Du Pape

Accueil
Introduction
Diable & Co.
Contes
Des Turcs
Des Juifs
Du Mariage
La Polygamie
Du Pape
Diète de Worms
Paradis Terrestre
Pères de l'Eglise
Oiseaux
Rois et Princes
Excommunication
Ménage de Luther
Génération
Sur les Maladies
Pronostications
Prodiges
Du Suicide
De la Guerre
Des Sacrements
Du Péché Originel
De la Foi
Des Légendes
Du Jugement dernier
Les Anges
De l'Ecriture Sainte
Des Tentations
De la Patience
Les Adversaires
D'Érasme
Mélanchton
Des Jurisconsultes
De l'Ivrognerie
De l'Astrologie
De l'Astrologie
Des Conciles
Les Éléments
Visions
Sa Mort
Table
Déclaration Justification

 

DU PAPE, DE L'ANTECHRIST ET DES PAPISTES.

 

Le diable engendra les ténèbres, les ténèbres engendrèrent l'ignorance; l'ignorance engendra l'erreur et ses frères; l'erreur engendra le libre arbitre et la présomption ; le libre arbitre engendra le mérite; le mérite engendra l'oubli de Dieu; l'oubli engendra la transgression; la transgression engendra la superstition; la superstition engendra la satisfaction ; la satisfaction engendra l'offrande de la messe; l'offrande de la messe engendra le prêtre; le prêtre engendra l'incrédulité; l'incrédulité engendra le roi Hypocrisie; l'hypocrisie engendra le trafic des offrandes en vue du gain; le trafic en vue du gain engendra le purgatoire; le purgatoire engendra les vigiles solennelles de l'année ; les vigiles, de l'année engendrèrent les bénéfices ecclésiastiques ;

 

102

 

les bénéfices ecclésiastiques engendrèrent l'avarice; l'avarice engendra l'enflure du superflu; l'enflure du superflu engendra l'abondance ; l'abondance engendra la rage ; la rage engendra la licence; la licence engendra l'empire et la domination; la domination engendra la pompe, la pompe engendra l'ambition; l'ambition engendra la simonie; la simonie engendra le pape et ses frères vers l'époque de la captivité de Babylone. Apres la captivité de Babylone , le pape engendra le mystère d'iniquité ; le mystère d'iniquité engendra la théologie sophistique ; la théologie sophistique engendra le rejet de l'Écriture sainte; le rejet de l'Écriture sainte engendra la tyrannie; la tyrannie engendra le meurtre des saints; le meurtre des saints engendra le mépris de Dieu ; le mépris de Dieu engendra la dispensation ; la dispensation engendra le péché volontaire; le péché volontaire engendra l'abomination ; l'abomination engendra la désolation ; la désolation engendra le doute; le doute engendra la recherche des bases de la vérité, et c'est ce qui révèle la désolation ou l'antéchrist, c'est-à-dire le pape.

 

Saint Paul se plaignait et disait : « Le temps viendra où les hommes ne souffriront plus la saine doctrine. » Et ailleurs: «Sachez aussi que, dans les derniers jours, il viendra des temps périlleux , car les hommes n'aimeront qu'eux-mêmes. »

Lorsque je lus d'abord ces passages, je ne tournais pas les yeux vers Rome , et je crus que l'apôtre avait eu en vue les Juifs et les Turcs.

 

La manière de vivre est aussi déréglée parmi nous que parmi les papistes; aussi ne les combattons-nous pas au sujet de leur conduite, mais pour leur doctrine. Wicleff (1) et Huss furent les

 

1 Jean Wiclef ou De Wicliffe, l'un des plus célèbres précurseurs de Luther, naquit en 1324 dans le Yorkshire: il fut professeur à Oxford et il obtint la faveur du roi Edouard III. Se fiant sur son crédit à la cour, il attaqua le pouvoir des papes ; il refusa à l'Eglise de Rome toute prééminence sur les autres églises: il ne ménagea pas davantage les dogmes.

D'après lui, Jésus-Christ n'était dans l'eucharistie qu'en figure ; la confession des péchés n'était point nécessaire lorsque l'on ressentait une sincère contrition ; il n'était besoin ni de la présence, ni du ministère d'un prêtre pour le mariage, lequel se trouvait valide dès qu'il y avait consentement des parties. Devançait sur quelques points les opinions de Luther, Wicleff voulait que l'on interdit absolument le mariage à ceux qu'un trop grand âge met hors d'état d'avoir des enfants. Il ajoutait que les enfants morts sans baptême pouvaient être sauvés. Le 17 mai 1282, un concile réuni à Londres condamna vingt-quatre propositions extraites des ouvrages de Wiclef. Celui-ci quitta Oxford et se relira à Lutterworlh dans le comté de Leicester, où il était investi d'un riche bénéfice ; il y vécut sans être inquiète, et succomba, le 31 décembre 1387, à une attaque d'apoplexie. Les Wicléfites se fondirent avec les Lollards , dont le chef, Walther Lollard, avait été brûle à Cologne en 1325. Plusieurs conciles condamnèrent successivement les ouvrages de Wiclef; en 1415, le concile de Constance flétrit sa mémoire; en 1428. L'évêque de Lincoln fit exhumer le cadavre ; les ossements furent brûlés, les cendres jetées à la voirie. La vie de Wiclef a été écrite plusieurs fois (Nuremberg, 1546; Oxford, 1612; Londres 1720 et 1826;. En 1842 , un archéologue instruit, James Kenthorn Todl, a publié à Londres un curieux ouvrage attribué à cet hérésiarque : An Apology for Lollard doctrines, petit in-4°.

 

103

 

ennemis et les assaillants du genre de vivre et de la conduite déréglée des papistes. Je m'oppose et je résiste surtout à leur doctrine, j'affirme avec netteté et maturité qu'ils n'enseignent pas la vérité ; aussi suis-je appelé. Je prends l'oie par le cou et je mets le couteau à la gorge. Lorsque je puis prouver que la doctrine du pape est fausse ( ce que j'ai prouve et établi ), alors je puis facilement prouver que leur conduite est mauvaise. Le pape a détruit la parole et la doctrine pures; il a apporté une autre parole et une autre doctrine qu'il a accrochées à l'Église. J'ai ébranle toute la papauté avec ce seul point ; j'enseigne avec droiture et ne me mêle de rien autre. Nous devons insister sur la doctrine, car elle casse le cou au pape. Aussi le prophète Daniel a-t-il bien justement tracé le portrait du pape, en disant que ce serait un souverain qui agirait selon sa volonté, c'est-à-dire qui n'aurait égard ni au spirituel ni au temporel, mais qui dirait nettement et brièvement : « Je veux que ceci et cela soit ainsi. » Car le pape ne tire son institution et son autorité ni du droit divin ni du droit humain ; c'est une créature humaine qui s'est choisie elle-même et un intrus. Saint Paul avait

 

106

 

lu Daniel avec attention , et il fait usage à peu près des mêmes mots lorsqu'il dit : « L'homme de péché, le fils de perdition, s'élève au-dessus de tout ce qui est nommé Dieu ou qu'on adore. »

 

De mon temps, lorsque j'étais à Rome , une dispute eut lieu publiquement, à laquelle assistèrent (sans me compter ), trente savants docteurs, et qui fut contre le pouvoir du pape , lequel se vantait de commander, de sa main droite, aux anges dans le ciel et de tirer, de sa main gauche , les âmes du purgatoire, et de ce que sa personne était mêlée avec la divinité. Mais Calixte disputa contre «s assertions et montra que c'était seulement sur la terre que pouvoir avait été donné au pape de lier et de délier. Les autres docteurs l'attaquèrent à ce sujet avec une excessive véhémence, et Calixte finit alors par dire qu'il ne parlait ainsi que par manière de dispute, et que ses sentiments intimes différaient de ses paroles.

 

Pendant bien des siècles il n'y a pas eu un évêque qui ait montré quelque zèle au sujet des écoles, du baptême et de la prédication ; c'aurait été trop de peine et de bravait pour eux, tant ils étaient ennemis de Dieu. J'ai entendu divers docteurs respectables affirmer que l'Église avait, depuis longtemps, besoin d'une réforme ; mais personne n'avait eu la hardiesse d'attaquer la papauté , car le pape avait arboré sur sa bannière : Nolime tangere, ne me touche pas; aussi chacun gardait-il le silence. Le docteur Staupitz me dit un jour : « Si vous vous en prenez à la papauté, vous aurez le monde entier contre vous. » Et il ajouta : « Néanmoins l'Église est bâtie sur le sang, et c'est avec du sang qu'elle doit être arrosée. »

 

Je voudrais que lotis ceux qui oui l'intention de prêcher l’Evangile lussent avec attention les abominations des papistes,

 

105

 

leurs décrets et leurs livres, et, sur toutes choses, qu'ils considérassent avec réflexion et d'une manière sérieuse les horreurs de la messe ; cette idolâtrie seule aurait pu provoquer la colère de Dieu et l'amener, dans sa justice, à noyer et détruire le monde entier; de cette manière, leurs consciences seront armées et renforcées contre leurs adversaires.

 

Le pape et sa bande ne peuvent endurer l'idée d'une réforme; ce mot inspire à Rome plus d'effroi que la foudre venant du ciel ou que le jugement dernier. Un cardinal disait dernièrement : « Qu'ils boivent et qu'ils mangent, et qu'ils fassent ce qu'ils voudront, mais s'ils songent à nous réformer, ce sera en vain , et nous ne le souffrirons pas. » De notre côté, nous autres protestants, nous ne nous contenterions pas qu'on administrai la communion sous les deux espèces et qu'on permit aux prêtres de se marier ; mais nous aurons pure et sans falsification la doctrine de la foi , et nous aurons la droiture qui justifie et qui sauve devant Dieu , et qui chasse toute idolâtrie et fausse adoration; cela détruit et renversé, la base sur laquelle, repose la papauté tombe aussi.

 

        Les papistes allaient en pèlerinage aux tombeaux des saints; ils allaient à Rome , à Jérusalem , à Saint-Jacques de Compostelle, pour expier leurs péchés. Un certain prince d'Allemagne, bien connu de moi, alla à Compostelle, où l'on prétend qu'est enseveli saint Jacques, le frère de saint Jean. Ce prince se confessa à un Franciscain qui était un honnête moine, et comme l'usage était, parmi les papistes, de rapporter de Compostelle de grandes indulgences et des pardons que l'on accordait à ceux qui donnaient de l'argent pour les avoir, le moine demanda au prince s'il était Allemand. Le prince répondit qu'oui, et alors le moine lui dit : « O mon cher enfant, pourquoi viens-tu chercher si loin ce que tu as bien mieux en Allemagne? J'ai lu et vu les écrits d'un moine augustin, concernant les indulgences et le

 

106

 

pardon des péchés, et il y prouve puissamment que la véritable rémission des pèches consiste dans les mérites et souffrances de notre Seigneur Jésus-Christ, en qui se trouve le pardon de toutes nos fautes. Reste donc attaché à cette doctrine et ne souffre pas que l'on t'en éloigne. Je me propose (avec le bon plaisir de Dieu), de renoncer bientôt à cette vie antichrétienne, de me rendre dans votre Allemagne et de me joindre à ce moine augustin. »

 

Jésus-Christ a passe trente-trois ans sur la terre, et chaque année il se rendait trois fois à Jérusalem, ce qui fait qu'il y est allé quatre-vingt-dix-neuf fois. Si le pape pouvait faire voir que Jésus-Christ est venu une seule fois à Rome, quel serait son orgueil, et comme il en tirerait vanité! Et, toutefois, Jérusalem a été détruite de fond en comble.

 

Le célibat que les papistes louent tellement est une grande hypocrisie et un grand mal ; nous sommes déçus sous l'apparence de l'autorité des Pères de l'Église. Augustin fut trompé par les honneurs rendus aux religieuses: quoiqu'il vécut à une époque bien meilleure que celles qui suivirent, et bien qu'il ait permis aux religieuses de se marier, si elles le voulaient, il dit cependant qu'elles péchaient en agissant ainsi, et qu'elles n'agissaient pas selon la droiture aux yeux de Dieu. Ensuite, quand vint le temps de colère et d'aveuglement, lorsque la vérité fut poursuivie et que le mensonge prit le dessus, alors, sous couleur de grande sainteté (et ce n'était au fond qu'hypocrisie), les pauvres femmes furent condamnées. Mais Jésus-Christ a détruit tous les arguments d'un seul mot : « Il les créa mâle et femelle. »

 

J'admire la folie et l'amertume de Wetzell, lorsqu'il essaye de beaucoup écrire contre les protestants, et lorsqu'il déclame contre nous sans rime ni raison ; par exemple , lorsqu'il s'emporte

 

107

 

contre ce principe : les œuvre et actions d'un fermier, d'un cultivateur ou de tout autre bon et pieux chrétien (pourvu qu'elles s'accomplissent avec foi), sont d'un bien plus grand prix aux yeux de Dieu que toutes les œuvres des moines, frères, religieuses, etc. Ce pauvre ignorant se fâche et s'irrite beaucoup contre nous. Il ne fait pas attention aux oeuvres que Dieu a commandées et imposées à chacun suivant sa profession et sa vocation. Il ne s'y arrête nullement, mais il ne songe qu'à des pratiques superstitieuses et faites pour attirer les regards, pratiques que Dieu n'a point commandées et qu'il n'approuve point. Saint Paul s'est exprimé, au sujet des bonnes œuvres et des vertus, avec plus d'énergie et plus de vérité que les philosophes; car il loue en termes fort élogieux les œuvres des pieux chrétiens dans leurs occupations en ce monde. Que Wetzell sache que les guerres de David et les batailles qu'il livra étaient plus agréables à Dieu que les jeûnes et prières des plus saints et plus honnêtes d'entre les moines, beaucoup plus que les œuvres de nos moines d'à présent, devenus ridicules et superstitieux.

 

Parmi les papistes tout se fait sans peine; jeûner leur donne moins de peine qu'à nous de manger. Pour un jour où l'on jeune, il y a trois jours où l'on dévore. Chaque moine, pour sa collation du soir, a deux quarts de bière , un quart de vin, des gâteaux aux épices ou du pain préparé avec des épiées ou du sel, et cela pour donner plus de saveur à ce que l'on boit. Ainsi agissaient ces pauvres frères voues à l'abstinence ; ils étaient si pâles et si maigres qu'ils ressemblaient à des anges en colère.

