SERMON XLIX
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SERMON XLIX. Comment le discernement règle la charité et fait que tous les membres de l'Église, c'est-à-dire les élus, se tiennent par des liens réciproques.

1. « Le Roi m'a fait entrer dans le cellier au vin, il a réglé en moi la charité (Cant. n, 4). » Selon le sens littéral de ce verset, après que l'Épouse, au comble de ses vœux, a eu un entretien aussi doux que familier avec son bien-aimé, le voyant s'éloigner, elle retourne vers les jeunes filles, mais à la voir toute pleine et tout enflammée de ses regards et de ses paroles, on la croirait ivre. Les jeunes filles sont toutes surprises de cette nouveauté et lui en demandent la cause: elle répond qu'elles ne doivent pas s'étonner si, étant entrée dans le cellier, elle s'est enivrée. Voilà pour ce qui est du sens littéral. Elle ne nie pas qu'elle ne soit ivre, mais c'est d'amour, non de vin, si ce n'est que l'amour même est un vin. « Le roi m'a fait entrer dans le cellier au vin. » Lorsque l'Époux est présent, et que l'Épouse lui adresse la parole, elle l'appelle son Époux, son bien-aimé, celui que son Ame aime. Mais lorsqu'elle parle de lui aux jeunes filles, elle le nomme roi. Pourquoi cela? Je crois que c'est parce qu'il convient mieux à l'Épouse qui aime et qui est aimée, d'user avec familiarité de termes d'amour, et qu'il est à propos de retenir les jeunes filles par une parole de respect et de majesté, parce qu'elles ont besoin d'une discipline plus sévère.

2. « Le Roi m'a fait entrer dans le cellier au vin. » Je passe sous silence quel est ce cellier,parce que je me souviens de l'avoir dit ailleurs. Néanmoins, on peut encore entendre cela de l'Église, lorsque les disciples, étant remplis du Saint-Esprit, le peuple croyait qu'ils étaient ivres. Ce qui fit que saint Pierre, en sa qualité d'ami de l’Époux, prenant la parole pour l'Épouse, s'écria : « Ceux-là ne sont pas ivres comme vous le pensez (Act. II, 15). » Considérez qu'il ne nie pas qu'ils soient ivres, mais qu'ils le soient de la manière que ce peuple le croyait. Ils étaient ivres, en effet, mais du Saint-Esprit, non pas de vin. Et, comme s'ils eussent voulu prouver au peuple qu'ils avaient été vraiment introduits dans le cellier au vin, saint Pierre dit, en parlant pour eux tous : « Mais c'est là l'accomplissement de ce qui a été dit par le prophète Joël . Et il arrivera dans les derniers jours, dit le Seigneur, que je répandrai mon esprit sur toute chair, et vos fils et vos filles prophétiseront. Nos jeunes gens auront des visions, nos vieillards auront des songes. » Ne vous semble-t-il pas que la maison où les disciples étaient assemblés soit un grand cellier, « lorsque tout-à-coup on entendit un grand bruit du ciel, comme le souffle d'un vent impétueux, qui remplit la maison où ils demeuraient (Act. II, 2), » et accomplit la prophétie de Joël ? Chacun d'eux, sortant enivré de l’affluence des biens de cette maison, et abreuvés d'un torrent de délices immortelles, ne pouvait-il pas dire avec raison : « Le Roi m'a fait entrer dans le cellier au vin ? »

