SERMON III
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TROISIÈME SERMON. Sur le cantique du roi Ézéchias : « Lorsque je ne suis encore qu'à la moitié de mes jours, etc. (Isa. XXXVIII, 10). »

1. Les hommes sanguinaires (a) et trompeurs ne diminueront point. leurs jours de moitié (Psal. LIV, 24), mais ils persévéreront dans leur vieillesse jusqu'à la mort, et cela parce qu'ils ne craignent pas le Seigneur. Quant à l'homme qui est invité, par la crainte de Dieu, à la sagesse, à l'instant même il diminue ses jours de moitié, en s'écriant dans sa crainte : «Je m'en vais aux portes de l'enfer ( Ps. XXXVIII, 10).» Mais lorsque la crainte de l'enfer a commencé à apaiser son ardeur au mal, il se met à chercher la consolation dans le bien, attendu qu'il faut que l'homme se console d'une manière ou d'une autre. La bonne consolation est celle qui repose sur l'espérance du salut éternel, où, par la grâce de Dieu, il retrouve la vie et la gaieté, loin du péché qui élevait un mur de séparation entre lui et Dieu. Lorsqu'il commence à faire des progrès dans la crainte de Dieu, comme c'est proprement ce qui s'appelle vivre avec piété en Jésus-Christ, il ne peut éviter, selon le témoignage même de la sainte Écriture, de souffrir la persécution (II Tim. III, 12) ; en sorte que sa joie, récente encore, se change en tristesse, et la douleur du bien qu'il a à peine effleurée du bout des lèvres, s'il m'est permis

b L'auteur des Fleurs de saint Bernard rapporte ce passage dans son livre VIII. chapitre 33.

de parler ainsi, en amertume, et lui fait dire : « Ma harpe est devenue un instrument de deuil, et mes chants ne sont plus que des lamentations (Job. XXX, 31). » Il pleure donc plus amèrement la perte de cette douceur qu'il n'avait pleuré auparavant d'avoir goûté à la douceur du péché, et il demeure dans ces larmes jusqu'à ce que, par la grâce de Dieu, la consolation rentre dans son âme. A peine y est-elle revenue, qu'il reconnaît que la tentation qu'il a soufferte était une épreuve plutôt qu'une désolation. Or les épreuves tendent à nous instruire, non point à nous détruire, selon ce mot de l'Écriture : « Vous visitez l'homme au matin de sa vie, et aussitôt vous le mettez à l'épreuve (Job. VII, 18). » Voilà ce qui fait que, connaissant le profit qu'il recueille de la tentation, bien loin de la fuir, il l'appelle de tous ses vœux, et s'écrie «Éprouvez-moi, Seigneur, et tentez-moi (Psal. XXV, 2). » Ces fréquentes alternatives de la grâce qui la visite, et de la tentation qui l'éprouve, font faire des progrès à l'âme; car en même temps que la visite de la grâce l'empêche de tomber dans le découragement, celle de la tentation ne lui permet pas de s'enorgueillir. A peine son œil intérieur est-il purifié par un tel exercice, que la lumière sur laquelle elle aspire à fixer fidèlement ses regards, lui apparaît, mais accablé par le poids de son propre corps, elle retombe bon gré mal gré sur elle-même. Cependant, après avoir goûté, pendant quelque temps, combien le Seigneur est doux, elle en retient la saveur au palais de son cœur, lorsqu’elle est rentrée en elle-même, ce qui la fait soupirer, non plus après un de ses biens, mais après lui. C'est même' en cela que consiste la vraie charité qui ne cherche pas ses intérêts ainsi que les dispositions d'un fils qui n'aime que son père, et ne recherche point son propre avantage. La crainte ne saurait faire qu'un esclave qui ne songe qu'à ce qui lui est avantageux; et l'espérance, qu'un mercenaire, qui ne voit que le profit à faire.

