SERMON XXVIII
Précédente ] Accueil ] Remonter ] Suivante ]

Accueil
Remonter
MABILLON
SERMON I
SERMON II
SERMON III
SERMON IV
SERMON V
SERMON VI
SERMON VII
SERMON VIII
SERMON IX
SERMON X
SERMON XI
SERMON XII
SERMON XIII
SERMON XIV
SERMON XV
SERMON XVI
SERMON XVII
SERMON XVIII
SERMON XIX
SERMON XX
SERMON XXI
SERMON XXII
SERMON XXIII
SERMON XXIV
SERMON XXV
SERMON XXVI
SERMON XXVII
SERMON XXVIII
SERMON XXIX
SERMON XXX
SERMON XXXI
SERMON XXXII
SERMON XXXIII
SERMON XXXIV
SERMON XXXV
SERMON XXXVI
SERMON XXXVII
SERMON XXXVIII
SERMON XXXIX
SERMON XL
SERMON XLI
SERMON XLII
SERMON XLIII
SERMON XLIV
SERMON XLV
SERMON XLVI
SERMON XLVII
SERMON XLVIII
SERMON XLIX
SERMON L
SERMON LI
SERMON LII
SERMON LIII
SERMON LIV
SERMON LV
SERMON LVI
SERMON LVII
SERMON LVIII
SERMON LIX
SERMON LX
SERMON LXI
SERMON LXII
SERMON LXIII
SERMON LXIV
LETTRE D'EVERVIN
SERMON LXV
SERMON LXVI
SERMON LXVII
SERMON LXVIII
SERMON LXIX
SERMON LXX
SERMON LXXI
SERMON LXXII
SERMON LXXIII
SERMON LXXIV
SERMON LXXV
SERMON LXXVI
SERMON LXXVII
SERMON LXXVIII
SERMON LXXIX
SERMON LXXX
SERMON LXXXI
SERMON LXXXII
SERMON LXXXIII
SERMON LXXXIV
SERMON LXXXV
SERMON LXXXVI

SERMON XXVIII. De la noirceur et de la beauté de l'Époux. Prérogative de l'ouïe sur la vue en ce qui concerne la foi.

1. Je pense que vous vous souvenez bien à quelles tentes de Salomon j'ai dit que, selon, moi, la beauté de l'Épouse a été comparée, et quel est ce Salomon, si toutefois on rapporte à sa beauté la comparaison qui en est tirée; mais si on estime qu'elle se rapporte plutôt à sa noirceur, comme celle des tentes de Cédar, (a) il ne me vient rien autre chose à vous dire sur ces tentes de Salomon, sinon que ce sont peut-être celles dont ce roi avait coutume de se servir, lorsqu'il voulait loger dans des pavillons, et. qui, sans doute, si toutefois il en a jamais eu, étaient nécessairement laides et noires, parce qu'elles étaient exposées tous les jours au soleil, et aux injures de l'air. Et cela ne se faisait pas en vain, mais afin que les ornements qui étaient dedans fussent conservés plus propres et plus beaux. Par cet exemple, l'Épouse ne nie pas qu'elle soit noire, mais elle excuse sa noirceur, et elle ne rougit point d'un état q:ie la charité relève et que la vérité ne blâme point. Car, comme dit l'Apôtre, qui est infirme sans qu'elle ne le soit aussi (II Cor. II, 29) ; qui se scandalise sans que ce scandale ne la touche vivement? Elle prend sur soi la faiblesse de la compassion, afin de soulager ou de guérir dans un autre la maladie de la passion. Elle devient noire par zèle pour la blancheur, et pour acquérir, par-là, la beauté.

