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HOMÉLIE (1) Qu'il est dangereux pour l'orateur et pour l'auditeur de parler pour plaire , qu'il est de la plus grande utilité comme de la plus rigoureuse justice d'accuser ses péchés.

 

ANALYSE.

 

Saint Jean Chrysostome, dans la dernière instruction qu'on vient de lire, avait parlé avec force, d'après saint Paul, contre ceux qui communient indignement; plusieurs de ceux qui l'écoutaient, effrayés par ses discours, étaient venus se plaindre à lui qu'il les éloignait de la table sainte : il leur adresse ce discours pour les adoucir, pour se justifier lui-même, et leur apprendre qu'il n'est ni de leur intérêt ni du sien qu'il leur parte pour plaire. — 1° Il les adoucit en leur montrant que son instruction s'adressait à lui même, ainsi qu'à eux, et que c'est une preuve de la bonté du Seigneur de donner aux fidèles, pour maîtres, des hommes leurs semblables, sujets eux-mêmes à des faiblesses, et qui par conséquent puissent compatir aux faiblesses d'autrui. — 2° Il n'a point prétendu les écarter de la table sainte, mais plutôt les y attirer en les corrigeant par la crainte de la punition, en les corrigeant par la crainte de la punition, en leur inspirant par là plus de confiance. — 3° On ne doit rien cacher à ceux qu'on instruit, parce que Dieu nous rend responsables de leur salut, parce qu'il nous redemandera leur sang. Que gagnent les auditeurs à ce qu'on leur cache des fautes qui existeront toujours, qui, au temps des vengeances, seront dévoilées à la face de l'univers ? Puisqu'il faut s'affliger de ses péchés dans ce monde-ci ou dans l'autre, affligeons-nous-en ici-bas — 4° L'orateur prouve par des exemples pris dans l'Ancien et le Nouveau Testament, qu'on ne doit jamais perdre de vue même les fautes pardonnées, que le souvenir en est utile; — 5° qu'on doit les confesser sans cesse dans l'amertume de son coeur à Dieu dont la bonté est infinie, qui ne cherche pas notre perte, qui ne désire que notre salut.

 

1. Nous vous avons suffisamment repris dans la dernière assemblée; nous vous avons fait une blessure profonde, sur laquelle il faut appliquer, en ce jour, des remèdes plus doux. Le meilleur procédé dans la médecine, est de ne pas se contenter de couper au vif, mais de bander les plaies : la meilleure manière d'instruire est de ne pas se contenter de reprendre, mais d'exhorter et de consoler. C'est l'avis que donne saint Paul : Blâmez, dit-il, reprenez, exhortez. (I Tim. IV, 2.) Exhorte-t-on sans cesse, les auditeurs se relâchent; se borne-t-on à reprendre, ils s'irritent; et comme ils ne peuvent supporter des réprimandes continuelles, ils refusent d'entendre d'où il résulte que les instructions doivent être variées. Puis donc que nous avons pu vous piquer et vous choquer dans l'assemblée précédente, il faut aujourd'hui une instruction plus douce, il faut répandre la douceur des paroles, comme une espèce d'huile,

 

1. Traduction de l'abbé Auger, revue.

 

sur les blessures qu'ont pu faire les réprimandes.

Nous vous avons lu, dans notre dernière instruction, le précepte de saint Paul, touchant la participation aux mystères, précepte qui s'adresse à tous les fidèles. Et quel était ce précepte! Rien n'empêche que nous ne vous le remettions sous les yeux : Que chacun s'éprouve soi-même, et qu'il mange ainsi de ce pain, et qu'il boive de ce calice. (I Cor. II, 28.) Les initiés sont instruits de ce que nous disons, ils savent ce que nous entendons par le pain et par le calice : Car quiconque , dit l'Apôtre, mange de ce pain et boit de ce calice indignement, sera coupable du corps et du sang de Jésus-Christ. En vous rappelant le précepte, nous vous avons expliqué le sens des paroles : nous vous avons dit ce que c'est qu'être coupable du corps et du sang du Seigneur; nous avons montré que celui qui est coupable de cette profanation subira la même peine que ceux qui ont crucifié Jésus-Christ. (397)  Ceux qui ont crucifié Jésus-Christ étaient coupables de son sang; ceux qui participent indignement aux mystères, le sont aussi. Voilà ce qu'il faut entendre par ces mots : sera coupable du corps et du sang du Seigneur. Les reproches vous ont paru trop durs et la menace trop forte. Nous avons confirmé les paroles de l'Apôtre par un exemple qui avait beaucoup de rapport à la question. Déchirer la pourpre impériale, disais-je, ou la souiller de boue, est un égal outrage pour le prince qui en est revêtu : de même ici, détruire le corps du Seigneur, ou le recevoir dans une âme impure, c'est outrager également le Roi suprême. Les Juifs ont déchiré le corps de Jésus-Christ sur la croix ; ceux qui le reçoivent dans une âme impure, le souillent; les délits sont différents, l'outrage est le même. Plusieurs ont été troublés, ont été vivement émus par cette comparaison. Ceux qui m'écoutaient, et moi-même qui parlais, nous étions singulièrement frappés; car l'instruction doit s'adresser, et les remèdes doivent s'appliquer à tous, puisque la blessure s'étend à tous.

