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La voix de Catherine de Sienne : 2005 / 3 - N° 135  - Sept. / oct. 2005.

 
Sommaire  : Astenet sur la route des JMJ 2 ; Edito 3 : Cameroun: des amis...! 5 ; Benoît XVI aux JMJ 6
Catherine : le cri du lion 9 ; Où étais-tu quand j'avais mal? 10 Toute mort chrétienne est martyre  14 ; Prier pour les siens ! 15

Editorial

Le 29 septembre 05

Chers amis,


Ce mois d'octobre, l'Eglise célèbre son synode sur l'eucharistie. C'est l'occasion de nous laisser travailler davantage par cette parole du Père qui habitait tellement Catherine :

"Je veux faire miséricorde au monde" et "Je veux faire miséricorde... par mes serviteurs". Par serviteurs, elle entendait d'abord les ministres de l'Eglise chargés de distribuer les fruits de la vigne, et en particulier l'eucharistie. Et puis : tous les serviteurs ainsi nourris de l'amour du Christ.

A ce "Je veux" du Père, auquel Catherine s'est identifié, correspond notre prière : "Que Ta volonté soit faite". Et à la promesse de miséricorde, que Dieu voudrait offrir à une humanité défigurée par tant de violences et de mépris, nous répondrons avec plus de foi et de détermination : "Que Ton règne vienne".

Un jour que Catherine obtint finalement que l'exécrable Palmérina cesse de la haïr et de la calomnier jusqu'à son dernier souffle (Grrr...! moi, je l'aurais laissé cuire dans son jus!), celle-ci mourut dans la paix du repentir, réconciliée avec Dieu et avec son 'ennemie'. Alors le Seigneur dit à sa servante :

"Très douce fille, voici que par toi j'ai recouvré cette âme déjà perdue,
ne te semble-t-elle pas bien gracieuse et bien belle?
Qui donc n'accepterait pas n'importe quelle peine
pour gagner une créature si admirable?
Si moi qui suis la souveraine beauté, moi de qui vient toute beauté,
je me suis épris d'amour pour la beauté des âmes
au point de vouloir descendre sur terre
et répandre mon propre sang pour les racheter,
combien plus devez-vous travailler les uns pour les autres,
afin de ne pas laisser perdre de si belles créatures.
Si je t'ai montré cette âme, c'est pour te rendre plus ardente à procurer le salut
et pour que tu entraînes les autres à cette oeuvre, selon la grâce qui te sera donnée.
"


Raymond de Capoue n'a pas oublié ces paroles, puisque Catherine les commenta pour lui :

"0 Père, si vous aviez vu la beauté de l'âme raisonnable, je ne doute pas que pour le salut d'une seule âme, vous ne soyez prêt à subir cent fois la mort corporelle si c'était possible. Rien dans le monde sensible n'est comparable à cette beauté" {Vita, 2e P., Ch. VI).

Emerveillement, eucharistie et engagement... "Ite, missa est...!


Chantal  van der Plancke


Le 9 septembre, veille de la célébration annuelle au Sanctuaire Ste-Catherine à Astenet (Eupen), et en union de prière avec nos amis germanophones, notre équipe de Bruxelles a célébré l'eucharistie, suivie des vêpres, en communion toute particulière avec Mimie Bonnie et dans l'action de grâce pour son dévoué mari, Jean, entré dans la paix du Seigneur, en caterinato fervent. Mimie, nous te soutenons dans la même communion des saints!


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Des Amis pour incendier le monde

Entretien avec la Soeur Thérésine Souza
 

    Nous sommes dans la ville de Bertoua à l'Est du Cameroun. Ici, la matinée du 29 avril était festive et haute en couleurs. Eucharistie célébrée en « famiglia » dans la chapelle du Prieuré Saint Dominique et petit déjeuner très fraternel pris sous le regard maternel de la « dolcissima Mamma » dont l'image figure au fond du réfectoire. Le Prieuré a offert au Seigneur sa Délégation dont Catherine de Sbnne est la patronne, tous les Caterinati, ainsi que le pontificat de Benoît XVI, dix jours après son élection déjà accueillie et jugée avec méfiance par des clairvoyants progressistes. La siennoise avait, en effet, une vénération pour le Pape, « le doux Christ de la terre », l'appelait-elle, priait pour lui et recommandait une obéissance scrupuleuse à lui. La possibilité de la création d'un groupe des Amis de Catherine de Sienne évoquée une fois de plus par la Sœur Prieure dans l'entretien ci-dessous, avait antérieurement été envisagée.

