Ménage de Luther

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LUTHER DANS SON MÉNAGE

 

Le 20 février 1538, maître Spalatin et maître Eberhard soupèrent avec le docteur Luther, et il badina avec son petit garçon Martin, et il dit ensuite : « Tel fut l'état de candeur et de simplicité, exempt de toute malice et de toute méchanceté, qui régna dans le paradis, l’homme possédant alors toute l’innocence de l'enfance. Les jeux des enfants sont pleins de grâce; leurs actions, dépourvues de raison, offrent un spectacle charmant. Nos enfants sont la source des amusements les plus vifs ; lorsqu'ils veulent quelque chose, ils le veulent de toutes leur forces, et ils ne sont point embarrassés pour trouver des excuses quand ils sont en faute, comme fit Nicolas le Niais, qui fit ses ordures dans les bottes des grands seigneurs chez le conseiller Pfeffinger, et qui se justifia en disant que sa grand'mère eu avait fait autant. »

 

Le petit Jean Luther, étant à table, prit part a la conversation qui roulait sur les choses du ciel, et il dit qu'il voudrait bien aller en paradis, parce qu'on s'y livre à un contentement extrême, en mangeant, en sautant et en y goûtant toute sorte d'allégresse, et parce qu'il y coule un fleuve de lait et qu'il y a des arbres chargés des plus beaux fruits. Et le docteur Luther dit : « Cet âge est le plus heureux de tous ; l'on n'y a nul souci politique, l'on n'aperçoit pas les fléaux de l'Eglise, l'on n'éprouve point la crainte de la mort et de l'enfer, l'on n'a que des pensées pures. » Jouant ensuite avec sa petite fille Madeleine, il lui dit : «Madeleine, qu'est-ce que te donnera Jésus-Christ ? Et il ajouta : « Les enfants ont de Dieu les idées les plus pures, parce que c'est leur père céleste qui les leur envoie. » Sa femme lui apporta ensuite sou petit Martin, et il dit : «J'aurais voulu mourir à l'âge qu'a cet enfant. » Et comme il embrassait son petit garçon, celui-ci le salit, et le docteur dit :« Une mère souffre bien la puanteur de son nouveau-né, et Dieu supporte celle de nos murmures et de nos blasphèmes, qui est bien plus grande. »

 

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La femme du docteur Luther l'importunait un jour par son caquet; il lui dit : « Est-ce qu'avant de prêcher tu as eu le soin de réciter l'Oraison dominicale ? Si tu l'avais fait, Dieu t'aurait défendu de prêcher (1). »

 

Le docteur Luther avait écrit avec de la craie sur la muraille qui se trouvait derrière le poêle de sa chambre cette sentence

 

1 Disons ici quelques mots de l’épouse et des descendants du réformateur.

Catherine de Bora, issue d'une famille noble, mais pauvre, était née en 1499. A vingt-deux ans ses parents la mirent dans un couvent de bernardines : elle ne tarda point à s'échapper, elle s'enfuit à Wittemberg; elle devint, le 14 juin I525, l’épouse de Luther. Il paraît qu'elle n'avait guère d'autre beauté qu'un teint frais et blanc : joues larges , œil dénué de vie, traits sans distinction. Il reste d'elle deux portraits peints en 1526 et en 1529, par Cranach. D'un esprit borné, bavarde, avare, Catherine acquit un grand empire sur son époux; l'attachement qu'il eut pour elle se peint dans sa correspondance sous des traits naïfs et graves. « Catherine, le plus grand bonheur, c'est d'avoir des enfants d'un homme qu'on aime.— Tu es la femme d'un homme pieux; tu es plus grande et plus glorieuse que l'impératrice. »

L'artillerie des pamphlets et des railleries des ennemis du docteur tonna contre le nouveau ménage ; en vers, en prose, on le voua au ridicule. Conrad Collin publiait; un écrit sur la noce de chien (die Hunds-Hochzeit ) de Martin Luther; Jean Nasemberg s'amusait à trouver des points de similitude entre le roi David et l'ex-moine (Hic carmina lusitIn cythiara; in nonna ludit et ille sua.) Rempon composait un épithalame moqueur dont nous citons quelques vers d'après M. Audin, qui représentent Catherine sautant, pirouettant, bondissant comme une chèvre que l'on vient de mettre en liberté; tandis que Luther, retardé par le poids d'un abdomen majestueux, ne peut suivre les mouvements de l'agile danseuse.

 

Atque levi sura glomerabat ovantia crura,

More caprae brutae, vitulaeque a fune solutae,

Multiplicans miros lascivo poplite gyros ;

Lutherus fessus, ventris pinguedine pressus,

Non poterat tantas in saltum tollere plantas.....

