SERMON LXXXI
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SERMON LXXXI. Convenance et similitude du Verbe, sous le rapport de l'identité de son essence, de l'immortalité de sa vie et de la liberté de son arbitre.

1. C'est avec raison que l'on a demandé dans le discours précédent quelle affinité il y a entre l'âme et le Verbe. En effet, y en a-t-il entre une si grand majesté et une si grande misère, pour pouvoir dire qu'une grandeur si sublime et une bassesse si profonde, s'embrassent comme deux époux, qui s'aiment uniquement, et entre qui il y aurait quelque égalité? Si ce que nous disons est vrai, nous avons sujet. de nous réjouir avec confiance, mais s'il est faux, c'est à nous, une audace bien punissable de parler ainsi. C'est pourquoi il a fallu chercher la convenance qu'il y a entre eux, et nous l'avons déjà remarquée en bonne partie, mais non pas en tout point. Car, qui est assez stupide pour ne pas voir combien il y a de rapport entre l'image et ce qui est fait sur cette image? Si vous vous en souvenez, nous avons £ait voir dans le sermon d'hier, que le Verbe est l’image de Dieu, et que l'âme est faite à cette image, et. nous avons prouvé l'affinité qu'elle a avec lui, non-seulement parce qu'elle est faite à son image, mai; parce qu'elle est faite à sa ressemblance. Mais nous n'avons pas encore expliqué en détail en quoi cette ressemblance consiste principalement. Tâchons donc maintenant de le faire, afin que l'âme, ayant une connaissance plus parfaite de son origine, ait plus de honte aussi, d'en dégénérer par le dérèglement de sa conduite; ou plutôt, afin qu'elle s'étudie à réformer par ses soins ce qu'elle reconnaîtra dans sa nature de corrompu par le péché ; et que, avec l'assistance de Dieu, se comportant d'une façon digne de lui, elle puisse s'approcher avec confiance, des embrassements du Verbe.

2. Quelle reconnaisse donc que de cette ressemblance divine, elle tire une simplicité naturelle de substance, en sorte que ce lui est une même chose d'être et de vivre, quoique d'une vie, qui n'est pas toujours bonne et bienheureuse, afin qu'il y ait de la ressemblance entre elle et son image, non pas de l'égalité. C'est un degré qui est proche, mais pourtant c'est un degré. Car, il y a une différence d'excellence et de grandeur entre être et vivre simplement, et être et vivre heureux. Si donc le Verbe possède l'un, à cause de sa. sublimité, et l'âme l'autre, à cause de sa ressemblance, sans préjudice pour l'éminence du Verbe, l'affinité des deux natures et la prérogative de l'âme sont visibles. Et, afin d'expliquer ceci plus clairement : il n'y a que Dieu seul en qui ce soit la même chose d'être et d'être bienheureux, et c'est la première et la plus pure simplicité. La seconde qui lui est semblable, c'est d'être et de vivre, et c'est ce qui est propre à l'âme. De ce degré, quoique inférieur, on peut monter non-seulement à la bonne vie, mais à la vie bienheureuse, non qu alors ce soit la même chose en celui qui y est parvenu, d'être et d'être bienheureux ; car, bien qu'il se glorifie de sa ressemblance, la disparité qu'il y a entre lui et son image lui donne toujours sujet de dire, et de le dire au plus profond de son cœur : « Seigneur, qui est semblable à vous? » Ce degré de l'âme néanmoins est excellent, puisque c'est par lui seul qu'on peut atteindre à la vie bienheureuse.

