BARLAAM

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HOMÉLIE SUR SAINT BARLAAM.

 

ANALYSE.

 

Ainsi que le remarque Fronton du Duc, il existe un calendrier grec manuscrit qui mentionne la fête de saint Barlaam, martyr, à la date du 16 novembre, comme dans le martyrologe romain. Les autres calendriers des Grecs portent cette fête au 19 du même mois. Mais, du temps de Chrysostome, elle se célébrait à une tout autre époque. Car dans l'homélie sur cette parole de saint Paul : Nolo vos ignorare, fratres, quod patres noslri omnes sub aube fuerunt, etc. (I Cor. X, 1), laquelle , comme le dit Chrysostome dans l'homélie même, a été prononcée le lendemain de la fête de saint Barlaam, le saint docteur dit éloquemment que l'hiver est passé et que l'été est venu : Nous sommes, dit-il, délivrés de l'hiver, et nous jouissons de l'été qui nous ramène la douce haleine des zéphyrs. Comme ces paroles ne peuvent en rien convenir an mois de novembre, il s'en suit que la fête du martyr saint Barlaam se célébrait alors à Antioche à une tout antre époque de l'année. Je dis à Antioche, car ce même discours fut prononcé dans une, ville, dans la campagne de laquelle, ainsi que nous l'apprend le discours lui-même, il existait un grand nombre dé tombeaux de martyrs où avaient coutume d'affluer tous ceux des habitants de la ville qui voulaient honorer la mémoire de ces martyrs et avoir part à leur protection ; or, personne ne contestera que cette particularité ne convienne à la ville d'Antioche. — En outre, à la fin de la susdite homélie, il demande les prières de tous les prélats (ton proedron apanton) ; or, Chrysostome ne connaissait point de prélat (proedros) à Constantinople, où il était lui-même le prélat suprême. Quant à l'année où fut prononcée l'homélie suivante, nous ne pouvons la déterminer même par conjecture.

 

1° Les puissants du monde ne peuvent souffrir d'égaux; il n'en est pas de même des saints qui ne désirent rien tant que de nous voir participer aux mêmes récompenses qu'eux. — Nous devons imiter les martyrs en triomphant de nos passions, de nos vices, de nos mauvaises pensées. — 2°, 3° Récit du martyre de saint Barlaam. — Nous devons conserver dans notre coeur la mémoire des belles actions des martyrs. — 4° Les délices et les excès de tout genre sont indignes des chrétiens; les représentations théâtrales ont pour effet la perte de nos rames ; les chrétiens doivent songer, non à satisfaire leurs sens, mais à fortifier leur âme contre leurs passions et contre les maux de la vie.

 

1. Le bienheureux Barlaam nous a conviés à cette fête, à cette solennité sainte, non pas pour recevoir nos éloges, mais afin que nous cherchions à l'imiter; non pas pour que nous écoutions ses louanges, mais afin que nous devenions les émules de son héroïsme. Dans les affaires de la vie, ceux qui parviennent aux grandes dignités ne voudraient jamais voir d'autres hommes partager les mêmes prérogatives ; car dans ces sortes de choses, l'envie et la jalousie détruisent la charité; mais il n'en est pas de même dans l'ordre spirituel; c'est au contraire tout l'opposé : car les martyrs ne ressentent jamais si bien leurs propres honneurs que lorsqu'ils voient leurs compagnons dans le service de Dieu courir à la participation des mêmes biens qu'eux. De sorte que celui qui veut louer les martyrs n'a qu'à imiter les martyrs; celui qui veut exalter ces athlètes pour leur piété, doit rivaliser de luttes pénibles avec eux : ce rie sera pas pour les martyrs une moindre joie que celle de leurs propres hauts faits. C'est saint Paul qui nous apprend qu'ils sentent surtout leur propre bonheur lorsqu'ils voient notre salut assuré, et que c'est là pour eux le plus grand honneur : Nous vivons, dit l'Apôtre, quand nous vous voyons affermis dans le Seigneur. (I Thess. III, 8.) Et Moïse avant lui disait à Dieu : Si vous leur remettez leur péché, à la bonne heure ! Sinon, effacez-moi aussi du livre que vous avez écrit. (Exod. XXXII, 31, 32.) Il veut dire par là : je ne puis goûter les honneurs célestes à cause de leur infortune; car la société complète des fidèles est comme un corps dont tous les membres se tiennent; à quoi sert que l'on couronne la tète, si l'on tourmente les pieds ?

