CYR et JULITTE

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LE XVI JUIN. SAINT CYR ET SAINTE JULITTE, MARTYRS.

 

Toutes les Eglises d'Orient, dans les diverses langues de leurs Liturgies, célèbrent la gloire de Julitte et de Cyr ; elles exaltent la dualité sainte du fils et de la mère contenant en soi le culte parfait de la Trinité souveraine (1). Car l'offrande de cette mère et de son fils s'unit d'elle-même au Sacrifice du Fils de Dieu : ce sont bien, en effet, les droits de la Trinité sainte, droits résultant pour tout chrétien du premier sacrement, droits absolus sur le corps et sur l'âme des plus petits eux-mêmes, que confessèrent et consacrèrent dans le sang de leur commune oblation sainte Julitte et saint Cyr. Saint Vite, hier déjà, rappelait au monde une vérité qu'oublieraient facilement nos générations dépourvues de science encore plus que d'amour : la paternité de Dieu, plus entière que toute autre, l'emporte aussi sur toutes dans les devoirs qu'elle impose à ses fils. L'enseignement s'accentue aujourd'hui, et il s'adresse aux parents tout d'abord.

Icône, patrie de Thècle la protomartyre, fut aussi celle de Julitte : fleur nouvelle, née de la tige des anciens rois, et dont l'éclat devait assurer à sa ville natale une plus durable renommée que

 

1. Sticheron Byzantii, ad diem XV Julii.

 

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tous les hauts faits de ces princes. Toutefois, comme si la cité d'Icône eût voulu reconnaître ainsi le bienfait de l'Evangile, qu'elle tenait directement du Docteur des nations, ce fut Tarse, patrie de Paul, qui reçut le témoignage de Julitte en son martyre

L'illustration que tirait de ses aïeux la descendante des rois de Lycaonie, n'était rien pour elle auprès de la noblesse qui lui venait de Jésus-Christ ; le titre de chrétienne est le seul qu'elle fera valoir devant les bourreaux, au grand jour de son triomphe. Ses biens de fortune étaient considérables; mais les richesses de ce monde, qui n'avaient jamais captivé sa pensée, la retenaient bien moins encore depuis que Dieu l'avait visitée en lui donnant un fils. Tous les trésors réunis n'étaient pas comparables à celui qu'elle portait dans ses bras, à cet enfant confié par le Seigneur aux soins de son maternel amour. Le baptême n'avait-il pas fait de ce corps si frêle le temple de l'Esprit-Saint ? Cette âme candide n'était-elle pas l'objet des complaisances du Père, qui retrouvait inaltérés dans sa suave innocence les traits mêmes de son Fils bien-aimé ? Aussi de quelle ineffable tendresse, de quelle vigilance toute religieuse la mère n'entourait-elle pas cette plante délicate, qui continuait de puiser la vie dans son sein, et s'y développait aux doux rayons du Soleil de justice! Elle n'était pas de celles en effet qui. sans raison, livrent à d'autres le soin de nourrir le fruit que leur sein a porté : comme si la nature ne répugnait pas à cette substitution, trop souvent désastreuse pour le corps ou l'âme même de ces êtres si tendres; comme si, surtout, le devoir incommunicable des mères chrétiennes et leur glorieux privilège n'était pas d'épier chez

 

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l'enfant, pour les tourner à Dieu, le premier éveil de l'intelligence, le premier mouvement de sa volonté. Julitte était heureuse; car elle sentait que Dieu bénissait le cher labeur qui désormais remplissait sa vie. Le lait qu'elle donnait avec tant d'amour imprégnait en son fils la mâle fierté de sa race, qui déjà ne se laissait dominer que par le nom du Seigneur Jésus. Rome, la conquérante, en rit bientôt l'épreuve et fut vaincue.

L'atroce persécution de Dioclétien bouleversait la terre, et venait d'afficher dans Icône ses édits sanglants. Julitte, qui ne craignait rien pour elle, redouta pour Cvr les maîtres païens qui l'auraient remplacée si la tourmente l'eût enlevée sans lui de ce monde. Elle sacrifia tout au devoir majeur de préserver l'âme de l'enfant dont elle avait la garde. Sans balancer, elle fuit vers une terre étrangère , laissant patrie , famille , richesses, emportant le seul bien qui la rattache à la vie. Deux servantes qui par dévouement suivent ses pas, ne peuvent la décider à se décharger sur elles de son précieux fardeau. Quand Dieu, qui veut donner à ses anges un spectacle digne d'eux, permet qu'elle tombe aux mains des persécuteurs, ils la trouvent portant toujours son fils; inséparables , Julitte et Cyr paraissent tous deux aux pieds du juge qui va les couronner ensemble.

