ROMAIN II

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HOMÉLIES SUR SAINT ROMAIN.

 

DEUXIÈME HOMÉLIE.

 

ANALYSE.

 

1° Saint Chrysostome fait sentir combien il est utile de célébrer la commémoration des martyrs; il compare la persécution à une tempête. — Il cite l'exemple d'un enfant qui confondit le gouverneur par sa réponse. — 2° Il s'élève contre l'hérésie de Macédonius, qui niait la divinité du Saint-Esprit. — 3° Le buisson ardent est une figure de la parole apostolique. — Paroles de saint Romain.

 

1. Les exercices de la palestre donnent au corps le courage et les ressources de l'art athlétique; la commémoration des martyrs prémunit l'âme contre les artifices du démon, et l'exerce contre ses surprises. Cette popularisation de la lutte énergique, de la patience inflexible dans les supplices, enhardit la piété; le récit des souffrances des martyrs est comme une lice où nous avons sous les yeux la course que chacun d'eux a fournie. Telle est la commémoration de l'athlète couronné en ce jour. Et en effet, comment ne pas trouver du courage pour combattre le démon, lorsque l'on fortifie son âme à l'école d'un martyr que n'ont pu ébranler tant et de si grands périls? De son temps, la tyrannie de l'impiété se jouait du monde sans ménagement; la vie humaine ressemblait à une mer bouleversée jusque dans ses abîmes; la tempête avait rejeté sur la terre les vagues de l'Océan; le flot de l'irréligion inondait avec violence la nacelle de la piété; partout les pilotes mouraient, nombre de matelots étaient ensevelis dans les ondes; ce n'était de tous côtés que terreur, qu'angoisses et que naufrages. Les princes surpassaient cri fureur le souffle des tempêtes, les tyrans soulevaient d'effroyables tourmentes, les magistrats chancelaient sur leurs sièges, les juges par leurs édits ordonnaient de renier le Christ, les législateurs menaçaient les peuples des plus cruels châtiments; hommes et femmes étaient entraînés de force, et obligés, ceux-là de sacrifier aux démons, celles-ci de profaner les autels; on contraignait jusqu'à des jeunes filles à satisfaire cette rage; les prêtres étaient exilés, égorgés, et les fidèles chassés des enceintes sacrées. Voilà le combat pour lequel s'armait notre martyr; et voilà les périls que son âme affronte. Il se rit de cette résistance comme d'un simulacre de lutte. Dans cette arène, la foi est pour ainsi dire le sable qu'il jette à la face de ses juges : c'est ainsi qu'il bafoue le gouverneur (1) et qu'il lui barre le chemin de l'église qu'il courait envahir. Aussi le généreux athlète fut bientôt enlevé pour en recevoir la peine ; on accumula plusieurs genres de supplices; mais le martyr était comme la lyre : l'archet des tourments lui faisait rendre des sons mélodieux; les bourreaux l'assiégeaient et harcelaient son corps; mais lui, semblable à un instrument d'airain que

 

1. Asclépiade.

 

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l'on frappe, retentissait en pieux accents; on l'attachait au chevalet, on lacérait ses membres, et il embrassait ce bois comme l'arbre de vie ; on mettait en lambeaux ses flancs et ses joues, et lui, comme s'il eût été doué de plusieurs voix à la fois, il prenait la parole pour confondre son ennemi par une nouvelle défaite.