2. La noirceur d'un seul eu rend plusieurs blancs, non par la part qu'il prend à leurs fautes, mais par la douleur dont il est touché. « Il est à propos, dit-il, qu'un seul homme meure pour le peuple, et que toute une nation ne périsse pas. » Il est à propos qu'un seul pour tous, soit noirci par la ressemblance de la chair du péché, et que toute une nation ne soit pas condamnée, à cause de la noirceur du péché. Il faut que la splendeur et l'image de la substance de Dieu soit obscurcie par la forme d'esclave pour sauver la vie à l'esclave, que la clarté éternelle s'offusque dans la chair pour purifier la chair; que le plus beau des enfants des hommes perde tout son éclat dans la Passion pour éclairer les enfants des hommes; qu'il soit défiguré sur la croix et couvert des pâleurs de la mort, qu'ils n'ait plus ni grâce ni beauté, pour qu'il s'acquière l'Église comme une belle et charmante épouse exempte de tache et de rides. Je reconnais la tente de Salomon, ou plutôt j'embrasse Salomon lui-même sous sa peau noire. Il est noir, mais quant à la peau seulement. Il n'est noir qu'extérieurement, non point au dedans; car toute la gloire de la fille du roi est intérieure (Psal. XLIV, 3). Au dedans c'est l'éclat de sa divinité, la beauté de ses vertus, la splendeur de sa gloire, et la pureté de son innocence. Mais la couleur qui paraît le rend méprisable et couvre comme d'un voile tant de rares qualités, car il est exposé à toute sorte de tentations, à cause de la ressemblance du péché qu'il porte ; quoiqu'en effet, il soit exempt de tout péché. Je reconnais la forme de cette nature qui est comme noircie et comme défigurée. Je reconnais ces tuniques de peaux de bêtes qui furent le vêtement de nos premiers parents (Gen. III, 21), après qu'ils eurent péché contre Dieu. Car il s'est noirci lui-même, en prenant la forme d'un esclave, et se rendant semblable aux hommes, et en prenant leur chair et leur

a Il y a trois manuscrits qui présentent ici de légères variantes, et qui font dire à sain Bernard : « Il faut vous rappeler les tentes dont Salomon recouvrait autrefois son pavillon. Elles étaient certainement noires, car elles étaient exposées toue les jours aux ardeurs da soleil, et aux intempéries de l'air. Or, cela ne se faisait pus en vain, etc. »

nature (Philipp. II, 7). Je reconnais sur la peau du chevreau qui est le symbole du péché, la main qui n'a point commis de péché, et la tête qui n'a jamais eu aucune pensée de mal faire. Et c'est pour cela qu'on n'a point trouvé de malice en lui (Isa. LIII, 9). Je sais, ô Jésus, que vous êtes d'une humeur facile, doux et humble de cœur, d'un regard agréable et d'un esprit charmant, sacré enfin d'une huile de joie, d'une manière beaucoup plus excellente que tous ceux qui participent à votre gloire (Psal. XLIV, 8). D'où vient donc maintenant qu'à l'exemple d'Esaü, vous êtes tout velu et plein de poil ? De qui est cette image difforme et hideuse, d'où viennent ces poils? Ils sont à moi; car les mains couvertes de poils sont la marque de la ressemblance du péché qui est en moi. Je reconnais que ces poils m'appartiennent, et c'est Dieu mon Sauveur que je vois dans la chair qui est à moi.

8. Néanmoins ce n'est pas Rébecca, mais Marie qui lui a donné ce vêtement. Et il est d'autant plus digne de recevoir la bénédiction de son père, que celle qui l'a engendré est. plus .sainte. Il a bien fait de,prendre cet habit qui est à moi, car c'est à moi que la bénédiction est réservée ; c'est pour moi que l'héritage est réclamé. Il avait entendu, en effet, ces paroles : « Demandez-moi, et je vous donnerai les nations qui sont votre héritage, et toute la terre qui est votre possession (Psal. II, 8). » Je vous donnerai, dit-il, « votre héritage et votre possession. » Comment le lui donner, s'il est à lui? Et comment lui dites-vous de demander ce qui lui appartient? Ou comment lui appartient-il, s'il est nécessaire qu'il le demande? C'est donc pour moi qu'il le demandé, et ,c'est pour défendre ma cause qu'il s'est revêtu de ma nature. Car il porte sur lui les gages de notre réconciliation, selon cette parole du Prophète : « Le Seigneur a mis en lui les péchés de nous tous (Isa. LIII, 5). » C'est pourquoi « il a dû se rendre en tout semblable à ses frères (Hebr. II, 17), » comme dit l'Apôtre, « afin de devenir miséricordieux. » Aussi sa voix est véritablement la voix de Jacob, mais ses mains sont les mains d'Esaü (Gen. XXVII, 22). Ce qu'on entend sortir de lui est à lui, mais ce que l'on voit en lui est à nous. Ce qu'il dit, est esprit et vie, mais ce qu'il paraît est sujet à la mort, c'est la mort même. Autre chose est ce que l'on voit, autre chose ce que l'on croit. Les sens rapportent qu'il est noir, mais la foi témoigne qu'il est blanc et qu'il est beau. Il est noir, mais c'est aux yeux des insensés. Car il parait très-aimable aux yeux des fidèles. Il est noir, mais il est beau. Il est noir dans l'opinion d'Hérode, mais il est beau selon la confession du larron et la foi du centenier.

