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SERMON IX. LE DÉCACHORDE OU LES DIX COMMANDEMENTS. (1).

 

ANALYSE. — Dans ce long et magnifique discours où saint Augustin semble avoir voulu concentrer tous les devoirs de la vie chrétienne et combattre surtout le vice de l'impureté, on peut distinguer trois idées principales. Le grand docteur insiste d'abord sur la nécessité de penser à.la justice de Dieu en même temps qu'à sa miséricorde, et sur la nécessité d'observer toute la loi divine pour échapper aux éternels tourments. Il veut en second lieu qu'on observe cette loi, non pas seulement avec crainte, comme les Juifs, mais surtout avec amour; car elle a pour but de nous rendre semblables à Dieu, de nous délivrer de la tyrannie des, vices, de nous porter à nous conduire envers autrui et envers Dieu lui-même, comme nous désirons qu'on se conduise envers nous. Mais pour arriver à cette fidélité, il faut, et c'est la troisième partie du discours, s'exercer aux bonnes oeuvres, éviter avec soin les péchés graves, et effacer chaque jour les péchés légers de chaque jour en faisant d'abondantes aumônes. Combien hélas! on se méprend sur les péchés légers! On ne les redoute pas à cause de leur légèreté ; mais ne devraient-ils pas faire trembler à cause de leur quantité? Qu'on s'empresse donc d'y porter remède, surtout par les oeuvres de charité qui assurent le salut.

 

1. Le Seigneur notre Dieu est clément et compatissant, il est lent à s'irriter et plein de miséricorde et de vérité: mais autant il prodigue la miséricorde dans ce siècle, autant il menace d'un jugement sévère dans le siècle futur. Les paroles que je viens de prononcer sont écrites et des autorités toutes divines disent expressément que « le Seigneur est clément, compatissant, lent à punir, plein de miséricorde et de vérité (2). » Ce qui plait singulièrement aux pécheurs et aux amis de ce siècle, c'est que « le Seigneur est clément et compatissant, lent à punir et plein de miséricorde. » Mais si tu es si heureux de ces doux traits sous lesquels il se peint, redoute aussi ce dernier : « et plein de vérité. » S'il était dit seulement : « Le Seigneur est clément, compatissant, lent à punir, et plein de, miséricorde, » tu pourrais songer peut-être à l'impunité, à la sécurité, à la licence du mal, faire ce que tu veux, user du siècle autant qu'il est permis ou que la passion t'y porterait. Si alors de sages avertissements essayaient, par le reproche et la terreur, de t'engager à ne point te laisser aller sans frein à tes passions et à l'oubli de ton Dieu, tu pourrais interrompre ces importuns, lever hardiment le front, citer une autorité divine et lire en quelque sorte dans un livre sacré : Pourquoi me faire peur de notre Dieu ? « Il est clément, compatissant et plein de miséricorde. » Nais pour ôter aux hommes ce prétexte, le prophète ajoute un dernier mot : « Et plein de vérité, » dit-il. Ainsi il tarit la joie d'une téméraire présomption et invite à la crainte de la pénitence. Que la miséricorde de Dieu provoque donc nos transports, mais que sa justice nous pénètre de

 

1. Exod. XX, 1-17; Ps. CXLIII, 9. — 2. Ps. LXXXV, 16; CLIV, 8.

 

frayeur. Il épargne tant qu'il se tait. Il se tait, mais il ne se taira point toujours (1). Écoute lorsqu'il parle aujourd'hui et crains de ne pouvoir te dispenser de l'entendre lorsqu'il parlera au moment du jugement.

2. Tu peux aujourd'hui songer à ta défense; songes-y avant le suprême jugement de ton Dieu. Sur quoi pourrais-tu établir une fausse confiance ? Lorqu'il paraîtra, tu ne pourras produire ni faux témoins pour le tromper, ni avocat pour le surprendre par sa faconde ; tu n'essaieras même pas de corrompre ton juge. Mais que faire auprès de ce juge que tu ne saurais ni décevoir ni séduire? Il y a pourtant quelque chose à faire. Celui qui jugera alors ta cause sera le témoin actuel de ta vie. Nous venons de chanter et de le bénir ; songeons à notre défense. Celui qui voit nos oeuvres a entendu nos chants. Que ces chants ne soient pas vides de sens et ne deviennent pas des gémissements.

Il est temps de faire promptement la paix avec ton adversaire. Dieu est patient à voir et à punir l'iniquité ; mais aussi son jugement viendra bientôt. La vie humaine trouve long ce qui n'est qu'un moment pour Dieu. Eh ! quelle consolation peut-on trouver dans ce qui parait de Longue durée à ce siècle et au genre humain ? Quand l'humanité devrait vivre longtemps encore, le dernier jour de chacun de nous tardera-t-il beaucoup ? Combien d'années se sont succédées, depuis Adam ? combien se sont écoulées et s'écouleront encore ? Celles qui restent ne sont pas en si grand nombre ; cependant elles passeront jusqu'à la fin des siècles comme ont passé les autres. — Le peu qui reste semble long, mais ce qui est écoulé

 

1. Isaïe, XLII, 14.

 

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ne doit-il pas nous montrer en perspective la fin des temps? Depuis l'origine jusqu'à ce jour, il

y a eu constamment un. jour qu'on a pu appeler aujourd'hui ce qui alors était de l'avenir n'est-il pas maintenant du passé ? Il est comme s'il n'avait pas été. Ainsi en sera-t-il de ce qui doit s'écouler jusqu'à la fin.

Admettons toutefois que ce temps sera long, aussi étendu que tu peux le penser, le dire, l'imaginer, plus long que ne l'enseigne l'Écriture; diffère donc ce jour du jugement autant que ton esprit en est capable : s'ensuit-il que tu puisses retarder ton dernier jour, le dernier jour de ta vie, celui où tu dois quitter ce corps ? Si tu le peux, mais qui le peut ? assure-toi de la vieillesse. Hélas! dès qu'il.commence à vivre, l'homme n'est-il point exposé à mourir ? L'assujettissement à la mort ne vient-il pas du commencement de la vie ? Pour n'être pas, sur cette terre et parmi le genre humain, exposé à la mort, il faut n'être pas encore entré dans la vie. Tu ne peux donc te promettre sûrement aucun jour; et si tu ne peux te promettre aucun jour, accorde-toi avec ton adversaire pendant qu'il chemine avec toi, c'est-à-dire pendant qu'il est avec toi dans cette vie où tous passent et où demeure cet adversaire.

3. Quel est donc cet adversaire? Ce n'est pas le diable, car l'Écriture ne t'engagerait point à t'accorder avec lui. Il est donc un autre adversaire que l'homme lui-même a rendu son ennemi. D'ailleurs quand même le diable serait ton ennemi, on ne pourrait pas dire qu'il chemine avec toi.,Cependant pour t'accorder avec lui, il faut que ton adversaire chemine avec toi, car il sait que si tu ne t'entends avec lui sur la voie, il pourra te livrer au juge, le juge au ministre et le ministre te jeter en prison (1). Ces paroles sont de l'Évangile et ceux qui les ont lues ou entendues se les rappellent comme nous.

Quel est donc ton adversaire, ? La parole de Dieu; oui la parole de Dieu est ton adversaire. Pourquoi? Parce qu'elle ordonne le contraire de ce que tu fais. Elle dit : « Ton Dieu est unique, adore un seul Dieu » Et toi, abandonnant Dieu, le légitime époux de ton âme, tu te livres à la fornication avec les démons. Ce qui est plus grave encore, tu ne parais ni abandonner ni répudier ouvertement ton époux, à la manière des apostats ; tu demeures en quelque sorte dans sa maison, et tu, accueilles des adultères; :comme

 

1. Matt. V, 25.

 

chrétien tu ne sors pas de l'Église, et tu consultes les devins, les aruspices, les augures, les sorciers : âme prostituée, tu ne quittes pas la demeure de ton mari et tout en lui restant unie tu te souilles avec d'autres. On te dit: « Ne prends pas-en vain le nom du Seigneur ton Dieu; » parce que le Christ a pris l'humanité créée, n'estime point qu'il soit une créature. Et tu le méprises quand il est égal au Père et un seul Dieu avec lui (1).