On lira plus loin l'admirable scène qui alors honora la terre et ravit le ciel. Rien de plus authentique que tous les détails de ce récit, admis par Dom Ruinart dans la collection de ses Actes sincères. Mais rappelons-nous que celui-là seul sait honorer les Saints en étudiant leur histoire, qui profite des leçons laissées par eux au monde. Des attentats récents doivent nous avoir appris que l'héroïsme de Julitte n'est point  fait pour

 

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rester chez nous l'objet d'une admiration stérile, mais qu'il pourrait un jour servir à plusieurs d'exemple nécessaire. Le devoir ne change pas d'un siècle à l'autre; la difficulté de le remplir, qui peut varier avec les circonstances du temps OU du lieu, n'enlève rien à l'inflexibilité de ses exigences.

N'oublions pas , d'autre part , qu'elle aussi l'Eglise est mère , et qu'elle a devoir et droit d'allaiter ses enfants. Contre les tyrannies qui ont cherché à séparer d'elle ses fils, ses protestations n'ont jamais manqué. S'il arrive donc qu'un coup de force arrache des bras de sa mère un enfant de l'Eglise, il faut qu'il sache que son devoir à lui est de prendre modèle sur le fils de Julitte. N'est-il pas, lui aussi, le fils de la colombe ? Qu'il se montre tel ; qu'il s'obstine saintement à redire la parole, l'unique parole de l'Eglise; qu'il tende vers elle d'autant plus fortement et plus vivement, qu'on veut l'en éloigner davantage. Pourrait-il ne pas abhorrer les caresses odieuses de quiconque prétend remplacer sa mère? Tout autre secours lui faisant défaut, qui ne l'approuverait de repousser, comme Cyr, par les moyens en son faible pouvoir, la main qui chercherait à perdre son corps? Mais l'âme, en lui, est-elle donc moins précieuse?et ne devrait-il pas, au besoin, sacrifier le premier pour sauver celle-ci?

Nous devons le penser: ce n'est pas sans une vue de l'avenir que la Providence dirigea de bonne heure vers nos contrées les précieux restes des deux martyrs. A la fin même du siècle où fut rendu leur sanglant hommage au Dieu trois fois saint, on vit saint Cyr et sainte Julitte choisir la Gaule pour patrie d'adoption : émigration fortunée, qui devait être féconde en fruits de salut pour

 

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notre  pays. A peine fut apaisé le tumulte des invasions ,  que des sanctuaires nombreux s'élevèrent sous leur nom vénéré,  attestant combien leur culte était populaire et répondait aux instincts chevaleresques des Francs. Charlemagne, délivré par Cyr du sanglier mystérieux qui se retrouve près du saint enfant dans les diverses productions de l'art chrétien, voulut lui prouver sa reconnaissance; et c'est à dater de cette époque  que  l'antique cathédrale de Nevers, rebâtie parla munificence du grand empereur,  fut  placée sous le vocable de saint Cyr reconnu avec sa mère comme patron du  diocèse  entier. Le Nivernais resta fidèle à ses glorieux patrons ; (Quatre fois l'année, des fêtes en leur honneur allaient porter l'allégresse dans ses fraîches vallées et sur les montagnes boisées du Morvan. La principale de ces fêtes, après la solennité du présent jour, était celle qui rappelait l'arrivée bénie des reliques saintes ; elle était connue sous le nom de fête de la Susception de saint Cyr, et on la célébrait le 27 octobre.

Les diverses églises qui célèbrent aujourd'hui la fête de saint Cyr et de sainte Julitte, tirent la Légende plus ou moins développée qu'elles leur consacrent, de la lettre écrite au VI° siècle à leur sujet par Théodore, évêque d'Icône. Nous empruntons le texte suivant à l'église de Villejuif, près Paris, l'une des plus dévotes à nos deux saints martyrs et des plus riches de leurs reliques. Le nom actuel de Villejuif ne serait, d'après plusieurs auteurs ,  qu'une corruption de Ville-Julitte ou Villa-Julittœ.

