MERCREDI OCTAVE

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SAINT SACREMENT
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MERCREDI OCTAVE
JEUDI OCTAVE
VENDREDI OCTAVE
III° DIMANCHE

LE MERCREDI DANSL'OCTAVE DU SAINT-SACREMENT.

 

Christum regem adoremus dominantem gentibus, qui se manducantibus dat spiritus pinguedinem.

Adorons le Christ roi Seigneur des nations, engraissant l'âme de qui le prend en nourriture.

 

Mes jours ont fui comme l'ombre ; mes os, ma chair, mon cœur sont desséchés comme l'herbe des champs, parce que j'ai oublié de manger mon pain. » Ainsi gémit le psaume cent unième, prière du pauvre en son angoisse devant le Seigneur (1). Ce pauvre, c'est Adam, c'est le genre humain héritier de sa misère. Dieu lui avait donné sa loi pour nourriture, le pain de l'âme, le Verbe de Dieu. Poussé par le serpent, séduit par la femme, il a touché le fruit défendu, oublié le Verbe. Justement donc il a été frappé comme l'herbe des champs ; à bon droit s'est desséché son cœur pour avoir méconnu le fruit de vie, absorbé le poison, préféré la cendre à sa vraie nourriture

Mais voici qu'apparaît, vrai pain des cieux, Celui dans la chair duquel il t'est loisible de retrouver le Verbe oublié. De l'abîme de ta pauvreté crie vers le ciel ; reviens à ton ancienne abondance. Mange; car tu es membre de Celui qui a

 

1. Psalm. CI, 1.

 

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dit: « Je suis le pain vivant descendu du ciel (1). » Tu avais oublié de manger ton pain ; mais, lui crucifié, « tous les contins de la terre se ressouviendront, toutes les nations se convertiront au Seigneur (2). » Foin desséché, ta chair (3) reverdira sous le sang du Sauveur (4); pareille sera-t-elle à l'herbe sacrée du pré virginal couchée pour toi dans la crèche (5).

Oiseau du désert, hibou gémissant au sein de la nuit dans ta masure en ruines, ton isolement faisait le jouet des puissances ennemies. Mais le Seigneur, Dieu rédempteur, a brisé les fers des captifs. Peuples et rois, rassemblés en Sion, publient son Nom dans l'unité. C'est leur réponse à sa victoire, réponse de force et de grandeur (6). Jérusalem notre mère revenue d'exil, entourée de ses fils nombreux, lui répond donc dans l'unité, dit saint Augustin ;qui n'est dans l'unité ne répond pas. Lui le Seigneur est un ; l'Eglise est unité : à l'un répond seule l'unité (7). » Et le Seigneur, le chef, la tête de cette unité triomphante qui renverse l'empire de la confusion dans Babylone, répond lui-même à son Père : « Ma louange montera vers vous de la grande assemblée. En leur présence je vous rendrai mes vœux, j'offrirai l'hostie salutaire ; et les pauvres mangeront, et ils seront rassasiés, et leurs cœurs desséchés revivront à jamais (8) ».

Gloire au Christ Sauveur, qui nous rend ainsi dans sa chair immolée le pain de vie et d'intelligence (9) ! Corps de Jésus, temple auguste que s'est bâti la Sagesse éternelle ! c'est de son côté (10),

 

1. JOHAN. VI, 51. — 2. Psalm. XXI, 28. — 3. Isai XL, 6-8 — 4. AUG. in Ps. CI. — 5. Bernard. Ad mil. templ. VI. — 6. Psalm. CI, 24. — 7. In Psalm. CI. — 8. Psalm. XXI, 23-27. — (9). Eccli. XV, 3. — 10. Ezech. XLVII, 2.

 

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violemment ouvert, que sort le fleuve sacré dont les flots portent le Verbe à nos bouches altérées. Visitant la terre, Jésus l'enivre ; il prépare leur nourriture aux fils des hommes. Mais la coupe qu'il présente est celle du Sacrifice, la table qu'il dresse est un autel ; car telle est la préparation de cette nourriture (1) : c'est une victime qui nous donne sa chair à manger, son sang à boire ; l’immolation est donc la préparation directe et nécessaire du banquet où elle se livre aux convives.