On te dit d'observer spirituellement le sabbat et non comme l'observent les Juifs : ils gardent le repos du corps pour se livrer à leurs jeux et à leurs débauches. Ah! mieux vaudrait que le Juif s'occupât utilement dans son champ que d'exciter des séditions au théâtre ; mieux vaudrait que leurs femmes travaillassent la laine que de danser avec impudeur tout le jour sur leurs galeries. On te dit donc d'observer spirituellement le sabbat, dans l'espoir du futur repos que Dieu te promet. On peut se fatiguer sans doute lorsqu'on fait tout ce que l'on peut en vue de ce repos. Si néanmoins on rapporte tout à la foi de ce repos promis, on le possède déjà, non en réalité, mais en espérance. Et toi, tu veux te reposer pour travailler, quand tu devrais travailler pour te reposer ?

On te dit : « Honore ton père et ta mère. » Et tu infliges à tes parents des injures que tu ne voudrais pas endurer de la part de tes enfants ?

On te dit : « Tu ne tueras point. » Et tu veux mettre à mort ton ennemi; et si tu ne le fais pas, n'est-ce point la crainte du juge humain plutôt que la pensée de Dieu qui t'en détourne? Ignores-tu que Dieu lit dans ton coeur et qu'il te voit homicide dans l'âme, quoique celui dont tu diffères la mort soit encore au nombre des vivants?

On te dit : « Tu ne commettras point d'adultère (1) ; » c'est-à-dire tu n'iras point à une femme autre que la tienne. Tu dois l'emporter en vertu sur une femme; or là chasteté est une vertu. Et pourtant tu tombes au premier choc de la passion ! Tu veux que ton épouse en triomphe, et tu gis vaincu ! Tu es le chef de ta femme , et elle te précède devant Dieu ! Veux-tu que dans ta maison la tête soit en bas ? L'homme est le chef de la femme ; mais partout où la femme est plus sage que l'homme, la tète de la maison est en bas. Si l'homme est le chef, sa vie doit être meilleure, il doit, par toutes sortes de bonnes oeuvres, devancer sa femme i celle-ci

 

1. Exod. XX, 1-14.

 

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devrait n'avoir qu'à imiter son mari, à suivre son chef. Le Christ est le chef de l'Église et il est commandé à l'Église de suivre son chef et de marcher sur ses traces; ainsi dans toute famille l'homme est comme le chef et la femme comme le corps (1). Où conduit le chef, là le corps doit suivre. Pourquoi donc ce chef veut-il aller où il ne veut pas être suivi par son épouse ?

Parce que la parole divine donne ces ordres, elle est l'adversaire; car les hommes ne veulent pas faire ce qu'elle commande. Et pourquoi dire qu'en donnant ces ordres la divine parole est l'adversaire ? En parlant ainsi, ne le suis-je pas moi-même pour quelques-uns ? Eh ! que m'importe ! Celui dont la crainte m'inspire de parler me fortifiera assez pour ne pas redouter les plaintes des hommes. Ceux qui ne veulent pas, et ils sont nombreux, garder la fidélité à leurs épouses, voudraient que je ne dise rien de ce sujet. Mais, qu'ils y consentent ou s'y opposent, j'en parlerai. Car si je ne vous engage point à vous accorder avec l'adversaire, je demeurerai moi-même en guerre avec lui. Celui qui vous commande d'agir, nous commande de parler. Si vous êtes ses adversaires en ne faisant pas ce qu'il vous commande de faire ; nous resterons aussi ses adversaires en ne disant pas ce qu'il nous commande de dire.

.           4. Me suis-je beaucoup arrêté aux autres points que j'ai déjà touchés ? Nous présumons de votre charité que vous adorez un seul Dieu. Nous présumons de votre foi catholique que vous croyez le. Fils de Dieu égal à son Père, et que vous ne prenez pas en vain le nom du Seigneur votre Dieu en regardant son Fils comme une créature. Toute créature en effet, est soumise à la vanité (2). Vous croyez sans doute que le Fils de Dieu est égal à son Père, Dieu de Dieu, Verbe en Dieu, Verbe et Dieu par qui tout a été fait, lumière de lumière, éternel et unique comme Celui qui l'a engendré. Vous croyez que ce Verbe a pris une nature créée, qu'il a reçu de la Vierge Marie une nature mortelle, et qu'il a souffert pour nous. Nous lisons cela et nous le croyons pour être sauvés. Je ne me suis pas arrêté non plus à vous exciter à faire vos oeuvres en vue de l'espérance à venir. Je sais que toute âme chrétienne s'occupe du siècle futur. N'y pas penser et n'être pas chrétien dans le but de recueillir ce que Dieu promet à la fin, c'est n'être encore pas chrétien.

 

1. Ephés. V, 23. — 2. Rom. VIII, 20.

 

Je ne me suis pas arrêté non plus à ce commandement divin : « Honore ton père et ta mère. » La plupart honorent leurs parents et il est rare que nous recontrions des parents se plaignant de la méchanceté de leurs enfants. Il en est pourtant encore , mais c'est chose rare et il a fallu passer brièvement sur, ce point. Je n'ai pas voulu m'arrêter non plus à ce précepte « Tu ne tueras point. » Je ne crois pas voir ici une assemblée d'homicides.

J'ai dû m'occuper davantage d'un mal qui se répand au loin, d'un mal qui irrite au plus haut degré l'adversaire; cet adversaire crie, mais c'est pour devenir ami. Ce sont chaque jour des plaine tes, et pourtant les femmes n'osent plus eu faire de leurs maris. Hélas ! cette coutume funeste envahit tout, on l'observe comme une loi; et les femmes ne sont-elles pas persuadées que ce qui leur est défendu ne l'est point à leurs maris ? Elles apprennent que des femmes sont conduites au tribunal pour avoir été surprises peut-être avec des esclaves; jamais elles n'ont entendu dire qu'un homme ait été traduit pour avoir été surpris avec une servante. Toutefois le péché est le même et ce qui fait paraître l'homme moins coupable quand il commet ce péché, ce n'est point la vérité divine, c'est l'humaine corruption. S'il voit aujourd'hui plus de mécontentement dans sa femme ; si elle murmure avec plus de liberté, après avoir appris à l'Église que son mari ne peut ce qu'elle lui croyait permis ; s'il voit, dis-je, sa femme se plaindre plus librement et lui dire : Ce que tu fais n'est pas permis ; nous avons entendu la même parole, nous sommes chrétiens, accorde-moi ce que tu exiges de moi :je te dois la fidélité, tu me la dois, nous la devons tous deux au Christ ; si tu me trompes, tir ne trompes pas notre commun Seigneur, celui qui nous a rachetés ; si donc cet homme entend ces observations et d'autres semblables qu'il n'est pas accoutume à entendre, cri refusant de se guérir il devient furieux contre moi, il s'irrite, il maudit, peut-être ira-t-il jusqu'à dire :Pourquoi cet autre est-il venu ici ? Pourquoi ma femme est-elle allée ce jour-là à l'Église? Je crois au moins qu'il pensera cela; car il n'ose se plaindre hautement, n'y eût-il là que son épouse. S'il éclatait devant elle ne pourrait-elle pas répondre : Pourquoi critiquer après avoir applaudi ? Nous sommes époux; comment pourras -tu t'accorder avec moi, si tu es en désaccord avec toi-même ?

