec cette suscription: Réponse de Martin Luther au messager de Schwenckfeld, et il 

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lui dit : «Mon ami, tu rapporteras ma réponse à ton maître, et tu lui diras que j'ai de tes mains reçu le livre, et que je voudrais qu'il s'abstint d'agir ainsi, car il allume dans la Silésie un l'eu qui n'est pas prêt de s'éteindre,  et qui, je crains, le brûlera éternellement. En outre, il continue de prêcher son eutychianisme et sa créaturalité; il jette l'Église dans des erreurs, n'ayant reçu ni mission, ni commandement de Dieu. »

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