SERMON LXI
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SERMON LXI. DE L'AUMÔNE (1).

 

ANALYSE. — Ce discours envisage l'aumône à un autre point de vue que le précédent. Dans le discours précédent l'aumône était considérée comme un moyen de conserver ses richesses en obtenant le pardon de ses péchés. Elle est ici présentée comme le moyen d'obtenir de Dieu les grâces qui nous rendent bons, et voici les idées principales que développe Saint Augustin. — Dieu exige que nous lui demandions sa grâce; elle est effectivement nécessaire pour nous rendre bons. Or si nous donnons en aumônes ce que nous pouvons, il est sur que nous serons exaucés. Dieu ne diffère quelque fois que pour nous exciter à désirer davantage, à proportionner l'ardeur de nos voeux à la grandeur du bienfait sollicité. — Nous devrions considérer aussi que ceux qui implorent notre compassion sont nos frères, et qu'en cherchant à nous enrichir nous nous perdrons par l'orgueil. — Que faut-il donc donner? Nous devrions donner tout ce qui n'est pas nécessaire à nous nourrir et à nous vêtir comme les pauvres. Néanmoins si nous nous sommes faits des besoins différents, n'hésitons pas à répandre sur eux notre superflu. — Saint Augustin termine en disant qu'il a fait ce discours à la sollicitation des pauvres mêmes.

 

 

1. Dans la lecture du saint Evangile le Seigneur nous a exhortés à prier. « Demandez, dit-il, et il vous sera donné; cherchez, et vous trouverez; frappez, et il vous sera ouvert : car quiconque demande, reçoit ; et qui cherche, trouve; et à qui frappe, on ouvrira. Quel est parmi vous l'homme qui présentera une pierre à son fils, si celui-ci lui demande du pain? Et lui donnera-t-il un serpent, s'il demande un poisson? Si donc vous qui êtes mauvais,

 

1. Matt. VII, 7-11.

 

poursuit-il, vous savez donner de bonnes choses à vos enfants; combien plus votre Père qui est dans les cieux donnera-t-il ce qui est bon à ceux qui le lui demandent (1) ? » —  Remarquez ces mots: « Vous êtes mauvais et vous savez donner de bonnes choses à vos enfants. » La chose est étonnante en effet, mes frères. Nous sommes mauvais et nous avons un bon Père. Qu'y a-t-il de moins contestable ? Nous avons entendu prononcer notre nom : « Vous êtes mauvais ; — et

 

1. Ibid.

 

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néanmoins vous savez donner de bonnes choses à vos enfants. » Or voyez quel Père donne le Sauveur à ceux qui sont mauvais ! «Combien plus votre Père, » dit-il. Le Père de qui? Sans aucun doute de ceux qui sont mauvais. Et quel est ce Père? « Nul n'est bon que Dieu seul (1). »

2. Aussi, mes frères, si nous avons un bon Père, tout mauvais que nous sommes, c'est pour ne pas rester mauvais toujours. On ne fait pas le bien quand on est mauvais. Mais si l'homme mauvais ne peut faire le bien, comment peut-il se rendre bon? Nul ne rend bon, de mauvais qu'on était, que Celui qui est toujours bon. « Guérissez moi, Seigneur, et je serai guéri; sauvez-moi, et je serai sauvé (2). » Pourquoi ces hommes vains me, disent-ils vainement : Tu te sauveras si tu veux ? «Guérissez-moi, Seigneur, et je serai guéri. » Le Bien suprême nous a créés bons car Dieu a fait l'homme droit (3) — c'est notre liberté qui nous, a rendus mauvais. De bons nous avons pu devenir mauvais; de mauvais nous pourrons aussi devenir bons. Mais c'est celui qui est constamment bon qui rend bon de mauvais que l'on est, car l'homme ne saurait se guérir par sa propre volonté. Tu ne cherches pas de médecin pour te blesser, mais quand tu es blessé, tu en cherches un pour te guérir.