 

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Pour nous, frères, nous considérons vos dangers et non vos volontés. Quel médecin guérirait le malade, s'il faisait attention à sa volonté ? Qu'on ne fasse donc pas ce qui n'est pas à faire, qu'on ne fasse pas ce que Dieu défend. Qui croit en Dieu, entend de lui ce que nous disons ici ; et s'il en est quelques-uns qui refusent de se corriger, mieux vaudrait pour eux sans aucun doute que nous ne soyons pas venus pour parler ainsi, ou qu'après être venus dans ce dessein nous ne l'exécutions pas.

3. Je me souviens de l'avoir dit avant-hier à votre sainteté : si nous étions musiciens ou si nous montrions au public quelques-uns de ces spectacles auxquels prend goût votre légèreté et auxquels nous vous prions de renoncer, velus nous retiendriez, vous nous engageriez à vous donner un jour, et chacun concourrait aux honoraires selon ses moyens. Mais pourquoi mettre notre plaisir dans de vains chants qui ne sont d'aucune utilité et dont la douceur momentanée doit se changer pour toujours en amertume ? Ces chants obscènes n'énervent-t-ils pas l'âme humaine en la flattant ? Elle y perd son énergie pour se laisser aller à des turpitudes ; ces turpitudes la conduisent à la douleur, et il lui faut digérer avec un profond dégoût ce qu'elle a bu avec un plaisir éphémère. Ah ! ne vaut-il pas mieux vous faire entendre aujourd'hui ce qui, désagréable pour le moment, vous remplira d'éternelles délices? Pour toute récompense il nous suffit que vous fassiez ce que nous disons; ou plutôt que vous ne le fassiez pas si c'est nous qui le disons. Mais si nous sommes simplement les organes de Celui qui ne craint personne et qui nous accorde, pour l'honneur de son nom et la gloire de sa miséricorde,de ne craindre personne nous-mêmes, puisque nous l'avons tous entendu, faisons tous ce qu'il dit, accordons-nous tous avec notre adversaire.

6. Figurez-vous que je suis un musicien. Que puis-je vous chanter encore ? Voyez, je porte avec moi un psaltérion à dix cordes; n'en avez-vous pas joué vous-mêmes avant que je prenne la parole ? Vous êtes mon chœur de musiciens, car vous venez de chanter : « O Dieu, je vous chanterai un chant nouveau, je vous célébrerai sur le psaltérion à dix cordes (1). » Je touche maintenant ces dix cordes. Qu'y aurait-il de désagréable dans le son rendu par ce divin psaltérion? « Je vous chanterai sur le psaltérion à dix cordes. »

 

1. Ps. CXLIII, 9.

 

Mais en chantant je ne vous dispense point d'agir.

Le décalogue comprend dix préceptes, distribués de façon que trois se rapportent à Dieu et sept aux hommes. J'ai rappelé déjà les trois premiers. Notre Dieu est unique, nous ne devons pas essayer de faire rien qui lui ressemble, ni prostituer un coeur qui lui est consacré. Il est le Dieu unique, car le Christ, Fils de Dieu, est un seul et même Dieu avec son Père. Aussi gardons-nous de le prendre en vain, de croire qu'il ait été t'ait ou qu'il soit une créature ; car c'est par lui que toutes choses ont été faites, et il est un seul Dieu avec le Père et le Saint-Esprit. C'est dans le Saint-Esprit, le vrai Don de Dieu, que nous est promis l'éternel repos et nous en avons reçu un gage. Écoutez l'Apôtre : « Pour gage il nous a donné l'Esprit (1). » Mais si nous avons reçu ce gage, c'est pour commencer à être tranquilles dans le Seigneur notre Dieu, à être doux en notre Dieu et en lui patients. Ainsi nous serons éternellement en repos dans Celui qui nous a été donné pour gage, et par suite de ce même repos accordé ici par l'Esprit-saint, le repos éternel sera comme le sabbat des sabbats. Envisageons donc en un sens tout spirituel ce troisième précepte accompli charnellement par les Juifs.

Ce précepte appartient donc à l'Esprit- Saint pour ce motif Dieu a sanctifié le septième jour, après avoir achevé toutes ses oeuvres, comme nous lisons dans la Genèse. Là en effet il n'est parlé de sanctification que le jour où il est dit : « Dieu se reposa après ses oeuvres (2). » S'il est écrit: « Dieu se reposa après ses oeuvres, » ce n'est pas qu'il fut fatigué : c'est à toi qu'il promet le repos après le travail. Dieu a terminé d'abord ses excellentes œuvres , alors il est dit de lui qu'il s'est reposé : entends par là qu'après tes bonnes oeuvres tu te reposeras et que tu te reposeras éternellement. Après tout ce qui précède, c'est-à-dire après tous les autres jours il est parlé d'un soir: il n'en est pas fait mention après le septième, après le jour où.Dieu sanctifie le repos. Il est bien dit au commencement de ce jour : vint le matin ; il n'est pas dit : arriva le soir. Ce jour eut ainsi un matin sans avoir de soir, pour signifier qu'il n'aurait point de fin. Ici donc notre repos commence, comme le matin ; il ne finit point, car notre vie sera éternelle. Observer le sabbat, c'est rapporter toutes nos oeuvres à cette espérance. Telle est la troisième corde de ce Décalogue, de

 

1. II Cor. I, 22. — 2. Gen. II, 3.

 

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ce psaltérion à dix cordes, dont les trois premières rappellent les préceptes relatifs à Dieu.

7. Après nous avoir dit : « Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton coeur, de toute ton âme et de tout ton esprit, » si l'on ne parlait pas du prochain, nous aurions un trichorde plutôt qu'un décachorde. Mais le Seigneur a ajouté: « Tu aimeras ton prochain comme toi-même ; » puis résumant tout : « Ces deux préceptes renferment la loi et les prophètes (1). » Toute la loi est comprise dans deux commandements : l'amour de Dieu et l'amour du prochain. A l'amour de Dieu et à l'amour du prochain se rattache donc le Décalogue tout entier: A la première partie, les trois premières cordes, car Dieu est Trinité. Les sept autres cordes, à la seconde partie, à l'amour du prochain et à la manière de vivre parmi les hommes.

Cette seconde partie, avec ses sept commandements, comme avec sept cordes, commence à l'honneur dû aux parents. « Honore ton père et ta mère, est-il dit (2). » C'est en effet sous le regard de ses parents que chacun ouvre les yeux, et cette vie est due à leur amour. Mais à qui pourra obéir celui qui ne sait honorer ses parents ? — « Honore ton père et ta mère, reprend l'Apôtre, c'est le premier commandement (3). » Comment le premier, puisqu'il est le quatrième ? N'est-ce point parce qu'il est le premier des sept ? Il est le premier de la seconde talle, relative à l'amour du prochain. Voilà pour quel motif la loi a été gravée sur deux tables. Dieu donc sur le mont Sinaï, donna à son serviteur Moisé deux tables qui contenaient les dix préceptes de la Loi, c'est notre psaltérion à dix cordes; sur la première étaient les trois commandements qui se rapportent à Dieu, et sur la seconde les sept qui concernent le prochain. Sur cette dernière on lisait donc : premièrement : « Honore ton père et ta mère ; » secondement : « Tu ne commettras point d'adultère ; » troisièmement : « Tu ne tueras point ; » quatrièmement : « Tu ne prendras point le bien d'autrui ; » cinquièmement : « Tu ne feras point de faux témoignage; » sixièmement : « Tu ne convoiteras point la femme de ton prochain ; » septièmement : « Tu ne convoiteras point le bien de ton prochain. » Pour chanter le cantique nouveau sur le psaltérion à dix cordes, joignons ces sept préceptes aux trois premiers qui regardent l'amour de Dieu;

 

1. Matt. XXII, 37-40. — 2. Exod. XIII, 12. — 3. Éphés. VI, 2.

 

8. Que votre charité se rende attentive à ce que me suggère le Seigneur. Le peuple juif reçut cette loi, ce décalogue, et il ne l'observa point. Ceux qui la pratiquaient agissaient par crainte du châtiment, non par amour de la justice ils portaient le psaltérion, et ne chantaient. pas; carte chant est un plaisir, la crainte un fardeau. Aussi le vieil homme ne fait pas le bien où il le fait par crainte; non par amour de la sainteté, non par affection pour la chasteté, la tempérance, la charité, mais par crainte, C'est le vieil homme, et le vieil homme peut chanter le vieux cantique, pas le nouveau. Pour chanter le nouveau cantique, il faut qu'il devienne l'homme nouveau.