 

De la Lettre de Théodore, évêque d'Icône, sur  le martyre des  saints  Cyr et Julitte.

 

Julitte était issue de la souche des rois d'îcone. La persécution sévissant avec violence sous Domitien, gouverneur de Lycaonie, elle s'enfuit de sa ville natale avec deux  servantes et Cyr son fils qui n'avait que trois ans. Ayant donc quitté tous ses biens qui étaient considérables,  elle arriva  à Séleucie. Mais elle y trouva les chrétiens encore plus tourmentés; le préfet que  Dioclétien  avait établi à Séleucie,  Alexandre, venait de recevoir de l'empereur un édit  qui ordonnait de soumettre à tous les supplices ceux qui refuseraient de sacrifier aux idoles. Julitte partit pour Tarse. Mais, comme s'il eût voulu la poursuivre, il se trouva que  le  barbare Alexandre s'y rendait en même temps. Notre grande martyre  Julitte fut arrêtée, portant  dans ses bras son fils Cyr, d'un âge encore  si tendre. Amenée au tribunal, Alexandre lui demanda son nom, sa condition, sa  patrie.  Elle  répondit avec assurance, et, se  couvrant uniquement du nom de Notre-Seigneur Jésus-Christ, elle dit : Je suis chrétienne.  Alexandre, enflammé de  colère, ordonna d'enlever l'enfant à sa mère et de le lui amener, pendant qu'on la battrait cruellement à coups de nerfs de bœuf.

 

On ne put que par la violence arracher l'enfant du sein de la généreuse mère ; de tous ses membres qu'il agitait il tendait vers sa mère, et n'en détachait point les yeux ; il fallut que les bourreaux l'apportassent au préteur. Celui-ci l'ayant reçu dans ses bras, le caressait doucement ; il s'efforçait d'arrêter ses larmes, et le plaçant sur ses genoux, cherchait à l'embrasser. Mais l'enfant, les yeux fixés sur sa mère, éloignait de lui le préteur, détournait la tête, et, s'aidant de ses petites mains, il lui égratignait le visage avec ses ongles. Enfin, comme le petit de la chaste tourterelle, imitant la voix de sa mère, le bienheureux enfant s'unit à la confession de Julitte, et crie avec elle : Je suis chrétien. En même temps il frappe de ses pieds les flancs du préteur. Furieux, le monstre (car on ne peut appeler homme celui que n'adoucit point l'innocence de cet âge) saisit l'enfant par le pied, et du haut de son siège il le jette à terre. La tête de la noble victime se brise contre les angles des degrés, la cervelle jaillit, et le tribunal entier est arrosé de sang. Remplie d'une allégresse qui ne peut se contenir à ce spectacle, Julitte s'écrie: Grâces vous soient rendues, ô Seigneur, d'avoir voulu que mon fils consommât son sacrifice et reçût avant moi de votre bonté la couronne immortelle !

 

Honteux et furieux, le juge fait suspendre Julitte sur le chevalet ; par son ordre, on lui déchire violemment les côtes, et on verse sur ses pieds de la poix bouillante. Pendant l'exécution, un héraut criait : Julitte, aie pitié de toi et sacrifie aux dieux; redoute la triste mort qui vient de frapper ton fils. Mais la vaillante martyre, inébranlable au milieu des tourments,criait elle-même: Je ne sacrifie point aux démons, mais j'honore le Christ, Fils unique de Dieu, par qui le Père a crée toutes choses ; j'ai hâte de rejoindre mon enfant, pour lui être réunie dans le royaume des cieux. Alors, poussant jusqu'au bout sa folie, le cruel juge prononça sa sentence contre celle dont il désespérait de vaincre la constance au combat : Cette femme, y était-il dit, aura la tête tranchée par le glaive, et le corps de son fils sera traîné au lieu où l'on jette les cadavres des criminels. Ce fut le dix-sept des calendes d'août que Julitte, l'illustre martyre, et Cyr, son glorieux fils, consommèrent par la grâce de Jésus-Christ leur triomphe. L'Eglise de Nevers les reconnaît pour ses Patrons, ainsi que plusieurs autres églises et monastères du royaume, entre lesquels la paroisse de Villejuif, près Paris, se glorifie de posséder une portion considérable des reliques des deux martyrs, et les entoure de la plus  grande  vénération.

