La Polygamie

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LA POLYGAMIE.

 

Les jurisconsultes donnent une belle définition de la bigamie ! Salomon a été centogame, et millogame qui plus est, et cependant il a écrit un livre que les jurisconsultes ne seraient pas en état de composer. Et ils veulent alléguer la parole de Dieu! Est-ce que sous la papauté nous n'avons pas pu supporter que les prêtres et les chanoines entretinssent une foule de concubines, que ces pédérastes eussent des Ganymèdes? Lamech

 

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fut le premier qui eut deux femmes a la fois; Jacob en eut quatre, et, toutefois, ce furent de très-saints ministres de Dieu.

 

Le docteur Luther demanda un jour au docteur Basilius si, d'après les lois, un mari ayant une femme plus morte que vive, pour ainsi dire, et atteinte d'une maladie incurable, pourrait avoir l'autorisation de prendre une concubine. — Basilius répondit «qu'il était probable que dans certains cas cette autorisation serait accordée », et Luther dit alors : «C'est là une chose dangereuse ; si les cas de maladie sont admis , il n'est pas de jour où l'on ne puisse venir, avec de nouvelles raisons fraîchement inventées, demander la dissolution des mariages. »

 

La polygamie des patriarches, de Gédéon , de David, de Salomon et des autres rois n'a pas été sans une très-grande nécessité, et ce n'est pas le libertinage qui en a été cause. Les Juifs furent contraints d'avoir plusieurs femmes, par la nécessité de la promesse et de la consanguinité ; car Abraham , Isaac et Jacob reçurent de Dieu la promesse qu'il multiplierait leur semence comme les étoiles du ciel ou le sable de la mer. Les Juifs avaient toujours les yeux tournés sur cette promesse , et ils étaient obligés de prendre plusieurs femmes afin de l'accomplir. La nécessité de la consanguinité, c'était que lorsqu'un homme était élu pour juge ou pour roi, des parentes pauvres recouraient à lui, et il était obligé de les prendre pour épouses ou pour concubines. Le concubinage fut chez les Juifs chose permise et licite. Il leur fut imposé afin de venir au secours des femmes dans leur détresse , et pour que les veuves et les orphelines trouvassent aliments et vêtements. Ce ne fut pas pour les Juifs un agrément, mais un fardeau et une charge. David eut dix femmes et fut accablé de soucis et de tracas; et dans le cours de l'année, à peine touchait-il une seule fois sa femme; il était surchargé de soucis : il fit la guerre, il administra son royaume, il composa les psaumes. Les mille femmes de Salomon

 

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étaient pour lui ce que sont pour moi mes parentes Magdeleine et Elisabeth qui ont demeuré chez moi et qui sont demeurées vierges (1).

 

1 Il est impossible, en présence de ces singulières opinions de Luther sur la polygamie, de ne pas rappeler la célèbre affaire du landgrave de Hesse. En voici un récit succinct et exact.

« Le landgrave Philippe, le protecteur le plus zélé de la réforme, avait épousé Christine, fille du duc Georges de Saxe. Bien que huit enfants eussent été le fruit de celle union, la discorde régnait dans ce ménage. Le landgrave était débauché, violent, très-peu délicat dans ses amours passagers. Il devint épris de Marguerite de Saul, fille d'honneur de sa sœur Elisabeth. Cette coquette adroite et ambitieuse , Maintenon du seizième siècle, excita par sa résistance les désirs d'un prince peu habitué à soupirer, à ne pas satisfaire ses fantaisies, et sur-le champ. Il perdait le sommeil et l'appétit. En relisant la Bible (il la feuilletait souvent ainsi que les amis de la réforme), il fut frappé de l'exemple des patriarches de la Genèse, et il conçut le projet d'avoir, lui aussi, deux femmes à la fois. Cette idée devint chez lui ce que la science moderne appelle une monmanie; il voulut avoir l'autorisation de Luther et des docteurs de Wittemberg. Il prit la plume, il écrivit une lettre hautaine et impudente, où il disait crûment qu'il lui fallait une femme et que, si on lui refusait Marguerite, il en trouverait d'autres.

En même temps, son confident, le théologien Bucer, portail à l'Eglise saxonne une instruction rédigée et signée par le prince ; c'est un document très-singulier. Le landgrave avoue que, peu après son mariage, il a commencé à se plonger dans l'adultère et la fornication, mais il ne veut point changer de conduire (talem vitam deserere nolo), son épouse est acariâtre, elle sent mauvais, elle est adonnée à la boisson (quomodo se superfluo potu gerat), aussi n'a-t-il pas gardé trois semaines la foi du mariage. Il a souvent imploré l'assistance de Dieu, mais il est toujours demeuré le même. Il cite alors l'exemple de l'empereur Valentinien qui eut à la fois deux épouses et qui fit une loi pour rendre général un pareil privilège, quant à lui, il ne peut ni il ne veut (expressions plusieurs fois répétées) agir différemment. D'ailleurs il continuera de bien traiter sa première épouse et de cohabiter avec elle. (Eidem omne bonum praestare, neque ad eadem abstinere.)