2. Évidemment Ézéchias a passé par ces degrés, et il a voulu les faire connaître à ceux qui doivent y passer aussi, quand il s'est écrié : « A la moitié de mes jours, je m'en vais aux portes de l'enfer (Isa. XXXVIII, 10). » C'est comme s'il avait dit : Le jour où, déposant l'image de l'homme terrestre, j'ai commencé à porter celle de l'homme céleste, je conçus dans la crainte, comme on dit, et je, m'écriai: « Je vais aux portes de l'enfer. » Mais la crainte n'était pas du désespoir en moi, «j'ai cherché le reste de mes années, » pour commencer enfin à vivre pour moi, après avoir vécu jusqu'alors contre moi. Or je les ai cherchées ces années auprès de celui qui a dit: « Sans moi vous ne pouvez rien faire (Joan. XV, 5). » En effet, sans lui je ne pouvais, je ne dis point venir à lui, mais pas même me retourner de son côté, car je ne suis qu'une vapeur qui passe, et ne sait revenir sur ses pas (Psal. LXXVII, 39). « J'ai donc cherché le reste de mes années, et, après l'avoir trouvé, car celui qui excite à le chercher ne le refuse point à ceux qui le cherchent, aussitôt j'ai éprouvé la vérité de cette parole du Sage « Mon Fils, lorsque vous entrerez au service de Dieu, demeurez ferme dans la justice et dans la crainte du Seigneur et préparez votre âme à la tentation (Eccli. II, 1). » Aussi, quand je me sentais pressé par la tentation, et qu'il me semblait que je me trouvais comme circonvenu dans les espérances du salut que je venais de concevoir, je me suis écrié: « je ne verrai pas le Seigneur Dieu dans la terre des vivants, » comme j'avais eu la présomption de l'espérer aux jours de mon abondance; car « j'avais dit dans cette abondance je ne saurais jamais déchoir (Psal. XXIX, 7) ; » je ne faisais point réflexion que c'est par un pur effet de votre bonté, Seigneur, non pas par ma propre force, que vous m'aviez affermi dans l'état florissant où j'étais. Aussi « avez-vous détourné votre visage de moi, et je me suis trouvé tout rempli de trouble (Ibid. 9), » attendu que je ne dois plus voir le Seigneur Dieu, c'est-à-dire le Père, dans la terre des vivants. « Je ne verrai plus l'homme ; » sans doute le Fils de Dieu dont il est dit : « Il est homme, qui l'a connu (Jerem. 17) ? » « ni celui qui habite dans le repos, » c'est-à-dire le Saint-Esprit dont il est écrit. « Sur qui mon esprit se reposera-t-il, sinon sur l'humble et le paisible (Isa. LXVI, 2) ? »

3. Il ajoute après cela : «Les enfants que j'ai engendrés, » c'est comme s'il avait dit : les enfants de mes œuvres que j'avais commencé à mettre au monde dans la crainte, afin qu'on put dire de notre âme : « elle avait beaucoup d'enfants, elle est tombée à rien (I Reg. II, 5), m'ont été enlevés, ils ont été roulés. » Mais cette pieuse lignée « Qui m'a été enlevée, qui a été roulée comme on roule la tente des bergers, » et mise en réserve pour un temps, non rejetée pour toujours. Il continue : « ma vie a été coupée comme le fil que coupe le tisserand, » pour que je susse bien que le progrès de ma vie n'est pas entre mes mains ; mais dans celles du Tout-Puissant, de même que la toile est sous la main du tisserand, d'autant mieux « qu'il la tranche lorsqu'elle ne faisait que commencer, » à son principe même, en sorte qu'il a repris ce qu'il me donnait. Toutefois si ma force a, défailli elle ne m'a pas pourtant abandonné tout à fait, au point, de laisser croire que celui qui avait pu commencer n'a pas pu achever. Mais qu'ai-je besoin de m'étendre davantage ? J'ai pu bientôt me convaincre de cette vérité que « c'est dans la faiblesse que la puissance éclate davantage (II Cor. XII, 9), » et je me suis écrié : « c'est un bien que vous m'ayez humilié (Psal. CXVIII, 71). » J'ai vu par là en effet, « dès le matin, que vous termineriez ma vie le soir même, » c'est-à-dire que vous me consommeriez moi-même. Ce n'est pas air matin seulement de votre visite, ou le soir de la tentation, mais dans l'un et dans l'autre, que consiste la perfection pour moi. J'étais un insensé, moi qui me contentais « d'espérer jusqu'au matin, » puisque David dit : « Israël doit espérer dans le Seigneur depuis le point du jour jusqu'à la nuit (Psal. CXXIX, 6). » Mais comme j'étais faible dans mon espérance, il a brisé comme un lion tous mes os : » je veux dire la force dans laquelle je mettais imprudemment toute ma confiance pour l'avenir, sous l'aile tutélaire de la grâce. Mais qui est celui qui a brisé ainsi mes os, sinon le diable notre ennemi, qui rôde comme un lion rugissant, et cherche quelqu'un à dévorer ? Mais vous, Seigneur, vous me relevez de cette humiliation et de cette épreuve qui m'ont brisé, « et vous ne finirez ma vie que le soir, » attendu que c'est du soir et du matin que se compose un jour tout entier.