Mais eux-mêmes ne sont-ils pas la nourriture du Christ à cette table sacrée? s'il donne tout ce qu'il est, n'est-ce pas pour tout prendre à son tour en sa faim dévorante? Quels seront donc, quant à nous, les apprêts du festin, sinon ceux-là mêmes par où il passe? Ce n'est point une victime, mais des victimes que la Sagesse immole, pour le banquet mystérieux de pain et de vin qu'elle dresse en sa maison (2). Et le message que, déjà dans la chair, elle dirige aux invités du festin des noces, ne diffère point de celui que portaient ses servantes convoquant les peuples à la citadelle et aux remparts : « Voici que j'ai préparé mon dîner :  mes taureaux, mes grasses victimes sont égorgées; tout est prêt, venez donc maintenant (3). »

Qu'est-ce à dire, sinon que pour les membres eux-mêmes du Christ, qui sont ces victimes nombreuses engraissées de l'Esprit par avance, la vraie préparation immédiate au banquet sacré n'est autre encore que l'immolation, le Sacrifice même, la Messe, célébrée ou suivie dans l'union la plus parfaite possible avec la grande et principale Victime ?

Chrétiens qu'un même amour, qu'une même

 

1. Psalm LXIV, 10. — 2. Prov. IX, 2. — 3. MATTH. XXII, 4.

 

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soif du Dieu fort (1) réunit autour de la table sainte, sachez donc qu'il se donnera à vous d'autant mieux et plus intimement, que ce même Sacrifice qui vous le livre aura fait de vous l'aliment substantiel et parfait de son propre amour. L'heure du Sacrifice est celle où l'Epouse, cueillant son Bien-Aimé sur l'arbre de la Croix comme un bouquet de myrrhe, le place en son sein (2) ; où, dans les délices du cellier royal, se fond en sa bouche la grappe d'Engaddi préparée sous le pressoir de l'amour (3). Mais c'est l'heure aussi, pour l'Epoux, de la moisson et de la vendange ; alors que le vent du midi, l'Esprit qui préside aux Mystères, soufflant de toutes parts sur le jardin qui est l'Epouse pour en faire découler les parfums (4), l'Epoux lui-même descend en son jardin pour y manger ses fruits, moissonner sa myrrhe avec ses aromates, et boire le vin dont les délices enivrantes l'ont attiré du ciel en terre (5) : ce vin qui est la substance même de l'Epouse liquéfiée par l'amour (6), vin excellent, digne d'être bu par le Bien-Aimé et savouré à loisir en sa bouche divine (7).

Que l'âme donc se prépare au banquet du Bien-Aimé, par les apprêts du festin que lui-même attend d'elle. Qu'avec lui, dès le matin (8), elle se lève en cette pensée. Recueillant ses puissances, elle visitera diligemment cette terre de son cœur devenue pour Dieu, dans le saint baptême, un domaine plus vaste et plus aimé que toutes les possessions des princes d'ici-bas. Qu'elle descende au jardin (9), qu'elle veille aux suaves parfums des fleurs, à la fraîcheur des lis (10) ; qu'elle coure au

 

1. Psalm. XLI, 3. — 2. Cant. I, 12. — 3. Ibid. I, 3, 15; II, 3-4 — 4. Ibid. IV, 16. — 5. Ibid. V, 1. — 6. Ibid. 6. — 7. Ibid. VII, 9.— 8. Ibid. 12. — 9. Ibid. VI, 10. — 10. Ibid. II, 16.

 

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champ, rassemblant ses fruits anciens et nouveaux (1) ; qu'elle voie à cette vigne tant prisée de l'Epoux qu'il s'en réserve la vendange (2) : qu'elle s'inquiète si les ceps ont fleuri, si les fleurs annoncent des fruits (3) et promettent ces grappes embaumées que l'Epoux vient cueillir (4). Qu'enfin, s'enfermant avec lui dans la maison de sa mère, la sainte Eglise, elle y reçoive au Sacrifice les leçons de l'amour (5), et, nouvelle Esther , abreuve à son tour le véritable Assuérus de ce vin généreux dans la chaleur duquel le roi lui livre sa puissance, octroie toutes ses demandes et perd ses ennemis (6).

