EUSTATHE

Précédente Accueil Remonter Suivante

Accueil
Remonter
PREMIER DISCOURS
ANOMÉENS
STAGIRE
ANATHÈME
ÉTRENNES
LAZARE
STATUES
CATÉCHÈSES
DÉMONS
NATIVITÉ
BAPTÊME
JUDAS I
JUDAS II
CŒMETERIUM
BON LARRON I
BON LARRON II
RÉSURRECTION I
RÉSURRECTION II
ASCENSION
PENTECOTE I
PENTECOTE II
PÉNITENCE
ÉLOGE
MACCHABÉES
BERNICE
MARTYRS I
PLAIRE
MARTYRS II
JULIEN
BARLAAM
DROSIS
ÉGYPTIENS
PHOCAS
MARTYRS III
TREMB. DE TERRE
JUDAS III
MÉLÉCE
LUCIEN
BABYLAS I
BABYLAS II
JUVENTIN
PÉLAGIE I
PÉLAGIE II
IGNACE
EUSTATHE
ROMAIN I
ROMAIN II

HOMÉLIE SUR SAINT EUSTATHE.

 

AVERTISSEMENT ET ANALYSE.

 

Saint Chrysostome, dans l'homélie sur les paroles de Jérémie, num. 1, mentionne en ces termes le discours qu'il prononça sur saint Eustathe : Après avoir parlé des apdtres Pierre et Paul, et de la controverse qui s'éleva entre eux à Antioche, après vous avoir montré que ce désaccord apparent avait été plus utile que toute paix, après vous avoir conduits sur la voie rude et dpre d'une discussion épineuse, vous voyant fatigués, je vous ai fait passer à un autre sujet, et nous avons, dans un seul discours, achevé l'éloge du bienheureux Eustathe; et après lui, c'est le généreux martyr, saint Romain, dont nous avons célébré la gloire, etc.... C'est donc par l'autorité de saint Chrysostome lui-même que nous mettons l'homélie sur saint Eustathe avant les deux homélies sur saint Romain. (Le décès de saint Eustathe est marqué au martyrologe romain le 16 juillet.)

 

1° Il ne faut louer personne avant sa mort parce que l'avenir de l'homme est incertain. Il ne faut même louer que ceux qui sortent de la vie avec la couronne de la vertu. C'est le sentiment de Salomon. 2, Exil de saint Eustathe dans la Thrace. Les reliques des saints sont des sources spirituelles. Ce qui fait le martyr c'est la volonté et l'intention plus encore que le genre de mort. 3° 4° Antioche eut le bonheur d'avoir saint Eustathe pour évêque. Faire briller la vertu des saints : raison providentielle des persécutions qu'endurent les saints.

 