Mais comment devenir homme nouveau ? Apprends-le, non de moi, mais de l'Apôtre. « Dépouillez, dit-il, le vieil homme et revêtez le nouveau. » Il craint toutefois que d'après ces mots : « dépouillez le vieil homme et revêtez le nouveau, » quelqu'un ne vienne à s'imaginer qu'il faut réellement déposer une chose pour en reprendre une autre, tandis qu'il s'agit du changement de l'homme même. — C'est pourquoi il ajoute : « Aussi quittant le mensonge, dites la vérité (1). » Voilà ce que signifie : « dépouillez le vieil homme et revêtez le nouveau ; » c'est-à-dire, changez de moeurs : vous aimiez le siècle, aimez Dieu ; vous aimiez les futilités iniques, les plaisirs temporels, aimez le prochain. En agissant par amour, vous chantez le cantique nouveau ; en agissant par crainte, vous agissez sans doute, vous portez le psaltérion, mais sans chanter, vous rejetez même ce psaltérion si vous n'observez pas les préceptes. Mieux vaut encore le porter que de le rejeter, mais aussi mieux vaut chanter avec plaisir que de le porter avec peine ;et on ne chante le cantique nouveau qu'en le chantant avec plaisir, car on est encore sous le vieil homme lorsqu'on porte avec peine ce psaltérion.

Mais que dis-je, frères? attention! Être encore sous l'empire. de la crainte, c'est n'avoir pas fait l'accord avec son .adversaire ; car on craint de voir Dieu venir et d'être damné. On n'aime pas encore la chasteté, on n'aime pas encore la justice et si l'on règle sa conduite, c'est qu'on redoute le jugement divin plutôt qu'on ne condamne la concupiscence qui fait sentir ses atteintes. On n'aime pas encore ce qui est hon ; on n'a point encore de plaisir à chanter le cantique nouveau : le vieil homme fait que l'on

 

1. Éphés. IV, 22-25.

 

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craint le châtiment, enfin on n'a point fait l'accord avec son adversaire.

9. En effet les hommes ainsi disposés succombent souvent à cette pensée ; il disent : Dieu ne devrait-il pas s'abstenir de nous menacer, de faire entendre par ses prophètes ce qui est de nature à détourner de lui ? Ne devrait-il pas, avant de venir, user d'indulgence envers tous, pardonner à tous, venir ensuite et ne jeter personne dans l'enfer ? Ainsi, parce que tu es injuste, tu veux que Dieu le soit! Dieu veut te rendre semblable à lui, et tu travailles à rendre Dieu semblable à toi ? Aime donc Dieu tel qu'il est, et non tel que tu veux qu'il soit. Car tu es mauvais et tu désires due Dieu soit comme toi plutôt que comme il est. Mais si tu l'aimes tel qu'il est, tu te corrigeras, et tu soumettras ton coeur à cette règle dont s'écarte aujourd'hui ta difformité. Aime Dieu tel qu'il est, chéris le tel qu'il est : pour lui il ne t'aime pas, il te hait plutôt tel que tu es. Sa compassion consiste à te haïr tel que tu es pour te rendre ce que tu n'es pas encore et non ce qu'il est lui-même; il ne promet pas en effet de te rendre ce qu'il est.

Il est vrai, tu seras ce qu'il est, mais dans une certaine mesure ; tu l'imiteras comme le peut une image, mais une image bien différente de son Fils. Parmi nous en effet il y a images et images. Un fils est l'image de son père, il est ce qu'est son père, homme comme lui. Mais ton image dans un miroir est bien loin de toi. Elle est autrement dans ton fils et autrement dans un miroir. Elle est en ton fils dans l'égalité d'une même nature! Qu'elle est loin, dans un miroir, d'avoir ta nature et cependant c'est ton image, si différente qu'elle soit de celle que porte ton fils. L'image de Dieu dans la créature est aussi fort différente de ce qu'elle est dans son Fils, dans son Fils qui est son égal, le Verbe même de Dieu par qui tout a été fait. Reçois donc cette divine ressemblance que tu as perdue par tes crimes. L'image de l'Empereur n'est-elle pas aussi sur la monnaie autrement que dans son fils ? Il y a image de part et d'autre ; mais elle est imprimée différemment sur la monnaie, différemment dans le fils ; il y a aussi sur un sou d'or une autre image de l'Empereur. Et toi, tu es la monnaie de Dieu; mais tu l'emportes sur la monnaie proprement dite, parce que tu as l'intelligence et une sorte de vie, parce que tu peux connaître Celui dont tu portes l'image et à l'image de qui tuas été créé; au lieu que ta monnaie ignore qu'elle est ornée de l'image de l'Empereur.

 Dieu donc, comme j'avais commencé à le dire, te hait tel que tu es, mais il t'aime comme il veut que tu sois ; aussi t'excite-t-il à changer. Accorde-toi avec lui ;commence par bien vouloir et par te haïr tel que tu es : oui commence ta paix avec la parole de Dieu en commençant à te haïr tel que tu es. Après avoir commencé à te haïr tel que tu es et tel que Dieu. te hait, tu commenceras déjà à l'aimer lui-même tel qu'il est.

10. Considère un malade. Il se hait en tant que malade et par là il commence à s'entendre avec le médecin, qui le hait aussi comme malade. Si en effet il combat en lui la fièvre, c'est qu'il vent le guérir ; il lutte contre le mal, pour en délivrer celui qui l'endure, L'avarice et l'amour déréglé, la haine et la concupiscence, la luxure et la folie des spectacles sont aussi comme les fièvres qui dévorent ton âme, et tu dois les haïr avec le médecin. En cela tu es d'accord avec lui, tu joins tes efforts aux siens, avec plaisir tu écoutes ses ordonnances, tu les suis avec plaisir et tu commences à aimer tes devoirs à mesure que ta santé se rétablit.

Combien il en coûte aux malades de prendre de la nourriture ! Il préfèrent le moment de leur accès au moment où il faut manger. Cependant ne s'efforcent-ils pas comme le veut le médecin ? et malgré toute leur répugnance il se domptent pour accepter quelque chose. Mais une fois guéris, quel plaisir ils éprouveront à manger ce que dans leur maladie ils peuvent toucher à peine! Et d'ou vient cette victoire remportée par eux ? De ce qu'ils haïssaient leur fièvre, aussi bien que la haïssait le médecin, de ce que médecin et malade la combattaient ensemble.

Nous aussi, lorsque nous parlons de la sorte, nous ne détestons que vos vices ; ou plutôt ils sont détestés en nous par cette parole de Dieu avec laquelle vous devez vous entendre. Hélas que sommes-nous; sinon des malheureux qui avons besoin d'être délivrés avec vous et avec vous guéris ?