Et comment est-il possible, dira-t-on, d'imiter les martyrs maintenant? Nous ne sommes pas dans un temps de persécution. Je le sais comme vous : ce n'est pas actuellement un temps de persécution, mais c'est un temps de martyre; ce n'est pas l'époque des combats contre les bourreaux, mais c'est toujours celle des (415) couronnes; nous n'avons plus pour persécuteurs les hommes, mais nous avons les démons; ce n'est plus un tyran qui est à notre poursuite , mais le. diable, de tous les tyrans le plus redoutable; vous ne voyez point des charbons allumés devant vous, mais la flamme des passions. Les martyrs d'alors ont foulé aux pieds les charbons; foulez aux pieds, vous autres, le brasier de la chair ; ils se sont mesurés avec des bêtes féroces; vous, mettez un frein à votre colère, ce monstre sauvage et cruel ; ils ont résisté à des douleurs insupportables, sachez triompher dès pensées déréglées et coupables qui fourmillent dans votre coeur ; de cette manière vous imiterez les martyrs. Car nous n'avons pas à lutter maintenant contre le sang et la chair, mais contre les puissances, les dominations, les princes de ce monde de ténèbres, contre les esprits de malice. (Ephés. VI, 12.) Les passions de la nature sont un feu, un feu inextinguible et continuel; c'est un chien furieux et enragé, qui mille fois repoussé revient mille fois sur vous sans jamais se lasser. Le feu des charbons est terrible; mais celui des passions est plus cruel encore ; la guerre qu'elles nous font ne nous laisse ni trêve ni relâche pendant cette vie; la lutte est continuelle, afin que la couronne soit éclatante. C'est pour cela que saint Paul nous fournit toujours des armes, parce que c'est toujours le temps de la guerre, parce que l'ennemi veille sans cesse. Voulez-vous être convaincus que les passions ne sont pas moins brûlantes que le feu ? Ecoutez Salomon qui vous dit : Peut-on marcher sur des charbons de feu, sans se brûler les pieds? De même celui qui a commerce avec la femme de son prochain, et quiconque y touche, ne restera pas impuni. (Prov. VI, 28, 29.) Ainsi, vous le voyez, la concupiscence rivalise d'ardeur avec le feu. En effet, comme il est impossible de toucher au feu sans se brûler, ainsi la vue d'une belle figure s'empare avec plus de violence que le feu, de l'âme qui la regarde avec immodestie; et semblable à une matière inflammable, la passion s'allume dans l'âme de l'impudique à la vue de la beauté-. Il faut donc se garder d'alimenter le feu de la passion par les regards; il faut au contraire l'enfermer de toutes parts et l'éteindre par les pieuses pensées, arrêter les progrès de cet embrasement, et ne pas lui permettre de faire déchoir notre âme de sa fermeté. Et tous les plaisirs, au moment où la passion domine, portent l'incendie dans l'âme plus violemment que le feu, si on ne lutte courageusement contre eux par la patience et par la foi; c'est ainsi que le vaillant athlète de Jésus-Christ, le bienheureux Barlaam, se conduisit quand on lui brûlait la main ; il portait dans cette main le brasier tout entier, et ne cédait pas à la douleur; mais il était plus insensible qu'une statue : ou plutôt il sentait la douleur, et il la supportait ; car c'était bien son corps qui était là, ce n'était point du fer : or par ses souffrances et sa patience, il montrait dans un corps mortel la sagesse des puissances immatérielles.