Ainsi donc, tout mauvais que nous sommes, nous savons donner à nos enfants ce qui est bien dans la vie présente, les biens temporels les biens matériels, les biens charnels; car ces choses sont aussi des biens : qui en doute? Un poisson, un neuf, un pain, un fruit, du blé, cette lumière qui nous éclaire, cet air que nous respirons, sont autant de biens. Les richesses elles-mêmes, ces richesses dont s'enorgueillissent les hommes, au point de ne pas reconnaître leurs semblables dans les autres hommes; ces richesses dont ils se pavanent jusqu'à préférer le splendide vêtement qui les distingue au corps qui leur est commun avec autrui, ces richesses donc sont aussi des biens. Mais tous ces biens dont je viens de parler peuvent être possédés par les bons et les méchants, et tout biens qu'ils sont, ils ne sont pas capables de rendre bons.

3. Il y a donc un bien qui rend bon, et un bien qui sert à faire le bien. Dieu est le bien qui rend bon ; nul en effet ne peut rendre l'homme bon que Celui qui est toujours bon. Pour devenir bon prie donc Dieu. Il est un autre bien qui sert à faire le bien, c'est tout ce que tu possèdes

 

1. Luc, XVIII, 19. — 2. Jérém. XVII, 14. — 3. Ecclé. VII, 30

 

c'est l'or c'est l'argent. Ce bien ne te rend pas bon, mais il te sert à faire du bien.

Tu as de l'or, tu as de l'argent, et tu désires de l'or et de l'argent. Tu en as et tu en désires; tu en es rempli, et tu en as soif. Ah ! c'est une maladie, ce n'est pas l'opulence véritable. Il est des malades qui sont remplis d'humeurs et qui ont toujours soif. Ils ont soif de ce qu'ils ont en trop grande abondance : comment donc aspirer à l'opulence quand tes désirs sont en quelque sorte ceux d'un hydropique ? Tu as de l'or, c'est bien ; tu as, non ce qui te rend bon, mais ce qui te sert à faire le bien.

Or quel bien, dis-tu, ferai-je de mon or? Ne connais-tu pas ce Psaume : « Il a distribué, il a donné aux pauvres ; sa justice demeure éternellement (1). » La justice, voilà le bien véritable, le bien qui te rend bon. Si donc tu possèdes ce bien qui te rend bon avec le bien qui ne te rend pas bon fais du bien. Tu, as de l'argent, donne-le, tu auras la justice en donnant ton argent. Car il est dit : « Il a distribué, il a donné aux pauvres ; sa justice demeure éternellement. »

Vois ce qui diminue et, vois ce qui s'accroît. L'argent diminue et la justice s'accroît. Ce qui diminue, c'est ce que tu devais quitter, c'est ce que tu devais laisser d'ailleurs ; et ce qui augmente, c'est ce que tu dois posséder éternellement.

4. Je vous enseigne donc à gagner, apprenez à faire le commerce. Tu loues un marchand qui échange du plomb pour de l'or ; et tu ne loues pas celui qui échange de l'argent pour la justice ?

Moi, dis-tu, je ne donné pas mon argent, parce que je n'ai pas la justice en partagé. Répand son argent qui possède la justice. N'ayant pas de justice je veux avoir au moins de l'argent, — Ainsi tu ne veux point distribuer ton argent parce que tu manque de justice ? Ah ! plutôt, afin d'acquérir la justice, donne ton argent.De qui en effet peux-tu obtenir la justice, sinon de Dieu, la source de toute justice ? Si donc tu veux l'avoir, mendie près de ce Dieu qui vient de t'inviter, dans l'Évangile, à demander, à chercher, à frapper. Il connaissait ton indigence et ce Père de famille, ce grand Riche, ce riche qui possède les richesses spirituelles et éternelles, t'invite et te presse de demander, de chercher, de frapper: « Qui demande, reçoit ; qui cherche, trouve; à qui frappe, il sera ouvert.» Il t'excite à demander; et il le refuserait ce que tu demandes !

