SERMON CXLV
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SERMON CXLV. QU'EST-CE QUE DEMANDER QUELQUE CHOSE (1) ?

 

ANALYSE. — Notre-Seigneur reproche à ses disciples de n'avoir jamais rien demandé en son nom. En son nom pourtant ils ont déjà fait bien des miracles. Comment donc entendre sa pensée ? — Il est dit dans l'Écriture que Dieu refuse les jouissances divines à ceux qui sont sous le joug de la crainte et qu'il les accorde abondamment à ceux qui vivent d'espérance. Rien n'est plus vrai, car ceux qui ne servent Dieu que par crainte ont le coeur attaché au mal que la crainte seule leur fait éviter, tandis que ceux que l'espérance attache au service de Dieu ont pour lui un amour véritable dont ils goûtent les joies: Cet amour qui rend le coeur heureux est donc la grande grâce qu'il faut solliciter. — Or les disciples jusques là avaient plutôt vécu sous le joug de la crainte que sous le joug de l'amour. Sans doute ils avaient déjà demandé bien des faveurs; mais Jésus considère ces faveurs comme n'étant rien on presque rien en comparaison de ce qu'il voudrait qu'ils sollicitassent; et c'est pourquoi il leur dit que jusqu'alors ils n'ont rien demandé.

 

1. Nous avons remarqué, durant la lecture du saint Évangile, une pensée qui doit sans aucun doute mettre en mouvement toute âme sérieuse et la déterminer non pas à se décourager mais à chercher. Sans mouvement en effet il n'y a pas de changement possible; mais s'il est un mouvement dangereux, comme celui dont il est dit : « Ne mettez pas mes pieds en mouvement (2); » il est aussi un autre mouvement qui consiste à chercher, à frapper, à demander. Tous, il est vrai, nous avons entendu le lecteur; tous pourtant, je présume, nous ne l'avons pas compris. Sa voix donc nous signale ce qu’avec moi vous devez chercher, examiner, demander la grâce de comprendre. Dieu, je l'espère, nous assistera dans sa bonté et m'accordera ce dont je désire vous faire part.

 

1. Jean, XVI, 24. — 2. Ps. LXV, 9

 

Pourquoi donc, dites-moi, le Seigneur vient-il d'adresser cette observation à ses disciples « Vous n'avez jusqu'alors rien demandé en mon nom ? » N'est-ce pas ici ces mêmes disciples qu'il a envoyés avec le pouvoir de prêcher l'Évangile et de faire des miracles, et qui sont revenus vers lui tout transportés de joie et s'écriant: « Seigneur, voici qu'en votre nom les démons nous sont soumis (1) ? » Vous vous rappelez, vous reconnaissez ce passage que j'ai cité de l'Évangile, dont tentes les parties et toutes les pensées sont incontestablement vraies et sans aucun langage d'erreur. Comment alors accorder ces deux textes « Vous n'avez jusqu'alors rien demandé en mon nom; — Seigneur, voici qu'en votre nom les démons mêmes nous sont soumis? » Quel esprit ne désire résoudre cette question ? Donc il

 

1. Luc, X, 17, 20.

 

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nous faut demander, chercher, frapper. Faisons-le avec une piété pleine de foi, non pas avec une inquiétude charnelle, mais avec une humble dépendance; et Celui qui nous voit frapper ne dédaignera pas de nous ouvrir.

2. Recevez donc avec attention, avec une pieuse avidité, ce que le Seigneur va me mettre en main pour vous le distribuer; et après avoir entendu mes paroles, la pureté de votre goût vous dira sans doute à quel divin trésor je les ai puisées.

Le Seigneur Jésus savait ce qui pouvait rassasier l'âme humaine, cette intelligence créée à l'image de Dieu; il savait qu'il ne lui fallait rien moins que lui-même, et il savait aussi qu'elle n'en était point remplie encore; car s'il se montrait sous un rapport, sous un autre il se cachait, connaissant parfaitement ce qu'il convenait de mettre en relief et ce qu'il convenait de laisser dans l'ombre.