Révérende Sœur, pouvez-vous vous présenter et parler brièvement la Délégation de votre Congrégation au Cameroun ?

Je suis Sœur Thérésine Souza. J'appartiens à la Congrégation des Sœurs Dominicaines de la Bienheureuse Imelda, Délégation Sainte Catherine de Sienne au Cameroun. Notre Délégation est née en 1992, quatre ans après notre arrivée dans ce pays. Elle compte dix religieuses à vœux perpétuels, - dont quatre Italiennes, quatre Brésiliennes et deux Camerounaises -, trois jeunes professes, une novice de deuxième année, une postulante, une aspirante interne et plusieurs jeunes en discernement Nous sommes présentes à Bertoua, à Ndjangané (Est Cameroun) et à Yaoundè. Nous oeuvrons dans les domaines de l'éducation particulièrement des enfants et des jeunes. L'Eucharistie est le centre de notre spiritualité.
 

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particulièrement des enfants et des jeunes. L'Eucharistie est le centre de notre spiritualité.

Votre appartenance à la famille dominicaine est pour beaucoup dans le choix de Catherine de Sienne comme patronne de votre Délégation. Est-ce que sa doctrine, parce qu'elle appartient au patrimoine commun de la spiritualité catholique, a aussi milité en faveur de ce choix?

Je pense honnêtement que nous avons choisi sainte Catherine comme patronne de notre Délégation du Cameroun plus parce qu'elle est femme, religieuse (tertiaire) dominicaine, comme nous, et qu'elle a marqué son époque par son courage de creuser une place et de s'engager au sein de la société et de l'Eglise de son temps qu'à cause de sa spiritualité à laquelle nous ne sommes pas indifférentes.

Catherine a été une contemplative dans l'action. Bien qu'elle ne soit pas la fondatrice de votre Congrégation, sa spiritualité a sans doute une influence particulière sur votre charisme. En quoi est-elle inspiratrice de l'engagement missionnaire de votre Délégation ?

En tant que dominicaine, sainte Catherine incarne pour nous l'idéal de saint Dominique : sa vie de contemplation et d'action, sa compassion qui se fait acte concret (prière, pénitence, conseil, prédication, etc.) envers tous ceux qui ont besoin d'aide, de lumière et de réconfort Elle nous inspire tout particulièrement dans notre mission ici au Cameroun par son amour courageux de l'Eglise. On se souvient que ses pensées, ses actions, ses démarches, ses prières ont été durant toute sa vie l'illustration de cette phrase qu'elle avait prononcée peu avant de mourir : « L'unique cause de ma mort est l'amour de l'Eglise qui me brûle et me consume ». Ce même amour lui a fait découvrir que nous sommes avant tout des frères, que

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l'on soit pape, politicien, évêque, marié, prêtre, noble, religieux, membre de famille, etc. Sa liberté à annoncer le bien et à dénoncer le mal d'où qu'il vienne et sa recherche passionnée de la vérité et de la Vérité, de la fraternité, de la justice et de la paix nous sont également source d'inspiration. Catherine est une femme qui s'est donnée à fond à ce qu'elle croyait, sachant garder l'équilibre entre son besoin à la fois de solitude et de présence active, et les besoins humains, matériels et spirituels du monde qui l'environnait.

Catherine et Imelda : deux femmes, deux époques différentes et deux figures qui ont marqué le monde ?

Oui, c'est le cas de le dire. A quel titre me demanderez-vous peut-être encore ?