 

1. Ps. CX, 9.

 

5. Considère, pour t'exciter à la prière, la similitude ou la comparaison suivante; elle est, comme celle du mauvais riche, empruntée aux contraires. «Il y avait, disait le Seigneur, dans une certaine ville, un juge qui ne craignait point Dieu et ne se souciait point des hommes. Une veuve le pressait chaque jour et lui disait : Fais-moi justice. Pendant un temps il refusa. » La veuve pourtant ne cessait de le presser, et il fit par ennui ce qu'il ne voulait point faire par complaisance (1). C'est ainsi que par la vue du contraire le Sauveur nous invite à prier.

6. Un hôte lui étant arrivé, dit-il encore, « l'ami alla trouver son ami. Il se mit à frapper à sa porte et à lui dire : Un étranger vient de m'arriver ; prête-moi trois pains. Je repose, reprit l'autre, et mes serviteurs reposent comme moi. » Le premier cependant ne cesse de frapper, il ne s'en va pas, il insiste ; c'est en quelque sorte un ami qui mendie près de son ami. Et l'a conséquence ? « Je vous le déclare, il se lève et sinon par amitié, du moins à cause de son importunité, il lui donne tous les pains qu'il demande (2). » — « Sinon par amitié, » quoiqu'il soit vraiment son ami; « du moins à cause de son importunité ? » Qu'est-ce à dire, « à cause de son importunité, » Parce qu'il n'a point cessé de frapper, parce que après le refus il ne s'en est point allé.    L'un a fini par donner ce qu'il né voulait pas, parce que l'autre n'a point fini de le demander. Combien plus nous donnera ce bon Père qui nous exhorte à demander et à qui nous déplaisons en ne demandant pas ! S'il tarde quelquefois, c'est pour donner plus de valeur à ses grâces, et non pour les refuser. On reçoit avec plus de plaisir ce qu'on désire depuis longtemps, et l'on dédaigne bientôt ce qu'on a obtenu si vite. Demande, cherche, insiste. En demandant et en cherchant tu grandis, tu deviens capable de saisir. Dieu ne veut point t'accorder encore ce qu'il se réserve de te donner plus tard, afin de t'inspirer de grands désirs pour les grandes choses. Aussi « faut-il prier toujours et ne se lasser jamais (3). »

7. Ainsi donc, mes frères, puisque Dieu fait      de nous ses mendiants, en nous avertissant, en nous pressant, en nous ordonnant de demander, de chercher et de frapper, considérons de notre côté quels sont ceux qui nous demandent. A qui demandons-nous ? Qui sommes-nous? Que sollicitons-nous ? Nous demandons

 

1. Luc, XVIII, 1-8. — 2. Ibid. XI, 5-15. — 3. Ibib. XVIII, 1.

 

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au Dieu bon; nous sommes mauvais, et pour devenir bons nous demandons la justice . Ainsi nous demandons ce que nous pouvons posséder éternellement, ce qui nous préserve à jamais de tout besoin, une fois que nous en sommes rassasiés. Mais pour en être rassasiés, il nous faut d'abord en avoir faim et soif; il faut que pressés par cette faim et par cette soif, nous demandions, nous cherchions-, nous frappions. « Heureux » en effet « ceux qui ont faim et soif de la justice. » Comment, heureux ? Ils ont faim et soif et ils sont heureux ? Le besoin fut-il jamais heureux ? Ils ne sont pas heureux pour avoir faim et soif, mais parce qu'ils « seront rassasiés (1). » Cette béatitude se trouvera donc dans le rassasiement et non dans la faim. Cependant comme le dégoût ne se porterait pas vers les aliments, il faut que le rassasiement soit précédé par la faim.