 

 

Il est comblé, votre désir, ô Julitte ; vous avez rejoint votre enfant. Inséparables tous deux comme sur la terre, vous êtes l'ornement des cieux. Les anges vous admirent ; à la vue de cette mère et de son fils unis dans la louange du Dieu trois fois saint, ils comprennent que la production de leurs sublimes hiérarchies n'avait point épuisé la sagesse du Créateur. Epanouis à la fois sous le regard éternel, leurs neuf chœurs se communiquaient dans un ordre parfait lumière et amour ; mais rien, dans cet ensemble merveilleux, ne laissait soupçonner les rapports que le Seigneur méditait d'établir entre d'autres êtres créés également pour sa gloire. La nature humaine a sur l'ange cet avantage qu'elle imite, en se communiquant, l'essentielle relation de Dieu le Père et de son Verbe ; ce que ne font pasles plus hauts séraphins,l'homme, reprenant pour soi la parole de Dieu, peut dire à son semblable : « Vous êtes mon fils (1) » ! Or cette filiation, sans laquelle l'homme n'arriverait pas à la vie terrestre et caduque de ce monde inférieur, il la retrouve, non moins véritable, et pour l'éternité, dans les régions de l'ordre surnaturel ;

 

1. Psalm. II, 7.

 

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car la nature n'est qu'une faible image des réalités qui sont le partage des élus. C'est ainsi, ô Julitte, que vous êtes deux fois mère du saint enfant qui repose dans vos bras; mais combien ne l'emporte pas sur la première, dans l'ordre du temps, cette seconde naissance par laquelle vous l'avez engendré à la gloire ! L'enfantement de votre martyre l'emporta, lui aussi, en douleurs ; c'est la loi de toute maternité depuis la chute : la sentence qui atteignit Eve  (1) a son terrible écho dans le monde de la grâce.

Aujourd'hui, selon la parole du Seigneur, vous ne vous souvenez plus des souffrances (2). Le sacrifice de la mère et du fils, commencé dans l'angoisse d'une confession douloureuse, est aujourd'hui un sacrifice d'allégresse et de louange. Car votre commune oblation se poursuit au ciel : elle reste la base des relations si puissantes et si douces, où Dieu trouve sa gloire ; elle est la source des bénédictions que le Seigneur se plaît à répandre par vous sur la terre. Puissiez-vous, ô martyrs, hâter le retour de la vraie lumière dans cet Orient qui vous donna la vie et reçut en échange votre sang précieux ! Bénissez l'Occident, où tant d'églises célèbrent aujourd'hui votre fête. Que la France, votre seconde patrie, ressente toujours les effets d'une protection qui remonte si haut déjà dans les fastes de son histoire. Charlemagne à genoux devant Cyr, le grand empereur à vos pieds, nous révèle bien votre pouvoir, ô fils de Julitte ; et dans nos temps, votre fidèle Eglise de Nevers,gardée contre toute espérance de l'invasion prussienne qui ravageait les alentours, témoigne assez la permanence de ce pouvoir protecteur

 

1. Gen. III, 16. — 2.  JOHAN. XVI, 21.

 

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remis aux mains d'un enfant par le Dieu des armées.

Aujourd'hui ce n'est point d'hostilités étrangères qu'il s'agit, mais d'épreuves plus terribles encore, et qui, pour une part bien large, rappellent les vôtres. Soutenez la foi des mères, ô Julitte ; élevez leur christianisme à la hauteur des enseignements contenus dans vos glorieux combats. Devant la tyrannie qui s'empare de l'éducation pour perdre l'âme des petits enfants, que Cyr trouve partout des imitateurs. On en a vus déjà qui, sous l'odieuse pression de maîtres impies prétendant leur dicter des leçons condamnées par l'Eglise, ne savaient écrire que le Credo reçu de leur mère. Honneur à eux ! Sans nul doute, à ce spectacle vous avez tressailli, ô Cyr, et votre regard s'est arrêté avec complaisance sur ces émules que notre siècle vous donne. Tout n'est donc pas perdu encore pour notre malheureux pays. Avec votre mère, développez toujours plus dans les enfants de l'Eglise ce sentiment de la sainte liberté devenue leur part au baptême : c'est elle qui, soumise à toute puissance venant de Dieu, triompha pourtant des Césars ; c'est de sa noble indépendance à l'égard de tout abus de pouvoir que dépend encore le salut de la société.

 

 

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