 

Les adversaires de Luther ont affirmé que Catherine était enceinte lors de la célébration du mariage : Erasme, Faber, Odoric Raynald et bien d'autres ont répété cette assertion que les réformes oui combattue de leur mieux. Force pamphlets ont plaidé à cet égard le pour et le contre. Après un examen impartial et attentif des témoignages et des arguments employés de part et d'autre, on ne peut ni absoudre ni condamner Catherine. Ce doute seul est permis. Quoi qu'il en soit, après la mort de Luther, sa veuve tomba dans la plus extrême détresse ; elle était réduite à mendier quelques aumônes auprès des princes qui avaient embrassé la réforme; ils furent bien durs pour elle ; le roi de Danemarck, seul, fit une fois passer un faible secours. Elle mourut à Torgau le 20 décembre 1552. Suivant le Conversations-Lexicon, la famille du réformateur s'est éteinte en 1759 par le décès de Martin Gotllob Luther, avocat à Dresde. Suivant Baur, le dernier rejeton de cette famille, dans la branche masculine, a été Jean-Martin Luther, chanoine de Zeitz, mort en 1756. D’autre part, les journaux d'Allemagne ont annoncé que Joseph-Charles Luther, descendant du célèbre Martin, est mort en Bohème en 1837, après être retourné au catholicisme. Ajoutons que le professeur Berte vient de publier (décembre 1843) à Halle une histoire de Catherine de Bora.

 

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extraite de saint Luc (chap. XVI, v. 10) : « Qui est fidèle en de petites choses, il est aussi fidèle en de grandes choses, et qui est injuste en peu de choses, il est aussi injuste en de grandes choses (1). » Il montra un jour une image de l'enfant Jésus attachée à la muraille, et il dit : « Le petit enfant Jésus repose encore dans les bras de sa mère; il se livre au sommeil, mais plus tard il se réveillera, et nous aurons à lui rendre compte de ce que nous aurons fait. »

 

Le docteur Luther dit un jour : «Si j'avais voulu, il y a de ceci treize ans, faire l'amour, j'aurais épousé Anne Schoufeldin (2); elle est aujourd'hui la femme du docteur Basilius, le médecin de Prusse. Alors je n'aimais pas ma Catherine, je croyais qu'elle était hautaine et pleine de fierté; mais la volonté de Dieu s'est accomplie ; Dieu a jugé bon que j'eusse pitié de Kétha ; cela m'a fort bien réussi (3), et j'ai de grandes actions de grâces à rendre à

 

1 Luther, donnant un exemple qui devait trouver un imitateur en Montaigne, avait multiplié sur les parois de sa chambre des sentences extraites de divers poètes ou philosophes, ainsi que de la Bible. On y voyait ce vers d'Homère : «Qui veille sur les destinées d'un peuple, ne doit plus dormir toute la nuit», et surtout un adage que le réformateur aimait au point qu'il avait voulu le voir brodé sur les manches de ses serviteurs : Verbum Domini manet in aeternum.

 

2 Elle avait été religieuse dans le même couvent que Catherine de Bora ; elles s'enfuirent un jour avec sept de leurs compagnes.

 

3 Donnons encore un échantillon des aménités dont les adversaires de Luther remplissent leurs écrits lorsqu'ils font mention de son mariage : « Il fit sa femme de cette Catherine après qu'elle eut été, durant deux ans, vivant à Wittemberg, vagabonde parmi les écoliers comme l'ânesse de Jérusalem. Avant ses noces ayant requis un seigneur de lui envoyer de la venaison, il lui envoya un âne écorché et mis par pièces dans un vaisseau, au fond duquel on avait mis les oreilles et les ongles des pieds. (Taillepied. Vie de Luther.) »

 

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Dieu. Si je m'étais trouvé atteint d'une maladie mortelle et subite, j'aurais voulu, pour rendre honneur au mariage, faire venir auprès de mon lit de mort une pieuse jeune fille; je l'aurais prise pour femme, et je lui aurais donné deux gobelets d'argent pour don nuptial et présent du matin. »

Le docteur Luther assista à la noce de la fille de Jean Lufft (1). Quand le souper fut achevé, il mena la mariée au lit, et il dit à l'époux : «Tu te conformeras à l'usage ordinaire en étant le maître au logis, lorsque ta femme n'y sera pas. » Il ôta ensuite un des souliers du marié, et il le jeta sur le ciel du lit en disant : « Voilà le signe de la prise de ta domination.»