8. Nous savons à qui demander, qui nous sommes et ce que nous demandons. Mais à nous on demande aussi. Nous sommes les mendiants de Dieu; afin d'être reconnus par lui, reconnaissons ceux qui mendient près de nous. Ici encore, et lorsqu'on nous demande, examinons quels sont ceux qui demandent, à qui ils demandent, ce qu'ils demandent. Quels sont ceux qui demandent ? Des hommes. A qui demandent-ils ? A des hommes. Quels sont ceux qui demandent? Des mortels. A qui demandent-ils? A des mortels. Quels sont ceux qui demandent ? Des êtres fragiles. A qui demandent-ils ? A des êtres fragiles. Quels sont ceux qui demandent ? Des malheureux. A qui demandent-ils ? A des malheureux. Si l'on ne tient pas compte de la richesse, ceux qui demandent sont semblables à ceux qu'ils prient. Et de quel front adresseras-tu tes voeux à ton Seigneur, si tu ne reconnais pas tes semblables ? — Je ne leur ressemble pas, diras-tu; loin de moi de leur ressembler! — Ainsi parle cet enflé, vêtu de soie, d'un homme en haillons. Mais voyons, dépouillez-vous tous deux et je vous interroge. Je ne veux pas considérer comment vous étiez en naissant. L'un et l'autre vous étiez nus, infirmes l'un et l'autre, commençant une vie de misères et pour cela répandant des, larmes tous deux.

9. Rappelle-toi, riche, les commencements de ta vie, vois si tu as apporté quelque chose dans ce monde. Tu as trouvé beaucoup à ton arrivée ; mais dis-moi, je t'en prie, as-tu apporté quoique ce soit? Tu crains de parler ? Ecoute donc l'Apôtre :

 

1. Matt. V, 6.

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« Non, dit-il, nous n'avons rien apporté dans ce monde. » Tu n'y as rien apporté et tu y as trouvé beaucoup; mais n'emporteras-tu pas quelque chose ? Peut-être encore que l'amour de tes richesses te fait craindre de confesser ici la vérité? Ecoute donc encore une fois l'Apôtre, qui la publie sans chercher à te flatter. « Nous n'avons rien apporté dans ce monde, » au moment de notre naissance; « mais nous n'en pouvons rien emporter non plus, » au moment de notre mort. Tu n'as rien apporté, tu n'emporteras rien : pourquoi, t'élever dédaigneusement au dessus du pauvre ? Voici des enfants qui naissent; à l'écart et parents et serviteurs et clients; à l'écart la foule obséquieuse. Distinguera-t-on à leurs larmes les enfants des riches ? Que deux femmes, l'une riche et l'autre pauvre, accouchent en même temps; qu'elles ne considèrent point leurs enfants et s'éloignent tant soit peu; pourront-elles en s'en rapprochant les discerner ? Ainsi, riche, tu n'as rien apporté dans ce monde, et tu n'en peux rien emporter.

Ce que je dis des enfants nouveau-nés, je puis le dire de tous les morts. Quand par hasard s'ouvrent de vieux tombeaux, y discerne-t-on les ossements d'un riche ? Entends donc, riche, entends encore l'Apôtre : « Nous n'avons rien apporté dans ce monde. » Reconnais que c'est la vérité. « Mais nous ne saurions en rien emporter non plus. » Confesse que c'est également la vérité.

10. Et quelle conséquence ? « Ayant donc la nourriture et le vêtement, contentons-nous. Car ceux qui veulent devenir riches, tombent dans la tentation et dans beaucoup de désirs inutiles et nuisibles, qui plongent l'homme dans la ruine et la perdition. Car la racine de tous les maux est la cupidité, et plusieurs s'y laissant aller ont dévié de la foi. » Considère bien ce qu'ils ont perdu. Tu en gémis. Vois de plus où ils se sont jetés. Attention ! « Ils ont  dévié de la foi et se sont jetés dans beaucoup de chagrins. » Mais qui ? « Ceux qui veulent devenir riches. »