 

Beaucoup d'Italiens sont bien disposes pour la religion protestante , ils auraient bien voulu que je ne touchasse pas à la messe, car la rejeter leur semble une hérésie abominable. Ils ont tellement de confiance en la messe qu'ils croient que celui qui l'a entendue est, pour tout le reste du jour, exempt de tout danger, qu'il ne peut commettre de péchés, quoi qu'il fasse, et que

 

108

 

rien ne peut lui arriver de fâcheux; aussi advient-il qu'après l'audition de la messe il se commet beaucoup de meurtres et de péchés. Je me souviens que, lorsque j'étais à Rome, il y avait un Italien qui avait cherché durant deux années son ennemi afin de se venger de lui; enfin il l'aperçut dans l'église où lui-même venait d'entendre la messe et de se relever de devant l'autel ; il s'avança vers lui et lui donna un coup mortel avec son poignard et s'enfuit ensuite. Mon livre sur l'abolition de la messe est écrit avec beaucoup de véhémence contre les blasphémateurs; ce n'est pas pour ceux qui commencent à marcher dans la vraie doctrine, pour ceux qui naissent à peine à la parole de Dieu : ceux-là sont offensés de la façon dont je m'exprime , et ce n'est pas étonnant; si quelqu'un avait essayé, il y a vingt ans, de m'arracher la messe, il aurait fallu qu'il tirât bien fort avant que je lui cédasse, car mon cœur y était attaché, et je l'adorais; maintenant, grâce à Dieu , je suis d'un autre avis, et j'ai la conviction que les raisons sur lesquelles s'appuient la messe et la papauté tout ensemble, ne sont qu'imposture et idolâtrie.

 

Un capucin dit : « Porte une robe grise et un capuchon, attache un cordon autour de ton corps et mets des sandales à tes pieds» ; un cordelier dit : « Porte un capuchon noir »; un papiste dit: «Fais telle ou telle chose, entends la messe, prie, jeûne, fais l'aumône. » Mais un vrai chrétien dit : « Je ne deviens juste et je ne suis sauvé que par la foi en Jésus-Christ, sans aucune œuvre ni mérite qui me soit personnel. » Comparez maintenant, et jugez où est la vraie justice.

 

En Italie, les hôpitaux sont pourvus de tout ce qui est nécessaire; ils sont bien bâtis, on y a de bonnes choses à boire et à manger; on y est servi avec soin; les médecins sont habiles; les lits et le mobilier sont propres et bien tenus; aussitôt qu'un malade est apporté, on lui ôte ses habits en présence d'un notaire public, qui les enregistre; ils sont mis de côté avec soin; le malade

 

109

 

est recouvert d'un vêlement blanc et déposé dans un lit bien préparé. Bientôt après, on lui amène deux médecins, et les serviteurs apportent des aliments et des boissons dans des vases et des coupes d'un verre bien net, qu'ils ne louchent qu'avec un seul doigt. Des femmes mariées (dont la figure est voilée) viennent assister et servir les pauvres sans être connues, et retournent ensuite chez elles. Ces œuvres sont bonnes et louables; mais le mal est que les Italiens s'imaginent ainsi mériter le ciel et être sauvés par suite de semblables bonnes œuvres; cela gâte tout.

 

La tête de l'antéchrist est à la fois le pape et le Turc, car une bête qui est pleine de vie doit avoir à la fois un corps et une âme L'esprit ou l'âme de l'antéchrist est le pape, sa chair ou son corps est le Turc. Ce dernier ravage, attaque et vexe l'Eglise de Dieu corporellement; le premier s'en prend à elle spirituellement. Mais, de même que du temps des apôtres l'Église a remporté la victoire et qu'elle a triomphé des Juifs et des Romains, elle restera, de nos jours, solide et stable, en dépit des superstitions et des idolâtries du papisme et malgré le pouvoir, la tyrannie et les dévastations du Turc et de ses autres ennemis (1).

 

Le docteur Luther cita un jour ces paroles du prophète Daniel (chap. VII, v. 1 ) : « Ce sera un temps de détresse, tel qu'il n'y en a point eu depuis qu'il y a eu des nations jusqu'à ce temps-là, etc. » Cette prophétie s'applique parfaitement à l'antéchrist, quoiqu'elle porte le nom du roi Antiochus, et tous les interprètes sont d'accord à cet égard ; car l'antéchrist n'aura nul respect ni pour Dieu, ni pour la perpétuité de la race humaine,

 

1 Un écrivain anglais, Matthieu Sutliwe, a composé un volume entier pour développer l'idée de Luther au sujet de la coopération du pape et du Turc: voici le titre de ce bouquin jadis recherché : De Turco-papismo, hoc est de Turcorum et Papistorum adversus Christi Ecclesiam et fidem conjuratione; Londres, 1604, in-8°.

 

110

 

c’est-à-dire pour le mariage. On doit comprendre que l'antéchrist déteste deux choses : Dieu ( c'est-à-dire la religion ) et les hommes, et comme il est un homme, il n'aura nulle sympathie pour les femmes; au contraire, il en sera l'ennemi, ce qui veut dire qu'il sera hostile à l'administration civile et domestique, à toutes les lois, aux empereurs, aux rois. Car c'est par les femmes que le-enfants-ont engendrés, et c'est ainsi que la race humaine se perpétue et que le monde se conserve. Et là où les femmes ne sont pas respectées, il n'y a que mépris pour les lois et les ordres des souverains.

 

Celui qui témoigne du mépris aux prédicateurs et aux femmes s'en trouvera toujours mal. C'est Dieu et l'espèce humaine qu'il méprise.

 

Daniel a été un prophète éminent et glorieux , et Jésus-Christ l'a aimé, ainsi qu'il est dit dans saint Matthieu , ch. XXIV, v. 15 Il a parlé de la persécution en termes aussi clairs que si déjà il en avait été témoin. Lisez le douzième chapitre en entier. Il s'applique bien à l'époque où l'empereur Caligula et d'autres tyrans ont régné; mais il y est indiqué de la façon la plus formelle que c'est dans une ville, entre les deux mers, c'est-à-dire à Rome, en Italie, c'est là que le tyran doit régner. le Turc règne aussi entre deux mers, à Constantinople , mais ce n'est point une ville sainte ; il ne protège et n'encourage pas le culte du dieu Maosim (v. 3 ), et il n'interdit point le mariage. C'est donc le pape que le prophète a eu en vue, et il ajoute (v. Il ) que le tyran doit être abandonné des forts. C'est ce qui se réalise, car nous voyons que les rois et les princes s'éloignent du pape et le laissent tout seul. Je vous exhorte donc à ajouter-foi entière aux paroles de Daniel et à demeurer bien persuadés que le pape est réellement l'antéchrist

 

1 L'identité de l'antéchrist et du pape avait déjà été soutenue et développée par Jean Hus, dans son traité de Anatomia Antichristi. Depuis Luther,

 

111

 

Quant à ce qui regarde les formes extérieures de la religion, il n'y a aucune différence entre le pape et le Turc, si ce n'est dans quelques cérémonies. La raison en est que le Turc conserve les cérémonies de la loi de Moïse, et que le pape garde les cérémonies chrétiennes; mais ions deux les falsifient et les corrompent. De même que le Turc corrompt et altère les préceptes de Moïse au sujet des ablutions et des bains, de même le pape altère le sacrement du baptême et celui du véritable corps et du sang de notre Seigneur Jésus-Christ.

 

Le royaume de l'antéchrist a été fort bien dépeint et retracé dans les prophéties de Daniel et dans l'Apocalypse de saint Jean. L'Apocalypse dit ( ch. XIII, v. 17) : « Ils prenaient une marque dans leur main droite ou sur leur front. » Ceci semble d'abord une prédiction relative au Turc et non au pape. Mais un examen attentif du texte montre, ainsi que la suite le prouve, qu'il s'agit de la tyrannie et des cruautés du pape dans les choses temporelles. Nous lisons aussi dans l'Apocalypse (ch. XII , v. 14) : « Elle est nourrie un temps, et des temps, et la moitié d'un temps. » Ici la question est : qu'est-ce qu'un temps ? Si un temps doit s'entendre d'une année, le passage signifie trois ans et demi, et il se rapporte , en ce sens, à Antiochus, qui persécuta en effet le peuple d'Israël durant une période de cette durée , mais qui mourut enfin dans son ordure et plein de pourriture. Le pape succombera de même et il expirera misérablement,

 

cette même thèse fut défendue dans de nombreux ouvrages ; nous n'en citerons que deux : celui de Ph. Nicolaï, de Duobus Antichristis (Marpurgi, 1590), et celui de Georges Thomson : La Chasse de la bête romaine, où il est recherché et évidemment prouvé que le pape est l'Antéchrist (La Rochelle, 1611 ; Genève, 1612). Nous laisserons de côté les flots d'injures accumulés dans Wigand (Synopsis Antichristi romani, spirituoris Christi revelati); dans Judex (Gravissimum edictum et mandatum Dei quomodo quisque sese adversus Antichristum romanum gerere et exhibere debeat); dans le Mandement de Lucifer à l'Antéchrist, pape de Rome et à tous les suppôts de son Eglise (1562). Pareils pamphlets, dont il est impossible de lire aujourd'hui deux lignes, remuèrent alors l'Europe.

 

112

 

car ce n'est pas par un effet de la protection divine qu'il a fondé son pouvoir, mais par la superstition et par une interprétation forcée et outrée de quelques passages de l'Écriture sainte.

 

La papauté s'est établie sur une base qui amènera sa chute. La prophétie de Daniel (ch. VIII, v. 25) le montre : « Et par le moyen de son esprit il fera prospérer la fraude en sa main, il s'élèvera en son cour et en gâtera plusieurs par la prospérité.» C'est au pape que ceci se rapporte spécialement. Tous les attires tyrans et monarques ne succombent que sous une puissance terrestre, mais cette prophétie s'applique également au Turc et au pape; car tous deux ont commencé à régner vers la même époque, sous l'empereur Phocas, qui fit cruellement mettre i mort son prédécesseur et souverain , l'empereur Maurice, ainsi que sa femme et ses enfants. Il y a à peu près neuf cents ans que cela s'est passé. Le pape commença à régner spirituellement sur l'Église au moment où Mahomet fonda sa puissance. L'empire temporel du pape a duré à peine trois cents ans, parce qu'il a tourmenté et vexé les empereurs et les rois.

 

Je ne peux bien définir et comprendre cette prophétie : « Un temps, deux temps et la moitié d'un temps. » Je ne vois pas si elle s'applique au Turc, qui a commencé à régner après avoir fait la complète de Constantinople en 1453, il y a 85 ans. Si je calculais un temps d'après l'âge de Jésus-Christ, trente ans, cette expression signifierait cent cinq ans, et le Turc attrait donc encore dans l'avenir vingt ans de règne. Mais, après tout, Dieu sait bien ce qui en est, et nous ne devons pas nous piquer de tout connaître, ni nous tourmenter pour tout savoir; songeons plutôt à faire pénitence et à nous adonner à la prière.

 

Je Crois que le pape est un démon incarne et déguise, puisqu'il est l'antéchrist. De même que Jésus-Christ est réellement

 

113

 

Dieu et homme , de même l'antéchrist est un démon incarné. On dit ainsi avec vérité que le pape est un dieu terrestre, car il n'est ni un dieu réel ni un homme réel, mais il mêle en lui les deux natures. Il s'intitule un dieu terrestre, comme si le seul et vrai Dieu tout-puissant n'était pas aussi Dieu sur cette même terre. La domination du pape est vraiment un attentat contre la puissance de Dieu et contre les races humaines. C'est un grand blasphème que commet ainsi un homme qui ose se mettre, dans l'Église de Dieu, au-dessus de Dieu, après la venue et la révélation de Jésus-Christ. Si pareille chose était arrivée sous les païens, avant la venue de Jésus Christ, elle aurait été moins surprenante. Quoique Daniel, Jésus-Christ lui-même, les apôtres saint Pierre et saint Paul nous aient diligemment prémunis contre ces bêtes venimeuses et cette peste , nous sommes, nous autres chrétiens, tellement insensés et stupides, que nous

avons ajouté foi à tous les mensonges et à l'idolâtrie du pape, et que nous nous sommes laissé persuader qu'il était le seigneur du monde entier , comme héritier de saint Pierre, bien que Jésus-Christ et saint Pierre n'eussent laissé aucune succession sur la terre.

 

On demanda au docteur Martin Luther d'où venait le nom de pape (papa) donné à l'évêque de Rome, et il répondit: «Je ne saurais donner aucune raison certaine de ce qu'il porte ce nom, à moins qu'il ne vienne du mot abba, qui aurait été répété deux fois, comme si l'on voulait dire le père des pères. Dans l'antiquité, le nom de pape se donnait aux évoques; saint Jérôme écrivant à saint Augustin , qui était évêque d'Hippone, lui donne la qualification de saint pape; et dans la légende de saint Cyprien, martyr, on lit que le juge lui demanda :« Es-tu ce Cyprien que les chrétiens appellent leur pape? » Il me semble que c'est un nom qui a pu s'appliquera tous les évêques; les enfants: appellent leurs pères papa, et les évêques sont aussi les pères des enfants. »

Qui est-ce qui aurait osé, il y a trente ans, dire du pape ce que l'on en dit maintenant? L'on ne pouvait alors s'exprimer

 

114

 

sur son compte qu'entérines de vénération et de supplication, et l'on aurait été cent fois banni et condamné si l'on s'était déclaré son ennemi.

 

Il y eut trois papes qui se succédèrent dans un court espace de temps. Lorsque le premier fut mort, celui qui le remplaça déclara nuls tous ses décrets, lois et ordonnances ; il le fit exhumer et lui fit couper les doigts. Quand celui-là fut mort également, vint le troisième ; il défit tout ce qu'avait fait son prédécesseur, et il ordonna également que son cadavre fut déterre, et il le fit jeter dans le Tibre , après qu'on lui eut tranché la tête. Telle était la tyrannie des papes, et voyez à quels excès ils se livraient.

Jules , second du nom , a été un homme habile pour la guerre et l'administration ; il a combattu contre l'empereur, les Vénitiens et le roi de France. Lorsqu'on lui annonça que les Français avaient battu son armée à Ravennes, il blasphéma contre Dieu et il dit : «Seigneur, si tu m'abandonnes, je t'abandonnerai aussi. » Il regarda ensuite à terre et il s'écria : « Saint Suisse, prie pour nous! » Et il envoya aussitôt l'évêque de Salzbourg, le cardinal Mathias Langon , à l'empereur Maximilien.

Ce pape était très-redouté des cardinaux et des Romains. Il fit tenir les rues de Rome si propres que de son temps il n'y cul aucune peste. Chaque jour il se levait à deux heures du malin, et il s'appliquait aux affaires jusqu'à cinq ou six heures, s'occupant beaucoup de négociations , de guerres, d'édifices , de monnaies, etc. On dit qu'il avait cinquante-six tonnes pleines d'or. Etant près de rendre le dernier soupir, il les partagea entre ceux qui gardaient son trésor, et ils emportèrent 500.000 florins.

Il aspirait à l'empire et il aurait bien voulu être empereur; il a donné beaucoup d'embarras au roi de France, Louis. Ce monarque écrivit à toutes les universités de son royaume, leur demandant de combattre, dans des écrits publies, les prétentions du pape. Si j'avais vécu dans ce temps-là, j'aurais été mandé à Paris et traité avec de grands honneurs; mais j'étais alors trop jeune. Dieu voulut que ce fût par sa sainte parole et non par la

 

115

 

puissance du roi de France que l'empire du pape fût renversé ; car Dieu, lorsqu'il le veut, de rien fait quelque chose , et de même il anéantit ce qui est. Il n'a qu'un mot à dire : « Tombe, Jérusalem ! Rome, sois réduite en cendres! Roi, descends de ton tronc! Pape, perds ton empire!» Et tout se détruit, tout s'écroule. Il a renversé le pouvoir de la papauté, qui était le plus grand de tous.