Ivresse terrible du Dieu fort, dont les retours soudains font trembler l'enfer (7) ! vin mélangé, breuvage exquis (8), dont la composition est le secret de l'Eglise ! C'est pour cela que l'Epouse, voulant servir au Bien-Aimé le vin qui réjouit son âme et le pain qui conforte son cœur (9), le saisit et l'entraîne à la maison de sa mère (10), et s'enferme avec lui dans l'appartement le plus retiré, dans la chambre même où elle vint au jour (11).

C'est là en effet, dans ce sanctuaire d'amour, que Rébecca, la mère de deux peuples ennemis (12), prépare à son Epoux les mets qu'il aime (13), et qui doivent attirer la bénédiction d'Isaac sur le fils de sa préférence. Tandis que, figure du Juif indocile et charnel qui méconnaît l'Eglise et l'esprit des promesses divines, Esaü s'attarde au dehors à la poursuite d'une proie sauvage, image fidèle de

 

1. Cant. VII, 11, 13. — 2. Ibid. VIII 11-12.— 3. Ibid. VII, 12. — 4. Ibid. 7-8. — 5. Ibid. VIII, 2. — 6. Esth. V, 4-8; VII, 1-10. — 7. Psalm. LXXVII, 65-66. — 8. Cant. VIII, 2. — 9. Psalm. CIII, 14. — 10. Cant. VIII, 2. — 11. Ibid. III, 4. — 12. Gen. XXV, 23. — 13. Ibid. XXVII, 14.

 

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ses instincts farouches, Jacob, le fils doux et soumis, habitant paisible des tentes maternelles (1), prête son concours à la femme forte poursuivant dans la foi l'accomplissement des intentions du ciel. Revêtu par elle des vêtements d'Esaü, insigne du sacerdoce, vêtements précieux du premier-né gardés par la mère, il prend dans le troupeau et immole comme victime deux chevreaux excellents: image à la fois, nous disent les Pères, du Christ par leur douceur (2), et des deux peuples juif et gentil devenus par leur réconciliation dans son sang (3) la nourriture de Dieu (4). Mais c'est Rébecca qui conduit Jacob, et, recevant de lui la victime égorgée, en fait par ses apprêts intelligents l'aliment délectable : c'est l'Eglise qui, au Sacrifice, dirigeant le Prêtre et unifiant les peuples, prépare au Seigneur le mets qu'elle sait lui plaire (5).

Déjà le symbole s'était déclaré avec une lumière non moins grande près du chêne de Mambré, sous la tente de l'humanité voyageuse, quand, au nom de sa postérité innombrable, le père des croyants offrit aux trois hôtes divins représentant la Trinité auguste le repas plein d'enseignements profonds raconté dans les saints Livres (6). Pénétrant le mystère de la trine Unité : « Daigne, Seigneur, dit-il aux trois, te reposer chez ton esclave, et prendre ici quelque nourriture. » Et courant vers sa tente, il dit à Sara : « Pétris promptement trois mesures de farine, et fais des pains cuits sous la cendre. » Epoux plein d'égards, observe saint Ambroise, il ne frustre point son épouse de la participation à l'œuvre de religion qu'il veut accomplir, mais divise toutes choses entre lui et la

 

1. Gen. XXV, 27. — 2. Ambr. De Jacob et vit. beat. Lib. II, c. 2. — 3. Eph. II, 11-16. — 4. Comm. in Gen. Lib. II, ap. Euch. — 5. Gen. XXVII. — 6. Ibid. XVIII, 1-9.

 

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compagne de sa piété, type de l'Eglise. Que l'homme donc coure au veau gras, et l'immole en figure de la Passion du Seigneur (1) : le rôle de la femme est ici encore de préparer l'homme lui-même comme aliment divin. Les trois mesures de farine signifient, en effet, la triple descendance de Noé formant les trois races dont se compose l'humanité entière (2). Elles reparaissent, avec le même sens, dans l'Evangile (3) ; et la femme, l'Eglise, s'y retrouve aussi, pour en faire, en y mêlant le levain du froment sacré (4), l'unique pain du corps entier du Christ, devenu, par cette assimilation mutuelle du Christ et de l'homme au banquet eucharistique, l'aliment de Dieu même et les délices de la Trinité souveraine.