C'est un effet de la bonté divine que l'orateur et les auditeurs participent à la même nature, qu'ils soient soumis aux mêmes lois, et qu'ils soient également coupables lorsqu'ils les violent. Et pourquoi Dieu a-t-il ainsi disposé les choses? c'est afin que l'orateur reprenne avec modération, qu'il soit indulgent pour les pécheurs, que se rappelant sa propre faiblesse, il ne se permette pas de trop durs reproches. Dieu n'a pas envoyé du ciel des anges pour instruire les hommes, de crainte que par le sentiment de leur propre excellence, et par l'ignorance de la faiblesse humaine , ils ne nous reprennent sans ménagement; mais il nous a donné des hommes mortels pour maîtres et pour prêtres, des hommes revêtus de faiblesse, afin que cette considération, jointe à celle que l'orateur et les auditeurs sont soumis aux mêmes lois, soit un frein pour la langue de celui qui parle, l'empêche de passer les bornes dans ses réprimandes. L'auteur lui-même du précepte dont nous avons parlé plus haut, Paul , confirme cette vérité , et produit la même raison que nous : Tout pontife, dit-il, pris d'entre les hommes, est établi pour les hommes, afin qu'il puisse être touché de compassion pour ceux qui pèchent par ignorance. Pourquoi cela? Parce qu'il est lui-même environné de faiblesse. (Héb. V, 1 et 2.) Vous voyez que la faiblesse est un motif de compassion et que la participation à la même nature ne permet pas à un homme, quelque animé qu'il puisse être, de passer les bornes en reprenant son semblable.

Et pour quel motif vous ai-je fait ces réflexions? C'est afin que vous ne me disiez pas Vous n'avez aucune faute à vous reprocher, vous êtes à l'abri de la peine que causent les réprimandes; c'est pour cela que vous nous attaquez plus librement, que vous nous faites une blessure plus profonde. Je sens, mes frères, je sens le premier la peine que vous ressentez, parce que je suis moi-même sujet à commettre des fautes. Nous méritons toits d'être repris, dit l'Ecriture. (Eccl. VI, 8.) Personne ne peut se glorifier d'être sans tache. (Prov. XX, 9.) Ce n'est donc point parce que je raisonne sur les maux d'autrui, ni par une sorte de dureté, mais par l'effet d'une affection particulière, que je vous ai fait des réprimandes. Dans les traitements du corps, celui qui coupe dans le vif ne sent pas la douleur de l'opération; le malheureux que l'on opère est le seul qui soit déchiré par des douleurs aiguës. Il n'en est pas ainsi du traitement des âmes, à moins que je ne me trompe en jugeant des autres par moi-même : celui qui parle est le premier qui sent la peine, lorsqu'il reprend les autres. Non, nous ne sommes pas aussi affectés lorsque nous sommes repris nous-mêmes, que lorsque nous reprenons nos fières des fautes auxquelles nous sommes sujets. La conscience de l'orateur lui fait aussitôt sentir ses remords l'idée qu'il déshonore la dignité de son ministère en commettant les mêmes fautes que ceux qu'il instruit et en s'exposant aux mêmes reproches, cette idée lui cause la douleur la plus vive.

