SERMON XXXII
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SERMON XXXII. Le Verbe se communique sous la forme d'un Époux aux âmes embrasées d'amour pour lui, et sous la figure d'un médecin à celles qui sont encore faibles et imparfaites. Les pensées de haine diffèrent les unes des autres d'où vient cette différence.

1. «Apprenez-moi où vous paissez votre troupeau, et où vous reposez durant le midi (Cant. I, 6). » C'est là que nous en sommes restés; c'est de là que notas devons partir pour en venir à ce qui nous reste à dire. Mais avant de commencer à parler de cette vision et de cet entretien, je crois qu'il ne sera pas mauvais de reprendre, en peu de mots, les autres visions précédentes, et de montrer comment elles peuvent nous être. appropriées spirituellement, selon les vœux et les mérites de chacun, afin que, les ayant comprises, si toutefois Dieu nous en fait la grâce, nous entendions plus aisément ce que nous avons à dire ensuite. Mais cela est très-difficile, car les paroles dont on se sert pour exprimer ces visions ou ces ressemblances, font entendre des choses corporelles, et sont corporelles elles-mêmes; et néanmoins ce qu'on nous veut faire comprendre par elles est spirituel, et c'est l'esprit qui en doit chercher les causes et les raisons. Or, qui est capable de souder et de comprendre tant de différents mouvements et progrès de l'âme, par lesquels cette grâce de la présence si variée de l'Époux nous est dispensée ? Néanmoins, si nous rentrons en nous-mêmes, et que le Saint-Esprit daigne nous montrer par sa lumière ce qu'il ne dédaigne pas de faire continuellement en nous par son opération, j'espère que nous ne serons pas entièrement privés de l'intelligence de ces choses. Car j'aime à croire que nous n'avons pas reçu l'esprit de ce monde, mais l'esprit de Dieu, pour savoir quels sont les dons que Dieu nous a faits ( II Cor. II, 12).

2. Si donc quelqu'un de nous trouve avec le Prophète, que ce lui est un grand bien d'être étroitement uni à Dieu, et, pour parler plus clairement, s'il y a quelqu'un parmi nous de tellement rempli de zèle, qu'il désire sortir de ce corps mortel, et être avec Jésus-Christ, mais qui le désire fortement, qui en ait une soif ardente, et médite sans cesse sur ce sujet, celui-là sans doute ne recevra point le Verbe autrement que sous la forme d'Époux, lorsqu'il sera visité par lui, c'est-à-4ire dans le temps où il se sentira étreindre au dedans comme avec les bras de la sagesse, et qu'il recevra l'infusion de la douceur d'un saint amour. Car les désirs de son cœur se trouveront exaucés, quoiqu'il soit encore dans ce corps, comme dans un lieu de bannissement, qu'il ne possède l'Époux qu'en partie, et pour un temps, et même pour un temps fort court. Car après avoir été cherché avec beaucoup de veilles et de prières, de travaux et de larmes, il se présente enfin à l'âme, tout d'un coup, lorsqu'on croit le posséder, il s'échappe; mais il se présente de nouveau à celui qui pleure, et qui le poursuit de tous côtés, il se laisse prendre par lui, mais non point retenir, car il s'échappe encore tout d'un coup de ses mains. Si l'âme dévote persiste à prier et à gémir, il retourne à elle, ne la prive pas du fruit de ses oraisons, mais il disparaît aussitôt, et ne revient plus jusqu'à ce qu'elle le cherche encore par tous les désirs de son cœur. Ainsi dans ce corps on peut ressentir souvent la joie de la présence de l'Époux, mais on n'en peut pas jouir pleinement, parce que si sa vue réjouit l'âme, les alternatives de présence et d'absence l'attristent aussi. Et l'Épouse sera toujours dans cette peine jusqu'à ce que s'étant une fois dépouillée du fardeau si pesant de cette masse grossière et terrestre, elle s'envole, pour ainsi dire, et soit portée, si je puis parler ainsi, sur les ailes de ses désirs, pour jouir librement dans la contemplation comme un oiseau qui plane clans l'air, et suive en esprit son bien-aimé partout où il ira, sans que rien l'empêche et la retienne.