11. Ne me regardez donc plus, considérez seulement la divine parole et ne vous emportez point contre ce remède salutaire. Je n'ai point trouvé d'autre transition, et me voici arrivé à la cinquième des dix cordes de mon psaltérion. Devais-je ne point toucher cette cinquième corde ? Je dois au contraire la faire résonner sans interruption. Ici effectivement je vois le genre humain abattu presque tout entier ; je le vois ici (46) plus malade. Que dire en frappant cette corde ? Ne commettez point d'adultère au mépris de vos épouses, puisque vous ne voulez point qu'elles en commettent au mépris de vous-mêmes. N'allez point où vous n'aimez pas qu'elles vous suivent. Vaine excuse que de dire : Est-ce que je vais à une femme étrangère ? je me contente de ma servante Veux-tu donc que ton épouse puisse te dire : Je ne vais point au mari d'une autre ; mon serviteur me suffit. Tu dis: celle que je fréquente n'appartient à aucun homme. Veux-tu qu'on te réponde: Celui que je fréquente n'appartient à aucune femme? A Dieu ne plaise que ton épouse tienne ce langage! Mieux lui vaut de te plaindre que de t'imiter. Elle est une femme chaste, sainte et vraiment chrétienne; elle gémit de l'inconduite de son mari ; elle en gémit; non par amour charnel mais par charité. Si elle ne consent pas à tes désordres, ce n'est point parce quelle s'en garde elle-même, mais parce qu'ils te sont nuisibles. Car si elle ne s'en abstenait que pour te porter à t'en abstenir, elle s'y livrerait dès que tu t'y livres. Elle doit à Dieu, elle doit au Christ ce que tu exiges d'elle, elle te l'accordera pour ce motif ; et malgré tes adultères elle observe pour Dieu la chasteté que Dieu lui commande.

Le Christ en effet parle au coeur des saintes femmes, il leur parle dans ce sanctuaire intime où n'entend rien l'oreille d'un homme débauché, parce qu'il n'est pas digne d'y entendre; le Christ leur parle donc intérieurement, et il adresse à sa fille ces paroles consolantes: Tu souffres des injures que te fait ton époux ; quel n'est pas en effet son crime contre toi ? Plains-le, mais ne l'imite pas: ne fais point le mal qu'il fait, amène-le à faire le bien comme toi. Dans ses égarements ne le considère point comme ton chef, mais plutôt moi qui suis ton Dieu. S'il était ton chef dans ses égarements, comme le corps doit suivre la tète, vous vous précipiteriez tous deux dans l'abîme. Le corps ne doit donc pas suivre son chef tant qu’il est mauvais, il doit s'attacher au Christ, le chef de toute l'Église. Une femme lui doit sa chasteté, elle doit lui conserver son honneur ; que son mari soit absent ou présent, elle ne pèche pas, car il ne s'absente jamais Celui à qui elle doit de rester sans péché.

12. Voilà donc, mes frères, ce que vous devez faire pour vous accorder avec votre adversaire. Il n'y a point d'amertume dans ce que je dis, et s'il y en a, elle est salutaire. Tout amère que soit cette potion, qu'on la boive ; si elle est amère, c'est que les entrailles sont malades. Qu'on la boive donc : mieux vaut un peu d'amertume dans la bouche qu'un éternel tourment. dans les entrailles. Changez: vous qui ne pratiquez point cette belle chasteté, pratiquez-la désormais. Ne dites pas : C'est impossible. Il est honteux, mes frères, il est humiliant pour un homme de dire impossible ce que l'ait une femme. C'est un crime pour un homme de dire : Je ne puis pas ; je ne puis pas ce que peut une; femme ! N'a-t-elle point un corps de chair ? N'a-t-elle pas été, la première, séduite par le serpent ? Vos chastes épouses vous montrent qu'il est possible de faire ce que vous ne voulez pas : et vous dites que c'est impossible ?

Mais objecteras-tu, elle a plus de facilité parce qu'elle est environnée de nombreux gardiens, le commandement de Dieu, la vigilance de son mari, la peur même des lois publiques . il n'y a pas jusqu'à la réserve et la pudeur de son sexe qui ne soient pour elle un fort rempart. — Si ces secours nombreux rendent `une femme plus chaste, que l'homme trouve au moins dans son caractère la force de pratiquer la chasteté. Si la femme a reçu des secours plus abondants, c'est qu'elle est plus faible. Elle rougit devant son mari, et tune rougis pas devant le Christ ? On te laisse libre, parce que tu es plus fort ; on te laisse à toi-même, parce qu'il t'est plus facile de remporter la victoire. Je vois veiller sur elle l'oeil du mari, la menace des lois, la coutume et plus de réserve naturelle : sur toi je ne vois que Dieu, Dieu seul. Il n'est que trop facile, hélas! de rencontrer dès hommes qui se ressemblent et devant lesquels tu n'as point à rougir parce qu'ils font ce que tu fais. Telle est même la corruption de l'humanité, qu'on peut craindre de voir un homme chaste rougir devant des impudiques. Aussi je ne cesse de frapper sur cette cinquième corde ; la coutume perverse et comme je l'ai déjà dit, la corruption de tout le genre humain m'en font un devoir

Si, ce qu'à Dieu, ne plaise, on commet un meurtre au milieu de vous, vous voulez chasser le coupable de son pays, le bannir à l'instant même, quand il est possible. Vous détestez le voleur et refusez de le voir. Un faux témoin est pour vous un objet d'abomination, il ne vous parait plus un homme. Oit estime comme un ravisseur et un injuste celui qui convoite les propriétés d'autrui. On aime au contraire et on caresse celui qui se prostitue 'avec ses servantes; (47) ici le crime n'est qu'un jeu ; et s'il se rencontre un homme qui se prétende chaste, exempt d'adultère et le soit manifestement, il rougit de paraître devant qui ne l'imite point, il craint d'être insulté, tourné en dérision et de passer pour n'être pas un homme. Ainsi la perversité humaine en est venue à faire considérer comme un homme celui qui est vaincu par la passion, tandis qu'elle regarde comme n'en étant pas un celui qui en est vainqueur. Les uns tressaillent de leur victoire et ils ne sont pas des hommes ! les autres demeurent abattus dans la défaite et ils sont des hommes ! Si tu étais au spectacle, le gladiateur étendu sous les pieds du lion te paraîtrait donc plus fort que le gladiateur qui fait tomber le lion sous son glaive

13. Mais vous refusez la lutte intérieure et vous aimez les combats extérieurs: c'est pourquoi vous n'êtes pas du cantique nouveau où il est dit « C'est lui qui forme mes mains au combat et mes doigts à la guerre (1). » Il est une guerre que l'homme se fait à lui-même, lorsqu'il met un frein à l'avarice, lorsqu'il brise l'orgueil, qu'il étouffe l'ambition et qu'il égorge l'impureté. Livre ces secrets combats et à l'extérieur tu n'éprouveras point de défaite. C'est pour ce motif qu'on forme vos mains à la lutte et vos doigts à la guerre. On ne voit rien de pareil sur vos théâtres. Là en effet le gladiateur est différent du musicien, l'un ne fait pas ce que fait l'autre. Dans nos divins spectacles, au contraire, les fonctions sont les mêmes. En touchant le décachorde tu mets à mort les lions, tu fais deux aloses en même temps. Tu touches la première corde en adorant Dieu; je vois tomber la superstition. Tu touches la seconde corde en ne prenant pas en vain le nom du Seigneur ton Dieu ; je vois tomber les fausses et abominables hérésies qui ont fait de lui une créature. Tu touches la troisième corde en faisant toutes tes oeuvres en vue de l'éternel repos, et le plus cruel de tous tes ennemis, l'amour de ce siècle rend le dernier soupir. Cet amour.en effet inspire les hommes dans toutes leurs entreprises. Pour toi, agis constamment, non pour l'amour de ce monde, mais pour l'éternel repos que Dieu nous promet Reconnais donc comment en touchant les cordes tu mets à mort ton ennemi; comment tu es à la fois musicien et gladiateur. Et vous n'aimez peint cette sorte de spectacles où nous

 

1. Ps. CXLIII, 1.

 

attirons, non les regards du spectateur, mais les regards du rédempteur?