Le pape Jules voulait être empereur, Alexandre ( VI) voulait élever son fils. et le pape Léon, son frère à l'empire; il le fit roi de Naples, mais il mourut empoisonné. Le pape Clément fut le plus riche de tous, car il cuira en possession des trésors du pape Jules. Il était très-rusé et très-adroit; il était de Florence. C’était d'ailleurs un fils de p....n , un bâtard de la maison de Médicis.

En somme, il n'y a jamais eu sur la terre de plus grand coquin que le pape Clément VII; aussi Dieu l'a-t-il privé de toute l'autorité et de toute la puissance qu'il possédait. Les fauteurs de Jules disaient que depuis saint Pierre il n'y avait eu aucun pape qui eût été en possession d'une pareille suprématie. Voyez ce qui en reste.

Le pape Alexandre était un Marane, c'es-à-dire un Juif baptisé, qui ne croyait à rien. Le pape Jules , qui lui succéda , avait contre lui des sentiments si hostiles qu'il fit briser et détruire toutes les portes et toutes les fenêtres sur lesquelles étaient les armoiries d'Alexandre.

 

Il y eut un homme qui avait si grande envie d'être pape qu'il se donna au diable, à condition que le démon le ferait parvenir à la papauté, et il fut convenu entre eux que le diable n'aurait d'empire sur lui qu'après qu'il aurait dit la messe à Jérusalem. Il advint que ce pape ayant dit la messe dans une chapelle, à Rome, qui portait le nom de Jérusalem (circonstance qu'il ignorait), les démons accoururent pour le saisir. Il demanda quel était le nom de la chapelle, et quand il en eut été informé, il avoua le pacte qu'il avait fait avec les démons et il implora la miséricorde divine, et les démons le mirent en pièces; mais les

 

116

 

Romains disent que son repentir l'a sauvé et que sa mort a expié sa faute.

 

J'ai vu à Rome, dans une grande rue qui mène droit à l'église Saint-Pierre, la statue d'une femme revêtue des insignes de la papauté et tenant un enfant dans ses bras. Nul pape ne passe jamais dans cette rue, pour ne pas voir cette statue.

 

Une femme, nommée Agnès, qui était née à Mayence, avait été, fort jeune encore, conduite en Angleterre par un cardinal , et de là menée à Rome, déguisée en homme. Les cardinaux l'élurent pour pape, mais elle se livra à l'impudicité, et sa honte fut si publique qu'elle accoucha dans cette même rue. Je suis étonné que les papes laissent subsister cette statue, mais c'est Dieu qui les frappe d'aveuglement (1).

 

1 Personne ne croit maintenant à l'existence de la papesse Jeanne, érigée en successeur de Léon IV (en 857) sous la plume de quelques chroniqueurs crédules et des premiers réformateurs. Celle fable se trouvait déjà dans Gervais de Tilbury, dans le dominicain Étienne Bellaville de Borbone, et dans divers autres vieux volumes, lorsque Luther s'empressa de l'adopter. Divers ouvrages spéciaux ont été consacrés à l'examen de cette question. Citons les plus remarquables :

Blondit, Johanna papissa. Amst., 1657, in-8°.

C. Leibnitz. Flores sparsi in tumulum Papistae (ouvrage inséré dans la biblioth. histor. Gotlingue, 1758. 1,297).

Cooke, Dialogue entre un protestant et un papiste. Sedan, 1664, in-8°.

Spanheim, De Joh. papissa. ; Voir ses œuvres, Leyde, 1701, II, 5.)

Ciampi, Dissamina di C. Doccucio intorno alla papissa Giov. Firenze, 1828,in 8°.

W. Smets, Das Mahrchen, v. d. Papstin Johanna neu erortert. Colin, 1829, in-8°.

Ajoutons que le catalogue Barré (1746) indique (no 4990-5003) 14 ouvrages sur la papesse Jeanne, et que le catalogue Secousse (n° 918-932) en énumère 16. M. Bouchot (Journal de la Libr., 1831, p. 59) a mentionné cinq pièces de théâtre sur le même sujet.

 

117

 

Du temps de Jean Huss, il y eut à la fois trois papes, et ils s'excommuniaient mutuellement, eux et leurs adhérents, Jean XXIII tenait sa cour à Rome; Pierre de Lima était en Aragon, et Benoit dans les montagnes de l'Italie. C’était une dissension horrible qui annonçait que la chute de la papauté était proche. L'empereur Sigismond, ne pouvant tolérer un semblable état de choses, convoqua un concile à Constance. Mais les cardinaux ne voulurent entendre parler d'aucune réforme; ils dirent , en faisant une faute de langue , que ce n'était pas un schisme schismam ). L'empereur répondit: « Ne connaissez-vous pas votre Priscien (1)? Il faut dire schisma et non schismam. » Un cardinal répliqua : « Nous sommes au-dessus des règles et des lois, et nous sommes de même supérieurs à Priscien et aux grammairiens. » Les trois papes furent déposés dans le concile et un quatrième fut élu. Mais le pape Jean, qui avait abdiqué dans l'espoir qu'il serait renommé, mourut de chagrin en se voyant trompé dans son attente (2) ; Benoît en fit de même ; Pierre de Luna, retiré en Espagne, y mourut sans avoir cédé un seul point de ses prétentions.

 

Le pape Jean fut rejeté à cause des crimes qu'on avait à lui reprocher, car il avait tué son père, il avait vendu les évêchés, etc. Lorsqu'on lut publiquement devant lui de semblables inculpations (elles ne formaient pas moins de trente articles), il dit: « J'ai fait bien pis que tout cela, puisque je me suis laissé persuader de quitter Rome et de passer les monts pour venir ici. Si j'étais resté a Rome, vous ne m'auriez pas dépose. »

 

1 Grammairien latin dont les divers écrits, De octo partibus orationis, De Constructione, etc., ont été souvent reimprimés au quinzième et au seizième siècle; il en a paru à Leyde, en 1818, une bonne édition critique due aux soins du savant philologue Lendermann.

2 Ce fut Martin V qui fut élu. Il n'est pas tout à fait exact de dire que Jean succomba au chagrin; il vint trouver à Florence son successeur, il se jeta à ses pieds et ratifia pleinement l'acte de son abdication. Le nouveau pape le reçut avec bonté et le fil doyen du sacré collège.

 

118

 

Le pape Paul III avait une sœur; avant d'être cardinal, il la donna pour maîtresse au pape, et il obtint ainsi la dignité de cardinal ; il renvoya ensuite sa femme, car il était marié, et il avait un fils qui est maintenant cardinal. Les papes ont commis des turpitudes et des abominations que l'on ne saurait concevoir : les ecclésiastiques devaient payer au pape un florin lorsqu'ils avaient un enfant de leurs ménagères , et la mère était tenue également à acquitter un florin. Et de la vint que les prêtres entretenaient, sans bonté et sans crainte, des p....ns auprès d'eux.

 

Je connais une ville où les concubines des ecclésiastiques étaient, lors des réunions et des noces, traitées avec beaucoup d'honneur, et on les appelait madame la doyenne, madame la prévôté, madame la chanoinesse , etc. Ainsi le docteur Staupitz reprit-il en riant l'évêque de M., et il lui dit qu'il était le plus grand teneur de mauvais lieux qu'il y eût en Allemagne, puisqu'il n'y avait pas de maître d'une maison de p....ns qui, même dans les endroits les plus riches, touchât plus de cinquante florins de revenu annuel, tandis que lui, l'évêque, recevait cinq cents florins et plus. Le prélat se mit à rire et répondit : « Oui , cela sert à payer les scribes de la chancellerie. »

 

Un chanoine de W. enleva à un mari sa jeune femme et il dit à l'époux : « Si tu consens à ce qu'elle reste avec moi, tu trouveras en moi un bon maître, autrement tu auras beaucoup à souffrir. » — «Voilà, dit le docteur Luther, un trait digne de l'insolence italienne, et un de ces péchés qui crient vengeance au ciel. Et c'est ainsi que Moïse a dit : « Ils ont pris pour femmes celles qu'ils ont voulu , car toute l'imagination des pensées de leur cœur n'était que mal en tout temps. »

 

119

 

D’où vient que les papes prétendent que ce sont eux qui forment l'Église, tandis qu'ils sont les ennemis de l'Église, et qu'ils n'ont nulle connaissance et surtout nulle intelligence de l'Ecriture sainte ? Pape . cardinaux , évêques, aucun d'eux n'a lu la Bible ; elle leur est complètement étrangère ; ce sont de grosses bedaines, riches, indolentes, paresseuses; ils se reposent sur leur puissance , et ce dont ils se soucient le moins , c'est d'accomplir la volonté de Dieu. Les sadducéens avaient beaucoup plus de piété que les papistes; Dieu nous garde de la sainteté de ceux-ci. Prions afin d'être préservés de la sécurité, car elle engendre l'ingratitude , ensuite le mépris de Dieu , puis le blasphème et enfui la persécution des choses divines. Et c'est ainsi que le diable nous conduit jusqu'au dernier échelon du mal.

Quelqu'un parla un jour des signes et des merveilles qui devaient accompagner la venue de l'antéchrist lorsqu'il se montrerait avant le jugement dernier et il dit qu'il devait avoir un souille de feu qui renverserait tous ceux qui s'opposeraient à lui ; le docteur Luther répondit : « Ce sont des parallèles, mais elles s'accordent en partie avec les prophéties de Daniel; car le trône du pape est enflammé, et le feu est son arme comme le

 

1 On formerait une bibliothèque considérable en réunissant les différents écrits dont l'antéchrist a été le sujet aux seizième et dix-septième siècles. La base d'une pareille collection serait l'ouvrage du dominicain Malvenda , De Antichristo libri XI (Rome, 1603, in fol.: Valence, 1621 : Lyon, 1647), volume où s'étaient une érudition immense et des opinions singulières. Une idée assez étrange de quelques rabbins au sujet de la naissance de l'antéchrist est rapportée dans un bizarre et savant ouvrage anglais ( Nimrod, a discourse on certain passages of history and fable; Londres, 1828, 4 vol. in-8°) he will be born at Edow of the marble statue of a virgin impregnated by several wicked men t. III, p. 381). Indiquons, pour mémoire, le Traité de l'advènement de l'Antéchrist (Paris, Verard, 1492, in-fol.): le Vaso di verita dove si tratta dell’ origine, nascita, vita, opère e morte dell’ Antichristo, del P. Al. Porri (Venetia, 1597, in-4°) : une dissertation de Grotius dans les Critici sacri, 1697, tom. V (le savant Hollandais croit que c'est Caligula); les écrits de Gratarolo, de Dumolin, de Perrier.

 

120

 

sabre est celle du Turc. L'antéchrist attaque avec le feu et il sera puni par le feu, ainsi que l'exprime le proverbe: « De celui qui aura répandu le sang sera répandu le sang. » Le pape est aujourd'hui saisi de crainte ; il se cache derrière ses montagnes, il est forcé de souffrir bien des choses contre lesquelles il aurait autrefois lancé ses foudres et ses éclairs.

 

Il y avait, du temps de Léon X, dans un couvent d'augustins, deux moines qui furent révoltés de la conduite impie et horrible des papistes, et dans leurs sermons ils dirent quelque chose contre le pape. Voici que deux assassins s'introduisirent furtivement , pendant la nuit, dans le couvent; ils égorgèrent ces deux moines, leur coupèrent la tête, leur arrachèrent la langue et la leur mirent au derrière. C'est ainsi qu'agissaient les papes.

 

Le 8 août, arriva une lettre de Bucer (1), où il était dit que le concile de Vienne était terminé et que les cardinaux s'étaient retins, et que l'Évangile était accueilli à Plaisance et à Bologne avec beaucoup de joie et d'empressement. Le pape en était extrêmement irrité, et il avait mandé à Rome un Allemand qui se nommait Corfentius , en lui accordant un sauf-conduit. Celui-ci s'étant mis en route et voulant savoir pour quels motifs il était mandé, fut arrêté en chemin et jeté dans le Tibre de dessus un pont. Le docteur Luther dit alors : « Telle est la bonne foi des papistes de l'Italie. Heureux celui qui ne se fie

 

1 Martin Rucer, l'un des collaborateurs les plus zélés de Lutter, né à Strasbourg en 1491, fut d'abord dominicain; il prit une part très active aux controverses qui s'élevèrent dans le sein de la réforme, au sujet de l’eucharistie. En 1549, il passa en Angleterre; il mourut en 1551 à Cambridge. Sous le règne de Marie, ses restes furent exhumés et jetés au feu. Il s'était marié deux fois et il laissa treize enfants de sa première femme qu'il avait tirée du cloître pour l'épouser. Il serait superflu de donner ici la liste de ses nombreux écrits devenus rares et bien peu recherchés de nos jours.

 

121

 

pas à eux ! Si les hommes de Dieu qui prêchent l'Évangile en Italie restent fermes , il y aura beaucoup de sang répandu. Voyez quelles machinations et quelles embûches sont ourdies contre tous en Allemagne: nous n'avons pas une seule heure où nous puissions nous dire en sûreté. Que de pièges nous ont tendus les papistes durant cet été! Si Dieu ne veillait pas sur nous et ne nous protégeai! pas, nous aurions depuis longtemps succombe.»

Quelqu'un demanda comment saint Jacques avait été à Compostelle. Le docteur Martin répondit : « Comment se fait-il que l'on trouve dix-huit apôtres, tandis que Jésus-Christ n'en a eu que douze? Car il yen a six à Tolosa ; saint Matthieu s'y trouve, et il est également à Trêves et à Rome. En beaucoup d'endroits, les papistes se vantent de posséder du lait de la vierge Marie et du foin qui a servi a envelopper dans la crèche l'enfant Jésus. In franciscain se vantait d'avoir de ce foin dans une valise qu'il portait avec lui ; mais un curé le lui déroba subtilement et mit des charbons à la place, et quand le moine voulut montrer an peuple ce foin, il trouva qu'il n'avait que des charbons. Il inventa sur-le-champ un beau mensonge et il dit: « Mes bons amis, je n'ai pas pris la valise que je voulais, mais voici les Charbons qui ont servi à griller saint Laurent. »

 

Le docteur Luther dit avec véhémence qu'à coup sûr N. (1) était possédé du diable, non-seulement spirituellement, mais encore corporellement , et qu'il était parvenu bien près de sa fin, où le diable le poussait ; il n'y avait plus aucun espoir qu'il se repentit ni qu'il fit pénitence. Il faut donc prier contre lui et non pour lui, afin que Dieu relire ce ver empoisonné et le précipite dans l'abîme de feu.