3. Car il y a deux sortes de choses qui ont vie. Les unes ont du sentiment, et les antres n'en ont point. Les choses sensibles sont préférables à celles qui sont insensibles : mais il faut préférer aux unes et aux autres les êtres qui vivent et sentent en même temps. La vie et ce qui vit ne sont pas dans un même degré d'excellence, beaucoup moins donc la vie, et ce qui n'a point de vie. La vie est véritablement l'âme qui vit, mais elle ne vit que par elle-même; c'est pourquoi, à proprement parler, elle n'est pas tant vivante, qu'elle n'est la vie même. De là vient qu'étant dans le corps, elle lui donne la vie, mais le corps, par la présence de la vie, ne devient pas vie, mais vivant. D'où il parait clairement que ce n'est pas une même chose pour le corps qui vit, d'être et de vivre, puis qu'il peut être et ne vivre pas. Les choses qui sont privées de vie, s'élèvent encore bien moins à ce degré. Il ne s'ensuit pas même que tout ce qu'on appelle vie, ou qui l'est en effet, y puisse aussitôt atteindre. Il y a la vie des bêtes et la vie des arbres: l'une est pourvue de sentiment, et l'autre en est privée. Cependant, dans les uns ni dans les autres, ce n'est point une même chose d'être et de vivre, puisque, ainsi que plusieurs le croient, leur vie a été dans les éléments, longtemps avant qu'elle ait été dans leurs branches, ou dans leurs membres. Et, selon ce sentiment, lorsque leur vie cesse de les animer, ils cessent de vivre mais non pas d'être. Elle se dissout, comme n'étant pas liée seulement, mais entrelacée avec eux. Car elle n'est pas une matière simple, mais composée. C'est pourquoi elle n'est pas réduite au néant, mais elle se sépare en plusieurs parties, et chacune retourne à son principe, ainsi l'air retourne à l'air, le feu au feu, et le reste de même. Ce n'est donc pas la même chose à cette vie d'être et de vivre, puisqu'elle subsiste, quoique la forme ne subsiste pas.

4. Or, ce en quoi l'être n'est point inséparable de la vie, n'arrivera jamais à la vie heureuse, attendu qu'il n'a pas même pu arriver au degré inférieur à celui-là. La seule âme de l'homme y peut atteindre, parce qu'elle a été créée vie par la vie, simple par celui qui est infiniment simple, immortelle par l'immortel, en sorte qu'elle n'est pas éloignée du suprême degré, où l'être est la même chose que la vie heureuse, dans lequel se trouve seul celui qui est parfaitement heureux, et infiniment puissant, le roi des rois, et le Dominateur des dominateurs du monde. Encore donc qu'il ne soit pas de l'essence de l'âme d'être bienheureuse, elle le peut être néanmoins, et s'approche ainsi, autant qu'il se peut, du souverain degré, mais néanmoins n'y arrive pas. Car, comme nous avons déjà dit, quand même elle sera bienheureuse, sa félicité ne sera pas une même chose avec son être. Nous demeurons d'accord de la ressemblance, mais nous nions l'égalité. Par exemple, Dieu est vie, et l'âme est vie aussi, elle lui est semblable et diffère cependant de lui. Elle lui est semblable, parce qu'elle est vie, parce qu'elle vit d'elle-même, parce qu'elle ne vit pas seulement, mais qu'elle donne la vie, comme il est tout cela lui-même. Mais elle est différente de lui, autant qu'une créature est différente de son créateur. Elle est différente en ce que, comme elle ne serait point s'il ne l'avait créée, elle ne vivrait point s'il ne lui avait donné la vie. Elle ne vivrait pas, dis-je, mais de la vie spirituelle, non de la vie naturelle. Car, celle qui ne vit point de la vie spirituelle, vit toujours de la naturelle. Mais quelle vie est-ce que celle là, puisqu'il aurait été plus avantageux de ne l'avoir jamais reçue, que de ne la pouvoir perdre? C'est plutôt une mort, mais une mort d'autant plus cruelle, qu'elle vient du péché, non de la nature. Car la mort des pécheurs est très-funeste. (Psal. XXXIII. 22.) L'âme donc qui vit ainsi, selon la chair, est morte, quoiqu'elle soit vivante, parce qu'il vaudrait mieux pour elle de ne ressusciter jamais de cette mort vivante, si je puis parler ainsi, si ce n'est par la parole de vie, ou plutôt par le Verbe qui est vie et qui donne la vie.