3. Vous aussi, si vous voulez entrer dans la maison d'oraison avec un esprit recueilli et désoccupé des soucis du monde, et que, vous tenant en la présence de Dieu auprès de quelque autel, vous touchiez la porte du ciel comme avec la main de vos saints désirs, et que, présenté au choeur des saintes par la ferveur de vos prières, car l'oraison du juste pénètre dans les cieux , vous déploriez devant eux, avec une humilité profonde, vos misères et vos afflictions spirituelles, vous découvriez vos nécessités par des soupirs fréquents et des gémissements ineffables, et leur demandiez avec instance le secours de leur intercession: Si, dis je, vous faites ces choses, j'espère en celui qui a dit : « Demandez et vous recevrez (Matth. VII, 7); » si vous persévérez à frapper à cette porte, vous ne vous en irez point les mains vides. Et, lorsque revenant vers nous plein de grâce et d'amour, tout ardent et tout embrasé, vous ne pourrez plus dissimuler le don que vous aurez reçu, vous nous le communiquerez sans envie, et vous serez non-seulement agréable à tous, mais peut-être même admirable à cause des grâces qu'on vous aura données; vous pourrez aussi protester avec vérité que le Roi vous a fait entrer dans son cellier. Prenez garde seulement de ne pas vous glorifier en vous-même, mais dans le Seigneur. Je ne prétends pas pourtant que tous les dons, quoique spirituels, sortent du cellier au vin, car il y a encore d'autres celliers ou offices chez l'Époux, où sont enfermés di vers dons et diverses grâces selon les richesses de sa gloire. Je me souviens vous en avoir parlé plus amplement dans un autre endroit (Jer. XXIII). « Ces biens-là, dit-il, ne sont pas cachés chez moi, et scellés dans mes trésors (Deut. XXXII, 34).» Ainsi, la division des grâces se fait selon la différence des celliers, et le Saint-Espri4 se communique à chacun selon ses besoins. Et si l'un reçoit le don de sagesse, l'autre le don de science, celui-ci le don de prophétie, celui-là le don des miracles, des langues ou de l'interprétation des Écritures et autres semblables dons, ils ne peuvent pas dire néanmoins qu'ils ont été introduits dans le cellier au vin; parce que ces grâces-là viennent d'autres celliers ou d'autres trésors.

4. Mais si quelqu'un dans l'oraison obtient la grâce d'être comme ravi hors de lui-même dans le secret de la divinité, d'où il revient bientôt après embrasé d'un ardent amour de Dieu, enflammé du zèle de la justice et rempli d'une extrême ferveur pour tous les exercices spirituels, en sorte qu'il puisse dire : « Mon cœur s'est échauffé en moi-même, et le feu qui me dévore s'allume encore davantage dans mes méditations (Psal. XXXVIII, 4), » évidemment il aura raison de dire qu'il est entré dans le cellier au vin, lorsque, dans l'excès de son amour, il se mettra à exhaler les effets de cette salutaire et bienheureuse ivresse. Car, y ayant deux extases dans la contemplation, l'une de l'esprit et l'autre du cœur, l'une qui se fait par la lumière de l'entendement, et l'autre par la ferveur de la volonté; l'une par la connaissance, et l'autre par l'amour; les pieux désirs, les mouvements enflammés du cœur, l'infusion d'une dévotion sainte, le zèle ardent de l'esprit, ne peuvent sortir d'ailleurs que du cellier au vin, et celui qui se lève de l'oraison, rempli de l'abondance de ses grâces, peut dire avec vérité que le Roi l'a fait entrer dans ce cellier.