 

1 Il s'agit dans ce paragraphe et dans le suivant du duc Georges de Saxe ; mais en 1566, on n'osait le nommer en toutes lettres.

 

122

 

On peut lire tous les historiens sans trouver d'exemples d'un tyran qui ait été aussi cruel que N. et qui ait fait autant de ravages. On rencontre des tyrans qui ont sévi contre le corps, mais non contre la conscience. Mais N. veut forcer les gens à croire ce qui lui convient , à lui et aux papistes. En cela il surpasse le pape, qui se contente d'excommunier ceux qui n'obéissent pas à ses décisions , mais qui n'a pas essayé de violenter et de contraindre les consciences, quoiqu'il les ait souvent inquiétées et tracassées. N. va au delà de tous les persécuteurs et de tous les ennemis de l'Évangile.

 

Lorsque les rois et les princes Frappent monnaie, c'est avec de l'or et de l'argent. Le pape tire de l'argent de toutes choses, indulgences, cérémonies, dispenses de carême, etc. Il n'y a que le baptême dont il n'a rien pu tirer, parce que les enfants viennent au monde nus et qu'ils n'ont pas de dents.

 

Le docteur Luther dit un jour : « La superstition fleurit, tandis que la véritable religion est méprisée. Si la papauté avait encore duré dix ans, tous les monastères de l'Allemagne auraient été transfères à Rome; car, en Italie, les monastères sont très-riches et ils ne renferment que deux ou trois moines ; le surplus de leurs revenus s'applique au pape et aux cardinaux. »

 

Une pieuse dame, veuve du consul Horndorff, raconta un trait de l'avidité des moines qui pressèrent son père et sa mère, lorsqu'ils étaient à l'agonie, défaire un testament en leur faveur. Elle fut forcée de jurer qu'elle n'en dirait rien à personne, et ils gardèrent l'argent en dépit du droit des héritiers. Enfin, à la persuasion du magistrat , elle révéla les fraudes de ces moines. Le docteur Luther dit : « Pareils exemples sont à l'infini , et personne n'osait cependant accuser les moines. » Il fit

 

123

 

alors le récit suivant : « Un gentilhomme était au moment de la mort, et un moine qui l'assistait lui dit : «Seigneur, ne voulez-vous pas donner à notre couvent ceci et cela ? » Le mourant, ne pouvant, parler répondit par signe, et le moine se tournant vers le fils lui dit: « Votre père nous l'accorde.» Mais le fils s'approchant dit à son père : « Mon père , votre volonté est-elle que je jette ce moineau bas des escaliers?» Et le père ayant répété le signe qu'il avait fait déjà, le fils expulsa rudement le moine. Semblables rapines oui été immenses. En Lombardie, près de Padoue, il y a un monastère de l'ordre de Saint-Benoît, tellement riche qu'il possède 36,000 ducats de revenu annuel ; 12,000 ducats sont consacrés aux frais de la table, 12,000 à réparer les édifices ou à en construire de nouveaux. J'ai moi-même été reçu avec honneur dans ce monastère. Ah ! le culte de Dieu ne consiste pas dans cette opulence. Il y a un proverbe qui dit : « La religion a enfante la richesse et la fille a ensuite dévoré la mère. » Jésus-Christ, le fils de Dieu , a mené , sous la forme humaine, la vie la plus simple et la plus modeste, et nous, misérables pécheurs, nous affectons une magnificence et une superbe diabolique. Les moines, surtout ceux de l'Italie, sont très-rusés et se couvrent du masque de la piété. Il y eut un abominable chartreux qui y nourrit longtemps en cachette une p—n qu'il logeait dans sa cellule; il quitta ensuite son monastère , apostasia et revint plus tard auprès du pape. A son retour, il entra d'abord dans la cuisine du couvent, et comme tous fuyaient devant lui et pensaient que le pape le ferait mettre à mort, il dit : « Donnez-moi d'abord un bon potage et que je boive un coup, ensuite je plaiderai moi-même ma cause. » Quand il fut bien repu, il se rendit en présence du pape et il cria : « Miséricorde! miséricorde! miséricorde! » Le pape le poussa du pied en lui disant : « Que veux-tu? » Il répondit : « Très-saint Père je veux m'amender. » Et il s'en fut absous, se moquant du pape; et de retour dans la cuisine, il dit : « Est ce que je ne vous avais pas annoncé que je saurais bien plaider ma cause sans avoir besoin de votre appui ? »

 

124

 

Aristote a dit que le cours de la nature était d'abord fort lent, mais qu'ensuite il devenait fort rapide et tendait à la destruction. Il en est de même de la marche qu'a suivie la papauté. Il y a Cinquante ans, nul prêtre n'osait avoir deux bénéfices, cela aurait passé pour un abus intolérable; maintenant il s'est développe à l'infini, et il y a des dignitaires qui ont jusqu'à trois sièges épiscopaux.

 

Lorsque j'aperçus Rome pour la première fois, je me prosternai pour la saluer, disant : « Je te salue, sainte Rome. » Elle fui sainte en effet, étant baignée do sang de tant de martyrs, mais maintenant elle a été déchirée. Le diable de pape y a placé sa chaise percée. Un licencié de Magdebourg dit alors « qu'il y avait une vieille prophétie qui annonçait que Rome ne subsisterait pas longtemps. » Et Staupitz raconta le songe qu'avait eu un moine de l'ordre de Saint-François, et qui annonçait qu'il paraîtrait, sous le règne de Léon X, un étranger qui renverserait la papauté. — Le docteur Luther répondit : « Autrefois, quand nous étions à Rome , nous osions à peine regarder la ligure du pape, maintenant nous lui voyons le derrière (1). »

 

Le dimanche après la Toussaint, un légat du pape arriva le soir à Wittemberg, et il avait a sa suite vingt-un chevaux et un âne ; il fut reçu avec honneur par les magistrats et conduit au château pour y séjourner, jusqu'à ce qu'il eût une conférence avec le docteur Luther. De grand matin le docteur fit appeler un barbier et il prescrivit qu'on lui fit la barbe. Le barbier demanda au docteur Luther pourquoi il s'y prenait de si bonne heure, et le docteur répondit : « J'ai appris qu'un commissaire ou légat du saint-père le pape était arrive pour conférer avec moi; si je me montrais à lui sous une apparence de jeunesse, il dirait : « Ah ! diable, ce Luther, qui a déjà soulevé parmi nous tant de discordes, n'est

 

1   Videmus ei in culum.

 

125

 

pas encore parvenu à l'âge viril; qu'est-ce qu'il fera donc et qu'accomplira-t-il s'il arrive à la maturité? » — Lorsqu'il eut été rasé, il se revêtit de ses plus beaux habits et il passa à son cou une Chaîne d'or. — Le barbier lui dit : « Seigneur docteur, tu les offenseras. » — Martin Luther répondit : « J'agis ainsi sciemment, car ils nous ont celles assez souvent offenses ; c'est ainsi qu'il faut se comporter avec les renards et avec les loups. » — Le barbier répliqua : « Va en paix, et que le Seigneur soit avec toi pour que tu les convertisses. » — Le docteur répondit: « C'est ce que je ne ferai point, mais il est possible qu'ils reçoivent de moi une bonne correction et qu'ils soient ensuite renvoyés. » — Ayant dit ces mois, il monta dans une voilure et alla au château rendre visite au légat. Lorsqu'ils apprirent que le docteur Luther était arrivé, ils s'empressèrent de le recevoir, et Luther donna au légat des titres d'honneur, mais pas aussi pompeux que ceux que quelques années plus tôt l'on accordait aux envoyés du pape; en parlant, ils en vinrent à agiter la question du concile, et le docteur Luther dit : «Vous prétendez convoquer un concile, mais vous n'y songez pas sérieusement et vous vous jouez de nous ; vous ne voulez y discuter que des choses futiles, vous préoccuper des capuchons des moines, de la tonsure des prêtres, de ce qu'ils doivent boire et manger; tout cela n'importe guère, car nous savons que les oeuvres extérieures ne justifient personne devant Dieu; quant à la foi, à la véritable pénitence, à la justification et aux autres choses nécessaires pour que les fidèles vivent en esprit et en foi, vous n'enseignerez rien à cet égard, parce que notre doctrine n'est pas de votre goût. En outre, nous avons, parle Saint-Esprit, la certitude de ces choses: il n'est donc pas besoin pour nous d'un concile; mais vous, malheureux, qui séduisez les hommes par vos doctrines impies, il vous faut un concile, parce que votre foi est incertaine et chancelante. Toutefois, si vous le voulez absolument, accomplissez vos projets; moi, mettant ma confiance en Dieu, je me rendrai dans votre concile, dussiez-vous me brûler. »

Le légat répondit : « Dis-nous en quelle ville tu penses qu'il faudrait réunir le concile?» Le docteur Luther répliqua : « Que ce soit à Mantoue, à Padoue ou à Florence, je m'y rendrai. — Le

 

 

126

 

légat. Voudrais-tu te rendre à Bologne? — Luther. Sous la domination de qui est Bologne? — Le légat. Sous celle du pape. — Luther. Bon Dieu ! le pape s'est donc aussi saisi de cette ville? Eh bien! j'irai vous y trouver. — Le légat du pape ne refusera pas non plus de venir vers vous à Wittemberg —Luther. Eh bien! qu'il vienne promptement ; nous l'attendons et le verrons arriver avec plaisir. — Le légat. Vous attendez-vous à ce que le pape vienne à main armée ou sans armes?— Luther. Ce sera comme il l'entendra; de quelque manière qu'il vienne, nous l'attendrons et le recevrons. — Le légat. Ordonnez-vous des prêtres?— Luther. Oui, quoique le pape nous ait interdit l'ordination ; voici un évêque ordonné par nous », et il montra du doigt Pomeranus. — Toutes ces choses, et d'autres qui ne sont pas venues à ma connaissance , furent dites entre eux. Le légal remonta ensuite à cheval et voulut se remettre en route, et il dit au docteur Luther : « Vois à te rendre au concile quand tu y seras mandé. »—Le docteur Luther répondit : « Oui, maître, j'y perlerai ma tête et mon cou. »

Peu de gens font attention aux miracles qui annoncent la présence de Dieu ; voyez comme ont péri quantité de papistes. L'évêque de Trêves , après le couronnement de Ferdinand , est mort en un instant dans un accès d'épouvante. Ernest, comte de Mansfeldt, a été enlevé par une maladie de trois jours, lui qui , dans l'excès de son zèle, s'écriait, quand l'empereur vint : « Voici un sauveur qui nous arrive »; et qui avait dit, en entendant chanter le cantique : Dieu est notre refuge: « Je veux renverser, à coups de canon , ce château fort et être le premier lorsqu'il s'agira de faire la guerre aux Luthériens. » Le comte de Werdemburg, notre adversaire décidé, est mort subitement à la diète d'Augsbourg. Le docteur Mathias , fils d'Henning , qui célébra à Erfurt des cérémonies selon le rite des papistes, a péri misérablement; car trois p—ns avec lesquelles il vivait, le menant à Erfurt dans un mauvais lieu, l'ont accablé d'outrages en présence de tous les habitants, lui crachant à la ligure et le revêtant, par dérision , d'une chasuble, ce qui lui a causé tant de chagrin et de honte qu'il a succombé dans l'année. Le chancelier de Trêves, César Pflug et bien d'autres sont tous morts sans croix ni cierges.

 

127

 

Il n'y a rien de plus révoltant que l'arrogance d'un ignorant qui parle de ce qu'il ne sait point et qui veut passer pour un homme des plus habiles. Il y a eu des papistes qui ont voulu faire usage contre moi de mes propres paroles, et un prédicateur de Leipsig, m'attaquant par des citations de mes commentaires sur la bible, a reçu un châtiment de la main de Dieu, car il a été frappé d'apoplexie, en chaire , le dimanche après la Noël, lorsqu'il voulait démontrer la justification par les œuvres, par l'histoire d'Anne. Maître Adam Budissina a écrit ceci : « Un bourgeois avait abandonné la doctrine de l'Évangile et il avait été fait pasteur à Kenerwald ; il prononça d'affreux blasphèmes contre la parole de Dieu, se vouant soi-même à la mort s'il approuvait la doctrine de Luther et consentant à ce que la foudre l'écrasât. Le même jour il s'éleva un grand orage. Le malheureux s’épouvante et se souvenant de ce qu'il avait dit, courut à l'église et se mit en prières devant le maître-autel, et la foudre tombant près de lui le fit évanouir; il reprit ensuite un peu ses sens et on voulut le porter chez lui, et entre les mains de ceux qui le soutenaient, dans l'enceinte du cimetière, la foudre tomba derechef, lui entra par la tête, et ressortit par ses parties honteuses. Ce sont des signes de la colère de Dieu, mais le monde ne regarde ni la miséricorde ni le courroux de Dieu, et c'est un indice que la fin du monde est prochaine. Un curé de Fridenberg, près de Francfort, s'élevait, il y a neuf ans, contre l'Évangile, et comme la maladie anglaise (1) sévissait alors, il disait que Dieu frappait le monde de

 

1 La suette anglaise , d'abord exclusivement bornée au pays dont elle

porte le nom, fit, lors de sa dernière apparition, une invasion sur le continent ; elle désola tout le nord de l'Europe. Cette maladie, des plus étonnantes, était une affection extrêmement aiguë qui se jugeait en vingt-quatre heures au plus. Frissons, convulsions, délire, extrême difficulté de respirer. Une sueur abondante se manifestait sur tous les points du corps, apportant le salut ou le trépas, selon que la vie résistait à une aussi horrible attaque. La suette a eu cinq invasions, séparées les unes des autres par d'assez longs intervalles. Au moment où elle parut, elle était une maladie complètement nouvelle pour les hommes parmi lesquels elle sévissait. C'est aux premiers jouis d'août 1485 que l'on fixe son apparition sur le sol de l'Angleterre ; elle éclata à Oxford, dépeupla Londres, et disparut subitement en janvier 1486. Depuis, elle s'est montrée quatre autres fois en Angleterre, n'infectant de la France que Calais, alors occupé par les Anglais, respectant toujours l'Irlande et l'Ecosse, n'ayant pénétré qu'une fois sur le continent. Dès lors, elle n'a plus reparu; elle est aujourd'hui entièrement inconnue. On peut remarquer qu'elle offrait de grandes ressemblances avec la maladie cardiaque ou diaphorèse de l'antiquité, épidémie que caractérise de même un flux de sueur abondant et qui semble s'être montrée en temps des successeurs d'Alexandre pour disparaître vers le second siècle de notre ère.

