SERMON XXXIX
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SERMON XXXIX. Des chariots de Pharaon, qui est le diable, et des princes de son armée qui sont la malice, l'intempérance et l'avarice.

1. « Je vous ai comparé, mon amie, à mon armée environnée des chariots de Pharaon (Cant. 1, 5). » Avant toutes choses, nous reconnaissons volontiers dans ces paroles, que l'Église a été figurée dans les patriarches de l'ancienne loi, et que le mystère de la rédemption y a été montré par avance. Dans la sortie d'Israël hors d'Égypte, et dans le double miracle de la mer Rouge, qui donna passage au peuple de Dieu, et en même temps le vengea de ses ennemis, la grâce du baptême est clairement exprimée, parce que le baptême sauve-les hommes, et submerge les crimes. « Tous, dit l'Apôtre, ont été sous la nuée, et ont été baptisés sous la conduite de Moïse dans la nuée et dans la mer Rouge (I Cor. 1, 2) ». Mais il faut qu'à notre ordinaire, nous marquions la suite des paroles du Cantique, et montrions la liaison qu'elles ont avec ce qui précède ; après cela nous tacherons d'en tirer quelque chose d'utile pour les mœurs. Ainsi, après avoir réprimé la présomption de l'Épouse d'un ton de voix dur et sévère, ne voulant pas la plonger dans la tristesse, il lui remet en mémoire quelques biens qu'elle avait déjà reçus, et lui en promet de nouveaux. Il l'appelle « belle » de nouveau, et la nomme son «amie : » si je vous ai parlé un peu rudement, mon amie, dit l'Époux, ne croyez pas que ce soit par aversion, ou par aigreur, les dons que je vous ai prodigués et dont je vous ai ornée sont des preuves évidentes de mon amour. Je n'ai pas dessein de vous les ôter, mais plutôt de vous en donner de plus grands. Ou bien ne vous fâchez point, mon amie, de ce que vous ne recevez pas présentement ce que vous demandez, puisque vous avez déjà reçu de moi de si grandes faveurs, et en recevrez encore de plus grandes, si vous accomplissez mes préceptes, et persévérez dans mon amour. Voilà pour la suite de la lettre.

2. Maintenant voyons les choses qu'il dit lui avoir données. Premièrement, il l'a rendue semblable à son armée environnée des chariots de Pharaon, en la délivrant du joug du péché, par la destruction de toutes les œuvres de la chair, de même que le peuple juif fut délivré de la servitude de l'Égypte, quand les chariots de Pharaon furent renversés et submergés dans la mer Rouge (Exod. XIV, 28). Cette grâce sans doute est bien grande ; et je crois ne pas commettre une folie, en me glorifiant de l'avoir aussi reçue, puisque en cela je ne dirai rien qui ne soit véritable, je le confesse donc, et je le confesserai sans cesse, si le Seigneur ne m'eût assisté, il s'en eût peu fallu que mon âme ne tombât dans l'enfer (Psal. LXXXIII, 17). Je ne suis ni ingrat ni oublieux, je chanterai éternellement les miséricordes du Seigneur (Psal. XCIII, 1). Mais laissons là la ressemblance que j'ai avec l'Épouse. Après qu'elle a été ainsi délivrée par une bonté singulière de l'Époux, elle devient son amie et elle est revêtue d'une beauté incomparable comme Épouse du Seigneur; mais cette beauté n'est encore que sur les joues et sur le cœur. De plus, il lui promet des colliers pour la parer. et des pendants d'oreilles d'or, comme étant plus gracieux, et marquetés d'argent pour être plus beaux. Qui n'aimerait l'ordre même de ces dons? D'abord elle est délivrée, ensuite elle est aimée, puis elle est baignée et purifiée, et enfin on lui promet de riches et magnifiques parures.

