IGNACE

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ÉLOGE DU SAINT HIÉROMARTYR IGNACE THÉOPHORE, ARCHEVÊQUE D'ANTIOCHE-LA-GRANDE, QUI FUT CONDUIT ET MARTYRISÉ A ROME ET, DE LA, RAPPORTÉ A ANTIOCHE (1).

 

AVERTISSEMENT ET ANALYSE.

 

Ce discours fut prononcé par saint Chrysostome peu de jours après l'homélie sur sainte Pélagie, mais il est impossible de savoir en quelle année. La fête de saint Ignace se célèbre dans l'Eglise d'Occident le ter février, et le 20 décembre chez les Grecs. Il est vraisemblable que l'homélie sur saint Ignace eut lieu le 20 décembre , jour marqué dans les plus anciens manuscrits. — (Voir la vie de saint Ignace, dans la Vie des Saints du P. Girg et de M. l'abbé P. Guérin.)

1° L'orateur rappelle que dans la dernière instruction, il avait célébré la bienheureuse martyre Pélagie ; après avoir montré que les personnes de toute condition, de tout âge, de tout sexe peuvent entrer en lice dans les combats de la foi, il témoigne son embarras, incertain par laquelle des vertus d'Ignace il doit commencer son éloge ; il trace son portrait en peu de mots, et se détermine à le considérer d'abord comme évêque, pour le considérer ensuite comme martyr. — 2° Il le loue d'avoir été jugé digne de l'épiscopat, d'avoir été ordonné par les apôtres (ce qui annonce qu'il possédait toutes les vertus d'un évêque), d'avoir été évêque dans des temps fort difficiles, d'avoir gouverné la ville d'Antioche, enfin d'avoir succédé à l'apôtre saint Pierre. — 3°, 4° Avant de célébrer Ignace comme martyr, l'orateur fait remarquer la cruauté et la malice des persécuteurs, qui s'attaquaient aux chefs afin de disperser les troupeaux, qui les faisaient transporter dans des pays éloignés afin d'affaiblir leur courage. Mais il montre qu'il est arrivé tout le contraire par rapport à Ignace ; que, transporté d'Antioche à Rome pour .y être dévoré par les bêtes, il a fortifié et animé sur toute sa route les fidèles, qui l'animaient à leur tour et le fortifiaient. Il fait voir quel a été le dessein de Dieu en permettant que Pierre, Paul et Ignace fussent immolés à Rome. — 5° Il exalte la satisfaction avec laquelle ce dernier se préparait à être dévoré par les bêtes, et l'empressement religieux avec lequel tous lés peuples ont été au-devant de ses saintes reliques lorsqu'on les transportait à Antioche. Il exhorte ses auditeurs à honorer sans cesse le tombeau du saint martyr, en leur annonçant les fruits qu'ils peuvent en recueillir.

 

1. Un homme riche qui se pique de magnificence, se plaît à donner de fréquents repas, autant pour faire montre de ses richesses, que pour offrir à ses amis des marques de bienveillance : ainsi la grâce de l'Esprit-Saint, pour fournir des preuves de son pouvoir, et pour signaler sa bienveillance envers les amis de Dieu, nous sert de continuels repas par le grand nombre de martyrs dont elle nous fait célébrer les fêtes. Dernièrement une jeune vierge, la bienheureuse martyre Pélagie, nous a servi avec la plus grande joie un repas

 

Traduction de l'abbé Auger, revue.

 

spirituel; sa fête est aujourd'hui remplacée parcelle du généreux martyr Ignace. Les personnes sont différentes, mais le banquet est le même; il y a divers combats, mais il n'y a qu'une couronne; les lices sont variées, mais le prix est unique. Dans les combats profanes, on ne doit choisir que des hommes, parce qu'on y dispute des forces du corps. Mais ici, où tous les combats sont spirituels, la carrière est ouverte, et les spectateurs s'assemblent pour l'un et l'autre sexe. Ce ne sont. pas des hommes seuls qui entrent en lice, pour que les femmes ne se rejettent pas sur la faiblesse de leur nature , et (506) ne paraissent pas avoir une excuse plausible; ce ne sont pas les femmes seules qui signalent leur courage, pour que les hommes n'aient pas trop à rougir; mais on voit parmi les uns et les autres beaucoup de vainqueurs proclamés et couronnés, afin que vous appreniez par les faits mêmes qu'en Jésus-Christ il n'y a distinction ni d'homme ni de femme (Gal. III, 28) ; que le sexe, l'âge, la délicatesse du tempérament, que rien, en un mot, ne peut nous empêcher de fournir des courses religieuses , pourvu que nous ayons de l'ardeur et du courage, pourvu que la crainte de Dieu, profondément enracinée dans nos âmes , les embrase et les anime. Voilà pourquoi les vierges, les femmes, les hommes, les jeunes gens, les vieillards, les personnes libres ou esclaves, toutes les conditions, tous les âges, tous les sexes, peuvent entrer également en lice pour ces combats, sans que rien puisse les arrêter, pourvu qu'ils y apportent une volonté ferme et généreuse.