Un jour, la petite fille du docteur, Magdeleine, fut amenée à table afin qu'elle chantât à son cousin le chant qui commence par ces paroles : « Le pape implore l'empereur et les rois, etc.» Elle refusa opiniâtrement de le faire, quoique sa mère l'en priât beaucoup. Alors le docteur Luther dit : « La force n'obtient jamais rien qui vaille. Toutes les œuvres que prescrit la loi ne produisent rien de bon si la grâce manque. »

1 L’imprimeur habituel des écrits de Luther. Il s’enrichit à vendre les ouvrages du docteur Martin, qui abandonnait toujours ses livres à son éditeur sans lui demander aucune rémunération. Luther s'est plaint à diverses reprises de ce que Lufft lui envoyait des épreuves criblées de fautes, de ce qu'il négligeait de faire effectuer les corrections indiquées. — «Papier, caractères, tout ce qu'il emploie pour moi est exécrable. Il se nomme Jean, et, toute sa vie, il sera un véritable Jean. »

 

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Le docteur Luther dit un jour : « Je voudrais que nos adversaires, les ennemis de la parole de Dieu, me tuassent ; ma mort serait pour l'Eglise d'un plus grand profit que ma vie (1). »

La femme du docteur Luther lisait les psaumes, et elle dit qu'il y en avait qu'elle ne pouvait nullement comprendre; le docteur essaya de lui expliquer ce dont elle était embarrassée ; il dit ensuite : «Il y a des passages dont nous sommes, tout aussi bien que des oies, hors d'état de saisir le sens. »

Il faut que j'aie de la patience avec ma femme Catherine, avec le pape, avec les princes, avec mes disciples, avec mes adversaires, avec tous ceux qui m'entourent. Ma vie n'est qu'une patience continuelle. Je suis comme l'homme dont parle le prophète Isaïe, et dont la force réside dans sa patience et dans son espérance, mais il faut savoir souffrir; un arbre supporte bien une mauvaise branche, et le ventre se résigne à se vider parfois péniblement (2).

Le docteur Luther dit un jour : «J'ai chez moi trois vierges en âge de se marier, et cependant chacune d'elles mourrait des

1 Ce vœu rappelle des passages analogues épars dans les œuvres de Luther et que M. Michèle! n'a point laisses échapper : «Plaise à Pieu que nous soyons dignes d’être brûlés ou égorgés par le pape ! — Si j'étais tué par les papistes, ma mort protégerait nos descendants, et ces bêtes féroces en seraient peut-être plus cruellement punies que je ne voudrais moi-même, car il y a quelqu'un qui dira un jour : Où est ton frère Abel ? et celui-là les marquera au front, et ils erreront par toute la terre. — Si j’étais tué dans une émeute papiste, j'emmènerais avec moi tant de prêtres, de moines et d'évêques, que chacun dirait : « C’est un grand docteur que Martin Luther, bien au-dessus de tous, évêques moines et prêtres; aussi faut-il qu'à son enterrement ils marchent à sa suite, étendus sur le dos. »

 

2 Einem schweren dreck.

 

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suites de l'union charnelle taudis que Catherine se laisse engrosser par moi. Ah ! mon Dieu ! que le monde a déchu depuis que les lois civiles ont été promulguées! Alors une fille était regardée, à douze ans, comme nubile; un adolescent, à quatorze ans comme pubère. Maintenant, ils n'offrent, à cet âge, qu'une extrême débilite; la vigueur de la race humaine s'en va, le monde approche de sa fin. »

Le 1er janvier 1539, le docteur Luther souhaita une heureuse année à tous ceux qui habitaient avec lui, et il fit des présents à tous les domestiques et aux servantes, jusqu'à la valeur de deux thalers, et il les exhorta tous à être obéissants et fidèles. Il dit ensuite en soupirant : « Ah ! quelle est l'abomination et l'impiété du monde, qui provoque de plus en plus la colère de Dieu et qui l'offense si grièvement ! Il est impossible qu'il n'en résulte pas d'extrêmes calamités, et les merveilles dont nous sommes témoins nous les annoncent, ainsi que l'Écriture sainte et la voix de notre conscience. Heureux qui se repent, se confie dans le Seigneur et chérit la parole de Dieu ; tout lui tournera à bien.»

Le docteur Luther dit à table que sa femme lui faisait souvent des questions dans le genre de celles-ci : « La ville de Rome est-elle plus grande» que Wittemberg ? Le roi de France est-il plus riche que l'Empereur? » et qu'un jour qu'elle ne savait que lui demander, elle avait voulu savoir si le grand-maître de l'ordre teutonique de Prusse n'était pas le frère du margrave (2).