3. Toutefois il ne se présente pas, même en passant, à toutes sortes d'âmes, mais à celle-là seulement qu'une grande dévotion, un désir véhément, et un amour plein de douceur et de tendresse témoignent qu'elle est son Épouse, et digne que le Verbe, dans toute sa beauté, la visite sous la forme d'Époux. Car celui qui n'est pas encore dans cet état, mais qui, touché de componction au souvenir de ses péchés, prie Dieu dans l'amertume de son âme, de vouloir bien ne pas le condamner (Job. X, 2), ou qui peut-être souffre encore de violentes tentations, étant comme attiré et entraîné par sa propre concupiscence, celui-là ne cherche pas un Époux, mais nu médecin, et il ne recevra pas des baisers ou des embrassements, mais seulement des remèdes pour guérir ses plaies, de l'huile et des onguents. N'est-ce pas là la disposition où nous nous trouvons souvent dans nos prières ; nous qui sommes encore tous les jours ou tentés par les passions qui sont en nous, on touchés de regret au souvenir de nos excès passés. De quelle amertume m'avez-vous souvent délivré, Seigneur Jésus, en daignant venir dans mon âme? Combien de fois, après avoir versé des ruisseaux de larmes, après avoir poussé mille gémissements et mille sanglots, vous ai-je senti répandre dans mon âme blessée l'onction de votre miséricorde, et la remplir d'une huile de joie? Combien de fois me suis-je mis à prier en désespérer presque de mon salut; et, au sortir de nia prière, me suis-je trouvé plein de joie et de l'espérance du pardon ? Ceux qui sont glana une semblable disposition savent que le Seigneur Jésus est vraiment un médecin qui guérit ceux qui ont le cœur blessé, et qui traite leurs plaies et leurs blessures (Psal. CXLVI, 8). Que ceux qui ne l'ont pas éprouvé s'en rapportent à celui qui dit . « L'esprit du Seigneur me rempli de son onction ; il m'a envoyé pour annoncer d'heureuses nouvelles à ceux qui sont doux et pacifiques, et pour guérir ceux qui ont le cœur contrit et brisé (Isa. LXI, 2). » S'ils en doutent encore, qu'ils s'approchent au moins et en fassent l'essai, et qu'ils apprennent par eux-mêmes le sens de ces paroles: « J'aime mieux la miséricorde que le sacrifice (Matth. IX, 13). » Mais poursuivons.

4. Il y en a qui étant las des exercices spirituels, et tombant dans la tiédeur, dans une espèce d'abattement et de défaillance, marchent avec tristesse dans les voies du Seigneur, ne font ce qui leur est commandé qu'avec un cœur sec et ennuyé, murmurent souvent et se plaignent que les jours et les nuits sont longues, avec le saint homme Job qui disait : « Lorsque je suis couché, je dis quand me lèverai-je? et quand je suis levé, j'attends le soir avec impatience (Job VII, 4). » Lorsqu'une âme est en cet état, si le Seigneur, touché de compassion, s'approche d'elle dans le chemin où elle marche, et que celui qui est du ciel commente à lui parler des choses du ciel, ou à lui chanter quelque air charmant des cantiques de Sion, à l'entretenir même de la cité de paix, de l'éternité de cette paix, et du bonheur qu'il y a à la posséder, cet entretien agréable semblera lifte douce litière à cette âme endormie et paresseuse, et chassera tout l'ennui de son esprit, et toute la lassitude de son corps. Ne vous semble-t-il pas que celui qui disait : « Mon âme s'endort d'ennui et de chagrin, fortifiez-moi, s'il vous plait, par vos paroles (Psal. CXVIII, 28), » en était là, éprouvait et demandait quelque chose de semblable ? Et lorsqu'elle aura obtenu cette grâce, ne s'écriera-t-elle pas : Seigneur, combien j'aime votre Loi ! je la médite durant tout le jour. Car nos méditations sur le Verbe qui est l'Époux, sur sa gloire, sa beauté, sa puissance et sa majesté adorable, sont autant de paroles qu'il dit à notre âme. Et ce n'est pas seulement alors qu'il nous parle ; mais quand nous repassons avec ardeur dans notre esprit ses oracles et ses jugements, et que nous méditons nuit et jour sur la loi, sachons que certainement l'Époux est présent et qu'il nous parle pour que la douceur de ses discours nous empêche de nous lasser de nos travaux.