2. Et ce n'est pas sans raison que je déplore nos faiblesses; mais comme plusieurs, effrayés par la force de nos discours, sont venus nous trouver au sortir de ce temple, se sont plaints à nous amèrement : Vous nous éloignez, disaient-ils, de la table sainte, vous nous écartez de la participation aux mystères. Je me vois forcé de répondre à leurs plaintes, afin de leur apprendre que , par mes reproches, je les appelle plutôt que je ne les éloigne , je les invite plutôt que je ne les écarte. Oui, la crainte de la punition qui tombe et qui s'arrête sur la conscience du coupable, comme le feu sur la (398) cire, dissout les péchés et les fait évanouir, rend à l'âme sa pureté et son éclat, et nous inspire une plus grande confiance, de laquelle confiance doit naître une plus grande ardeur pour participer sans cesse aux mystères ineffables et redoutables. Et comme en donnant des remèdes amers à ceux qui éprouvent des dégoûts on purge leurs mauvaises humeurs, on leur rend l'appétit qu'ils avaient perdu, on leur fait saisir avec plus de satisfaction les aliments accoutumés : de même en purgeant les mauvaises affections de l'âme par des reproches amers, et en la déchargeant du poids de ses péchés, on fait respirer la conscience, on lui fait goûter, avec plus de délices, le corps du Fils de Dieu. Loin donc de se plaindre de la rigueur de mes discours, on doit m'en louer et m'en savoir gré. Que si quelques chrétiens faibles ne sont pas satisfaits de ma justification, je leur dirai que ce ne sont pas mes préceptes que je leur explique, mais que je leur lis les Ecritures venues du ciel; que chargé du ministère de la. parole, je dois leur annoncer librement tout ce que ces Ecritures contiennent, plus occupé de ce qui leur est utile que de ce qui leur serait agréable, et non dans la crainte de leur déplaire, trahir leur salut et le nôtre par des ménagements funestes.

En effet, qu'il soit extrêmement dangereux pour l'orateur et pour les auditeurs de dissimuler quelque chose des préceptes divins, et qu'on doive regarder comme meurtrier quiconque, étant chargé d'instruire, ne publie pas toutes les lois de Dieu sans aucune considération humaine, j'en appelle au témoignage du même saint Paul. Si, dans tous les objets d'instruction , j'ai recours sans cesse à cette âme bienheureuse , c'est que je regarde ses paroles comme des préceptes essentiels et divins. Non, ce n'est point Paul qui parle, mais Jésus-Christ lui-même qui anime son esprit, et qui nous intime toutes ses volontés par la bouche de cet apôtre. Que dit donc saint Paul? Ayant fait venir les fidèles d'Ephèse, et leur parlant pour la dernière fois, parce qu'il devait les quitter, il avertit leurs chefs que s'ils cachent à leurs disciples ce qui leur est utile d'entendre, ils seront punis comme s'ils répandaient leur sang. Voici en quels termes il s'exprime : Je suis pur, dit-il, du sang de vous tous... Pourquoi cela? parce que je n'ai pas craint de vous annoncer toutes les volontés de Dieu. (Act. XX, 26 et 27.) Si donc il avait craint de leur annoncer les volontés de Dieu, il n'aurait pas été pur de leur sang, il aurait été regardé comme leur meurtrier ; et avec raison sans doute. Un meurtrier ne tue que le corps; celui qui parle pour plaire à ses auditeurs, et qui en conséquence les rend plus lâches, perd leur âme. L'un ne cause qu'une mort passagère; l'autre perd l'âme et la livre à des supplices éternels.

Paul est-il donc le seul qui s'exprime de la sorte? non, assurément; mais longtemps avant Paul, Dieu s'était exprimé de même par la bouche d'un prophète : Je vous ai donné, dit-il, pour sentinelle à la maison d'Israël (Ezéch. III, 17.) Qu'est-ce à dire pour sentinelle? Une sentinelle est celui qui, tandis que les troupes campent plus bas, occupe un lieu élevé, et de là observe les ennemis qui approchent, avertit les siens de se mettre en ordre de bataille pour que les ennemis ne les attaquent pas au dépourvu, pour qu'ils ne les égorgent pas sans trouver de résistance. Comme donc, nous qui marchons sur la terre, nous n'apercevons pas les dangers qui nous menacent, la grâce du Seigneur a disposé des prophètes, qu'elle place comme dans un lieu élevé pour nous annoncer de loin la colère divine prête à fondre sur nous, afin que, nous recueillant par le repentir et relevant notre âme de sa chute, nous puissions éviter de loin les traits du courroux céleste. Voilà pourquoi Dieu dit dans l'Ecriture : Je vous ai donné pour sentinelle à la maison d'Israël, afin que vous annonciez les malheurs prochains, comme la sentinelle annonce les ennemis. Et il ne lui inflige pas une peine médiocre s'il néglige d'annoncer la colère divine. Quelle est cette peine? je vous redemanderai, dit-il, l'âme de ceux qui auront péri. (Ezéch. III,18.) Est-il donc quelqu'un assez dur, assez cruel, assez insensible pour reprocher à un orateur de parler sans cesse de la colère de Dieu, lorsqu'il doit subir une telle peine s'il garde le silence ?

