PHOCAS

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HOMÉLIE EN L’HONNEUR DU SAINT MARTYR PHOCAS ET CONTRE LES HÉRÉTIQUES AINSI QUE SUR LE PSAUME CXLI : « J'AI CRIÉ VERS LE SEIGNEUR, J'AI FAIT ENTENDRE A DIEU MA PRIÈRE. »

 

AVERTISSEMENT A ANALYSE.

 

Il est surprenant que Fronton du Duc mette en doute si ce discours a été prononcé à Constantinople ou à Antioche, lorsqu'il est clair comme le jour que c'est à Constantinople. En effet, outre ce qu'on trouve au début, que le saint martyr est arrivé la veille du Pont, ce qui fait voir que c'est dans la ville impériale ; qu'y a-t-il de plus significatif, pour désigner Constantinople, que le passage suivant : Laissons la ville déserte, et accourons au tombeau du martyr; car les princes eux-mêmes y conduisent comme nous leur cortège. Quelle excuse y a-t-il pour un particulier, quand les princes quittent leur demeure royale pour venir s'asseoir au tombeau du martyr ? C'est donc , sans aucun doute, à Constantinople que saint Chrysostome a prononcé ce discours.

Après quelques mots sur le saint martyr Phocas, il prend à partie les anoméens contre lesquels il eut à lutter, non pas à Antioche seulement, mais aussi à Constantinople. — Tout dans ce discours est visiblement de Chrysostome : style, argumentation, figures, comparaisons : il est donc singulier que Savile ne soit pas sûr de son authenticité (peri gnesiotetos) ; du reste, comme il n'apporte aucun motif de son hésitation, et qu'en effet il ne pouvait en donner aucun, on peut dire en toute sûreté qu'il a porté ce jugement an hasard, sans avoir examiné la question.

On ne peut guère assigner de date certaine à cette homélie. Il y a quelque indication vague dans ces paroles de Chrysostome : Et moi. donc pareillement, si je combats les hérétiques, ce ne sont pas les hommes eux-mêmes que j'attaque, mais c'est l'erreur que je veux détruire en eux, c'est que je veux les purifier de la contagion. J'ai pour habitude d'endurer la persécution, et non d'être persécuteur; de souffrir qu'on me chasse, et non de chasser moi-même les autres. S'il désigne par là la première persécution qu'il eut à souffrir, celle où il fut exilé, après quoi il ne tarda pas à venir reprendre possession de son siège, il faut rapporter cette homélie à la fin de l'année 403, ou au commencement de 404. Comme il est certain que Chrysostome n'avait pas eu d'autres persécutions à souffrir avant celle-là, cette date parait assez vraisemblable.