3. Je ne doute point que quelques-uns de vous ne sentent déjà en eux-mêmes ce que je dis, et ne me préviennent par l'expérience qu'ils en ont. Mais je me souviens de ce mot du Prophète : « Vos paroles répandent la lumière, et donnent l'intelligence aux simples et aux petits (Psal. CXVIII, 130). » Et c'est pour eux, je crois, qu'il est à propos d'expliquer ceci avec un peu plus d'étendue. Car l'esprit de sagesse est doux, et il aime un maître doux et diligent, qui, tout en s'efforçant de contenter ceux qui sont prompts à comprendre, ne dédaigne pas de condescendre à la faiblesse de ceux qui ont l'esprit plus lent. D'ailleurs la sagesse même a dit : « ceux qui me rendent claire, auront la vie éternelle (Eccli. XXIV, 31). » Je serais bien fâché d'être privé de cette récompense. Après tout, dans les choses qui me paraissent faciles, il y en a souvent de cachées, et telles, qu'il n'est pas superflu de les expliquer avec soin aux plus capables et aux plus pénétrants.

4. Mais considérez la comparaison de Pharaon et de son armée avec la cavalerie du Seigneur. On ne compare pas ces deux armées entre elles, mais on les compare toutes deux à une autre chose, car quel rapport y a-t-il entre la lumière et le ténèbres, et quel rapprochement entre le fidèle et l'infidèle? L'Époux compare sans doute l'âme sainte et spirituelle, à l'armée du Seigneur; Pharaon au diable, et les armées de l'un à celles de l'autre. Vous ne serez pas étonnés qu'une âme soit comparée à une armée entière, lorsque vous considérerez les armées de vertus qui se trouvent dans cette âme sainte, quel ordre règne dans ses mouvements, quelle discipline dans ses mœurs, quelle force dans ses prières, quelle vigueur dans ses actions, quelle ferveur dans son zèle; et enfin quels combats elle livre à ses ennemis, et combien elle remporte de victoires sur eux. Aussi lisons-nous dans la suite de ce Cantique, qu'elle « est terrible comme une armée rangée en bataille (Cant. VI, 3). Et encore, «que verrez-vous dans la Sunamite, sinon des ordres de bataille (Cant. vit, 1) ? » O, si cette explication ne vous agrée pas, sachez qu'une âme pieuse n'est jamais sans une troupe d'anges qui la gardent, avec une jalousie toute divine, ayant soin de la conserver pour son Époux, et dé la rendre chaste et vierge à Jésus-Christ. Ne dites point en vous-mêmes; où ont-ils? qui les a vus? Le prophète Élisée les a vus, et a obtenu de plus, par la prière, que Giési les vit aussi (4 Reg. VI, 17). Si vous ne les voyez pas, c'est que vous n'êtes ni Prophète, ni serviteur d'un Prophète. Le patriarche Jacob les vit, et dit : « C'est là l'armée de Dieu (Gen. XXXII, 2). » Le Docteur des nations les vit aussi, puisqu'il disait . « Tous les esprits bienheureux ne sont-ils pas les ministres de Dieu, envoyés pour servir ceux qui sont destinés à l'héritage du salut (Hebr, 14)?»

5. Aussi l'Épouse sous la protection des anges, et environnée de ces troupes célestes, est semblable à l'armée du Seigneur, à cette armée qui autrefois, au milieu des chariots de Pharaon, triompha de ses ennemis par un miracle étonnant de l'assistance divine (Exod. XIV, 18). Car si vous considérez attentivement toutes les choses que vous admirez dans un événement si prodigieux, vous en trouverez ici qui ne sont pas moins dignes d'admiration. Et même on peut dire que le triomphe ici est plus magnifique, puisque les merveilles qui se sont faites alors en des choses corporelles, s'accomplissent à présent d'une manière spirituelle. Ne vous semble-t-il pas, en effet, qu'il y a bien plus de gloire et de valeur, à terrasser le diable que Pharaon, et à dompter les puissances de l'air, qu'à renverser les chariots de ce prince ? Là on combattait contre la chair et le sang, et ici on combat contre les puissances invisibles, contre les princes du monde et des ténèbres, contre les esprits malins qui volent dans l'air (Ephes. XI, 12). Poursuivez avec moi les autres membres de cette comparaison. Là le peuple est tiré de l'Egypte; ici l'homme est tiré du siècle. Là Pharaon, ici le diable est terrassé. Là ce sont les chariots de Pharaon qui sont renversés ; ici ce sont les désirs de la chair et du siècle, toujours en guerre avec l'âme, qui sont anéantis ! Ceux-là sont submergés dans les flots, ceux-ci le sont dans les larmes ; les uns dans le flot de la mer, les autres dans les larmes amères. Je crois que lorsqu'il arrive que les démons rencontrent une âme de telle sorte, ils crient comme les Egyptiens ; « Fuyons Israël, car le Seigneur combat pour lui (Exod. XIV, 15). » Voulez-vous encore que je vous marque quelques-uns des princes de la suite de ce Pharaon mystique par leurs noms propres, et que je vous décrive quelques-uns de ses chariots, sur lesquels vous vous pourrez régler pour trouver les autres de vous-mêmes? Un des grands princes du roi spirituel et invisible d'Egypte est la malice. «L'intempérance et l'avarice » en sont encore deux grands. Et ces princes ont chacun, sous leur roi, des empires renfermés dans les limites qui leur ont été prescrites. Car la malice étend sa domination dans la région des crimes et des forfaits. L'intempérance est à la tête de toutes les actions déshonnêtes. L'avarice étend son empire sur les rapines et sur les fraudes.

