SERMON XXVIII
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VINGT-HUITIÈME SERMON (b). Sur ces paroles du livre de Job : « Après vous avoir affligé six fois, il vous délivrera, et à la septième, il ne permettra pas que le mal vous touche (Job. V, 19. »

1. Il n'est rien de plus juste, rien de plus conforme à la raison que ceux à qui le royaume des cieux étant préparé depuis le commencement du monde ne négligent point de s'y préparer, de peur que ceux qui sont appelés à régner, ne se trouvent pas prêts à entrer .ans leur royaume le jour où le royaume sera préparé pour eux. En effet, nous lisons dans l'Évangile, qu'il en fut ainsi d'un certain souper, quand le Seigneur a dit : « Mon souper est prêt, mais ceux qui y ont été invités ne se sont pas trouvés dignes de s'y asseoir (Matt. XXII, 2). » Nous

b Ce sermon se trouve au rang de ceux de l'abbé Guerri dans la Bibliothèque des Pères, mais au dire de Horstius, il ne se trouve point dans le manuscrit de Cologne, des sermons de ces abbé, et on ne peut hésiter à l'attribuer à saint Bernard, attendu qu'il est cité comme de lui dans le livre VI des Fleurs, et qu'il se termine par la formule habituelle à notre saint Docteur.

cherchons donc à savoir comment les futurs rois doivent se préparer pour le royaume qui les attend, et si nous cherchons avec piété avec le Prophète du Seigneur, nous entendrons avec lui de la bouche du Seigneur : « Seigneur, qui demeurera dans. votre tabernacle , ou qui reposera sur votre sainte montagne ? Celui, répond-il, qui vit sans tache Psal. XIV, 1). » Vous me direz peut-être qu'une telle préparation ne convient qu'à Jésus-Christ; car nul autre que lui n'est exempt de souillure (Job. XV, 14), pas même l'enfant qui ne compte encore qu'un jour d'existence sur là terre. Il n'y a donc que lui qui entrera dans ce tabernacle, puisqu'il n'y a que lui qui soit un agneau sans tache (Levit. XXI, 2), que lui qu'on ne puisse convaincre de péché, puisque le péché n'a été ni fait par lui, ni trouvé en lui. Il n'y a absolument que mon Pontife suprême qui n'ait contracté aucune tache ni dans son père, ni dans sa mère, selon les propres termes de là Loi, puisque son père, c'est Dieu, et sa mère, la Vierge. Aussi, n'y a-t-il que lui qui entre dans le saint des saints, et « personne ne monte au ciel que celui qui est descendu du ciel, c'est-à-dire, le fils de l'homme qui est dans les cieux (Joan. III, 13). »

2. Que sera-ce donc de nous? Faut-il que nous désespérions d'y entrer? Bien au contraire, il faut en nourrir l'espérance, et nous y attacher de toutes nos forces. Sans doute, il n'y a que lui qui entrera dans le royaume, mais il y entrera tout entier, car on ne doit briser aucun de ses os (Joan. XIX, 36). Le chef ne se trouvera point sans ses membres dans ce royaume, pourvu que les membres soient conformes et attachés à la tête; conformes par les mœurs, attachés par la foi. Les enfants même dans l'âge le plus tendre, ont aussi la conformité et l'attache dont ils sont susceptibles, pourvu qu'ils soient entés en Jésus-Christ par la ressemblance de sa mort; en vertu de la triple immersion de leur baptême, ils reçoivent la foi comme enveloppée, a puisqu'ils ne sont pas encore capables d'une foi développée. Sans doute, l'esprit de sagesse est bon, et la justice qu'il accorde délie celui que la faute, qui lui vient d'ailleurs, avait lié, mais plus tard, ce n'est plus de la même manière qu'il délivrera celui qui s'est maudit de ses propres lèvres, « si nous péchons volontairement après avoir reçu la connaissance de la vérité, il n'y a plus désormais d'hostie pour nos péchés (Hebr. X, 26). » Il ne délivrera donc point de la même manière celui qui s'est maudit de sa propre bouche, et celui qui l'a été par une bouche étrangère. La malédiction, mes frères, est une grave souillure, car nous savons que ce n'est pas ce qui entre dans la bouche de l'homme qui le souille, mais ce qui en sort (Matt. XV, 11). Ainsi, la malédiction et la souillure viennent de la même source, c'est-à-dire de la même bouche, mais elles ne viennent pas toujours de notre propre bouche, quelquefois elles viennent d'une bouche étrangère. En effet, ce n'est pas de son propre corps, ni de son propre cœur que vient la faute originelle qui souille un enfant, qui