1. Un sage, un philosophe exercé, qui avait étudié avec soin la nature des choses humaines, qui en avait reconnu la fragilité, l'incertitude, l'instabilité, adressait à tous les hommes en général le conseil que voici : attendre toujours la mort d'un homme, avant de célébrer ses louanges. (Ecclés. XI, 30.) Eustathe, ce bienheureux, est mort, nous pouvons donc désormais le célébrer en toute confiance. Car s'il ne faut louer personne avant la mort, après la mort, au contraire, évidemment, un éloge mérité n'a rien 'de répréhensible. En effet, le bienheureux a franchi cet Euripe où tourbillonnent les affaires du monde; le voilà dégagé des flots tumultueux, parvenu au port de la tranquillité et de la paix; il n'a plus rien à craindre de l'avenir incertain, des chutés possibles; solidement établi sur le roc, il se tient debout sur la hauteur d'où il abaisse en souriant ses regards sur les flots. Donc l'éloge est au-dessus des hasards, hors des atteintes; pas` de changement à craindre, pas de chute à redouter. Nous autres, les vivants, semblables aux voyageurs qui sont en pleine mer, à la merci des flots, nous demeurons exposés à de nombreuses vicissitudes; comme on les voit tantôt élevés sur la cime des vagues, tantôt précipités dans les profondeurs; et, ni l'élévation ne persiste, ni l'abaissement ne dure, car ces deux positions dépendent de la mobilité, de l'inconstance dès flots. Ainsi des choses humaines; rien de ferme, rien de stable, changements sur changements, un instant suffit. Celui-ci est élevé sur le faîte, par la prospérité; celui-là, par le malheur, est jeté dans un abîme profond ; mais que le premier ne s'enfle pas à ce vent de la faveur, que l'autre ne perde pas courage, car, pour chacun d'eux, le changement sera prompt. Mais il n'en est pas ainsi de notre bienheureux transporté au ciel, arrivé auprès de Jésus son désir, parvenu au séjour d'où sont exclus les troubles inquiétants, où ne peuvent pénétrer les tristesses, les douleurs, les lamentations. Là, pas même l'image d'un changement, pas l'ombre d'une transformation; absolue fixité, absolue immobilité, absolue fermeté, solidité, absolue incorruptibilité, l'immortalité, la complète pureté sans aucun mélange, et pour l'éternité. De là ces paroles, avant la mort, ne loue personne. (Ecclés. XI, 10.) Pourquoi? c'est que l'avenir est incertain, et la nature faible; la volonté lâche; le péché (513) prompt à nous surprendre; les filets sont de tout côté. Sache bien, dit l'Ecclésiaste, que tu marches au milieu des filets. (Ecclés. IX, 20.) Tentations continuelles, trouble et confusion des affaires, guerre continuelle des démons, perpétuels assauts des passions; voilà pourquoi, avant la mort, ne loue personne, dit-il. Eh bien ! après la mort, l'éloge mérité peut se décerner sans crainte. Ne disons plus simplement, après la mort, mais après une mort comme celle-ci, quand un homme sort de la vie, avec une couronne, avec sa foi qu'il confesse, avec sa foi sincèrement gardée. S'il est permis de louer ceux qui sont morts, à combien plus forte raison ceux qui sont morts comme ce bienheureux.

Mais qui donc, me dira-t-on, a loué simplement les morts? Salomon, Salomon, ce sage accompli. Sachez arrêter votre esprit quand on vous parle d'un tel homme, considérez ce qu'il a été, quelle fut sa vie, avec quelle sécurité douce et molle il passa des jours exempts de douleurs. Il connut toutes lés espèces de délices, il imagina tout ce qui donne à l'âme des sources variées de plaisirs, il inventa mille formes de jouissances diverses qu'il a dépeintes dans ces paroles : J'ai bâti des maisons, j'ai planté des vignes, j'ai fait des jardins et des clos, où j'ai mis toutes sortes d'arbres; j'ai fait faire des réservoirs d'eaux, j'ai eu des serviteurs et des servantes, et un grand nombre d'esclaves nés en ma maison, un grand nombre de bceufs et de troupeaux de brebis; j'ai amassé une grande quantité d'or et d'argent, j'ai eu des musiciens et des musiciennes, des hommes et des femmes pour remplir mes coupes. (Ecclés. II, 4-8.) Eh bien ! qu'ajoute le même homme qui vient de faire cette énumération de tant de richesses, de tant de délices, de plaisirs, de voluptés? J'ai loué, dit-il, ceux qui sont morts, j'ai dit qu'ils sont plus heureux que les vivants, et plus heureux encore celui qui n'a jamais vécu. Il faut en croire, certes, celui qui fait ainsi le procès aux voluptés délicieuses, qui porte un tel jugement des plaisirs. Qu'un pauvre, qu'un indigent accusât ainsi la vie passée dans les délices, on pourrait dire qu'il ne connaît pas la vérité, qu'il parle sans expérience; mais lorsqu'un homme qui a parcouru, approfondi tous les plaisirs, pénétré dans tous les sentiers de la volupté, lui inflige cette flétrissure, son accusation ne peut être suspectée. Vous pensez peut-être que nous nous sommes écarté du sujet de notre discours, appliquons ici notre esprit, et nous verrons le lien qui le rattache à notre apparente digression. Quand on célèbre les martyrs, il est nécessaire, il est conséquent de parler de la sagesse en général. Et ce que nous en venons de dire n'est pas pour accuser la vie présente ; loin de nous cette pensée ! mais pour confondre les voluptés: la vie n'est pas un mal, ce qui est un mal, c'est la vie livrée aux hasards d'un esprit inconsidéré.