Le Prophète et l'Apôtre nous apprennent donc qu'il n'est pas utile à l'orateur de dissimuler je vais prouver encore qu'il le serait aussi peu pour les auditeurs. Si en me taisant je devais couvrir vos fautes par mon silence, vous auriez raison de m'en vouloir, et de vous plaindre de ce que je ne me tais pas. Mais si en nie taisant je ne puis empêcher que vos fautes ne soient manifestées un jour , que gagneriez-vous à mon silence? loin de vous procurer aucun avantage, ne vous causerait-il pas le plus (399) énorme préjudice? En parlant, je vous amène à la patience et à la componction; en me taisant, je vous dispense ici-bas de vous rappeler vos péchés et de vous en repentir; mais au temps des vengeances, vous les verrez dévoilés à la face de tout l'univers, et vous vous lamenterez en vain.

3. Puis donc qu'il faut nécessairement nous affliger de nos péchés dans ce monde-ci ou dans l'autre, il vaut bien mieux que nous le fassions ici-bas. Qu'est-ce qui le prouve? les paroles des prophètes et celles de l'Evangile : Qui est-ce qui vous confessera ses fautes dans les enfers? dit David. (Ps. VI, 6.) Ce n'est pas que l'on ne confesse ses fautes dans ce lieu d'horreur, mais on le fait alors sans fruit. Jésus-Christ nous enseigne la même vérité par une parabole -: Il y avait, dit-il, un pauvre nommé Lazare, affligé d'une maladie incurable et tout couvert d'ulcères; il y avait aussi un homme riche qui n'abandonnait pas même à ce pauvre les miettes de sa table. (Luc, XVI,19 et 20.) Qu'est-il besoin de parcourir toute la parabole? vous la connaissez tous, vous savez quelle était la cruauté du riche, qu'il ne faisait aucune part de sa table au pauvre Lazare; vous savez quelle était l'indigence de celui-ci et la faim contre laquelle il luttait sans cesse. Voilà pour ce monde. Mais lorsqu'ils furent morts tous deux, le riche vit le pauvre couché sur le sein d'Abraham ; et que dit-il? Père Abraham, envoyez-moi Lazare , afin qu'il trempe l'extrémité de son doigt dans l'eau pour me rafraîchir la langue et adoucir les tourments que j'endure. Vous voyez un juste retour : il n'a pas donné à Lazare les miettes de sa table, il ne reçoit pas une goutte d'eau. On se servira envers vous, dit l'Evangile, de la mesure dont vous vous serez servi envers les autres. (Marc, IV, 24.) Que lui répond Abraham? Mon fils, lui dit-il, souvenez-vous que vous avez reçu vos biens dans la vie, et que Lazare n'y a eu que des maux : c'est pour cela qu'il est maintenant dans la consolation, et vous dans les tourments. Mais ce que nous voulons vous montrer, c'est que les hommes s'affligent de leurs péchés hors de ce monde, que les flammes de l'enfer les changent et les rendent meilleurs , sans qu'ils puissent par là éteindre ces flammes, ni les adoucir. Père Abraham, dit le riche, envoyez Lazare dans la maison de mon père, afin qu'il atteste à mes frères ce qui se passe ici, et qu'ils ne viennent pas dans ce lieu de tourment. Il voudrait procurer aux autres le salut qu'il n'a pu obtenir pour lui-même. Vous voyez combien il était cruel avant le supplice, combien il est devenu humain au milieu du supplice. Il ne daignait pas regarder Lazare qui était sous ses yeux, et il s'occupe de ses frères qui sont absents. Lorsqu'il nageait dans l'abondance, la vue pitoyable d'un indigent ne le touchait pas; et maintenant qu'il est livré à des tourments éternels, il songe à ses proches, il demande qu'on leur envoie annoncer ce qui se passe dans un autre monde. Vous voyez combien il est devenu humain, doux et compatissant. De quoi donc lui ont servi sa douleur et son repentir? de rien. Le repentir était hors de saison; le spectacle était fini, il n'y avait plus de lice ni d'arène, ce n'était plus le temps du combat.