Voici la dissertation de Fronton du Duc à propos de saint Phocas, martyr : « Saint Grégoire de Nazianze parlé du martyr Phocas à Vitatianus : il lui écrit qu'il y avait, auprès de Trapézonte, une église sous son invocation. Dans le catalogue de la bibliothèque d'Augsbourg , il est fait mention d'André Chartophylax, auteur d'un panégyrique du saint martyr Phocas le Thaumaturge, dont le manuscrit est conservé dans cette bibliothèque. Et dans te martyrologe romain, nous lisons, à la date du 5 mars, cette indication empruntée à Grégoire de Tours : De gloria Mortyrum : Natalis S. Phocœ opud Antiochiam. (Naissance de saint Phocas auprès d'Antioche). Et le 14 Juillet : Sinope in Ponto S.. Phocœ martyris ejusdem civitatis episcopi (A Sinope, ville du Pont, naissance de saint Phocas, martyr, évêque de la même ville) ; saint Adon, dans sa chronique, atteste « que ses reliques furent transportées à Vienne, en Gaule. Dans l'Horologium des Grecs, on trouve au 22 juin : e akanomide tou Deipsanou tou agiou ieromarturos phoka ce qui, dans l'édition d'Usuard, publiée par Molanus, est traduit par : Reportatio Lipsani sancti Hieroinartyris Phocae ; et dans le calendrier des Grecs, traduit par Génébrard : Translatio Reliquiarum Phocae Martyris; puis encore, au 22 septembre, tou agiou ieromarturos phoka. Dans le Menologium publié en grec à Venise, le martyre des deux Phocas est brièvement résumé à la même date du 22 septembre. A l'égard du premier tou agiou ieromarturos phoka tou Thaumatourgou  (le saint hiéromartyr Phocas le Thaumaturge), il est dit qu'il était fils de Pamphile et « de Marie, qu'il naquit à Sinope, ville du Pont, et que, dés sa plus tendre enfance, il fut célèbre par ses miracles, et que son martyre lui fut annoncé par le prodige que voici : une colombe vint se poser sur sa tête et y plaça une couronne en prononçant d'une voix humaine les paroles suivantes : « Le calice est mêlé et il faut que tu le boives. » Dieu lui accorda en effet cette grâce, car, sous l'empereur Trajan , il souffrit le martyre par le glaive et par le feu, et, après sa mort, ses miracles continuèrent à le rendre célèbre. — Quant an second Phocas, suivant le même Menologium, il était jardinier, natif aussi de Sinope ; il donna l'hospitalité à des satellites qui le cherchaient pour le tuer ; il leur découvrit qui il était, comme le d raconte saint Astère , dans Lippomani ; les satellites lui coupèrent la tête et il devint ainsi une victime agréable à Dieu. De ces deux saints, nous pensons que le premier, celui qui fut évêque , est celui dont l'homélie suivante fait l'éloge, parce que, en tête du discours, il est qualifié de hiéromartyr, et l'on voit par le Menologium que les Grecs donnent plus ordinairement ce titre d'honneur aux évêques ou aux prêtres qui ont eu la gloire du martyre, tels que saint Ignace, saint Denis, saint Blaise, de même qu'ils appellent ieromonakous; les moines qui ont été créés prêtres et introduits dans la hiérarchie ecclésiastique. »

 

1° Saint Chrysostome engage les fidèles qui ont été absents à la cérémonie de la veille, à assister à celle-ci; il leur représente que les princes mêmes y sont venus, ce qui rendrait plus inexcusable la négligence des simples particuliers. — Les honneurs que nous rendons aux martyrs n'augmentent point leur gloire, mais nous attirent des bénédictions. — L'orateur profitera du psaume (434) du jour pour combattre l'hérésie. — Il ne combattra pas les hommes, mais leurs mauvaises doctrines. — 2° Jésus-Christ lui-même a pardonné à ceux qui le maltraitaient, tandis qu'il a puni les offenses fades à ses serviteurs ; nous devons donc pardonner à nos persécuteurs, mais venger les offenses faites à Dieu. — 3° Il prouve aux anoméens, par différentes citations de l'Écriture, que les noms de Seigneur et de Dieu conviennent également soit an Père, soit an Fils, que par conséquent ces deux noms ont la même valeur, et que par conséquent aussi, le Fils et le Père ne sont pas moins grands l'un que l'autre. — 4° Ces fidèles qui assistent à un sermon. doivent y faire assez d'attention pour en reporter la substance à qui les interroge, soit en les rencontrant sur le chemin, soit quand ils sont rentrés chez eux. — Les maris particulièrement doivent cette édification à leurs femmes.

 

1. Elle était brillante hier, notre cité, brillante, resplendissante, non pas à cause de ses colonnades, mais à cause du martyr qui nous arrivait du Pont en grand cortége. Il a vu votre hospitalité, et il vous a comblés de bénédictions; il a loué votre ardeur, et béni cette foule accourue pour le recevoir. J'ai félicité ceux qui s'y étaient rendus et qui avaient participé au parfum de sainteté qu'il répand, et j'ai plaint ceux qui étaient restés ailleurs. Mais afin que leur perte ne soit pas irréparable, voici encore un second jour où nous le célébrons, afin que ceux qui, par négligence, n'étaient point venus, doublent par leur zèle les bénédictions que le martyr envoie. Je vous l'ai déjà dit plusieurs fois, et je ne cesserai de le répéter : je ne demande pas la punition des péchés, mais je prépare de quoi guérir les malades. Vous n'êtes parvenus hier; accourez du moins aujourd'hui, pour voir le saint martyr conduit à l'endroit qui lui est réservé. Si au contraire vous l'avez vu hier escorté à travers la place publique, contemplez-le porté aussi sur les flots de la mer, afin que l'un et l'autre élément soit également rempli de ses bénédictions.

