SERMON XXV
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VINGT-CINQUIÈME SERMON. Sur ces paroles de l'Apôtre : « Je veux donc avant toutes choses que vous fassiez des supplications, des prières, etc. (I Tim. II, 1). »

1. L'Apôtre semble indiquer quatre (b) manières de prier quand il dit : « Je veux avant toutes choses que vous fassiez des supplications, puis des prières, des demandes et des actions de grâces (l, Tim. II, 1). »

b Ces paroles se trouvent reproduites dans les Fleurs de saint Bernard, livre II, chapitre X.

En effet, il y a des gens que la conscience de leur péché effraie et tourmente parce qu'ils n'ont point encore reçu la force de résister, c'est ce qui se produit quand le Saint-Esprit fait rayonner pour la première fois l'éclat de la vérité dans l'âme de ceux qui sont plongés dans la fange du péché, les excite, les fait rougir de leur état et leur inspire la crainte de Dieu à la vue de l'immensité de leurs fautes, et la petitesse de leurs mérites; craignant alors l'enfer dont il leur semble qu'ils voient briller les flammes, ils cherchent ailleurs le bien qu'ils ne trouvent point en eux pour se protéger. Ils savent, en effet, qu'il n'est pas sûr de se présenter les mains vides en présence du Seigneur notre Dieu, en dépit de la loi qui le défend (Exod. XXIII, 15), à plus forte raison n'osent-ils pas se montrer à ses yeux les mains pleines uniquement de souillures. Craignant donc et craignant avec raison de s'approcher eux-mêmes, ils s'étudient à supplier par les autres. Tel est le genre de prières que nous faisons ordinairement quand nous disons : « Saint Pierre, priez pour nous, » ou que nous recourons à d'autres formules semblables, mais surtout, c'est évident alors quand nous nous écrions « Par votre croix et votre passion délivrez-nous, Seigneur, etc; » Il me semble voir alors quelque larron qui se voit pris et conduit au gibet, et qui, dans son désespoir de ne trouver en soi rien qu'il puisse mettre en avant pour obtenir sa grâce, étend les bras en croix et s'écrie : voilà dans quel état le Christ a souffert, pour toucher de compassion, le cœur de ceux qui se sont emparés de lui.

2. II me semble que c'est pour ces âmes-là qu'on peut dire « que le royaume des cieux souffre violence, et qu'il n'y a que les violents qui le ravissent (Matt. XI, 12). » Il faisait violence au royaume des cieux, ce publicain qui en même temps qu'il n'osait pas même lever les yeux au ciel put abaisser le ciel vers lui (Luc. XVIII, 13). Et cette femme qui, avec sa perte de sang, n'osait s'approcher de Jésus, et pourtant faisait sortir une vertu de lui (Luc. VIII, 45), me parait avoir fait aussi quelque chose de semblable. En effet, c'est à la dérobée qu'elle touche les franges de son manteau, et elle se trouve guérie de son mal. Aussi quand le Seigneur, en parlant d'elle, s'écriait : « Qui m'a touché (Ibid. 46)! » et ajoutait «j'ai senti une vertu sortir de moi,» il semble qu'il indique par-là en quelque sorte qu'il ne voulait point lui accorder cette faveur. Je ne pense pas qu'il se trouve personne parmi vous dans ce cas; mais peut-être y en a-t-il plusieurs qui ont pu, quand ils vivaient dans le monde et à la manière des gens du monde, éprouver ce que je dis et souffrir aussi malgré eux, une perte de sang, mais de ce sang qui ne saurait posséder le royaume de Dieu. En effet, « quiconque fait le péché est esclave du péché (Joan. VIII, 34), » et il ne peut se contenir par sa propre force quand même il le voudrait. Il ne lui est donc point avantageux de s'approcher lui-même du Christ, mais seulement de toucher les franges de son vêtement, s'il s'en trouve à sa portée, c'est-à-dire de considérer l'homme qu'il trouve le plus humble, et placé au dernier rang dans l'Église qui est le vêtement du Christ. Oui, il doit jeter les yeux sur celui qui a choisi d'être le dernier dans la maison de Dieu, attendu que celui-là est véritable ment la frange placée au bas du vêtement du Christ, cette frange, dis-je, jusqu'où descend, en s'écoulant de la tête, la plénitude des parfums spirituels. Si, en le touchant par quelques bienfaits, par une humble trière, ou par une confession sincère, il parvient à émouvoir son cœur, et à lui inspirer de la compassion pour son état, il peut avoir confiance, il sera guéri, cela ne fait point de doute. Toutefois, que la frange se rappelle bien que ce n'est pas d'elle, mais de Jésus-Christ qu'est sortie la vertu, car c'est lui qu'on a touché, assure-t-il, quoique on n'ait touché que la frange de son vêtement. Je vous ai dit du mieux que j'ai pu, quel est le genre de prière qu'on appelle supplications, et à quelles âmes elle est nécessaire.