5. Pour vous, quand vous sentez que ces choses se passent dans votre esprit, ne croyez pas que ces pensées sont de vous, reconnaissez qu'elles sont de celui qui dit par le Prophète . « C'est moi qui fais entendre à l'âme, des paroles de justice (Isa. LXIII, 1). » Car les pensées de notre esprit ont une grande ressemblance avec les paroles de la vérité qui parie en nous ; et nul ne discerne aisément ce que son cœur produit au dedans, d'avec ce qu'il entend, s'il n'a sagement remarqué ce que le Seigneur dit dans l'Évangile : « Que les mauvaises pensées naissent du cœur (Matth. XV, 9). » Et ailleurs: « Pourquoi pensez-vous du mal dans vos cœurs (Joan. VIII, 44) ? » Ou bien encore : « Celui qui ment parle de lui-même, » Et cette remarque de l'Apôtre : « Nous ne sommes pas capables de penser rien de bon de nous-mêmes, comme de nous-mêmes, mais cette capacité nous vient de Dieu (II Cor. III, 15). » Lors donc que nous pensons à de mauvaises choses, cette pensée est de nous; et lorsque nous pensons à quelque chose de bon, cette pensée vient de Dieu. La première part de notre cœur, et celle-ci notre cœur l'entend. « J'écouterai, dit le Prophète, ce que le Seigneur Dieu dira dans mon cœur. Car il ne parlera que de ce qui concerne la paix de son peuple (Psalm. XLVIII, 9). » Ainsi c'est Dieu qui produit en nous des pensées de paix, de piété et de justice ; quant à nous, nous n'avons point ces pensées-là de nous-mêmes, mais nous les recevons en nous. Mais pour ce qui est des homicides, des adultères, des larcins, des blasphèmes et des autres choses semblables, ce sont des paroles sorties de notre cœur (Matth. XV, 19), nous ne les avons point entendues en nous, mais nous les faisons entendre dans notre cœur. «Car l'insensé dit en soi-même, il n'y a point de Dieu (Psalm. XIII, 1). » Et, « C'est pour cela que l'impie a irrité Dieu, parce qu'il a dit en son cœur, il ne recherchera point mes mauvaises actions (Psal IX, 13). » Mais il y a encore une autre parole, qui se sent dans le cœur, et qui n'est pas un mot du cœur, car elle n'en sort pas comme nos pensées, et ce n'est point celle dont nous avons parlé, qui se fait entendre au cœur et qui est la parole du Verbe, car celle dont nous parlons est mauvaise. Elle est produite par des puissances ennemies, et ce sont les inspirations des mauvais anges, comme celle, par exemple, de trahir le Seigneur Jésus, que selon l'Évangile, le Diable inspira au cœur de Judas Iscariote, de trahir le Seigneur Jésus.