5. L'Épouse dit ensuite : « Il a réglé en moi la charité. » Il était sans doute bien nécessaire qu'il le fit, puisque le zèle est insupportable sans la science; là surtout, où le zèle est grand, la discrétion est nécessaire, parce que c'est elle qui règle et ordonne l'amour. Le zèle sans la science est toujours moins efficace et moins utile, mais souvent il est très-dangereux. Plus donc, le zèle est fervent, l'esprit véhément, la charité abondante, plus il est besoin d'une science qui veille sans cesse, pour modérer le zèle, tempérer la chaleur de l'esprit, régler l'amour. C'est pourquoi, de peur que les jeunes filles ne redoutent l'Épouse, comme excessive et insupportable, à cause de l'impétuosité d'esprit, qu'elle semble avoir rapportée du cellier au vin, elle ajoute qu'elle a aussi reçu le discernement, c'est-à-dire l'ordre de l'amour. Car c'est le discernement qui donne l'ordre à toutes les vertus, et l'ordre produit la grâce et la beauté, et même la durée des choses. C'est ce qui fait dire au Prophète : « Le jour persévère par votre ordre ( Psal. CXVIII, 91). » appelant jour la vertu. Le discernement n'est donc pas tant une vertu particulière, que le conducteur et le modérateur de toutes les vertus, qui ordonne les affections, et règle toute la conduite de la vie. Sans elle la vertu dégénère en vice, et l'amour même naturel, se change en des passions qui détruisent la nature. « Il a ordonné en moi la charité. » Cela est arrivé dans l'Église ; Jésus-Christ a donné, aux uns, le ministère d'apôtres, aux attires, celui de prophètes, d'évangélistes, de pasteurs et de docteurs, pour la consommation des saints. Or, il faut qu'une même charité les lie tous ensemble dans l'unité du corps de Jésus-Christ. Ce qui ne se pourra jamais faire, si cette charité n'est ordonnée. Car si chacun, se laissant emporter à la chaleur et à l'impétuosité de son esprit, voulait faire indifféremment tout ce qui lui vient à l'esprit, suivant plutôt son propre mouvement, que le dictamen de la raison , il est clair que ce ne serait plus une unité, mais une confusion et un désordre, puisque personne, ne se contentant du ministère qui lui est confié, empiéterait sur celui des autres, par une témérité indiscrète.

6. « Il a ordonné en moi la charité. » Plût à Dieu que le Seigneur Jésus, voulût aussi, par la. grâce, ordonner en moi le peu de charité qu'il y a mise, afin que j'eusse tellement soin de tout ce qui le regarde, que je veillasse néanmoins principalement, et avant toutes choses, à m'acquitter de ce que je dois, mais eu sorte pourtant que je fusse encore plus touché de beaucoup de choses qui ne me concernent pas au même degré. Car il ne faut pas toujours aimer davantage les choses dont nous devons avoir plus de soin, puisque souvent elles sont moins utiles que d'autres. Ainsi il est arrivé bien des fois, que la chose que nous préférons à une autre (a) qu'on nous commande, doit passer après elle, au jugement de la raison, que l'ordre de la charité veuille qu'on embrasse avant tout, ce que la charité juge devoir être préféré à tout. Par exemple n'ai-je pas reçu le soin de veiller sur vous tous. Tout ce que je préférerais à ce soin, et qui m'empêchera de m'acquitter de ce devoir avec toute l'exactitude que je puis, selon mes forces, quand même je le ferais par un motif de charité, ne serait-ce point conforme néanmoins à la raison de l'ordre? Si je m'applique à cet emploi de préférence à tout autre, comme je le dois, et que je ne me réjouisse pas plus des avantages de Dieu, que je verrai peut-être un autre procurer, il est clair que je garde en partie l'ordre de la charité, mais que je ne le garde pas en tout. Mais si je m'occupe principalement à ce dont je suis principalement chargé, et que d'ailleurs je ne laisse pas d'être plus touché des choses qui sont plus grandes que celles que je fais, il est hors de doute que je conserve entièrement l'ordre de la charité, et qu'il n'y a rien qui m'empêche da dire . « il a ordonné la charité en moi. »

7. Si vous dites qu'il est difficile qu'on se réjouisse plus d'un grand bien que fait un autre, que d'un petit bien que l'on fait soi-même, cela nous fera connaître encore plus l'excellence de la grâce, qu'a reçue

a Telle est la leçon de toutes les éditions que nous avons entre les mains, et des premières éditions en général. Les éditions postérieures, ajoutent à ces mots: « Au jugement de Dieu, » et Horstius a lu d'une autre manière que voici : « Par conséquent ce que la vérité préfère, passe avant, un jugement de, etc. .