La circonstance du temps m'engage à entrer dans le récit des vertus du bienheureux Ignace ; mais mon esprit embarrassé se trouble, et je ne sais ce que je dois dire en premier , en deuxième ou en troisième lieu, tant il s'offre à moi un vaste champ de louanges. Enfin j'éprouve le même embarras qu'un homme qui entrerait dans un jardin immense, où il apercevrait un nombre infini de fleurs diverses , dont la variété et la multitude l'embarrasserait sur le choix de celle qu'il voudrait prendre la première, parce que chacune attirerait à elle ses regards : de même nous, en entrant dans le jardin spirituel des vertus d'Ignace, qui nous offre non les fleurs que fait naître le printemps, mais les fruits variés dont l'Esprit-Saint a enrichi son âme ; nous ne savons sur laquelle nous devons arrêter préférablement notre pensée, parce que chacune de celles que nous voyons nous détourne des autres, et nous invite à contempler l'éclat et la beauté qui lui sont propres. Voyez la vérité de ce que j'avance. Ignace a gouverné notre Eglise avec le courage et le zèle que Jésus-Christ demande dans un évêque, et il a accompli la grande règle que le Fils de Dieu a établie pour l'épiscopat. Il avait lu dans l'Evangile que le bon pasteur donne sa vie pour ses brebis (Jean, X, 11) ; il a donné la sienne pour ses brebis avec une résolution courageuse. Il S'est vraiment trouvé avec les apôtres, il a puisé dans les vraies sources spirituelles. Or, quel devait être celui qui a été élevé avec de tels hommes, qui s'est trouvé partout avec eux, qui a eu part à toutes leurs entreprises, à toutes leurs démarches, et qu'ils ont jugé digne d'être à la tête d'une grande Eglise ? Il vivait dans un temps qui demandait une âme embrasée de l'amour divin, une âme capable de mépriser toutes les choses présentes, de préférer les objets invisibles aux visibles; on l'a vu se dépouiller de son corps avec la même facilité qu'on se dépouille d'un simple vêtement. Que dirai-je d'abord? parlerai-je de la doctrine des apôtres qu'il a prêchée sans relâche, ou de son mépris pour la vie présente, ou du zèle ardent avec lequel il a gouverné son Eglise? qui louerai-je en lui? le martyr, l'évêque ou l'apôtre? car la grâce de l'Esprit-Saint a composé une triple couronne pour en décorer sa tête vénérable, ou plutôt elle lui en a formé un grand nombre, puisqu'à bien examiner chacune de ces couronnes, on en verra d'autres naître et fleurir , comme des rejetons d'une seule tige.