Heureux l'homme, s'écrie saint Ambroise, que savoure et dévore en toute suavité la Sagesse divine (5) ! Mais ce zèle de Dieu, cette chaleur de la foi, cette ferveur de dévotion qui doivent, d'après lui, nous amollir et nous transformer dans le Christ en douce nourriture (6), à qui les demander, par conséquent, sinon à l'Eglise dont cette préparation est l'œuvre spéciale dans les Mystères sacrés? Et cette préparation n'étant autre que le Sacrifice même pour le Chef et les membres, le chrétien qui se dispose au banquet divin peut-il avoir rien de mieux à faire que de se laisser docilement conduire par cette Mère des vivants dans sa Liturgie? Pourrait-il craindre de s'abandonner sans réserve à celle à qui le Christ lui-même s'en est remis entièrement, pour la détermination des règles qui devaient présider à l'administration du

 

1. AMBR. De Abr. Lib. I, c. 5. — 2. Ap. Euch. Comm. in Gen. Lib. II. — 3. MATTH. XIII, 33. — 4. JOHAN. XII, 24; Ap. AMBR. Serm. XIII. — 5. In Psalm. CXVIII, Serm. 18. — 6. Ibid.

 

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Sacrement de son amour, pour l'ordonnance, la solennité, les apprêts, l'accompagnement du Sacrifice dont la Communion est à la fois le complément et le terme glorieux ?

La Communion, tout ce qui précède en cette Octave le démontre suffisamment, n'est point une œuvre de dévotion privée : la dévotion privée ne saurait disposer l'homme comme il convient à cette visite du Seigneur, dont le but est de resserrer toujours plus nos liens avec le Christ chef et tous ses membres, unifiés déjà dans l'immolation même de l'unique et universel Sacrifice à la gloire du Père. La fonction sacrée bien comprise, attentivement suivie, la marche progressive des cérémonies et formules sanctifiées, en ce qu'elles ont d'accessible aux fidèles, est seule de nature à placer complètement l'âme qui soupire vers son Dieu au grand point de vue catholique qui est celui du Seigneur. Que l'âme ne craigne point d'affaiblir ainsi le recueillement, d'attiédir l'amour qu'à bon droit elle veut porter à la table sainte : elle s'y présentera d'autant plus agréable et mieux parée aux regards de l'Epoux, que l'égoisme inconscient, l'individualisme étroit, fruits trop fréquents des méthodes particulières, seront plus sûrement bannis de son cœur à la grande école de l'Eglise et sous l'action puissante de la Liturgie.

Ainsi l'avaient compris les Apôtres et leurs disciples immédiats, fondateurs autorisés des Liturgies du premier âge ; et ils ne craignirent point d'exposer au danger d'un refroidissement la piété des nouveaux convertis, par tout cet appareil de pompes extérieures qu'ils tendirent dès l'origine à rendre comme inséparable de la participation aux sacrés Mystères. Ainsi le pratiquèrent nos aieux les martyrs dans le glorieux secret des

 

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catacombes, déployant en ces étroits souterrains des splendeurs que nous ne connaissons plus ; comme Sixte II, le Pontife de Laurent, immolé sur la chaire où il présidait dans la majesté apostolique, entouré des ministres nombreux des fonctions saintes, ils ne craignaient point de braver jusque sous le feu de la persécution les fureurs impériales, pour sauvegarder la solennité des assemblées chrétiennes, où, dans le banquet commun du Pain des forts, se resserrait le lien des âmes et s'animait leur courage. Ainsi continua de faire et fit mieux encore l'Eglise délivrée, dans l'or et la lumière des basiliques qui remplacèrent les cryptes des cimetières au siècle du triomphe. Les Pères de l'Eglise et ses Docteurs, tous les Saints des grands âges, ne connurent point d'autre préparation habituelle au divin Sacrement que les magnificences de la Liturgie, les pompes du Sacrifice offert avec le concours de tous et cette participation active du peuple chrétien que nous avons rapportée (1). Or, il ne paraît point que ce concours obligé, cette dépense extérieure, cette attention soutenue aux rites sacrés, aient gêné leur essor ou frustré le Seigneur. On ne voit nullement que leur compréhension des choses divines en ail été amoindrie, que leur sainteté en ait souffert, ou que la société, dont ils étaient les guides obéis, se soit trouvée plus qu'eux retenue par là dans un état d'enfance qui l'empêche de soutenir toute comparaison avec la nôtre. Faudrait-il croire cependant que l'Eglise eût été mieux inspirée en les rendant à eux-mêmes, en laissant dans le silence et la paix plus de loisir à leurs méditations ? On n'oserait le dire. Telle n'est pas du

 

1. Page 195.

 

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moins encore la pensée d'où s'inspira le souffle de foi et de génie qui, dans les xine, XIV° et XV° siècles, lança dans les airs les arceaux et les voûtes de nos cathédrales pour des rites en rapport avec les proportions de ces monuments.