«Le landgrave ajoutait qu'en cas de refus des docteurs de Wittemberg, il solliciterait une dispense de l'empereur, et qu'il se flattait de l'obtenir en donnant de fortes sommes à quelques-uns des ministres de ce souverain, mais on pourrait lui imposer en même temps des conditions défavorables aux intérêts de la réforme. Si Luther et Philippe (Mélanchton) lui venaient en aide en des choses qui n'étaient point contraires à la loi divine, ils le trouveraient prêt à leur accorder ce qu'ils lui demanderaient.

 

 

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fussent les biens des couvents ou autres objets. (Sive monasteriorum bona seu alia concernat, ibi me promptum reperient.)

La réponse à des demandes aussi pressantes ne se fît pas attendre : elle vint sous la forme d'une consultation en vingt-quatre articles, hérissée de subtilités, bourrée de citations bibliques; après avoir représenté que l'introduction de la polygamie donnerait lieu à des scandales affligeants, après avoir engagé le landgrave à vivre dans la chasteté, on finissait par dire : « Si votre altesse est complètement résolue à épouser une seconde femme, nous jugeons qu'elle doit le faire secrètement (quod si denique vestra celsiludo omnino concluserit adhuc unam conjugem ducere, judicamus id secreto faciendum)..... C'est ainsi que nous l'approuvons ( sic hoc approbamus); car l'Evangile n'a ni révoqué, ni défendu ce qui avait été permis d ans la loi de Moïse à l'égard du mariage et n'en a point changé la police extérieure, mais il a ajouté la vie éternelle, prescrivant la véritable obéissance aux ordres de Dieu et s'efforçant de réparer la corruption de la nature. »

Cette consultation était signée de Luther, de Melanchlon, de Bucer, de Corvin, de l’Enningue, de Wintferte et de Melanther. On ne peut douter qu'elle ne coûtât fort aux réformateurs, mais ils sacrifièrent tout scrupule à l'urgence de ne pas mécontenter un prince qui était leur plus ferme appui.

Peu de temps après, Denys Melander, prédicateur du landgrave , célébra dans la chapelle du château de Holenbourg le mariage du prince avec Marguerite de Saul; parmi le petit nombre de témoins qui assistèrent à cette cérémonie tenue secrète, l'acte dressé par le notaire Balthasard Rand (instrumentum copulationis) mentionne Melanchton et Bucer. Une circonstance curieuse dans une affaire de tout point si étrange, c'est qu'il fut produit une déclaration de la première femme légitime du landgrave ; la duchesse conseillait de bonne grâce à ce qu'on lui donnât une compagne afin de servir l'âme et le corps de son très-cher époux et de contribuer à l'accroissement de la gloire de Dieu ( Dilectissimi mariti animœ et corpor serviret et honor Dei promoreretur).

Le landgrave eut six enfants de Marguerite de Saul.

On peut rapprocher de ce que Luther disait de la pluralité des femmes, ce qu'il écrivit en d'autres occasions sur le même sujet; M. Michelet (t. III, p. 62) a extrait de la correspondance du réformateur les passages suivants :

« Il faut que le mari soit certain par sa propre conscience et par la

parole de Dieu que la polygamie lui est permise..... Pour moi, j'avoue que

je ne puis mettre d'opposition à ce qu'on épouse plusieurs femmes, et que cela ne répugne pas à l'Écriture sainte. Cependant je ne voudrais pas que cet exemple s'introduisit parmi les chrétiens,  à qui il convient de s'abstenir, même de ce qui est permis, pour éviter le scandale. (13 janvier 1524.)

« La polygamie, permise autrefois aux Juifs et aux gentils, ne peut, d’après la foi, exister chez les chrétiens, si ce n'est dans un cas d'absolue

 

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nécessité, comme quand on est obligé de se séparer de sa femme lépreuse.» !2I mars 1127 )

Ajoutons que divers écrivains se sont constitués les champions de la polygamie. L'un des plus célèbres est le suédois Jean Lyser, dont le gros in-4°, Polygamia triumphatrix, 1682, publié sous le nom de Théophilus Alethieus. rempli d'historiettes scabreuses et de détails hasardés, fut brûlé de la main du bourreau ; persécuté, chassé de partout, ce malheureux bossu, qu'une seule femme aurait fort embarrassé, A ce que prétend Rayle, mourut de misère en soutenant jusqu'à son dernier soupir que la polygamie était non-seulement permise, mais encore ordonnée en certains cas. Plus récemment, un théologien anglais, Martin Maldan , mort en 1790, mit au jour en 1772, sous le titre de Theluphtora or Essay on female ruin, un ouvrage en 3 volumes in-8°, qui justifie la polygamie, se fondant sur ce que la première cohabitation avec une femme est un mariage virtuel. Cet écrit fit grand bruit et fut l'objet des critiques les plus sévères. Ochin, l'un des apôtres de la réforme, avait avancé, dans le vingt et unième de ses trente dialogues (Bâle, 1563), la proposition suivante : «Un homme marié qui a une femme stérile, infirme et d'humeur incompatible, doit d'abord demander à Dieu la continence. Si ce don, demandé avec foi, ne peut s'obtenir, il peut suivre sans péché l'instinct qu'il connaîtra certainement venir de Dieu, et prendre une seconde femme sans rompre avec la première. » Par contre, un littérateur français mort à Berlin, Prémontval, a pris la peine de réunir toutes sortes de raisons, d'autorités et d'exemples Contre la pluralité des femmes, en trois volumes in-8°, intitulés: La Monogamie ou l'unité dans le mariage, 1750.

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