Que personne ne manque à cette solennité sainte; que la jeune fille ne reste. pas au logis, que la femme ne garde pas la maison ; laissons la ville déserte, et accourons au tombeau du martyr ; car les princes eux-mêmes y conduisent comme nous leur cortége. Quelle excuse y a-t-il pour un particulier, quand les princes quittent leur demeure royale pour venir s'asseoir au tombeau du martyr? Car le pouvoir des martyrs est si grand, qu'ils enveloppent dans leurs filets non pas seulement les particuliers, mais aussi les têtes couronnées; c'est là l'opprobre des païens, la honte de leurs erreurs, et l'extermination des démons ; ce sont là nos titres de noblesse, et, l’auréole de l'Église. Je m'unis au choeur dés martyrs, et je bondis de joie; c'est qu'en guise de prairie, j'ai sous les yeux leur trophée, et que les sources dont elle est arrosée, c'est le sang qu'ils ont versé : leurs ossements ont été consumés, et leur mémoire devient chaque jour plus nouvelle. Car il est aussi impossible d'éteindre la mémoire des martyrs que la lumière du soleil; c'est Jésus-Christ lui-même qui l'a déclaré: Le ciel et la terre passeront, mais mes paroles ne passeront point. (Matth. XXIV, 35). Mais différons jusqu'au moment convenable les éloges du saint martyr : nous venons d'en dire suffisamment touchant le zèle de ceux qui doivent se réunir ici, et donner de l'éclat à ce jour de fête. Ce que je vous disais hier, je le répète aujourd'hui, la présence d'une multitude nombreuse n'ajoutera rien à la gloire du martyr; mais c'est vous qui gagnerez, à venir visiter le martyr, des bénédictions plus abondantes. Celui qui regarde le soleil, ne rend pas l'astre plus resplendissant, mais il éclaire ses propres yeux; de même celui qui honore un martyr n'augmente pas la splendeur du martyr, mais c'est lui-même qui attire sur sa personne les rayons de ce foyer de bénédictions.

Faisons encore une fois de la mer un temple, en nous y rendant avec des flambeaux, portant le feu au milieu de l'eau, et couvrant l'eau de feu; que personne ne redoute la mer ; le martyr n'a pas craint la mort, et vous craindriez l'eau ? Mais nous avons déjà suffisamment parlé dans ce sens; prenons donc dans les paroles que vous avez entendues aujourd'hui de quoi vous servir votre nourriture accoutumée. Si nos corps sont à l'étroit, que notre âme ait des ailes; car je ne fais pas attention au peu de place que vous avez, mais bien au zèle qui vous anime. Comme un pilote aime une mer agitée, un orateur chrétien aime une église où un nombreux auditoire semble onduler comme les flots; car il n'y a ici ni onde amère, ni écueils, ni monstres : ce sont les vagues d'un océan qui exhale mille parfums; où les barques ne vont point d'une terre à une terre, mais s'élancent de la terre au ciel; ces barques ne sont point chargées de richesses, ce n'est pas de l'or ou de l'argent qu'elles portent, mais la foi, la charité, le zèle et la science chrétienne.