4. Voilà pourquoi je bénirai le Seigneur, comme j'ai appris à le faire, en tout temps, c'est-à-dire, le matin et le soir (Psal. XLVIII, 19), non pas à la manière de ceux qui ne vous bénissent que lorsque vous leur faites du bien; non pas comme ceux qui ne croient que pour un temps, et se retirent lorsque la tentation s'approche (Luc. VIII, 13) ; mais je dirai avec les saints : « Si nous recevons le bien de la main de Dieu, pourquoi donc n'en recevrions-nous pas aussi le mal (Job. II, 10) ? » Le matin «je crierai donc comme le petit de l'hirondelle vers le Seigneur, » et le soir, «Je gémirai comme la colombe, » c'est-à-dire, lorsque le matin de la grâce me sauvera, je me réjouirai comme l'hirondelle et je ferai comme elle entendre ma voix pour remercier la grâce de sa visite : puis, quand viendra le soir, le sacrifice du soir ne fera point défaut, je gémirai comme la colombe, et répandrai des larmes dans la tribulation. Voilà comment le matin et le soir seront également consacrés à Dieu, puisque le soir sera donné aux larmes et le matin à la joie. Oui, à la nuit tombante, je serai plongé dans le deuil et l'affliction, après avoir joui du bonheur et de la joie du matin. Dieu aime également le pécheur dans la componction et le juste dans les joies de la dévotion, de même qu'il hait le juste ingrat autant que le pécheur que rien ne trouble. Certainement, «semblable au petit de l'hirondelle, » on me verra voler ça et là, m'occuper des emplois de Marthe, et donner joyeusement à tout ceux qui se trouveront dans la nécessité. « Je gémirai comme la colombe ; » sur ce qui résiste en même temps que je verrai ce qui reste. Voilà ce que je ferai le matin et le soir, c'est-à-dire avant et après, selon ce que Laban a dit, en parlant de celles qui étaient le type de ces deux époques de la vie : « Ce n'est pas la coutume chez nous de marier les plus jeunes avant leurs aînées (Gen. XXIX, 26), bien qu'on passe indifféremment de l'une à l'autre. C'est, je pense, ce que Job veut faire entendre quand il dit : « si je m'endors je dis aussitôt : quand me lèverai-je, et de même quand je me lève, j'aspire au soir (Job. VII, 4). » Si, arrivé au soir de la contemplation, il était en repos, il aspirait au matin pour ressusciter à l'action, de même que, fatigué aussi, il attendait le soir pour revenir avec bonheur, aux doux loisirs de la contemplation.