1 Una illarum propter coitum moreretur. M. Audin recule devant la crudité du texte original ; il écrit: «Ces pauvres fleurs seraient mortes si j'avais voulu les cueillir. » Mais Luther n'était guère habitué à jeter sur ses idées le voile transparent des fleurs de rhétorique; ne lui prêtez pas, tant qu’il est à table, un langage que n’auraient point désavoué Dorat et Marmontel.

 

2 C'était un seul et même personnage.

 

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Le 7 novembre, le docteur Luther dit : « J'ai de grandes actions de grâces à rendre à Dieu, car il a bien voulu m'envoyer une compagne sage et pieuse, et sur laquelle le cœur d'un homme peut se reposer, ainsi que l'a dit Salomon, dans le livre des Proverbes (chap. XXXI, v. 11) : « Le cœur de son mari s'assure en elle, et il ne manquera point de dépouilles. »

Le 10 octobre 1538, il fut question de maître F., qui, dans un de ses discours, s'était témérairement élevé contre les femmes; et la femme du docteur Luther était présente, ainsi que celle du docteur Pomeranus et la dame de Selnilz, et elles s'emportèrent vivement contre l'orateur. Le docteur Luther fit mine de le défendre, disant qu'il s'était exprimé, non pas d'une manière sérieuse, mais par façon de parler, et que, s'il avait dit : « Toutes les femmes sont infidèles », toutes signifiait seulement un lie -grand nombre; le docteur Pomeranus se fâcha et prit parti avec les femmes contre le docteur Luther, qui dit que souvent une plaisanterie pouvait avoir des suites sérieuses.

En 1538, le jour de la fête de saint Burcard, le docteur Luther raconta l'histoire d'un sale cuisinier, surnommé le Badin, lequel souilla de ses excréments un morceau de viande. Il dit ensuite : « C'est un homme malheureux et bien contrarié que celui dont la femme ou la servante ne sait faire la cuisine ; c'est une malédiction domestique dont il résulte beaucoup de maux. »

En 1519, il arriva à Wittemberg un étranger, et le docteur Luther le reçut cordialement en lui donnant la main, et celui-ci lui dit : «Je m'étonne, maître, que vous receviez ainsi des inconnus; il leur serait bien facile de vous tuer, se trouvant seuls avec vous, comme je suis en ce moment. »— Le docteur répondit : « Il leur serait alors difficile d'échapper eux-mêmes à la mort. »

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Et l'étranger répondit : « S'il en advenait ainsi, le pape les mettrait au catalogue des saints, et vous inscrirait sur celui des hérétiques. »

             On reçut des lettres qui annonçaient qu'il devait venir de Pologne un émissaire auquel on avait promis quatre mille florins s'il réussissait à empoisonner le docteur Luther. Il vint en effet un savant Polonais, homme vieux et grave, très-versé dans diverses langues, astrologue fort habile, et pour lequel Philippe Mélanchton même montra une grande admiration. Mais Dieu veilla sur Luther; et ce Polonais venait souvent chez le docteur ans y être appelé, et il voulait jouer avec lui aux échecs; mais tes ruses étaient déjouées. Voyant qu'on le regardait avec beaucoup de défiance, il s'enfuit clandestinement. Il se rendit chea le landgrave, mais ce prince dit : « Que l'on chasse ce brigand; il voulait empoisonner Luther. » — « Je crois, dit le docteur Martin, que ce n'est pas la seule fois que Dieu m'a préservé du poison; ou a souvent voulu se défaire ainsi de moi. » Quelqu'un dit à Anvers au cardinal Alexandre : « Pourquoi ne corrompez-vous pas ce moine avec de l'argent?» Il répondit : « Cette bête ne veut pas accepter d'argent. » On saisit dans le temps des lettres du pape, qui écrivait à Fugger (1) de me compter trois cents florins, pourvu que je voulusse garder le silence. Je dois m'enorgueillir de ce que Satan montre une inimitié aussi décidée à mon égard ; je suis fier d'avoir un ennemi aussi imposant. Je suis le fils d'un paysan, mais je suis docteur en Écriture sainte, je

1 Les Fugger d'Augsbourg, les banquiers les plus célèbres de l'époque. On a prétendu que Charles-Quint leur ayant, dans un de ses voyages, fait l'honneur de loger chez eux, ils firent déposer dans la cheminée de la chambre de l'empereur un fagot de cannelle, denrée alors du plus haut prix, et qu'ils y mirent le feu avec une obligation que leur avait souscrite Sa Majesté pour une très-forte somme reçue d'eux. Anecdote souvent répétée, mais d'une authenticité bien douteuse. Il existe un beau recueil de portraits des membres de cette famille de Crésus ; Fuggerorum et Fuggerarum imagines ; Aug. vind., 1598 ; 1620. Quelques catalogographes peu exacts ont cru qu'il s'agissait de fougères, et ils ont rangé cet ouvrage parmi les livres de botanique.