En effet, lorsqu'il voit que le gouverneur l'engage à servir les démons, il demande qu'on lui amène de la place publique un tout jeune enfant, pour le faire juge de ce que le gouverneur demande; !lorsque l'enfant est amené, le martyr lui pose une question relative à la circonstance. Enfant, lui dit-il, est-il juste d'adorer Dieu, ou bien ce que ces hommes appellent des dieux? Voyez ici l'excellente sagesse du martyr : il établit l'enfant juge du juge lui-même; et l'enfant aussitôt se prononça pour Jésus-Christ, afin qu'il fût démontré que les enfants sont plus sages que les juges impies, et plus encore afin que le martyr apparût non-seulement comme martyr, mais encore comme formant lui-même d'autres martyrs. Mais cela même ne déconcerta pas la rage du gouverneur : à l'instant le martyr fut entraîné avec l'enfant sur un chevalet,; au supplice du chevalet succéda la prison, et à la prison, une sentence qui assignait à chacun des athlètes son châtiment : l'enfant fut condamné à mort, et le martyr à avoir la langue coupée. Qui a jamais ouï parler d'un jugement semblable? Les juges font fouetter les accusés pour les forcer à avouer ce dont ils ont conscience, et ce magistrat impie fait couper la langue au patient pour lé forcer à taire ce dont il a conscience. O invention cruelle et raffinée ! Je n'ai pu, dit-il en lui-même, faire chanceler cette âme dont les pensées sont tout en Jésus-Christ, je couperai du moins cette langue qui parle pour Jésus-Christ. Oui , tyran, coupe cette langue, afin d'apprendre que la nature, même privée de langue, plaide encore la cause du Christ; châtie la langue du corps, afin d'apprendre qu'il est véridique, Celui qui a promis le don des langues! Et en effet, le tyran fit bien couper au martyr sa langue matérielle; mais sa parole éclatait plus énergiquement encore, comme si elle eût été débarrassée d'une entrave. Spectacle étrange et nouveau! un homme de chair parlant à des hommes de chair sans le secours de la chair. La parole du prophète s'appliquait bien alors à notre martyr : Notre bouche a été remplie de joie, et notre langue d'allégresse. Sa bouche fut remplie de joie, de sacrifier sa langue à Jésus-Christ comme une offrande d'une espèce nouvelle; et sa langue fut remplie d'allégresse, d'avoir été martyre avant le martyr lui-même. O langue qui as devancé l'âme du martyr auprès de la foule des martyrs! O bouche qui as nourri un martyr caché ! O langue qui as eu cette bouche pour autel ! O bouche qui as eu cette langue pour victime! Nous ne soupçonnions pas, généreux martyr, que ta bouche fût un temple où tu as immolé, comme une brebis d'une espèce nouvelle, cette langue dont le sang était le tien !

2. Quel panégyriste couronnerait dignement tes vertus ! La nature t'avait donné une langue, et tu l'as nourrie pour le martyre; la nature t'avait donné une bouche, afin de protéger cette langue, et tu l'as disposée pour la faire servir d'autel à cette langue; tu avais reçu de la nature un instrument pour parler, et lorsqu'on l'eut coupé, tu fis voir qu'il était une semence féconde ; tu avais une langue au service de tes paroles, et tu l'as immolée à Jésus-Christ, telle qu'une brebis sans tache. Quel titre d'honneur pourrais-je dignement donner à cette langue ? De quel nom la décorerai-je ? Les bourreaux en approchèrent le fer, et semblable à Isaac sur le bûcher, elle ne tressaillit point; mais dans cette bouche qui lui servait d'autel, elle attendit l'immolation avec joie, apprenant ainsi aux langues des hommes qu'il ne suffit pas de parler pour le Christ, mais qu'il faut encore mourir pour lui. O généreux martyr ! ton sacrifice rivalise avec celui du patriarche; car en place de fils unique, tu as offert ton unique langue. Le Christ a donc bien fait de t'en créer une seconde , car il a trouvé que tu avais bien usé de la première; il a bien fait de t'accorder la langue immatérielle, car une langue de chair ne convenait pas à une âme angélique ; il a bien fait de te dédommager de sa perte. Tu as prêté à ton Seigneur ta langue pour l'immolation, mais il t'a rendu avec usure une voix éloquente, et il s'est fait un contrat entre le Christ et ta langue, elle, se laissant couper pour le Christ, et le Christ prenant la parole pour elle.