Autre chose en effet est d'être riche, et autre chose de le vouloir devenir. On est riche quand la richesse vie et des parents; on n'a pas cherché à l'acquérir, mais on a recueilli un grand nombre de successions. Je considère ici la fortune, je n'examine point les plaisirs qu'elle peut donner. J'accuse l'avarice; je n'accuse ni l'or, ni l'argent, ni les richesses, mais la seule avarice. Pour ceux en effet qui ne cherchent pas à devenir riches, ou qui n'y travaillent pas, ou qui ne sont pas dévorés de cupidité ni enflammés de la passion d'acquérir, mais qui sont riches, ils n'ont qu'à écouter l'Apôtre. On a lu aujourd'hui : « Commande aux riches de ce siècle. » Commande, quoi ? « Commande-leur » avant tout « de ne pas s'élever d'orgueil. » Il n'est rien en effet que les richesses engendrent comme l'orgueil, Chaque fruit, chaque graine, chaque espèce de blé a son ver rongeur particulier. Autre est le ver du pommier et autre celui du poirier; autre encore est celui de la fève et autre celui du froment. L'orgueil est le ver des richesses.

11. « Commande donc aux riches de ce siècle de ne pas s'élever d'orgueil. » Voilà le vice condamné. Comment doivent-ils se conduire? « Commande-leur de ne pas s'élever d'orgueil. » Comment s'en préserveront-ils? Le voici : « Et de ne point se confier à des richesses incertaines. » Ceux qui ne se confient pas à richesses incertaines ne s'élèvent pas d'orgueil. Mais s'ils ne s'élèvent pas, qu'ils craignent, et s’ils craignent ils ne s'élèvent pas. Combien de riches d'hier sont pauvres aujourd'hui! Combien s'endorment riches et, dépouillés secrètement par les larrons; s'éveillent pauvres ! Qu'on ne se confie donc pas « à des richesses incertaine mais au Dieu vivant qui nous donne abondamment toutes choses pour en jouir : » soit les choses temporelles, soit les choses éternelles. Les éternelles pour en jouir, et à parler exactement, les temporelles pour en user; temporelles comme à des voyageurs, les éternelles comme à des hommes en repos; les temporelles pour faire le bien, les éternelles pour nous rendre bons.

Que les riches agissent donc de la sorte ne s'élèvent pas d'orgueil et ne se confient des richesses incertaines, mais « au Dieu vivant qui nous donne abondamment toutes choses pour en jouir : » telle est leur règle de conduite. Et que doit-il en résulter dans la pratique ? Ecoute : « Qu'ils soient riches en bonnes oeuvres et donnent aisément. » Car ils le peuvent. Pourquoi ne le font-ils pas ? Les pauvres en sont empêchés. Mais eux, «qu'ils donnent aisément ; » ils ont de quoi le faire. « Qu'ils partagent, » reconnaissant ainsi que les autres mortels leurs semblables. « Qu'ils partagent et se f           assent un trésor qui soit un bon fondement pour l’avenir. » En leur disant de donner aisément, (291) de partager, je ne veux donc pas les dépouiller, les mettre à nu, les priver de tout; je leur apprends au contraire à faire des profits, puisque je leur montre à s'amasser un trésor. Non, je ne veux pas les appauvrir. « Qu'ils amassent un trésor. » Je ne leur conseille pas de perdre ce qu'ils ont, je leur montre où ils doivent le transporter. «Qu'ils s'amassent un trésor qui soit un bon fondement pour l'avenir et qu'ils gagnent ainsi la véritable vie (1). » Celle-ci est donc fausse : « qu'ils gagnent la véritable vie. En effet vanité des vaniteux et tout est vanité. Quel profit si grand recueille l'homme de tout le travail auquel il se livre sous le soleil (2)? » C'est la vie éternelle qu'il faut acquérir, c'est au séjour de cette véritable vie qu'il faut faire transporter ce que nous possédons, afin de retrouver là ce que nous donnons ici. Là Dieu change nos biens comme il nous change nous-mêmes.

12. Donnez donc aux pauvres, mes frères. « Ayant la nourriture et le vêtement, contentons-nous. » Le riche ne trouve dans ses richesses que ce que lui demande le pauvre, la nourriture et le vêtement. Tires-tu réellement davantage de tout ce qui est à. toi ? Tu as pris dans tes trésors la nourriture et le vêtement nécessaire; je dis le nécessaire et non ce qui est vain et superflu. Que peux-tu y prendre davantage ? Dis-le moi. Tout le reste est donc superflu. Mais ce superflu n'est-il pas nécessaire aux pauvres?