Mais peut-être le temps est-il venu, où, dégagée des sens par les procédés perfectionnés d'une ascèse trop peu connue de l'époque primitive, l'âme humaine n'aura plus besoin désormais, pour aller à Dieu, des secours extérieurs qui purent être utiles aux temps d'Augustin, de Léon le Grand, d'Hildegarde ou de saint Bernard, mais ne sont point nécessaires à la génération spiritualiste dont nous serions les membres fortunés. Jugeons de l'arbre à son fruit (1). Qu'est-il résulté de l'abandon en ce point des voies tracées par l'Eglise et suivies par nos pères ?

Le XVI° siècle avait vu l'enfer triompher sur les ruines fumantes des autels renversés dans l'Allemagne, l'Angleterre et les pays du Nord ; le délaissement des solennités liturgiques amenait chez plus d'un fidèle, aux siècles suivants, l'amoindrissement et l'oubli de la notion du Sacrifice même. L'auguste mystère eucharistique devait en venir a se résumer, pour plus d'une âme pieuse, dans la divine présence du Seigneur demeurant au milieu des siens pour recevoir leurs visites particulières, et descendre lui-même en eux par la Communion a des intervalles plus ou moins rapprochés. Mais le Christ immolé parle glaive des paroles redoutables, expiant encore les crimes des hommes, rendant au nom de tous à son Père les grands devoirs communs d'adoration et d'action de grâces, sauvant chaque jour le monde de la malédiction

 

1. LUC. VI, 44.

 

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par les supplications enflammées de notre mère l'Eglise,devenues les siennes au grand Sacrifice: la Messe, en un mot, dit beaucoup moins au cœur de ces chrétiens fervents que l'Exposition, la Bénédiction, le Salut solennel, ou même parfois une simple visite bien privée et bien silencieuse au divin Sacrement. La Messe n'est pour eux qu'une condition préliminaire à tout le reste, ayant pour but de produire le Seigneur en sa présence réelle. Aussi, contre les règles même établies par l'Eglise, préféreront-ils de beaucoup à toute autre celle qui sera célébrée devant le Très Saint Sacrement exposé, comme mettant par avance sous leurs yeux tout ce qu'ils en attendent. Hormis ce cas, ils abandonnent volontiers la Grand' Messe au peuple chrétien, comme trop distrayante ; ou bien on les voit, ne soupçonnant même pas les effets puissants de salut que produirait en eux la force incommunicable de la Liturgie, demander religieusement à de pieuses lectures des considérations qui ne dépassent jamais l'homme qui les inspire. Le signal de la clochette annonçant l'élévation de l'Hostie salutaire n'est pour eux que le signal de la simple arrivée du Seigneur ; ils adorent, mais sans songer à s'unir à la Victime, sans s'immoler avec l'Eglise aux grandes intentions catholiques dont le double Cycle, en sa variété, ramène chaque année l'expression fidèle. S'ils doivent communier ce jour-là, peut-être laisseront-ils alors de côté le livre pieux qui les tenait saintement occupés en leur intérieur, pour s'entretenir doucement dans les émotions plus ou moins factices qu'ils y ont puisées : jusqu'au moment où, reçus à la table sainte de l'unité, le Christ devra chercher dans la grâce lointaine de leur baptême, bien plus que dans leurs affections

 

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ou pensées du moment, cette indispensable qualité de membre de l'Eglise que la Communion requiert sur toutes autres et vient surtout affermir.