2. Commençons, si vous voulez, son éloge par l'épiscopat. Cette partie vous paraît-elle n'offrir qu'une seule couronne? Vous verrez, si nous la développons, qu'elle en produit deux, trois, et même un plus grand nombre; car ce n'est pas seulement parce qu'il a été jugé digne de l'épiscopat que j'admire Ignace, mais parce qu'il a reçu cet honneur des apôtres, qui ont imposé leurs mains sacrées sur sa bienheureuse tête. Et je ne le loue pas seulement de ce que les apôtres ont attiré sur lui d'en-haut une plus grande grâce, de ce qu'ils ont fait descendre sur lui une vertu plus abondante de l'Esprit-Saint, mais de ce qu'ils ont témoigné, en le consacrant, qu'il possédait toutes les vertus dont un homme est capable. Je m'explique. Saint Paul écrivant à Tite.... Quand je nomme Paul, c'est comme si je nommais Pierre, Jacques, Jean , tout le choeur des apôtres. En effet, comme dans une seule lyre, il y a différentes cordes et une seule harmonie, de même dans le choeur des apôtres il y avait différentes personnes, et une seule doctrine, puisqu'il n'y avait qu'un seul maître, l'Esprit-Saint, qui les inspirait tous. C'est ce que saint Paul lui-même fait entendre en disant : Soit que la parole soit annoncée par moi ou par d'autres, voilà ce que nous votas prêchons. (I Cor. XV, 11.) Cet Apôtre donc écrivant à Tite, et voulant lui apprendre quel doit être un évêque, lui dit : Il faut qu'un (507) évêque soit irréprochable, comme étant le dispensateur et l'économe de Dieu, qu'il ne soit point altier; ni colère, ni sujet au vin, ni prompt à frapper, ni porté à un vil intérêt; mais qu'il exerce l'hospitalité, qu'il aime les gens de bien, qu'il soit sage, juste, saint, tempérant; qu'il soit attaché à la parole de vérité, telle qu'on la lui a enseignée, afin qu'il soit capable d'exhorter selon la saine doctrine, et de convaincre ceux qui la combattent. (Tit. I, 7, 8 et 9.) Ecrivant à Timothée sur le même sujet, il lui dit encore : Si quelqu'un désire l'épiscopat, il désire une fonction sainte. Il faut qu'un évêque soit irrépréhensible, qu'il n'ait épousé qu'une femme, qu'il soit sobre, prudent, bien réglé, aimant à exercer l'hospitalité, capable d'instruire; qu'il ne soit ni sujet au vin, ni prompt à frapper, mais équitable et modéré, éloigné des contestations et de tout esprit de vil intérêt. (I Tim. III, 1, 2 et 3.) Vous voyez quelle vertu, quelle perfection saint Paul demande dans un évêque. Lorsqu'un peintre habile veut faire le portrait d'un prince qui puisse servir de modèle, il emploie toutes ses couleurs, et travaille sa figure avec le plus grand soin, afin que tous ceux qui voudront l'imiter, trouvent dans son tableau un original accompli : de même le bienheureux Paul, voulant nous tracer le modèle d'un évêque comme celui d'un prince, a recueilli les traits différents de vertu, et a employé toutes les couleurs pour fournir un original parfait, afin que chacun de ceux qui seront élevés à cette dignité , envisageant ce modèle, s'acquitte avec cette même perfection des fonctions qui lui sont confiées.

Je puis dire avec assurance que le bienheureux Ignace a exprimé parfaitement en lui ce grand modèle. Irréprochable et irrépréhensible, il n'était ni altier, ni colère, ni sujet au vin, ni prompt à frapper : il était juste, saint, tempérant, éloigné de toute contestation, de tout esprit de vil intérêt, attaché à la parole de vérité telle qu'on la lui avait enseignée; il était sobre, prudent, modeste; enfin il possédait toutes les qualités que demande saint Paul. Et qui est-ce qui l'atteste, direz-vous? ceux mêmes qui, après avoir établi ces règles, l'ont nommé, eux qui n'auraient pas exhorté les autres, à examiner sévèrement les hommes qu'on doit placer sur le trône épiscopal, s'ils avaient procédé eux-mêmes avec négligence dans cet examen; eux qui n'auraient pas confié l'épiscopat à notre saint martyr, s'ils n'avaient pas vu son âme décorée de toutes les. vertus. Il savaient, sans doute, quel péril ont à courir ceux qui font de tels choix su hasard et sans réflexion. C'est ce que fait entendre le même saint Paul en écrivant au même Timothée : N'imposez légèrement les mains à personne, lui dit-il, et ne vous rendez point participant des péchés d'autrui. (I Tim. V, 22.) Quoi ! un autre a péché, et je suis participant de ses fautes et des peines qu'il mérite ! Oui, certes, puisque vous fournissez à un méchant les moyens de faire du mal. Et comme celui qui confierait un glaive tranchant à un furieux, ,à un insensé, serait coupable du meurtre qu'il commettrait avec cette arme; de même celui qui fournit à un homme pervers les moyens de nuire en lui confiant l'épiscopat, attire sur sa propre tête les supplices que ce méchant encourt par ses fautes et par ses excès, parce que celui qui fournit le principe du mal est cause de tout le mal qui doit suivre. Vous voyez comme jusqu'à présent l'épiscopat d'Ignace nous offre une double couronne, et comme la dignité des hommes qui l'y ont élevé lui donne un plus grand lustre, et rend témoignage à toutes les vertus qui brillaient en lui.