Catherine, fille de teinturier, femme mûre se forgeant un espace déjà au sein même de sa propre famille dont les enfants étaient nombreux et où elle n'occupait ni le premier ni le dernier rang faisant naître un nouveau style de service au sein d'une Eglise chancelante, dans une ville, une région à feu et à sang, divisée par des clans politiques. Elle s'est forgée un caractère tout feu tout flamme dans lequel douceur et fermeté s'alternaient. Sa spiritualité veut irradier tout cet environnement. Elle a beaucoup écrit et beaucoup a été écrit à son sujet. Elle est d'une grande renommée.

Imelda, par contre, est une fillette (12 ans) inconnue, malgré ses origines de noblesse, et fille unique dans le cadre bien structuré d'un monastère. Son histoire n'a rien de scientifique, bien au contraire elle frise la fable. Une petite fille dont le seul mérite aurait été de mourir le jour même de sa première communion. Le Père Giocondo, notre fondateur, a entrevu dans cet événement un profond amour pour l'Eucharistie et a pu conclure : « On ne meurt pas pour quelque chose ou quelqu'un pour lequel ou pour qui on n'a pas vécu ». Ainsi est-il devenu pour elle, lui qui avait déjà un amour tout particulier pour l'Eucharistie, un grand et passionné propagateur.

L'Association Internationale Catherine de Sienne, vous dit-elle quelque chose ?

Pas comme auparavant. C'est la toute première fois que j'entends parler d'elle. Et j'en suis fière. Catherine était d'une certaine manière religieuse et laïque à la fois, sa spiritualité peut être vécue aussi bien par des religieux que des laïcs.

Votre dernier mot.

Je souhaite bon vent à tous les Caterinati et que, pourquoi pas, le groupe s'implante aussi ici chez nous. Avec eux, c'est la famille et la spiritualité de saint Dominique, « véritable apôtre dans le monde », qui se répandent et incendient sans cesse le monde.

Recueilli par KHONDE MUTU Jean-Claude.
Prêtre Fidei donum Grand Séminaire N.-D. de l'Espérance
Bertoua - Cameroun
 

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Benoît XVI : Laissez-vous enflammer par le feu de l'Esprit

Le témoignage des saints

«Cologne n'est pas seulement la Ville des Mages. Elle est profondément marquée par la présence de nombreux saints qui (...) ont contribué à la croissance de l'Europe sur des racines chrétiennes. Je pense de manière particulière aux martyrs des premiers siècles, hommes et femmes, telles la jeune sainte Ursule et ses compagnes qui, selon la tradition, furent martyrisées sous Dioclétien. Et comment ne pas évoquer saint Boniface, l'Apôtre de l'Allemagne, qui fut élu Évêque de Cologne en 745 (...)? À cette ville est lié aussi le nom de saint Albert le Grand, dont le corps repose tout près d'ici, dans la crypte de l'église Saint-André. À Cologne, Albert le Grand eut comme disciple saint Thomas d'Aquin, qui, ensuite, y fut aussi professeur. Sans oublier le bienheureux Adolphe Kolping, mort à Cologne en 1865, qui de cordonnier devint prêtre et fonda de nombreuses œuvres sociales, surtout dans le domaine de la formation professionnelle (...). Notre pensée va à Edith Stein, éminente philosophe juive du vingtième siècle, qui entra au Carmel de Cologne sous le nom de Thérèse-Bénédicte de la Croix et qui mourut dans le camp de concentration d'Auschwitz. Le Pape Jean-Paul II l'a canonisée et déclarée co-patronne de l'Europe avec sainte Brigitte de Suède et sainte Catherine de Sienne.
Par ces saints et par tous les autres saints, connus et inconnus, nous découvrons le visage le plus intime et le plus vrai de cette ville, et nous prenons conscience du patrimoine de valeurs qui nous a été légué par les générations chrétiennes qui nous ont précédés. C'est un patrimoine très riche. Il nous appartient d'en être à la hauteur. C'est une responsabilité que même les pierres des antiques édifices de la ville nous rappellent. Sur les valeurs spirituelles, il est du reste possible de mettre en œuvre une compréhension réciproque entre les hommes et entre les peuples, entre les cultures et entre les civilisations, même différentes.