Est-il donc surprenant qu'en un grand nombre d'âmes, la Religion, dont la vraie base est le Sacrifice, ne repose plus bientôt que sur un sentimentalisme vague, sous l'influence duquel s'effacent toujours plus chaque jour les notions fondamentales du domaine divin, de la justice souveraine, du culte proprement dit par la réparation, le service et l'hommage, qui sont nos premiers devoirs envers la suprême Majesté ? D'où vient, chez tant de chrétiens qui se confessent et communient, cette faiblesse de la foi, cette absence totale de la notion pratique de l'Eglise, qui s'est révélée si douloureusement au cœur des Pasteurs à l'époque du Concile ? sinon de ce que le culte ayant perdu pour eux, avec les pompes de la Liturgie qu'ils ne connaissent plus, son caractère social, la Communion elle-même a perdu son vrai sens, et laisse dans leur isolement satisfait ces hommes pour qui elle n'est plus le lien d'unité, par le Christ Chef, avec le corps entier dont ils sont devenus les membres au baptême. En dehors même de ces catholiques de nom, pour qui l'Eglise semble n'être plus déjà qu'un terme d'histoire incompris, est-il bien des âmes admises à la Communion fréquente ou de tous les jours, qui comprennent aujourd'hui cet axiome de saint Augustin : L'Eucharistie est notre pain quotidien, parce que la vertu qu'elle signifie est l'unité, santé du corps et des membres (1) ?

Reprenant, au XII° siècle, contre de nouveaux adversaires du Sacrement divin, la plume deux

 

1. Aug. Serm. 57, 137.

 

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fois déjà victorieuse des fils de saint Benoît (1), Alger, moine de Cluny, exprimait cette vérité toujours la même dans un livre en tout digne de ses devanciers, et dont le caractère dogmatique excluait l'hyperbole. « Le mystère de la vraie chair du Christ au Sacrement de l'autel, disait-il, ne profite qu'à ceux qui, dans le même Sait crement, reçoivent aussi le mystère de ses membres, à savoir la société du corps entier qui est l'Eglise ; parce que, de même que la a tête est sans influence vitale, séparée du corps, ainsi le Christ ne communique à personne la vie sans l'unité du corps de l'Eglise : inséparable de son corps mystique, le Christ n'est vraiment reçu dans son Sacrement qu'il ne le soit tout a entier (2). »

Doctrine profonde, faisant pénétrer la grandeur du spectacle qu'offrait autrefois l'immense assemblée des fidèles, concluant la solennité des rites imposants du Sacrifice par la Communion non moins solennelle de tous à la grande Victime ! Cet unanime concours des baptisés à la table sainte est loin d'une génération perdue par l'immoralité, le doute, et la peur lâche du respect humain. D'autre part, ceux-là mêmes de ses enfants dont l'assiduité fervente au banquet divin console l'Eglise de la désertion du plus grand nombre, ne peuvent toujours attendre, pour s'approcher du Sacrement auguste, l'heure trop tardive de la Messe solennelle qui les placerait mieux dans l'esprit du mystère, et répondrait davantage aux désirs de l'Eglise. Ils en sont le plus souvent empêchés par leur santé ou d'autres considérations

 

1. Saint Paschase Radbert et Lanfranc, contre Scot Erigène et Bérenger. — 2. De Sacram. Corp. et Sang. Dom. Lib. I, C. 3.

 

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dont nous ne prétendons point contester la valeur ; et cette tendre Mère comprend elle-même les impossibilités qui s'opposeraient au retour quelque peu général, en ce point, de l'ancienne coutume. Ce n'est pas néanmoins sans jeter un regard de regret sur ces temps heureux, où chaque fidèle ne manquait point de participer sacramentellement au Sacrifice célébré dans l'assemblée commune (1). Toutefois, et sans même leur en faire un commandement exprès, elle ne formule en ce sens d'intentions précises qu'à l'égard des ministres mêmes du Sacrifice. « Qu'ils sachent », leur dit-elle dans le saint concile de Trente, « qu'il serait d'une convenance souveraine qu'au moins les jours des Dimanches et des fêtes, ils reçussent la sainte Communion de l'autel où ils remplissent leur ministère (2). » Résumant enfin, mieux que nous ne saurions le faire et avec l'autorité même de l'Esprit-Saint, l'enseignement traditionnel que nous nous sommes efforcés de rappeler aux fidèles en ces jours, les Pères de Trente s'expriment ainsi dans la session XIII° :