3. Voulez-vous que je vous découvre une troisième couronne qui sort, pour ainsi dire, et qui liait de la première : considérons le temps où Ignace a été nommé évêque. Il est bien différent de gouverner à présent l'Eglise et de l'avoir gouvernée alors; comme il est bien différent de marcher dans un chemin fait et battu où plusieurs ont déjà passé, et dans un chemin montueux, escarpé, rempli de pierres et de bêtes féroces, qu'il faut aplanir pour la première fois, et qui n'a encore été pratiqué par personne. A présent, par la grâce de Dieu, les évêques ne sont exposés à aucun péril; une paix profonde règne dans toute l'Eglise, et nous jouissons tous d'un- grand calme; la religion a été prêchée jusqu'aux extrémités du monde, et, les princes eux-mêmes gardent avec soin le dépôt de la foi. Il n'en était pas de même alors. De quelque côté que l'on portât les yeux, on ne voyait qu'abîmes et précipices, que guerres, , que combats et dangers. Magistrats, princes, villes, peuples, nations, étrangers, parents, tous persécutaient les fidèles. Et ce qu'il y avait encore de plus terrible, les fidèles eux-mêmes, tout (508) récemment instruits dans ces dogmes nouveaux pour eux, avaient besoin d'être traités avec beaucoup de condescendance : ils étaient faibles, ils tombaient souvent, et leurs chutes n'affligeaient pas moins ou même affligeaient beaucoup plus les docteurs de la foi que les guerres du dehors. Les combats et les persécutions du dehors leur donnaient de la joie par l'espoir des récompenses qui leur étaient réservées. Aussi les apôtres sortaient-ils joyeux du conseil, parce qu'ils avaient été battus de verges : Je me réjouis dans mes maux (Coloss. I, 24), s'écrie saint Paul, qui se glorifie partout dans ses afflictions. Mais les fautes des fidèles et les chutes de leurs frères, ne leur permettaient pas de respirer : c'était comme un joug accablant qui pesait sur leurs têtes et les opprimait sans cesse. Ecoutez comment cet apôtre, qui se glorifie dans ses souffrances, déplore amèrement ses peines intérieures. Qui est faible, dit-il, sans que je m'affaiblisse avec lui? qui est scandalisé sans que je brûle? (II Cor. XI, 29.) J'appréhende, dit-il ailleurs, qu'à mon retour je ne vous trouve pas tels que je voudrais, et que vous ne me trouviez pas aussi tel que vous voudriez. Et plus bas : J'appréhende que Dieu ne m'humilie lorsque je serai revenu citez vous, et que je ne sois obligé d'en pleurer plusieurs qui, étant déjà tombés dans les impuretés, les fornications et les dérèglements infâmes, n'en ont point fait pénitence. (II Cor. XII, 20 et 21.) Comme donc nous admirons, non le pilote qui peut conduire les passagers au port, lorsque la mer est tranquille, et que le vaisseau vogue au gré d'un vent favorable, mais celui qui peut diriger sûrement son navire lorsque la mer est furieuse, que les flots sont soulevés, que les passagers eux-mêmes sont en discorde, et qu'on est assailli au dedans et au dehors par de violents orages : de même on doit surtout admirer les pontifes chargés de gouverner l'Église, lorsque la guerre était allumée au dedans et au dehors, lorsque la plante de la foi encore tendre demandait les plus grands soins, lorsque le peuple fidèle, comme un enfant nouveau-né, voulait être ménagé avec attention et nourri sagement du lait des faibles.