5. Mais d'ailleurs l'âme est immortelle, et en cela elle est encore semblable au Verbe, mais non pas égale. Car l'immortalité de Dieu est tellement au-dessus de celle de l'âme, que l'Apôtre dit, que « Dieu seul possède l'immortalité (Tim. XI, 26). » Ce qu'il a dit, je crois, parce que lui seul est immuable par sa nature, comme il le dit dans le Prophète : « Je suis le Seigneur, et ne change point (Mala. III, 6). » Car la vraie et parfaite immortalité n'est pas plus susceptible de changement que de fin, attendu que tout changement est une imitation de la mort. Car tout ce qui change, en passant d'un être à un autre, meurt à ce qu'il est pour commencer à être ce qu'il n'est pas. S'il y a autant de morts que de changements, où est l'immortalité. Or la créature est sujette à ces altérations et à cette misère, non de son bon gré, mais pour suivre l'ordre de Dieu qui l'y a soumise, et avec l'espérance d'en être délivrée un jour (Mala. VIII, 20). L'âme néanmoins est immortelle, parce que, étant à elle-même sa vie, comme elle ne peut passe perdre elle-même, elle ne peut pas non plus perdre sa vie. Mais comme il est constant qu'elle change par ses affections et ses mouvements, elle doit reconnaître, en se trouvant semblable à Dieu par l'immortalité, qu'il ne lui en manque pas une faible partie, et céder l'immortalité parfaite et consommée à celui-là seul, qui ne souffre pas l'ombre d'une altération ni d'un changement. Ce que nous avons dit néanmoins fait voir que la mollesse de lame n'est pas petite, puisqu'elle approche de la nature du Verbe sous tin double rapport, par fil simplicité de son essence, et par la perpétuité de sa vie.

6. Mais i1 me vient encore à l'esprit une autre ressemblance que je lie veux point passer sous silence, parce qu'elle lie contribue pas moins à la dignité de l'âme que les autres, et ne la rend pas moins, et peut-être la rend-elle plus semblable au Verbe. C'est le libre arbitre, don tout divin qui brille dans l'âme comme une pierre précieuse enchâssée dans de l'or. Car c'est par lui qu'elle fait le discernement entre le bien et le mal, entre la vie et la mort, entre la lumière et les ténèbres et toutes les choses pareilles qui peuvent se rapporter à l'âme, et peut choisir ce qui lui plait davantage. Cet œil de l'âme est comme un censeur ou un arbitre qui discerne et choisit entre les choses opposées. Aussi l'appelle-t-on bien arbitre parce qu'il lui est permis d'agir selon qu'il semble bon à la volonté. De là vient que l'homme est capable de mérites. Car tout le bien ou le mal que vous faites, et qu'il vous est libre de ne pas faire, vous est imputé, avec raison, à mérite, Et comme on loue avec justice, non-seulement celui qui, ayant pu faire le mal lie l'a point fait, mais encore celui qui, ayant pu lie pas faire le bien, l'a fait; ainsi on blâme justement aussi celui qui a fait le mal, ayant pu ne le point faire, et celui qui n'a pas fait le bien lorsqu'il le pouvait faire. Mais où il n'y a point de liberté il n'y a point de mérite. C'est pourquoi les animaux qui sont privés de raison ne méritent point, parce que, manquant de jugement, ils manquent aussi de liberté. Ils sont, poussés par leurs sens, emportés par leur impétuosité naturelle, entraînés par leurs appétits. Ils n'ont point de jugement pour faire réflexion sur leurs actions ni pour se conduire, ils n'ont pas même le principe du jugement qui est la raison, et ils ne sont point jugés parce qu'ils ne jugent point. Car y aurait-il justice à leur demander raison, quand ils n'ont point reçu la raison.

