SERMON XVI
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SEIZIÈME SERMON. Il y a trois sortes de biens. Il faut veiller sur nos pensées.

1. Il faudrait apporter, mes frères, une application plus grande et une vigilance plus attentive à nos pensées (a), oui à nos pensées puisque ce sont elles qui alimentent constamment nos saintes méditations. Jour et nuit, nous lisons ou nous chantons des paroles tirées des prophéties et des Évangiles, ou empruntées aux apôtres, qui renferment,

a Nicolas de Clairvaux parle de même , de l'étoile dans le calme et dans le silence attentif, etc., » dans le sermon qu'il fit le jour de la fête de saint André, jour où fut aussi prononcé le présent sermon, comme nous le verrons plus loin, n. 6.

soit la menace des peines de l'enfer, soit la promesse de la gloire du ciel. D'où nous viennent donc toutes ces pensées vaines, misérables, obscènes même qui, tantôt par l'impureté et l'arrogance, tantôt par l'orgueil et l'ambition, et par mille autres passions, nous tourmentent tellement que c'est à peine si nous respirons quelquefois dans la sérénité de saintes pensées? Malheur à nous, à cause de la torpeur et la tiédeur de nos cœurs! Malheur à nous qui nous laissons aller à ces vanités, au lieu de nous élancer d'un bond, à l'instant, vers les biens du Seigneur, soit mortels, soit spirituels, soit même éternels. Quant aux biens de la nature, il est certain qu'ils sont très-grands (a), mais ceux de l'esprit le sont bien davantage, quant aux biens de l'éternité, ils sont les plus grands de tous. Nous sommes réparés dans les premiers de ces biens, exercés dans les seconds, nous nous étendons, nous sommes béatifiés dans les troisièmes. Si vous ne pouvez fixer l'œil de votre méditation sur la sublimité des biens éternels, parce qu'ils sont trop loin de vous, et tout à fait hors de la portée des sens, reportez-les du moins sur les biens de la grâce qui se trouvent dans l'exercice des vertus, et vous verrez combien pure est la conscience, combien libre est le front de ceux qui demeurent et vivent dans la chasteté et dans la charité, dans la patience et dans l'humilité; enfin dans toutes les autres vertus qui rendent l'âme aimable à Dieu, digne d'être imitée, et facile à fléchir par les hommes. Si c'est encore trop élevé pour vous, et trop au dessus de votre faiblesse, abaissez vos regards sur les biens naturels qui doivent vous è1re aussi familiers que vous fêtes à vous-mêmes. Il ne faut pourtant pas les tenir tellement pour naturels que toute pensée de la grâce en soit exclue : on ne les appelle naturels que, parce qu'ils étaient comme innés, plantés dans la nature avant le péché qui a infecté, non-seulement la personne, mais aussi la nature de l'homme. Depuis lors, ils ne sont plus faciles à reconnaître à cause de la blessure que nous avons reçue, mais nous n'en constatons pas moins, sinon par les affections de l'âme, du moins par mille autres preuves de raison, leur présence en nous et autour de nous. Aussi, comme nous sommes composés d'un corps et d'une âme, nous devons, selon le conseil de l'Apôtre ( I Cor. XV, 45), commencer par les biens du corps, puisque ce n'est pas le spirituel, mais le corporel qui a commencé en nous.

2. Tous les biens du corps se résument dans la santé, nous ne lui devons pas autre chose, nous n'avons rien de plus à lui donner ou à chercher pour lui, il faut le restreindre à cela, et le renfermer dans ses limites, attendu que les fruits que nous pouvons attendre de lui sont nuls, et que la mort est sa fin dernière. Mais là même se trouve un piège caché, que je ne veux pas vous laisser ignorer. En effet, le plaisir tend des embûches à la santé, il le poursuit avec tant de ruse et de malice qu'il est bien difficile de pouvoir et de savoir même lui échapper. Or, si on agit en vue des plaisirs non de la santé du corps,

a Ce passage se trouve cité dans les Fleurs de saint Bernard, livre VIII, chapitre IV et V, ainsi que dans le chapitre XC du même livre, n. 7.