« Seigneur, est-il dit dans un psaume, coin« bien est grande l'abondance de votre douceur, « que vous cachez à ceux qui vous craignent et « que vous communiquez généreusement à ceux « qui espèrent en vous (1) ! » Oui, vous les dérobez à ceux qui vous craignent, ces délices divines, immenses, infinies. Si vous les cachez à ceux qui vous craignent, à qui les révélez-vous ? « Vous les communiquez généreusement à ceux qui espèrent en vous. » Voici donc une double question; mais la solution de l'une est l'éclaircissement de l'autre. Pourquoi, dira-t-on en examinant la seconde, pourquoi « avez-vous caché à ceux qui vous craignent et communiqué généreusement à ceux qui espèrent en vous? » Ceux qui craignent sont-ils différents de ceux qui espèrent ? Ceux qui craignent Dieu n'espèrent-ils pas en lui? Comment espérer en lui sans le craindre, et comment le craindre, pieusement sans espérer en lui? Commençons par résoudre ce problème; un mot de l'espérance et de la crainte.

3. La crainte est le caractère de la Loi, l'espérance celui de la grâce. — Peut-il y avoir une différence entre la Loi et la grâce, puisque la Loi et la grâce jaillissent de la même source? La Loi effraie ceux qui présument d'eux-mêmes : la grâce soutient ceux qui espèrent en Dieu. Oui, la Loi effraie; ne passez pas légèrement sur ce petit mot : pesez-le et appréciez en l'importance. Comprenez.bien ce double caractère, écoutez et saisissez nos preuves.

La Loi, disons-nous, effraie ceux qui présument d'eux-mêmes; la grâce soutient ceux qui

 

1. Ps. XXX, 20.

 

espèrent en Dieu. En effet, que contient la Loi? Beaucoup de prescriptions. Mais pourquoi chercher à les énumérer? Je n'en rappellerai qu'une seule, elle est fort courte et déjà rappelée par l'Apôtre; qui cependant l'observe? La voici: « Tu « ne convoiteras pas. » Attention! mes frères, c'est bien la Loi; mais sans la grâce c'est ta condamnation. Pourquoi, présomptueux, pourquoi tant te vanter et tant te vanter de ton innocence ? Pourquoi t'en faire tant accroire? Tu peux dire, sans doute. Je n'ai pas dérobé le bien d'autrui : je t'écoute, je te crois; je pourrais peut-être même constater par moi-même que tu né dérobes pas ce qui n'est pas à toi. Mais il s'agit de ne pas convoiter. — Je n'approche pas de la femme d'un autre. — Ici encore je t'écoute, je te crois, je constate. Mais il s'agit de ne pas convoiter. Pourquoi regarder autour et non au dedans de toi? Regarde en toi, et tu verras dans tes membres une loi contraire. Regarde bien en toi pourquoi te jeter en dehors? Descends en toi, et tu découvriras dans tes membres une loi qui résiste à la loi de ton esprit et qui t'assujettit à elle-même, à cette loi du péché qui vit en tes membres. Comment goûter alors les divines douceurs, esclave que tu es de la loi charnelle, de la loi opposée à la loi de ton esprit? Les Anges s'abreuvent de ces douceurs qui te sont inconnues, et ce sont les chaînes de ton esclavage qui t'empêchent d'atteindre jusques là. « Si la Loi n'avait dit : Tu ne convoiteras pas, » tu ignorerais « la convoitise. » En entendant la loi tu as craint, tu as essayé de combattre, mais sans pouvoir vaincre. Car « prenant occasion de ce « précepte, le péché a produit la mort. » Ainsi parle l'Apôtre, vous reconnaissez son langage. « Prenant occasion du commandement; le péché, dit-il, a développé en moi toute concupiscence. » Pourquoi tant de jactance et tant d'orgueil? Tu le vois, c'est avec tes propres armes que l'ennemi t'a vaincu. Tu voulais une loi pour t'instruire, et la loi même a servi d'entrée à ton ennemi. « Car, prenant occasion du commandement, le péché m'a séduit, continue l'Apôtre, et par lui m'a tué. » Comment ai-je pu dire. C'est par tes propres armes que l'ennemi t'a vaincu ? Ecoute la suite du discours de l'Apôtre. « Ainsi la Loi est sainte, le commandement est saint, juste et bon. Ce qui est bon est donc devenu pour moi la mort? Loin de là; mais le péché, pour se révéler, s'est servi de ce qui est bon pour me causer la mort (1). »

 

1. Rom. VII, 7-13, 23.

 