6. Mais qui peut tellement veiller sur soi-même et observer avec tant de soins sous les mouvements intérieurs qui se passent en soi, ou qui viennent de soi que, à chaque désir illicite, il -discerne clairement ce qui vient de la maladie de son esprit, ou des morsures du serpent ? Je ne crois pas que cela soit possible à aucun homme, si ce n'est à celui, qui, étant éclairé par le Saint-Esprit, a reçu par une grâce spéciale ce don que l'Apôtre dans le dénombrement qu'il en fait, appelle le discernement des esprits (I Cor. XII, 10). En effet, quelque soin qu'un homme apporte à garder son cœur, et à observer avec une grande vigilance tout ce qui s'y passe, quand même il s'y serait exercé depuis longtemps, et qu'il en aurait toute l'expérience imaginable, il ne pourra pas néanmoins faire en soi un discernement juste et certain entre le mal qui naît de son propre fonds, et celui qui lui a été communiqué d'ailleurs. Car, comme dit le Prophète, qui peut connaître d'où procèdent les péchés (Psal. XVIII, 13)? Après tout, il n'importe pas beaucoup que nous sachions d'où vient le mal qui est en nous, ce qui importe c'est que nous sachions qu'il y est; et, de quelque part qu'il vienne, ce que nous avons de mieux à faire, c'est de veiller et de prier afin de n'y point consentir. Le prophète prie Dieu de le délivrer de l'un et de l'autre mal, quand il dit : « Purifiez-moi, Seigneur, de mes fautes secrètes, et préservez votre serviteur de celles d'autrui (Psal. Ibid. 12). » Je ne saurais, quant à moi, vous donner une connaissance que je n'ai par reçue moimême. Or, j'avoue que je n'ai pas de règle pour discerner certainement les productions du cœur, des semences de l'ennemi. Car l'un et l'autre mal est un mal ; l'un et l'autre naît d'un mauvais principe, l'un et l'autre est dans le cœur ; seulement l'un et l'autre ne vient pas du cœur. Je sais que cela est en moi, bien que je ne sache pas ce que je dois attribuer soit à mon cœur, soit à l'ennemi. Mais à cela, comme j'ai dit, il n'y a nul danger.

7. Mais il y a un autre point où il serait non-seulement dangereux, mais damnable de se tromper, aussi avons-nous reçu une règle assurée pour ne nous point attribuer ce qui est de Dieu en nous, et ne pas croire que la visite du Verbe est notre pensée. Autant donc, le bien est différent du mal, autant ces deux choses sont différentes entre elles, parce que ni le mal ne peut venir du Verbe, ni le bien, du cœur, s'il ne l'a conçu auparavant par le Verbe : un bon arbre ne pouvant porter de mauvais fruit, ni un mauvais arbre, de bon fruit (Matth. VII, 18). Mais je crois avoir assez parlé de ce qu'il y a de Dieu ou de nous, en notre cœur, et je pense que ce que nous en avons dit n'est pas inutile, et qu'il peut servir à faire voir aux ennemis de la grâce (a), que sans la grâce, le cœur de l'homme n'est pas capable d'avoir une bonne pensée, que cette capacité lui vient de Dieu, et que c'est l'effet de la voix de Dieu, non la production de son cœur. Vous donc, lorsque vous entendrez sa voix, vous n'ignorerez plus maintenant d'où elle vient, ni où elle va, vous saurez qu'elle vient de Dieu, et qu'elle va au cœur. Prenez garde seulement, que la par, le qui sort de la bouche de Dieu ne retourne pas à lui sans effet, mais qu'elle ait un bon succès, et qu'elle fasse toutes les choses, pour lesquelles il l'a envoyée, afin que vous puissiez dire avec l'Apôtre : « La grâce de Dieu n'a pas été inutile en moi (I Cor. XV, 10). » Heureuse l'âme à qui le Verbe, tenant toujours compagnie, se montre partout affable, et qui, sans cesse charmée de la douceur de son entretien, s'affranchit à tout moment de la tyrannie de la chair et des vices, et rachète le temps parce que les jours sont mauvais. Elle ne se lassera point, parce que, comme dit l'Écriture « Quoiqu'il arrive au juste, il ne s'en attristera point (Prov. XII, 21). »