Et afin que vous sentiez encore mieux quelles couronnes méritaient les hommes chargés alors de gouverner l'Église, quels travaux il fallait essuyer, quels périls il fallait courir dans les premiers temps de la prédication de la foi, je vais vous citer le témoignage de Jésus-Christ lui-même, dont les paroles confirment ce que nous disons. Comme il voyait beaucoup de monde accourir à lui, et qu'il voulait apprendre à ses disciples que les prophètes avaient plus travaillé qu'eux : D'autres ont travaillé, leur dit-il, et vous êtes entrés dans leurs travaux. (Jean, IV, 38.) Cependant les apôtres, dans la réalité, ont travaillé beaucoup plus que les prophètes; mais comme les prophètes avaient semé les premiers la parole sainte , comme ils avaient amené à la vérité des hommes qui n'étaient pas encore instruits, Jésus-Christ conséquemment leur attribue un plus grand travail. Il n'est pas égal, non il ne l'est pas, de venir instruire les peuples après plusieurs autres qui ont déjà travaillé à leur instruction, ou de jeter les premières semences de doctrine. On reçoit aisément des vérités sur lesquelles on a déjà réfléchi, auxquelles on est tout accoutumé; au lieu que ce qui est annoncé pour la première fois trouble l'esprit de ceux qui écoutent, en même temps qu'il cause de grands embarras à ceux qui instruisent. C'est là ce qui troublait les Athéniens lorsque saint Paul leur parlait; voilà pourquoi ils rebutaient cet Apôtre; ils lui reprochaient de leur enseigner une doctrine absolument étrangère pour eux. (Act. XVII, 20.) Si le gouvernement de l'Église donne aujourd'hui beaucoup de peine, combien n'en devait-il pas donner davantage, lorsqu'on était au milieu des périls, des combats, des persécutions et des craintes continuelles? Ce serait en vain, oui, en vain qu'on tenterait d'exprimer tous les obstacles que les saints avaient alors à surmonter ; il faudrait l'avoir éprouvé soi-même pour le connaître.

4. Parlerai-je d'une quatrième couronne ? quelle est cette couronne? sans doute d'avoir gouverné notre patrie. S'il est difficile de conduire cent ou même cinquante personnes seulement , de quelle vertu , de quelle sagesse ne fallait - il pas être doué pour être mis à la tête d'un peuple composé de plus de deux cent mille âmes? En effet, comme dans les armées on confie aux officiers les plus habiles le commandement des compagnies les plus distinguées et les plus nombreuses : de même l'on confie aux chefs les plus sages et les plus fermes le gouvernement des villes les plus grandes et les plus peuplées. Ajoutez que Dieu avait un soin particulier de la ville d'Antioche, comme l'a démontré sa conduite envers elle. Il avait mis Pierre à la tête de toute la terre, il lui avait confié les clefs du ciel et le gouvernement de toutes les Eglises ; il le chargea de demeurer longtemps parmi nous : tant notre ville seule était à ses yeux du même prix que le reste du monde !

Mais en parlant de Pierre, je vois se former une cinquième couronne, la gloire d'avoir succédé au prince des apôtres. Lorsqu'on ôte une grande pierre des fondements, on a l'intention d'y en substituer une de la même force, de peur d'affaiblir l'édifice et de l'exposer à une ruine totale : de même, lorsque Pierre devait s'éloigner de notre Eglise, la grâce de l'Esprit-Saint lui substitua un maître d'un égal mérite, pour que l'édifice ne perdît rien de sa solidité par la faiblesse du successeur.

Nous avons donc compté cinq couronnes pour notre saint pontife : l'importance de la place qu'il a occupée, la dignité de ceux qui l'y ont élevé, la difficulté des circonstances, la grandeur de la ville qu'il a eue à conduire, enfin la vertu du personnage qui lui a remis l'épiscopat.

A toutes ces couronnes je pourrais en ajouter beaucoup d'autres; mais afin de ne pas employer tout le temps à parler d'Ignace comme évêque, et qu'il nous en reste pour le considérer comme martyr, nous allons passer à ses glorieux combats.