2. Lançons donc à la mer avec ardeur cette barque qui ne périt jamais, et qui n'essuie jamais de naufrage. Mais prêtez une grande (435) attention à nos paroles; car le psaume d'aujourd'hui nous engage dans une campagne contre les hérétiques, non pas pour renverser des hommes qui sont debout, mais pour relever des adversaires abattus : telle est la guerre que nous entreprenons ; des vivants,- elle n'a pas pour but de faire des morts, mais des morts elle doit faire des vivants ; c'est une guerre toute de douceur et de clémence. Et en effet, je n'attaque pas par mes actions , mais je poursuis par mes paroles, non pas l'hérétique, mais l'hérésie ; je n'ai pas d'aversion pour l'homme, mais je déteste son erreur, et je veux le ramener à nous ; je ne fais pas la guerre à l'être, car l'être est l'ouvrage de Dieu ; mais je veux redresser la croyance, que le démon a pervertie. C'est ainsi qu'un médecin, lorsqu'il soigne un malade, ne fait pas la guerre au corps, mais cherche à détruire le vice qui est dans le corps. Et moi donc pareillement, si je combats les hérétiques, ce ne sont pas les hommes eux-mêmes que j'attaque, mais c'est l'erreur que je veux détruire en eux, c'est que je veux les purifier de la contagion. J'ai pour habitude d'endurer la persécution, et non d'être persécuteur; de souffrir qu'on me chasse et non de chasser moi-même les autres. C'est par ce moyen que Jésus-Christ, lui aussi, a triomphé : il n'a pas crucifié les autres, il s'est laissé crucifier ; il n'a souffleté personne, mais on l'a souffleté. Si j'ai mal parlé, dit-il, témoignez du mal que j'ai dit ; et si j’ai bien parlé, pourquoi me frappez-vous ? (Jean, XVIII, 23.) Ainsi le Maître de la terre se justifie à l'esclave du grand prêtre, quoique de cette bouche que l'on frappait, fussent sorties les paroles qui avaient dompté la mer et ressuscité Lazare depuis quatre jours au nombre des morts, ces paroles qui mettaient en fuite le mal, qui guérissaient les infirmités et les péchés. Voilà ce qu'il y a d'admirable cirez le Dieu crucifié. Il pouvait lancerla foudre, ébranler la terre, dessécher la main de cet esclave; et il n'a rien fait de tout cela; bien plus, il se justifie, et il triomphe par la douceur, vous apprenant, à vous qui êtes hommes, à ne jamais vous emporter ; si l'on vous met en croix, si vous recevez un soufflet, vous devez dire comme votre Maître : Si j'ai mal parlé, témoignes du mal que j'ai dit ; et si j'ai bien parlé, pourquoi me frappez-vous ? Et vous allez voir sa charité pour les hommes; vous allez voir comme il venge les injures que l'on fait à ses serviteurs, lui qui néglige ainsi la vengeance de celles qu'il reçoit lui-même. Il y eut autrefois un prophète qui vint pour confondre l'impiété d'un roi : il arriva, et s'écria : O autel, ô autel ! écoute mes paroles ! (III Rois, XIII, 2.) Le roi Jéroboam était alors à offrir de l'encens aux idoles : le prophète arrive, et c'est à l'autel qu'il s'adresse. Que fais-tu, ô prophète ? tu laisses l'homme de côté, et c'est à l'autel que tu parles ? Oui, vous répondra-t-il ? Et quel motif as-tu d'agir ainsi? C'est que l'homme est devenu plus insensible que la pierre même, voilà pourquoi je le laisse de côté, et je m'adresse à la pierre, pour vous apprendre que la pierre entend, et que l'homme n'entend pas. Ecoute, ô autel, écoute ! et à l'instant l'autel se brisa. Le roi étendit la main, voulant se saisir du prophète, et il ne put la ramener à lui. Vous le voyez, l'autel entendit mieux que le roi; vous voyez que si le prophète a laissé de côté l'être raisonnable pour s'adresser à l'ubjet privé de raison, c'est afin de corriger, par l'obéissance de l'objet inanimé, l'insensibilité et la perversité de l'homme. L'autel se brisa, et la perversité du roi ne fut point brisée. Mais considérez ce qui arriva: le roi étendit la main pour s'emparer du prophète, et aussitôt sa main sécha. Comme la vengeance exercée sur l'autel n'avait pas rendu le roi meilleur, celui-ci apprend alors à ses propres dépens que l'on doit obéir à Dieu. j'ai voulu, pour t'épargner, détourner ma colère sur cette pierre ; mais puisque la pierre ne t'a point servi de leçon, subis donc toi-même ton châtiment. Alors, il étendit sa main, qui à l'instant fut desséchée. Le prophète avait désormais le témoignage de sa victoire : le roi ne pouvait ramener à lui sa main. Où fut alors son diadème? qu'étaient devenus, et sa pourpre royale, et les armures, et les boucliers, et cette multitude de soldats et de lances? Dieu donna un ordre, et tout cela s'évanouit ; les grands de la cour étaient là, mais ils ne pouvaient secourir le roi ; ils n'étaient plus que les spectateurs de son châtiment. Il avait étendu la main : elle était devenue sèche : il avait sa récompense. Considérez l'exemple de l'arbre du paradis, et celui de l'arbre de la croix. Le premier était couvert d'un vert feuillage, et il enfanta la mort; le bois de la croix était sec, et il engendra la vie; il en fut de même de la main de Jéroboam : quand elle était vivante, elle enfanta l'impiété, et lorsqu'elle fut devenue sèche, elle amena l'obéissance ; voyez-donc par là (436) combien sont étranges les oeuvres de Dieu. Mais je reviens à ce que je disais : lorsque le Christ reçut un soufflet, il ne fit point de mal à celui qui le lui donna; et lorsqu'un de ses propres serviteurs allait être maltraité, Notre-Seigneur punit un roi; vous enseignant ainsi à venger les injures faites à Dieu, et à négliger celles qu'on vous fait. Mais, prêtez-moi votre attention, car lorsqu'il s'agit de combattre, on a besoin de prêter une oreille extrêmement attentive; écoutez donc bien, afin de savoir exactement dans quelle mesure je lie et je délie les péchés de nos adversaires, et comment je les combats et les accable. Lorsque dans un théâtre on voit lutter deux hommes, on se penche, on tient ses regards fixes et tout son corps tendu, pour voir une lutte pleine d'opprobre, une lutte qu'on aurait honte d'imiter

