Diète de Worms

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Déclaration Justification

 

LA DIÈTE DE WORMS.

 

Le mardi de la semaine de la Passion, je fus cité par le héraut, à comparaître devant la diète. Il apportait avec lui un sauf-conduit de l'empereur et de beaucoup d'autres princes, mais ce sauf-conduit fut bientôt violé , car, dès le lendemain mercredi, je fus condamné à Worms et mes livres brûlés. Lorsque j'arrivai à Erfurt, j'appris que j'étais condamné à Worms et que l'arrêt était publié et répandu dans toutes les villes et lieux d'alentour, si bien que le héraut me demanda si j'avais l'intention d'aller à Worms ou non.

Quoique je fusse un peu étonné de ces nouvelles, je répondis au héraut, et je dis : « Y eût-il à Worms autant de diables qu'il y a de tuiles sur les maisons, j'irai ! »

Lorsque j'arrivai à Oppenheim, dans le Palatinat, non loin de Worms, Bucer vint vers moi pour me dissuader d'entrer dans la ville, car, à ce qu'il me dit, Sglapion, le confesseur de l'empereur, avait été le trouver et l'avait prié de me conseiller de ne pas venir, car je serais brûlé; il me recommandait plutôt d'aller Chez un gentilhomme qui demeurait non loin de là, François de Sickingen, et de rester avec lui, car il me recevrait et m'hébergerait volontiers. Ces misérables avaient ourdi ce complot contre moi, afin que je ne comparusse point, car si j'avais laissé écouler le temps fixé, et si jetais reste trois jours sans me montrer,

 

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alors mon sauf-conduit aurait expiré , et aussitôt l'on aurait fermé les portes de la ville, et, sans vouloir m'entendra , l'on m'aurait condamné et expédié. Mais j'allai de l'avant en toute simplicité, et lorsque je vis la ville, j'écrivis à Spalatin et je l'instruisis de mon arrivée, et je demandai où je serais logé. Tout le monde fut bien étonné de me voir paraître, car c'était contre l'attente générale ; on pensait que je me serais tenu à l'écart, effrayé des menaces qui m'avaient été faites. Deux nobles seigneurs, Jean d'Hirshfield et Jean Schott me reçurent d'après l'ordre du prince électeur et m'amenèrent à leur logis.

Aucun prince ne vint me voir, mais seulement des comtes et des gentilshommes qui me regardaient avec beaucoup de curiosité et qui avaient présente quatre cents articles à Sa Majesté Impériale contre ceux du clergé, et ils désiraient que l'on fit droit à leurs plaintes et remontrances, déclarant qu'ils seraient autrement forces de remédier aux ahus qu'ils signalaient et dont aujourd'hui ils sont délivrés par le moyen de l'Evangile que, grâces a Dieu, j'ai remis en lumière. Le pape écrivit, à cette époque, à l'empereur pour le presser de ne pas avoir égard au sauf-conduit, et tous les évoques pressèrent aussi l'empereur dans le même sens ; mais les princes et les États de l'empire ne voulurent pas consentir, car ils alléguèrent que de grands tumultes en résulteraient. Je reçus d'eux de grandes marques d'égards, tellement que les papistes avaient plus peur de moi que je n'avais de crainte d'eux.

Le landgrave de liesse, qui était alors un jeune prince , demanda que je fusse entendu, et il me dit publiquement : « Votre cause est-elle juste et légitime? alors je prie Dieu de vous assister. »— Étant à Worms je m'adressai à Sglapion, lui demandant de faire un pas vers moi, mais il ne voulut pas. Etant appelé, je comparus dans la maison du Sénat, devant toute la diète impériale : l'empereur et tous les électeurs étaient présents

 