2. Si l'on passe sa vie dans la pratique des bonnes oeuvres, soutenu par l'espérance des biens à venir, on peut dire avec Paul : Vivre dans cette chair vaut bien mieux, je tirerai du fruit de mon travail. (Philipp. I , 22.) C'est ce qui est arrivé au bienheureux, à Eustathe, qui a vécu et qui est mort dans la pratique du devoir. Il n'est pas mort dans sa patrie, mais sur une terre étrangère, souffrant pour Jésus-Christ. Ce fut le triomphe de nos ennemis. Ils l'ont exilé de sa patrie pour le flétrir; il y gagna plus d'éclat et plus de gloire; son exil rendit son nom plus fameux; les événements l'ont démontré. Sa gloire a grandi à tel point, que, quoique son corps soit enseveli dans la Thrace, sa mémoire est, auprès de nous, de jour en jour plus florissante; sa sépulture est là-bas, dans cette contrée barbare; son amour est dans nos coeurs ; en dépit d'une si grande distance, en dépit de la longueur du temps, chaque jour s'augmente en nous le regret qu'excite sa mémoire. Disons mieux, disons la vérité ; son tombeau est auprès de nous, il n'est pas seulement dans la Thrace. Les monuments des saints ne sont pas seulement les tombeaux, les colonnes, les caractères inscrits sur les sépulcres ; ce sont leurs oeuvres, le zèle de leur foi, la pureté de leur conscience devant Dieu. Plus brillante que toutes les colonnes, cette église s'élève en l'honneur du martyr, avec ses caractères qui parlent, qui rappellent d'une voix plus retentissante que le bruit des trompettes, le glorieux souvenir du bienheureux ; vous tous, ici présents, vous êtes, chacun de vous, autant de sépulcres du martyr, sépulcres vivants, sépulcres spirituels. Si j'ouvre la conscience de chacun de vous, qui  m'écoutez en ce moment, j'y trouve ce saint qui réside dans vos pensées, qui séjourne dans vos âmes.

Comprenez-vous bien que nos ennemis n'ont rien gagné? qu'ils n'ont pas étouffé sa gloire, qu'ils n'ont fait que l'exalter, la rehausser d'un (514) plus vif éclat, lui donnant, au lieu d'un tombeau, tant de tombeaux, tombeaux vivants, tombeaux parlants, tombeaux animés de son zèle? Aussi, j'appelle les corps des saints des sources, des racines, des parfums spirituels. Pourquoi? c'est que chacun de ces objets que je viens de nommer possède une puissance qui ne se renferme pas en elle-même, qui se communique, au contraire, qui se déploie à une longue distance. Par exemple : les sources jaillissent et produisent de nombreux courants; les eaux des sources ne se replient pas sur elles-mêmes; elles épanchent de longs fleuves qui se joignent à la mer; ce sont des mains dont les doigts s'allongent pour saisir les flots salés. Voyez encore; la racine des végétaux se cache dans le sein de la terre, mais ce n'est pas dans la profondeur qu'elle restreint toute sa force ; considérez ici surtout la -vigne, qui s'élève sur les arbres. Ses rameaux se déploient dans les airs; à travers les roseaux, les sarments forment, en serpentant, un long couvert de feuillage épais. Telle est encore la nature des parfums. On les renferme dans une chambre d'où ils s'échappent à travers les ouvertures, embaumant les vestibules, les couloirs, les places au dehors, révélant à ceux qui passent les odeurs qu'on garde dans l'intérieur de la maison. La vertu qui appartient aux sources, aux racines, aux plantes, aux parfums, est encore bien plus attachée aux reliques des saints. C'est la vérité que je proclame; vous en êtes les témoins. Le corps du martyr est dans la Thrace; ce n'est pas la Thrace que vous habitez, et cependant, si loin de ce pays, malgré la distance, vous sentez l'odeur du martyr; et voilà pourquoi vous vous êtes rassemblés, et vous êtes venus; le long intervalle dans l'espace, la longueur du temps n'a pas effacé son image, éteint son souvenir. Telle est en effet la nature des belles oeuvres spirituelles; aucun obstacle matériel n'en contrarie l'influence; la gloire en est florissante, grandissant de jour en jour, sans que ni la longueur de la durée en affaiblisse le souvenir, ni les espaces à traverser sur la terre l'empêchent de se manifester.