à plus forte raison devons-nous être, nous autres, très-appliqués à écouter les saintes Ecritures. Car si vous donnez des éloges à l'athlète, que ne vous faites-vous athlète? et si c'est une honte pour lui d'être athlète, pourquoi irritez-vous ce public qui lui donne des éloges? Mais ce ne sont point ici des luttes semblables, ce sont des luttes communes à tous, et également utiles à ceux qui parlent et à ceux qui écoutent. Car si je combats l'hérétique, c'est pour vous rendre athlètes vous-mêmes, et pour que vous puissiez, non-seulement par les paroles de vos psaumes, mais encore par votre discussion, réduire leur langue au silence. Que dit donc le Prophète : J'ai crié vers le Seigneur ; j'ai fait entendre à Dieu ma prière. (Psaume CXLI, 2.) Faites attention : cette parole peut-être ne vous semble pas contenir un motif de lutte. Voyez comment je vais préparer le triomphe et développer l'objet du combat. J'ai crié vers le Seigneur; j'ai fait entendre à Dieu ma prière. Appelez ici l'hérétique, présent ou non. S'il est présent, qu'il soit instruit par notre voix; s'il est absent, vous l'instruirez d'après ce que vous aurez entendu dire. Seulement, je le répète, s'il est ici, je neveux point le persécuter, mais lui donner un asile contre la persécution qui lui vient non pas de nous, mais de sa propre conscience, suivant cette parole de l'Ecriture : L'impie fuit sans que personne le poursuive. (Prov. XXVIII, 1.) L'Eglise, notre mère, n'accueille pas seulement ses propres enfants : elle ouvre encore son sein aux étrangers. L'arche de Noé était un asile pour toutes les créatures, mais l'Eglise est plus parfaite. L'arche, en effet, recevait les animaux sans raison, et elle les gardait tels : l'Eglise reçoit les créatures déraisonnables, mais elle les transforme. Par exemple, s'il entre ici un renard partisan de l'hérésie, j'en ferai une brebis; qu'il entre un loup, j'en ferai un agneau, autant qu'il sera en moi : s'il s'y refuse, cela ne dépendra nullement de moi, mais de sa propre déraison ; en effet, parmi les douze disciples de Jésus-Christ lui-même, il y en eut un qui fut traître, non pas par la faute de Jésus, mais par son propre sens perverti; Elisée aussi avait un disciple avare ; et ce n'était pas par suite de la faiblesse du maître, mais par la lâcheté du disciple. Je répands des semences ; c'est vous qui les recevez; si vous êtes une bonne terre, vous produirez une moisson ; si vous êtes un terrain pierreux et stérile, cela ne dépend pas de moi ; que vous écoutiez, ou que vous n'écoutiez pas, je ne cesserai de faire retentir à vos oreilles le chant spirituel, et de panser vos blessures, pour ne pas m'entendre dire au jour suprême : Mauvais serviteur, tu aurais dû confier mon argent aux banquiers. (Matth. XXV, 26, 27.) J'ai crié vers le Seigneur; j'ai fait entendre à Dieu ma prière.