Ainsi, je vous y exhorte et je vous en conjure, affligez-vous ici de vos péchés, pleurezles ici. Que les paroles vous attristent à présent, pour que les supplices ne vous effrayent pas alors; que nos reproches vous piquent utilement dans ce monde, pour qu'un ver funeste ne vous tourmente pas cruellement dans l'autre; que le feu de nos discours vous échauffe ici-bas, pour que les flammes de l'enfer ne vous brillent pas un jour. Il est juste que ceux qui pleurent en ce monde soient consolés dans l'autre. Ceux qui vivent ici-bas dans les délices, dans la joie, dans une froide indifférence par rapport à leurs péchés, doivent nécessairement trouver au sortir de ce monde, des pleurs, des lamentations, des grincements de dents. Ce n'est pas moi qui le dis, c'est celui même qui doit nous juger à la fin des siècles : Bienheureux ceux qui pleurent, dit-il, parce qu'ils seront consolés! (Matth. V, 5.) Malheur à vous qui riez, parce que vous pleurerez ! (Luc, VI, 25.) Ne vaut-il donc pas beaucoup mieux acquérir des biens éternels et des plaisirs sans fin par des afflictions et des larmes passagères, qu'après avoir ri pendant cette vie si courte, de n'en sortir que pour endurer des tourments qui n'ont pas de terme.

Mais vous avez honte de déclarer vos péchés. Quand il vous faudrait les publier devant les hommes, vous ne devriez pas même alors rougir, puisqu'on doit rougir de commettre le péché, et non de le confesser; mais vous n'êtes pas obligé de les confesser en public. Que la recherche de vos fautes se fasse dans (400) l'intérieur de votre conscience; que le jugement se fasse sans témoins; que Dieu seul vous entende confesser vos péchés, Dieu qui ne vous les reproche pas, mais qui les efface d'après la confession. Et vous hésitez toujours, vous différez toujours cette confession ! Je sais que notre conscience ne s'occupe pas volontiers du souvenir de ses propres fautes, puisque même, s'il nous arrive par hasard de nous les rappeler, notre esprit se cabre comme un jeune cheval qu'on n'a pas encore dompté, qui ne connaît pas encore le frein. Mais réprimez-le, modérez-le, employez tour à tour la douceur et la rigueur, rendez-le souple et docile, persuadez-lui que s'il ne confesse pas à présent ses fautes, il les confessera dans un temps où la confusion sera plus grande et la punition plus rigoureuse. Ici-bas le jugement se fait sans témoins, vous vous jugez vous-même, vous qui avez péché: à la fin des siècles, toutes vos iniquités seront dévoilées à la face de l'univers, si vous ne les avez pas effacées avant ce moment terrible. Lorsque nous commettons le péché, nous sommes armés d'audace et d'impudence; c'est lorsqu'il faut le confesser, lorsqu'il faudrait montrer beaucoup d'ardeur, c'est alors que nous hésitons, que nous rougissons. Non, il n'y a pas de honte à confesser ses péchés, c'est une justice et une vertu. Si ce n'était pas une justice et une vertu, Dieu n'y aurait pas attaché une récompense. Or, que la confession ait sa récompense, l'Ecriture en fournit la preuve : Confessez le premier vos iniquités, dit Dieu par la bouche d'un de ses prophètes, afin que vous soyez justifié. (Isaïe, XLIII, 26.) Peut-on rougir d'une action par laquelle on devient juste? peut-on :avoir honte de confesser ses péchés afin de les effacer? Dieu vous ordonne de confesser vos fautes, non afin de les punir, mais afin de les pardonner.