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Comment cela? C'est parce que tu as eu pour le commandement de la crainte et non de l'amour. Tu as craint le châtiment et tu n'as pas aimé la justice. Or, quand on craint le châtiment; on voudrait s'il était possible faire ce qui plait sans avoir rien à redouter. Ainsi, Dieu défend l'adultère : tu as bien en vue une femme étrangère, mais tu ne l'abordes pas, tu ne fais pas le mal avec elle; tu en as bien l'occasion, le temps et 1e lieu sont propices, il n'y a pas de témoins, nonobstant tu ne commets pas le crime. Pourquoi? Tu as peur du châtiment. — Personne ne le saura. — Dieu ne le saura-t-il pas non plus ? — Ainsi c'est parce que l'oeil de Dieu te voit, que tu t'abstiens de ce que tu allais faire. Mais ici ne crains-tu pas plus les menaces de Dieu, que tu n'aimes ses ordres? En effet, pourquoi t'abstiens-tu? Parce qu'en faisant le mal tu serais jeté en enfer. C'est donc le feu que tu redoutes. Ah! si tu aimais la chasteté, tu t'abstiendrais dans le cas même où tu n'aurais absolument rien à craindre; et si Dieu te disait: Fais ce que tu veux, je ne te condamnerai pas, je ne te condamnerai pas à l'enfer, seulement tu ne me verras pas; en t'abstenant après cette menace, ce serait l'amour de Dieu et non la crainte de son jugement qui t’inspirerait. Mais t'abstiendrais-tu ? Il est possible, ce n'est pas à moi d'en juger. Quoi qu'il en soit, tues aidé, si tu t'abstiens, par la grâce qui fait les saints, et c'est elle qui t'inspire une juste horreur pour l'impureté de l'adultère, et pour ton Maître un amour vrai qui te fait soupirer après ses promesses plutôt que de redouter ses menaces; oui, c'est la grâce et garde-toi de revendiquer ce mérite, de l'attribuer à ta nature. Tu t'abstiens avec plaisir, c'est bien; avec amour, c'est bien encore; j'y applaudis de tout coeur. C'est la charité qui t'inspire cette bonne volonté pratique, et ta confiance en Dieu te fait goûter les douceurs divines.

4. Mais d'où te vient cette charité? si toutefois tu l'as réellement; car je crains encore que ce ne soit la crainte qui t'anime et que nonobstant tu ne t'estimes un grand homme. Oui tu es grand si tu agis par charité. Mais as tu la charité? — Je l'ai, dis-tu. — D'où te vient-elle ? — De moi-même. — Ah ! si elle te vient de toi-même, que tues loin encore de la divine douceur! C'est toi qu'il te faudra aimer, car ce sera aimer la source même de la charité. Mais je te prouve que tu ne l'as pas, et la preuve que tu ne l'as pas, c'est que tu t'attribués un bien si précieux; car si tu la possédais réellement, tu saurais d'où elle te vient. En prétendant que tu l'as par toi-même, ne la considères-tu pas comme quelque chose de très peu important? Et néanmoins, quand tu parlerais les langues des hommes — et des Anges, si tu n'avais pas la charité, tu ne serais qu'un airain sonore et une cymbale retentissante. Quand encore tu comprendrais tous — les mystères, que tu posséderais toute la science, tous les dons prophétiques et toute la foi jusqu'à transporter les montagnes, rien de tout cela, sans la charité, ne pourrait te servir. Si même tu distribuais tout ton avoir aux pauvres et que tu livrasses ton corps pour être brûlé, sans la charité, tu ne serais rien (1). Quelle place tient donc cette charité dont l'absence rend tout inutile? Compare-la, non pas à ta foi, non pas à ta science, non pas à ta langue, non pas à des choses moindres encore, l'oeil, la main, le pied, le dernier de te membres : quel rapprochement établir entre elle et ces biens minimes ? Et quand Dieu seul a pu te donner l'oeil et la main, tu ne devrais la charité qu'à toi ? N'est-ce            pas abaisser Dieu, que de prétendre être toi-même l'auteur de cette charité qui l'emporte sur tout! Le Seigneur peut-il te donner davantage? Tout ce qu'il peut te donner n'est-il pas moindre nécessairement? La charité l'emporte sur tout, et t'est toi qui te l'es donnée ? Si tu l'as, elle ne vient pas de toi; qu'as-tu en effet que tu ne l'aies reçu (2)? Qui donc en a fait don, soit à moi, soit à toi ? C'est Dieu. Reconnais en lui ton bienfaiteur, pour ne sentir pas sa main vengeresse. Oui, sur la foi des Écritures, c'est Dieu qui t'a donné la charité, ce bien immense, ce bien qui surpasse tout bien. Dieu te l'a donnée, « puisque la charité de Dieu a été répandue dans nos coeurs; par toi ? Nullement, mais par le Saint-Esprit qui nous a été donné (3). »