Une guerre cruelle était allumée contre les Eglises; et comme si la terre eût été en proie à une tyrannie atroce, tous les fidèles étaient enlevés des places publiques, sans qu'on eût d'autre crime à leur reprocher, que d'avoir abandonné l'erreur pour entrer dans les voies de la piété, d'avoir renoncé aux superstitions des démons, de reconnaître le vrai Dieu, et d'adorer son Fils unique. La religion aurait dû valoir à ses zélés partisans, des couronnes, des applaudissements, des honneurs ; et c'était pour la religion même que l'on punissait, que l'on tourmentait par mille supplices, ceux qui avaient embrassé la foi, et surtout les chefs des Eglises ; car le démon, plein de ruses et de malices, espérait qu'en renversant les pasteurs, il viendrait aisément à bout de disperser les troupeaux. Mais celui qui confond les desseins des méchants, voulant lui montrer que ce ne sont pas les hommes qui gouvernent les Eglises, mais que c'est lui-même qui dirige les fidèles de tous les pays, a permis que les chefs fussent livrés au supplice, afin que lorsqu'il verrait que leur mort, loin de porter atteinte à la religion, loin d'arrêter le progrès de l'Evangile, ne faisait qu'en étendre l'empire, il apprit par les faits mêmes, lui et tous ses ministres, que la doctrine chrétienne n'a point son origine parmi les hommes, mais qu'elle prend sa source dans le ciel; que c'est Dieu qui gouverne toutes les Eglises du monde : et qu'il est impossible de triompher lorsqu'on fait la guerre au Très-Haut. Une autre ruse du démon, qui ne le cède pas à la première, c'est qu'il ne faisait pas égorger les évêques dans les Eglises dont ils étaient les chefs, mais qu'il les transportait dans un pays éloigné. Il se flattait de les affaiblir, en les privant des choses les plus nécessaires, en les fatiguant par la longueur de la route. Et c'est ainsi qu'il en usa à l'égard du bienheureux Ignace. Il l'obligea de passer d'Antioche à Rome, lui faisant envisager une course immense, et espérant d'abattre sa constance par les difficultés d'un voyage long et pénible. Mais il ignorait qu'ayant Jésus-Christ pour compagnon de ce voyage, le saint deviendrait plus robuste, il donnerait plus de preuves de la force de son âme, et confirmerait les Eglises dans la foi. Les villes accouraient de toute part sur la route pour animer ce généreux athlète; elles lui fournissaient des vivres en abondance, le soutenaient par leurs prières et par leurs députés. Elles-mêmes ne recevaient pas une consolation modique, en voyant ce martyr courir à la mort avec l'empressement d'un chrétien qui était appelé au royaume des cieux : son voyage même, son ardeur et la sérénité de son visage, apprenaient à tous les fidèles de ces villes que ce n'était pas à la mort qu'il courait, mais à une vie nouvelle, à la possession du royaume céleste. Il donnait ces instructions à toutes les villes qui étaient sur sa route, par sa course même, autant que par ses discours; et ce qui était arrivé aux Juifs au sujet de Paul qu'ils avaient chargé de chaînes pour l'envoyer à Rome, qu'ils croyaient envoyer à la mort lorsqu'ils envoyaient un maître aux juifs habitants de Rome, eut encore lieu au sujet d'Ignace, et d'une manière encore plus frappante; car ce n'est pas seulement pour les chrétiens habitants de Rome, mais pour toutes les villes de son passage, qu'il fut un maître admirable, un maître qui leur enseignait à ne faire aucun (510) cas de cette vie mortelle, à ne compter pour rien les choses visibles, à ne soupirer que pour les biens futurs, à envisager les cieux, à n'être effrayés par aucun des maux, par aucune des peines de cette vie. Voilà les instructions et d'autres encore, qu'il donnait par son zèle à tous les peuples chez lesquels il passait.