 

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suis le grand antagoniste du pape ; il n'est pas étonnant que le pape me déteste ; mais sa haine n'est pas fondée sur de justes raisons. »

Le 2 juillet 1530, le docteur Luther reçut une lettre anonyme, par laquelle on lui marquait de se tenir sur ses gardes, car l'on avait promis de grosses sommes a des scélérats pour le tuer, ainsi qu'A. Spalatin. Le docteur dit : « Dieu est mon protecteur, et je suis sans crainte. Ce n'est pas seulement l'Ecriture et la foi, mais encore l'expérience qui me montrent que le Seigneur veille sur nous. Il m'a délivré des plus grands périls, je continuerai donc à me lier à lui. »

La femme du docteur Luther dit un jour qu'il ne lui restait que trois vases de Mère, et le docteur dit : « De ces trois, Dieu peut en faire quatre, si telle est sa volonté. Je sais vivre de peu je suis né de parents pauvres ; mon père exerçait la profession de mineur et il était dans l'indigence ; ma mère portait sur son dos à la maison tout le bois dont il était besoin. Je suis plus riche que tous les théologiens papistes dans le monde entier : j'ai une femme et six enfants que Dieu m'a donnés, et les papistes sont indignes de posséder un pareil trésor. Je me suis marié le 12 juin 1525; mon fils aîné, Jean, est né le 7 juin 1526; Elisabeth, en 1527; Magdeleine, en 1529, la veille de l'Ascension; Martin, le 7 novembre 1531 ; Paul, le 28 janvier 1533 ; Marguerite, en 1534. Je confie à Dieu ce que j'ai reçu de lui. »

Le 28 janvier 1533, à la première heure de la nuit, naquit le sixième enfant du docteur Luther; il eut pour parrain le très-illustre duc Jean-Ernest, pour marraine la femme de Gaspard Lindemann; il fut baptisé dans la citadelle et nomme Paul. Après la cérémonie, ceux qui y avaient assisté se mirent à table

 

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avec le docteur, et je les servis (1); ils causèrent avec beaucoup de cordialité, et le docteur dit, entre autres choses : « J'ai voulu que mon fils fut nommé Paul, car le docteur Paul a bien mérite par ses actions et par ses discours que mon fils portât sou nom. Dieu veuille que cet enfant ait les talents et les qualités de Paul! »

Le 6 septembre 1538, les enfants du docteur Luther étaient devant la table, regardant avec admiration des pèches, et le docteur dit : « Si quelqu'un veut voir l'image de la satisfaction unie a l'espérance, qu'il regarde ces enfants ; plût à Dieu que nous pussions considérer le dernier jour avec autant de joie et d'espoir! » Il expliqua ensuite les vertus des pèches, qui sont un fruit excellent. Adam et Eve avaient certainement des fruits bien plus beaux que les nôtres; toutes les créatures ont dégénéré d'une façon extraordinaire par suite du péché originel. Le serpent était jadis un animal superbe, il mangeait sans crainte dans les mains d'Eve ; mais après avoir été maudit il a perdu ses pieds, et a été force de manger de la terre. C'est parce que le serpent était le plus beau de tous les animaux que Satan le choisit pour accomplir ses artifices, car le diable goûte fort la beauté, et les choses qui attirent l'homme au péché ont besoin d'être belles. Ce n'est pas un mais qui provoque à l'hérésie, ni une servante difforme au libertinage, ni l'eau à l'ivrognerie, ni les haillons à la vanité; pour conduire à ces vices, il faut une langue subtile, une p-n de grande beauté, du vin excellent, des vêtements de soie. Adam et Eve étaient d'une extrême beauté et exempts de concupiscence, mais leurs corps perdirent leur supériorité. Leurs yeux distinguaient les objets a plusieurs milles de distance, leurs Oreilles saisissaient le moindre son. Adam se serait approché d'Eve dans des vues pures, sans souillure et sans désirs corrompus; elle n'aurait éprouvé ni incommodité, ni douleur pendant la grossesse et l'accouchement. Considérez les corps des enfants, ils sont plus purs plus nets, mieux formés que ceux des

1 C'est Aurifaber qui raconte ici ce dont il lui témoin auriculaire.

 