« Honore ton père et ta mère. » C'est la quatrième corde ; en la touchant, en honorant tes parents, tu fais tomber l'impiété. « Tu ne commettras point d'adultère. »Touche cette cinquième corde, et voilà que tombe l'amour impur. « Tu ne tueras point. » Touche cette sixième corde, c'est la mort de la cruauté. « Tu ne déroberas point. » En touchant cette septième corde, tu mets fin a l'instinct rapace. «Tu ne feras point de faux témoignage. » En frappant sur cette huitième corde, tu fais tomber le mensonge. « Tu ne convoiteras pas l'épouse de ton prochain. » Frapper sur cette corde, c'est détruire toute pensée adultère ; car autre chose est de manquer à ce que l'on doit à sa femme et autre chose de désirer la femme d'autrui. Aussi y a-t-il deux préceptes; celui de ne pas commettre d'adultère, et celui de ne pas convoiter l'épouse d'autrui. « Tu ne convoiteras pas le bien de ton prochain. » Touche cette dixième corde et voilà toute cupidité renversée. En faisant tomber de cette manière tous les vices, tu vivras avec sécurité et avec innocence dans l’amour de Dieu et dans la société des hommes. Mais en touchant ces dix cordes, combien d'autres vices anéantis! Car chacun de ces vices en comprend beaucoup d'autres ; et frapper une corde c'est frapper des multitudes entières. — Voilà donc comment tu pourras chanter le cantique nouveau avec amour et non avec crainte.

14. Ne dis point, lorsque tu veux t'abandonner à quelque acte d'impureté : Je n'ai pas d'épouse, je fais ce qu'il me plaît, je ne manque point à ma femme. Ne sais-tu pas à quel prix tu as été racheté, de qui tu t'approches, ce que tu manges, ce que tu bois, ou plutôt qui tu bois et qui tu manges ? Évite toute espèce de fornication et ne me dis pas : Je vais aux lieux publies; c'est une fille de j oie, une prostituée que je fréquente. Je ne viole point le précepte qui défend l'adultère ; puisque je n'ai point d'épouse je ne l'outrage point. Je n'enfreins pas non plus le précepte qui interdit de convoiter la femme de son prochain.: en fréquentant une fille publique, quelle est la loi que je blesse ?

Ici , mes frères, ne trouverons-nous pas une corde à toucher, n'en trouverons-nous pas une ? Comment retenir ce fugitif ? Arrête, voici pour l'enchaîner. Cependant aime, et ce ne sera point une chaîne mais un ornement. Jusqu'alors en effet nous n'avons point trouvé de chaînes, nous (48) n'avons vu que des ornements dans le décachorde. Ses dix préceptes se rapportent en effet, comme nous l'avons entendu, au double commandement de l'amour de Dieu et du prochain; et ces deux derniers à cet autre: « Ne fais pas à autrui ce que tu ne veux pas qu'on te fasse (1). » Dans ce seul précepte sont compris et les dix et les deux.

15. Tu diras : En dérobant je fais ce que je ne veux pas endurer ; je le fais aussi en mettant à mort. Si je refuse d'honorer mes parents comme je veux être honoré de mes enfants, je fais ce que je ne veux pas souffrir ; je le fais aussi en commettant ou en essayant de commettre quelque adultère, car il n'est personne qui consente à ce que son épouse en commette. En convoitant la femme de mon prochain, je ne veux pas que fon convoite la mienne et je fais ce que je ne veux pas qu'on me fasse. En convoitant aussi ce qui appartient à mon prochain, je ne veux pas qu'on dérobe mon propre bien et je fais à autrui ce que je ne veux pas pour moi. Mais si je vais à une fille de ,joie, qui en souffre ? Qui ? Voici ce qui est plus grave, c'est Dieu même.

Votre sainteté le comprendra. Cette recommandation : « Ne fais pas à autrui ce que tu ne veux pas qu'on te fasse, » se rapporte à deux préceptes. Comment ? Si tu ne fais pas à un homme ce que tu ne veux pas endurer de la part d'un homme, tu observes le commandement qui concerne le prochain, l'amour du prochain, les sept cordes. Mais si tu veux faire à Dieu même ce que tu ne voudrais pas endurer de la part d'un simple mortel, quoi ?ne fais-tu pas à autrui ce que tu ne veux pas souffrir ? Préfères-tu l'homme à Dieu?

Comment, dis-tu, puis-je faire souffrir Dieu même? — En te corrompant? - Et comment puis-je outrager Dieu en me corrompant ? — De la même manière que t'outragerait celui qui s'aviserait de lapider le tableau où est peinte ton image, vaniteuse me fit appendue dans ta demeure, également incapable de sentir, de parler et de voir. Ne serait-ce pas t'injurier que de la lapider ? Et quand par les impuretés et les débordements de la passion tu corromps l'image de Dieu, qui n'est autre que toi-même; tu observes que tu n'as point fréquenté la femme d'autrui,, que tu n'as point manqué à ta propre femme, que tu n'as point de femme ! Tu ne vois donc pas de qui tes passions déréglées et tes débauches ont souillé l'image ? Dieu sait ce qui peut t'être utile;

 

1. Tob. IV, 16.

 

c'est vraiment pour leur avantage et non pour le sien qu'il gouverne ses enfants ; il n'a pas besoin de leurs secours, c'est à toi que l'appui du Seigneur est indispensable. Or ce Dieu qui connaît ce qui t'est nécessaire, t'a accordé une épouse, rien de plus. Ce qu'il défend, ce qu'il interdit, c'est que des plaisirs coupables ne renversent point son temple, et tu as commencé à devenir ce temple. Est-ce moi qui parle ainsi? Écoutez l'Apôtre : « Ne savez-vous pas que vous êtes le temple de Dieu et que l'Esprit de Dieu habite en vous? » C'est à des Chrétiens, c'est à des fidèles qu'il adresse ce langage : « Ne savez-vous pas que vous êtes le temple de Dieu. et que l'Esprit de Dieu habite en vous ? Or, si quelqu'un détruit parla corruption le temple de Dieu, Dieu le détruira (1). » Voyez quelle menace! Tu ne veux point qu'on renverse ta maison , et tu renverses la maison de Dieu ? Tu fais sûrement à autrui ce que tu ne veux pas endurer.

Ainsi point d'échappatoire : voilà retenu celui qui croyait ne pouvoir l'être. Tous les péchés des hommes sont des actes qui corrompent ou des crimes qui nuisent. Parce que tu ne peux nuire à Dieu par tes crimes, tu l'offenses par tes impuretés, tu l'outrages par la corruption, tu l'injuries en toi-même; car tu insultes à sa grâce, tu violes sa demeure.

16. Si tu avais un serviteur, tu voudrais qu'il te servit : sers donc un Maître meilleur, sers ton Dieu. Tu n'as point créé ton serviteur, c'est Dieu qui t'a créé comme lui. Tu veux être servi par celui avec qui tu as été formé et tu ne veux pas servir Celui qui t'a formé ? Mais en exigeant le service de cet homme, sans vouloir servir le Seigneur ton Dieu, ne fais-tu pas à Dieu ce que tu ne veux pas souffrir ?