Vivre le souffle universel de l'Eglise

Je remercie les représentants des diverses confessions chrétiennes et des autres religions de leur présence (...), espérant que cela pourra susciter un progrès sur la voie de la réconciliation et de l'unité entre les hommes. En effet, Cologne ne nous parle pas seulement de l'Europe, mais elle nous ouvre à l'universalité de l'Église et du monde. C'est ici qu'un des trois Mages a été vu comme un roi maure, et donc comme le représentant du continent africain. Ici, selon la tradition, sont morts martyrs saint Géréon et ses compagnons, de la légion thébaine. Indépendamment de la crédibilité strictement historique de ces traditions, le culte de ces saints, qui s'est développé au cours des siècles, témoigne de l'ouverture à l'universel des fidèles de Cologne et de l'Église qui a grandi en Allemagne en raison de l'action apostolique de saint Boniface. Une telle ouverture a été confirmée, dans des temps récents, par de grandes initiatives caritatives telles que Misereor, Adveniat, Missio et Renovabis. Ces œuvres, nées aussi à Cologne, rendent la charité du Christ présente sur tous les continents.

Aujourd'hui, vous, jeunes du monde entier, vous êtes ici les représentants des peuples lointains qui ont reconnu le Christ à travers les Mages et qui furent réunis dans le nouveau peuple de Dieu, l'Église, qui rassemble des hommes et des femmes de toutes les cultures. À vous aujourd'hui, revient la tâche de vivre le souffle universel de l'Église. Laissez-vous enflammer par le feu de l'Esprit, afin qu'une nouvelle Pentecôte renouvelle vos cœurs. Que, par vous, les jeunes de votre âge de toutes les parties de la terre parviennent à reconnaître dans le Christ la réponse véritable à leurs attentes et qu'ils accueillent le Verbe de Dieu incarné, mort et ressuscité pour le salut du monde. »


Extrait du discours d'accueil des 'JMJistes'
prononcé sur le parvis de la Cathédrale de Cologne, le 18 août 2005


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Le cri du lion

Comment Catherine réveille un Cardinal

Après l'avoir exhorté à l'humilité, elle poursuit :

"Je vous ai dit que je désirais vous voir comme un agneau à la suite du véritable Agneau; maintenant je vous dis que je veux vous voir comme un lion puissant, qui rugisse dans la sainte Eglise; que votre voix et votre vertu soient assez fortes pour ressusciter les enfants morts qui sont dans son sein.

Si vous demandez où est ce cri, la voix puissante de l'Agneau, ce n'est pas son humanité qui se fait entendre, car il est la douceur même; mais c'est la divinité qui donne la puissance au cri du Fils, par la voix de son infinie charité (...) C'est cette vertu qui a changé l'agneau en lion; et du haut de la Croix, il a poussé un si grand cri sur l'enfant mort de l'humanité, qu'il le délivra de la mort et lui donna la vie. Nous recevons de lui la force, parce que l'amour qui nous vient du doux Jésus nous fait participer à la puissance du Père."

Au Cardinal de Porto, Pierre Corsini, qui avait suivi le parti des cardinaux français. Lettre écrite probablement après févr.- mars 1376. (Téqui, Let. Il, pp. 271-277; Let. 177 en Italien).


Chaires de vérité de Nicolas Pisano: dans le Dôme de Pise (1263) et dans celui de Sienne (1268). A la bas, la symbolique christologique de la lionne et du lion qui vient "ressusciter " ses lionceaux morts-nés.
 