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personnes âgées, parce que les enfants se rapprochent de l'état d'innocence où était Adam avant sa chute ; leurs déjections ne sentent pas aussi mauvais que celles des vieillards (1). Dans notre triste condition, nous n'avons pour nous consoler que l'attente d'une autre vie. La majeure partie de l'espèce humaine meurt avant qu'elle arrive à l'âge de raison, et cette grande mortalité doit nous faire songer à la résurrection des morts qui amènera un autre ciel et une autre terre ; la raison ne peut pas elle-même se rendre compte de cet article de foi, car toutes les oeuvres de Dieu sont contraires à la raison (2). Bref, Dieu est incompréhensible dans ses créatures; il ne répond pas à ce que nous voudrions, parce qu'il n'observe pas la loi de notre géométrie. Il a mis un égout au milieu de la face de l'homme; moi, j'aurais posé un seul œil au milieu du front, et j'aurais placé une oreille d'un côté de la tête et le nez de l'autre côté. Mais Dieu en a agi autrement; il peut former avec de la boue et de la poussière les créatures les plus admirables, et il a donné des yeux admirables aux moindres animaux.

        Un soir, le docteur Luther vit un oiseau qui s'était posé sur un arbre alin d'y passer la nuit, et il dit : « Cet oiseau a déjà trouvé son souper tout préparé, et il va passer la nuit sans avoir nul souci du lendemain et sans posséder de domicile; mais, comme l'a dit David, il habite dans la protection du Dieu du ciel. Si la chute d'Adam n'avait pas tout corrompu, quelle admirable et divine créature que l'homme ! de quelle science et de quelle sagesse est-il été doué ! il aurait vécu dans un bonheur immense, exempt de toute calamité, et il aurait quitté son enveloppe terrestre sans éprouver aucune des angoisses de la mort. »

 

1 Non adeo mal olet, sicut merda senum.

2 Omnia Dei opera rationi sunt contraria.

 

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Le docteur Luther, tenant une rose, l'admirait comme un magnifique ouvrage de la main de Dieu , et il dit : « Si un homme avait le pouvoir de faire une seule rose comme celle-ci, il serait digne des plus grands éloges; mais les dons de Dieu perdent leur prix à nos yeux, parce qu'ils sont très-multipliés. Voyez comme Dieu donne aux parents des enfants qui leur ressemblent. Un paysan a souvent trois ou quatre fils qui reproduisent son image comme s'ils étaient tombés de ses yeux. Les païens regardaient comme une chose bien digne d'attention, que les enfants ressemblaient à leurs pères. C'est ainsi que Didon dit à Énée :

Simihi parvulus Eneas luderet in aula,

Qui te tantum ore referret.»

        Parmi leurs malédictions, les Grecs n'avaient point oublié de désirer aux parents des enfants qui ne leur ressemblassent pas. 

Le docteur Luther goûtait un jour son vin, le conservant pour un repas de noces, afin qu'il inspirât l'allégresse aux convives, ainsi que l'a dit l'Écriture : le pain confirme le cœur de l'homme, le vin le réjouit. Il dit ensuite que c'était une grande merveille de voir comment la terre était creusée par des courants d'eau qui y entretiennent la fertilité. La neige, la pluie, la rosée entretiennent cette distribution des eaux, et une couche de neige recouvre sans cesse les monts les plus élevés qui atteignent la région moyenne de l'air, qui est inhabitable à toute créature, m ce n'est au diable. »

             Le docteur Luther demanda un jour à sa femme si elle croyait être sainte. Elle lui répondit avec beaucoup d'étonnement : «Comment puis-je être sainte, moi qui suis une si grande pécheresse! » Le docteur dit alors : «Voyez l'abomination de la doctrine papale; comme elle a blesse les cœurs et préoccupe, toutes les consciences; l'on n'est plus capable de rien voir, si ce n'est la piété et la sainteté personnelle et extérieure des œuvres

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que l'homme même fait pour soi.» Et se retournant vers Catherine, il lui dit : « Si tu crois que tu as été baptisée et que tu es chrétienne, tu dois aussi croire que tu es sainte; car le saint baptême a une puissance telle qu'il détruit et anéantit les péchés, non qu'ils n'aient été commis, mais eu ce qu'ils ne sont pas une cause de réprobation. Telle est la puissance et l'efficacité du baptême, qu'il enlevé et efface toutes souillures. » Pareille question fut adressée à la femme de maître Antoine L. (Lauterbach) ; elle répondit qu'elle était sainte autant qu'elle pouvait en juger, mais qu'elle était pécheresse en tant qu'elle appartenait à la nature humaine. » — «Oui, répliqua le docteur Luther, un chrétien est entièrement et complètement saint. Si le diable pouvait revendiquer les pécheurs, où resteraient les chrétiens? il faut embrasser avec force la foi du baptême, alors nous serons, nous sommes déjà saints. Au psaume un, David se qualifie lui-même de saint. »

Un jour, la femme du docteur Luther lui oignait les pieds à cause d'une douleur qu'il y ressentait, et il dit : « Autrefois, Catherine, c'étaient les maris qui oignaient les pieds de leurs femmes, car le mot femme en latin, uxor, vient de l'expression oindre, ab ungendo; les païens virent qu'il y avait beaucoup de difficultés, d'obstacles et d'empêchements dans l'état de mariage , et comme ils voulaient remédier à cet état de choses, ils avaient coutume d'oindre les jambes des nouvelles mariées.