 

128

 

nouveaux fléaux, parce qu'il avait adopté une nouvelle foi et une nouvelle doctrine, il conjura donc ses auditeurs de rester fidèles à la foi de l'ancienne Eglise, et il fixa un jour afin de faire une procession avec des litanies pour demander à Dieu la cessation de l'épidémie; le matin même du jour marqué, ce curé mourut, et la procession accompagna ses restes. — Pareils exemples sont très-dignes d'attention ; la puissance de Dieu s'y manifeste avec éclat. En 1526, un moine osa traiter l'apôtre saint Paul de menteur et d'ignorant, disant qu'il ne fallait point croire en lui parce qu'il avait dit : « Réjouissez-vous avec ceux qui se réjouissent »; et ce moine mourut subitement. — Le docteur, natif de Silésie et papiste des plus zélés, disputant dans l'académie de Koenigsberg, avança cet argument : « Il n'est pas permis de rien changer au testament d'un homme, encore bien moins à celui de Dieu. La cène sous l'une et l'autre espèce est le testament de Dieu, il ne faut donc rien y changer. » La dispute étant finie, il sortit de la ville avec l'un des principaux citoyens et il lui dit : « La manière dont j'ai disputé est-elle de ton goût? » L'autre, lui touchant légèrement l'épaule, répondit : « Le serviteur qui enfreint sciemment la volonté, de son maître sera doublement puni. » Le surlendemain ce docteur périt de mort subite.

 

On parla des papistes, et le docteur Jounas lut une lettre qu'on lui avait écrite de Salzbourg, et où on lui disait qu'on chanoine en mourant avait légué la moitié de ses biens à sa concubine et qu'il avait recommandé son chien à un autre prêtre, lui laissant une rente qu'il possédait de quelques mesures de froment, afin que cet animal fût nourri et soigne jusqu'à sa mort. Il n'avait fait, en son testament, nulle mention des pauvres. Le docteur

 

129

 

Luther dit: «Voilà bien une créature du pape, un véritable épicurien, qui ne croit nullement à une autre vie. »

 

Il y a deux sortes de sainteté, la substantielle et l'accidentelle. Saint François fut essentiellement saint par sa foi en Jésus-Christ ; mais ensuite il s'infatua de la sainteté accidentelle du capuchon, qui n'est qu'un accessoire étranger à la sainteté. Ah! bon Dieu ! ce n'est pas parce «pie nous mourrons revêtus de tel ou tel costume que nous irons au ciel. Nous avons déjà bien assez d'affaires et de soucis à prêcher, à instruire les enfants, etc., sans que nous ayons besoin de nous mettre en peine de porter un capuchon.

 

Il avait été règle, parmi les papistes, que chaque maladie avait son saint particulier auquel il fallait s'adresser. Ah ! si Dieu avait permis que le pape pût exempter, pour de l'argent, de la maladie, des calamités, etc., que de trésors il aurait amassés!

 

Le docteur Luther dit un jour, que les empêchements aux mariages sous prétexte de parenté spirituelle n'étaient que sottises ; le pape avait imaginé ces prohibitions et elles lui avaient rapporte force écus.

 

Les papistes diffèrent entre eux , ils ne peuvent se mettre d'accord dans leurs propres jongleries. En 1530, lors des affaires d'Augsbourg, ils ne tirent aucune mention de l'article de la primauté du pape ou delà succession de saint Pierre, et de ce point, qui était regardé comme le plus important de tout le papisme, il ne fut pas dit un mot. Nous devons ne pas nous lasser de tenir tête à un aussi mauvais, aussi impie et aussi insolent personnage; nous devons prêcher, enseigner et écrire contre lui. Si Dieu m'accorde seulement six mois de vie et de santé, je le ferai

 

130

 

sauter et causer plus qu'il ne voudra. Je voudrais que les légistes aussi prissent part à la fête ; je leur montrerai bien ce que c'est que le subjectum juris . Je conviens que Jus ou Justitia est une belle épouse, aussi longtemps qu'elle reste dans son lit, mais lorsqu'elle passe dans le lit d'un autre (et qu'elle veut dominer sur la théologie dans l’Eglise), alors elle devient une franche coureuse , une vraie catin ; Justitia doit donc se tenir respectueusement découverte devant la théologie.

 

Moi, Martin Luther, j'ai été appelé et contraint, malgré ma volonté, d'être un prédicateur ; lorsque je fus investi de cette charge, je lis vœu et serment à ma bien-aimée, c'est-à-dire à l'Écriture sainte, de prêcher et d'enseigner avec pureté , véracité, uniquement d'après ses leçons. En enseignant à cet égard, la papauté se trouve sur mon chemin, avec l'intention de m'arrêter ; de là les choses en sont venues avec le pape au point où elles en sont, et elles iront, pour lui, de pis en pis ; il ne sera pas en état de me résister. Au nom de Dieu, au nom de ma vocation et appel, je marcherai sur le lion et sur la vipère, et je foulerai aux pieds le lionceau et le dragon. Cette œuvre commencera durant ma vie, et elle sera terminée après ma mort.

Le docteur Luther dit : « Satan m'a donné bien de l'occupation. Ce n'est pas une petite besogne de changer toute la religion des papistes qui est si profondément enracinée. » A cela le docteur Jonas répondit : « Il est étonnant que Satan ait ainsi le pouvoir de vous tourmenter, vous qui accomplissez l'œuvre de Dieu, ainsi que vos écrits le témoignent. » Le docteur Martin répondit : « Nous obéirions volontiers au pape et aux évêques, mais ils ne veulent pas se contenter de notre soumission ; il faudrait, pour se conformer à leurs exigences, renier Jésus-Christ, regarder Dieu comme un menteur, l'Évangile comme une fausseté. Nous ne pouvons ni ne voulons agir ainsi, qu'il en soit donc de nous comme Dieu voudra ; nous avons pris l'engagement, lors de notre baptême, d'être fidèles à Dieu et à sa parole, de croire fermement en lui, et de renoncer au diable et à tous ses mensonges. »

 

131

 

Le docteur Luther dit que Gerson avait été le premier qui, dans ces derniers temps, avait commencé à expliquer au inonde la parole de Dieu et qu'il avait consolé beaucoup de consciences. Mais le pape l'a condamné, car il avait commencé à discuter si le pape était au-dessus d'un concile , et il écrivit a ce sujet un dialogue qui m'a beaucoup plu et où il introduit deux individus, un détracteur et ùn adulateur qui s'entretiennent du pape. Il avait trouvé un moyen terme et il aurait voulu qu'on n'accordât an pape ni trop, ni trop peu.

En 1530, lorsqu'à Augsbourg j'appelais du papé Su concile, le Cardinal me qualifia de gersoniste. Je répondis : «J'ai pour moi l'autorité et l'avis du concile de Constance, lequel s'est le premier élevé contre le pape et qui a même déposé trois papes. » Alors le Cardinal répliqua : « Oh ! ce concile est reprouvé, il n'a plus de poids. » Le pape voulait ainsi se mettre au-dessus du concile et de la parole de Dieu; mais aujourd'hui que la lumière de l'Evangile se montre si clairement, c'est une grande impiété de sa part, cl c'est aussi ce qu'a dit notre Seigneur : « Voici la condamnation; c'est que la lumière est venue dans le monde, et les hommes ont mieux aimé les ténèbres que la lumière, parce que leurs œuvres étaient mauvaises. » (Saint Jean, ch. III, v. 19.) Et il a dit aussi : « Croyez en la lumière tandis que vous avez la lumière, afin que vous -oyez enfants de lumière. » (Ch. XII, v. 36.) Mais nous n'écoutons pas et nous ne faisons pas attention aux choses, et nous agissons comme les Juifs. « Le docteur Luther dit un jour toutes ces choses à maître Jérôme Besolde, de Nuremberg, et il dit un autre jour à maître Veit Dietrich : «Un grand docteur en droit canon, Panormita , a avance que l'opinion d'un simple particulier est préférable à celle de tout un concile, si elle est raisonnable ou meilleure, étant appuyée du témoignage de

L’Écriture. Mais le pape l'a excommunié à cause de cette assertion. »

 

Il y avait à Wittemberg un professeur ès arts, nommé Vitus Ammerbach, qui avança que dans l'Église il fallait un chef extérieur, que l'on pouvait reconnaître le pape pour tel. Le docteur

 

132

 

Luther dit à cet égard : «Jamais la Grèce n'a été sous l'autorité du pape, ni l'Inde, ni la Scythie, comme l'écrit saint Jérôme, et il y avait beaucoup de chrétiens d'une grande piété dans ces divers pays. Jamais ni l'Occident tout entier, ni l'Orient n'ont été soumis au pape. C'estbien de la présomption de la part d'Aminerbach d'avancer chose semblable. J'en suis peiné pour lui ; il tombera d'erreur en erreur. » Et le docteur Luther dit un autre jour en parlant d'Aminerbach: « Wittemberg donne asile à de grands insensés, mais il faut se souvenir de ce que dit saint Jean (épîtr. I, ch. II, v. 19).

Les faux apôtres et les faux frères doivent provenir des apôtres. Qu'étaient d'abord les démons? des anges. Et les p—ns? des vierges. D'où viennent les débauchés ? des gens pieux ; le mal doit sortir du bien. D'où vient Caïn? d'Adam et Eve.

 

Quelqu'un dit que les papistes assuraient que notre doctrine ne se maintiendrait pas longtemps, mais qu'elle tomberait bientôt dans le néant ainsi que celle d'Arius, qui n'avait pas duré beaucoup au delà de quarante ans ; le docteur Luther répondit: « La secte d'Arius s'est maintenue durant près de soixante ans, mais comme elle était basée sur des principes hérétiques, elle a fini par la confusion et par la destruction. Mais ceux qui nous contredisent sont contraints d'avouer, malgré eux, que le bon droit est pour nous; la vérité éclate à tous les yeux et elle se montre au grand jour; aucun être doué de raison ne pense à la nier. Les mensonges de nos ennemis sont maintenant, grâce à Dieu, bien connus et rendus publics ; quiconque n'est pas complètement aveugle est forcé de les apercevoir. »

 

Il est impossible que le pape puisse rester en repos lorsqu'i voit quels coups l'on a portés à son autorité ; il ne songe qu'à tirer vengeance, quand et comme il pourra, du tort qu'on lui a fait, et il emploiera des stratagèmes occultes pour arriver à ce

 

133

 

but. Il est plus facile d'être vainqueur d'un lion que d'un dragon. Saint Augustin, parlant du diable, dit qu'il a été un lion du temps des martyrs, et un dragon à l'époque des hérésies. Veillons donc sans relâche et prions assidûment ; c'est indispensable, car «nous n'avons pas à lutter contre le sang et la chair, mais contre les mauvais esprits qui sont dans les airs. » ( Epître aux Ephésiens, ch. VI, v. 12.)

 

Le pape a deux piliers sur lesquels il s'appuie; l'un se nomme : Tout ce que vous lierez sur la terre sera lié dans le ciel, etc. ; l'autre est ce que notre Sauveur Jésus-Christ dit à Pierre : Fais paître mes brebis, etc. Le pape a tiré si grand parti de ces deux sentences, qu'il s'en sert pour défendre le pouvoir qu'il a usurpe, de faire et d'agir dans l'Église et dans le gouvernement temporel suivant sa volonté et son bon plaisir. De la sorte, il a enseigné ce qu'il a rêvé, il a corrompu la vraie doctrine, il a damné et sauvé ceux qu'il a voulu. Ensuite il a déposé les empereurs, les rois et les princes selon son caprice, comme si notre Seigneur lui avait donné pour l'administration extérieure et temporelle cette puissance qui n'appartient qu'à des consciences repentantes et brisées et à la doctrine de la foi. Il a fini par adopter comme principe, quod auctoritas sacrœ Scripturœ pendeat a sede romana. Maintenant, lorsque le pape a pu faire croire cela au peuple, il a pu aussi enseigner tout ce qui lui a plu. Il a, en effet, poussé les choses si loin, qu'un chrétien a pu renier le sang répandu de notre Seigneur, et s'affubler d'un capuchon de moine, cherchant ainsi à assurer son salut. C'est une chute si abominable, que si pareille chose s'était faite parmi les païens, c'aurait été trop fort. Oh ! combien je m'étonne parfois que de pareilles ténèbres aient enveloppé la papauté! Je ne connais d'antre manière d'en juger que suivant l'opinion de saint Paul, lorsqu'il a dit : « Parce qu'ils n'ont pas reçu l'amour de la vérité pour être sauvés, Dieu leur enverra efficace d'erreur pour croire au mensonge. » (2me Epître aux Thessaloniciens, chap. II, v. 11.)

 

134

 

Lorsque j'étais à Worms, l'évêque de Magdebourg vint me voir et me dit: « Je sais que nous défendons une mauvaise cause et que votre doctrine est juste, mais, pour des raisons que nous connaissons, nous ne pouvons, ni ne voulons l'admettre. » De même, le cardinal de Salzbourg me dit : «Nous savons et il est écrit en nos consciences que les prêtres peuvent équitablement se marier, et que le mariage vaut bien mieux que la conduite honteuse et déréglée que mènent les prêtres; mais nous ne pouvons ni changer, ni réformer cet étal de choses, car l'empereur ne souffrira pas que l'Allemagne soit agitée pour des motifs de conscience.» Qu'est cela, sinon un mépris complet de Dieu ? Ce sont des paroles diaboliques, et Dieu méprise et raille à leur tour ceux qui les ont proférées, car nous voyons que les empereurs, les rois, les primes et que toutes les villes impériales les quittent et abandonnent. Ils ne peuvent se défendre que sous le nom de l'Église; leur fureur et leur tyrannie sont contre leurs propres consciences, car ils savent bien que l'Église est assujettie à la parole de Dieu et qu'elle ne peut être que là où Jésus-Christ est enseigné et prêché. Ainsi, ils sont contraints d'avouer que notre doctrine est la doctrine de Jésus-Christ. Les misérables savent que la papauté n'est pas l'Église de Dieu, et toutefois ils ne veulent pas nous entendre, ils ne veulent pas convenir que Dieu est au-dessus de l'Église, mais ils prétendent que l'Église est au-dessus de Dieu ; ainsi la papauté n'est pas l'Église de Dieu.

 

Le 9 mai 1530, le docteur Luther soutint à Wittemberg une dispute très-vive qui dura trois heures, contre le pape, ce monstre abominable , ce loup qui surpasse toute tyrannie et oppression, puisqu'il veut vivre seul affranchi de toute loi et agir uniquement selon sa volonté, et qu'il veut même être adoré, sous peine de damnation et de perte de beaucoup de pauvres âmes. Aussi le docteur ajouta-t-il: « Quiconque a à cœur l'honneur de Dieu et entreprend de sauver son âme, doit de toute sa force résister au pape. »

 

135

 

J'espère que le pape a l'ait ce qu'il pouvait faire de pis; quoiqu'il ne tombe pas encore tout à fait, il ne s'agrandira plus, mais il ne fera que déchoir. Les anciens papes étaient plus justes et plus honnêtes, mais quand ils ont commencé à rechercher le pouvoir et la domination (craignant de redevenir esclaves comme précédemment), alors Caïn n'a pu supporter son frère plus longtemps. Il ne faut jamais ajouter foi à ce que promettent les papistes, quelle que soit la manière dont ils garantissent et jurent la paix. A la diète impériale de Nuremberg, ils nous retinrent avec des disputes trompeuses dans le but de réussir, pendant ce temps, à nous renverser et à nous détruire. Veillons et prions dans ce moment où les armes sont posées, afin que, parle moyen de la lumière de l'Evangile, le nom de Dieu soit glorifié.