a On retrouve à peu près les mêmes expressions dans le soixante-dixième sermon sur le Cantique des cantiques, n. 9.

non-seulement n’a donné aucun consentement au péché, mais qui n’a pu même en avoir le sentiment. Mais comment se fait-i1 que l'Esprit ne délivré pas celui qui s'est maudit de sa propre bouche, et en quel sens n'y a-t-il plus d'hostie pour l'homme qui pèche volontairement ? N'est-ce pas en ce sens que Jésus-Christ n'est pas crucifié une seconde fois pour lui; et qu'il ne peut plus être enté de nouveau par le baptême dans là ressemblance de sa mort ? On exige alors de lui qu'il se lave dans les ondes de ses larmes, qu'il porte sa croix, qu'il mortifie ses membres et qu'il immole sa propre hostie. Autrement, c'est en vain qu'il dirait son Credo; Il faut qu'il expie par ses propres lèvres la malédiction de ses propres lèvres; Ce n'est, en effet, que par de nombreuses tribulations qu'on peut entrer dans le royaume de Dieu; où personne ne saurait arriver sans tribulations de lui ou d'autres que lui (Act. XIV, 21).

3. Or, il n'y a que les tribulations du second Adam qui purifient ceux que la faute du premier a souillés,. Ce n'est pas que notre propre satisfaction puisse nous suffire. Pourquoi, en effet, toutes nos œuvres de pénitence, si ce n'est parce que, si nous ne partageons point les souffrances de Jésus-Christ, nous ne saurions avoir part à son royaume? Il supplée à ce qui nous manque; mais il ne veut pas que nous, nous dispensions de ce que nous pouvons faire, quelque peu de chose que ce soit. Si l'attache à Jésus-Christ par le lien de la foi sans la conformité des mœurs, ne peut sauver les adultes, à plus forte raison les œuvres sans la foi ne sauraient-elles les sauver. En effet, il est bien plus facile de réformer un membre, si difforme qu'il soit, qui adhère encore au chef, que de l'y rattacher une fois qu'il en est séparé, quelque conforme qu'il lui soit d'ailleurs. Mais pourtant, tout membre difforme doit nécessairement redevenir conforme à l'image du fils de Dieu, qui est son chef, ou en être séparé tout à fait, et devenir anathème de Jésus-Christ, car dans la plénitude de son corps il ne saurait se trouver tien qui ne fût en rapport avec sa beauté.

4. Ainsi donc partout où la faute est propre à l'homme, il faut que sa purification lui soit propre également, et, si ses souillures son multiples, ses tribulations doivent l'être aussi. Mais d'où lui viendront ces tribulations, si non de sa résistance à la souillure, de sa lutte contre la concupiscence ? Est-il une place dans l'homme qui soit nette de cette tache, exempte de cette contagion? Le virus mortel s'écoule du dedans, c'est de son cœur qu'il sort, pour infester ensuite son corps tout entier, il remplit son esprit de désirs a et ses membres de séductions. Puis viennent la démangeaison des oreilles, et la pétulance des yeux ; les plaisirs de l'odorat, les voluptés désordonnées du goût, les douceurs de la mollesse dans tout le corps, et les charmes pernicieux du toucher : à l'intérieur, dans l'âme, c'est l'enivrement des désirs, et comme une fournaise ardente où bouillonnent l'ambition, l'avarice, l'envie, la révolte, là malice, enfin tous les sentiments mauvais réunis.

a Ce passage se trouve cité dans les Fleurs de saint Bernard, livre VI, chapitre V, comme étant extrait de ses sentences.