6. Écoute? aussi quels sont les chariots que ce Pharaon a préparés à ses princes pour poursuivre le peuple de Dieu. La Malice a un chariot à quatre roues, lesquelles sont la cruauté, l'impatience, l'audace et l'imprudence. Ce chariot est prompt à répandre le sang, qui n'est point arrêté par l'innocence, ni retardé par la patience, ni arrêté par la crainte, ni retenu par la pudeur. Il est attelé de deux chevaux d'une grande rapidité, et qui sont très-propres à causer toute sorte de maux et de dégâts, ce sont la puissance de la terre, et la pompe du siècle. Car le chariot de la malice s'avance avec une prodigieuse vitesse, lorsque, d'une part, il a la puissance pour accomplir ses desseins pernicieux, et de l'autre la pompe qui lui applaudit et le félicite, lorsqu'il a commis les plus grands crimes, en sorte que cette parole de l'Écriture s'accomplit: «Le pécheur est loué dans ses désirs, et le méchant reçoit des bénédictions. » (Psal. IX. 3.) Et ailleurs C'est maintenant le temps de votre règne, et de la puissance des ténèbres.» (Luc. XXII. 52.) Ces deux chevaux sont conduits par deux cochers, l'Enflure et la Jalousie. L'enflure mène la pompe, et la Jalousie la puissance. Car le cœur enflé par la vanité, est emporté avec violence dans l'amour des pompes du diable; tandis que celui que la crainte retient à la même place, que la gravité rend modeste , l'humilité solide, la pureté sain et entier, ne saurait jamais être emporté par le vent de la vaine gloire. De même, l'autre cheval de la puissance de la terre est conduit par la Jalousie qui le presse des deux éperons de l'envie, je veux dire par la crainte de tomber et l'appréhension de succomber. Tels sont, en effet, les aiguillons, qui piquent sans cesse les flancs des puissances de la terre. Voilà pour ce qui est du chariot de la malice.

7. Celui de l'intempérance roule aussi sur quatre vices, comme sur quatre roues, qui sont les appétits du ventre, la passion du sexe, la noblesse des habits et la langueur de la somnolence. Il est aussi attelé de deux chevaux, la prospérité et l'abondance; ceux qui les conduisent sont : l'engourdissement de la paresse, et la confiance téméraire; car l'abondance de toutes choses produit aisément la paresse, et, selon l'Écriture, la « prospérité des fous sera cause de leur perte (Prov. I. 32), » sans doute parce qu'elle leur donne une confiance téméraire. Mais lorsqu'ils parleront le plus de paix et d'assurance, ils se trouveront accablés par une ruine soudaine (I Thes. V, 3). Ils n'ont besoin ni d'éperons, ni de fouet, ni d'antres choses semblables, mais, au lieu de cela, ils se servent d'un petit parasol pour faire de l'ombre, et d'un éventail pour faire du vent. Ce parasol, c'est la dissimulation, qui fait comme une espèce d'ombre dans l'âme, et la met à l'abri de l'ardeur dévorante des soucis. Car c'est le propre d'une âme molle et délicate, de ne vouloir pas prendre même les soins nécessaires, de peur d'en sentir la peine, et de se cacher comme sous le voile d'une dissimulation affectée. L'éventail, c'est la prodigalité qui produit le vent de la flatterie. Car les personnes débauchées sont prodigues et paient de leur bourse le vent qui sort de la bouche des flatteurs : mais en voilà assez sur ce sujet.