3. Après avoir reçu la vertu de se contenir, le pécheur s'approche avec sécurité , nonobstant les fautes dont il se sent coupable , pour chercher le pardon de ses fautes passées. Il a recours alors à l'oraison qui est l'oraison de la bouche , quand de sus propres lèvres, il parle enfin avec son Dieu. Ainsi, voyez comment Marie-Madeleine, cette hémorroïsse non moins humble que la précédente, non-seulement n'appréhende plus de s'approcher de Jésus, mais encore lui arrose les pieds de ses larmes, les lui essuie de ses cheveux, les inonde de ses parfums, et les baise d'une bouche dévote. On voit assez par-là qu'elle avait formé dans son cœur la résolution bien arrêtée de s'abstenir désormais de tout péché. Le flux , si on peut parler ainsi, s'était arrêté. Si vous en êtes là, mon frère, la première chose que vous ayez à faire, c'est de parler à Dieu dans la prière, et de repasser vos années passées dans l'amertume de votre âme.

4. Après cela, lorsque vous avez passé un certain temps dans les larmes de la pénitence, ressenti la joie et conçu l'espérance de l'indulgence, vous pouvez aborder les demandes, et demander ce qu'il faut, en toute sécurité, pour vous et pour vos compagnons, puisque vous êtes reçu dans la grâce du Seigneur. Mais peut-être me demanderez-vous à quoi et comment vous pourrez reconnaître que vous avez obtenu ce pardon; car, pour conserver l'humilité, la bonté de Dieu dispose ordinairement les choses de telle sorte que plus un homme fait de progrès dans le bien, moins il estime lui-même qu'il avance. C'est que, en effet, jusqu'au plus haut degré de la spiritualité, quand on peut y monter, on conserve toujours quelque chose de l'imperfection du premier, qui empêche qu'on a bien de la peine à croire qu'on l'a atteint. Toutefois, je sais bien ce qu'on a lu aujourd'hui (a) dans l'Évangile : Jésus-Christ avait dit à un paralytique : « Ayez confiance, vos péchés vous sont remis (Matt. IX, 2), » et ces paroles furent considérées comme un blasphème dans sa bouche. Mais celui qui entend même la pensée de l'homme, repartit: « Pourquoi pensez-vous le mal dans vos cœurs ? » Vous blasphémez vous-mêmes, en disant que je blasphème,

a On voit par là que ce sermon fut prêché le XVIIIe dimanche après la Pentecôte.

et pour expliquer le pouvoir que j'ai de guérir les maladies du corps, vous m'accusez d'usurper une vertu invisible (a). Mais moi, je montre que c'est vous qui blasphémez, en vous montrant, par une vertu visible, que j'en ai aussi une invisibles Et; dit-il, « pour que vous sachiez bien que le Fils de l'homme a sur la terre le pouvoir de remettre les péchés, s'adressant au paralytique ; levez-vous, emportez votre lit et marchez. » Pour vous si vous vous levez par le désir des choses d'en haut; si vous emportez votre lit; c'est-à-dire, si vous élevez votre corps au dessus des voluptés terrestres, en sorte que votre âtre ne soit plus entraînée par les voluptés de la chair, et que plutôt elle la dirige comme il convient, et la conduise où elle ne voulait point aller; si enfin, vous avancez, en perdant le souvenir de ce qui est derrière vous, pour ne plus tendre que vers les choses lui sont en avant, par le désir et par le ferme propos de faire des progrès; vous n'avez pas à en douter, vous êtes guéri. En effet, jamais vous n'auriez pu vous lever; si votre fardeau n'avait été quelque peu allégé, ni emporter vôtre lit, si vous n'aviez été plus complètement allégé encore, attendu qu'il n'est pas possible de marcher d'un pas dégagé dans les sentiers d'une vie pleine de ferveur, si on est encore sous le faix pesant de ses péchés.