dès lors on n'est plus dans la nature, on est sous la nature qui donne la main à la mort quand elle fait de la volupté, sa maîtresse. Voilà comment il se fait qu'il y a tant d'hommes qui descendent, ou plutôt disons le mot, qui tombent dans ces mouvements d'une nature bestiale et révoltée, et se vautrent si souvent dans les jouissances qu'ils savent trouver dans les passions les plus difficiles et les plus violentes. Mais, de même que le bien naturel au corps est la santé, ainsi le bien propre de l'âme, c'est la pureté; car elle ne saurait voir Dieu si elle n'a l'œi1 pur ; en effet, elle n'est faite que pour voir son Créateur. Si donc, nous devons pourvoir avec sollicitude à la santé du corps, nous devons pourvoir à celle de l'âme avec une sollicitude d'autant plus grande que l'âme l'emporte davantage sur le corps. Or, pour elle, toute la santé est dans la pureté qui nous permette, dans tout ce que nous faisons, de rendre témoignage à Dieu dans la prière, et à l'homme, dans la confession, et de dire : «Je confesserai contre moi mon injustice au Seigneur, et vous, Seigneur, vous m'avez aussitôt remis l'impiété de mon péché (Psal. XXXI, 5). »

3. Mais l'homme étant fait pour vivre en société, passons de ce qui est en nous à ce qui est autour de nous, afin d'avoir, si c'est possible, et autant qu'il dépendra de nous, la paix avec tout le monde. Or, la loi naturelle de la société, est que nous ne fassions point aux autres ce que nous ne voudrions pas qu'on nous fit à nous-mêmes, et que nous ayons soin de leur faire, au contraire, tout ce que nous voudrions qu'on nous fit. Ainsi, de même que nous devons à notre corps la santé, à notre âme la pureté, ainsi devons-nous la paix à notre frère. Passons maintenant aux saintes âmes qui se sont envolées de la prison de cette mortalité, vers les joies du royaume des cieux. Ce que nous leur devons, c'est bien certainement de les imiter. Les saints ont été semblables à nous, et sujets aux mêmes passions, et ils nous ont montré les voies de la vie qu'ils ont parcourues sans fatigue et sans relâche. Pour ceux qui ne sont pas morts dans une aussi grande sainteté, ou qui n'avaient pas autant fait pénitence, quand ils ont quitté ce monde, nous leur devons la compassion et la prière, car ils sont de la même nature que nous, pour que notre Père, dans sa bonté, les débarrasse de toute souillure, change ses châtiments en bienfaits, et les fasse par là, rentrer dans les joies de la cité bienheureuse. En effet, si les taureaux versent des larmes quand ils rencontrent un des leurs mort et rendent ainsi une sorte de devoir d'humanité à la dépouille de leur frère, que ne doit pas à son semblable, l'homme que la raison éclaire et que l'affection conduit? Ainsi donc, de même que nous devons imiter les saintes âmes, ainsi devons-nous compatir aux souffrances de celles qui le sont moins, et, d'un côté, prendre exemple sur les premières, et de l'autre, occasion de gémir sur les secondes.