4. Quelle beauté lui trouvait celui qui s'écria : Cet homme était vraiment Fils de Dieu (Marc. XV, 39) ! Mais examinons en quoi il la trouva. Car s'il n'avait considéré que ce qui paraissait au dehors, comment aurait-il pu dire qu'il était beau, et que c'était le Fils de Dieu? Ce qu'il y avait en lui était- il autrement que difforme et noir aux yeux de ceux qui le regardaient, lorsqu'ayant les bras étendus sur la,croix au milieu de deux scélérats, il était un sujet de risée aux impies, et de larmes aux fidèles? Il était seul un objet de moquerie, lui qui seul pouvait être un objet de terreur, et qui devait seul être honoré et respecté. Comment donc peut-il reconnaître la beauté de Jésus crucifié, et que c'était le Fils de Dieu qu'on mettait au nombre des criminels? Ce n'est point à nous de répondre à cette question ; et d'ailleurs nous n'avons pas besoin de le faire, puisque l'Évangéliste a soin d'y satisfaire. Car voici ses paroles : « Mais le centenier qui était debout vis-à-vis de la croix, voyant qu'il expirait ainsi en criant d'une grande force, dit a cet homme était vraiment Fils de Dieu (Marc. XV, 39). » Il crut donc à la voix, il reconnut le Fils de Dieu à sa voix, non à son visage. Après tout il était peut-être de ses brebis, dont il dit : « Mes brebis entendent ma voit; je les connais et elles me connaissent - pareillement (a) (Joan. X, 14). »

5. L'ouïe a trouvé ce que la vue n'a pu découvrir. L'apparence ai trompé l’oei1, et la vérité est entrée par l'oreille. L'œil disait qu'il était infirme, difforme, misérable, condamné à une mort ignominieuse; et l'oreille apprit que c'était le Fils de Dieu et qu'il était très-beau. Mais ce n'était pas l'oreille des Juifs, parce qu'elle était incirconcise. C'est avec raison que saint Pierre coupa l'oreille au serviteur, afin de donner ente à la vérité, et que la vérité le délivrât, c'est-à-dire le rendit libre. Le centenier était incirconcis mais non pas des oreilles, puisqu'à la seule voix d'un mourant, il reconnut le Seigneur de majesté en dépit de tant de marques de faiblesse. Il ne méprisa point ce qu'il vit, parce qu'il crut ce qu'il ne vit point, et il ne le crut point sur ce qu'il voyait, mais, on ne peut en douter, sur ce qu'il entendit, « car la foi vient de l'ouïe (Rom. X, 17). » Il serait sans doute plus digne de la vérité, qu'elle entrât dans l’âme par les yeux, qui sont le sens le plus noble, mais cela nous est réservé, ô mon âme, pour le temps où nous le contemplerons face à face. Maintenant il faut que le remède entre par où le mal est entré, que la vie suive la mort, et marche sur ses pas ; la lumière, les ténèbres et l'antidote de la vérité, le venin du serpent; que l’œil qui était malade soit guéri, afin qu'étant guéri il voie celui qu'il ne pouvait voir lorsqu'il était malade. L'oreille a été la première porte ode la mort, qu'elle s'ouvre la première pour la vie. Que l'ouïe qui a ôté la vue la rétablisse. Car si nous ne croyons les mystères, nous ne les comprendrons point. L'ouïe a donc rapport au mérite, et la vue à la récompense; d'où vient ce mot du Prophète: « Vous donnerez à mon ouïe la joie et l'allégresse (Psal. L, 40), » attendu que la récompense d'une ouïe fidèle, c'est la bienheureuse vision ; et que le mérite de cette bienheureuse vision consiste dans la foi de l'ouïe. « Bienheureux, dit Jésus, sont ceux qui ont le cœur net, car ils verront Dieu (Matth. V, 8). » Il faut que l'œil qui doit voir Dieu soit purifié par la foi, suivant cette parole : « Purifiant leur cœur par la foi (Act. XV, 9). »

a Telle est la leçon donné par deux manuscrits : Une des éditions des œuvres de saint Bernard ajoute : « Et je connais mes brebis et mes brebis me connaissent. » Le manuscrit de la Colbertine porte seulement : « Et mes brebis me connaissent. »