En effet, que de charmes le corps semble posséder, que d'attraits le monde paraît avoir. L'homme juste souffre autant de tribulations, soutient autant de tentations. Et, de même que l'homme, tant qu'il vit dans la chair, est sensible aux voluptés de la chair et calcule (a) que les délices se trouvent sous les épines, ainsi quiconque veut semer en esprit, s'efforce d'arracher plutôt que de propager les ronces et les épines que son propre fonds produit, parce qu'il a été maudit, et se tourne dans sa douleur toutes les fois qu'il se sent percé par la pointe d'une épine (Psal. XXXI, 4).

5. Quelles nombreuses tribulations n'attendent donc point l'homme qui a résolu de résister une à une à ces pestes nombreuses? De la plante de mes pieds au sommet de ma tète, il n'y a pas un endroit de sain, la concupiscence a tout infecté, et la loi du péché se trouve dans tous mes membres. De tous côtés la mort fait des efforts pour entrer par les fenêtres, pendant qu'au dedans de moi tout un foyer d'iniquité, bien plus dangereux et plus redoutable encore, fait sentir sa cruelle influence. Mais dans cette lutte si remplie de difficultés, il ne faut ni défaillir, ni céder au désespoir ; car si les tribulations pour Jésus-Christ abondent par lui, les consolations surabondent. Après tout, écoutez ce qui doit vous consoler. Le péché est à la porte, mais il ne saurait entrer dans votre âme, si vous ne lui en ouvrez l'accès. La concupiscence est dans votre cœur, mais c'est sous votre empire (Gen. IV, 7), et si vous ne lui cédez pas de votre plein gré, elle ne peut rien contre vous. Écoutez ce qui doit vous consoler; retenez votre consentement, empêchez que toutes ces choses ne prévalent en vous, et vous serez exempts de faute, en sorte que vous pourrez vous avancer sans tache pour habiter dans le tabernacle, et vous reposer sur la sainte montagne du Seigneur votre Dieu. Si vous n'en êtes point dominés, vous serez sans souillure et purs d'un très-grand péché (Psal. XVIII, 14) ; car c'en est un très-grand que celui qui tient l'homme tout entier, son corps et son âme. Écoutez encore une fois quelque chose qui doit être pour vous une consolation. Il est dit : «Après vous avoir affligés six fois il vous délivrera, et à la septième, il ne permettra pas que le mal vous touche (Job. V, 29). » Si vous êtes de la race des Hébreux, vous servirez six ans, et la septième année vous vous en irez en liberté. Vos six tribulations ne sont autre chose que vos luttes contre les désirs de votre cœur, et la quintuple volupté de vos sens charnels. Mais après ces six tribulations vous serez délivrés de la septième, non pas qu'elle ne doit point venir, mais c'est qu'elle ne vous blessera point, le mal ne vous approchera point. Ainsi la mort, car c'est elle qui est la septième tribulation, la mort, dis-je, viendra, mais elle ne sera qu'un sommeil pour les amis du Seigneur, et bientôt après s'ouvrira son héritage. Ce sera la porte de la vie et le commencement du rafraîchissement, ce sera l'échelle de cette sainte montagne, et l'entrée dans le lieu du tabernacle admirable que Dieu même, non point l'homme, a dressé. Ainsi dans

a Les mêmes expressions se retrouvent plus haut dans le vingtième sermon, n. 4.

la septième tribulation le mal ne vous touchera même pas. Mais la mort est un triple mal réservé dans la septième épreuve à ceux qui ont négligé de se délivrer parfaitement dans les six premières tribulations, et qui ne se sont point purifiés à fond d'anses six urnes pour se présenter, sans tache ni ride, aux noces de l'agneau. En effet, l'horreur les attend à leur sortie, la douleur dans le passage et la confusion en la présence de la gloire de leur grand Dieu.

