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SERMON XXI. Comment l'Épouse, c'est-à-dire l'Église, demande à Jésus qui est son époux, d'être attirée après lui.

1. « Tirez-moi après vous; nous courrons dans l'odeur de vos parfums (a). » Mais quoi? Est-ce que l'Épouse a besoin d'être tirée, et de l'être après l'Époux? Comme si elle le suivait malgré elle, non pas de son propre mouvement. Mais tous ceux qui sont tirés ne le sont pas malgré eux. Car, par exemple, celui qui est infirme ou boiteux, et qu’il ne saurait marcher tout seul, n'est pas fâché qu'on le traîne au bain ou à table, encore qu'un criminel soit fâché d'être traîné en jugement ou au supplice. Enfin, celle qui fait cette demande veut être entraînée. Et elle ne ferait pas cette demande, si elle pouvait, par elle-même, suivre son bien-aimé comme elle le voudrait. Mais pourquoi ne le peut-elle pas? Dirons-nous que l'Épouse même est invalide? Si c'était une des jeunes filles qui se dit infirme, et qui demandât d'être entraînée, il n'y aurait pas sujet de s'en étonner. Mais l'Épouse, qui semblait pouvoir même entraîner les autres, tant elle est forte et parfaite ; qui est-ce qui ne trouverait étrange, qu'elle eût besoin d'être traînée elle-même, comme si elle était faible et languissante ? Quelle âme sera pour nous forte et saine, si nous consentons qu'on tienne pour infirme celle qui, à causé de sa singulière perfection, et de son éminente vertu, est nommée l'Épouse du Seigneur? N'est-ce point l'Église qui s'est exprimée ainsi quand elle vit son bien-aimé monter au ciel, et qu'elle souhaitait avec passion de le suivre, et d'être élevée dans la gloire avec lui ? Quelque parfaite que soit une âme, tant qu'elle gémit sous le poids de ce corps de mort, et qu'elle est retenue captive dans la prison de ce siècle mauvais, liée par de fâcheuses nécessités, et tourmentée par les crimes qui s'y commettent, elle est contrainte de s'élever plus lentement, et avec moins de vigueur à la contemplation des choses sublimes, et elle n'est pas libre de suivre l'Époux partout où il va. C'est ce qui arrachait ce cri lamentable à celui qui disait en gémissant; a Malheureux homme que je suis, qui me délivrera de ce corps de mort (Rom. VII, 24) ? C'est ce qui inspirait cette humble prière : «Tirez mon âme de prison (Psal. CXII, 8). » Que l'Épouse dise donc, et qu'elle dise avec douleur : « Tirez-moi après vous, » parce que ce corps corruptible appesantit Pâme, et cette demeure de terre et de boue accable l'esprit, qui voudrait s'élever dans ses pensées (Sap. IX, 15). Ou bien, peut-être dit-elle cela dans

a Telle est la version des premières éditions au lieu de à l'odeur de vos parfums comme nous l'avons déjà fait observer ailleurs. Ainsi ce n'est pas à l'odeur mais au milieu même de l'odeur qu'exhalent vos parfums que nous courons. » n. 4, « excités par cette odeur, » n. 9 et n. 11. « Nous courrons dans l'odeur de vos parfums non pas dans la confiance de nos propres mérites. » Et un peu plus loin : « Pour vous, ô mon époux, vous courez dans l'onction même, mais nous, nous ne courrons que dans l'odeur qu'elle répand. Vous couru dans la plénitude et nous à l'odeur des parfums.

son désir de sortir de cette vie, et d'être avec J.-C., surtout en voyant que celles pour qui il semblait nécessaire qu'elle y demeurât étant plus avancées, aiment déjà l'Époux, et peuvent se tenir à l'abri des tempêtes dans le port de la charité. Car elle avait dit auparavant : « C'est pour cela que les jeunes filles vous aiment avec passion. » Il semble donc qu'elle veuille dire : Voilà les jeunes filles qui vous aiment, et, par cet amour sont attachées si fermement à vous, qu'elles n'ont plus besoin de moi, et qu'il n'y a point de raison qui m'arrête davantage en ce monde : «Tirez-moi donc s'il vous plait après vous. »