6. Pendant que la vue n'est pas encore préparée, que l'ouïe s'excite donc, qu'elle s'exerce (a) et reçoive la vérité. Heureux celui à qui la vérité rend ce témoignage : « Il m'a obéi en pratiquant ce qu'il a entendu. » Je serai digne de voir, si avant de voir j'obéis. Je verrai avec confiance celui qui aura reçu auparavant le sacrifice de mon obéissance. Qu'heureux est celui qui dit : « Le Seigneur Dieu m'a ouvert l'oreille, et je ne m'y suis point opposé, je n'ai point reculé en arrière (Isai. L, 5). » Vous avez là un modèle d'obéissance volontaire, et un exemple de persévérance. Car celui qui ne contredit point, agit volontairement; et celui qui ne retourne point en arrière, persévère dans le bien. L'un et l'autre est nécessaire, parce que Dieu aime celui qui donne avec gaieté (II Cor. IX, 7). « Et celui-là seul sera sauvé qui persévérera jusqu'à la fin (Matt. x, 22). » Dieu veuille que le Seigneur daigne aussi m'ouvrir l'oreille, que les paroles de la vérité entrent dans mon cœur, qu'elles purifient mes yeux et les préparent à la vision bienheureuse, afin que je puisse dire aussi à Dieu: « Votre oreille a entendu la préparation de mon cœur (Psal. IX, 17);» et que je puisse aussi, avec ceux qui obéissent à Dieu, entendre ces paroles de sa bouche : « Vous êtes purs à cause des discours que je vous ai faits (Joan. XV, 3). » Mais tous ceux qui écoutent ne sont pas purifiés, il n'y a que ceux qui lui obéissent. « Bienheureux sont ceux qui écoutent ma parole, et qui la gardent (Luc. XI, 28). » Voilà quelle ouïe demande celui qui dit : « Écoutez Israël (Deut. VI, 3) ; » et voilà celle qu'offre celui qui répond : « Parlez, Seigneur, car votre serviteur écoute ( I Reg. III, 9) » Celui qui dit : « J'écouterai ce que le Seigneur me dira intérieurement (Psal. LXXXIV, 9) » en promet une pareille.

7. Mais afin que vous sachiez que le Saint-Esprit même observe cet ordre dans l'avancement spirituel de l'âme, et qu'il forme .l'ouïe avant de réjouir la vue, « Écoutez, dit-il, ma fille, et voyez (Psal. XLIV, 11). » Pourquoi ouvrez-vous les yeux? ouvrez les oreilles. Désirez-vous de voir Jésus-Christ? il faut que vous écoutiez premièrement ce qu'il dit, que vous écoutiez ce qu'on dit de lui, afin que lorsque vous le verrez, vous disiez : « Ce que nous voyons est conforme à ce que nous en avions ouï (Psal. XLVII, 9). » Son éclat est extrêmement brillant, votre vue est faible, et vous ne pouvez la supporter. Vous pouvez bien en entendre, parler, mais non pas le voir. Après que j'eus péché, j'entendais bien Dieu qui criait : «Adam, où êtes-vous (Gen. III, 10) ? » Mais je ne le voyais pas. L'ouïe vous rendra la vue, si elle est soumise, si elle est vigilante, si elle est fidèle. La foi purifiera l'œil que l'impiété a troublé. Et l'obéissance ouvrira ce que la désobéissance a fermé. Après tout, ce sont « vos commandements, dit le Prophète, qui m'ont donné l'intelligence (Psal. CXVIII, 104), » parce que l'observation des commandements de Dieu rend l'intelligence que l'on avait perdue

a Dans plusieurs éditions ces mots « que l’ouïe s'exerce, » font défaut, peut-être est-ce une faute du copiste, qui dans le doute, si le texte latin portait excitetur ou exercitetur, a pris le parti de mettre l’un et l'autre.