3. Que dis-tu, hérétique ? De qui parle le Prophète, et qui appelle-t-il Seigneur et Dieu? car il ne s'agit que d'une seule et même personne. C'est ainsi que dénaturant le sens des Ecritures pour leur propre malheur, et cherchant toujours des arguments aux dépens de leur propre salut , ils ne s'aperçoivent pas qu'ils se précipitent dans un gouffre de perdition; pour ce qui est du Fils de Dieu, ce ne sont pas nos bénédictions qui augmentent sa gloire, ni les blasphèmes qui la compromettent ; car l'être incorporel n'a pas besoin de nos louanges ; mais de même qu'en disant que le soleil est brillant, on n'ajoute rien à sa lumière, et qu'en disant qu'il est ténébreux, on n'enlève rien à l'essence de cet astre, mais que l'on montre par un tel jugement , que l'on est aveugle soi-même; ainsi, celui qui dit que le Fils de Dieu n'est point Fils, mais créature, donne une preuve de sa propre folie, tandis que celui qui reconnaît au Fils de Dieu son essence véritable, fait voir qu'il a lui-même le jugement sain. Le premier de ces hommes ne cause aucun dommage au Fils de Dieu; le second ne lui est point par là dé quelque utilité; mais l'un (437) d'eux lutte contre son propre salut, et l'autre pour son salut. Dénaturant, comme je le disais, le sens des Ecritures, les hérétiques y passent rapidement à côté de certaines choses, cherchant s'ils ne trouveront pas quelque part quelque argument qui leur semble concorder avec leur maladie. Et ne me dites pas que la faute en est aux Ecritures non, ce ne sont pas les Ecritures qui en sont cause, mais bien la déraison de ces hommes; le miel est bien réellement doux, mais le malade le trouve amer; la faute n'en est pas au miel, mais au mriuvais état de la santé. Quand on est dans le délire, on n'aperçoit pas ce que l'on voit : ce n'est pourtant pas la faute des objets visibles, mais c'est le jugement qui est perverti chez l'homme en délire. Dieu a fait le ciel, afin qu'en voyant l'ouvrage, nous adorious le Créateur; mais les païens ont déifié l'ouvrage : or, ce n'est pas non plus l'ouvrage qui en est cause, mais leur déraison. Et de même que l'insensé ne retire aucune utilité de personne, l'homme sensé en trouve jusqu'en lui-même. Qu'y a-t-il d'égal à Jésus-Christ? Pourtant Judas n'en retira aucun profit. Et qu'y a-t-il de pire que le démon? pourtant Job en a triomphé. Si le Christ n'a pas profité à Judas, c'est que Judas était insensé; et si le démon n'a pas nui à Job, c'est que Job était sage. Je vous tiens ce langage, pour que personne n'aille calomnier les Ecritures, et pour qu'on s'en prenne à la déraison de ceux qui interprètent mal ce qui a été bien dit. N'était-ce pas, en effet, en invoquant les Ecritures que le diable même discutait avec Jésus?