7. Il n'y a que l'homme qui ne souffre point cette violence de la nature. C'est pourquoi il n'y a que lui de libre entre tous les êtres vivants. Néanmoins le péché lui fait aussi souffrir quelque violence, mais cette violence vient de sa volonté, non de la nature, en sorte qu'elle ne le prive pas de la liberté qui lui est naturelle. Car ce qui est volontaire est libre aussi. Le péché est cause que le corps qui est sujet à la corruption appesantit l'âme, mais il agit par l'amour non par sa masse. Car, de ce que l'âme qui a pu tomber par elle-même, ne peut se relever par elle-même, c'est la volonté qui en est cause, parce qu'étant toute languissante et abattue par l'amour vicieux et corrompu du corps, elle n'est plus capable de l'amour de la justice. Et ainsi, je ne sais comment, il arrive que la volonté tombée par le péché dans un état si funeste, s'impose à elle-même une espèce de nécessité, de telle sorte que cette nécessité, étant volontaire, ne peut pas excuser sa volonté, et que la volonté étant charmée par le faux bien qui l'attire, ne peut pas exclure cette nécessité, c'est une nécessité volontaire, si on peut parler ainsi. C'est une douce violence qui opprime en flattant et flatte en opprimant; donc la volonté criminelle qui a une fois consenti au péché ne peut plus se dégager par elle-même, et ne saurait néanmoins s'excuser raisonnablement sur son impuissance. De la cette plainte de celui qui gémissait sons le poids de cette nécessité malheureuse : « Seigneur, je souffre violence, répondez pour moi, s'il vous plaît ( Isa. XXXVIII, 14). » Mais sachant d'autre part qu'il ne pouvait pas se plaindre de Dieu avec justice, parce que c'était sa propre volonté qui était cause de fa violence qu'il souffrait, écoutez ce qu'il ajoute « Que dirai-je ou due répondra-t-il pour moi, puisque c'est moi-même qui me suis engagé dans celte misère (Ibid.) ? «Il était accablé par un joug pesant, mais par le joug d'une servitude volontaire : sa servitude était digne de compassion, mais sa volonté le rendait inexcusable. Car c'est la volonté qui, étant libre, s'est rendue esclave du péché en consentant au péché. Et c'est encore. la volonté qui se soumet elle-même au péché, cri s'y assujettissant volontairement.

8. Mais on me dira peut-être : « prenez garde. Appelez-vous volontaire ce qui est devenu nécessaire de l'aveu de tout le monde ? » Il est vrai que la volonté s'est assujettie elle-même, mais elle ne demeure pas volontairement dans cet état, elle y est retenue par force et malgré elle. Vous accordez donc air moins qu'elle est retenue. Mais considérez que c'est la volonté que vous confessez être ainsi retenue. Vous dites donc que la volonté ne veut pas ? Cependant la volonté n'est jamais retenue sans qu'elle le veuille. Car elle n'est volonté que parce qu'elle veut. Si elle est retenue parce qu'elle le veut, elle se retient donc elle-même. Que dira-t-elle donc, ou comment s'excusera-t-elle devant Dieu, puisque c'est elle-même, qui l'a fait ? Qu'a-t-elle fait? elle s'est rendue esclave du péché. D'où vient qu'il est dit : « Celui qui commet le péché est esclave du péché (Rom. VIII, 34). » C'est pourquoi, lors qu'elle a péché, et elle a péché lorsqu'elle a résolu d'obéir au péché, elle s'est rendue esclave. Mais elle devient libre lorsqu'elle ne pèche plus. Or elle pêche volontairement dans la servitude on elle s'est engagée parce que la volonté n'est point retenue sans qu'elle le veuille, car elle est volonté. Si donc elle s'est faite esclave volontairement, c'est volontairement aussi qu'elle demeure dans son esclavage. Que pourra-t-elle donc répondre pour s'excuser ? c'est ce qu'il faut nous demander souvent puisque sa servitude a été et est encore son fait.

