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SERMON CVII. DE L'AVARICE (1)

 

ANALYSE. — Il est ici question, non pas de l'avarice qui consiste à s'approprier le bien d'autrui, mais de l’avarice qui s'attache à conserver avec passion son sien propre. En refusant d'établir le partage qui lui est demandé, Jésus-Christ condamne cette seconde espèce d'avarice. A quoi bon entasser d'inutiles biens dont là mort doit bientôt nous dépouiller? Cet attachement aux richesses peut d'ailleurs porter à faire bien du mal et les petits et les grands. Ah ! ne tenons pas tant à nos biens et unissons-nous étroitement à Jésus-Christ, dont nul ne saurait nous dépouiller.

 

1. Vous qui craignez Dieu, je ne doute pas que vous n'écoutiez sa parole avec crainte et que vous ne l'accomplissiez avec joie, afin d'espérer, pour l'obtenir ensuite, l'objet de ses promesses. Nous venons d'entendre le Seigneur; d'entendre Jésus-Christ, le Fils de Dieu, nous intimer un ordre. Cet ordre vient de la Vérité même, de la Vérité quine trompe ni ne se trompe: écoutons, craignons, soyons sur nos gardes. Quel est cet ordre? « Je vous le dis, abstenez-vous de toute avarice. » Pourquoi « de toute avarice? » Pourquoi « toute? » Pourquoi avoir ajouté ce mot? Le Sauveur aurait pu dire en effet: évitez l'avarice ; mais il a voulu ajouter : « Toute , » et dire: « Abstenez-vous de toute avarice. »

2. En nous faisant connaître la circonstance qui lui a donné lieu de parler ainsi, le saint

 

1. Luc, XII, 13-21.

 

Evangile nous explique pourquoi cette addition. Quelqu'un, en effet, en avait appelé à lui contre son propre frère, qui s'était approprié tout le patrimoine, sans vouloir céder à son cohéritier la part qui lui revenait. Voyez combien était juste la cause de cet appelant. Il ne cherchait pas à usurper le bien d'autrui, il réclamait seulement ce que lui avaient laissé ses parents, et il le réclamait par l'intermédiaire et d'après la sentence du Seigneur lui-même. Son frère était injuste, mais contre l'injustice de ce frère il invoquait un juge plein de justice. Pour soutenir une cause aussi bonne que la sienne, devait-il ne profiter pas de la présence de ce Juge? Qui d'ailleurs pourrait inviter son frère à restituer ce qu'il lui devait, si le Christ ne le faisait en personne ? Le Christ était-il un juge que pussent corrompre les présents de ce frère enrichi par (459) l'injustice? Dans le malheur qui l'a dépouillé de l'héritage paternel, cet homme est donc heureux de rencontrer un juge si grand et si intègre; il s'approche de lui, l'interpelle, le supplie, lui expose en très-peu de mots son affaire. Avait-il besoin d'un plaidoyer véritable quand il parlait à Celui qui voyait à nu le coeur même? « Seigneur, dit-il, commandez à. mon frère de partager avec moi l'héritage. » Le Seigneur ne répondit pas: Fais venir ton frère; il ne l'envoya pas quérir non plus et ne dit pas à l'appelant: Prouve devant lui la justice de ta plainte. L'appelant demandait moitié d'un héritage, moitié d'un héritage sur la terre; et le Seigneur lui offrait au ciel un héritage entier; il lui offrait plus que lui ne demandait.

3. « Ordonnez à mon frère de partager avec moi l'héritage. » La cause est juste et s'explique en peu de mots. Mais prêtons l'oreille à la voix du Juge et du Maître. « Homme » dit-il, « ô homme; » es-tu en effet autre chose qu'un homme, puisque tu fais si grand cas de cet héritage?