J'ai souvent remarqué que lorsque les femmes reçoivent la doctrine de l'Evangile, elles sont bien plus ferventes dans la foi, bien plus attachées à la vérité que les hommes; nous en avons la preuve dans la pécheresse Magdeleine qui se montra bien plus ferme, plus courageuse et résolue que saint Pierre.

 

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La femme du docteur Luther lui dit un jour : « Seigneur, j'ai entendu votre cousin, Jean Palner, prêcher cette après-midi dans l'église paroissiale, et je l'ai mieux compris que le docteur Pomeranus, que l'on regarde comme un excellent prédicateur. » Le docteur Martin Luther lui répondit : « Jean Palner prêche pomme vous autres femmes vous avez l'habitude de parler. Dès qu'une chose vous vient dans l'esprit, elle est au bout de votre langue. Un prédicateur doit s'en tenir au texte qu'il a énonce, et dire ce qu'il a devant lui, afin que le peuple en ait une parfaite intelligence. Mais un prédicateur qui dira tout ce qui lui passe par la tête, mérite, selon moi, d'être comparé à une fille qui va au marche, et qui rencontre en son chemin une autre, fille; elles s'arrêtent et bavardent tant qu'elles peuvent. Il en est de même de ces prédicateurs qui prétendent parler de tout à la fois, et qui s'écartent tout à fait de ce qu'ils se proposaient. »

 

Une femme est, ou du moins devrait être, une compagne affectionnée, joyeuse et soumise pour toute la durée de la vie; c'est pour cela qu'elle est appelée, dans l'Ecriture, la décoration delà mai son du Saint-Esprit, afin qu'elle soit l'ornement, l'embellissement et l'honneur de la maison ; elle doit être encline à la miséricorde, car c'est principalement pour cela qu'elle a été créée, et pour avoir des enfants et être une source de consolation, de plaisir, de joie pour son époux. Le motif qui fit que la fille de Jephté pleura sa virginité durant deux mois, c'est qu'elle mourait sans enfants, ce qui était alors regardé comme un extrême malheur; nous voyons à quel désespoir se livrait Annah, la mère de Samuel, lorsqu'elle n'avait pas encore d'enfant; et vraiment les enfants sont les liens les plus tendres et les gages du mariage,  la meilleure laine du mouton.

Le 17 décembre 1538, le docteur Luther invita les chantres et les musiciens à un souper, où ils chantèrent de belles et douces

 

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antiennes, et le docteur dit avec admiration : «Puisque le Seigneur Dieu nous accorde des dons aussi précieux durant cette vie (qui n'est qu'un véritable cloaque), que sera-ce donc dans la vie éternelle où tout sera disposé de la manière la plus parfaite et la plus accomplie ! J'ai toujours aimé la musique; la connaissance de cet art est bonne, et elle sert à toutes choses; il nous faut absolument encourager cette étude dans les écoles. Un maître d'école doit être un habile musicien, autrement, je ne levai nul cas de lui, et nous ne devrions pas conférer à des jeunes gens le grade de prédicateur, si d'avance ils ne sont bien exercés et instruits dans la connaissance de la musique. La musique est un don de Dieu, et elle est alliée de près à la théologie. Je ne voudrais pas, pour beaucoup, être dépourvu du mince savoir que j'ai eu fait de musique. Les jeunes gens doivent être instruits dans cet art; il rend les gens habiles et recommandables.