9. Mais vous ne rue ferez pas croire, direz-vous, que je ne souffre point de contrainte, puisque je l'éprouve en moi et que je la combats sans cesse. Où, je vous prie, sentez-vous cette contrainte? N'est-ce pas dans la volonté? Vous ne voulez donc pas avec peu de force ce que vous voulez ; vous voulez beaucoup ce que vous ne pouvez pas ne point vouloir, quelque effort que vous fassiez. Or où il y a volonté, il y a liberté. Ce que j'entends de la liberté naturelle, non de la spirituelle, qui est celle que Jésus-Christ nous a acquise, comme dit l'Apôtre. Car le même Apôtre, parlant de cette liberté dit : « Où est l'esprit du Seigneur, là est aussi la liberté. » C'est ainsi que la volonté est esclave et libre tout ensemble sous cette nécessité volontaire, et malheureusement libre. Elle est esclave, à cause de la nécessité ; elle est libre par la volonté. Et ce qui est plus merveilleux et plus déplorable, elle est coupable, parce qu'elle est libre, et elle est esclave parce qu'elle est coupable, et ainsi elle est esclave parce qu'elle est libre. Malheureux homme que je suis, qui me délivrera d'une servitude si honteuse ? Je suis misérable, mais je suis libre. Je suis libre, parce que je suis homme, je suis misérable, parce que je suis esclave; je suis libre, parce que je suis semblable à Dieu , je suis misérable parce que je suis contraire à Dieu. « O souverain maître des hommes, pourquoi m'avez-vous fait contraire à vous (Job. VII, 20)? » Car vous l'avez fait lorsque vous ne l'avez pas empêché. Autrement c'est moi-même qui l'ai fait et qui me suis devenu à charge à moi-même. Et certes, il est bien juste que votre ennemi soit aussi le mien, et que celui qui vous combat me combatte également. De sorte qu'en vous étant contraire et en l’étant aussi à moi-même, je sens dans mes membres une révolte contre mon esprit et contre votre loi. Qui me délivrera de mes propres mains? Car je ne fais pas ce que je veux, et ce n'est pas un autre, c'est moi qui m'en empêche. Et je fais ce que je hais, et ce n'est pas un autre, c'est moi qui me pousse à le faire. Plût à Dieu que cet empêchement ou cette impulsion fût tellement violente, qu'elle ne fût pas volontaire, car peut-être de cette façon pourrais-je m'excuser; ou plût à Dieu au moins qu'elle fût tellement volontaire, qu'elle ne fût pas violente, car peut-être pourrais-je me corriger, Mais maintenant, malheureux que je suis, je ne vois aucune issue, la volonté d'une part me rend inexcusable, et la nécessité de l'autre nie rend incorrigible. Qui me délivrera des mains du pécheur, des mains de celui qui combat votre loi et du méchant?