Le Seigneur voulait donc faire de lui plus qu'un homme. Mais que voulait-il faire de lui, en cherchant à le délivrer de l'avarice ? Que voulait-il faire de lui? Le voici: « J'ai dit: Vous êtes des dieux, vous êtes tous les Fils du Très-Haut (1). » Voilà ce qu'il voulait faire de lui, il voulait le mettre au nombre des dieux en le dépouillant de son avarice. « Homme, qui a fait de moi un diviseur entre vous? » Son serviteur et son Apôtre, Paul ne voulait pas non plus servir de diviseur quand il disait : « Je vous conjure, mes frères, de n'avoir tous qu'un même tan« gage et de ne pas souffrir de divisions parmi vous. » Comme on recourait à son nom pour diviser le Christ, il s'écriait encore. « Chacun de vous dit: Moi je suis à Paul, et moi à Apollo,  et moi à Céphas, et moi au. Christ. Le Christ est-il divisé? Est-ce Paul qui a été crucifié pour vous? ou est-ce au nom de Paul que vous avez été baptisés (2) ? » Combien donc sont pervers ces hommes qui veulent diviser Celui qui n'a point voulu servir de diviseur et qui a dit: « Qui a fait de moi un diviseur entre vous?

4. Tu demandais une faveur: voici un conseil. « Je vous le déclare, éloignez-vous de toute avarice. » Peut-être regarderais-tu cet homme comme un avare et un cupide, s'il convoitait le bien d'autrui; mais moi je te défends de rechercher avec avarice et avec cupidité ton propre

 

1. Ps. LXXXI, 6. — 2. I Cor. I, 10.13.

 

bien. Voilà ce que signifie toute dans ces mots « Abstenez-vous de toute avarice. »

Cette obligation est importante, et s'il est des hommes trop faibles pour en soutenir le poids, qu'ils prient Celui qui leur impose ce fardeau de vouloir bien leur donner des forces. Ah! mes frères, quand Notre-Seigneur, quand notre Rédempteur et notre Sauveur, quand Celui qui est mort pour nous et qui pour nous racheter a donné son sang comme le prix de notre délivrance, quand Celui qui est en même temps notre avocat et notre juge, nous dit: « Abstenez-vous; » il ne faut point passer légèrement sur cette recommandation. Il sait combien l'avarice est funeste; nous l'ignorons, nous; rapportons-nous en donc à lui. « Gardez-vous, » dit-il. De quoi ? « De toute avarice. » — Mais je me borne à conserver mon bien, je n'usurpe pas le bien d'autrui. « Gardez-vous de toute avarice. » On n'est pas seulement avare pour prendre le bien d'autrui; on l'est encore pour conserver le sien avec cupidité. — Ah ! si l'on mérite un tel reproche pour conserver son bien avec trop d'attachement, quelle condamnation ne mérite pas celui qui enlève le bien d'autrui? « Gardez-vous, dit le Seigneur, de toute avarice, car, dans l'abondance même, la vie de chacun ne dépend pas de ce qu'il possède. » Cet homme amasse beaucoup; mais à ce tas combien prend-il pour vivre ? Qu'il y prenne et qu'il en ôte en quelque sorte par la pensée ce qui lui suffit pour vivre, pour qui sera le reste? Considère bien, car en conservant de quoi vivre tu pourrais amasser de quoi te donner la mort. Ainsi parle le Christ, ainsi parle la Vérité, la Sévérité même. « Gardez-vous, » dit la Vérité. « Gardez-vous, » dit la Sévérité. Si tu n'aimes pas la vérité, crains la sévérité. « Dans l'abondance même, la vie de chacun ne dépend pas de ce qu'il possède. » Crois cette parole, elle ne te trompe point. Diras-tu, au contraire, que dans l'abondance la vie de chacun dépend de ce qu'il a ? Tu te trompes sûrement; car le Christ ne te trompe point.

5. Voilà donc l'occasion qui a fait exprimer au Sauveur cette sentence : le plaignant ne réclamait que sa part, il ne cherchait point à envahir le bien de son frère; et non content de dire « Gardez-vous de l'avarice, le Seigneur ajouta: toute avarice. » Il fait plus; il met en scène un riche dont le domaine avait prospéré.

« Il y avait, dit-il, un homme riche dont le domaine avait prospéré. » Qu'est-ce à dire (460) avait prospéré ? Le domaine qu'il possédait avait produit des fruits en abondance, et en telle abondance qu'il ne savait où les mettre; ainsi la richesse même mit tout-à-coup dans la gêne ce vieil avare. Combien d'années s'étaient déjà écoulées sans que ses greniers fussent trop étroits? Il avait donc fait une récolte si riche que ce qui avait suffi ne lui suffisait plus. Dans sa détresse il cherche donc, nos pas comment il dépensera, mais comment il conserve la cette abondance extraordinaire. Or, à force d'y réfléchir, il trouva un moyen. Ce moyen découvert lui fit croire qu'il était sage. J'ai réfléchi avec prudence, j'ai découvert avec sagesse, disait-il. Qu'a-t-il découvert dans sa sagesse? « Je renverserai mes greniers, dit-il, j'en ferai de plus grands, je les remplirai et je dirai à mon âme. » Que lui diras-tu ? « Mon âme, tu as beaucoup de bien en réserve pour plusieurs années; repose-toi, mange, bois, fais grande chère. » Voilà ce que dit à son âme ce sage bien avisé.