Ainsi donc ce précepte unique en renferme, deux, ces deux en comprennent dix, et ces dix, tous les autres. Chantez donc le cantique nouveau sur le psaltérion à dix cordes ; et pour chanter ce' chant nouveau, soyez des hommes nouveaux Aimez la justice : elle a sa beauté. Si vous ne voulez , point la contempler, c'est gaie vous ne l'aimes pas ; car vous la verriez si vous n'aimiez pas, autre chose. Pourquoi loues-tu la fidélité lorsque tu la réclames de ton serviteur ? C'est une belle chose que la fidélité ! Mais tu la trouves belle quand tu la demandes à ton serviteur; tu la vois quand tu la revendiques, et quand on la requiert de toi tu ne la vois plus. Tu vois l'or, tu ne vois

 

1. Cor. III, 16, 17.

 

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pas la fidélité; mais autant brille l'or aux yeux du corps, autant brille la fidélité aux regards de l'esprit. Tu lui ouvres ces yeux du coeur quand tu veux que ton serviteur la pratique envers toi. S'il le fait, tu le loues, tu l'exaltes, tu t'écries : J'ai un bon, j'ai un grand, j'ai un fidèle serviteur. Et tu ne rends pas hommage à Dieu de ce que tu loues dans ce serviteur! Ce qui ajoute à ton crime, c'est que tu exiges de lui ce que tu n'accordes pas à Dieu; car c'est Dieu qui lui ordonne d'être bon envers toi. Il commande à ton épouse de ne pas commettre l'adultère lors même que tu t'en rendrais coupable, ainsi il commande à ton serviteur de t'obéir, quand même tu n'obéirais pas à ton Seigneur.

Fais en sorte néanmoins, que tout ceci aide à t’instruire, non à te perdre. C'est pour, Dieu et non pour toi que ce serviteur sert un indigne, c'est-à-dire fait bien et fidèlement son service et l'aime sincèrement malgré ton dignité. Accomplis donc ce qui est dit : « Ne fais pas à autrui ce que tu ne veux pas qu'on te fasse (1). » Mais par autrui entends à la fois Dieu et le prochain. Chanté surie psaltérion à dix cordes, chante le cantique nouveau. Accorde-toi avec la parole de Dieu tant qu'elle chemine avec toi. Accorde-toi au plus tôt avec ton ennemi afin qu'aucun différend ne t'amène devant le juge. En faisant ce qui t'est dit, tu t'entends avec lui ; en ne le faisant pas, tu contestes et tu ne pourras t'accorder qu'en te soumettant.

17. Pour vous accorder, éloignez-vous de ces détestables impuretés, des études détestables, des astrologues et des aruspices, des sorciers, des augures et des sacrilèges ; éloignez-vous aussi, autant que possible, des folies des spectacles. Si parfois les plaisirs du siècle se glissent dans votre âme, exercez-vous à la miséricorde, exercez-vous au jeûne, à la prière. On se purifie, par ces moyens, des péchés de chaque jour dont ne peut se défendre l'humaine fragilité. Ne méprise pas ces péchés parce qu'ils sont petits ; redoute-les parce qu'ils sont nombreux.

Soyez attentifs, mes frères. Ces péchés sont petits, ils ne sont pas graves. Tous les animaux n'ont pas la taille du lion, pour pouvoir égorger d'un coup de dent. Mais n'arrive-t-il pas souvent aux plus faibles insectes de donner la mort quand ils sont en grand nombre ? Qu'un homme soit jeté dans un lieu rempli de moustiques, n'y meurt-il pas ? Ces insectes sont faibles ; mais faible est aussi la nature humaine et elle peut

 

1. Tob, IV, 16.

 

succomber sous les atteintes de ces chétifs insectes. Ainsi en est-il des péchés légers. Vous dites qu'ils sont légers : songez qu'ils sont multipliés. Qu'y a-t-il de plus léger que les grains de sable? Jetez-en abondamment dans un navire, il coule à fond. Qu'y a-t-il de plus petit que les gouttes de pluie ? Néanmoins elles remplissent les fleuves et renversent nos demeures. Ne méprisez donc pas les péchés légers.

Vous direz : Qui peut en être préservé dans cette vie ? Il est vrai, personne ne peut en être exempt. Dieu toutefois t'interdit ce langage, car en considération de notre fragilité, il a, dans sa miséricorde, préparé des remèdes. Quels sont-ils? L'aumône, le jeûne, la prière : trois. Mais pour rendre sincère ta prière, tu dois faire de parfaites.aumônes. En quoi consistent les aumônes parfaites ? A donner de ton abondance à qui n'a pas ; à pardonner à qui te blesse.

18. Néanmoins, frères, gardez-vous de croire que l'on doive chaque jour commettre l'adultère, pour l'expier chaque jour par l'aumône. L'aumône de chaque jour ne suffit pas à effacer ces sortes de fautes. Autre chose est ce que tu dois changer dans ta vie ; et autre chose ce que tu dois y tolérer. Que dois-tu changer ? Si tu étais adultère, ne le sois plus ; fornicateur, ne le sois plus ; homicide, ne le sois plus; si tu fréquentais l'astrologue et les autres misérables également sacrilèges ; assez ! Penses-tu qu'en continuant tu pourrais expier ces crimes par l'aumône de chaque jour ? J'entendais, par péchés de chaque jour, ceux qui se commettent aisément par la langue ; ainsi une parole dure, un rire immodéré, des légèretés de ce genre où l'on tombe chaque jour,

Les péchés se glissent mêmes dans les oeuvres, permises. N'avoir pas uniquement en vue la génération des enfants, lorsqu'on s'unit à son épouse, c'est péché ; car c'est s'écarter du but assigné au mariage par la loi civile elle-même. Pour engendrer des enfants, dit-elle. Vouloir donc user du mariage au delà de ce que nécessite la génération, c'est péché, et ce sont des péchés de cette sorte qu'effacent les aumônes de chaque jour. Sans aucun doute les aliments sont permis ; néanmoins il y a péché à excéder la mesure, à prendre au delà du nécessaire. Ces fautes se renouvellent chaque jour ; elles n'en sont pas moins des fautes, et leur multitude ne permet pas de les regarder comme légères ; et parce qu'elles se reproduisent chaque jour en grand nombre, il faut redouter la ruine qu'elles entraîneraient, non par leur gravité, mais par (50) leur quantité. C'est de ces péchés que nous disons, mes frères, qu'on peut les expier par les aumônes de chaque jour. Faites donc des aumônes sans interruption. Considérez combien de péchés, je dis de péchés légers, souillent chaque jour votre vie.

19. Or quand tu fais l'aumône, n'y mets point d'orgueil; ne prie pas non plus comme priait ce Pharisien. Que dit-il alors? « Je jeûne deux fois la semaine, je donne la dîme de ce que je possède (1). » Mais le sang du Seigneur n'était point alors répandu. Pour nous qui avons reçu un si haut prix, nous ne donnons même pas ce que donnait le Pharisien. Le Seigneur toutefois dit ailleurs en termes exprès: « Si votre justice n'est plus abondante que celle des Scribes et des Pharisiens, vous n'entrerez point dans  le royaume des cieux (2). » Ainsi, ceux-là donnent la dîme, et si tu donnes la centième partie tu te vantes d'avoir fait quelque chose de grand! Tu considères ce qu'un autre ne fait pas, au lieu de te rappeler ce que Dieu exige. Tu te juges en te comparant à un pire, non en te rappelant les ordres d'un meilleur. Si ce pire ne fait rien, s'ensuit-il que tu fasses quelque chose de grand ? Telle est, hélas ! votre stérilité, que les moindres actes de votre part inspirent de la joie et parce qu'on est heureux du peu que vous faites, vous êtes comme en sûreté, vous vous flattez de quelques petites aumônes et vous perdez de vue des montagnes de péchés! Peut-être as-tu fait paraître je ne sais quelle petite bonne oeuvre qu'un autre n'a point produite ou qu'il n'a point montrée après l'avoir faite. De grâce, ne considère point qui n'a pas fait son devoir, mais ce que Dieu exige de toi.