Le docteur Luther disait un jour à sa femme : «Tu me persuades tout ce que tu veux : tu as ici toute la souveraineté. Je t’accorde le droit de commander pour ce qui regarde le ménage, me réservant mes droits. La domination des femmes n'a jamais rien produit de bon. Dieu créa Adam maître de tontes les créatures pour qu'il put dominer sur tout ce qui respire. Mais Eve gâta tout en lui persuadant de se mettre au-dessus de la volonté de Dieu; vous autres femmes, vous êtes en faute, car, par vos ruses et  vos artifices, vous induisez les hommes en erreur, ce que j'éprouve aussi pour mon compte! » Il exhorta ensuite sa femme à lire avec attention l'Ecriture sainte, le psautier surtout, et à écouter la parole de Dieu. Elle répondit qu'elle croirait avoir assez lu et entendu, si elle pouvait régler sa vie d'après ce qui avait frappé ses yeux et ses oreilles. Le docteur Luther soupira et il dit : « Ah! c'est ainsi que commence le dégoût et le mépris de la parole de Dieu, lorsque nous nous croyons capables d'avoir accompli beaucoup de choses; il nous faudrait ressentir une faim continuelle de cette parole divine; si l'on néglige l’Ecriture Sainte. c'est l'indice des plus grands malheurs. »

 

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En 1532, le docteur Luther, voyant que la parole de Dieu était négligée dans sa propre maison, fixa que chaque dimanche il prêcherait à ses enfants et à sa famille, sans préjudice des sermons qu'il prononçait à l'église. Le docteur Jonas l'ayant questionné à cet égard, il dit qu'il regardait semblable fonction comme un devoir et comme prescrite à la conscience de tout père de famille, car je vois que la parole divine est tout aussi délaissée chez moi que dans l'église.

Le prince d'Anhalt vint, de la part de l'électeur, inviter le docteur Luther à se rendre à Torgau pour prendre part à une partie de chasse et au festin qui devait avoir lieu le lendemain. — Il répondit : « Je ne donne pas la chasse aux bêtes fauves, mais au pape, aux évêques, aux chanoines et aux moines. » L'électeur lui ayant écrit plus tard pour le prier de se rendre à sa cour, il dit : « Ce n'est pas la cour, mais l'église qui est ma vocation ; il m'a été imposé le devoir d'expliquer et de prêcher l'Ecriture sainte; lire et enseigner, telles sont mes obligations; celle des magistrats est de faire usage du glaive qui leur a été confié. »

La femme du docteur Luther se plaignant à lui de l'indocilité et de l'infidélité des serviteurs, il dit : « C'est un excellent don de Dieu qu'un serviteur ou une servante fidèle et sincère, mais pareil oiseau est rare sur la terre. Dans tout état, on se plaint de leur méchanceté et de leur paresse ; il faudrait les gouverner à la turque, car c'est ainsi qu'on dompte les hommes, en leur assignant pour chaque jour tant à travailler, tant à manger. Pharaon en agissait ainsi à l'égard des Israélites lorsqu'ils étaient en Egypte. Semblable désobéissance attire la colère de Dieu et les fléaux qu'infligent les Turcs. »

 

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Le docteur Luther alla un jour avec sa femme dans un jardin le long d'un étang, et s'étant mis à pêcher, ils prirent différents poissons qui furent servis sur la table avec beaucoup de joie et de vives actions de grâce.

Le docteur Luther demanda à sa femme si elle ne souhaitait pas être la femme d'un prince, à cause des plaisirs que procure la grandeur, et il dit : « Ah ! ma Catherine, les gens de bien ont peu de contentement en cette vie, ils sont toujours accables d'affaires, de tracas, de soucis. Rien ne va comme ils le désireraient. Moi, je suis content de ma positionne n'aurais aucune tentation, si le diable ne me vexait pas; s'il s'obstine à ne pas me laisser tranquille , je tiens pour lui un pet en réserve (1), il faut qu'il en reçoive beaucoup de moi. »

Les enfants les plus jeunes sont toujours ceux que les parents chérissent le plus. Mon petit Martin est pour moi un trésor bien doux ; ces enfants ont besoin d'une affection toute particulière de la part de leurs parents et d'une surveillance attentive. Jean et Magdeleine peuvent parler, et il n'est pas nécessaire pour eux d'être l'objet de tant de soins; aussi l'affection descend-elle tout naturellement sur les derniers nés. — Le docteur Luther parla ensuite de l'extrême douleur qu'eut Abraham lorsqu'il lui fut ordonne d'immoler Isaac, sou fils unique; il n'eu dit probablement rien à Sara.— La femme du docteur dit alors : « Je discuterais certainement avec Dieu s'il m'imposait semblable obligation, et je ne puis croire que Dieu commande à un père de. mettre à mort son enfant. » — Le docteur répondit : « Tu crois cependant que Dieu a voulu que son Fils, qu'il aimait de l'amour le plus extrême, fût crucifié, et, à ne consulter que le sentiment de la raison , Dieu en agit plus doucement avec Pilate et Caïphe qu'envers Jésus-Christ, dont il permit le crucifiement.

 

1 Illi crepitum admitto ventris.

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