6. « Dieu lui dit â son tour; » car Dieu ne dédaigne pas d'adresser la parole aux insensés eux-mêmes. Mais, dira peut-être quelqu'un d'entre vous, comment Dieu s'est-il entretenu avec cet insensé? O mes frères, à combien d'insensés ne parle-t-il pas quand on lit l'Evangile ? Car écouter l'Evangile, quand on le lit, sans le pratiquer, n'est-ce pas être insensé? Que lui dit donc le Seigneur? Comme cet avare s'applaudissait encore de la mesure qu'il venait de découvrir: « Insensé, » lui dit le Sauveur; « Insensé , » qui te crois sage; « Insensé, » qui as dit à ton âme : « Tu as beaucoup de biens en réserve pour plusieurs années; aujourd'hui même on te redemande ton âme. » Tu lui as dit: « Tu possèdes beaucoup de bien ; » et on te la redemande, et elle ne possède plus rien. Ah! qu'elle méprise cette sorte de biens et soit bonne en elle-même, afin qu'elle se présente avec sécurité lorsqu'on la redemandera. Et qu'y a-t-il de plus inique que de chercher à posséder beaucoup de biens sans vouloir être bon? Tu es indigné de rien avoir, toi qu’il ne veux pas être ce que tu cherches à posséder. Voudrais-tu que ton champ fût mauvais? Non sans doute, tu veux qu'il soit bon. Que ta femme fut mauvaise? Non, mais qu'elle soit, bonne. Voudrais tu enfin d'une habitation mauvaise, d'une mauvaise chaussure? Pourquoi n'y a-t-il que ton âme que tu veuilles mauvaise?

À cet insensé occupé de vains projets et construisant des greniers sans faire attention aux besoins des pauvres, le Sauveur ne dit point: Ton âme aujourd'hui sera entraînée dans l'enfer; il ne dit pas cela, mais: « On te la redemande. » Je ne te fais pas connaître où elle ira; je te dis seulement que bon gré, malgré toi, elle quittera ces lieux où ta tiens pour elle tant de biens en réserve. Comment, ô insensé, as-tu songé à renouveler et à agrandir tes greniers? Ne savais-tu que faire de tes récoltes?

7. Cet avare peut-être n'était pas chrétien. Pour nous, tues frères, qui avons foi à l'Evangile qu'on nous lit; pour nous qui en adorons l'auteur et qui portons au front et dans le coeur son symbole sacré, écoutons ce qu'il dit. Il importe extrêmement de savoir si ce signe du Christ est gravé sur le front seulement, ou s'il l'est en même temps au front et dans le coeur. Vous avez entendu ce que nous lisions aujourd'hui dans le saint prophète Ezéchiel, comment le Seigneur, avant d'envoyer l'ange exterminateur, envoya d'abord un autre ange pour désigner ceux qui seraient épargnés. « Va, lui dit-il, et grave un signe sur le front de ceux qui gémissent et qui pleurent sur les péchés de mon peuple, sur les péchés qui se commettent au milieu d'eux. » Il n'est pas dit: qui se commettent en dehors, mais au milieu d'eux (1). Ils en gémissent toutefois et ils en pleurent: aussi sont-ils arqués au front, non pas au front du visage ruais au front de la conscience. Ne voit-on pas en effet le front rougir quelquefois lorsque la conscience est émue? La honte et la crainte s'y peignent tour à tour. Il y a donc une espèce de front dans la conscience, et c'est là que furent marqués les élus pour échapper au glaive. Sans doute ils n'empêchaient point les péchés qui se commettaient au milieu d'eux, mais ils en gémissaient; cette douleur les séparait des pécheurs, les en séparait devant Dieu, quoiqu'aux yeux des hommes ils y fussent mêlés. Et cette invisible marque les préserve d'une mort visible. Vient ensuite l'Ange exterminateur, et Dieu lui dit en l'envoyant: « Va, porte la destruction, n'épargne ni petit ni grand, ni homme ni femme; mais n'approche point de ceux qui sont marqués au front (2). » Quelle assurance vous trouvez là, vous, mes frères, qui êtes au milieu de ce peuple, mais en gémissant et en déplorant, sans y prendre part, les, iniquités qui se commettent parmi vous!