Et maintenant où est-il ce Macédonius, l'adversaire de l'Esprit Consolateur qui a fait à l'homme le don des langues? Non, je ne mens point en attribuant le don des grâces à la (526) divinité de l'Esprit-Saint; le bienheureux Paul m'en est témoin, lui qui crie maintenant à vos oreilles avides: Tous ces dons proviennent d'un seul et même Esprit, qui les distribue à chacun selon qu'il le veut. (I Cor. XII, 11.) Selon qu'il le veut, dit-il, et non pas suivant l'ordre qu'il en reçoit. Mais de peur qu'en ajoutant encore quelque autre chose, nous ne surchargions votre mémoire, souvenons-nous, au sortir de ce lieu , de cette parole si solide en faveur du Saint-Esprit; et remplis tout à la fois de fierté contre eux et d'indulgence pour leurs erreurs, adorons la divinité du Consolateur. La trompette prophétique, en annonçant l'accord de tout l'univers à reconnaître Jésus-Christ, disait: Ils me connaîtront depuis le plus petit jusqu'au plus grand (Jér. XXXI, 34); et toute langue confessera le vrai Dieu. (Rom. XIV, 11.) Ainsi donc le prophète enlaçait, dans la connaissance de Dieu, toutes les langues comme dans un filet ; et nous, aujourd'hui, nous entendrons le pieux plaidoyer d'un orateur privé de sa langue ; c'est avec une lyre sans archet qu'il bénit son Créateur. Qu'il dise donc aussi, le bienheureux Romain : Ma langue est comme la plume d'un secrétaire habile. (Psaum. XLIV, 1.) Et quelle est cette langue? Ce n'est pas celle que le fer a enlevée, mais celle que la grâce du Saint-Esprit a forgée; car à la langue qu'on venait de lui arracher se substitua la grâce du Saint-Esprit. Les apôtres aussi avaient une langue, mais afin que la puissance qui agissait en eux fût démontrée, (organe terrestre était en repos et c'était le feu céleste qui parlait. Les livres de Moïse renferment aussi une figure de ce fait qui surpasse notre raison; carte buisson dont parle Moïse était en même temps du feu. (Exod. III.) C'était le feu apostolique qui, dans le buisson ardent, annonçait en figure les voix de la prédication ; il prête une voix à un objet inanimé, afin que l'on croie en lui lorsqu'il s'attache à des organes animés. Car si le contact de ce feu adonné une voix à ce qui était inanimé, comment, lorsque ce feu vient à remplir des âmes raisonnables-, ne leur ferait-il pas produire des accents pleins d'harmonie ? C'est la grâce que le glorieux Romain a eue en partage : privé de sa langue, il accusa le tyran d'une voix plus éclatante encore. Le tyran n'en serait certes pas venu au point de lui faire couper la langue s'il n'eût craint un débordement d'accusations convaincantes, s'il n'eût redouté le torrent de la prédication, s'il n'eût cru pouvoir briser les flots de la parole évangélique. Mais voyons ce qui réduisit le tyran à la nécessité d'une pareille audace.