C'était un soleil qui se levait de l'orient et qui courait vers l'occident, en jetant plus d'éclat que l'astre qui nous éclaire. Cet astre lance d'en haut des rayons sensibles et matériels Ignace brillait ici-bas, instruisant les âmes, les éclairant d'une lumière spirituelle. Le soleil s'avance vers les régions du couchant, se cache et laisse le monde dans les ténèbres : c'était en s'avançant vers les mêmes régions qu'Ignace se levait, et que, jetant une plus grande splendeur, il faisait plus de bien à tous ceux qui étaient sur sa route. Lorsqu'il fut entré dans Rome, il enseigna à cette ville idolâtre une philosophie chrétienne; et Dieu permit qu'il y finît ses jours, afin que sa mort fût une leçon pour tous les Romains. Vous qui, par la grâce de Dieu, êtes confirmés dans la foi, vous n'avez plus besoin de preuves; mais les Romains, qui étaient alors plongés dans des erreurs impies, avaient besoin d'un plus grand secours. Pierre, Paul, et après eux Ignace, ont été immolés dans Rome, soit afin de purifier par leur sang une ville souillée par le sang des victimes offertes aux idoles, soit afin de prouver par des faits la résurrection de Jésus crucifié, en faisant sentir aux Romains qu'ils n'auraient pas témoigné un mépris si généreux de la vie présente, s'ils n'eussent été bien persuadés qu'ils allaient rejoindre Jésus crucifié, et qu'ils le verraient dans les cieux. Oui, la plus forte preuve de la résurrection de Jésus-Christ immolé pour nous, c'est qu'après sa mort il ait montré sa puissance, jusqu'à persuader à des hommes vivants de faire le sacrifice de leur patrie, de leur maison, de leurs amis, de leurs parents, de leur vie même, pour la confession de son nom; de préférer aux satisfactions présentes les coups de fouet, les combats, les travaux et même la mort. Ces prodiges de force ne sont pas l'ouvrage d'un simple mortel qui est resté dans le tombeau, mais d'un Dieu qui est ressuscité pour ne plus mourir. Eh quoi ! lorsque Jésus-Christ vivait, lorsque les apôtres jouissaient de sa société, ils auraient tous abandonné leur Maître, ils auraient pris la fuite ; et, après sa mort; non-seulement Pierre et Paul, mais Ignace, qui ne l'avait jamais vu, qui n'avait point vécu avec lui, auraient signalé pour lui leur zèle, jusqu'à lui faire le sacrifice de leur vie ! cela est-il concevable? Afin donc que tous les Romains fussent instruits par des faits, Dieu a permis que le bienheureux Ignace finit ses jours dans Rome.

5. Le genre de sa mort prouvera la vérité de ce que j'avance. Il n'a pas été condamné à périr hors des murs, ni dans la prison, ni dans quelque lieu écarté; mais il a subi son martyre dans la solennité des jeux, à la face de toute la ville assemblée pour le spectacle, en proie aux bêtes féroces qu'on avait lancées contre lui. Il mourut de cette manière, afin qu'érigeant un trophée contre le démon, à la vue de tous les spectateurs, ils fussent tous jaloux d'imiter de pareils combats, pleins d'admiration pour ce courage qui le faisait mourir sans peine, et même avec satisfaction. Il voyait donc d'un oeil content les bêtes féroces, non comme devant être arraché de cette vie, mais comme étant appelé à une vie meilleure et plus spirituelle. Qu'est-ce qui le prouve ? ce sont les paroles qu'il prononça quelques jours avant de mourir, lorsqu'il eût appris le genre de mort auquel il était condamné : Je vais donc jouir, disait-il, des bêtes féroces. Tels sont ceux qui aiment, ils reçoivent avec joie tout ce qu'ils souffrent pour les objets de leur amour; plus ils supportent pour eux de peines et de disgrâces, plus ils se croient au comble de leurs voeux. Et c'est ce qui est arrivé à notre saint martyr. Il était jaloux d'imiter, non-seulement la mort, mais le zèle des apôtres, et sachant qu'après avoir été battus de verges, ils s'étaient retirés du conseil avec joie, il voulait marcher sur les traces de ses maîtres, en mourant et en se réjouissant comme eux. Voilà pourquoi il disait : Je vais donc jouir des bêtes féroces. Il regardait les dents de ces bêtes comme plus douces que la langue du tyran; et avec bien de la raison : l'une voulait le précipiter dans les enfers, les autres lui obtenaient le ciel. Lorsqu'il eut terminé sa vie dans Rome, ou plutôt lorsqu'il eut pris possession du royaume céleste, il revint ici avec la couronne, prix de ses combats; et ce fut un dessein de la Providence divine, de nous ramener cet illustre martyr après l'avoir partagé entre plusieurs villes. Rome a reçu son sang versé pour la foi, vous avez honoré ses précieux restes; vous aviez joui de son épiscopat, les Romains ont joui de (511) son martyre; ils l'ont vu combattre, vaincre, et obtenir la couronne, vous le possédez maintenant pour toujours; Dieu qui vous l'avait retiré pour quelques moments, vous l'a rendu couvert de gloire; et comme ceux qui empruntent une somme la rendent avec intérêt, de même Dieu, après vous avoir emprunté pour quelque temps un riche trésor, et l'avoir montré à Rome, vous l'a rendu avec un plus grand éclat. Vous aviez envoyé un évêque et vous avez reçu un martyr; vous l'aviez envoyé en le comblant de voeux, et vous l'avez reçu avec des couronnes, et non-seulement vous, mais encore toutes les villes de son passage. Dans quels sentiments, en effet, pensez-vous qu'elles aient vu revenir les sacrées dépouilles de son humanité sainte? quelle a été leur joie? quelle a été leur allégresse? avec quelles acclamations ont-elles reçu cet athlète couronné ? Car, de même qu'un généreux athlète qui a vaincu tous ses rivaux, qui est sorti glorieux de la lice, est reçu à l'instant par tous les spectateurs, qui le portent sur leurs épaules, jusqu'à sa maison sans qu'il touche la terre, et qui le comblent à l'envi de louanges : ainsi toutes les villes, depuis Rome jusqu'à Antioche, ont porté sur leurs épaules notre bienheureux pontife, et nous l'ont ramené le front ceint d'une couronne, le comblant d'éloges, rendant grâces au souverain Juge des combats, insultant au démon de ce, que ses ruses s'étaient tournées contre lui, de ce que tous ses efforts contre le saint martyr avaient opéré sa plus grande gloire. Alors le saint évêque a été utile à toutes les villes par où il a passé, en leur donnant à toutes des instructions salutaires ; depuis ce temps jusqu'à cette heure, il enrichit la ville d'Antioche : et comme un trésor fécond où l'on puise tous les jours ne cesse de rendre plus riches ceux qui le possèdent; ainsi, le bienheureux Ignace ne renvoie dans leurs maisons ceux qui viennent à lui, qu'après les avoir comblés de bénédictions, les avoir remplis de confiance, de magnanimité et de courage.