« Le saint concile, de toute son affection paternelle, avertit, exhorte, prie et conjure par les entrailles de la miséricorde de notre Dieu tous ceux qui portent le nom de chrétiens et chacun a d'eux, de se réunir enfin unanimement dans ce signe de l'unité, dans ce lien de la charité, dans ce symbole de la concorde. Qu'ils aient souvenir de la souveraine majesté, de l'ineffable amour de Jésus-Christ notre Seigneur, qui, livrant sa précieuse vie pour prix de notre salut, nous a donné sa chair en nourriture. Qu'ils croient et

 

1. Sessio XXII, De sacrif. Miss. c. 6.— 2. Sess. XXIII, De Reform. c. 13. Cf. Pontificale Romanum, De Ordinibus conferendis; Caeremoniale Episcoporum, II, XXXI, 5.

 

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confessent avec une telle constance et fermeté ces sacrés Mystères de son Corps et de son Sang, qu'ils les honorent et révèrent avec tant de dévouement et d'amour qu'ils puissent recevoir fréquemment ce pain au-dessus de toute substance. Puisse-t-il être pour eux la vraie vie, la santé perpétuelle de l'âme ! Qu'ainsi confortés par sa vigueur, ils passent du pèlerinage de cette terre malheureuse à la patrie des cieux, pour y manger sans voiles ce même pain des Anges qui les nourrit ici-bas sous le voile sacré des espèces (1). »

 

1. Sessio XIII, de Euchar. c. 8.

 

L'Eglise d'Arménie chante aujourd'hui encore, pendant la Communion, un cantique admirable qui fera dignement suite aux appels sublimes que nous adressait hier l'antique foi des Eglises de l'Irlande et des Gaules.

 

DUM COMMUNICANT  QUI  DIGNI  SUNT, Chorus modulatur hoc Canticum.

 

Mère de la foi, ô Eglise, théâtre sacré des noces mystérieuses, lit nuptial sublime, demeure de l'Epoux immortel qui t'a parée pour l'éternité !

 

Tu es un second Ciel admirable qui s'élève de gloire en gloire. Tu nous enfantes comme la lumière, dans le baptême où nous devenons tes fils.

 

Tu distribues le pain de pureté, tu donnes à boire ce sang redoutable : il est à toi ; par lui tu nous entraines aux sphères incréées du monde des esprits.

 

Venez, enfants de la nouvelle Sion, approchez-vous, dans la sainteté, du Seigneur. Goûtez et voyez combien est doux le Seigneur notre Dieu, le Dieu des vertus.

 

L'ancienne Sion divisa le Jourdain, et toi la mer des péchés du monde; elle eut Josué pour chef illustre, et toi Jésus consubstantiel au Père.

 

L'ancienne fut ta figure, mais ton autel est supérieur. Elle a brisé les portes de diamant, mais toi celles de l'enfer sur leurs fondements terribles.

 

Ce pain est le corps du Christ, cette coupe contient le sang de la nouvelle Alliance. Le mystère caché se déclare à nos âmes : en lui se manifeste Dieu même.

 

C'est ici le Christ, Dieu Verbe assis à la droite du Père, tandis qu'immolé sous nos yeux, il ôte les péchés du monde.

 

Béni soit-il à jamais comme le Père et l'Esprit, maintenant et toujours plus à l'avenir, et sans fin dans les siècles !

 

Au moment de la Communion, le dialogue suivant s'établit dans l'Eglise syrienne entre le prêtre et le Diacre.

 

DUM CALIX CIRCUFERTUR

 

Saint, Saint, Saint vous êtes, ô Seigneur, crie l'Eglise. Béni soit celui qui m'a livré son Corps et son Sang, pour que par lui j'obtienne grâce.

 

Le Diacre. Alleluia, Alleluia. Gloire à celui qui m'a donné son Corps et son Sang où réside la vie, pour que par lui j'obtienne grâce.

 

Le Prêtre. Seigneur, au jour du jugement, que vos Mystères supplient pour nous devant le tribunal redoutable et terrible.

 

Le Diacre. Alleluia. Alleluia. Gloire à celui dont l'Eglise s'abreuve avec ses fils, chantant sa louange.