2. Je croirais que c'est là sa pensée, si elle avait dit : Tirez-moi à vous ; mais comme elle dit, après vous, il me semble qu'elle demande plutôt la grâce de pouvoir suivre les traces de sa vie, de pouvoir imiter sa vertu, garder les règles de sa conduite, embrasser la perfection de ses mœurs. Car elle a principalement besoin de secours, pour renoncer à soi-même, porter sa croix, et suivre Jésus-Christ. L'Épouse a certainement besoin, pour atteindre là, d'être tirée, et elle ne peut l'être que par celui qui dit: «Vous ne pouvez rien faire sans moi (Joan. XV, 5). » Je sais bien, dit-elle, que je ne puis arriver jusqu'à vous, qu'en marchant après vous, et que je ne puis même marcher après vous, si vous ne m'aidez: c'est pourquoi je vous prie de me tirer après vous. Car « celui-là est heureux que vous assistez; il dispose en son cœur des degrés dans cette vallée de larmes (Psal. LXXXIII, 6), » pour arriver un jour à vous sur les montagnes éternelles, où on goûte une joie ineffable. Qu'il y en a peu, Seigneur Jésus, qui veuillent aller après vous; et néanmoins il n'y a personne qui ne désire arriver jusqu'à vous, car tout le monde sait qu'on goûte auprès de vous des délices sans fin. Aussi tous veulent jouir de vous, mais tous ne veulent pas vous imiter. Ils veulent bien régner avec vous, mais ils ne veulent pas souffrir avec vous. Tel était celui qui disait : « Que je meure de la mort des justes, et que la fin de ma vie soit semblable à la leur (Num. XXIII, 10). » Il souhaitait la fin des justes, mais il n'en souhaitait pas les commencements. Les hommes charnels désirent la même mort que les hommes spirituels, dont néanmoins ils abhorrent la vie, c'est qu'ils savent que la mort des saints est précieuse devant Dieu; parce que « lorsqu'il aura fait dormir en paix ceux qu'il a aimés, de ce somme il les fera passer à l'héritage du Seigneur (Psal. CXXVI, 2); » et parce que « ceux qui meurent dans le Seigneur sont bien heureux (Apoc. XIV, 13) ; » au lieu que, selon la parole du prophète Roi : « La mort des pécheurs est la pire des morts (Psal XXXIII, 22.) » Ils ne se mettent pas en peine de chercher celui que toutefois ils désirent trouver, ils souhaitent de l'atteindre, mais ne veulent pas le suivre. Ils n'étaient pas de ce nombre ceux à qui il disait : « Vous autres, vous êtes toujours demeurés avec moi durant mes tentations (Luc. XXII, 28). » Heureux ceux qui se sont trouvés dignes, ô bon Jésus, de recevoir de vous un témoignage si avantageux. Ils allaient sans doute après vous, des pieds du corps, et de toutes les affections de leur cœur. Vous leur avez montré le chemin de la vie en les appelant après vous, qui êtes la voie, la vie et la vérité, et qui dites: «Venez après moi, je vous ferai pécheurs d'hommes (Matth. IV, 19) ; » Et encore : « Que celui qui me sert me suive, et partout où j„ serai je me servirai de lui (Joan. xu, 26). » C'est donc en se félicitant qu'ils disaient : « Voilà que nous avons quitté toutes choses pour vous suivre (Matth. XIX, 27). »

3. C'est donc ainsi que votre bien-aimée, laissant tout pour vous, désire avec ardeur aller toujours après vous, marcher toujours sur les traces de vos pas, et vous suivre partout où vous irez; elle sait que vos voies sont belles, que tous vos sentiers mènent à la paix, et que celui qui vous suit ne marche point dans les ténèbres. Si elle prie qu'on la tire, c'est parce que votre justice est aussi élevée que les plus hautes montagnes, et qu'elle ne peut pas y parvenir par ses propres forces. Elle prie qu'on la tire, « parce que personne ne vient à vous, si votre Père ne le tire (Joan. IX, 44). » Or, ceux que votre Père tire, vous les tirez aussi, car les œuvres que le Père fait, le Fils les fait pareillement. Mais elle est plus familière avec le Fils, et lui fait cette demande parce qu'il est son propre époux, et que le Père l'a envoyé au-devânt d'elle, pour lui servir de guide et de maître, pour marcher devant elle dans la voie des bonnes mœurs, lui préparer le chemin des vertus, lui communiquer ses connaissances, lui enseigner les sentiers de la sagesse, lui donner la loi d'une vie et d'une conduite réglée, et la rendre si parfaite, qu'il eût. raison d'être épris de sa beauté et de ses charmes.