N'allons donc pas à lui seulement en ce jour, mais tous les jours, pour moissonner, par son moyen, des fruits spirituels. Quiconque, oui, quiconque en approche avec foi, doit en recueillir les plus grands avantages, puisque les tombeaux des saints, et non-seulement leurs corps, sont remplis d'une grâce spirituelle. Et s'il est arrivé à Elisée, qu'un mort qui avait touché son tombeau, a rompu les liens du trépas, et est retourné à la vie, à plus forte raison, maintenant que la grâce est plus abondante, que les dons du divin Esprit sont plus efficaces, celui qui touche les tombeaux des saints doit-il en remporter la plus grande force. Le Seigneur nous a laissé leurs précieux restes, afin de nous inspirer le zèle dont ils ont été animés, afin de nous fournir un port, un asile, une consolation dans tous les maux qui nous affligent. Ainsi vous tous qui êtes en butte à la tribulation ou aux maladies, ou aux persécutions, qui vous trouvez dans quelque circonstance fâcheuse, ou qui êtes plongés dans les abîmes du péché, approchez d'ici avec foi, et vous serez délivrés de tous les fardeaux qui vous accablent, et vous vous en retournerez comblés de satisfaction, l'âme et la conscience rendues plus légères, par la vue seule de ce qui nous reste d'un saint pontife; ou plutôt, ce ne sont pas seulement les misérables qui doivent approcher de ce tombeau; que celui dont l'âme est tranquille, qui est dans la gloire ou dans la puissance, ou qui a une grande confiance en Dieu, ne dédaigne pas les avantages que peut procurer la vue d'un illustre martyr. Cette vue seule lui assurera les biens qu'il possède, en lui rappelant de grandes vertus, en lui apprenant, par ce souvenir, à se: modérer, à ne s'enorgueillir ni de son mérite, ni de ses succès, ni de ses bonnes oeuvres. Or, ce n'est pas un léger avantage pour ceux qui sont dans une situation heureuse, de ne point se laisser enfler par les prospérités de ce monde, mais de savoir les soutenir avec une juste modération. C'est donc ici un trésor utile à tous, un refuge commode et agréable, où les malheureux peuvent trouver la délivrance de leurs peines, ceux qui sont heureux, la confirmation de leur bonheur, les malades, le retour à la santé, ceux qui jouissent de la santé, un préservatif contre la maladie. Pénétrés de toutes ces idées, préférons de demeurer auprès de ce tombeau, à toutes les joies, à tous les plaisirs du siècle, afin que réjouis en même temps et enrichis, nous puissions parvenir au séjour bienheureux où les saints sont parvenus; nous puissions, dis-je, y parvenir par l'intercession de ces mêmes saints, parla grâce et la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, avec qui la gloire soit au Père et à l'Esprit-Saint, maintenant et toujours, dans tous les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

 

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