5. Revenons maintenant à notre esclave, revenons à la proposition que j'ai établie 'en ces termes : La Loi effraie ceux qui présument d'eux-mêmes, la grâce soutient ceux qui espèrent en Dieu. Vois en effet l'esclave dont il a été fait mention. Il sent dans ses membres une loi qui résiste à la loi de son esprit et qui se l'assujettit à elle-même, toute charnelle qu'elle soit. Lé voilà donc vaincu; entraîné, enchaîné, sous le joug. Que lui sert, hélas! d'avoir entendu : « Tu ne convoiteras pas ? » L'ennemi lui a été signalé, mais il ne l'a pas vaincu. Car il ignorait la concupiscence, c'est-à-dire son ennemi, « si la Loi

 

1. I Cor. XIII, I-3. — 2. Ibid. IV, 7. — 3 Rom. V, 5.

 

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ne disait: tu ne convoiteras pas.. » Eh bien! le voilà, ton ennemi, combats,        affranchis-toi,

rends-toi libre, étouffe cette pensée voluptueuse, anéantis cette impression coupable. Arme-toi de la loi, en avant, triomphe si tu le peux. Mais qu'est-ce que cette complaisance intérieure dans la Loi de Dieu que t'inspire déjà un commencement de grâce? Tu vois dans tes membres une loi différente qui résiste à cette loi spirituelle et qui n'y résiste pas vainement, puisqu'elle te met sous le joug de la loi de péché.

Voilà comment. la crainte te prive de l'abondance des divines douceurs. Mais si la crainte te prive de ces douceurs, comment te seront-elles communiquées généreusement si tu espères? Crie sous la main de l'ennemi; car si tu as un adversaire, tu as aussi un soutien qui attend que tu combattes pour seconder tes efforts, mais à la condition que tu espéreras en lui, puisqu'il déteste l'orgueil. Et que dire en criant ainsi sous la main de l'ennemi ? « Malheureux homme que je suis! » Vous comprenez, vos acclamations me l'indiquent. Si donc il vous arrive de vous débattre sous la main de l'ennemi, criez ainsi, criez du fond du coeur, dites avec une foi éclairée : « Malheureux homme que je suis!» Je suis malheureux, malheureux d'abord parce que je suis moi, malheureux ensuite parce que je suis homme: doublement donc malheureux; car tout homme se tourmente vainement et s'égare au milieu des fantômes (1). « Malheureux homme que je suis, «qui me délivrera du corps de cette mort? » Est-ce toi? Mais où sont tes forces? Sur quoi repose ta présomption? Ah ! tu cesses enfin, tu cesses de t'enorgueillir et non d'invoquer Dieu. Cesse ainsi de te vanter et crie. Dieu lui-même ne se tait-il pas en même temps qu'il crie ? Il se tait comme juge, mais il ne se tait pas comme législateur. Toi aussi cesse de t'élever, mais non de l'invoquer; autrement Dieu pourrait te dire : « Je me suis tu, me tairai-je toujours (2)? » Crie donc: « Malheureux homme que je suis! » Avoue-toi vaincu, confesse ta faiblesse et dis : « Malheureux homme que je suis, qui me délivrera du corps de cette mort? »

Qu'avais je avancé? Que la Loi effraie qui présume de soi. Voici un homme qui présumait de lui-même; il a essayé de combattre, mais sans pouvoir vaincre ; au contraire il a été vaincu, terrassé, mis sous le joug, et dans les fers. Ainsi a-t-il appris à se confier en Dieu, et après avoir été effrayé par la Loi quand

 

1. Ps. XXXVIII, 7. — 2. Isaïe, XLII,14.

 

il présumait de lui-même, maintenant qu'il espère en Dieu il sera secouru par sa grâce. C'est ce qu'il exprime avec bonheur. « Qui me délivrera du corps de cette mort? La grâce de Dieu par Jésus-Christ Notre-Seigneur (1). » Ah! ressens maintenant sa douceur, goûte-la et la savoure, écoute ce psaume : « Goûtez et voyez combien le Seigneur est doux (2). » Pour toi il est devenu doux, mais après t'avoir délivré. Il était amer quand.tu présumais de toi; plonge-toi dans cette douceur, gage heureux de ce qui t'attend.