l'Épouse, et que toute âme ne peut pas dire comme elle: « il a ordonné en moi la charité. » Pourquoi ce discours semble-t-il en abattre quelques-uns d'entrevous ? Car ces profonds soupirs sont une marque de la tristesse de l'âme et. de l'abattement de la conscience. C'est que, en faisant réflexion sur nous-mêmes, nous sentons par notre propre expérience, combien c'est une vertu rare de ne point porter envie à la vertu d'autrui, bien loin de s'en réjouir, bien loin de sentir augmenter notre joie à proportion que nous voyons qu'un autre augmente ses bonnes couvres, et nous surpasse en mérites. Il y a encore un peu de lumière en nous, mes frères, si du moins nous avons ces sentiments. Marchons, tandis que nous avons encore de la lumière, de peur que les ténèbres ne nous surprennent (Joan.XII, 31.). Marcher, c'est faire des progrès. L'Apôtre marchait lorsqu'il disait : « Je ne crois pas être arrivé à la perfection, et qu'il ajoutait : mais j'ai une chose, c'est que, oubliant ce qui est derrière, je m'avance vers ce qui est devant moi. » Que veut-il dire par ces mots : « J'ai une chose ? » C'est-à-dire il me reste une chose qui est un remède, une espérance et une consolation. Et qu'elle est cette chose ? «Je m'avance vers ce qui est devant moi. » Certes c'est un grand sujet de confiance, pour nous, que ce vase d'élection dise qu'il n'est pas parfait, mais qu'il profite. Le danger c'est donc d'être surpris par les ténèbres de la mort, non pas en marche, mais assis. Or, quel est celui qui est assis, sinon celui qui ne se soucie pas d'avancer? Donnez-vous garde de cet état, et quand vous serez prévenu de la mort, vous irez dans un lieu de rafraîchissement. Vous direz à Dieu : « Vos yeux ont vu mes faiblesses et mes imperfections, et cependant, dit le Prophète, tous sont écrits dans votre livre (Psal. CXXXVIII, 16). » Qui, tous? Sans doute ceux qui sont trouvés dans un désir véritable, de s'avancer dans la vertu. Car il y a ensuite : « Les jours seront formés, et nul d'entre eux, » il faut sous entendre, ne périra. Entendez par les jours, ceux qui profitent, et qui, s'ils sont prévenus de la mort, recevront la perfection de ce qui leur manque. Ils sont formés et nul d'entre eux ne demeurera sans être entièrement perfectionné.

8. Et dites-nous comment puis-je profiter quand je porte envie au progrès de mon frère ? Si vous êtes fâché de lui porter envie vous sentez votre mal, mais vous n'y consentez pas. C'est une passion qu'il faut guérir non point une action à condamner. Seulement n'eu demeurez pas là, en formant de mauvais desseins dans votre cœur, et en pensant aux moyens à fomenter votre maladie, de satisfaire à cette perte de l'âme, de persécuter un innocent en calomniant ses actions, en les rabaissant, en les corrompant, et ne l'empêchez pas de faire de bonnes œuvres. Car cette jalousie, lorsqu'on y résiste, ne nuit point à celui qui marche et qui s'avance vers un état plus parfait, parce que ce n'est pas lui qui agit par ce mouvement, mais le péché qui habite en lui (Rom. VI, 20). La damnation n'est donc point préparée pour celui qui ne fait pas servir ses membres à l'iniquité, ni sa langue à la médisance, ni quelqu’autre partie de son corps à nuire et à faire du tort à son prochain en quelque manière que ce soit, et qui au contraire rougit d'être dans cette disposition, et tâche par sa confession, par ses larmes, par ses prières, de détruire un vice auquel il est sujet depuis si longtemps, s'il n'en peut venir à bout il en est plus doux envers tous, et plus humble en lui-même. Qui est l'homme sage qui voudrait condamner une personne qui a appris du Seigneur à être doux et humble de cœur (Matth. XI, 29) ? A Dieu ne plaise que celui-là soit exclu du salut quand il imite le Sauveur et l'époux de l'Église, qui étant Dieu est au dessus de toutes choses et béni à jamais. Ainsi soit-il.

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