"La lionne passe pour mettre au monde le lionceau mort-né : 'elle le met au monde par la bouche, et tout mort : ce n'est que pièce de chair en forme de lionceau. Trois jours le garde ainsi tout mort', rapporte le Physiologus. Le père revient le troisième jour et, par son souffle et son rugissement, l'éveille à la vie (...) Cette croyance a été mise en parallèle avec le passage du Christ au sépulchre avant son retour triomphant lors de la Résurrection : le Christ, après avoir passé trois jours dans le tombeau, fut réveillé par la voix du Père. Jacob en dit : 'Il a dormi comme le lion, comme le petit du lion' (Gen 49,9)." (1)

"On rapporte que la lionne donne le jour à des lionceaux morts-nés, mais trois jours après, un rugissement les rend à la vie. De même le Christ est resté étendu dans le tombeau comme un mort, mais le troisième jour, il s'est levé, réveillé par la voix de son Père" ( Honorius d'Autun, Sermon De paschali die, col 935).

Les légendes d'animaux, décrites dans les Bestiaires médiévaux, sont inspirées du vieux Physiologus, dont le texte original est perdu, mais qui semble remonter au lléme siècle du christianisme, en Orient. Ces légendes passèrent dans le recueil de sermons d'Honorius d'Autun. Les prédicateurs nourris de ce recueil les rendirent populaires. La même image du lion se retrouve dans un sermon de St Bernard, In die sancto Paschae, Sermo 5 : "Suscitatus est paterna voce leonis catulus" (PL 183, 277).

Une nature qui parle du salut

L'idée que que l'homme se fait des choses eut toujours pour le Moyen Age plus de réalité que les choses-mêmes. On comprend pourquoi ces siècles mystiques n'eurent pas la moindre idée de ce que nous appelons la science. L'étude des choses prises en elles-mêmes n'avait alors aucun sens pour les hommes de pensée. Comment eût-il pu en être autrement, puisque le monde était conçu comme le discours du Verbe, donc chaque être était une parole. Discerner les vérités éternelles que Dieu a voulu faire exprimer à chaque chose, retrouver en toute créature une ombre du drame de la chute et de la rédemption, telle était la tâche du savant qui observait la nature. (2)


(1). Art. sur "Le lion" in Le symbolisme du bestiaire médiéval sculpté, Dossier de l'Art, hors série n° 103, déc. 2003-janv.
2004, pp.74 -85.

(2). E. Mâle. L'art religieux du Xllle siècle en France, éd. A. Colin, Poche, Biblio essai 4076,1993, pp. 85-86.
 

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Où étais-tu quand j'avais mal?

Catherine secourt un homme.

Elle lui présente de l'eau, de la nourriture, un médicament... Peu importe le contenu de la coupe qui, comme le Graal, représente le miracle de la charité et la source du salut.
Cette coupe est le trait d'union symbolique entre la sainte, au geste impétueux, et le malade qui relève la tête. La courbe des deux corps ferme le cercle entre celui qui donne et celui qui reçoit.

Terracotta de Pierluigi Olla, 2003.
La Patrona d'Italia, déc. 2004


L'amour a deux pieds, deux ailes


Lorsque Raymond de Capoue raconte la vie de sa fille spirituelle, qui fut aussi sa mère, il "fait observer avec beaucoup d'esprit que le Sauveur, qui auparavant apparaissait à Catherine dans sa cellule, se présentait maintenant devant sa porte, en la priant de l'ouvrir, non pour qu'// pût entrer, mais bien afin qu'e//e en sortit ! Catherine lui répondait alors, avec l'Epouse du Cantique : 'Je me suis dépouillée de toute préoccupation temporelle, donc dois-je m'en revêtir encore? J'ai purifié mes pieds de la poussière terrestre, dois-je les en souiller à nouveau?' Mais le Seigneur lui enseignait que la loi renferme deux commandements: l'un prescrivant l'amour de Dieu et l'autre l'amour du prochain... 'Je veux que tu accomplisses ces deux préceptes', lui disait-il, 'que tu fasses la route sur ces deux pieds, que tu voles vers le ciel avec ces deux ailes...' " (J. Joergensen, Sainte Catherine de Sienne, 1939, p. 92).

Bénie soit celle qui vient au nom du Seigneur.

Question de voler au secours du prochain, nous voyons Catherine au chevet des malades de l'âme et du corps: elle fréquentait le petit hôpital du Camporeggio, le spedaluccio, situé près du couvent Saint-Dominique (où passe aujourd'hui la via del Paradiso) où les Mantellate exerçaient l'office de gardes-malades.