8. Mais je crois que l’Èpoux parait sous la figure d'un grand père de famille, ou d'un roi plein de majesté, à ceux qui ont le cœur noble, et une grande liberté d'esprit, et qui, ayant acquis par la pureté de leur conscience, une grandeur de courage extraordinaire, out coutume de faire des entreprises hardies, et ne sont point satisfaits, si, par une

a Allusion à Abélard, je pense, qui réduisait la grâce de Jésus-Christ à peu prés à la raison donnée à l'homme et aux bons exemples du Sauveur, ainsi que nous l'avens déjà fait remarquer dons le tome if, à propos du onzième opuscule de saint Bernard,

louable curiosité, ils n'ont pénétré les choses les plus secrètes, compris les plus sublimes, et atteint jusqu'à la vertu la plus parfaite. Car la grandeur de leur foi fait qu'ils sont trouvés dignes d'être remplis de la plénitude de tous biens, et il n'y a rien de si rare dans tous les trésors de la sagesse, dont le Seigneur Dieu des sciences croie devoir exclure ces âmes héroïques, embrasées d'amour pour la vérité, et exemptes de toute vanité. Tel était Moïse qui osait dire à Dieu : « Si j'ai trouvé grâce devant vos veux, montrez-vous vous-même à moi (Exod. XXXIII, 19). » Tel était Philippe qui demandait à Jésus-Christ de lui faire voir son Père à lui et. à ceux qui étaient avec lui. Tel encore saint Thomas qui refusait de croire, s'il ne touchait pas de ses propres mains les plaies et le côté percé de son Maître (Joan, XX, 25). C'était un manque de foi, mais cela venait, d'une grandeur d'âme (b) tout à fait merveilleuse. Tel était aussi David, quand il disait à Dieu : « Tous les désirs de mon cœur tendent vers vous ; mes yeux vous ont cherché, je chercherai, Seigneur, votre face adorable (Psal. XXVI, 8). » Ces hommes osent aspirer à de grandes choses, parce qu'ils sont grands, et ils obtiennent ce qu'ils osent demander, selon la promesse qui leur en a été faite en ces termes: « Tous les lieux que vous foulerez de vos pieds seront à vous (Deut. I, 36). » Car une grande foi mérite de grandes récompenses, et on possède les biens du Seigneur à proportion qu'on les couvre du pied de l'espérance.

9. Ainsi Dieu parle à Moïse bouche à bouche, et celui-ci mérite de voir le Seigneur clairement, non en énigmes ou en figures (Num. XII, 8), au lieu qu'il ne se montre, dit-il, qu'en vision aux autres prophètes, et ne leur parle qu'en songe. Saint Philippe pareillement, selon la demande qu'il en avait faite, vit le Père dans le Fils, quand il lui fut répondu : « Philippe, qui me voit, voit mon Père, parce que je suis dans mon Père, et mon Père est en moi (Joan. XIV, 7). » Il se donna aussi à toucher à saint Thomas suivant le désir de son cœur, et il ne le priva pas du fruit de sa prière (Joan. XX, 27). Que dirai-je de David? Ne marque-t-il pas aussi qu'il n'a pas été frustré entièrement de ses désirs, lorsqu'il dit, qu'il ne permettra point à ses yeux, de dormir, ni à ses paupières de se fermer, qu'il n'ait trouvé un lieu pour le Seigneur ? Un grand Epoux se présente donc à ces grandes âmes, et il les traite magnifiquement en leur envoyant sa lumière et sa vérité, en les conduisant, en les amenant sur sa sainte montagne et dans ses tabernacles, en sorte que celui qui reçoit une telle faveur a sujet de dire : « Celui qui est tout puissant a fait de grandes choses en moi (Luc. I, 49). » Ses yeux verront le roi dans toute sa beauté, marchant devant lui vers les plus beaux endroits du désert, vers les fleurs du rosier, les lis des vallées, des jardins délicieux, des fontaines jaillissantes, des celliers remplis d'une abondance de tous biens, des odeurs de parfums très-doux, et enfin vers les lieux les plus intimes de sa chambre.

b Saint Thomas donnait une preuve de la faiblesse de sa foi en ne voulant pas croire sans condition, mais en même temps il en donnait une de sa grandeur d'âme , en mettant une pareille condition à sa foi ; car cette exigence prouve la confiance qu'il avait en Dieu.