La faute n'en est donc pas à l'Ecriture, mais à la pensée qui interprète mal ce qui a été bien dit. En effet, voulant montrer que le Fils est moindre que le Père, ils se tourmentent pour aller chercher aux mots des sens étranges, et à propos de ces noms Dieu et Seigneur, ils disent que le Père est Dieu, et que le Fils est Seigneur; ils distinguent ces deux appellations, attribuant celle de Dieu au Père, et celle de Seigneur au Fils, comme s'ils prétendaient diviser la divinité et l'adjuger par portions. L'Ecriture, n'est-il pas vrai, se sert du mot Seigneur en s'adressant au Fils? Eh bien ! n'avez-vous pas entendu le psaume d'aujourd'hui, qui dit à une seule et même personne : J'ai crié vers le Seigneur, j'ai fait entendre à Dieu ma prière ! C'est donc qu'elle appelle le Fils Seigneur et Dieu. Maintenant, qui voulez-vous qui soit Dieu? Est-ce le Fils ou le Père? Les deux noms de Dieu et de Seigneur, direz-vous, s'appliquent évidemment ici au Père. Eh bien! alors le Fils est Dieu et le Père est Seigneur : car pourquoi traitez-vous les deux noms différemment, et, adjoignant le premier au second dans l'un des cas, séparez-vous le second du premier dans l'autre cas? Saint Paul (et plût au ciel que vous écoutassiez saint Paul; bienheureux seriez-vous alors ! ), saint Paul dit aussi : Nous n'avons qu'un seul Dieu, c'est le Père, d'où proviennent toutes choses; et un seul Seigneur Jésus-Christ par lequel toutes choses existent. (I Cor. VIII, 6.) Il n'a pas, dira-t-on, donné au Fils le titre de Dieu. Et comment l'a-t-il appelé? Il l'a appelé Seigneur. Eh bien ! répondez, en quoi le titre de Dieu est-il plus auguste que celui de Seigneur? Et en quoi Seigneur est-il moins que Dieu? Prêtez-moi, je vous prie, une grande attention : Si je vous montre que Seigneur et Dieu sont la même chose, qu'aurez-vous à dire? Prétendez-vous que Dieu soit plus, et que Seigneur soit moins? Ecoutez ce que dit le Prophète : Le Seigneur qui a fait le ciel; le Dieu qui a créé la terre. (Isaie, XLV, 18.) Ainsi, le Seigneur a fait le ciel, et Dieu a créé la terre; c'est donc pour la même personne qu'il a employé les deux mots Seigneur et Dieu. On lit encore ailleurs dans l'Ecriture : Ecoute, Israël, le Seigneur ton Dieu est un seul Seigneur. (Deutér. VI, 4.) Le mot Seigneur y est deux fois, et le mot Dieu n'y est qu'une fois : la première fois, c'est le mot Seigneur; ensuite, c'est le mot Dieu, puis encore le mot Seigneur. Or, si ce dernier titre eût été inférieur au second, et celui-ci supérieur à l'autre, le Prophète n'aurait pas employé le moins noble en premier, ayant à parler d'un être si grand, d'un être plus grand que le langage ne peut l'exprimer. Après s'être servi du mot le plus noble, il s'en serait contenté, sans en ajouter un plus faible. Avez-vous bien saisi mes paroles? Je vais vous instruire encore.: car nous ne sommes pas ici dans un théâtre et pour la montre, mais à une école et dans un but de componction; il ne s'agit pas de s'en aller sans armes; il s'agit de s'éloigner d'ici bien armés. Tu prétends, ô hérétique, que Dieu est plus, et que Seigneur est moins? Je t'ai fait voir que le Prophète nous dit : Le Seigneur qui a fait le ciel, Dieu qui a créé la terre. Je t'ai montré encore les paroles de Moïse : Ecoute, (438) Israël, le Seigneur ton Dieu est un seul Seigneur. Comment serait-il un, si les noms sont deux, l'un désignant un être inférieur, et l'autre un être plus grand ? Un être ne peut pas être à la fois plus grand et plus petit que lui-même; il est égal à lui-même et forme un tout harmonique : Le Seigneur ton Dieu est un seul Seigneur; et je t'ai fait voir que le titre de Seigneur vaut celui de Dieu; en définitive, si Seigneur est moins, et que Dieu soit plus, lequel des deux noms devait être le sien? Est-ce Seigneur, qui dit moins, ou Dieu, qui dit plus? S'il te disait: Quel est mon nom? que lui répondrais-tu, ô hérétique? lui dirais-tu que Seigneur est plus particulièrement le nom du Fils, et Dieu celui du Père? Et si je te montre que le nom de Seigneur, le nom inférieur, sert à désigner le Père, que feras-tu? Qu'ils sachent, dit le Prophète, que ton nom est le Seigneur. (Ps. LXXXII, 19.) Il n'a pas dit : que Dieu est ton nom. Pourtant, si Dieu est plus que Seigneur, pourquoi le Prophète n'a-t-il pas dit : Qu'ils sachent que Dieu est ton nom? Si Dieu est son nom spécial et particulier, et que Seigneur ne lui convienne pas, comme étant inférieur, pourquoi le Psalmiste dit-il : Qu'ils sachent que ton nom est Seigneur, en se servant du titre moindre, inférieur, moins noble, au lieu d'employer l'autre, qui est le plus grand, le plus élevé, le plus convenable à l'être qu'il désigne. Et afin de t'apprendre que le nom de Seigneur n'a rien de moindre, rien d'inférieur, mais qu'il a la même valeur que celui de Dieu, après avoir dit : Qu'ils sachent que ton nom est le Seigneur, le Prophète ajoute immédiatement : Toi seul es le Très-Haut, élevé au-dessus de toute la terre.