4. Mais il faut nous adresser aux saints anges pour obtenir leur secours, parles secrets soupirs de notre âme, et par des larmes abondantes; afin qu'ils offrent nos prières à la suréminente majesté de Dieu, et qu'ils nous en rapportent la grâce, car ce sont des esprits qui tiennent lieu de serviteurs et de ministres, étant envoyés pour exercer, leur ministère en faveur de ceux qui doivent être héritiers du salut (Hebr. I, 14). Quant au Seigneur de toutes choses, il faut lui demander d'être bon pour nous, et qu'il daigne, puisque sa nature le porte sans cesse au pardon et à la miséricorde, ne point arrêter les yeux sur la multitude de nos iniquités, et nous traiter, au contraire, avec pitié selon toute l'étendue de sa miséricorde. Quant à nous, nous lui devons amour et sujétion en toute révérence et toute humilité. Nous lui devons l'amour, parce qu'il nous a faits et qu'il nous fait du bien; la sujétion parce qu'il est au-dessus de nous, et qu'il l'exige de nous, lui qui est terrible dans ses desseins sur les enfants des hommes. Ainsi, nous devons la santé au corps, la pureté à l'âme, la paix à nos frères, l'imitation aux saints, la compassion aux nôtres, et nuits devons demander aux antes, leur secours, chercher et recevoir de Dieu (a), du coffre fort des biens naturels, le bien de sa bonté, pour savoir que lorsque nous aurons fait ce qui est ordonné et prescrit à la nature, nous ne sommes plus que des serviteurs inutiles, puisque nous aurons fait ce que nous avions à faire. Il serait bien difficile, pour ne pas dire impossible, de trouver un seul précepte lait aux hommes qui suit au dessus des forces et du pouvoir de la nature. Or, comme je l'ai dit plus haut, nous sommes réparés dans ses biens, et nous y sommes en quelque sorte remis à neuf, quand nous revenons à la douceur innée de notre nature, et quand nous mettons chaque chose à sa place en ce qui regarde les êtres qui nous entourent, et à ceux qui sont placés au dessus de nous. Or, tout cela n'a rapport qu'aux biens de la nature.

5. Quant aux biens de l'esprit, dans lesquels nous sommes exercés pour tendre vers les biens éternels, il en est de même que pour ceux du la nature. Ils en diffèrent sans doute à cause du point de vue où on les considère, mais ils se confondent cependant avec plusieurs d'entre eux, qu'il serait trop long d’énumérer. Les premiers sont naturels et les seconds surnaturels. En effet, dans les exercices spirituels, ce que nous voulons, ce n'est pas de donner la sang an corps, mais de le réduire en servitude, de le mortifier, de le forcer au travail, selon ce mot d'un homme spirituel, très-spirituel même : « Je traite rudement mon corps, et je le réduis en servitude ( I Cor, IX, 27). » Quant à l'âme, nous ne lui devons pas non plus simplement cette pureté qui nous fasse confesser purement et simplement nos péchés, mais qui nous fasse observer dans nos pensées, dans nos intentions et dans nos actions cette circonspection qui rende notre vie fructueuse et notre réputation glorieuse, non pas fructueuse à nos propres yeux, mais aux yeux même de Dieu ; non pas glorieuse pour nous, mais pour notre Père qui est dans les cieux. Quant à nus frères, ce n'est pas assez de leur procurer la paix pendant que nous sommes en ce monde, mais il faut encore que nous sachions aimer la paix avec ceux mêmes qui ne l'aiment

a Quelques éditions présentent ici une variante de peu d'importance.

point, supporter tout le monde sans forcer personne à nous supporter nous-mêmes. Pour ce qui est des morts, ce n'est pas seulement la compassion et la prière que nous leur devons, mais encore les félicitations de l'espérance; car, s'il faut s'attrister avec eux de ce qu'ils souffrent dans le purgatoire, nous devons, à bien plus forte raison, partager leur joie, parce que le jour approche où Dieu doit essuyer toutes les larmes de leurs yeux, en sorte que, pour eux, il n'y aura plus ni deuil, ni cri, ni douleur, attendu que les premières choses sont passées. Pour les âmes saintes, ce n'est plus seulement l'imitation que nous leur devons, de même que ce n'est pas seulement leur secours que nous avons à demander aux anges, mais nous devons brûler du désir de jouir de leur présence, d'être avec eux, de voir quelles sont ces colonnes du ciel qui soutiennent le globe de la terre, ces êtres où brille et reluit, d'un vif éclat, le signe si grand et si excellent de la divinité. En ce qui est du Seigneur, ce n'est pas seulement la bonté que nous devons rechercher, mais il faut encore que nous dirigions vers lui toutes nos affections, en ne nous aimant que pour lui, et que nous considérions quelle est cette majesté qui fait toutes choses, qui contient tout, et sur laquelle les créatures raisonnables aspirent à fixer leurs regards.