4. « Tirez-moi après vous; nous courrons dans l'odeur de vos parfums. » J'ai besoin d'être tirée, parce que le feu de votre amour est un peu refroidi en nous, et cette froideur nous empêche de courir à cette heure comme nous faisions hier et les jours passés. Mais nous courrons, lorsque vous nous aurez rendu la joie de posséder votre Sauveur, lorsque le soleil de justice versera de nouveau sa chaleur sur nous, que la nuée de la tentation qui le couvre maintenant sera passée, et qu'au souffle agréable d'un doux zéphir, ses parfums recommenceront à se fondre, à couler et à répandre leur odeur ordinaire. C'est alors que nous courrons, mais nous courrons dans cette bonne odeur. Nous courrons, dis-je, lorsque les parfums commenceront à s'exhaler parce que l'engourdissement où nous sommes maintenant se dissipera, et la dévotion reviendra en nous, tellement que nous n'aurons plus besoin d'être tirés, nous serons excites par cette odeur, à courir de nous-mêmes. Mais en attendant tirez-moi après vous. Voyez-vous comme quoi celui qui marche dans l'esprit, ne demeure pas toujours en un même état, et n'avance pas toujours avec la même facilité; que la voie de l'homme n'est pas en sa puissance, comme dit l'Écriture; mais qu'il oublie les choses qui sont derrière lui et s'avance vers celles qui sont en avant, tantôt avec plus, tantôt avec moins de vigueur, selon que le Saint-Esprit, qui est l'arbitre souverain des grâces, les lui dispense avec plus ou moins d'abondance? Je crois que si vous voulez vous examiner vous-mêmes, vous reconnaîtrez que votre propre expérience confirme ce que je vous dis.

5. Lors donc que vous vous sentez tombé dans l'engourdissement, la tiédeur ou l'ennui, n'entrez pas pour cela en défiance, et ne quittez pas vos exercices spirituels; mais cherchez la main de celui qui peut vous assister, conjurez-le, à l'exemple de l'Épouse, de vous tirer après lui, jusqu'à ce qu'étant ranimé et réveillé par la grâce, vous deveniez plus prompt et plus allègre, et que vous couriez et disiez : « J'ai couru dans la voie de vos commandements, lorsque vous avez dilaté mon cœur (Psal. CXVIII, 32). » Et si vous-vous réjouissez dans la grâce de Dieu, quand elle est présente, ne croyez pas néanmoins posséder ce don comme un droit qui vous est acquis, ni compter trop sur lui, comme si vous ne le pouviez jamais perdre; de peur que si Dieu vient tout à coup à retirer sa main, et à soustraire sa grâce, vous ne tombiez dans un découragement, une tristesse excessive. Enfin, ne dites point dans votre abondance : « Je ne serai jamais ébranlé (Psal. XXIX, 7). » De peur que vous ne soyez aussi obligé de dire avec gémissement les paroles qui viennent après celles-là : « Vous avez détourné votre visage de moi, et je suis tombé dans la confusion et dans le trouble (Ibid.») Vous aurez soin plutôt, si vous êtes sage, de suivre le conseil du sage, et de ne pas « oublier les biens su temps des maux, ni les maux au temps des biens (Eccl. XI, 27). »