4. Mais tu ne te tiens pas encore pour vaincu, tu répètes toujours que Dieu est plus et que Seigneur est moins. Et si je te fais voir le Fils désigné par le nom le plus grand des deux, que diras-tu? Cesseras-tu le combat? Abandonneras-tu la discussion? Reconnaîtras-tu ton salut? Renonceras-tu à ta folie? As-tu compris mes paroles? Puisque tu attribues le nom de Seigneur au Fils, et celui de Dieu, comme plus grand, à la personne du Père; si je te montre le Fils désigné par le nom le plus grand, par celui de Dieu, le combat est terminé ; car je te réduis avec tes propres armes, et je t'accable de tes propres ailes. Tu as prétendu que Dieu est plus et que Seigneur est moins : je veux te faire voir que le moindre ne conviendrait pas au Père, si le Père était plus grand, et que le plus grand ne conviendrait pas au Fils, si le Fils était moindre. Ecoute donc le Prophète qui dit : C'est notre Dieu; nul autre ne lui sera comparé : il a trouvé toutes les voies de la science; après cela on l'a vu sur la terre, et il a conversé avec les hommes. (Baruch, III, 36-38.) Que réponds tu à cela? Yeux-tu contredire ces paroles? Mais tu ne le peux, car la vérité subsiste, faisant briller son flambeau, et, aveuglant les yeuxdes hérétiques qui ne veulent pas ajouter foi en elle. Quelque rudes que soient les luttes, quelque pénible que soit la chaleur, la parole est la plus forte : elle triomphe du malaise des auditeurs et elle tempère l'ardeur du jour par la rosée de la doctrine. Quoi que nous nous réunissions ici une ou deux fois par semaine, il ne faut pas que les auditeurs soient négligents. Car si vous sortez d'ici, et qu'on vous demande: Quel a eté le sujiA du discours? quand vous aurez répondu . Le prédicateur a parlé contre les hérétiques ; si l'on ajoute . Qu'a-t-il dit? et que vous ne trouviez rien à répondre, ce sera pour vous la plus grande honte. Si an. contraire vous pouvez répondre, c'est alors votre interlocuteur que vous confondrez ; s'il est hérétique, vous le redresserez; si c'est un de vos amis, et qu'il soit mou, vous le stimulerez; si c'est une femme déréglée, vous la rendrez plus sage, car vous devez aussi vos explications à vos femmes : Que les femmes, dit Saint Paul, gardent le silence dans l'église, et si elles veulent s'instruire de quelque chose, qu'elles interrogent leurs maris. (I Cor. XIV , 34, 35. ) Si vous rentrez chez vous, et que votre femme vous demande : Que me rapportes-tu de l'église ? Répondez-lui : Je ne rapporte ni viande, ni vin, ni or, ni parures pour embellir le corps, mais des paroles qui rendent l'âme, sage. Quand vous rentrez auprès de votre femme, servez-lui un banquet spirituel; dites-lui tout d'abord, pendant que votre mémoire est encore fraîche : Goûtons d'abord la nourriture spirituelle, et ensuite nous goûterons, les aliments matériels ; car si nous réglons ainsi notre conduite, nous aurons Dieu au milieu de nous, qui bénira notre table et qui nous couronnera. Ainsi donc, mes chers auditeurs, rendons grâces pour tous ces bienfaits, au Père, au Fils et au Saint-Esprit, maintenant et toujours,et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

 

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