6. Les disciples de Notre-Seigneur Jésus-Christ étaient encore sous la loi et ils avaient besoin d'être encore purifiés et nourris, d'être encore réprimandés et redressés, car ils étaient sujets encore à la convoitise, quoique la Loi dise: « Tu ne convoiteras pas (3). » Je ne veux pas blesser ces béliers sacrés, ces chefs du troupeau divin; non je ne les blesserai point, car je ne dirai que la vérité, la vérité exprimée dans l'Évangile : ils disputaient à qui d'entre eux serait le plus grand (4) ; et quoique le Seigneur fût encore avec eux sur la terre, l'ambition du premier rang les divisait et les agitait. D'où venaient en eux ces mouvements, sinon du vieux levain, sinon de la loi des membres qui résistait en eux à la loi de l'esprit? Ils cherchaient à monter, esclaves encore de la cupidité, et ils se demandaient qui d'entre eux serait le premier; aussi un enfant vint-il confondre leur orgueil. Jésus en effet appela ce petit être afin d'abattre leurs prétentions superbes (5).

Aussi quand ils revinrent en s'écriant: « Seigneur, voilà qu'en votre nom les démons nous « sont soumis ; » comme c'était se réjouir de rien, qu'était en effet ce pouvoir comparé à ce que Dieu leur réservait ? le Seigneur, le bon Maître leur répondit, pour réprimer en eux l'esprit de crainte et y affermir la confiance : « Ne vous réjouissez point de ce que les démons vous sont soumis. » Et pourquoi? « Parce que beaucoup viendront en mon nom et diront : considérez qu'en votre nom nous avons chassé les démons ; et je leur répondrai : Je ne vous connais point (6). » — « Ne vous réjouissez point de cela, mais réjouissez-vous de ce que vos noms sont inscrits dans les cieux. » Vous ne sauriez y être encore ; et pourtant vos noms y sont déjà : réjouissez-vous donc. Si j'ajoute que «vous n'avez encore rien demandé en mon

nom ; » c'est que l'objet de vos voeux n'est rien comparé à ce que je me propose de vous

 

1. Rom. VII, 22-25. — 2. Ps. XXXIII, 9. — 3. Exod. XX, I7. —  4. Luc, XXII, 24. — 5. Marc, IX, 33-36. — 6. Matt. VII, 22, 23.

 

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donner. Qu'avez-vous effectivement demandé ? Que les démons vous fussent assujettis ? « Ne vous en réjouissez pas. » — Ce n'est donc rien que cette demande, car si elle était quelque chose, le Sauveur commanderait de se réjouir. Sans doute elle n'est pas entièrement rien, mais elle est bien peu de chose en face des récompenses magnifiques du Seigneur. C'est ainsi que l'Apôtre Paul n'était pas non plus absolument rien ; et pourtant il disait en se mettant en présence de Dieu : « Ni celui qui plante, ni celui qui arrose ne sont quelque chose (1). »

Appliquez-vous cela: nous nous l'appliquons à nous-mêmes ainsi qu'à vous lorsque nous demandons ces choses temporelles ; car vous en avez sûrement demandé. Eh! qui n'en demande? Si l'on est malade, on demande la santé ; la délivrance, si l'on est en prison ; durant une tempête, l'arrivée au port; la victoire, durant la mêlée ; tout cela on le demande au nom du Christ, et pourtant ce n'est rien. Que faut-il donc solliciter ? « Demandez en mon nom, » dit le Seigneur. Il ne précise pas ce qu'il faut demander, mais ses paroles doivent nous le faire comprendre.

 

1. I Cor. III, 7.

 

« Demandez et vous recevrez, afin que votre joie soit pleine. Demandez et vous recevrez en mon nom. » Quoi? Quelque chose assurément. « Afin que votre joie soit pleine. » Demandez donc ce qui vous contentera. Si en effet tu demandes ce qui n'est rien, souviens-toi que celui qui boira de cette eau, aura soif encore (1). Il descend dans le puits le sceau de la convoitise, il en tire de quoi boire, mais pour avoir encore soif. «Demandez, afin que votre joie soit pleine; » c'est-à-dire afin d'être rassasiés complètement, et non pas afin d'éprouver des délectations provisoires. Demandez ce qui peut vous contenter, dites avec Philippe : « Seigneur, montrez-nous « votre Père et cela nous suffit; » et le Seigneur vous répondra : « Je suis avec vous depuis si longtemps, et vous ne me connaissez pas encore ? Qui me voit, Philippe, voit aussi mon Père (2). »

Ainsi donc rendez grâces au Christ qui a tant souffert pour vous délivrer de vos infirmités, et pour remplir vos coeurs attachez-vous à sa divinité.

Tournons-nous, etc. 3.

 

1. Jean, IV, 13. — 2. Ibid. XIV, 8, 9. — 3. Serm. 1.

 

 

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