1 Un écrivain allemand a jeté sur cette assemblée célèbre un coup d'oeil sagace. Les personnages illustres qui s'étaient rassemblés le 17 avril 1521, à Worms, dans la grande salle de la diète, pouvaient avoir dans l'âme des pensées qui différaient de leurs paroles. Là siégeait un jeune empereur qui s’enveloppait de sa pourpre neuve avec toute la joie et l'ardeur que met la jeunesse à s'emparer de la puissance, et qui se réjouissait secrètement de voir le fier pontife romain, dont la main avait si rudement pesé sur les empereurs, et dont les prétentions n'étaient pas encore abandonnées, en butte lui-même à de rudes attaques. De son coté, le représentant de Rome avait le plaisir secret de voir la division s'introduire parmi les Allemands qui s'étaient si souvent jetés sur la belle Italie pour la piller comme des barbares ivres, et qui la menaçaient de nouvelles incursions. Les princes temporels se réjouissaient de pouvoir mettre la main sur les biens de l'Eglise, au moyen des idées que répandait la nouvelle doctrine. Les éminents prélats délibéraient déjà s'ils n'épouseraient pas leurs cuisinières pour léguer à leurs descendants mâles leurs électorats, leurs évêchés et leurs abbayes.

Le discours que Luther prononça devant la diète fut débité d'abord en allemand, ensuite en latin; il était d'une longueur remarquable. «Cet homme doit avoir grand soif », pensa le duc de Brunswick, lorsqu'enfin l'orateur eut atteint sa péroraison, et il envoya à son auberge trois cruchons de la meilleure bière d'Einbeck.

 

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Le docteur Eck (1), fiscal de l'évêque de Trêves, commença et me dit : « Martin , tu es appelé ici pour déclarer si tu reconnais que ces livres sont ton ouvrage ou non. » — Les livres étaient placés sur une table et il me les montrait. — Je répondis : «Je crois que ce sont les miens.» Mais Jérôme Schurff dit alors: «Que l'on en lise les titres. »— Lorsque les titres eurent éteints, je dis : « Oui, ces livres sont de moi. » Il dit : « Voulez-vous rétracter ce qu'ils contiennent? » Je répondis : « Très-gracieux seigneur et empereur , quelques-uns de mes livres sont des livres de controverse où je combats mes antagonistes ; d'autres sont des livres qui exposent une doctrine que je ne puis, ou ne veux rétracter. S'il m'est arrive, dans mes écrits de controverse, de montrer hop de violence contre qui que ce soit, je ne demande pas mieux que de recevoir une meilleure direction, et, pour cela, je demande qu'il

  

1 Jean Eck, chancelier de l'Université d'Ingolstadt, mort en 1513, fut l'un des antagonistes les plus infatigables de Luther; il joua un rôle actif dans tous les débats que souleva la doctrine nouvelle : il assista aux conférences de Leipzig (1519; aux diètes d'Augsbourg (1530) et de Ratisbonne (1541). Retzer a inséré dans son édition des écrits de Jérôme Balbi (Vienne, 1791, t. I, p. 263) une pièce de vers satyrique pleine de vivacité et d'indécence intitulée : Threni Joannis Eckii in obitum Margarethœ suae concubinœ, et qu'écrivit Simon Lemnius, pamphlétaire luthérien, redouté de son temps.

 

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me soit accorde du temps. » Alors on me donna un jour et une nuit. Le lendemain , je fus cité devant les évêques et les autres qui avaient été