Moi, dis-tu, je prends une nourriture exquise, de haut prix. — Et le pauvre ? — Des aliments communs. Le pauvre vit à peu de frais et moi à grands frais. — Et maintenant, quand vous êtes rassasiés l'un et l'autre ? Tu prends cette nourriture de grand prix; et quand tu l'as prise ? Ah si notre corps était transparent, ne rougirais-tu pas de voir ce que deviennent ces aliments précieux ? Le pauvre a faim, le riche a faim, et tous deux demandent à satisfaire à ce besoin. Le pauvre y satisfait par des aliments de peu de valeur, et le riche par des aliments de grand prix. L'effet produit n'est-il pas le même ? Chacun n'est-il pas arrivé à son but? Mais le pauvre y est arrivé par un chemin plus court, et le riche par des longs circuits.

Sans doute, répliques-tu; mais ces aliments recherchés ont plus de saveur pour moi. — Eh! toujours dégoûté, te rassasies-tu jamais ? Sais-tu quelle saveur on trouve dans les mets qu'assaisonne la faim ? Je n'entends pas forcer les riches

 

1. I Tim. VI, 7-10; 17-19. — 2 Ecclé. I, 2, 3.

 

à faire usage de la nourriture des pauvres. L'habitude les a affaiblis, qu'ils conservent donc leur habitude, mais en gémissant de ne pouvoir faire autrement, ce qui serait préférable. Or, si le mendiant ne se vante pas de sa pauvreté, pourquoi t'enorgueillir de ton infirmité ? Prends une nourriture choisie, une nourriture de prix, puisque tu en as l'habitude, puisque tu ne saurais faire autrement, puisque changer serait te rendre malade; j'y consens, fais usage du superflu, mais donne aux pauvres le nécessaire; fais usage de ce qui a du prix, mais donne aux pauvres ce qui est de peu de valeur. Le pauvre a les yeux sur toi, et tu as les yeux sur Dieu; le pauvre a les yeux sur la main qui a été faite comme la sienne, et tu as les yeux sur la main qui t'a fait. Et n'a-t-elle fait que; toi ? N'a-t-elle pas fait le pauvre comme toi ? Dieu vous a mis l'un et l'autre dans cette vie comme dans un même chemin; vous vous y rencontrez, vous suivez la même route. Le pauvre n'a rien à porter, toi tu es trop chargé; il ne porte aucune provision, tu en as plus que le nécessaire: Tu es donc trop chargé, donne-lui de ce que tu as, et en le nourrissant tu allèges ton fardeau.

13. Ainsi donnez aux pauvres; c'est la prière, c'est l'avis, c'est l'ordre et le commandement que je vous adresse. Donnez-leur tout ce que vous voudrez.

Je ne dissimulerai point devant votre charité pour quel motif j'ai cru devoir vous faire ce discours. Depuis que nous sommes ici, lorsque nous allons à l'Église ou que nous en revenons, les pauvres nous interpellent et nous prient de vous engager à leur donner quelque chose. Ils nous ont donc invités à vous parler, et comme ils ne reçoivent rien encore, ils se figurent que nous travaillons en vain au milieu de vous. Ils attendent aussi quelque chose de nous. Nous leur donnons tout ce que nous pouvons; mais sommes nous capables de suffire à tous leurs besoins? Dans notre impuissance, nous venons intercéder pour eux, même auprès de vous.

Vous nous comprenez, vous applaudissez : Dieu soit béni. J'ai jeté en vous la semence, et vous me rendez des paroles. Mais savez-vous que pour nous ces louanges sont plutôt une charge et un danger ? Nous tremblons sous ce poids. Pour vous, mes frères, ces louanges que vous nous donnez sont comme les feuilles que poussent les arbres : maintenant nous demandons des fruits.

 

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