10. Voilà les trésors de la sagesse et de la science qui sont cachés d'ans l'Époux. Voilà les pâturages de vie préparés pour repaître les âmes saintes. Heureux celui qui en contente pleinement ses désirs ! Qu'il sache seulement qu'il ne doit pas vouloir posséder seul ce qui peut suffire à plusieurs. Car si, après toutes ces choses, l'Époux se montre sous les traits d'un pasteur, c'est peut-être afin d'avertir celui qui a obtenu de si grands dons de se souvenir d'en repaître le troupeau des personnes simples, qui ne peuvent se porter à ces merveilles par elles-mêmes, comme les brebis n'osent aller au pâturage sans leur pasteur. C'est la sage remarque de l'Épouse, et voilà pourquoi elle demande qu'on lui apprenne où l'Époux paît et repose à midi; elle se sent disposée comme on peut le comprendre par ses paroles, à se nourrir et à paître les brebis avec lui et sans lui. Car elle ne croit pas qu'il sait sûr d'éloigner le troupeau du souverain pasteur, à cause des loups, surtout de ceux qui viennent à nous sous une peau de brebis. Et c'est pour cela qu'elle désire les faire paître avec lui dans les mêmes pâturages, et se reposer sous les mêmes ombrages. Et elle en donne la raison . « De peur, dit-elle, que je ne me mette à errer après le troupeau de vos compagnons. » Elle parle de ceux qui veulent paraître amis de l'Époux et ne le sont pas; comme ils ne s'occupent qu'à faire paître leurs propres troupeaux, non les siens, ils vont de côté et d'autre en disant : « C'est ici qu'est Jésus-Christ. C'est là qu'il est (Matth. I, 21), » afin d'en séduire plusieurs, et les faire sortir du troupeau de Jésus-Christ et de les ajouter au leur. Voilà pour ce qui regarde le sens de la lettre. Quant au sens spirituel qui y est caché, je suis d'avis de remettre à un autre discours ce que, par l'intercession de vos prières, daignera m'inspirer l'époux de l'Église Jésus-Christ Notre-Seigneur, qui étant Dieu est au dessus de toutes choses, et béni éternellement. Ainsi soit-il.

NOTES DE HORSTIUS ET DE MABILLON. POUR LE SERMON XXXII, sur le Cantique, n. 8.

290. La foi est faible, mais descendant de grandeur d’âme. Comment concilier la faiblesse de la foi et la grandeur d'âme ? Mais dans cette pensée de saint Thomas, saint Bernard distingue deux choses : l'une, qu'il refusa de croire, ce en quoi il manqua de foi ; l'autre qu'il mit une condition à sa foi, c'est-à-dire qu'il verrait les cicatrices de ses blessures. Or voilà ce qui est grand et a rapport à la grandeur d'âme dont le propre est d'aspirer aux grandes choses. Cette manière d'entendre la pensée de saint Bernard se trouve appuyée sur le CLXI sermon du temps de saint Augustin, où on lit : « Quelque homme de peu de foi, quelque faible de génie que soit un chrétien, il ne pourra jamais mettre ses doutes sur la mène ligne que le doute inquisiteur de saint Thomas. En effet, jamais ce dernier, après voir entendu Jésus même lui parler, l'avoir reconnu et lui avoir parlé, n'aurait osé lui demander de constater, de ses propres mains, que c'était bien lui, de s'assurer que c'était bien un homme qu'il avait sous les yeux, et de reconnaître sa résurrection plutôt aux traces des ignominies de sa passion qu'à l'éclat de ses miracles, etc. » Voir encore sur ce sujet l'opinion de Guillaume de Saint-Thierry, dans son livre de la Contemplation de Dieu. CI, n. 5, dans le tome v de cette édition. (Note de Mabillon.)

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