Ne vous étonnez pas, si dès le début même de ce discours et de mon éloge, j'ai donné à ce saint le titre de martyr : si sa mort a été naturelle, comment peut-il être un martyr? Je vous ai souvent dit que ce qui constitue le martyr, ce n'est pas seulement la mort, mais l'intention de l'esprit : ce n'est pas le fait seul, mais c'est en même temps la volonté du martyr qui lui vaut la couronne. Ce n'est pas moi, c'est Paul qui définit ainsi le martyre, quand il dit : Je meurs chaque jour. (I Cor. XV, 31.) Comment meurs-tu chaque jour? comment est-il possible, avec un seul et même corps, de souffrir mille fois la mort? Par l'intention de mon esprit, répond-il, et parce que je suis préparé à mourir. Dieu, qui plus est, a exprimé la même pensée. Abraham n'a pas ensanglanté son glaive, n'a pas rougi l'autel, n'a pas immolé Isaac ; cependant il a consommé le sacrifice. Qui le dit ? Celui-là même qui a agréé le sacrifice. Tu n'as pas épargné, dit-il, ton fils bien-aimé à cause de moi. (Gen. XXII, 12,) Cependant Abraham l'a retiré vivant, l'a ramené sain et sauf. Comment donc ne l'a-t-il pas épargné ? Parce que, dit le Seigneur, ce n'est pas par l'événement, mais par la disposition de l'esprit que j'apprécie les sacrifices de ce genre. La main n'a pas frappé la victime; mais la volonté l'a frappée; le glaive n'a pas pénétré dans la gorge de l'enfant; la tête n'a pas été tranchée, mais il y a sacrifice, même sans effusion de sang. Les initiés aux mystères nous comprennent. Cet ancien sacrifice s'est accompli sans que le sang coulât, parce qu'il devait être la figure de notre sacrifice. Comprenez-vous que l'Ancien Testament vous présente une figure tracée longtemps d'avance ? Ne refusez pas votre foi à la vérité.

3. Donc , ce martyr (car la raison nous prouve que c'était bien un martyr) était prêt à endurer mille morts, et toutes, il les a subies, par la volonté, par le désir. Des dangers qui le menaçaient, un grand nombre a été en toute réalité affronté par lui. On l'a chassé de sa patrie, on fa relégué en exil; ses persécuteurs lui ont suscité bien d'autres douleurs, sans avoir rien à lui reprocher que d'avoir entendu ce que disait saint Paul, ils ont honoré, ils ont servi la créature, plutôt que le Créateur (Rom. I, 25), et d'avoir évité l’impiété, d'avoir craint d'enfreindre la loi. C'étaient des couronnes qu'il méritait, et non des poursuites. Mais voyez, considérez ici la perversité du démon. Il n'y avait pas longtemps que la guerre, allumée par les païens , était éteinte ; après les persécutions cruelles qui s'étaient succédées sans relâche, les Eglises commençaient partout à respirer ; il ne s'était pris écoulé beaucoup de temps depuis que tous les temples avaient été fermés, que le feu des sacrifices ne brûlait plus (515) sur les autels, que le dernier coup avait été porté à la folie des faux dieux; ce spectacle tourmentait le perfide démon; il ne pouvait supporter la paix de l'Église. Que fait-il alors? Il suscite une nouvelle guerre, guerre terrible. Celle d'auparavant était une guerre étrangère, celle-ci fut une guerre civile; de telles guerres sont beaucoup plus difficiles à prévenir, et elles écrasent vite leurs victimes.