 

Les papistes sont des gens superbes, sans connaissance de l'Ecriture, sainte; ils ne comprennent rien de ce qu'ils lisent et ils n'écrivent jamais avec sincérité, mais ils s'arrêtent de préférence au siège du gouvernement. Ils s'écrient : « Les décrets et les conclusions des Pères ne doivent être ni révoqués en doute, ni controverses. » Ainsi, le pape (comme étant plein de diables) défend sa tyrannie, il la défend avec une extrême vigueur, ainsi que nous le voyons dans ses décrétales : Si papa, etc. (40 dist.) Il est donc clairement écrit que le pape, menât-il tout le genre humain en enfer, aucune créature humaine ne pourrait s'opposer à lui à cet égard, et personne n'aurait la hardiesse de lui demander pourquoi et coin ment il agit ainsi.

C'est chose bien affreuse et effroyable que, pour son autorité usurpée, nous perdions nos âmes que Jésus-Christ a si chèrement sauvées et rachetées au prix de son précieux sang Jésus-Christ a dit : Celui qui vient à moi, je ne le rejetterai pas, etc. A cela le pape oppose : « Voici ce que je commande et ce que je veux voir exécuter. Avant que mes ordres soient violes, vous serez tous perdus et détruits.» Malgré tout cela et bien plus encore, nos princes tombent devant lui, l'adorent et baisent

 

136

 

ses pieds ; nous devons donc lui résister, nous opposer à lui et le vaincre avec les armes de la prière et de la parole de Dieu. Il y a trente ans , qui aurait osé avoir une pareille pensée au sujet du pape? Alors, il jetait qui il voulait dans l'enfer la tête la première et il l'en retirait à son gré.

 

Les décrétales du pape renferment beaucoup de canons affreux et diaboliques; c'est une grande peste et un grand mal pour l'Eglise. Le pape, exempt de toute honte, ose y dire : «Si quelqu'un ne croit pas en mes décrets et ne s'y soumet pas, il ne lui servira en rien de croire en Jésus-Christ ou d'ajouter foi aux quatre Evangélistes. » N'est-ce pas le langage du diable lui-même, la ruine de l'Eglise et le plus grand poison qui puisse s'y glisser? De même, le pape dit, dans une de ses décrétales, que « s'il menait les gens en enfer, ils devraient l'y suivre »; tandis qu'au contraire son devoir et son emploi est de consoler les cœurs affligés et de les conduire à Jésus-Christ. Fi donc de ce misérable réprouvé! faut-il qu'il enseigne aux consciences à désespérer de la sorte ?

 

Quiconque lira les décrétales du pape, trouvera souvent que de belles sentences de l'Ecriture servent de preuve à une assertion. Mais, quand il a cité tout ce qui convient dans l'Ecriture, alors il conclut contre et il dit : « L'Eglise romaine en a autrement décidé. » Ainsi, comme un chien infernal, il ose assujettir la parole de Dieu aux créatures humaines. Il en est de même de Thomas d'Aquin qui, dans ses livres, dispute pro et contra, et, lorsqu'il cite un passage de l'Ecriture, dit ensuite : « Aristote, au sixième livre de ses Ethiques, maintient le contraire. » l'Ecriture sainte doit donc céder à Aristote, à un philosophe païen! Le monde ne fait pas attention à cet horrible aveuglement; mais il méprise la vérité et il tombe dans d'horribles erreurs. Faisons

 

137

 

donc bon usage du temps, car il ne restera pas toujours ce qu'il est.

 

Lorsque les hommes servent Dieu sans se conformer à ses paroles et à ses commandements, toute leur religion, quels que soient le nom et l'éclat de sainteté dont elle peut se recouvrir, n'est qu'idolâtrie toute pure. Plus cette religion semble sainte et spirituelle, plus elle est nuisible et empoisonnée, car elle séduit le peuple, l'éloignant de la foi de Jésus-Christel le portant à se fier à sa propre force, à sa droiture et à ses œuvres. Ainsi tous les ordres religieux de la papauté, tous les jeunes, prières, cilices, les austérités des capucins, qui passent pour l'ordre le plus saint qu'il y ait parmi les papistes, tout cela n'est qu'oeuvre de la chair, et pourquoi? parce que ces papistes prétendent qu'ils sont saints et qu'ils seront sauvés par les règles de leur ordre, et non à cause de Jésus-Christ, qu'ils craignent comme un juge courroucé et sévère.

 

Les hypocrites et les idolâtres ont en eux les mêmes qualités que ces chanteurs qui ne chantent presque pas si on les en prie, mais qui ne cesseront pas de chanter si l'on ne leur demande rien, lien est de même des faux faiseurs d'oeuvres saintes; lorsque Dieu leur ordonne d'obéir à ses commandements, qui sont d'aimer le prochain, de l'assister en l'admonestant, le consolant, lui donnant, lui prêtant, etc., personne ne peut les amener à accomplir cela ; mais au contraire, ils s'appliquent et s'attachent à ce qui leur convient et à ce qu'ils choisissent, prétendant, d'après leur goût particulier, que c'est ce qu'il y a de plus propre à honorer Dieu et à lui plaire, ce qui est une grande illusion de leur part. Ils tourmentent et torturent leur corps à force déjeuner, prier, chanter, lire, coucher sur la dure, etc.; ils affectent une grande sainteté et beaucoup d'humilité, ils font toutes ces choses sans relâche et avec beaucoup de zèle et de dévotion; mais leur récompense sera conforme à la nature de leurs services et de leurs œuvres, ainsi que Jésus-Christ lui-même l'a dit : « Ils m'honorent

 

138

 

 

en vain, enseignant dos doctrines qui ne sont que des commandements d'hommes. »

 

Le docteur Luther, parlant un jour du culte rendu à l'idole Moloch, dit : « Cette idolâtrie, à ce que je comprends, avait une apparence qui en inspirait, comme si c'était un genre d'adoration plus agréable a Dieu que le service ordinaire prescrit par Moïse; de là, beaucoup de gens dont l'extérieur était celui d'une grande sainteté et voulant accomplir une chose grandement agréable à Dieu (à ce qu'ils imaginaient), offrirent en sacrifice leurs fils et leurs filles (1); ils pensaient sans doute qu'en agissant ainsi ils suivaient l'exemple d'Abraham, et qu'ils accomplissaient un acte très-propre à honorer Dieu. Ses prophètes prêchèrent contre cette idolâtrie avec un zèle bouillant ; ils qualifièrent ces sacrifices d'offrandes non à Dieu, mais aux idoles et aux dénions, comme le montrent le psaume CVI, et Jérémie, chapitre XXIII. Mais ces prophètes furent sans doute regardés comme des imposteurs et de maudits hérétiques.

Ce culte des idoles était, de mon temps, très-fréquent parmi les papistes, et il l'est encore, quoique d'une autre manière, car l'on regardait comme saints et zélés les parents qui donnaient un ou plusieurs de leurs enfants aux couvents, afin qu'ils embrassassent la vie religieuse et qu'ils servissent, ainsi qu'on le disait, Dieu nuit et jour. De là vint cette expression proverbiale :

 

1 Mentionnons ici un ouvrage savant, hardi, paradoxal de G. F. Daumer sur le culte du feu et du Moloch des anciens Hébreux (Leipzg, 1842, in-8°); culte jusqu'ici regardé comme étranger au sol et étranger à l’orthodoxie mosaïque, et que l'érudit allemand considère au contraire comme le jéhovisme primitif, pur et orthodoxe d'Israël. D’après lui, la pâque primitive, dans le rite molochio-mosaïque, était une solennité annuelle, générale, où se faisaient les sacrifices humains, c'est-à-dire où l'on immolait des enfants et où on les mangeait. Quant aux ossements, préservés avec soin, ils étaient brûlés en l'honneur de Dieu. La réforme de celle solennité fut l'objet des efforts de deux rois, Ezéchias et Josias ; aux enfants du peuple ils substituèrent l'holocauste et le repas de l'agneau pascal. — Une analyse de cet ouvrage, que nous ne pouvons qu'indiquer, se rencontre dans un excellent recueil que publient MM. Miller et Aubenas, dans la Revue de Bibliographie analytique, 1843. p. 654-657.

 

139

 

« Heureuse la mère qui a mis au monde l'enfant qui se consacre à la vie spirituelle! » Maintenant, il est vrai que bien que ces fils et ces filles ne soient pas brûlés corporellement et sacrifiés aux idoles, comme l'étaient les enfants de ces Juifs dont nous venons de parler, ils sont toutefois spirituellement (ce qui est bien pis) enfoncés dans la gueule du diable qui, par le moyen de ses disciples, le pape et sa troupe de tonsurés , tue misérablement leurs âmes en les remplissant de fausses doctrines.

Il faut qu'il y ait des sectaires et des séducteurs pour pratiquer l'idolâtrie aussi longtemps que durera ce monde qui, avec une grande division apparente, donne beaucoup d'encouragement à l'erreur.

 

L'invocation des saints est une hérésie abominable et un aveuglement extrême ; cependant les papistes ne veulent point y renoncer. Le pape tire un beaucoup plus grand profit des morts que des vivants ; l'invocation des saints lui a rapporté des sommes énormes et des richesses considérables. Mais ainsi va le monde; la superstition, l'incrédulité, l'erreur, l'idolâtrie, obtiennent plus de crédit que la religion pure, juste et droite. Celle-ci n'est que la servante ; l'autre est la maîtresse et l'impératrice. Huit cents prophètes de Baal pouvaient être nourris et entretenus à la table de Jézabel, mais le royaume entier d'Israël ne pouvait subvenir à l'entretien du seul prophète Elie; il fui nourri par la veuve de Sarepta parmi les païens.

 

Certains étudiants, à Cologne, sollicitèrent du pape une dispense au sujet de la récitation des heures canoniales. Le pape leur répondit : Surge manius et ora citius : levez-vous de meilleure heure et priez plus vite. Mercurinus, chevalier de l'empereur Charles-Quint, suivait cette règle; il se levait de grand matin et précipitamment pour prier. Le diable lui apparut sous la forme d'une âme en peine et lui dit : Tu non justa hora oras ! tu ne pries pas à l'heure convenable. C'est ainsi que le

 

140

 

diable pouvait se jouer d'eux. De mon temps, il y avait un frère au monastère d'Erfurt qui, à cause de ses nombreuses occupations, négligeait diverses heures dans ses prières , et comme il ne put obtenir de dispenses, il fut forcé de louer quelqu'un pour prier pour lui, afin qu'il pût avoir le temps de lire deux fois en un jour.

 

Je crois que le pape eut des raisons particulières pour fixer et établir la célébration des fêtes de saint Sylvestre et de saint Thomas de Canterbury huit jours après la Noël. L'un de ces saints apporta au pape l'empire romain, l'autre le royaume d'Angleterre. Le pape ne faisait aucun cas de l'apôtre saint Thomas en comparaison de l'autre Thomas, car le principal but du pape est de s'assurer la possession des bénéfices. Aussi ai-je noté et montré toutes ses voleries dans les Clefs du pape, ce qui l'irrite et l'exaspère beaucoup, car ses actes et ses décrets s'accordent, ainsi qu'on le voit fort bien, avec ce que j'en ai dit. Il était grandement temps que tous ces méfaits fussent exposés aux yeux du monde.

 

Quoique les erreurs et les impostures du pape fussent bien grandes, nous les adorions, avant que la lumière de l'Evangile se montrât ; aujourd'hui nous en sommes honteux. Il y avait des reliques des culottes de saint Joseph et des caleçons de saint François ; on les a montrées ici, à Wittemberg. L'évêque de Mayence se vantait d'avoir de la flamme de ce buisson que Moïse vit en feu. A Compostelle, l'on montre le drapeau de la victoire que Jésus-Christ remporta sur l'enfer ; on fait voir également la couronne d'épines, la croix, les clous, etc.

 

Je suis persuadé que si, en ce moment, saint Pierre en personne prêchait tous les articles de la sainte Ecriture, niant seulement l'autorité, le pouvoir et la primauté du pape, en disant que le pape n'est pas le chef de la chrétienté entière, alors

 

141

 

certainement on le ferait pendre. Oui, si Jésus-Christ lui-même était encore sur la terre et s'il prêchait, sans aucun doute le pape le crucifierait de nouveau. Attendons-nous donc au même traitement; mais il vaut mieux s'appuyer sur Jésus-Christ que sur le pape. Si, au fond de mon cœur, je ne croyais pas qu'après cette vie il y en eût une autre, alors je chanterais une autre chanson et je mettrais le fardeau sur le cou d'autrui.

Le pape Adrien fut élevé à la papauté par l'empereur Charles, dont il avait été le précepteur, mais il ne gouverna pas longtemps ; il était d'extraction obscure, son père étant un bourgeois de Louvain. Il y eut une fois en Angleterre un cardinal qui était fils d'un boucher et un bouffon dit : « Dieu soit loué que nous l'ayons pour cardinal ; s'il devient pape, nous pourrons manger de la viande les jours de jeûne et d'abstinence : saint Pierre était pécheur, et ce fut pour vendre son poisson plus cher qu'il a défendu de manger de la chair; mais ce fils d'un boucher en autorisera l'usage afin qu'il s'en débite davantage. »

 

On a trouvé dans de très-vieux livres des images et figures qui représentaient la tyrannie et l'impiété du pape, ses idolâtries et ses tromperies, car il y avait des gens qui voyaient bien ce qui en était; mais ils n'osaient le dire et ils en étaient réduits à déguiser leurs sentiments sous le voile de ligures emblématiques que l'on se montrait secrètement. On a découvert à Nuremberg et ailleurs de semblables images et on les a imprimées (1).

 

1 Les bibliophiles recherchent avec empressement quelques écrits satiriques dirigés contre l'Eglise romaine et illustrés de gravures sur bois, pour la plupart fort bizarres. L’Expositio vera harum imaginum olim Nurembergœ repertarum, 1570, petit volume de 48 feuillets, imprimé sous le nom de Théophraste Paracelse, s'est payé 90 fr. 50 c. à la vente G. D., en mai 1843. Citons encore l'Antithesis Christi et Antichristi, dont il y a plusieurs éditions, 1557, 1558, 1578, et dont il existe une traduction française mise au jour en 1561 ; elle reparut en 1578, en 1584 et en 1600. M. le marquis du Roure a consacré à cette dernière édition une notice curieuse (Analectabiblion, 1836, t. I, p. 434-437). Le plus rare peut-être de tous ces recueils c'est l’Antithesis figurata vitae Christi et Antichristi, opuscule de 14 feuillets, exécuté en Allemagne de 1530 à 1540, et dont les figures sur bois sont très-singulières. Il se répandit également une foule d'estampes satiriques, devenues fort difficiles à rencontrer. Le Musée de la Caricature (1834, 7e livraison) en a reproduit une; M. Duchesne en a décrit une autre, jusqu'alors inconnue, dans son Voyage d'un Iconophile.  Il y a ici un jeu de mots intraduisible; Hollebrand signifie tison d'enfer.