en les transgressant. Considérez dans le saint homme Isaac, comme le sens de l'ouïe était plus subtil en lui que tous les autres, quoi qu'il fût déjà bien vieux. Les yeux de ce patriarche sont obscurcis, sou goût est surpris, sa main est trompée, mais son oreille ne l'est pas. Quelle merveille que l'oreille entende la vérité puisque la foi vient par l'ouïe (Rom. X, 17), que l'ouïe se forme,par la parole de Dieu, et que la parole de Dieu est la vérité? «La voix, dit-il; est la voix de Jacob(Genes. XXVII, 22). » Il n'y a rien de plus vrai. « Mais les mains sont les mains d'Esaü. » Il n'y a rien de plus faux. Vous vous trompez, la ressemblance de la main vous a séduit. La vérité n'est pas non plus dans le goût, quoique la douceur y soit. Car est-ce connaître la vérité, que de croire manger de la venaison, lorsqu'on mange de la chair d'un chevreau domestique? Bien moins encore dans l'oei1 quine voit rien. La vérité n'est point dans l'œil, la sagesse n'y est point. » Malheur à vous, dit-il, qui êtes sages à vos yeux (Isa. V. 21). » La sagesse qu'on charge de malédictions est-elle bonne? Or, cette sagesse, c'est la sagesse du monde et par conséquent une folie devant Dieu.

8. La vraie sagesse est tout intérieure et toute cachée (Job. XXVIII, 18), selon le sentiment du saint homme Job. Pourquoi la cherchez-vous au dehors dans les sens corporels? Le goût a son siège dans le palais, mais la sagesse l'a dans le cœur. Ne cherchez point la sagesse dans des yeux charnels. Car ce n'est pas le sang ni la chair, mais l'esprit qui la révèle. Elle n'est point dans le goût; car elle ne se trouve point dans la terre de ceux qui vivent dans la sensualité; ni dans le toucher, puisque Job dit encore : « Si j'ai baisé ma main avec ma bouche, ce qui est un grand crime et une espèce d'idolâtrie (Job. XXXI, 27). » Ce qui arrive à ce que je crois, lorsqu'on n'attribue pas à Dieu, mais au mérite de ses propres actions, le don de Dieu qui est la sagesse. Isaac était sage, néanmoins ses sens l'ont induit en erreur. Le seul sens de l'ouïe est capable de la vérité, parce que lui seul entend la parole. C'est avec raison qu'il est défendu à la femme de l'Évangile, qui n'avait qu'une sagesse charnelle, de toucher la chair ressuscitée du Verbe, puisqu'elle croyait plus à ses yeux qu'aux oracles divins, c'est-à-dire aux sens corporels, plus qu'à la parole de Dieu. Car elle ne croyait pas que celui qu'elle avait vu mort, dût ressusciter, quoiqu'il l'eût promis. Enfin ses yeux ne furent point en repos, jusqu'à ce qu'ils fussent rassasiés par la vue de l'objet de son amour, parce qu'elle ne trouvait point sa consolation en la foi, et qu'elle ne croyait point à la promesse de Dieu. Le ciel et la terre, et généralement tout ce qui peut tomber sous les yeux du corps, ne doivent-ils point passer et périr, avant qu'il se perde un seul iota ou une seule syllabe de tout ce qu'a dit le Sauveur? Et néanmoins celle qui ne voulait pas se consoler sur la parole du Seigneur cessa de pleurer aussitôt que ses yeux le virent parce qu'elle s'en rapportait plus à cette expérience sensible, qu'à la certitude de la foi. Mais cette expérience est trompeuse,