A cette époque, ce bienheureux gouvernait l'Église à qui nous appartenons; voici venir la maladie, semblable à une peste d'Égypte, traversant toutes les cités sur son passage, hâtant sa marche vers notre ville. Mais lui, qui veillait, qui était attentif, qui voyait de loin l'avenir, s'efforçait d'écartée la guerre arrivant sur nous; comme un sage médecin, avant que le fléau eût envahi la ville où il résidait, il préparait les remèdes? il gouvernait avec fermeté ce vaisseau sacré; il était présent partout à la fois, excitant matelots, passagers, tout l'équipage, prenant le soin de les faire veiller, de les rendre attentifs, comme si les pirates envahissaient déjà le navire, s'efforçant de lui arracher, quel butin : le trésor de la foi? Et il ne se contenta pas de ces preuves de sa prévoyance; il envoya encore de tous côtés pour instruire, exhorter, disputer, intercepter toutes les entrées en présence des ennemis. La grâce de l'Esprit lui avait bien fait voir qu'un chef de l'Église ne doit pas s'inquiéter seulement de celle que l'Esprit a confiée à ses mains, mais de toute l'Église répandue sur la terre; les saintes prières lui avaient fait comprendre cette vérité. En effet, se disait-il, s'il faut prier pour l'Église universelle qui touche à toutes les extrémités de la terre, à bien plus forte raison, faut-il s'inquiéter également pour toutes les Églises, les embrasser toutes dans sa sollicitude, et ce qui arriva à Etienne, lui arriva aussi. Impuissants contre la sagesse d'Étienne, les Juifs lapidèrent le saint; de même les nouveaux persécuteurs, impuissants contre la sagesse d'Eustathe, voyant les forteresses bien armées, chassent de la ville le héros de la foi. On ne put le réduire au silence; on put bien chasser l'homme, mais on ne put chasser la doctrine. Paul fut enchaîné; la parole de Dieu ne fut pas enchaînée. (II Tim. II, 9.) Eustathe était relégué sur la terre étrangère, mais sa doctrine était au milieu de nous. Ils s'élancent donc à flots pressés contre lui avec toute la violence d'un torrent, mais sans pouvoir arracher les plantes, écraser les germes, ravager la culture, tant l'habileté, tant la science était grande, la science de celui qui avait cultivé la foi affermie sur de profondes racines. Maintenant il convient de vous .dire pourquoi Dieu permit que le saint fût chassé de ce pays. L'Église ne faisait que de commencer à respirer; l'administration du bienheureux n'était pas pour elle une médiocre consolation dans ses maux; il la fortifiait de toutes parts, et repoussait les assauts de ses ennemis.

Pourquoi donc fut-il chassé ? pourquoi Dieu accorda-t-il cette victoire à ceux qui l'exilèrent? Pourquoi enfin, pour quelle raison? Gardez-vous de croire que la vérité que nous allons proclamer ne serve qu'à résoudre la question présente : Souvenez-vous, dans vos entretiens, soit avec des païens, soit avec d'autres hérétiques, sur des sujets de ce genre, que notre réponse résout également toutes les questions. Dieu permet que la vraie foi, la foi apostolique subisse de nombreuses attaques, et que les hérésies, que le paganisme jouisse de la plus grande tranquillité. Pourquoi? pour vous faire comprendre l'infirmité des fausses doctrines ; on ne les inquiète pas, elles meurent d'elles-mêmes. Pour vous faire comprendre la force de la foi, on la combat, elle grandit en raison des obstacles. Ce n'est pas une conjecture que je fais, c'est un oracle divin, descendu du ciel; écoutons l'enseignement de Paul : lui aussi a souffert ce qui: est attaché à la condition de l'homme, il avait beau être Paul, il n'en participait pas moins à la nature humaine. Qu'a-t-il donc souffert? On le chassait, on le combattait, on le frappait de verges; il était inquiété, harcelé, traqué de mille manières, au dedans, au dehors, par ceux qui paraissaient ses amis et par les étrangers. A quoi bon énumérer toutes ses afflictions? Fatigué, ne supportant plus les assauts de tant d'ennemis, qui toujours empêchaient, interrompaient son enseignement et contrariaient sa parole, il se jette aux pieds du Seigneur, il le conjure, il lui fait entendre ces paroles: J'ai ressenti dans ma chair un aiguillon, qui est l'ange de Satan, pour me donner des soufflets; c'est pourquoi j'ai prié trois fois le Seigneur, et il m'a répondu : ma grâce vous suffit , car ma puissance éclate surtout dans la faiblesse. (II Cor. XII, 7, 8, 9.) Je sais bien que quelques personnes entendent ici, par faiblesse, la faiblesse du corps; mais il n'en est pas ainsi, non : (516) il entend par ange de Satan, ses adversaires; Satan est un mot hébreu qui veut dire adversaire. L'Apôtre appelle donc anges de Satan les instruments du démon, et les hommes qui le servent. Mais pourquoi, m'objectera-t-on, ajoute-il : dans ma chair? C'est que c'était sa chair qu'on frappait de verges , mais son âme se soulageait par l'espérance de l'avenir qui exaltait son courage; le démon n'atteignait pas cette âme, il n'en arrachait pas les intimes pensées; à la chair se bornaient les tortures, les machinations , les attaques du monstre ; impossible de pénétrer dans l'intérieur. C'était la chair qu'on taillait, qu'on flagellait, qu'on enchaînait (enchaîner l'âme, il n'y avait pas moyen) ; voilà pourquoi il s'écrie : J'ai ressenti dans ma chair un aiguillon, qui est l'ange de Satan, pour me donner des soufflets, indiquant par là les tentations, les afflictions, les persécutions. Et quoi ensuite? C'est pourquoi j'ai prié trois fois le Seigneur; c'est-à-dire je l'ai prié souvent, pour qu'il me fût permis de respirer hors des tentations. Quant à vous, n'oubliez pas ce qui m'a fait dire que Dieu permet qu'on maltraite ses serviteurs, qu'on les tourmente, qu'on leur inflige des maux sans nombre; il veut par là manifester sa puissance. Et, en effet, vous le voyez, quand Paul eut bien prié, pour obtenir que tant de maux, tant d'ennemis fussent écartés de lui, sa demande ne fut pas écoutée. Pourquoi ? Rien n'empêche de vous le redire : Ma grâce vous suffit, dit le Seigneur, car ma puissance éclate surtout dans la faiblesse.