2. Mais je vais reprendre son martyre de plus loin, afin d'en rendre le récit d'autant plus clair; et remarquez bien, je vous prie, la malice du démon. Parmi le nombre des saints, il plongeait les uns dans des poêles, les autres dans des chaudières bouillantes, plus cruelles que le feu même; aux autres il déchirait les flancs, il submergeait les autres dans la mer, en livrait d'autres aux bêtes, jetait les autres dans une fournaise; aux uns il désarticulait les membres, il en écorchait d'autres tout vivants, il plaçait le corps sanglant des autres sur des charbons, et les étincelles, en volant sur leurs plaies, dévoraient ces blessures d'une douleur plus aiguë que la dent des bêtes les plus féroces; enfin il imaginait pour chacun d'eux des supplices plus atroces les uns que les autres. Mais quand il vit que les martyrs se moquaient. de tout cela, et que ceux qui avaient souffert ces tortures en avaient triomphé avec beaucoup de facilité, et étaient devenus ainsi pour ceux qui viendraient ensuite aux mêmes luttes, le plus grand motif de confiance, que fit-il? Il imagina un nouveau genre de piège, afin d'abattre le courage du martyr par l'imprévue nouveauté du supplice. En effet, quand on a entendu parler d'une chose, et qu'on y pense, fût-elle du reste intolérable, elle devient facile à mépriser, parce qu'on s'y attend et qu'on y a réfléchi, mais un mal imprévu, même léger, est le plus insupportable de tous. Essayons donc, se dit le démon, une nouvelle espèce de combat, une invention inouïe, dont l'étrangeté inattendue trouble l'athlète et le fasse aisément trébucher. Que fait donc le démon ? Il fait sortir de la prison le saint personnage tout enchaîné. Car c'était encore là un trait de malice, de ne pas lui dévoiler tout d'abord ses cruelles machinations, de ne pas lui faire voir aussitôt les plus affreux supplices, (416) mais de commencer le combat par des escarmouches, en lui montrant d'abord ce qui était le moins terrible. Comment cela? En ce que, si le martyr était vaincu dès le commencement, sa défaite serait honteuse, puisqu'il n'aurait pas résisté même à une petite épreuve : si au contraire il en sortait vainqueur, ses forces seraient ruinées déjà par les tourments les moins douloureux, et il devenait plus facile à désarmer au moyen de supplices plus cruels. Voilà donc pourquoi le démon lui présente en premier les moindres épreuves : que le démon triomphe ou non du martyr, le démon n'aura point manqué son but : si j'en triomphe, se dit-il, j'en ferai ma risée; si je n'en triomphe pas, je l'aurai rendu plus faible pour la suite. Le voilà donc qui fait sortir le martyr de la prison : le martyr s'avance comme un vaillant athlète qui s'est longtemps exercé dans la palestre ; car la prison a été pour lui une palestre; et là, dans ses entretiens particuliers avec Dieu, il a appris de lui tous les genres de lutte ; car là où sont de tels prisonniers, là le Christ aussi est présent.

Il sort donc fortifié précisément par un plus long séjour dans la prison : le démon le fait conduire au milieu de la foule par les ministres de son iniquité; il n'attache pas le martyr à un poteau, il ne l'entoure pas de bourreaux, car il voit que sa victime le voudrait bien et qu'elle y pense depuis longtemps; non, c'est une machine de guerre toute nouvelle, étrange et complètement inattendue qu'il approche du rempart, une machine calculée pour le faire aisément crouler, car ce qu'il cherche avant tout, c'est de faire trébucher ses saints adversaires plutôt que de les frire souffrir. Et quelle est donc cette machine de guerre? On force le martyr d'étendre la main au-dessus d'un autel, on place dans le creux de cette main des charbons et de l'encens, afin que si la douleur lui fait retourner la main, on en prenne acte comme d'un sacrifice contraire à la foi chrétienne. Vous voyez toute la malice du démon ! Mais considérez en même temps comment Celui qui surprend les habiles dans leur propre fourberie sut rendre vaines toutes ces manoeuvres, et comment de ces tentatives d'embûches, de cette complication de méchanceté, il fit naître pour le martyr un accroissement et une surabondance de gloire. En effet, quand l'ennemi a inventé mille perfidies, et qu'après cela il se retire avec perte, alors la piété de l'athlète n'en devient que plus éclatante. C'est ce qui eut lieu ici. Le bienheureux Barlaam demeura ferme, tenant sa main ouverte dans la même position, comme si elle eût été de fer : et cependant, quand même il l'aurait retournée, on n'eût pu en faire un reproche au martyr.