 

Au moment de la Communion, le dialogue suivant s'établit dans l'Eglise syrienne entre le Prêtre et le Diacre.

 

Le Prêtre. Alleluia. Alleluia. A lui soit gloire, lui dont le Corps est notre aliment et le Sang notre breuvage pour la rémission des péchés.

 

Le Diacre. Quand le feu voit ce Corps, il est dans la crainte ; et voici que les hommes le portent solennellement sur leurs mains.

 

Le Prêtre. Alleluia. Alleluia. A lui soit gloire, lui qui jeûna et qui pria, lui qui nous enseigne à prier.

 

Le Diacre. C'est là le calice dont le Seigneur composa le mélange au sommet de la croix. Approchez, mortels: buvez-en pour la rémission de vos fautes

 

Le Prêtre. Alleluia. Alleluia. Et gloire à celui dont s'abreuvent les brebis du Fils en s'y purifiant.

 

Le Diacre. Frères, prenez le Corps du Fils, crie l'Eglise, buvez son Sang avec foi et chantez-lui gloire.

 

Le Prêtre. Alleluia. Alleluia. Et gloire à celui dont se nourrit l'Eglise avec ses fils, lui chantant des psaumes.

 

Le Diacre. Je suis le pain de vie, a dit notre Seigneur ; quiconque me mangera avec foi possédera la vie.

 

Le Prêtre. Alleluia. Alleluia. Et gloire à celui dont nous avons pris le calice, entrant par lui en possession d'une vie nouvelle.

 

Le Diacre. Seigneur, que les morts qui ont mangé votre Corps et bu votre Sang, éprouvent votre Clemenceau jour du jugement, quand vous paraîtrez.

 

Recevez, ô vous notre Seigneur, les offrandes de vos adorateurs et, dans votre miséricorde , pardonnez à leurs morts.

 

 

Faisons un dernier emprunt à la Liturgie des Constitutions apostoliques (Livre VIII°). La formule suivante d'Action de grâces après la Communion, manifestera l'esprit de l'Egliseet ce qu'elle attend de nous en cet instant solennel. Elle s'y montre préoccupée sur toute chose des grands intérêts de l'Epoux. Dans cette extase de son amour, dans ce moment d'union si intime avec le Seigneur, elle s'efforce d'arracher ses fils aux pensées mesquines, aux intentions trop exclusivement personnelles d'une dévotion privée hors de saison dans ces grands Actes de la vie chrétienne, qui sont le Sacrifice et la Communion à la Victime universelle. A peine donc est achevée la distribution des espèces sacrées, que le Diacre s'écrie: « Surgamus, Levons-nous » ; et tous, debout, s'unissent à la prière que prononce le Pontife.

 

INVOCATIO POST COMMUNIONEM.

 

 

Seigneur Dieu tout-puissant , Père de votre Christ et béni Fils; exauçant qui vous invoque dans la droiture, connaissant la prière même de qui se tait : nous vous rendons grâces de nous avoir jugés dignes d'être admis à la participation de vos saints Mystères. Vous nous les avez donnés comme l'affermissement de la foi, la garde de l'amour, la remise des péchés ; car le nom de votre Christ a été invoqué sur nous, et nous sommes devenus vos familiers.

 

O vous qui nous avez sépares de la communion des impies, unissez-nous à ceux qui vous sont consacrés, fixez-nous dans la vérité par votre Esprit-Saint, dissipez nos ignorances, suppléez aux lacunes, confirmez les notions acquises.

 

Conservez les prêtres sans reproche dans votre service. Gardez les rois dans la paix, les magistrats dans la justice, les saisons dans l'équilibre, les récoltes dans l'abondance, le monde dans la main de votre toute-puissante providence. Apaisez les nations belliqueuses. Convertissez ceux qui sont dans l'erreur. Sanctifiez votre peuple ; conservez les vierges ; gardez la fidélité des époux, la force des continents ; conduisez les enfants à l'âge mûr ; affermissez les nouveaux baptisés ; instruisez les catéchumènes, rendez-les dignes de l'initiation ; et rassemblez-nous tous au royaume des cieux, dans le Christ Jésus notre Seigneur :

 

Avec qui soit à vous et au Saint-Esprit gloire, honneur, adoration dans les siècles. Amen.

 

 

 

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