 

142

 

Après que la persécution eut cessé dans l'Eglise, les papes aspirèrent à s'emparer de la domination; ils y furent poussés par leur ambition et leur avidité. Le premier fut Hildebrand ou plutôt Hollebrand (1). Ils effrayèrent tous les hommes en infligeant l'excommunication. L’excommunication était une chose si effroyable, qu'elle passait aux enfants par héritage. D'un autre côté, les papes, voulant capter la bienveillance de la foule et se l'attacher, accordèrent et vendirent le pardon de tous les péchés, même des plus énormes. Quelqu'un aurait-il fait violence à la vierge Marie ou crucifié derechef Jésus-Christ, le pape l'eût absous s'il avait eu de l'argent. Dieu a privé et dépouille le pape de ce pouvoir et de cette domination par le moyeu de ma plume, car de rien il peut tout faire, et il lui est facile d'amener les plus grands résultats par les plus petits moyens.

 

Le docteur Luther dit un jour que le coucou avait l'adresse de dérober à la fauvette ses œufs et de mettre les siens à la place dans le nid où la fauvette vient les couver ; quand les petits coucous sont éclos et qu'ils ont grandi , la fauvette ne peut plus les couvrir de ses ailes, et ils la dévorent. Le coucou a aussi une antipathie extrême contre le rossignol. Le pape est le coucou ; il dérobe à l'Eglise ses œufs et il y substitue d'avides cardinaux. Il veut aussi dévorer la mère qui l'a nourri et élevé, c'est-a-dire l'Eglise; il ne peut supporter la prédication ni le chant de la véritable doctrine.

Là où est la fauvette est aussi le coucou, car il s'imagine qu'il

 

143

 

peut chanter mille fois mieux qu'elle. Le pape s'établit de même dans l'Eglise, et afin que l'on n'entende que son chant, il s'efforce, en faisant beaucoup de bruit, de couvrir la voix de l'Eglise. Le coucou est utile en ce que nous savons, lorsque nous l'entendons, que l'été est proche; de même, le pape sert à nous faire connaître que le jour du jugement dernier n'est pas éloigné.

 

On montre à Rome la tête de saint Jean-Baptiste, quoique les docteurs enseignent et les chroniques rapportent que les Sarrasins ont ouvert son tombeau, en ont ôté le corps et l'ont réduit en poudre. L'on ne saurait trop réprouver de pareilles impostures de la part du pape. Il en a fait de même pour plusieurs autres saints.

 

Le pape et les siens ont mis trop de confiance en leur grande puissance, aussi se sont-ils renversés eux-mêmes; s'ils avaient agi plus doucement et plus prudemment, ils n'auraient pas été culbutes. Mais la papauté devait s'écrouler. Lorsque j'allai à Rome, on l'appelait la source de justice; mais je vis que Rome n'était qu'une p—n et une maison de p—ns. Le cardinal Campège a dit en 1530, à Augsbourg : « Le cardinal Cajetan a tout gâte en voulant agir avec violence et en menaçant; si l'on s'y était pris avec dextérité et finesse, la chose aurait pu être étouffée dans le principe. »

 

Je ne m'étonne pas que les papistes me voient avec tant de haine et d'inimitié, car j'ai bien mérité leur courroux. Jésus-Christ reprit les Juifs avec plus de douceur que je ne reprends les papistes, et ils le crucifièrent. Ils croient ainsi avoir le droit de me poursuivre, mais d'après les lois de la justice et du bon plaisir de Dieu, ils verront en quoi ils ont erré. Lors du jugement dernier, je parlerai au pape et à ses tyrans qui méprisent et qui attaquent la parole de Dieu et ses sacrements. Le duc Georges persécute

 

144

 

aussi ceux qui sont Balles à la vraie doctrine; il a expulsé d'Oschitz dix bourgeois et pères de famille avec vingt-sept enfants ; leurs plaintes crieront contre lui jusque dans le ciel, ainsi que Pa dit Sirach, au chapitre XXXV du livre de l'Ecclésiastique.

 

Les papistes enseignent qu'un homme, lorsqu'il fait ce qui est en son pouvoir et ce qui dépend de lui, mérite la grâce, dont l'effet est de le rendre agréable à Dieu et de lui procurer la béatitude. Cette doctrine a toujours prévalu parmi eux , même du temps de l'excellent et habile docteur Gerson, et elle s'est maintenue jusqu'à nos jours; mais il n'y a aucune différence entre elle et l'hérésie, seulement les mots sont changés.

 

Le docteur Luther raconta une histoire qui est consignée dans les écrits de saint Bernard. Un chartreux en voyage vint à tomber dans les mains de quelques brigands. Comme il n'avait pas, ce jour-là, récité son rosaire, ainsi qu'il en avait l'habitude, il se mit aussitôt à genoux et il pria. Les brigands virent alors une femme d'une merveilleuse beauté qui était près de lui et qui recevait dans ses mains des roses qui s'échappaient de la bouche du moine, et chaque dixième rose était d'une éclatante couleur de pourpre. Elle les ajusta et elle en fit une superbe couronne. Frappés de ce spectacle, les voleurs laissèrent passer le chartreux sans lui faire aucun mal. Ah ! bon Dieu! que ne nous avait-on pas amenés à croire? Y a-t-il eu quelque histoire absurde et ridicule à laquelle nous n'ayons ajouté foi ? Le pape voudrait bien nous ramener à ce temps-là ; il dit qu'il va réunir un concile, mais appliquons-nous à la prière et soumettons-nous à la volonté de Dieu. Si le pape nous condamne, nous le condamnerons derechef et nous déclarerons hautement qu'il est l'antéchrist. Il sera confondu, ainsi que tous ses adhérents.

 

145

 

Les sophistes de la Sorbonne, à Paris, ont écrit contre moi (1); Ils ont dit qu'au fond ce que j'enseignais sur la justification par les mérites de Jésus Christ était conforme à ce qu'ils croyaient, et qu'entre eux et moi il n'y avait qu'une dispute de mots. On pourrait leur répondre et leur demander pourquoi ils ont fait périr, pendre, étrangler, noyer, brûler, exiler tant de personnes pieuses, savantes, respectables, pour une dispute de mots! Malheur à eux! ils se sont abandonnés à un esprit d'aveuglement; des docteurs et des prédicateurs remplis de la crainte de Dieu ne les ramèneront pas. Les papistes sont ignorants, grossier, et impies, de véritables têtes d'âne. Un de leurs curés fut cité devant son évêque, car on se plaignait qu'il ne baptisait pas régulièrement; l'évêque lui donna à baptiser une poupée et se tint prêt à écouter de quels termes il se servait. Et le curé dit : « Ego te baptiste in nomine Christe. » L'évêque le reprit vertement de son ignorance et de ce qu'il n'employait pas les expressions consacrées. Alors le curé jeta par terre la poupée et il dit : « Tel enfant, tel baptême et telles paroles. »

 

Le 12 janvier 1539, le docteur Luther soupira profondément et se plaignit avec beaucoup d'amertume de l'horrible aveuglement des papistes; il dit : « Ces pauvres insensés croient toujours que la papauté va se relever et regagner son ancienne splendeur, et ils répètent volontiers un proverbe qui a cours entre eux : « La barque de saint Pierre peut être ballottée parles vents et par les flots, mais elle ne saurait périr. »

 

1 Luther était fort irrité contre la Sorbonne, qui avait condamné plusieurs de ses propositions. Melanchton répondit à la Faculté de Paris, et Luther, prenant lui-même la plume, écrivit une sorte de comédie, un dialogue où il emploie les armes de l'ironie et de la dérision contre ses adversaires. Celle bouffonnerie mordante est intitulée : Luthus Lutheri a Stolida et sacrilega  Sorbonna damnati. M. Audin en cite quelques traits (Hist. de Luther, 1841,1.1, p. 384); il y trouve avec raison beaucoup de sel, de colère et de verve.

 

146

 

La plupart des papistes, ceux surtout qui sont dans les couvents , sont de véritables têtes d'âne, il y en a qui savent à peine lire. L'un d'eux , en chantant, disait elema au lieu de clama , et, en avant été repris, il continua décrier plus fort et tant qu'il put, elema, elema. Un autre lisait elicere au lieu de dicere. Un ignorant personnage, membre du chapitre de L., disait, en rendant grâce, lors d'une promotion au doctorat : inclyti senati, et l'on eu a tait un chanoine à M.

 

A Bamberg, l'on montre tous les ans, comme une relique, un livre où est relaté l'histoire de l'empereur Henri et de sa femme Cunégonde, qui firent vœu de conserver dans le mariage l'état de virginité (1). Birkhemer passa par Bamberg, et il désira voir le livre où était rapporté le contrat qui avait été conclu entre ces deux époux, et les chanoines le lui ayant montré, il reconnut que C'était une copie des Topiques de Cicéron. Des moines lisaient dans un couvent munsimus au lieu de sumpsimus. Un jeune moine, fraîchement sorti des études de la grammaire , les en ayant repris, les autres pères lui dirent : « De quoi te mêles-tu , étourdi que tu es? Voici bien longtemps que nous lisons munsimus , et nous n'y changerons rien. »

 

Le livre d'un moine italien , que fou appelle les Conformités cl qui expose les analogies entre la vie de saint François et celle de Jésus-Christ, est un tissu de si grands mensonges, qu'il semble que celui qui l'a écrit a été possédé du diable, non-seulement

 

1 Henri II, dit le Boiteux ou le Saint, empereur d'Allemagne, mort en 1024. On trouve sa vie dans le recueil des Bollandistes, tom. III de juillet. Les légendaires racontent, qu'accusée d'adultère, sainte Cunégonde se justifia en marchant pieds nus sur des socs de charrue rougis au feu, sans ressentir le moindre mal. On cite quelques autres pieux personnages qui ont Imité l'exemple dont parle Luther, nous nommerons seulement ici saint Elzéar, et sainte Delphine, dont le jésuite Binet a écrit la vie (Paris, 1623) et au sujet desquels on peut consulter les Bollandistes, tom. VII de septembre, p. 528 et suivantes.

 

147

 

spirituellement, mais même corporellement, car il débite d'horribles faussetés; il appelle Jésus-Christ une figure ou emblème de François, et il dit que Jésus-Christ avait donné à François le droit de sauver ou de réprouver ses religieux (1).

 

Il y a encore aujourd'hui, dans un couvent de Lunebourg , un grand autel où sont représentés tous les miracles et les actions

 

1 Luther parle ici du célèbre ouvrage de Barthélémy de gli Albizzi, Liber conformitatum (vitae S. Francisci ad vitam J. C). L'édition originale de Milan, 1510, et la seconde (Milan, 1513) sont rares, et jadis elles occupaient un rang distingué parmi les joyaux bibliographiques; mais, de nos jours, les amateurs recherchent beaucoup moins les livres de cette espèce. Les réimpressions de 1590 et de 1620, ayant subi des modifications et des suppressions considérables, n'ont aucune valeur. Parmi les morceaux retranchés, nous citerons le miracle de l'araignée qu'avala saint François dans le calice et qui sortit de sa jambe. Iste, dicendo missam, reperit in sanguine Christi, in calice, araneam, et nolens araneam sanguine Christi intinctam extra projicerce, calicem cum aranea bibit. Post ipse fricans crus et scalpens ubi pruritum sentiebat, ipsa aranea sine fratris lesione aliqua ex entre exivit (1510, f°72).

On peut d'ailleurs consulter le Dictionnaire historique de Prosper Marchand, article Albizzi; la Bibliothèque curieuse de David Clément, t. VIII, p. 143, etc.

Ajoutons qu'une traduction française, faite par J. Marée, du livre des Conformités, a paru à Liège, 1658, 4 tomes in-4°. Barthelemy de gli Albizzi commençait par établir la possibilité de la transformation de l'objet aimant en l'objet aimé ; il dressait ensuite un arbre allégorique divine en dix branches, portant chacune pour fruits quatre conformités , savoir : deux attributs de Jésus-Christ et deux ressemblances de saint François. Il n'avait su trouver que quarante conformités entre son saint patron et le Sauveur du monde; un cordelier espagnol, le père Pedro de Al va y Astorga, en a porté le nombre à quatre mille dans un in-folio publié à Madrid en 1658 ; Naturae prodigium et gratiœ portentum, etc.

Les protestants se saisirent avec avidité d'un livre aussi propre à prêter au ridicule que le Livre des Conformités ; en 1542, il parut à Francfort l’Alcoranus Franciscorum, i. e. Epitome praecipuas fabulas et blasphemius complectens eorum qui B. Franciscum ipso Christo œquare ausi sunt. Cet ouvrage, réimprimé plusieurs fois à Genève, l'a été également avec une traduction française à Amsterdam, 1734, 2 vol. in-12: les figures gravées par Bernard Picart font rechercher cette dernière édition.

 

148

 

de Jésus-Christ, sa naissance , son entrée à Jérusalem, sa passion, sa mort, sa descente aux enfers, sa résurrection, son ascension; l'on y voit aussi les miracles de François, sa mort et son ascension au ciel, de sorte que l'on met de pair la vie et les actions de Jésus-Christ avec celles de François, ce qui est un grand blasphème.

 

On dit que le pape promet de faire grâce à tous les luthériens et de les accueillir, pourvu qu'ils n'enseignent et ne suivent désormais d'antre doctrine que la sienne et qu'ils renvoient leurs femmes, les traitant comme si elles étaient des p—ns et des cuisinières. Fi donc ! agir ainsi et ne pas condamner l'adultère , c'est faire l'œuvre du diable. Attaquer le mariage, c'est attaquer Dieu lui-même.

 

Le pape se moque à la fois de Dieu et des hommes, car il méprise et viole les lois de la religion , de la justice et «lu gouvernement; il le prouve bien, puisque son fils, cet enfant de p—n , a épousé une fille naturelle de l'empereur, et il acte créé duc de N. Au lieu d'en avoir aucune espèce de bonté, il prétend que tout le monde doit l'honorer.

 

Deux fous disputaient un jour ensemble devant le pape qui était à table, et ils agitaient la question de savoir si l’âme était immortelle ou non ; l'un soutenait qu'elle l'était, l'autre argumentait pour prouver le contraire, et le pape dit que celui qui maintenait l'immortalité de l'âme avait donné de fort bonnes raisons, mais que, pour son compte, il se rangeait du côté de celui qui prétendait qu'elle était mortelle, car c'était une doctrine fort commode et une perspective agréable.

Et c'est à de tels scélérats, à de semblables épicuriens que doit être confié le gouvernement de l'Église de Jésus-Christ! Il fut décidé au concile de Bâle que les piètres devaient porter de longues robes tombant jusqu'à la cheville du pied et des souliers élevés;

 

149

 

qu’ils devaient s'interdire dans leurs vêtements les étoffes de couleur verte ou rouge; mais l'on ne put agiter la question relative à l'immortalité de l'âme. Le pape est un roi sans Dieu et sans mariage : ce qu'il y avait de divin, il l'a écarté, et il a change ce que Dieu avait établi dans le monde, comme le mariage.