4. Dans les tribunaux, la peine suit de près l'aveu des fautes; c'est dans cette appréhension-là même, c'est pour que la crainte de la peine qui suit l'aveu des fautes ne nous fasse pas nier nos péchés, que David nous dit : Confessez vos péchés au Seigneur, parce qu'il est bon, parce que sa miséricorde s'étend au delà des siècles. (Ps. CV, 1.) Est-ce que Dieu ne connaît pas vos fautes sans que vous les lui confessiez? Que gagnez-vous donc à ne les lui pas confesser? pouvez-vous les lui cacher? si vous ne les lui dites pas,   il les connaît; si vous les lui dites, il les oublie : Je suis Dieu, dit-il lui-même, qui efface vos iniquités et qui ne m'en souviendrai pas. (Is. XLIII, 25.) L'entendez-vous? Je ne m'en souviendrai pas, dit-il. Mais vous, pécheur, souvenez-vous-en, afin que ce souvenir vous porte à vous corriger.

Plein de ces maximes, Paul se ressouvenait sans cesse des péchés dont Dieu ne se ressouvenait plus : Je ne suis pas digne, disait-il, d'être appelé apôtre, parce que j'ai persécuté l'Eglise de Dieu. (I Cor. XV, 9.) Jésus-Christ, dit-il encore, est venu dans le monde pour sauver les pécheurs entre lesquels je suis le premier. (I Tim. I, 15.) II ne dit pas j'étais, mais je suis. Les péchés étaient pardonnés auprès de Dieu, et le souvenir des péchés pardonnés n'était pas effacé dans l'esprit de Paul. Ce que le Seigneur avait oublié, il le publiait lui-même : Je ne me souviendrai pas de vos iniquités, dit Dieu par la bouche d'un prophète, mais vous, n'en perdez pas le souvenir. Dieu appelle son apôtre un vase d'élection, et l'Apôtre se déclare lui-même le premier des pécheurs. Que si Paul n'oubliait pas des péchés pardonnés, songez comment il se rappelait les bienfaits de Dieu. Le souvenir de nos fautes ne nous déshonore pas. Que dis-je? le souvenir de nos bonnes oeuvres ne nous procure pas autant de gloire que le souvenir de nos fautes; ou plutôt le souvenir de nos bonnes oeuvres nous couvre de honte et nous attire une sentence de condamnation, tandis que le souvenir de nos fautes nous remplit de confiance et nous comble de justice. Qui est-ce qui le dit? l'exemple du pharisien et du publicain. L'un, qui a confessé ses péchés, s'en est retourné justifié; l'autre, qui a publié ses bonnes oeuvres, s'est retiré moins favorisé que le publicain. Vous voyez combien le souvenir des bonnes oeuvres est nuisible, combien le souvenir des péchés est utile. Et cela doit être. Celui qui rappelle ses bonnes oeuvres, en conçoit de l'orgueil, et méprise le reste des hommes : ce qui est arrivé au pharisien. Non, il n'en serait pas venu à ce point d'arrogance, de dire : Je ne suis pas comme le reste des hommes (Luc, XVIII, 11), s'il n'eût rappelé ses jeûnes et ses aumônes. Celui, au contraire, qui rappelle ses péchés, réprime les saillies d'un esprit superbe, apprend à être humble, et, par l'humilité, se concilie la bienveillance de Dieu. Ecoutez comment Jésus-Christ nous ordonne de livrer à l'oubli nos (401) bonnes oeuvres : Quand vous aurez fait tout cela, dites : Nous sommes des serviteurs inutiles. (Luc, XVII, l0.) Dites que vous êtes un serviteur inutile, et je ne vous regarderai pas comme inutile; si vous avouez votre bassesse, je vous comblerai de gloire et je vous couronnerai. Vous voyez combien de témoignages démontrent que le souvenir de nos fautes nous procure autant d'avantages, que le souvenir de nos bonnes oeuvres nous cause de préjudices, et que l'oubli des unes nous est aussi funeste que l'oubli des autres nous est avantageux. Voulez-vous apprendre d'ailleurs combien il y a de mérite à se rappeler ses fautes? écoutez Job, qui se glorifiait de la confession de ses fautes, autant que de tout ce qu'il avait fait de bien : Si, lorsque j'avais péché volontairement, dit-il, j'ai craint de le reconnaître dans l'assemblée du peuple. (Job, XXXI, 34.) Voici le sens de ces paroles: Le concours de mes semblables ne m'a jamais fait rougir; à quoi me servirait d'être inconnu des hommes, lorsque le souverain Juge connaît tout? quel mal pourrait me faire la connaissance qu'ils auraient de mes fautes, si le Seigneur veut me garantir de la peine? Quand tous les hommes me jugeraient, pourvu que Dieu veuille bien m'absoudre. je m'embarrasse peu de leur jugement; quand tous les hommes me loueraient et m'admireraient, si Dieu me condamne, à quoi me servent les louanges et l'admiration des hommes?