3. Ici, prêtez-moi tous une grande attention, afin de savoir que, quand même sa main se serait retournée, ce n'aurait pas été une défaite. Et pourquoi? C'est qu'il faut en juger ici comme des martyrs à qui l'on déchire les flancs ou qu'on torture de quelque autre manière. En effet, s'ils se rendent et sacrifient, on est fondé à les accuser de faiblesse, parce qu'ils ont sacrifié faute de supporter la douleur; mais s'ils tiennent bon contre les supplices, et que leur souffrance leur arrache des plaintes, sans qu'ils renient leur piété, nul ne leur fait un crime de ces gémissements; au contraire, nous les louons et les admirons davantage, pour avoir persisté malgré les douleurs, et n'avoir point apostasié. Ici donc, si le bienheureux Barlaam, ne supportant point d'être brûlé, se fût décidé à sacrifier, il eût été vaincu ; mais si, bien qu'il ne se rendît point, sa main se fût retournée, il n'y aurait là rien à reprocher à l'intention du martyr, car ce n'est pas sa détermination qui eût faibli, t'eût été un effet de la contraction naturelle des nerfs, et la main du martyr eût fléchi malgré lui sous l'influence du feu. Quand on déchire les flancs d'un martyr, on ne lui fait pas un crime de ce que sa chair se fend; prenons même une comparaison plus voisine encore : quand une personne a la fièvre ou des convulsions, on ne lui reproche pas les contractions de ses mains, car cela ne vient pas de sa mollesse, c'est l'ardeur du mal qui dessèche l'humidité et qui resserre contre les lois ordinaires tout le système nerveux : de même ou n'aurait pas pu blâmer le saint martyr si sa main se fût retournée. Car si la fièvre est capable de contracter et de contourner les membres d'un malade sans qu'il le veuille, à plus forte raison des charbons placés dans la main produiront-ils cet effet, même sans que le martyr se rende. Mais il n'en a pas même été ainsi, afin que l'on sache du reste que c'était la grâce de Dieu qui assistait et fortifiait l'athlète, et qui corrigeait l’imperfection de la nature; car la nature n'a pas subi dans ce cas sa propre condition cette main, comme si elle eût été de diamant, (417) demeura immobile. Qui n'eût été, à cette vue, saisi d'admiration en même temps que d'horreur? Les anges regardaient du haut du ciel, les archanges étaient en contemplation; c'était un spectacle magnifique, et véritablement au-dessus de la nature humaine. Qui, en effet, n'eût été jaloux de voir un homme soutenant une pareille lutte, et exempt des sensations humaines, le même homme étant à la fois l'autel, la victime et le prêtre? On voyait donc s'élever deux fumées : l'une de l'encens qui s'allumait, l'autre de la chair qui se détruisait; et cette dernière fumée était plus agréable que la première, et son odeur était meilleure. Il arriva ici la même chose qu'au buisson ardent : de même que le buisson brûlait sans se consumer, de même ici la main brûlait, mais l'âme n'était pas dévorée par les flammes; le corps se détruisait, mais la foi ne se perdait pas; la chair disparaissait, mais non pas le zèle; et les charbons, après avoir troué la main par le milieu, tombaient à terre, mais le courage de l'âme ne succombait pas. La main se consumait et se détruisait, parce qu'elle était de chair, et non de diamant; mais l'âme aurait voulu encore une autre main pour continuer à montrer son courage. Et de même qu'un soldat généreux qui s'est précipité au milieu des ennemis, qui a rompu la phalange de ses adversaires, qui a fait voler son épée en éclats à force de frapper sans cesse, se retourne et en demande une autre parce qu'il n'est pas encore rassasié du carnage qu'il a fait des ennemis; ainsi l'âme du bienheureux Barlaam, après avoir perdu cette main à force de harceler les phalanges des démons, en aurait voulu une seconde ; pour donner encore des preuves de son ardeur. Ne me dites pas qu'il n'a sacrifié qu'une main; mais songez plutôt que celui qui a livré sa main aurait livré aussi sa tête et ses flancs, qu'il eût bravé le feu, les bêtes féroces, la mer, les précipices, la croix, la roue, qu'il eût résisté à tous les supplices imaginables, et qu'il a souffert tout cela, sinon par le fait, du moins en intention. Car les martyrs ne se préparent pas à des supplices déterminés, mais à des tourments dont l'espèce est incertaine pour eux : car ils ne sont point maîtres de la volonté des tyrans, et ils n'imposent à leurs persécuteurs ni la limite ni la mesure des supplices ; mais tous les maux qu'une volonté humaine et féroce pourra se plaire à inventer, voilà ce qu'ils auront à souffrir : à moins que le corps, succombant dans l'intervalle, ne laisse inassouvis les caprices des tyrans. Ainsi, la chair se flétrissait, et la détermination de l'âme devenait plus fervente, surpassant les charbons en vivacité, et jetant une clarté plus éclatante : car le feu spirituel brûlait à l'intérieur d'une flamme bien plus ardente que le feu terrestre. Ainsi, le saint martyr ne sentait pas cette flamme du dehors, parce qu'il était brûlé au dedans par le feu intense et dévorant de l'amour de Jésus-Christ.