9. C'est pour cela qu'on la renvoie à la connaissance. de la foi qui est certaine, et qui comprend ce que les sens ne sauraient connaître, et ce que l'expérience ne peut trouver. « Gardez-vous de me toucher, » dit le Sauveur; c'est-à-dire désabusez-vous des sens qui peuvent se tromper; appuyez-vous sur mes paroles, accoutumez-vous à la foi. La foi ne saurait être séduite, la foi comprend les choses invisibles et ne se ressent point de la faiblesse des sens. Elle passe même les bornes de la raison humaine, l'usage de la nature et les limites de l'expérience. Pourquoi voulez-vous apprendre de vos yeux ce qu'ils ne peuvent savoir? Et pourquoi votre main s'efforce-t-elle de sonder ce qui est au dessus de sa portée ? Tout ce que l'un ou l'autre de ces deus sens vous rapportent est au dessous de la vérité. Ecoutez le rapport que la foi vous fera de moi; elle ne diminue rien de ma majesté. Apprenez à croire avec plus de certitude et à suivre avec plus de confiance ce qu'elle vous dit. « Gardez vous bien de me toucher, car je ne suis pas encore monté à mon Père (Ibidem). » Comme s'il ne devait vouloir et pouvoir être touché par elle que lorsqu'il y sera monté. Oui, sans doute, il pourra être touché, mais seulement par le cœur, non par les mains; par les désirs, non par les yeux ;par la foi, non parles sens. Pourquoi, dit-il, voulez-vous me toucher à cette heure, vous qui ne me jugez que par les sens de la gloire de la résurrection ? Ne vous souvenez-vous point que lorsque j'étais encore mortel, les yeux de mes disciples ne. purent soutenir un moment l'éclat et la gloire de mon corps transfiguré, quoiqu'il dût mourir (Matt. XVII, 7) ? J'ai encore quelque condescendance pour nos sens, en prenant la forme d'esclave, afin que vous puissiez. vous reconnaître par l'habitude de m'en voir revêtu. Mais ma gloire est tout à tait merveilleuse, elle est infiniment élevée au dessus de vous, et vous n'y pouvez atteindre en aucune sorte. Différez donc votre jugement, suspendez votre créance, et ne confiez point à vos sens la solution d'une chose si grande, réservez la à la foi. Elle la résoudra plus dignement et plus sûrement, parce qu'elle la comprendra plus parfaitement. Car elle comprend dans sa profonde et mystérieuse intelligence, quelle est la longueur, la largeur, la hauteur et la profondeur de ce mystère. Elle porte fermé, et garde scellé en soi ce que l'œil n'a jamais vu, ce que l'oreille n'a jamais entendu, et ce qui n'est jamais tombé dans la pensée de l'homme.

10. Celle-là donc est digne de me toucher, qui me contemplera assis à la droite de mon Père, non plus dans une chair vile et méprisable, mais dans une chair toute céleste, qui sera toujours la même, mais qui ne sera plus de même qu'elle était. Pourquoi voulez-vous toucher une chair difforme? Attendez qu'elle soit belle, et vous la toucherez. Car celui qui est difforme à cette Heure sera beau alors. Il est difforme à toucher, il est difforme à voir, enfin il est difforme à vous qui l'êtes aussi, parce que vous vous attachez plus aux sens qu'à la foi. Soyez belle et touchez-moi quand il vous plaira. Soyez fidèle et vous serez belle. Et quand vous serez belle, vous serez plus digne et plus heureuse de toucher une personne qui sera belle aussi. Vous la toucherez de la main de votre foi, du doigt de vos désirs, et des bras de votre zèle. Vous la toucherez de l'œil de votre âme. Mais sera-t-il encore noir, celui que vous toucherez ainsi? A Dieu ne plaise. Votre Époux est blanc et rose (Cant. V, 10), sa beauté est incomparable, et il est environné des roses et des lis des vallées, c'est-à-dire, des choeurs des martyrs et des vierges. Assis au milieu, j'ai quelque rapport avec ces chœurs, car je suis en même temps vierge et martyr. Comment ne me mêlerais-je pas à la troupe blanche des vierges, moi qui suis vierge, fils d'une vierge. Époux d'une vierge? ou avec les chœurs empourprés des martyrs, moi qui suis la cause, la vertu, le fruit et le modèle du martyre. Soyez telle, et touchez ainsi celui qui est tel, et puis écriez-vous : « Mon bien-aimé est blanc et rose, il est choisi entre mille (Ibidem). » Il y en a un million avec mon bien-aimé, un million d'autres sont à l'entour de lui, et nul d'eux ne lui est comparable. Ne craignez-vous point que, par erreur, vous ne vous adressiez à un autre, en cherchant celui que vous aimez au milieu d'une multitude si prodigieuse? Non, certainement, vous n'hésiterez point sur votre choix : vous distinguerez facilement celui qui est choisi entre mille, car il est plus grand et plus majestueux que les autres, et vous direz : « Que celui-là est beau avec sa robe magnifique, et comme on remarque dans son port un air de grandeur et de majesté (Isa. LXIII, 1) ! » Il ne viendra donc point au devant de vous avec une peau noire, sous laquelle il avait été obligé de se montrer jusqu'alors aux yeux de ses persécuteurs, parce que, devant mourir, il fallait qu'ils le méprisassent; ou aux yeux de ses amis, afin qu'ils le reconnussent après la résurrection. Il ne se présentera point, dis-je, à vous sous cette figure, mais avec une robe blanche, et dans une beauté qui surpassera non-seulement celle des enfants des hommes, mais aussi celle des anges. Pourquoi voulez-vous me toucher dans un état si vil, sous la forme d'un esclave et dans un extérieur si méprisable? Touchez-moi lorsque je serai orné d'une beauté céleste, lorsque je serai couronné de gloire et d'honneur, et redoutable par l'éclat de ma majesté, mais doux et affable par la bonté qui m'est naturelle.