5. On peut désigner également parle ramage de la babillarde hirondelle, et par les gémissements de la plaintive colombe, les chants de l'Eglise, et les secrets soupirs de la prière; mais il semble qu'un sentiment intermédiaire doive être préféré si on lient compte des paroles suivantes : « Mes yeux se sont lassés à force de regarder en-haut.» Soit qu'on entende le mot d'Ezéchias, en ce sens que ses yeux sont devenus plus fils et plus pénétrants à force de regarder en-haut et de contempler les choses sublimes et élevées, soit qu'il faille le prendre dans le sens d'affaiblis, de privés de leur pénétration première, selon cette expression d'un Prophète : «Mes yeux sont devenus languissants dans l'attente de vos promesses (Psal. CXVIII, 82), » et de cette autre : « Je me suis souvenu de Dieu, et j'ai trouvé ma joie dans ce souvenir, je me suis exercé dans la méditation, et mon esprit est tombé en défaillance (Psal. LXXVI, 4), » enfin, soit qu'on l'entende d'une manière, soit qu'on l'entende de l'autre, il n'en désigne pas moins la contemplation. D'ailleurs, le dernier sens paraît plus en rapport avec le contexte. En effet, Ézéchias ajoute : « Je souffre une violence extrême. » C'est comme s'il avait dit : Seigneur, ce n'est pas de mon plein gré, mais bien malgré moi que je me vois détourné, arraché de votre contemplation; attendu que « le corps qui se corrompt appesantit l'âme, et que cette demeure de terre abat l'esprit par la multitude des soins qu'elle exige. (Sap. IX, 15). » Répondez donc pour moi, ô vous qui êtes mon Créateur, vous qui connaissez la condition de ma nature. Si ce sont mes péchés qui sont cause de cela; s'il ne faut point s'en prendre au vice de la nature, mais à mes détestables habitudes, n’en répondez pas moins pour moi, en attachant mes péchés à la croix, en les effaçant par votre sang, afin qu'il n'y ait plus rien qui nuise à ma contemplation. « Car que dirai-je, ou bien que me répondra-t-il, puisque c'est lui qui me fait souffrir ces maux? » Vers quel autre que lui tournerai-je mes regard, ou quel autre répondra pour moi ? Car ce n'est que lui, non point un autre qui m'a fait la difficulté, ou plutôt l'impossibilité où je me trouve, en me frappant de cette sentence : « Tu mangeras ton pain à la sueur de ton front (Gen. III, 19). »

6. Si au lieu de ces mots : « c'est lui qui m'a fait souffrir, » on lit « c'est moi qui me suis fait souffrir, » 1e roi Ézéchias s'en prend à lui-même, comme s'il avait voulu faire retomber sur son auteur la faute dont il charge la nature, et s'impute le tout à lui et à ses péchés, en s'écriant : « Que dirai-je et que me répondra-t-il, puisque c'est moi qui ai fait le mal ? » C'est-à-dire ce que je souffre, et que j'ai mérité de souffrir en péchant. Il n'y a qu'une chose à faire pour moi : « C'est de repasser devant vous, Seigneur, toutes les années de ma vie dans l'amertume de mon âme. » Évidemment je ne suis pas digne de penser à vous avec douceur : je ferai ce que je puis; je penserai à moi dans l'amertume de mon âme. Vous habitez une lumière inaccessible, et je ne saurais, de mes faibles regards, contempler longtemps l'éclat de votre lumière, aussi reviens-je avec confusion aux ténèbres habituelles et familières de mon ancienne vie, non pas pour y demeurer étendu encore avec tin plaisir mortel, mais pour les punir, et pour les repasser dans l'amertume de mon âme. Il aurait fallu, si c'eût été possible, que je revinsse à la vie une seconde fois, si je puis parler ainsi, puisque j'ai mal vécu; mais comme je ne le saurais, du moins je repasserai devant vous toutes mes années passées, dans l'amertume de mon âme; Je referai ainsi, par la pensée, ce que je ne puis refaire par l'action. Je les repasserai devant vous, parce que ce n'est que contre vous que j'ai péché; afin que vous me justifiiez pendant que je me condamnerai, et que vous l'emportiez en miséricorde quand vous me jugerez vous-même. Sans doute j'y avais pensé bien des fois auparavant; mais comme ce qui peut m'arrêter n'a point encore été assez puni, je reviens de nouveau à repasser toutes ces choses dans l'amertume de ma vie , jusqu'à ce qu'elles soient si bien extirpées, qu'elles ne puissent plus causer aucun obstacle.