Mais elle passait surtout des jours et des nuits au grand hôpital Notre-Dame de Sienne, Santa Maria della Scala, construit par la république en 1186, en face de la cathédrale, "à la gloire et à la louange de Dieu, à l'honneur des saints et saintes du ciel, à l'exaltation de l'Eglise en même temps que de la ville et du peuple de Sienne". Agrandi au fil du temps, le bâtiment comportait une infirmerie pour les malades, un asile pour les enfants

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trouvés et une hôtellerie pour les pèlerins. On y nourrissait aussi les pauvres de la ville. Cette forme d'hospitalité routière accueillait les pèlerins qui traversaient l'Europe, par la via francigena, en direction de Rome, ou de Brindisi vers Jérusalem.

Ce n'étaient point des infirmiers salariés qui desservaient une telle concentration de souffrances et de besoins, mais bien une confrérie dont les hommes et les femmes vouaient leurs personnes et leurs biens au soin des pauvres et des malades. Hommes et femmes s'occupaient chacun de leur section, l'aumônier allant de l'une à l'autre. Le maître d'hôtel s'occupait du service des tables et de l'ordre dans le réfectoire, les infirmiers prodiguaient leurs soins, le pelegrinario accueillait les nouveaux venus et le camerlingo veillait à la gestion économique d'un tel ensemble.

Catherine y prodiguait sa tendresse aux malades les plus atteints et les plus délaissés. Pour rester plus proche d'eux, elle passait même des nuits et veillait souvent durant les heures les plus pénibles.

Sta Maria della Scala (à l'emblème de l'échelle), face à la cathédrale
 

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Sur les pieds du désir

On dit souvent que l'amour donne des ailes. Un très beau film de Wim Wenders s'intitule "Les ailes du désir". Mais l'élan de Catherine vers ceux qui souffrent et vers son Bien-Aimé sur la Croix prend appui sur un marche-pied très divin: la Bien-Aimée ne marche pas seulement sur les traces de son maître, elle prend appui sur lui.

Elle ne se penche pas seulement sur les âmes des autres et sur leurs corps, en accomplissant "les oeuvres de miséricorde" (1 ), mais, blessée par ses propres péchés, elle gravit "l'échelle à trois marches" qu'est le corps de Jésus crucifié, assoiffé de notre salut. Ainsi le Père lui décrit-il le corps de son Fils.

"Le premier échelon, ce sont les pieds, lesquels signifient le désir. En effet, de même que les pieds portent le corps, de même le désir porte l'âme. Les pieds cloués te servent d'échelon pour que tu puisses atteindre le côté, lequel te manifeste le secret du coeur.

En effet, dès qu'elle s'est élevée sur les pieds du désir, l'âme commence à goûter le désir du coeur en fixant l'oeil de l'intelligence dans le coeur ouvert de mon Fils où elle trouve le parfait, l'ineffable amour... Alors l'âme se remplit d'amour en voyant qu'elle est tant aimée.

Ainsi élevée au deuxième échelon, elle atteint le troisième, c'est à dire la bouche (2), où elle trouve la paix après la grande guerre qu'elle avait eue à cause de ses péchés.

Ainsi du premier échelon, en élevant de terre les pieds du désir, l'âme s'est dépouillée du vice, au second, elle s'est revêtue de l'amour et des vertus; au troisième, elle a goûté la paix" (D 40).

"Donne-moi à boire"

Catherine parle du désir de Jésus de nous voir réconciliés avec son Père: le Fils de Dieu en porte la souffrance depuis son Incarnation, "quand vint au monde le grand Médecin", comme elle l'appelle dans ses prières. Ce désir de notre salut est symbolisé par la faim et la soif que Jésus endure aussi physiquement sur la Croix.

"0 Doux et bon Jésus, en même temps que tu montres ta soif,
tu demandes qu'on te donne à boire.
Et quand demandes-tu à boire à l'âme?
Lorsque tu montres ton Amour, ô mon Seigneur...
(!)"