chargés de s'entendre avec moi au sujet de la rétractation. Je dis alors: La parole de Dieu n'est pas ma parole ; je ne puis donc l'abandonner ; mais pour tout ce qui n'y est pas contraire, je me montrerai soumis.«Alors le marquis Joachim me dit : « Martin, à ce que j'entends, vous ne demandez qu'à être instruit, hors en ce qui concerne l'Écriture sainte ? »Je dis : « Oui.» Alors ils me pressèrent de porter cette cause devant Sa Majesté Impériale ; je dis que je n'osais avoir la hardiesse d'agir ainsi. Ils me dirent : « Ne pensez-vous pas que nous sommes aussi des chrétiens qui voulons finir et terminer ces différends avec tout le zèle et l'attention possibles? Vous devez avoir assez de confiance en nous pour supposer que nous déciderons selon l'équité. » Je répondis et je dis : « Je n'ose me fier assez à vous pour supposer que vous conclurez contre vous-mêmes, vous qui m'avez condamné, tandis que j'étais protège par un sauf-conduit; néanmoins, afin que vous voyiez ce que je puis faire , je remettrai en vos mains mon sauf-conduit et j'y renoncerai; faites de moi ce que vous voudrez. » Alors tous les princes dirent : « Vraiment , ses offres sont suffisantes, sinon excessives. » Ils dirent ensuite : «Cédez-nous pour quelques articles. » Je repartis: « Au nom de Dieu, je ne ferai pas de difficultés pour les articles qui ne concernent pas l'Ecriture sainte. » — Là-dessus, deux évoques allèrent vers l'empereur et lui dirent que je m'étais rétracté. Alors l'empereur envoya vers moi un autre évêque pour savoir si j'avais remis la décision à lui et à la diète impériale. Je dis que je ne l'avais point fait, ni n'avais l'intention de le faire. De la sorte, je résistais seul à beaucoup de gens, et certains de mes amis même étaient très-irrités de ma constance ; quelques-uns dirent que si j'avais laissé les articles à leur décision, ils auraient plié et cédé pour ceux de ces articles que le concile de Constance avait condamnés. Cochlœus (1) vint alors vers moi et me dit :

 

1 Né en 1479, successivement chanoine à Worms, à Breslau, à Mayence; il combattit sans relâche les réformateurs avec un zèle extrême. Durant son séjour à Worms, il proposa à Luther une conférence publique, avec la condition que celui des deux qui succomberait dans cette lutte serait brûlé. Luther accepta le défi ; mais on empêcha prudemment les deux antagonistes d'en venir aux mains. Cochlœus mourut en 1552 , laissant une multitude d'écrits que l'oubli a dévorés.

 

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« Martin, si vous abandonnez voire sauf-conduit, j'entrerai en dispute avec vous. » — Pour moi, dans ma simplicité, j'aurais accepté ce qu'il m'offrait; mais Jérôme Schurff me demanda avec instance de ne pas le faire, et en dérision et en moquerie, il répondit à Cochlœus : « O la belle offre, si un homme était assez fou pour l'accepter! »

Vint alors vers moi un docteur, attaché au marquis de Bade, et il essaya de faire impression sur moi par une foule de mots pompeux; il m'exhorta et me dit: « Vraiment, Martin, vous êtes tenu de faire beaucoup et de céder pour le bien de l'amour fraternel, et afin que la paix et la tranquillité parmi le peuple puissent si; maintenir, de crainte qu'il ne s'élève des tumultes et des séditions. D'ailleurs, il y aurait grand avantage pour vous à vous montrer soumis à Sa Majesté Impériale et à éviter avec soin de donner des sujets d'offense : je vous engage donc à vous rétracter. » Je répondis : « Pour le bien de la charité fraternelle, etde la concorde, je ferai volontiers tout ce qui ne sera pas contre la foi de Jésus-Christ et contre la fidélité due au Sauveur. » Lorsque tous m'eurent assailli en vain, le chancelier de Trêves me dit :« Martin Luther, vous désobéisses à Sa Majesté Impériale; vous avez donc l'autorisation et permission de repartir avec votre sauf-conduit. » De la sorte, je partis de Worms, traité avec beaucoup de politesse et de courtoisie, au grand étonnement de tout le monde chrétien (1), si bien que les papistes auraient voulu que je fusse reste chez moi. Après mon départ, on rendit à Worms cet abominable édit de proscription qui donna occasion a chacun de se venger de ses ennemis, sous le nom et le litre de l'hérésie protestante. Mais les tyrans furent peu de temps après forcés de le révoquer.

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