6. D'où vient cette négligence, mes frères? D'où viennent cette funeste tiédeur et cette sécurité maudite? Pourquoi, malheureux que nous sommes, nous laisser séduire ainsi nous-mêmes ? Peut-être sommes-nous devenus riches, peut-être régnons-nous même déjà. Est-ce que ces horribles esprits n'assiègent point la porte de notre maison? Est-ce que ces larves, ces fantômes hideux n'attendent point notre départ? Quelle frayeur, ô mon âme, quand, après avoir quitté tout ce dont la présence te comble de bonheur, dont l'aspect t'est si agréable , et la présence sous le même toit que toi si familière, tu entreras seule dans une région tout à fait inconnue, et tu verras la troupe de ces monstres horribles se précipiter à ta rencontre? Qui est-ce qui viendra à ton secours dans ce jour de si grande détresse? Qui te protégera contre la dent de ces lions rugissants tout prêts à te dévorer? Qui te consolera, qui te conduira? O mes petits enfants, rappelons-nous nos fins dernières et nous ne pécherons point. Il nous faudra passer par le feu, le feu montrera ce que vaut l'œuvre de chacun de nous; dans ses flammes notre or se changera en scories, toute notre impureté se montrera, et alors la vérité même, prenant le temps qui nous est donné, et que nous méprisons aujourd'hui, jugera les justices mêmes. Ah que seront alors tontes nos justices? Elles seront semblables au linge souillé d'une femme à son époque. Dans quels tourments la flamme vengeresse consumera-t-elle alors tout ce que nous laissons passer, parce que nous n'en tenons que peu de compte, tout ce que nous couvrons de nos caresses, tout ce que nous négligeons, en feignant de ne point le voir? Plût au ciel que quelqu'un donnât maintenant à ma tète une source d'eau, et à mes yeux des torrents de larmes, car peut-être ce feu dévorant ne trouverait-il rien à consumer, si des flots de larmes avaient entraîné ce qui peut lui servir d'aliment.

7. Et après ce feu, pensez-vous qu'il restera encore quelque chose en nous ? Et ce qui restera sera-t-il assez grand pour que nous osions le placer sous les yeux de la majesté divine, ou nous présenter nous-mêmes, devant ses yeux? Quelle honte, quelle confusion d'apparaître si tièdes, si imparfaits, si vides, devant la face du Seigneur notre Dieu, après avoir reçu de lui tant de bienfaits? Adam s'enfuyait pour se cacher de sa présence, il n'avait mangé qu'un seul fruit défendu : qu'oserons-nous faire, nous autres, après tant de crimes et tant de forfaits ? Quand sera purgé de cette confusion, l'œil de notre cœur auquel nous négligeons maintenant de donner nos soins, et quand pourra-t-il contempler d'un regard assuré les rayons de ce soleil véritable ? De même que la cire fond et s'écoule à la face du feu (Psal. LXVII, 3), ainsi les pécheurs périront à la face de Dieu. Que la pourriture entre jusqu'au fond de mes os, et qu'elle me consume au dedans de moi, afin que je sois en repos au jour de la septième tribulation (Habac. III, 16), et que pendant son passage le mal ne me touche point. Ce mal est de trois sortes : l'horreur, la douleur et la honte. Heureuse, en effet, l'âme qui pourra adresser ces paroles avec confiance à ses ennemis sur le pas de sa porte Pourquoi te tiens-tu là, bête cruelle? Être funeste, tu ne trouveras rien en moi (a). Mais plus heureux encore celui dont les œuvres ne seront point consumées, et qui se trouvera, examen fait de son ouvrage, qu' il a édifié sur le bon fondement de l'or, de l'argent et des pierres précieuses. Mais, infiniment plus heureux encore celui dont les yeux, dégagés de tout nuage de confusion et de tout voile qui les recouvre, contempleront la gloire du Seigneur, et qui se verra dans cette contemplation transformé en la même image (II Cor. III, 18), et lui deviendra semblable à lui qui est par dessus toutes choses le Dieu béni, louable et glorieux, dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

a C'est en ces termes, au dire de Sulpice-Sévère, que saint Martin, près de la mort, s'adressait au démon.

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