5. Quiconque se trouve dans ces dispositions peut prier avec confiance ; qu'il prenne garde seulement de ne pas demander des choses qu'il ne faut pas, de trois demander même les choses qu'on doit demander à Dieu, ou de ne demander qu'avec tiédeur ce qu'on doit rechercher de tout cœur et en tout temps. « Vous demandez et volis ne recevez rien, parce que vous demandez mal pour avoir de quoi satisfaire vos passions (Jacob. IV, 3). » C'est ce que fait tout homme qui recherche, au delà du nécessaire, les choses de la terré, qui poursuit la gloire du monde et la volupté. Telle est aussi la prière que les hommes du monde adressent ordinairement à Dieu, quand ils lui demandent, dans leurs prières, la mort de leurs ennemis et autres choses semblables. Toutefois, on peut demander les biens temporels, autant qu'il en est nécessaire à l'homme, si on en est dépourvu; mais, selon la pensée de saint Grégoire, il ne faut pas les solliciter avec une ardeur excessive. Je place sur la même ligne les biens même spirituels dont l'absence n'est pas un obstacle au salut, tels que le don de parler avec une haute sagesse, la grâce de guérir les malades , enfin tous les autres dons qu'il n'est pas bien certain qu'ils nous seront utiles. Ainsi, si vous êtes tourmenté par la tentation, vous pouvez bien demander d'en être délivré, mais il ne faut pas le faire avec trop d'instance , car on doit toujours se rappeler cette parole de l'Apôtre: « Pour nous, nous ne savons pas ce que nous devons demander à Dieu dans nos prières (Rom. VIII, 26), » et se confier

a Telle est la leçon du manuscrit de la Colbertine et de Marmoutiers : dans plusieurs éditions, on trouve cette autre leçon, d'ailleurs peu différente de celle que nous avons préférée : « et vous m'accusez d'usurper une vertu invisible pour excuser la force que j'ai de guérir des maladies visibles. »

Dieu pour cela, plutôt que d'oser nous faire notre part. Quant à ce que nous devons demander à Dieu en tout temps, et de toute l'ardeur de notre âme; le voici. voici, dis-je, quel doit être l'objet incessant de nos plus ardentes prières, de nos cris vers Dieu, c'est sa grâce si bonne, sa grâce, dis-je, qui nous rende agréables aux yeux de son cœur, qui nous fasse vivre en lui et mourir en lui. Voir sa gloire, et jouir à jamais de sa présence, c'est, en effet, pour obtenir ces biens-là qu'il a été dit Priez sans cesse (Luc. XVII, 2). » C'est en y pensant que le Prophète disait : « Mes yeux vous ont cherché; je chercherai votre visage, Seigneur (Psal. XXVI, 13), » et ailleurs : «Je n'ai demandé qu'une chose au Seigneur, je ne rechercherai qu'elle, c'est d'habiter dans la maison du Seigneur tous les jours de ma vie (Psal. XXVI, 7). »

6. Quant au quatrième genre de prières, il y en a bien peux, je pense, à qui il soit donné d'y atteindre, mais plus il est rare, plus il est précieux. En effet, celui que Dieu exauce selon sa promesse (Isa. LXV, 24), avant même qu'il l'ait prié, trouve une grande grâce à ses yeux, et l'esprit de Dieu même rendra témoignage à son propre esprit, que ses vœux sont exaucés, en sorte qu’il ait plutôt à remercier Dieu qu'à le prier. Nous avons un exemple de ce genre de prière dans la résurrection de Lazare, alors que Notre-Seigneur, avant même d'avoir rien demandé à son Père, s'écrie : « Je vous rends grâces, mon Père, de ce que vous m'avez exaucé (Joan. XI, 41). » Ainsi donc, la première sorte de prière, « la supplication, » doit se faire avec un sentiment de respectueuse humilité; la seconde, que nous appelons proprement, « la prière, » doit se faire avec un cœur pur, c'est-à-dire sans dissimuler nos péchés, sans nous flatter, et en nous rappelant qu'il n'y a que de cette manière qu'on trouve miséricorde aux yeux de Dieu, en faisant en sorte qu'il voie en nous des juges sévères pour nous-mêmes. La troisième est « la demande » elle requiert une grande charité et une large espérance, selon ces paroles de l'Écriture : « Qu'il demande avec foi et sans hésiter (Jacob. I, 6). » Je crois que c'est dans cette pensée qu'il a été dit quelque part : « Partout où vous poserez le pied, la terre sera à vous (Josue I, 3), » car nous n'obtiendrons qu'à proportion que nous allongerons le pied. La quatrième est l'action de grâces, elle doit être pleine de dévotion, et comblée de délices.