8. L'avarice est aussi traînée sur un chariot qui a quatre vices en guise de roues qui le portent, ce sont : la timidité, l'inhumanité, le mépris de Dieu, l'oubli de la mort. Les chevaux qui le traînent sont la mesquinerie et la rapacité. Il n'est qu'un cocher pour les conduire, c'est l'ardeur d'amasser. Car l'avarice se contente d'un seul serviteur, ne voulant pas faire la dépense d'en avoir plusieurs. Mais ce serviteur exécute ce qui lui est commandé avec une ardeur infatigable, ses deux fouets pour punir les chevaux sont la passion d'acquérir et la crainte de perdre.

9. Le roi d'Égypte a encore d'autres princes, qui ont aussi leurs chariots, pour servir leurs maîtres dans les combats. Tel est l'Orgueil, un des plus grands seigneurs de sa cour; telle est aussi l'Impiété, l'ennemie de la foi, qui tient un rang considérable dans la maison de Pharaon. Il y en a encore plusieurs autres d'un ordre inférieur, tant satrapes que chevaliers, dont le nombre est infini dans son armée, et je vous laisse à en chercher les noms et. les offices, ainsi que les armes et les appareils de guerre , pour vous exercer en ces choses. C'est ainsi que l'invincible Pharaon, plein de confiance en la force de ses princes et de ses chariots, court de fous côtés, et, comme un cruel tyran, exerce autant qu'il peut sa fureur et sa rage contre toute la famille du Seigneur, et poursuit même encore aujourd'hui Israël qui sort de l'Egypte. Mais ce peuple de Dieu, bien qu'il ne soit ni porté sur des chariots, ni couvert d'armes, ne laisse pas, fortifié par la main du Seigneur, de dire avec confiance : « Chantons un hymne de louanges au Seigneur, car il a fait ouïr avec magnificence l'éclat de sa gloire, il a renversé dans la mer le cheval et le cavalier (Exod. XV, 1). Et ceux qui nous attaquent mettent toute leur confiance dans leurs chariots et dans leurs chevaux ; mais, pour nous, nous la mettons dans le nom du Seigneur notre Dieu que nous invoquons (Psal. XXIX. 8). » Voilà pour ce qui regarde la comparaison de l'armée du Seigneur et des chariots de Pharaon.

10. Après cela, l'Épouse est appelée « Amie. » Car pour l'Époux, il était ami avant même qu'il l'eût rachetée ; autrement il n'eût jamais racheté une personne qu'il n'aurait pas aimée. Mais elle, elle est devenue son amie par le bienfait de la rédemption. Écoutez un apôtre qui en demeure d'accord : « Ce n'est pas que nous l'ayons aimé, mais c'est qu'il nous a aimés le premier (Joan. IV, 10). » Souvenez-vous de Moïse et de l'Éthiopienne, et reconnaissez que, dès lors était figuré le mariage spirituel du Verbe avec l'âme pécheresse, et discernez, si vous le pouvez, ce qui vous donne le plus de consolation et de plaisir en considérant un mystère si doux; est-ce la bonté incomparable du Verbe, la gloire inestimable de l'âme, ou la soudaine confiance du pécheur ? Mais Moïse ne put changer la peau de l'Éthiopienne, au lieu que Jésus-Christ a fait ce changement. Car nous lisons ensuite ; « Vos joues sont belles comme celles d'une tourterelle. » Mais réservons cela pour un autre discours, afin que, prenant toujours avec appétit les mets qui nous sont servis sur la table de l'Époux, nous exhalions les louanges, et célébrions la gloire de Jésus-Christ Notre-Seigneur, qui est Dieu par dessus tout, et béni à jamais. Ainsi soit-il.

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