11. Cependant considérez la prudence de l'Épouse et la profondeur des discours de celle qui, sous la figure des tentes de Salomon, a cherché Dieu dans la chair, la vie dans la mort, le comble de la gloire et de l'honneur, au milieu des opprobres, et sous un extérieur vil et abject de Jésus crucifié, la blancheur de l'innocence et la splendeur des vertus, de même que sous ces tentes noires et méprisables, se trouvaient cachés et conservés les ornements blancs et précieux d'un roi tri grand et très-riche. C'est avec raison qu'elle ne méprise pas la noirceur de ces tentes, elle découvre les beautés qu'elles voilent. Et ce qui fait que quelques-uns l'ont méprisée, c'est qu'ils n'ont point connu la beauté qu'elles cachaient. Car s'ils l'eussent connue, ils n'auraient jamais crucifié le Seigneur de gloire (I Cor. II, 8). Hérode ne la connut point, c'est pourquoi il la méprisa. La Synagogue ne la connut point non plus, puisqu'elle lui reprocha la noirceur de sa passion et de son infirmité, en lui disant : « Il a sauvé les autres, et il ne se peut sauver lui-même ; que le Christ, roi d'Israël descende de la croix, et nous croirons en lui (Matth. XXVII, 42). » Mais le larron le connut du haut de sa croix, quoiqu'il la vit aussi sur la croix, car il confessa sa vertu et son innocence en disant : « Mais celui-ci quel mal a-t-il fait (Luc. XXII, 22) ? » Et il rendit aussi témoignage à la gloire de la royale majesté, lorsqu'il dit : « Souvenez-vous de moi, quand vous serez entré dans votre royaume, (Ibid. XXIII, 42). » Le centenier la connut, lorsqu'il cria que c'était le Fils de Dieu (Matth. XXVII, 54). Enfin l'Église la connaît puisqu'elle imite sa noirceur afin de participer à sa beauté. Elle ne rougit point de paraître noire et d'être appelée noire, pourvu qu'elle puisse dire à son Époux : « La honte des opprobres dont vos ennemis vous ont couvert est tombée sur moi (Psal. LXXII, 10) ; » mais elle est noire comme les tentes de Salomon, c'est-à-dire au dehors, non au dedans, car mon Salomon n'est point noir au dedans. Aussi ne dit-elle pas : je suis noire comme Salomon, mais « comme les tentes de Salomon,» parce que la noirceur du vrai Pacifique, n'est qu'à la surface et au dehors. La noirceur du péché est au dedans, et le crime infeste l'âme avant de paraître aux yeux des hommes. Car les mauvaises pensées, les larcins, les homicides, les adultères, les blasphèmes sortent du cœur, et ce sont là, les vices qui souillent l'homme (Matth. XV, 19) ; mais à Dieu ne plaise qu'ils souillent notre Salomon. Vous ne trouverez point, n'en doutez pas, de ces sortes de corruptions dans le véritable Pacifique. Car il faut que celui qui efface les péchés du monde, soit exempt de tout péché, afin qu'étant propre à réconcilier les pécheurs, il ait droit de s'attribuer le nom de Salomon.

12. Mais il y a une noirceur de la «repentance » qui afflige lorsqu'on pleure ses péchés. Peut-être mon Salomon ne la haïra-t-il pas en moi, si toutefois je m'en revêts de bon cœur pour mes péchés. Car Dieu ne saurait rejeter un cœur contrit et humilié. Il y a aussi celle de la « compassion » qui touche le cœur, lorsqu'on compatit aux maux des affligés, et qu'on prend part aux souffrances du prochain. Notre Pacifique croit sans doute que celle-là n'est pas non plus à rejeter, puisqu'il a daigné lui-même la prendre pour nous, car il a porté en lui sur la croix tous nos péchés (I Pet. II, 24). Il y a encore la noirceur de la « persécution » qui est même estimée comme un riche ornement, lorsqu'on la soutire pour la justice et la vérité.. D'où vient que « les apôtres s'en allaient pleins de joies du tribunal, parce qu'ils avaient été trouvés dignes de souffrir des affronts et des outrages pour le nom de Jésus (Act. V, 41). » Car « bienheureux sont ceux qui souffrent persécution pour la justice (Matth. V, 10). » C'est, je crois, principalement de cette noirceur que l'Église se glorifie, et de toutes les tentes de l'Époux, c'est celle qu'elle imite le plus volontiers. Aussi est-ce celle-là que le Sauveur lui a promise, lorsqu'il lui a dit : « S'ils m'ont persécuté, vous devez vous attendre qu'ils vous persécuteront aussi (Joan. V, 20). »