7. Ce zèle, je le pense, ne sera point stérile ; « car c'est ainsi que l'on vit, » ou plutôt puisque c'est ainsi que l'on vit, non point selon la chair, mais selon l'esprit. « Si la vie de mon cœur et de mon esprit se passe dans de telles dispositions, » c'est-à-dire non moins dans la considération de ce que je suis que dans la contemplation de ce que vous êtes, Seigneur, « vous me châtierez » de plus en plus,« et vous me rendrez la vie. » Or, je suis repris et châtié, quand je rentre avec des sentiments de componction au-dedans de moi, et je reviens à la vie, dès que, me relevant un peu, je puis vous contempler de quelque manière que ce soit. Ainsi, vous me reprendrez en me montrant à moi-même , et vous me rendrez la vie en vous montrant à moi. Or, il faut nécessairement que vous me vivifiiez « car c'est dans la paix que j'ai trouvé la plus profonde amertume. » J'ai souffert, en effet, une bien grande amertume pour mes péchés, dans le commencement de ma conversion, c'est même ce qui m'a fait pousser ce cri : « Je vais descendre aux portes de l'enfer. » j'en ai ressenti une bien plus grande encore, à cause des terreurs dont étaient accompagnés les progrès de ma conversion, et qui me faisaient dire : « Je ne verrai point le Seigneur Dieu dans la terre des vivants. » Mais après que les péchés et les terreurs qui m'assaillaient le plus ordinairement, se sont trouvés expiés par la pénitence ou assoupis, je n'en ai pas moins senti dans cette paix une incroyable amertume, à cause du manque de contemplation. Mais vous, Seigneur, qui d'un côté, par pitié pour moi, m'avez pardonné mes péchés, et par votre secours, m'avez fait vaincre mes tentations, vous me rendrez maintenant la joie de votre salut. C'est là le sens des paroles d'Ézéchias , quand il continue : « Vous avez délivré mon âme et l'avez empêchée de périr, » a dans le conflit de ses vices et dans le choc de ses tentations, et vous avez jeté derrière vous tous mes péchés,» selon la multitude de vos miséricordes.

8. Ce n'est pas sans raison que vous avez agi ainsi « car ce n'est, pas l'enfer qui vous bénira, » l'enfer, dis-je, où j'étais déjà presque tombé quand je me vis renversé pas le choc de mes tentations; or « si Dieu ne m'eût assisté il s'en serait fallu de peu que mon âme ne fût tombée dans l'enfer (Psal. XCIII, 17) ; mais la mort ne vous louera point non plus, » la mort, dis-je, dont je sentais les étreintes, lorsque je gisais encore victime de mes péchés. « Et ceux qui descendent dans le lac ne s'attendront point à voir votre vérité. » Je veux parler de ceux qui, après avoir goûté la douceur de la contemplation, tombent ensuite dans le lac du désespoir. La mort, c'est l'état de ceux qui gisent dans leurs péchés avant leur conversion. L'enfer, c'est celui de l'âme qui succombe à la tentation après avoir obtenu la rémission de ses péchés; enfin le lac est le gouffre qui engloutit ceux qui tombent dans le désespoir après avoir connu la contemplation. Car plus on s'est élevé haut, plus la chute est grave et la brisure certaine. « Non, par conséquent, l'enfer,» je veux dire ceux qui, après leur conversion, se laissent encore vaincre par la tentation, « ne vous louera point, Seigneur, non plus que la mort, » c'est-à-dire ceux qui ne se sont point encore ni convertis ni confessés, qui se réjouissent du mal qu'ils font, et sont dans la joie pour les pires choses (Prov. II, 14 et Eccli. XVII. 26). Il est clair, en effet, que la confession d'un mort est comme si elle n'était pas. « Et ceux qui descendent dans le lac, ne s'attendront point à voir votre vérité : « Je veux parler de ceux qui ont eu le malheur de rouler du faite de la contemplation de Dieu dans le lac de leur propre défiance, ce qui ne manque jamais d'arriver, quand on se laisse absorber par une tristesse excessive, après avoir connu les excès de la joie. Mais « ce sont les vivants, ô mon Dieu, oui ce sont les vivants qui vous loueront.