8. Or, afin d'éviter ces iniquités, « Gardez

 

1. Cette réflexion, comme plusieurs autres que l'on rencontre dans ce discours, et dans d'autres, est dirigée contre les Donatistes qui croyaient devoir se séparer des pécheurs. — 2. Ezéch. Ex, IX, 4-6.

 

vous de toute avarice. » Je vais assigner à ces mots: « Toute avarice, » un sens encore plus étendu. Le voluptueux est avare, quand une seule épouse ne lui suffit pas. L'idolâtre même est avare, avare au regard de la divinité, puisqu'il ne se contente pas du Dieu unique et véritable. Mais s'il faut être avare pour se faire plusieurs dieux, ne faut-il pas l'être aussi pour se faire de faux martyrs? « Gardez-vous de toute avarice. » Tu aimes ce qui est à toi et tu te vantes de ne chercher pas le bien d'autrui : vois combien tu fais mal en n'écoutant pas cet avertissement du Christ: « Gardez-vous de toute avarice. » Tu aimes ce qui est à toi et tu ne prends point le bien d'autrui: ce que tu possèdes est le fruit de ton travail, tu ne blesses pas la justice; tu as recueilli un héritage, une donation faite par quelqu'un que tu as su gagner ; ou bien encore, tu as traversé les mers, tu t'es exposé à la mort, tu n'as trompé personne, tu n'as point prêté serment au mensonge, tu n'as acquis que ce qu'il a plu à Dieu; et parce que tes richesses n'ont pas une origine d'iniquité et que tu n'ambitionnes pas ce qui appartient à autrui, ta conscience ne te reproche pas la passion avec laquelle tu les conserves. Mais si tu es sourd à cette recommandation divine : « Gardez-vous de toute avarice, » écoutez à combien de crimes vont t'exposer les richesses.

Tu as obtenu, par exemple, une charge de juge. Tu ne te laisses pas corrompre puisque tu ne cherches pas le bien d'autrui, et pour te porter à condamner son adversaire, nul ne te fait de présent. Non, et qui pourrait t'y déterminer, puisque tu renonces complètement à ce qui ne t'appartient pas? Considère néanmoins à quelle iniquité t'expose ton attachement à ce que tu possèdes. Cet homme qui te demande une sentence injuste contre son adversaire, est peut-être un puissant du siècle qui peut te traduire lui-même et te faire perdre ta fortune. D'un côté tu songes à sa puissance, tu y réfléchis avec attention; et tu vois d'un mitre comté ces biens que tu conserves, que tu aimes et auxquels tu t'es malheureusement lié, plutôt que d'en rester le maître. Tu songes donc à cette glu qui ne permet plus de se déployer aux ailes de la vertu et tu te dis en toi-même: Si, je fiche cet homme, comme il est aujourd'hui puissant, il sèmera sur mon compte des accusations funestes, on me proscrira et je perdrai tout ce que je possède. — Ainsi tu porteras une sentence injuste, non pour t'approprier le bien d'autrui, mais pour conserver le tien.

9. Supposons maintenant un homme qui ait entendu et entendu avec crainte cet avertissement du Christ: « Gardez-vous de toute avarice. » Que cette homme ne me dise pas : Je suis pauvre, je suis un homme du peuple, du commun, confondu dans la foule; comment pourrais-je espérer de devenir juge? je n'ai pas à redouter la tentation dont vous venez d'exposer les dangers; car je vais faire connaître, à ce pauvre aussi, ce qu'il a à redouter. Le voici.