6. N'entrez donc point dans une trop grande confiance au jour de votre force ; mais criez vers Dieu, avec le Prophète, et dites : « Ne m'abandonnez pas, s'il vous plaît, lorsque mes forces m'auront quitté (Psal. LXX, 9). » Mais consolez-vous au temps de la tentation, et dites avec l'Épouse : « Tirez-moi après vous, nous courrons dans l'odeur de vos parfums. » Ainsi l'espérance ne vous quittera point dans les mauvais jours, et la prévoyance ne vous manquera point dans les bons; et soit que vous soyez dans l'adversité ou dans la prospérité; dans le changement et la révolution des temps, vous conserverez comme une image de l'éternité, je veux dire une égalité d'esprit, et une constance invincible, supérieure à toutes sortes d'infortunes; vous bénirez Dieu en tout temps, et demeurerez ainsi en quelque sorte immuables au milieu des événements changeants et des défaillances certaines de ce siècle inconstant, vous commencerez à vous renouveler et à reprendre cette ancienne ressemblance de Dieu qui est éternel, et qui n'est susceptible d'aucune vicissitude ni du moindre changement. Car vous serez en ce monde tel qu'il est lui-même, ni abattu dans l'adversité, ni insolent dans la prospérité. C'est en cela, dis-je, que l'homme, cette créature si noble, faite à l'image et à la ressemblance de Dieu qui l'a créée, fait voir qu'il est prêt à recouvrer la dignité de son antique gloire, lorsqu'il trouve qu'il est indigne de lui, de se rendre conforme au siècle qui passe et qu'il aime mieux, selon la doctrine de saint Paul, rentrer «par le renouvellement de son esprit (Rom. XIV, 2), » dans l'état où il a été créé d'abord. Puis, obligeant ce siècle qui a été fait pour lui, à se conformer à lui d'une manière admirable, il fait que toutes choses contribuent et conspirent à son bien et reprennent en quelque façon la forme qui leur est propre et naturelle, en rejetant celle qui leur est étrangère et en reconnaissant :leur Maître à qui elles étaient tenues d'obéir dans l'ordre de leur première création.

7. C'est pourquoi je pense que ces paroles que le Fils unique de Dieu a dites de lui-même, «que s'il était élevé de la terre, il tirerait tout à soi (Joan. XII, 32), » peuvent aussi s'appliquer à tousses frères; c'est-à-dire à ceux que le Père a commis et prédestinés de toute éternité pour être conformes a son fils qui est son image, afin qu'il soit le premier né d'un grand nombre de frères. Je puis donc, moi aussi, dire hardiment, que si je suis élevé de la terre, je tirerai tout à moi. Car il n'y a pas de témérité, mes frères, à me servir des paroles de celui dont j'ai l'honneur de porter la ressemblance. S'il en est ainsi, les riches du siècle ne doivent point penser que les frères de Jésus-Christ ne possèdent que les biens célestes, parce qu'ils lui entendent dire: « Bienheureux les pauvres d'esprit, parce que le royaume des cieux leur appartient (Matth. V, 3); » non, dis-je, ils ne doivent point penser qu'ils ne possèdent que les seuls biens du ciel, parce que Jésus-Christ semble ne leur avoir promis que ceux-là, ils possèdent aussi les biens do la terre; car s'ils sont comme ne possédant rien, cependant ils possèdent out, ils ne mendient pas comme misérables; mais ils possèdent comme des maîtres et des propriétaires, et ils ont d'autant plus les propriétaires et les maîtres, qu'ils en sont plus détachés, selon cette parole : le monde entier est un trésor pour l'homme fidèle. Je dis le monde entier, parce que les adversités aussi bien que les prospérités lui servent et contribuent à son bien.