Or, il y en a qui sont vivants selon la chair et morts selon l'esprit, de même qu'il y en a qui sont morts en même temps selon la chair et selon l'esprit; or, ni les uns ni les autres ne vous loueront et ne vous béniront, Seigneur. Mais « les vivants et les vivants seuls confesseront vos louange, » je veux dire ceux qui seront vivants, non-seulement selon la chair, mais aussi selon l'esprit, voilà ceux qui vous béniront, « comme je le fais aujourd'hui. » Or, par cette grâce, j'espère vivre de cette double vie. Mais continuons.

9. « Le Père annoncera votre vérité à ses enfants. » La vérité n'est point révélée au serviteur, parce que le serviteur ne sait pas ce que fait son maître (Joan. XV, 15). Le mercenaire n'est pas non plus admis à le contempler, parce qu'il ne recherche que son propre avantage. Mais le Père fera connaître sa vérité au fils qu'il entend lui dire : « Toutefois, ô mon Père, que votre volonté soit faite (Matt. XXVI, 39). » Ainsi, au serviteur, Dieu révèle sa puissance ; au mercenaire, sa félicité et au fils, sa vérité. Ce n'est pas que ces choses en Dieu soient distinctes les unes des autres; car, pour lui, être puissant, heureux et vrai, c'est tout un ; mais c'est que le créateur est diversement connu de ses créatures, à raison des divers sentiments et des différents rapports de ces mêmes créatures. En effet , il est dit : Vous serez saint, Seigneur, avec celui qui est saint, et à l'égard de celui qui n'est pas droit, vous aurez aussi comme des détours (Psal. XVII, 26). Écoutons le langage du fils : « Seigneur , sauvez-moi, » Pourquoi s'exprime-t-il ainsi? Peut-être, est-ce pour ne point brûler dans l'enfer, et n'être point frustré de sa récompense. Non , répond-il, « Mais, pour chanter tous les jours de notre vie, nos cantiques à votre gloire dans la maison du Seigneur. » Je ne recherche pas mon salut, dit-il, pour échapper aux peines de l'enfer, ou pour régner dans les cieux , mais pour vous louer éternellement avec ceux dont il a été dit : « Heureux ceux qui demeurent dans votre maison, Seigneur, ils vous loueront dans les siècles des siècles (Psal. LXXXIII, 5). » Le serviteur dit de son côté : « Je m'en vais aux portes de l'enfer, » le mercenaire dit du sien : « Je ne verrai pas le Seigneur Dieu dans la terre des vivants, » et le Fils : « Nous chanterons tous les jours de notre vie nos cantiques dans la maison du Seigneur. » Ce qui a bien du rapport avec cette autre exclamation : « Ouvrez moi les portes de la justice , afin que j'y entre et que je rende grâce au Seigneur (Psal. CXVII, 19). » Que celui qui a peur d'aller aux portes de l'enfer et celui qui désire voir Dieu pour se reposer, cherchent l'un et l'autre leurs propres intérêts. Mais celui qui aspire à chanter des cantiques dans la maison du Seigneur, n'a pas la pensée d'échapper à un péril, de même qu'il ne soupire point après certains avantages, il n'est évidemment préoccupé que de l'amour de celui qu'il ambitionne de louer tous les jours de sa vie. C'est donc avec raison qu'est loué dans l'éternité Celui qui vit et règne dans tous les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

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