13. C'est pourquoi l'Épouse ajoute : « Ne vous étonnez pas de ce que je suis noire; car c'est le soleil qui m'a décolorée (Cant. I, 5). » C'est-à-dire ne relevez pas ma laideur, car c'est la violence de la persécution qui me rend moins éclatante et moins belle de la gloire du siècle. Pourquoi me reprochez-vous une noirceur dont est cause la fureur de la persécution, non pas le dérèglement de ma conduite? Peut-être entend-elle par le « soleil, » le zèle de la justice dont elle est armée et consumée contre les méchants, quand elle dit à Dieu : « Le zèle de votre maison me consume (Psal. XVIII, 10) » «Mon zèle m'a fait sécher, parce que mes ennemis ont oublié vos paroles (Psal CVXIII, 139). » «Je suis toute saisie d'horreur, quand je considère l'état des méchants qui abandonnent votre loi (Ibid. CXVIII, 53). » Ou bien encore : « N'êtes-vous pas témoin, Seigneur, que je hais ceux qui vous haïssent, et que je suis animée de zèle contre ceux qui s'élèvent contre vous (Psal. CXXXVIII, 21)?» Elle observe avec grand soin cette parole du Sage : « Si vous avez des filles, ne vous familiarisez pas trop avec elles (Eccles. VII. 26), » en sorte que lorsqu'elles sont lâches et tièdes, et qu'elles fuient le travail, elle ne leur fasse pas paraître la sérénité d'un visage gai, mais la tristesse noire et sombre d'une mine sévère. Ou bien, « être décolorée par le soleil,» c'est, pour elle, être enflammée d'une charité ardente envers le prochain, pleurer avec ceux qui pleurent, être infirme avec les infirmes, et touché du scandale de quiconque se scandalise. Ou bien, c'est Jésus-Christ, le Soleil de justice, pour qui je languis d'amour, qui m'a décolorée. Cette langueur fait perdre la couleur du visage ; et cette défaillance vient de la violence des désirs de l'âme. C'est pourquoi le Prophète dit : « Je me suis souvenu de Dieu, et ce souvenir m'a comblé de joie ; Je me suis appliqué fortement à cette pensée, et mon esprit est tombé dans la défaillance (Psal. LXXVI, 3). » Aussi l'ardeur de ses désirs, comme un soleil brûlant, efface les couleurs de son teint, tant qu'elle est étrangère ici bas, et qu'elle soupire après le visage glorieux et immortel de son Dieu,: le refus qu'elle reçoit la jette dans l'impatience, et ce délai lui fait souffrir des tourments proportionnés à la grandeur de son amour. Qui de vous se sent si embrasé de l'amour de Dieu, que le désir qu'il a de voir Jésus-Christ, lui donne des dégoûts et du mépris pour toute la gloire et toutes les joies de la vie présente et lui fait dire avec le Prophète : Je n'ai point désiré les grandeurs du siècle, vous le savez, Seigneur (Jer. XVII, 16); » et, avec David : «Mon âme refuse toute consolation (Psal. LXXVI, 3), » c'est-à-dire méprise la vaine joie des biens présents. Ou au moins, « le soleil m'a décolorée, » c'est-à-dire en comparaison de sa splendeur; parce que, en m'approchant de lui, je me trouve basanée, je me trouve noire, je me trouve laide. D'ailleurs je suis belle. Pourquoi m'appelez-vous noire quand je ne le cède en beauté qu'au soleil? Mais ce qui suit semble mieux convenir au premier sens. Car elle ajoute : « Les enfants de ma mère ont combattu contre moi; » ce qui fait voir clairement qu'elle a souffert persécution; mais ce sera le sujet d'un autre discours, car ce que nous avons reçu de la gloire de l'Époux de l'Église notre Seigneur Jésus-Christ, par le don de la grâce, peut suffire pour cette heure. Qu'il soit béni dans tous les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

Haut du document

Précédente Accueil Remonter Suivante