4. Ne nous contentons pas d'écouter cela, mes frères bien-aimés, mais encore imitons-le. Car je vous répète ce que je vous disais en commençant : n'admirons pas le martyr seulement jusqu'au moment actuel, mais que chacun de nous, en retournant chez soi, y reconduise le saint, le fasse entrer dans sa propre maison, ou plutôt dans son propre coeur, par le souvenir de mes paroles. Accueillez-le, comme je l'ai dit plus haut, et établissez-le dans votre celer avec sa main étendue : donnez l'hospitalité à l'athlète couronné, et ne le laissez jamais sortir de votre pensée. Si nous vous avons réunis auprès des châsses dès martyrs, c'est afin que même leur simple aspect vous procure quelque encouragement à la vertu, et que vous vous disposiez au même zèle. Un soldat se sent excité rien qu'à entendre parler d'un héros : à plus forte raison le sera-t-il de le voir et de le contempler en personne, surtout lorsqu'en entrant dans la tente de ce héros, il apercevra son épée ensanglantée , la tête de son ennemi gisant à terre, des dépouilles suspendues, un sang tout frais encore dégouttant de ces mains qui viennent d'élever le trophée, de toutes parts des lances, des boucliers, des ares, des armes de toute espèce. C'est aussi pour cela que nous sommes venus. La tente du guerrier, c'est la tombe des martyrs : ouvrez les yeux de la foi, et vous verrez la cuirasse de la justice, le bouclier de la foi, le casque du salut, la chaussure de l'Evangile, l'épée de l'Esprit-Saint, et la tête elle-même du démon jetée à terre. En effet lorsque vous voyez un possédé couché sur le dos près de la tombe du martyr, et souvent se déchirant lui-même, vous ne voyez pas autre chose que la tête coupée du démon. Car encore aujourd'hui les martyrs, ces soldats du Christ, sont entourés de ces armes, et de même que les rois font ensevelir les héros avec leurs armes, (418) de même Jésus-Christ les a ensevelis avec leurs armes, afin de faire paraître, même avant la résurrection, toute la gloire et la puissance des saints. Prenez donc connaissance de toute leur armure spirituelle, et vous aurez beaucoup gagné quand vous partirez d'ici. Vous avez, mes chers frères, à soutenir vous aussi contre le démon une grande guerre : oui, une guerre compliquée, considérable, perpétuelle.