Catherine souligne "cet admirable échange", comme celui qui eut lieu au bord du puits de Samarie.

(1) Dès le Xle s., le programme de miséricorde (Soulager les pauvres, visiter les malades, enterrer les morts) proposé aux clercs et aux laïcs prend une valeur propre, non subordonnée à l'idéal contemplatif des cloîtrés.


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"Donner à boire au Créateur," par l'intermédiaire du prochain

"Le sang nous manifeste l'ineffable amour,
puisque par amour il a donné son sang,
et avec le même amour, il nous demande à boire.
Cela veut dire que celui qui aime
demande à être aimé et servi,
et il est juste que celui qui aime soit aimé.
Alors l'âme donne à boire à son Créateur
quand elle lui rend amour pour amour.
Seulement,
elle ne peut lui rendre ce service à lui-même,
mais par l'intermédiaire du prochain."(Let 8).

Catherine se rendait aussi au petit hôpital San Lazzaro, situé à une demi-heure de Fontebranda, hors de la Porta Romana. C'est là qu'elle allait, matin et soir, soigner fidèlement la pauvre lépreuse Cecca. "Elle lui préparait et lui servait elle-même tout ce qui est nécessaire à sa nourriture. Avec le regard de l'esprit, nous dit son confesseur, elle voyait son Epoux dans cette épreuve et le servait en toute diligence et révérence.... Voyant Catherine si complètement dévouée à son service, la lépreuse commença d'exiger comme une dette ce qu'une charitable liberté lui accordait" (Vita, ch IV). La malade devint d'une telle exigence et impatience que Catherine en fut vraiment mise à l'épreuve. Elle contracta sa maladie et n'en fut guérie qu'après l'avoir assistée jusqu'au bout et enseveli son corps de ses propres mains.

Ils sont encore nombreux aujourd'hui ceux et celles qui, jour après jour, assistent de grands malades atteints de dépression ou d'autres souffrances qui ne facilitent pas la communication et ne rendent pas toujours ce service gratifiant. Où donc puiser ses forces?

"Si tu me dis : 'Comment puis-je avoir cet amour?', je te répondrai que nous ne pouvons l'avoir qu'en
puisant à la source de la Vérité suprême.
A cette source tu trouveras ta dignité, la beauté de ton âme;
tu verras le Verbe, l'Agneau immolé qui s'est donné à toi pour nourriture et pour rançon,
uniquement poussé par le feu de la charité,
et non par les services de l'homme dont il n'avait reçu que des offenses.
L'âme qui boit à cette source devient altérée et affamée de vertus; elle y boit aussitôt (...) voyant tout dans
la fontaine de la bonté de Dieu (...) 'Qui a soif, qu'il vienne à moi et qu'il boive'
" (Lett. Téqui, p. 1657).
Ch . van der Plancke

(2) "Le mot latin pour adoration est ad-oratio - contact bouche à bouche, baiser, accolade et donc en définitive amour. La soumission devient union, parce que celui auquel nous nous soumettons est Amour. Ainsi la soumission (...) nous libère à partir du plus profond de notre être." (Benoît XVI, lors de la messe des JMJ, Cologne 2005)

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Toute mort chrétienne est martyre

Le 16 août 2005, Frère Roger Schutz fut assassiné alors qu'il était en prière. Comme Mgr Romero, ou Thomas Becket... Comme un agneau, il a été égorgé. Mais personne ne pouvait enlever une vie qui était déjà totalement donnée.

Durant ces vacances aussi, que de morts accidentelles, de victimes d'incendies ou d'intempéries.
Et parmi nos amis et connaissances, que de "départs" à travers bien des souffrances.

Ste Catherine a bravé bien des dangers pour accomplir sa mission: risques de contagion lorsqu'elle soignait les malades de la peste, tentative d'assassinat auquel elle échappa à Florence... Et elle aurait bien voulu mourir martyre ! Pas pour le panache, mais pour donner sa vie, quitte à verser son sang comme son Maître et Seigneur.