4. Comprenez-vous bien pourquoi Dieu permet aux anges de Satan de poursuivre ses serviteurs, de leur susciter mille et mille embarras. Il veut faire éclater sa puissance. En vérité, dans tous nos entretiens, soit avec les Grecs, soit avec les malheureux Juifs, cette réponse doit nous suffire, pour démontrer la puissance de notre Dieu; tourmentée par des guerres sans nombre, la foi triomphe ; la terre entière se soulève contre elle; le genre humain tout entier s'acharne contre douze hommes avec la dernière violence, et, ces douze, ces apôtres ont bientôt, quoique frappés de verges, chassés, souffrant mille et mille affreux tourments, terrassé, vaincu leurs ennemis, et remporté une victoire pleine et entière l Donc Dieu a permis, que notre bienheureux, qu'Eustathe aussi fût envoyé en exil; nouvelle preuve de la puissance de la vérité et de l'impuissance des hérésies. En partant pour l'exil, ce bienheureux abandonnait la ville, sans doute, mais il n'abandonnait pas la charité qu'il ressentait pour vous; chassé de l'Eglise, il se croyait encore votre chef pour veiller sur vous; il ne se regardait pas comme devenu étranger à vos intérêts, qui le touchaient au contraire et lui étaient à coeur de plus en plus. Aussi vous convoquait-il tous , vous avertissant de ne pas succomber, de ne pas céder aux loups; de ne pas leur livrer le troupeau; de rester dans la bergerie; de fermer la bouche aux ennemis; de les confondre par vos discours; de raffermir nos frères imprudents. Que ses exhortations aient été salutaires, c'est ce que l'événement a démontré. Si vous n'étiez pas restés dans l'Eglise, c'en était fait de la plus grande partie de la cité : les loups dévoraient les brebis abandonnées; mais les discours du bienheureux ont prévenu l'impudence de la perversité. Ce n'est pas seulement l'événement qui l'a prouvé, la preuve en est aussi dans les paroles que fit entendre Paul, et dont notre bienheureux s'inspira. Que disait Paul? Au moment de son dernier voyage pour se rendre à Rome, au moment de quitter ses disciples pour ne plus les revoir: Je ne vous verrai plais (Act. XX, 25), leur disait-il; s'il leur adressait ces paroles, ce n'était pas pour les affliger, mais pour les raffermir. Donc, au moment de son départ, pour les raffermir, il leur disait : Je sais qu'après mon départ, il entrera parmi vous des loups ravissants, qui n'épargneront point le troupeau, et que d'entre vous-mêmes, il s'élèvera des gens qui publieront des doctrines corrompues. (Act. XX, 29, 30.) Triple guerre, la nature des bêtes féroces, la cruauté de la guerre ; et ce ne sont pas dés étrangers, mais des gens mêmes de la maison qui portent la guerre; guerre par cela même plus terrible. C'est évident. On s'élance sur moi, on m'attaque du dehors, il m'est facile de triompher; mais si le coup vient du dedans, de tout près de moi, de mon côté, la blessure est difficile à guérir. C'est ce qui arriva alors. Voilà pourquoi l'Apôtre exhortait ses disciples en leur disant : Prenez garde à vous-mêmes et à tout le troupeau. (Ibid. 28.) Il ne leur dit pas, abandonnez la bergerie, fuyez au dehors. Instruit par ces paroles, notre bienheureux exhortait de même ses disciples; et ce que ce maître sage et généreux avait entendu , il l'exprimait par sa conduite, qui confirmait ses discours. Il (517) n'abandonna donc passes brebis devant l'invasion des loups, quoiqu'il ne fût pas monté sur le siège de sa prélature ; mais peu importait à ce sage esprit, à cette âme généreuse. Les honneurs du commandement, il les abandonnait aux autres; quant aux fatigues du commandement il les supportait avec courage; aux prises, au milieu de son troupeau, avec les loups, les dents des bêtes féroces ne l'entamaient pas ; sa foi était plus forte, plus énergique que leurs morsures. Au milieu de son troupeau, luttant, occupant à lui seul tous, ces ennemis par le grand combat qu'il soutenait contre eux, il assurait à ses brebis une grande tranquillité.