10. Quelqu'un me demandera peut-être de qui je me plains? De moi-même. C'est moi qui suis ce pécheur, cet homme sans loi et méchant. Je suis pécheur, parce que j'ai péché ; sans loi, parce que je persiste volontairement à violer la loi. Car ma volonté est une loi qui résiste dans mes membres, et qui combat contre la loi de Dieu. Et parce que la loi du Seigneur est la loi de mon esprit, ainsi qu'il est écrit : « La loi de son Dieu est dans son cœur (Psal. XXXVI, 31). » Cela fait que ma propre volonté m'est contraire à moi-même, ce qui est le comble de l'iniquité. Car à qui ne serais-je point injuste, quand je le suis pour moi-même ? « Celui, dit le Sage, qui est méchant envers soi-même, envers qui peut-il être bon (Eccle. XIV, 5)?» Je ne suis pas bon, je l'avoue, parce que le bien n'habite pas en moi. Je me consolerai toutefois parce que un saint a dit aussi : « Je sais que le bien n'habite pas en moi (Rom. VIII, 18). » Néanmoins il met quelque différence en ce qu'il dit en soi, il entend par-là sa chair, à cause de la loi qui y réside et qui est contraire à celle de Dieu. Car il a aussi une loi dans l'esprit, mais qui est bien meilleure que l'autre. En effet, la loi de Dieu n'est-elle pas bonne? S'il est méchant à cause de la mauvaise loi, comment ne serait-il pas bon à cause de la bonne? Dira-t-on que la mauvaise loi est la sienne, parce qu'elle est dans sa. chair et que c'est pour cela qu'elle est mauvaise, sa loi étant mauvaise, sans dire qu'il est boit, lorsque: sa loi est bonne; cela ne se peul pas. La loi de Dieu est dans son esprit, et elle y est tellement que c'est. la loi même de son esprit, témoin celui qui dit : « Je trouve dans mes membres une autre loi qui résiste à la loi de mon esprit (Rom. VII, 25). » Est-ce que ce qui est à sa chair est à lui, et ce qui est à son esprit ne l'est pas? Je dis plus. Et pourquoi ne dirais-je pas ce que ce même maître a dit ? Car, « lorsque je suis soumis à la loi de Dieu, c'est par l'esprit que je le suis, taudis que c'est par la chair que je suis esclave de la loi du péché. » Je montre assez clairs meut par là ce qui est à lui, puisqu'il regarde le mal qui est dans sa chair, comme lui étant étranger, quand il dit : « ce n'est pas moi qui fais le mal que fait ma chair, mais le péché qui habite en moi (Ibid. 20). » Et c'est peut-être pour cette raison qu'il marque expressément, qu'il a trouvé une autre loi dan, ses membres, parce qu'il l'estimait étrangère et comme venue du dehors. C'est pourquoi j'oserai bien encore ajouter sans témérité, que saint Paul n'était point pécheur à cause du péché qui résidait dans sa chair, mais plutôt vertueux à cause du bien qui habitait dans son esprit. En effet, celui-là n'est-il pas bon qui obéit à la loi de Dieu parce qu'elle est bonne ? Car bien qu'il confesse qu'il est esclave de la loi du péché, c'est selon la chair, et selon l'esprit. Mais, obéissant selon l'esprit à la loi de Dieu, et selon la chair à celle du péché, c'est à vous à voir laquelle de ces deux obéissantes doit être plutôt imputée à cet apôtre. Pour moi, je suis persuadé que ce qui est selon l'esprit est plus épie ce qui est selon la chair, et ce n'est pas moi seulement qui suis de ce sentiment, mais c'est saint Paul même qui dit, comme nous l'avons déjà rapporté : « Si je fais ce que. je ne veux pas, ce n'est pas moi qui le fais, mais le péché qui habite en moi (Ibid. 20). »

11. Mais en voilà assez sur la liberté. Dans le traité que j'ai composé touchant la Grâce et le libre arbitre, vous trouverez peut-être d'autres choses, mais non pas contraires à celles-ci, sur l'image et la ressemblance de l'homme avec Dieu. Vous avez lu ce traité, et vous avez entendu ce que nous venons de dire. Je vous laisse à juger lequel de ces deux discours est le meilleur, ou si vous savez quelque chose de mieux, je m'en réjouis et m'en réjouirai. Quoi qu'il en soit, je crois que vous vous souvenez bien que nous avons remarqué trois avantages singuliers de la, nature de l'âme, la simplicité, l'immortalité, et la liberté. Et je pense que vous voyez clairement maintenant que l'âme, par ces trois sortes de ressemblances qui lui sont, naturelles, et qui la relèvent si fort, n'a pas une médiocre affinité avec le Verbe époux de l'Église. Jésus-Christ Notre-Seigneur, qui étant Dieu, et élevé par dessus tout, est béni dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

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