C'est toujours le Juge suprême qu'il faut considérer; et nous devons agir pour nos fautes comme pour les dépenses d'argent. Dès que nous sommes levés, avant de paraître dans la place publique, de nous occuper d'aucune affaire, nous faisons venir notre serviteur, nous lui demandons compte des dépenses qui ont été faites, afin de savoir ce qui a été dépensé bien ou mal à propos, et quelle somme nous reste. S'il nous reste peu de chose, nous cherchons dans notre esprit de nouvelles ressources pour ne pas nous trouver exposés à périr de faim. Nous devons procéder de même pour la conduite de notre vie. Appelons notre conscience, faisons-lui rendre compte des actions, des paroles, des pensées. Examinons ce qui est à notre avantage ou à notre préjudice; ce que nous avons dit de mal, les propos médisants, bouffons, outrageants, que nous nous sommes permis; quelle pensée nous a fait jeter des regards trop libres ; quel dessein nous avons exécuté à notre préjudice, soit de la main, soit de la langue, soit même des yeux. Cessons de dépenser mal à propos, et tâchons de mettre des fonds utiles à la place de dépenses nuisibles, des prières à la place de paroles indiscrètes, le jeûne et l'aumône à la place de regards trop libres. Si nous dépensons mal à propos, sans rien mettre à la place, sans amasser pour le ciel, nous tomberons insensiblement dans une extrême indigence, et nous serons livrés à des supplices aussi insupportables par leur durée que par leur intensité. C'est le matin que nous nous faisons rendre, compte de nos dépenses pécuniaires; c'est le soir, après notre repas, lorsque nous sommes couchés, et que personne ne nous trouble et ne nous inquiète, c'est alors qu'il faut nous demander compte à nous-mêmes de notre conduite, de ce que nous avons fait et dit pendant le jour; et si nous trouvons quelque chose de mal, il faut juger et punir notre conscience, attrister notre coeur coupable, le reprendre avec une telle force, que, sensible à nos réprimandes, il s'en ressouvienne le lendemain, et n'ose plus nous précipiter dans le même abîme de péché.

5. Ecoutez le Prophète , qui assure qu'il n'est point de temps plus propre à un tel compte : Examinez, dit-il, avec tristesse dans le repos de vos lits, ce que vous méditez contre moi au fond de votre coeur. (Ps. IV, 5.) Que de choses nous faisons pendant le jour, qui contredisent nos principes ! des amis nous fâchent, des serviteurs nous irritent, une femme nous inquiète, des enfants nous affligent, une foule d'affaires publiques et particulières nous investissent, nous ne pouvons même alors apercevoir ce qui est pour nous une occasion de chute. Délivrés de tous ces embarras, rendus à nous-mêmes sur le soir, jouissant de la plus grande tranquillité, formons-nous un. tribunal dans notre lit, et apaisons la colère de Dieu par les jugements rendus par nous contre nous-mêmes. Si nous péchons tous les jours, si nous pontons des atteintes à notre âme, sans même y prendre garde, qu'arrivera-t-il? semblables à ceux qui reçoivent sans cesse des coups, et qui, faute d'y faire attention, s'attirent à eux-mêmes des fièvres et une mort cruelle, nous aussi, nous nous attirons d'horribles supplices par une insensibilité habituelle.