Un riche, un puissant du monde t'invite à déposer en sa faveur un faux témoignage. Que feras tu? Dis-le moi. Tu as une honnête épargne c'est le fruit de ton travail et de tes économies. Mais ce puissant te presse : Fais pour moi, dit-il, ce faux témoignage, et je te donne tant, et tant encore. — Toi qui ne cherches pas ce qui est à d'autres: Dieu m'en garde, réponds-tu ; je ne demande pas, je n'accepte pas ce qu'il n'a pas plu à Dieu de me donner ; laisse-moi en paix. — Tu ne veux pas de ce que je t'offre ? Je vais te dépouiller de ce que tu as. — C'est maintenant qu'il faut t’examiner, te sonder. Pourquoi me regarder? Regarde au dedans de toi, regarde, examine avec attention. Assieds-toi en face de toi-même, établis-toi en face de toi, étends-toi en quelque sorte sur le chevalet divin, sur les divins commandements, applique-toi, sans te flatter, la torture de la crainte, et réponds-toi. Oui, si on te menaçait ainsi, que ferais-tu ? - Je t'enlève ce qui t'a demandé tant de travail, si tu ne fais pour moi un faux témoignage. — Ah! considère Celui qui a dit. « Gardez-vous de toute avarice. » O mon serviteur, te répondra-il, toi que j'ai racheté et affranchi, toi que j'ai fait mon frère, d'esclave que tu étais, et que j'ai placé comme un membre dans mon corps sacré, écoute-moi : Que cet homme te dépouille de ce que tu as gagné, Il ne pourra te dépouiller de moi. C'est pour éviter la mort que tu conserves ton bien. Ne t'ai-je pas dit: « Gardez-vous de toute avarice? »

10. Mais tu te troubles, tu t'agites; ton coeur est comme un navire battu par la tempête. Le Christ y est endormi; réveille-le et tu ne seras point victime de cet affreux danger. Réveille-le; il n'a rien voulu posséder ici bas et il s'est donné à toi tout entier; pour toi il est allé jusqu'au gibet, et pendant que tout nu il était suspendu à la croix, on l'insultait et on comptait ses os; ainsi garde-toi de toute avarice.

 

462

 

C'est peu d'éviter l'attachement à l'argent, évite aussi l'attachement à la vie. Que cet attachement est à craindre, qu'il est redoutable! On rencontre parfois des hommes qui pour ne pas faire un faux témoignage méprisent ce qu'ils possèdent. — Tu n'en fais pas? leur dit-on ; j'enlève ce que tuas. —Enlève-le; mais tu ne peux rien sur mon trésor intérieur. Non, cet ancien n'était pas pauvre, lorsque dépouillé de tout il disait: « Le Seigneur adonné, le Seigneur a ôté; comme il a plu au Seigneur, ainsi il a été fait; ainsi, que le nom du Seigneur soit béni; je suis sorti nu du sein de ma mère; je rentrerai nu dans la terre (1). » Extérieurement il était dépouillé; mais à l'intérieur quels riches vêtements ! Il ne portait plus ces étoffes qui s'usent, et pourtant il n'était point sans vêtement. Quel était ce vêtement? « Que vos prêtres, est-il écrit, soient revêtus de justice (2).»

Si donc, témoin de ton mépris pour la fortune, on te disait : Je te mets à mort ; réponds, si tu es fidèle au Christ : Tu me mettras à mort?

 

1. Job. 21. — 2. Ps. CXXXI, 9.

 

Eh bien, j'aime mieux que. tu tues mon corps que de tuer mon âme par le mensonge. Que peux-tu contre moi? Tuer ma chair; mais l'âme en sortira pleine de liberté pour s'y réunir à la fin des siècles après l'avoir sacrifiée maintenant. Ainsi que peux-tu contre moi? Mais moi, en faisant pour toi un faux témoignage, je me tue par là même, et je me tue, non pas corporellement, car « la bouche menteuse donne la mort à l'âme (1). » — Peut-être, hélas ! ne tiens-tu pas ce langage. Pourquoi ne le tiens-tu pas ? C'est que tu veux vivre. Quoi! vivre plus que Dieu ne veut ? Est-ce te garder de toute avarice? Dieu voulait que tu vécusses jusqu'au moment où ce tentateur s'est approché de toi. Il pourra te mettre à mort et faire de toi un martyr. N'aie pas la passion de vivre pour mourir éternellement.

Vous voyez donc que partout où nous recherchons plus qu'il n'est nécessaire, cette funeste avarice nous conduit au péché. Gardons-nous de toute avarice, si nous voulons jouir de l'éternelle sagesse.

 

1. Sag.I, 11.

 

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