Pourquoi enfin, quand il s’agit des intérêts de ce siècle, ne vous suffit-il pas de devancer ceux qui ont moins que vous ? Pourquoi voulez-vous être riches, riches comme sont les plus riches que vous ? Vous ne considérez pas combien de pauvres vous surpassez ; vous voulez vaincre ceux dont la fortune l'emporte sur la vôtre: Dans les aumônes, on garde, hélas ! autrement la mesure. Combien j'en fais ! dit-on en parlant des aumônes ; et l'on ne dit pas, en parlant des riches : Combien mon opulence l'emporte sur la fortune de plusieurs ! On ne considère pas les besoins d'innombrables indigents, on ne regarde pas quelles troupes de pauvres l'on devance ; on voit plutôt le petit nombre des riches qui l'emportent sur soi. Pourquoi en fait de bonnes

 

1. Luc, XVIII, 12. — 2. Matt. V, 20.

 

oeuvres ne considère-t-on pas ce Zachée qui donna aux pauvres la moitié de ses biens (1)? Mais nous sommes réduits à souhaiter que l'on fasse attention à ce Pharisien qui donnait la dîme de tout ce qu'il possédait.

20. Ne ménage pas tes trésors périssables, tes vains trésors. Ne travaille point à accroître ta fortune sous prétexte de piété. Je la conserve pour mes enfants; on s'excuse souvent ainsi : Je la conserve pour mes enfants. Voyons : ton père conserve pour toi, tu conserves, toi, pour tes enfants, tes enfants pour leurs enfants et ainsi de suite sans qu'aucun pratique les commandements divins. Pourquoi plutôt ne pas tout offrir à Celui qui t'a fait de rien? N'est-ce pas lui qui te nourrit, toi et tes enfants, de ce qu'il a créé lui-même? Impossible de léguer à tes fils un meilleur patrimoine que ton Créateur. Les hommes souvent sont donc menteurs. Es rougissent de paraître avares; ils veulent se couvrir du nom de la piété, se justifier et paraître garder pour leurs enfants ce que; réellement ils gardent par avarice.

Vous pouvez vous convaincre que la plupart du temps il en est ainsi. On dit de quelqu'un: Pourquoi ne fait-il pas l'aumône? C'est qu'il conserve pour ses enfants. Il en perd un ; si donc il conservait réellement pour eux, qu'il envoie la part à celui-là. Pourquoi la conserve-t-il dans sa bourse et oublie-t-il le défunt? Donne-lui ce qui est à lui; donne-lui ce que tu conservais pour. lui. Il est mort, répond-il. Mais il est près de Dieu,; tu dois sa part aux pauvres, tu la dois à Celui près de qui il t'a précédé ; tu la dois au Christ, car c'est près de lui qu'il est maintenant et le Christ a dit lui-même : « Ce que l'on fait à l'un de ces derniers, on me le fait; et ce que l'on ne fait pas à l'un d'eux, on ne me le fait pas (2). » Que réponds-tu? Je garde pour ses frères. Si l'autre était vivant, ne partagerait-il pas avec ceux-ci? Quelle foi morte! Oui, ton fils est mort, et quoique tu en dises, tu lui dois après sa mort ce que tu lui gardais pendant sa vie. Mon fils est mort, et je conserve sa part pour ses frères. Tu crois donc qu'il est mort ? Il est mort, si le Christ n'est pas mort pour lui; mais si tu as la foi, ton fils est vivant. Il vit sans aucun doute; il n'est point perdu, il est en avant.

De quel front paraîtras-tu devant lui, après ne lui avoir pas envoyé sa portion, dans le ciel? Ne peut-on en effet l'y envoyer ? On le peut sûrement. Écoute le Seigneur lui-même : « Amassez-vous des trésors dans le ciel.(3) » Si dans le ciel le

 

1. Luc, XIX, 8. — 2. Matt. XXV, 40 46. — 3 Ibid. VI, 20,

 

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trésor est mieux en sûreté, ne faut-il pas l'envoyer à ton fils? Si tu l'envoies il ne sera point perdu et on le conservera ici où il peut se perdre, sans l'envoyer là haut où le Christ en sera le gardien ? Tu confies à tes hommes d'affaires la part de ce fils qui est parti, et tu ne la confies pas au Christ près de qui il est ? Jugerais-tu ton procureur plus sûr que le Christ?

29. Vous le voyez, frères, c'est un mensonge de dire : Je conserve pour mes enfants. Oui, mes frères, c'est un mensonge; ces hommes sont avares. Qu'ils rougissent au moins maintenant de taire, ce qu'ils sont, et qu'ils fassent l'aveu qui leur répugne : qu'ils répandent, qu'ils vomissent en quelque sorte ce qu'ils ont sur le coeur. Leur conscience est chargée d'iniquité; qu'ils vomissent en le confessant, mais qu'ils n'imitent point cet animal qui reprend ce qu'il a vomi.

Soyez chrétiens, c'est peu d'en porter le nom. Combien donnez-vous pour des histrions? Combien pour des gladiateurs ? Combien pour des femmes d'ignominie ? Vous leur donnez pour vous tuer. Si vous luttiez follement à qui conservera davantage, vous ne seriez point pardonnables. Lutter follement à qui conservera davantage, c'est avarice; à qui donnera davantage, c'est profusion. Dieu ne te veut ni avare ni prodigue. Il veut que tu places ton avoir, non que tu le jettes. Vous luttez à qui l'emportera dans le mal, sans avouer quel est le plus mauvis d'entre vous, et vous dites : Nous sommes chrétiens. Pour capter la faveur du peuple vous prodiguez vos biens; vous les gardez contre les ordres du Christ.

Voyez, le Christ ne commande pas, il prie, il est dans le besoin. « J'ai eu faim, dit-il, et vous ne m'avez pas donné à mener (1). » Pour l'amour de nous il a voulu être dans le besoin; il a voulu vous obtenir la grâce de semer en quelque sorte ses dons terrestres, afin que vous puissiez moissonner la vie éternelle. Ne vous laissez aller ni à la paresse ni à une fausse sécurité. Corrigez vos moeurs, rachetez vos péchés, et après l'avoir fait, rendez grâces à Dieu qui vous a accordé de vivre chrétiennement. Mais en lui rendant grâces, gardez-vous d'insulter à quine vit pas encore convenablement : encouragez-le plutôt par votre conduite.

A ces conditions votre justice sera aussi parfaite qu'elle peut l'être dans ce monde. Vivez dans les bonnes oeuvres, dans la prière, dans le jeûne, dans l'aumône, pour effacer les péchés légers; et abstenez-vous des péchés graves dont nous avons parlé : ainsi vous vous accorderez avec votre adversaire et vous pourrez dire sans crainte : « Pardonnez-nous nos offenses comme nous pardonnons à ceux qui nous ont offensés (2). » Si vous avez chaque jour à pardonner, vous avez besoin aussi qu'on vous pardonne chaque jour. En marchant d'un pas assuré dans la voie véritable, vous ne redouterez point les attaques du diable : car c'est le Christ qui s'est fait lui-même la voie et la grande route par laquelle il nous conduit à la patrie. Là on jouit d'une plaine sécurité, d'un entier repos : il n'y aura plus d'oeuvres de miséricorde, car il n'y aura plus tee malheureux à secourir. Ce sera donc le Sabbat des sabbats, et nous y trouverons ce que nous cherchons ici. Ainsi soit-il.

 

1. Matt. XXV, 42. — 2. Ibid. VI, 12.

 

 

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