8. L'avare donc est passionné pour les •biens de la terre, comme un mendiant, et le fidèle les méprise comme leur maître. L'avare mendie en les possédant, et le fidèle les pos,ède en les méprisant. Demandez au premier venu de ceux qui soupirent d'un cœur insatiable après les biens temporels, ce qu'il pensé de ceux qui, vendant leurs biens, les donnent aux pauvres, et achètent ainsi lé royaume des Cieux pour un bien vil et méprisable, et s'il croit leur conduite sage ou non. fi vous répondra certainement qu'il la trouve sage. Demandez-lui encore pourquoi il ne pratique pas lui-même ce qu'il approuve dans les autres. Je ne le puis, dira-t-il. Et pourquoi? C'est, n'en doutez pas, parce que l'avarice qui est la maîtresse de son cœur, ne le lui permet pas; il n'est plus libre; les biens qu'il semble posséder ne sont pas à lui, et lui-même ne s'appartient pas. S'ils sont vraiment à vous, tâchez d'en profiter; échangez les biens de la terre contre ceux du Ciel. Si vous ne le pouvez faire, confessez que vous n'êtes pas le maître, mais l'esclave de votre argent; que vous n'en êtes que le gardien non le possesseur. Enfin vous obéissez à votre bourse, comme l'esclave à sa maîtresse; et de même qu'il est obligé de se réjouir ou de s'attrister avec elle, vous aussi à mesure que vos richesses grandissent, vous vous élevez, et vous tombez à mesure qu'elles diminuent. Car lorsque votre bourse est épuisée, vous êtes abattu de tristesse, et lorsqu'elle se remplit, votre cœur est comme rempli de joie ou plutôt gonflé d'orgueil. Tel est l'avare. Mais, pour nous, imitons la liberté et la constance de l'Épouse, qui bien instruite de toutes choses, et conservant en son cœur les enseignements de la sagesse, sait également vivre dans l'abondance et souffrir la pauvreté. Lorsqu'elle prie qu'on la tire, elle fait voir ce qui lui manque, non d'argent, mais de force; et d'un autre côté, lorsqu'elle se console dans l'espérance du retour de la grâce, elle montre que si elle sent ses privations elle ne perd pas pour cela toute espérance.

9. Elle dit donc. «Tirez-moi après vous, nous courrons dans l'odeur de vos parfums.» Faut-il s'étonner, qu'elle ait besoin d'être tirée, quand elle court après un géant, et tâche d'atteindre celui qui saute dans les montagnes, et passe par dessus les collines? « Sa parole, dit le Prophète Roi, court avec vitesse (Psal. CXLVII, 15). » Elle ne peut pas égaler dans sa course celui qui « marche à grands pas comme un géant qui se hâte d'arriver au bout de sa carrière (Psal. XVIII, 6). » Elle ne le peut pas par ses seules forces, et c'est pour cela qu'elle désire être tirée. Je suis lasse, dit-elle, je tombe en défaillance, ne m'abandonnez point, tirez-moi après vous, de peur que je ne commence à aller après d'autres amants comme une vagabonde, et que je ne coure comme une personne égarée qui ne sait qu'elle route tenir. Tirez-moi après vous, parce qu'il vaut mieux pour moi que vous me tiriez et que vous me fassiez une sorte de violence en m'effrayant par des menaces, ou en m'exerçant par des châtiments, que de m'épargner et de me laisser dans mon corps jouir d'une malheureuse confiance. Tirez-moi en quelque sorte malgré moi, afin qu'ensuite je vous suive volontairement. Je suis engourdie, tirez-moi, faites-moi courir. Il arrivera un temps où je n'aurai plus besoin que personne me tire, parce que nous courrons vite et de nous-mêmes. Je ne courrai pas seule, quoique je demande seule à être tirée. Les jeunes filles courront aussi avec moi. Nous courrons également, nous courrons ensemble; moi excitée par l'odeur de vos parfums, et elles par mon exemple et mes exhortations; ainsi nous courrons toutes dans l'odeur de vos parfums. L'Épouse a des imitateurs, comme elle est elle-même imitatrice de Jésus-Christ; et c'est pour cela qu'elle ne dit pas au singulier, « je courrai, mais nous courrons. »