Donner sa vie, quelle qu'en soit l'ultime forme ! "Aimer, c'est tout donner et se donner soi-même", dit Th. de Lisieux, qui mourut dans son lit. Ou encore cet anglais :

" Lorsqu'en tant que chrétiens nous parlons de la mort, nous ne faisons pas simplement référence à l'acte physique de mourir, maintenant associé à la mort cérébrale. Nous parlons de la remise complète de nous-mêmes à Dieu. La mort par excellence est celle de Jésus. A notre baptême, nous avons été plongés dans sa mort, afin que nous puissions marcher avec lui dans une vie renouvelée. Chaque sacrement nous introduit à sa façon dans la mort et la résurrection du Christ...
Chaque jour nous essayons de toujours mieux parvenir à cette remise de nous-mêmes en Dieu dans un parfait amour. Notre mort physique porte ultimement cet élan intérieur à son apogée. En ce sens on peut dire que toute mort chrétienne est martyre.

On associe volontiers le martyre à une mort sanglante et douloureuse. En fait les martyrs sont ceux dont la mort manifeste de façon éclatante leur total abandon d'eux-mêmes à la volonté de Dieu dans l'accomplissement d'un amour fidèle. Ce qui est si dramatiquement manifesté dans la mort d'un martyr est cet élan qui demande à être parfait en chacun de nous jusqu'à l'instant de notre mort."


Roderick Strange
Oxford 1983-1989; 1998 : Rome, Beda College.
Trad. Magnificat, Août 2005
 

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Prier pour les siens !


Le testament de Jésus

Comme un père de famille prie pour ses enfants, Jésus, sur le point de partir, prie pour ses disciples. Il s'adresse à son Père en toute intimité : "Père l'heure est venue. Glorifie ton Fils, afin que le Fils te glorifie..." (Jn 17,1). En clair, que par sa mort, sa résurrection et son ascension dans le ciel, chacun puisse voir qui II est: le Fils du Père, le Sauveur. Que la gloire de Dieu soit manifestée dans sa sainteté. Et il conclut : "Je te prie pour eux... : Ils sont à Toi, et tout ce qui est à moi est à Toi, comme tout ce qui est à Toi est à moi, et je trouve ma gloire en eux" (Jn 17, 9-10).

C'est parce que les hommes sont à lui que le Père, le Créateur, les donne au Fils. Il les lui donne pour que grâce à lui, ils connaissent le Père et aient en eux la vie éternelle, l'amour des trois personnes. Le Fils veut que la gloire de Dieu se manifeste en eux et que là où il va, ceux -ci le rejoignent : dans le sein du Père.

Amener les siens vers le Père

Avec une certaine audace, Catherine paraphrase pour ses disciples la prière sacerdotale de Jésus. Sentant venir sa fin, elle invoque le Père qui peut défaire son "vase" d'argile. En un véritable "Acte d'abandon", elle s'offre pour l'Eglise, prie pour ses disciples - dont nous sommes -, implore le pardon et la bénédiction.

"A toi, Père éternel, moi misérable,
j'offre de nouveau ma vie pour ta douce épouse...

Je te recommande mes très chers enfants,
et s'il plaisait à ta miséricorde et à ta bonté
de me tirer de ce vase sans m'y faire plus retourner,
de ne pas les laisser orphelins (1).
Mais visite-les par ta grâce
et fais-les vivre morts (2)
avec une vraie et parfaite lumière,
et lie-les avec le doux lien de la charité,
afin qu'ils meurent dans l'amour de cette douce épouse.

Je te prie, Père éternel,
qu'aucun ne soit enlevé de mes mains;
pardonne-nous toutes nos iniquités...

A toi j'offre et je recommande mes enfants bien-aimés, parce qu'ils sont mon âme...
Donne Père éternel, donne-nous ta bénédiction. Amen
"

 

Oraison XXVI, Trad. L. Portier, Cerf, 1992, pp. 110-111.

(1) "Je ne vous laisserai pas orphelins..." (Jn 14,18).
(2) " morts" à l'amour-propre qui aveugle


 

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