6. Telles sont les voies de l'exercice spirituel, dans lesquelles un esprit religieux se dilate et se délecte, et par lesquelles, oubliant les choses du passé, et tendant vers celles qui sont placées devant lui, je veux dire vers les biens éternels, il marche à la palme de sa vocation céleste. Est-ce que le bienheureux apôtre André, dont nous célébrons aujourd'hui la fête, ne s'élevait pas, par cette voie, au dessus de la nature, quand il disait : « O bonne croix, après laquelle je soupire depuis si longtemps et qui vas enfin combler les vœux de mon cœur, je viens à toi plein de joie et de sécurité.» Ce langage est celui d'un homme qui n'est plus homme, et qui était déjà ressuscité des biens de la nature à ceux de la grâce, en sorte qu'il ne se glorifiait plus seulement dans ses espérances, mais même dans ses tribulations, et qui s'éloignait gaiement de la présence du conseil, parce qu'il avait été jugé digne de souffrir pour le nom de Jésus-Christ. En effet, il marchait, mais non pas avec patience, mais volontiers, mais avec ardeur aux tourments, comme on marche à la décoration; il allait au supplice, comme on court après les délices.

7. Quant aux biens éternels, ce sont des biens que l'œil n'a point vus, dont l'oreille n'a point entendu parler, et qui ne sortent jamais de la patrie, où on ne tonnait que joie et que jubilation, où rien ne manque, où règne une abondance capable de satisfaire tous les désirs de l'homme. Quelle abondance n'y a-t-il pas, en effet, là où ce qu'on ne veut pas ne se fait pas, et ce qu'on désire arrive toujours. Le Prophète disait, en s'adressant à Jérusalem : « Que la paix soit dans tes forteresses et l'abondance dans tes tours (Psal. CXXI, 6). » Oui, dans ces tours, qui, selon un autre prophète, sont construites avec des pierres précieuses (Apoc. XXI, 19), et au sein desquelles le Seigneur nourrit les saints du plus pur froment, non pas seulement de l'écorce du sacrement Si, pendant qu'il ne . manque rien au ciel, il y a quelque chose qui demeure caché à nos yeux, peut-on dire que notre gloire sera consommée ? Non, rien ne nous sera caché, et c'est en cela que consistera la sagesse qui rassasiera la curiosité de l'homme. O sagesse, par laquelle nous connaîtrons alors parfaitement tout ce qui est dans le ciel et sur la terre, et boirons à la source même de la sagesse, la connaissance de toute chose ! Je ne craindrai plus alors les soupçons, je n'appréhenderai point les desseins des méchants, attendu que, selon saint Jean, cette cité sera semblable au cristal le plus pur (Apoc. XXI, 19), et que de même qu'on voit très-distinctement à travers le cristal, ainsi notre œil verra très-clairement la conscience des autres. Mais qu'est-ce que cela, si en même temps que rien ne nous fera défaut et que tout sera clair à nos yeux, il nous reste dans l'âme une crainte et une appréhension de perdre ? Aussi n'y a-t-il pas lieu à la crainte dans le ciel, et c'est la conséquence de la force qui rend forte la faiblesse humaine. Le Prophète a dit : « Le Seigneur a fait régner la paix jusques aux confins de tes états, et il a fortifié les serrures de tes portes (Psal. XLVII, 3), » si bien qu'en même temps que nul ennemi ne peut y pénétrer, nul ami n'en peut sortir. Là où règnent une souveraine abondance, une souveraine sagesse , une souveraine puissance, il me semble qu'il ne manque rien à la plénitude du bonheur, en ce qui regarde la félicité humaine. Voilà quels sont les biens de la nature, de la grâce et de la gloire ; les biens de l'humanité, ceux de la vertu et ceux de l'éternité. Pensons-y, méditons-les, mes frères, et, selon. le précepte de la loi, ruminons-les; là, en effet, est la vie, oui c'est dans ces biens qu'est la vie pour notre esprit. Ces pensées saintes nous conserveront si bien, que nous pourrons dire avec un saint: « La méditation de mon cœur est constamment en votre présence, Seigneur, mon aide et mon rédempteur (Psal. XVIII, 15). »

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