Mettez-vous donc au fait des luttes, afin d'imiter les victoires : méprisez l'opulence, les biens du monde, et toutes les autres illusions de cette vie; ne regardez pas comme heureux les riches, mais les martyrs; non celui qui vit dans les délices, mais celui que la flamme torture dans une poêle; non l'homme assis à une table somptueuse, mais celui qui souffre dans une chaudière bouillante; non ceux qui ne passent pas de jour sans le luxe du bain, mais ceux que renferme une fournaise cruelle; non pas enfin ceux qui exhalent les parfums, mais ceux dont les membres consumés ne laissent échapper qu'une odeur de fumée et de chair brûlée. Cette odeur est meilleure et plus utile que l'autre : car la première entraîne au châtiment ceux qui en usent, la seconde mène aux récompenses et aux couronnes célestes. Et pour vous convaincre que c'est un mal que le luxe, les parfums, l'ivresse, le vin pris sans mesure, et une table somptueuse, écoutez ce que dit le Prophète: Malheur à ceux qui dorment sur des lits d'ivoire, et qui vivent en prodigues sur leurs riches tapis; à ceux qui, dans le petit bétail, mangent les chevreaux, et dans le grand bétail, les veaux de lait; à ceux qui boivent le vin le mieux clarifié, et se parfument des odeurs les plus exquises. (Amos, VI, 4-6.) Si l'on parlait ainsi sous l'ancienne loi, que doit-on dire au temps de la loi de grâce, où la sagesse est plus grande? Et je parle ici pour les femmes comme pour les hommes, car la carrière à fournir leur est commune ; l'armée du Christ n'est point partagée en deux camps, suivant les sexes : elle ne forme qu'une seule assemblée ; les femmes peuvent , elles aussi , revêtir la cuirasse , présenter le bouclier , lancer des traits, soit dans les temps de martyre, soit à d'autres époques analogues, qui exigent une grande assurance. Et de même qu'un excellent archer, décochant habilement une flèche de son arc, jette le trouble dans tous les rangs ennemis, ainsi les saints martyrs, et tous les champions de la vérité, qui luttent contre les artifices du démon, se servent de leur langue comme d'un arc, et leurs paroles sont des flèches qu'ils envoient droit au but; elles volent à travers tes airs et vont tomber sur les invisibles phalanges des démons, dont elles troublent toutes les dispositions. C'est ce que fit le bienheureux Barlaam. Avec de simples paroles, comme avec des flèches rapides, il jeta le désordre dans l'armée du démon.

Imitons une telle habileté. Ne voyez-vous pas que ceux qui reviennent du théâtre sont amollis? Cela vient de ce qu'ils font une grande attention à ce qui s'y passe: ils sortent delà après avoir gravé dans leur âme ces tournements d'yeux, ces mouvements de mains, ces ronds de jambes, les images enfin de toutes ces poses qu'ils ont vues produites par les contorsions d'un corps assoupli. S'ils se montrent si préoccupés de perdre leur âme, et s'ils conservent ensuite le souvenir bien net de ces spectacles, ne serait-il pas insensé que nous, qui, en imitant ce que nous voyons ici; nous rendrons semblables aux anges, nous n'apportions pas autant de zèle à en conserver les bienfaits que les spectateurs en apportent aux représentations théâtrales ? Non, je vous en prie, je vous en conjure, ne négligeons pas ainsi notre propre salut, mais renfermons tous dans nos âmes le souvenir des martyrs, ainsi que de ces chaudières, de ces poêles, et de leurs autres supplices; imitez les peintres, à qui il arrive souvent de nettoyer un tableau terni par la fumée, la suie et l'ancienneté; suivez cet exemple, mes chers frères, pour la mémoire des martyrs; quand les inquiétudes de la vie, s'introduisant dans votre âme, l'auront obscurcie, éclaircissez-la par le souvenir des martyrs. Car si vous possédez ce souvenir, vous n'aurez plus d'admiration pour la richesse, ni de chagrin de la pauvreté, ni d'éloges pour la gloire et la puissance; en un mot, parmi les choses humaines, vous ne regarderez point comme ayant quelque grandeur celles qui ont de l'éclat, ni comme insupportables celles qui affligent les hommes; mais devenus supérieurs à tout cela, vous trouverez une école de vertu dans la contemplation continuelle de l'image de ces saints. Celui qui voit chaque jour des soldats s'illustrer dans des guerres et des combats, ne désirera jamais les délices de la vie, et n'aura nulle admiration pour une existence molle et relâchée; il n'aura de goût que pour l'austérité, la vigueur et les luttes. En effet qu'y (419) a-t-il de commun entre l'ivresse et les combats? entre la gourmandise et la vaillance? entre les parfums et les armes? entre la guerre et les festins? Vous êtes soldats du Christ, mes frères bien-aimés; armez-vous donc, et ne vous parez pas; vous êtes de généreux athlètes : montrez-vous donc vaillants, et non pas élégants. C'est ainsi que nous imiterons ces saints martyrs, c'est ainsi que nous honorerons ces héros, ces vainqueurs couronnés, ces amis de Dieu; et qu'après avoir marché dans la même voie qu'eux, nous recevrons les mêmes couronnes ; puissions-nous tous obtenir cette faveur par la grâce et la miséricorde de Notre-Seigneur Jésus-Christ, avec lequel gloire au Père et au Saint-Esprit, à présent et toujours, et dans les siècles des siècles ! Ainsi soit-il.

 

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