10. Mais il se présente une question, à savoir pourquoi l'Épouse, en demandant d'être tirée, ne demande pas aussi que les jeunes filles le soient avec elle et ne dit pas : « tirez-nous, mais tirez-moi. » Mais quoi, peut-être a-t-elle besoin d'être tirée, et les jeunes filles n'en ont-elles pas besoin? O vous, qui êtes si belle et si heureuse, si pleine de bonheur, découvrez-nous la raison de cette différence. Tirez moi, dites-vous. Pourquoi ne dites-vous pas : tirez-nous? Est-ce que vous nous enviez ce bonheur? A Dieu ne plaise que cela soit ainsi. Car si vous eussiez voulu aller seule avec l'Époux, vous n'auriez pas ajouté tout de suite après, que les jeunes filles courront avec vous. Pourquoi donc avez-vous demandé pour vous seule qu'on vous tirât, puisque incontinent après vous deviez dire au pluriel : « Nous courrons? » La Charité dit-elle, le voulait ainsi. Apprenez de moi par cette parole à attendre d'en haut un double secours dans les exercices spirituels, la réprimande et la consolation. L'une exerce au dehors, et l'autre visite au dedans. L'une arrête l'emportement, l'autre élève le cœur et lui donne de la confiance. L'une opère l'humilité, et l'autre console dans le découragement. L'une donne de la prudence, et l'autre, de la dévotion. La première enseigne la crainte du Seigneur, et la seconde tempère cette crainte par une joie salutaire, ainsi qu'il est écrit . « Que mon cœur se réjouisse, en sorte qu'il craigne votre nom (Psal. LXXXV, 41). » Et encore : « Servez le Seigneur avec crainte, et réjouissez-vous en lui avec tremblement (Psal. II, 11). »

11. Nous sommes tirés, lorsque nous sommes exercés par les tentations et les tribulations. Nous courons lorsqu'étant visités par des consolations et des inspirations secrètes et intérieures, nous respirons une odeur aussi douce que celles des plus excellents parfums. Ce qui paraît austère et dur je le réserve donc pour moi, qui suis forte, saine et parfaite; et je dis en ne parlant que de moi :« Tirez-moi » Mais ce qui est doux et agréable, je vous en fais part, à vous qui êtes faible, et je dis : « Nous courrons. » Je sais ce que sont de jeunes filles, tendres et délicates, et trop faibles pour soutenir les tentations;voilà pourquoi je veux qu'elles courent avec moi, mais non pas qu'elles soient tirées avec moi; je veux qu'elles partagent mes consolations, non pas mes travaux. Pourquoi? Parce qu'elles sont infirmes, et que j'appréhende que les forces ne leur manquent, et qu'elles ne succombent. Mais pour moi, ô mon Époux, châtiez-moi, tentez-moi, tirez-moi après vous, parce que je suis prête à souffrir toutes les afflictions qu'il vous plaira de m'envoyer, et que je suis assez forte pour les supporter. Pour le reste, nous courons ensemble à l'envie des unes des autres, je serai seule tirée, mais nous courrons toutes ensemble. Nous courrons, nous courrons, dis-je, mais ce sera dans l'odeur de vos parfums, non pas dans la confiance de nos propres mérites. Nous n'avons pas la présomption de croire que nous courrons dans la grandeur de nos forces, mais dans le nombre infini de vos miséricordes. Car si nous avons couru quelquefois et si nous l'avons fait volontairement, la gloire n'en doit revenir ni à notre volonté, ni à notre course, mais à Dieu. Que cette miséricorde se retourne vers nous, et nous courrons. Pour vous, Seigneur, vous courez par votre propre force comme un géant, et comme un homme puissant et vigoureux; mais nous, nous ne courrons jamais, si nous ne sentons l'odeur de vos parfums : « Pour vous que le Père a sacré d'une huile de joie, d'une manière plus noble que ceux qui ont part à votre gloire (Psal. XLIV, 8), » vous courez dans cette divine onction; mais nous, nous ne courrons qu'à l'odeur qu'elle répand. Vous courez dans la plénitude et dans l'odeur du parfum. Ce serait ici le lieu de m'acquitter de la promesse que je me souviens de vous avoir faite, il y a longtemps, de vous parler des parfums de l'Époux, si je ne craignais d'être trop long. Je remets donc à une autre fois pour le faire; car l'importance du sujet ne souffre pas qu'on la resserra dans des limites si étroites. Priez le Seigneur de la divine onction, qu'il daigne rendre agréable le sacrifice de mes lèvres, et que je puisse rappeler à vos esprits le souvenir de l'abondance de sa grâce, oui, dis-je, de la grâce qui est dans l'Époux de l'Église, Jésus-Christ notre Seigneur. Ainsi soit-il.

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