7. Pour ce qui est du respect que nous devons à l'oraison, le passage de la règle qu'on vient de nous lire au chapitre (Regul. S. Bern. CXX), fait, pour nous, autorité, et me fournit l'occasion de vous dire quelques mots de l'oraison. Toutefois, je dirai en peu de mots, qu'il y en a plusieurs, du moins je le pense, qui éprouvent quelquefois de l'aridité dans la prière, et une grande lourdeur d'esprit, en sorte que, ne priant que des lèvres, ils ne songent ni à ce qu'ils disent, ni à qui ils parlent. Cela vient de ce qu'ils se mettent à la prière par une sorte de routine, sans le respect qui convient, et sans le soin qu'elle réclame.

a Saint Bernard explique sa pensée dans un autre sermon, le XXVIIe des Sermons divers, n. 5 et 6.

Car à quoi doit penser un religieux qui va se mettre en prière si ce n'est à ces paroles du Prophète : « Je vais entrer dans le lieu où est le tabernacle admirable du Seigneur et jusque dans sa maison sainte (Psal. XLI, 4) ? » En effet, pendant l'oraison, nous devons entrer dans la cour céleste, dans cette cour, dis-je, où le Roi des rois est assis sur un trône d'étoiles, entouré de l'armée innombrable et ineffable des esprits bienheureux. Voilà pourquoi le Prophète qui l'avait vue, cette armée, et qui ne pouvait en porter le nombre trop haut, a dit : « Un million d'esprits le servait, et un autre million se tenait devant lui (Dan. VIII, 10). » Avec quel respect, par conséquent, avec quels sentiments de crainte et d'humilité doivent donc s'approcher de ce trône, de pauvres et misérables petites grenouilles qui rampent à terre et sortent de la bourbe de leurs marécages? Avec quel tremblement, avec quelles supplications, avec quelle humilité, avec quelle inquiétude, enfin avec quelle attention d'esprit, l'homme, dans sa petitesse et sa misère, doit-il se tenir en présence de la glorieuse majesté de Dieu, sous les yeux des anges, dans l'assemblée des justes et la réunion des saints ?

8. Si, dans toutes nos actions, nous avons besoin d'une grande vigilance, nous en avons donc un bien plus grand besoin encore dans l'oraison. Car, comme nous le voyons dans la règle, et s'il est vrai que, à toute heure et en tout lieu, les yeux du Seigneur sont ouverts sur nous, il l'est bien davantage encore qu'ils le sont encore dans l'oraison (Regul. S. Bern., cap. XIX). » En effet, s'il nous voit sans cesse, dans l'oraison nous nous plaçons en sa présence et sous ses yeux, et nous nous entretenons avec lui comme face à face. Or, bien qu'il soit vrai que Dieu est présent partout, cependant c'est dans le ciel qu'il faut le prier, et c'est là qu'on doit penser à lui pendant le temps consacré à l'oraison. Notre esprit ne saurait se trouver empêché ni par le plafond de notre oratoire, ni par les vastes espaces de l'air, ni par l'épaisseur des nuages, si noua nous en rapportions à la formule de la prière que le Christ même nous a donnée, et dans laquelle il s'exprime ainsi : « Notre Père qui êtes aux cieux Malt. VI, 9). » Le ciel est appelé, par une sorte de prérogative, le siège ou le trône de Dieu , parce que, en comparaison de la manière dont les saints anges et les âmes des bienheureux voient Dieu clans le ciel, il semble que nous autres, sur la terre, nous n'avons dans notre vie malheureuse et dans notre pèlerinage, rien de plus que son nom. Que celui donc qui prie, le fasse comme s'il était ravi dans le ciel et placé en présence de celui qui est assis sur un trône élevé au milieu des anges demeurés fidèles, et situé bien haut parmi les hommes, je veux dire parmi les indigents qu'il a ramassés dans la poussière, et les pauvres qu'il a relevés de leur fumier. Oui, qu'il se regarde et se tienne comme étant en présence du Seigneur de majesté, et s'écrie avec Abraham : « Je parlerai à mon Seigneur, bien que je ne sois que cendre et que poussière (Gen. XVIII, 31), » et cela, parce que c'est vous, Seigneur, qui m'y engagez et vous qui m'avez appris à le faire, voilà pourquoi j’ose me le permettre, Seigneur, vous qui êtes la source même de la piété.

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