3. L'impie venait de sacrifier aux démons , tout imprégné de la fumée et de la graisse des victimes, souillé de cette atmosphère impure, il courait droit à l'église, une hache sanglante à la main, et cherchant pour ses criminelles immolations un autel non sanglant. Mais la rage du tyran n'échappa point au martyr. A l'instant donc il s'élance au vestibule, et arrête l'invasion de l'impie. Tel un pilote habile, à la vue de la mer qui s'abat sur la proue, ne peut plus rester calme, mais il parcourt tout le vaisseau d'un pied léger, et élevant la poupe à l'aide du gouvernail, tourne le navire contre les flots, l'arrache au péril en le poussant vers la haute mer, et fendant parle milieu la vague la plus forte, sillonne à force d'adresse le dos gonflé de l'océan ; tel se montra le bienheureux Romain. L'océan de l'idolâtrie, mugissant de blasphèmes, exerçait sa fureur contre la nacelle de l'Église, et vomissait contre les autels une écume de sang. Seul, Romain s'oppose à cette mer irritée, et voyant l'esquif sur le point de sombrer, il réveille le Maître qui dormait dans cette barque ; il dormait du sommeil de la longanimité. A la vue de cette mer agitée par la lutte des vents, il prononce les paroles des disciples en danger : Seigneur, sauvez-nous, nous périssons! (Luc, VIII, 24.) Des pirates entourent la barque, des loups assiègent la bergerie, des voleurs minent l'enceinte de votre demeure, des sifflements adultères environnent votre épouse, le serpent veut une fois encore s'introduire frauduleusement dans le paradis; le rocher qui sert de fondement à l'Église est ébranlé ; jetez du haut du ciel l'ancre évangélique, consolidez ce rocher qui chancelle : Seigneur, sauvez-nous, nous périssons! Le danger commun préoccupe le martyr : il s'adresse au Seigneur avec confiance, et donne à sa langue une libre carrière contre le tyran : Tyran, lui dit-il, arrête cette course furieuse ; reconnais la mesure de ton infirmité, respecte le domaine du Crucifié; ce domaine n'a point pour limites les murs de l'Église, mais les confins de l'univers; secoue le nuage de ta démence; porte les regards vers la terre, et songe à l'impuissance de ta nature; lève les yeux vers le ciel et songe à la grandeur de la lutte; méprise la faible alliance des démons; considère qu'ils ont été terrassés par la croix, (527) ces démons qui te mettent en avant comme le défenseur de leurs autels. A quoi bon poursuivre l'insaisissable ? A quoi bon viser un but inaccessible ? Dieu est-il circonscrit par des murailles? Non, la divinité n'a point de bornes. Peut-on voir notre Maître avec les yeux du corps ? Non, il est par essence invisible et sans figure; c'est seulement dans sa nature humaine qu'on peut le dépeindre et le voir. Est-ce qu'il habite la pierre ou le bois, vendant sa providence pour un boeuf ou pour une brebis ? Est-ce l'autel qui est médiateur dans le pacte de Dieu avec l'homme? Tout cela est bon pour l'avidité quémandeuse de tes démons ; notre Maître à nous, ou plutôt le Maître de toutes choses, le Christ habite dans les cieux, il conduit le monde; et le sacrifice qu'il veut, c'est l'âme qui se tourne vers lui; la seule nourriture de ce Dieu, c'est le salut des fidèles. Cesse donc d'agiter ainsi tes armes contre l'Eglise ; le troupeau est sur la terre, mais le pasteur est dans le ciel; le pampre est ici-bas, mais la vigne est là-haut; si tu coupes les pampres, tu multiplieras les fruits de la vigne. Tes mains sont pleines de sang, ton glaive sort d'immoler des animaux sans raison ; épargne ces bêtes innocentes, et dirige ton fer contre nous autres, qui te démasquons ; épargne ces créatures brutes et muettes, et égorge-nous, nous tes accusateurs ! Car je redoute moins le fer qui tue l'homme, que la hache des sacrifices : le fer homicide déchire le corps, mais la hache des sacrifices tue l'âme ; le fer homicide égorge la victime humaine, et la hache des sacrifices détruit à la fois victime et sacrificateur ! Tranche ma tête, mais ne souille pas l'autel; tu as une victime volontaire, pourquoi garotter ce taureau qui résiste ? Si tu as envie d'immoler, immole donc dans le vestibule de l'église une victime raisonnable !

Le tyran ne peut supporter la franchise démesurée du martyr . aussitôt il commence l'immolation par cette langue. Il la coupe donc, non pas pour la détruire, mais pour combattre sa prédication. C'est moins en haine du proclamateur, que par dépit de ce qu'il proclame. Mais celui qui surprend les habiles dans leur propre astuce (I Cor. III, 19), lui rend du haut du ciel cet organe enlevé par le fer; il soutient sa voix chancelante par une langue invisible, et fait don de la voix à celui qui n'a plus de langue, démontrant ainsi au tyran par un fait palpable la création de l'homme. Et de même que lorsqu'on creuse un puits, on donne à l'eau un écoulement plus abondant à mesure que l'on ouvre de nouveaux filets d'eau, de même le tyran, en extirpant avec le fer la racine de cette langue, se trouvait inondé par des flots plus violents d'accusations. Je voulais poursuivre jusqu'au bout dans des transports de joie l'éloge de notre martyr ; mais la limite du temps convenable est arrivée, et m'ordonne de faire silence; aussi bien ce que j'ai dit suffit pour votre utilité, et les enseignements de votre saint père (1) sont nécessaires pour mettre le dernier sceau à mes paroles. Enveloppons seulement ces mêmes paroles dans les replis de notre mémoire, ouvrons à celles que nous allons entendre les sillons de notre âme; et adorons en toutes choses le Christ auteur de ces merveilles, car c'est à lui, avec le Père et le Saint-Esprit, qu'appartient la gloire, à présent et toujours, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

 

1. L'évêque Flavien.

 

Traduit par M. MALVOISIN.

 

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FIN DU TROISIÈME VOLUME.

 

 

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