Ces discours, je le sais, ne sont pas agréables, mais ils sont utiles. Nous avons un Maître plein de douceur, qui ne cherche que l'occasion (402) d'exercer sur-le-champ envers nous toute sa bonté. Si l'impunité dans nos fautes ne devait pas nous rendre pires, il nous ferait grâce de la punition. Mais il sait que de n'être pas punis lorsque nous avons commis le péché nous nuit autant que le péché lui-même; c'est pour cela qu'il nous inflige urne peine, moins dans la vue de nous châtier pour le passé, que de nous corriger pour l'avenir. Voulez-vous, par l'Ecriture, vous convaincre de cette vérité? écoutez ce que Dieu dit à Moïse : Laissez-moi agir, lui dit-il, et dans mon indignation, je les ferai tous périr. (Exod. XXXII, 10.) Laissez-moi agir, disait-il à Moïse: ce n'est pas que celui-ci le retînt; il ne lui disait pas un mot, il se tenait devant lui en silence, mais il voulait lui inspirer l'idée de le supplier pour les coupables. Comme les Juifs avaient fait des fautes qui méritaient la peine, et une peine rigoureuse, comme il ne voulait pas les punir, mais leur faire sentir les effets de sa bonté, et que cette indulgence pouvait les rendre plus lâches, il a trouvé un moyen pour qu'ils ne fussent pas punis sans que cependant l'impunité pût les rendre moins attentifs sur eux-mêmes , c'était de leur apprendre que ce n'était pas par leur propre mérite, mais par l'intercession de Moïse, qu'ils échappaient au courroux du souverain Maître. C'est ce que nous faisons souvent nous-mêmes. Lorsque nous ne voulons ni punir des serviteurs qui méritent punition, ni les affranchir de la crainte du châtiment, nous chargeons nos amis de les soustraire à nos mains, en sorte qu'ils échappent à notre sévérité, sans être délivrés d'une terreur salutaire. C'est ce qu'a fait Dieu, comme le prouvent ses propres paroles : Laissez-moi agir, dit-il, et dans mon indignation..... Cependant, lorsque nous voulons réellement punir, et qu'on s'y oppose, nous nous indignons alors, et Dieu dit : Laissez-moi agir, et dans mon indignation...., afin que vous sachiez que l'indignation dans Dieu n'est pas une passion, mais qu'on appelle ainsi la peine qu'il nous inflige. Lors donc que vous entendez ces paroles de Moïse : Si vous leur pardonnez leur faute, conservez-moi vos bonnes grâces; si vous ne leur pardonnez pas, effacez-moi de votre livre; lors, dis-je, que vous entendez ces paroles, admirez le Maître plus que le serviteur, parce qu'il lui a fourni cette occasion de manifester son vif amour pour des coupables.

Dieu a tenu la même conduite dans d'autres circonstances, et il a tenu les mêmes discours à Jérémie et à Ezéchias : Allez, dit-il, dans les rues de Jérusalem, considérez si vous trouverez un seul homme qui agisse selon l'équité et la raison, et je pardonnerai à toute la ville. (Jér. V, 1.) Voyez-vous la bonté divine? elle fait jouir une multitude même de méchants, de la vertu d'un seul homme ! et si dans tout un peuple il se trouve un seul homme vertueux, elle ne l'enveloppe pas dans la punition d'une multitude de méchants. Un seul homme qui marche dans la voie droite peut dérober tout un peuple à la colère de Dieu; et toute une ville corrompue ne pourra envelopper dans la. peine qu'elle mérite, ni entraîner dans sa ruine un seul homme de bien. C'est ce que prouve l'exemple de Noé, qui a été sauvé seul lorsque . tous les hommes périssaient, et celui de Moïse, qui seul a pu obtenir la grâce de tout un peuple. Mais je puis citer un trait encore plus fort de la bonté de Dieu. Lorsque parmi les hommes vivants, il n'en trouve pas qui aient. assez de confiance auprès de lui pour intercéder efficacement en faveur des coupables, il a recours aux morts, et il déclare que c'est à cause d'eux qu'il pardonne : Je protégerai cette ville, dit-il à Ezéchias, à cause de moi et de mon serviteur David. (IV Rois, XX, 6.)

Ainsi donc, convaincus que Dieu ne néglige aucun moyen pour nous affranchir de la peine, fournissons à sa miséricorde le plus que nous pourrons de motifs, des repentirs, des larmes, des confessions et des souvenirs continuels de nos fautes, l'humilité, la vigilance, la prière, des aumônes multipliées, le pardon des offenses commises envers nous. II ne suffit pas de dire : Je suis pécheur ; il faut exprimer dans sa confession chaque espèce de péché. Le feu qui tombe dans les épines, les consume aisément ; de même la méditation continuelle de nos fautes les détruit aisément et les fait disparaître. Que Dieu qui oublie les iniquités et qui les efface, nous délivre de nos péchés, et nous rende dignes du royaume céleste, par la grâce et la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, par lequel et avec lequel la gloire soit au Père et à l'Esprit-Saint, maintenant et toujours, dans tous les siècles des siècles ! Ainsi soit-il.

 

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