Et il ne lui suffisait pas de les réduire au silence, de refouler les blasphèmes; on le voyait encore, parcourant son troupeau, s'informer si quelque infortuné avait reçu un trait, une blessure grave, et aussitôt il appliquait le remède. Par cette conduite, il alluma dans tous les coeurs la vraie foi, et il ne s'arrêta que quand Dieu envoya le bienheureux Mélèce, qui reçut l'ouvrage ainsi préparé; l'un avait fait les semailles, l'autre fit la moisson. Moïse et Aaron présentèrent un spectacle analogue. Ils furent en effet, tant qu'ils séjournèrent au milieu des Egyptiens, comme un ferment de vertu, qui rendit un grand nombre d'entre eux imitateurs de leur propre vertu. Moïse l'atteste quand il dit qu'une grande multitude de peuple mêlé était au milieu des Israélites. A l'exemple de Moïse, Eustathe, même avant d'être en charge, remplissait les fonctions de sa charge; avant de s'être mis à la tête de son peuple, Moïse punissait, avec une noble rigueur, ceux qui commettaient l'injustice; il vengeait ceux qui l'avaient subie ; de la table royale , méprisant honneurs et dignités, il courait à la terre que travaillaient ses mains, pour en faire des briques; à toutes les délices, à toutes les délicatesses d'une existence honorée, il préférait l'honneur de prendre soin de ses frères; les yeux fixés sur ce modèle, notre bienheureux, rempli lui-même de souci pour les siens, exhortait tous les chefs du peuple à préférer les fatigues, les tourments de toute espèce, à l'oisiveté tranquille; et chaque jour, il affrontait les haines obstinées; toutes les épreuves lui semblaient légères; il trouvait dans la cause de ses douleurs une raison suffisante de se consoler. C'est pourquoi, bénissons le Seigneur, efforçons-nous avec ardeur d'imiter les vertus de ces bienheureux saints, pour partager, nous aussi, avec eux, leurs couronnes, par la grâce et par la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, par qui et avec qui appartient au Père, et en même temps au Saint-Esprit, la gloire, l'honneur, la puissance dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

 

Traduit par M. C. PORTELETTE.

 

Haut du document

 

 

Précédente Accueil Remonter Suivante