 

Le docteur Ussinger, moine augustin qui était avec moi dans le monastère d'Erfurt, me dit un jour, me voyant lire la Bible avec beaucoup d'assiduité : « Frère Martin, qu'est-ce que la Bible? Lisons plutôt les anciens docteurs et les pères, car ils ont extrait la sève et la vérité de la Bible ; la Bible est la cause de toutes les dissensions et des rébellions. » — Telle est la censure du monde concernant la parole de Dieu; laissons-le donc courir vers le séjour qui lui est réservé.

 

Albert, évêque de Mayence, avait un médecin attaché à sa personne, lequel était protestant et, par conséquent, ne jouissait pas de la faveur du prélat. Cet homme étant avare et gonflé d'ambition, renia sa religion et revint au papisme, disant : « Je laisserai de côté Jésus-Christ pendant quelque temps, jusqu'à ce. que je sois devenu riche, et alors je le rappellerai derechef à moi. » De telles paroles blasphématoires méritent le plus rigoureux châtiment, ainsi qu'il arriva à ce misérable hypocrite, car, le lendemain , on le trouva dans son lit dans un état affreux, la langue arrachée de la bouche, le visage noir comme charbon et le cou tordu. Moi qui me rendais alors de Francfort à Mayence, je fus témoin oculaire de cette juste punition de Dieu. Si un homme pouvait ainsi laisser, quand il le voudrait, Dieu de côté et le rappeler a son choix, alors Dieu serait son prisonnier. Ces paroles étaient dignes d'un épicurien réprouvé; il fut traité comme il le méritait.

 

J'ai commis un grand docteur qui, en 1527, était chapelain d'un puissant évêque papiste; il était d'abord grand ami du saint

 

150

 

Évangile, au point qu'en dépit des instructions de son évêque, il reçut la communion sous les deux espèces, suivant l'institution de Jésus-Christ; mais lorsqu'il s'aperçut qu'il était tombé en disgrâce auprès de son maître et qu'il vit que beaucoup de protestants étaient chassés et bannis, alors il se rétracta et déserta l'Evangile. Ensuite, quand il vit que les protestants s'exposaient joyeusement à la persécution et qu'ils affrontaient la tyrannie de cet évêque, alors sa conscience se réveilla et le tourmenta cruellement , lui reprochant d'avoir abandonné la vérité plutôt que d'avoir brave les rigueurs du bannissement. Il tomba dans une grande, agonie d'esprit, au point que toutes les exhortations et les conseils au sujet des promesses de Dieu n'avaient aucun effet sur lui. Enfin il s'abandonna au désespoir et il dit ces paroles: «Jésus-Christ est a coté de son père céleste et il m'accuse. Il dit : O mon père, n'étends pas ta miséricorde sur cet homme et ne lui pardonne pas ses péchés de blasphème, car il ne m'a pas confessé, moi et mon Evangile, devant son évêque; au contraire, il m'a renié. » Et le docteur, disant ces mots, expira misérablement dans le désespoir.

Nous voyons là la plus grande ruse du diable, qui consiste! tirer la loi de l'Evangile. Si je savais toujours saisir comme il faut la différence des deux doctrines, je ne donnerais pas un fétu de toutes les tentations et de toutes les machinations du diable.

Ce docteur aurait dit se rappeler ce que saint Paul disait aux Romains : « La grâce l'emporte sur le péché, de même que la vie est supérieure à la mort. » Dieu, par l'entremise de saint Paul, a fait aux fidèles qui sont tentés la promesse rassurante, qu'il est fidèle, qu'il ne souffrira pas que nous soyons tentés au delà de nos forces et qu'il donnera à nos prières un terme favorable; cependant Dieu permet parfois que nous soyons si rudement presses que nous ne pouvons avoir patience plus longtemps.

Les papistes maudissent chaque année le sang de Jean Huss

 

1 Jean Huss fut ainsi appelé du lieu de sa naissance en Bohême, Huss ou Hussenetz ; le nom de ses parents est resté inconnu ; ses talents et son érudition lui firent obtenir, en 1409, le poste de recteur de l'Université de Prague; les écrits de Wiclef lui étant parvenus, il embrassa avec avidité les opinions de l'auteur anglais, il se posa en réformateur, il attaqua Rome et le clergé avec une hardiesse extrême, accumulant dans ses ouvrages, suivant l'usage du temps, les injures les plus grossières et les expressions les plus cyniques. Excommunié par le pape Alexandre V, il en appela au concile qui allait se réunir à Constance; il s'y rendit, mais l'on discute encore sur la question de savoir s'il y vint ou non avec un sauf-conduit. Pressé de rétracter ses doctrines, il fui inflexible; il déclara préférer (ce furent ses expressions) qu'on lui mit une meule d'âne au cou et qu'on le jetât à l'eau. Livre au bras séculier, il fui brûlé le 11 juillet 1415. Les œuvres de Jean Huss oui été recueillies pour la première fois vers 1525, â Strasbourg, sans indication de lieu ni de date; elles ont reparu plus complètes, à Nuremberg, en 1558 (2 vol. in-f°), et dans la même ville en 1715 (2 vol. in-f°). Sa vie a été écrite en allemand par A. Zilte (Prague, 1709, 2 vol. in-8°) et par Fischer (Leipzig, 1804, in-8°). On peut consulter également la Commentatio de W. Seifrid, revue par Mylius, de vita, fatis et scriptis Joh. Hussi (1743, in-8°), l’Histoire du concile de Constance, par Lentant, Amsterdam, 1727,2 vol. in-4°, etc.

 

151

 

C'était vraiment un homme honnête et savant, ainsi qu'on peut le voir dans son livre De l'Eglise, que j'aime extrêmement. Il y a bien quelque faiblesse en lui, mais c'est la faiblesse d'un chrétien ; la puissance de Dieu le ranime et le relève. Il est délicieux et doux d'observer, dans Huss, le combat de la chair et de l'esprit. Il reste des preuves sûres et certaines que Jérôme de Prague était un homme éloquent , mais que Huss avait beaucoup de savoir. Il a accompli ce que le monde entier n'aurait su faire. Depuis que ce sang innocent a été versé, la Papauté a graduellement déchu. Constance est devenue, depuis la mort de Huss, une ville pauvre et misérable. Je crois que la vengeance de Dieu s'est appesantie sur elle, parce que ce saint homme d'Huss y a été brûlé; après que les habitants l'eurent abandonné, le Saint-Esprit montrait sa puissance dans la personne d'Huss, qui défendit avec tant d'allégresse et de fermeté la parole de Dieu contre tant de grandes et puissantes nations , contre l'Allemagne, l'Espagne, l'Italie, l'Angleterre et la France ; toutes avaient leurs représentants réunis au concile de Constance; seul, il tint tête à leurs assauts, à leurs cris, à leurs attaques ; il en fut écrasé et livré aux flammes. Et moi, de même, sauf le bon plaisir de Dieu , je serais, une fois mort, plus en sûreté que de mon vivant.

 

152

 

Le pape connaît bien l'art de rogner et de gouverner. Le moindre des papistes est plus habile , en fait de gouvernement, que dix seigneurs de notre cour. Mais consoler et diriger une seule conscience, c'est chose supérieure à la possession de cent royaumes.

 

Sous Charles-Quint, vingt mille soldats périrent en Italie, les Italiens ayant empoisonné les fontaines et les puits. Philippe Melanchton raconta les détails suivants qu'il tenait d'un Italien qui avait rempli des fonctions importantes à la cour de Clément VII. Chaque jour, aussitôt que le pape avait diné ou soupe, son échanson et ses cuisiniers étaient mis en prison ; deux heures après, lorsque nul symptôme d'empoisonnement ne s'était déclaré, ils étaient relâchés. Le docteur Luther dit : « N'est-ce pas là un genre de vie bien misérable? tel que celui qu'a dépeint Moïse, lorsqu'il a dit au chap. XXVIII du Deutéronome . « Ta vie sera comme en suspens devant toi et tu seras en effroi nuit et jour, et tu ne seras point assuré de ta vie. Tu diras au malin: Qui me fera voir le soir? et au soir tu diras : Qui me fera voir le matin?» Le pape Clément était fort versé dans la science des poisons, aussi ne négligeait-il rien pour se préserver; il mourut

toutefois empoisonné (1).

 

«Que nos ennemis se livrent à la rage et s'enflent de colère tant qu'ils voudront. Dieu a prescrit des bornes à la mer; il la laisse se courroucer et rouler ses vagues agitées comme si elles allaient tout engloutir, mais elles ne peuvent outrepasser le rivage, et Dieu les enferme dans des liens non de fer, mais d'un sable débile. » C’est ainsi que parla le docteur Luther, lorsque vinrent des lettres de la diète de Francfort, annonçant l'intention des papistes de tomber de tous côtés sur les fidèles.

 

1 Ceci est extrêmement douteux ; nous avons consulté nombre d'écrivains, parmi lesquels nous ne citerons que l'Histoire des Papes du protestant Brueys (1723, t. IV, p. 484) ; aucun d'eux n'attribue au poison la mort de Clément VII.

 

153

 

Le second psaume est un des meilleurs de tous; je l'aime de tout mon coeur. Il frappe vaillamment parmi les rois, les princes et les grands seigneurs. Si ce que dit ce psaume est vrai, les desseins des papistes ne sont que pure folie. Si j'étais à la place de Dieu, et si j'avais remis le gouvernement à mon fils comme il l'a confié au sien, et si ces méchants personnages étaient aussi désobéissants qu'ils le sont à présent, je jetterais le monde tout sens dessus dessous.

 

Marie, l'humble vierge de Nazareth , frappe aussi sur ces grands rois et sur ces princes lorsqu'elle chante : « Il a déposé les puissants de leurs sièges. » Nul doute qu'elle n'eût une très-belle et courageuse voix; pour moi, je n'ose pas chanter ainsi. Les tyrans disent : «Brisons les liens qui les rattachent. «C'est ce que l'expérience nous montre ; car voyez comme ils noient, pendent, brûlent, étranglent, torturent, bannissent. Et ils font tout cela en dépit de Dieu. Mais il est assis au plus haut des cieux , et ils ne sont pour lui qu'un objet de dérision et de risée. Si Dieu voulait me donner un peu de temps afin que je pusse expliquer un couple de petits psaumes, je me remuerais avec tant d'audace, qu'à l'exemple de Saumon, j'entraînerais tous les papistes avec moi.

 

J'ai maintenant bien irrité le pape en l'attaquant au sujet de ses images et de son idolâtrie. Oh! comme la truie hérisse son poil ! J'ai un grand avantage sur lui, car « le Seigneur a dit à mon Seigneur : « Assois-toi à ma droite, je te ferai un marchepied de tes ennemis. » Il a dit aussi «Je vous élèverai au dernier jour. » Alors il nous appellera et dira : « O Martin Luther ! Philippe Melanchton , Jean Calvin ! etc., levez-vous et venez ! » et Dieu nous appellera chacun par son nom, comme Jésus-Christ dans l'Évangile de S. Jean. Et vocat eos nominatim. Allons! courage ! et soyons rassurés.

 

154

 

Les décrétales du pape ne signifient rien , car leur auteur est un âne (1). Le pape n'y enseigne rien touchant l'Eglise, il ne s'y occupe que des choses politiques. Il prétend toutefois que ces décrétales doivent avoir la même autorité que l'Évangile et les écrits des apôtres.

 

Le docteur Luther dit à maître Jean Honstein , un de ses commensaux, qui s'appliquait à l'étude du droit: « Les décrétales du pape renferment beaucoup de canons affreux et diaboliques ; c'est ce que tu ne dois pas perdre de vue lorsque lu les liras. Elles sont une grande plaie pour l'Église. »

 

Les décrétales ne sont que de la fiente d'âne, que les excréments du pape ; décret, décrétales, m.., (2).

 

1 Les recueils de décrétales se multiplièrent au moyen âge ; l'on en pourrait compter une centaine d'éditions, plus ou moins complètes antérieures à 1500. Le diacre Raynier, Bernard de Compostelle, Pierre de Bénevent, Raymond de Pennafort, Henri de Suse, furent les principaux compilateurs de ces corps de décisions sur lesquels reposa, durant plusieurs siècles, le droit qui régissait l'Europe. On peut consulter à cet égard la dissertation de J. H. Boehmer : De Decret. pontif. romanor. variis collect. et forma, et les deux écrits de A. Theiner : Comment. de roman. Pontif. epistol. decretalium antiquis collect. (Lips., 1829, in-4°), Recherches sur plusieurs collections de décrétales du moyen âge (Paris, 1832, in-8°). Le docteur Gratze, dans son Manuel (en allemand) d'Histoire littéraire universelle, a fort bien débrouillé (t. II, 3e section, p. 625-652) la bibliographie un peu embrouillée de cette branche du droit canonique.

 

2 Encore un intraduisible jeu de mots : drecketal, drecket, dreck. Luther aimait les plaisanteries de ce genre : il s'écriait une autre fois : « Pape, tu n'es pas pape, mais Priape ; papistes, dites priapistes. » — Voici d'autres échantillons de l'emportement de l'ex-moine saxon lorsqu'il venait à parler de Rome : « Puisque nous pendons les voleurs, que nous décapitons les brigands, que nous infligeons aux hérétiques le supplice du feu, pourquoi n'attaquons-nous pas avec toutes les armes qui sont en notre pouvoir ces professeurs de perdition, ces cardinaux, ces papes et toute cette sentine de la Sodome romaine qui corrompt sans cesse l'Église de Dieu? pourquoi ne lavons-nous pas nos mains dans le sang de ces gens-là? (Cur non manus nostras in sanguine istorum lavamus? » Opéra, t. I, p. 60, édit. de lena ). «Dis donc, ignorantissime antéchrist, tu es donc bien bête, pour croire que le genre humain va se laisser effrayer par une bulle de ta façon? S'il suffisait pour condamner de dire : « Ceci me déplaît ; je ne veux pas cela, » y a-t-il un mulet, un âne, une taupe, une bûche, qui ne pût aussi rendre des arrêts ? Ton front de p—n ne rougit-il pas d'opposer aux foudres des paroles célestes la fumée de tes vaines et ineptes paroles (t. II, p. 89)? N'ayez pas peur de la bulle; si quelqu'un meurt de peur, lorsqu'on le portera en terre, il ne faudra pas sonner les cloches, mais bien péter pour lui. — Si j'étais le maître de l'empire, je ferais un même paquet des papes et des cardinaux pour les jeter tous ensemble dans ce petit fossé de la mer de Toscane. Ce bain les guérirait ; j'y engage ma parole et je donne Jésus-Christ pour caution.» Dans une lettre à Spalatin, du 12 avril 1522,nous remarquons l'expression suivante: Inventus est Satan sese permerdasse in sapientia sua.

Précédente Accueil Suivante