SAMEDI OCTAVE

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SAINT SACREMENT
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SAMEDI OCTAVE
DIMANCHE OCTAVE
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VENDREDI OCTAVE
III° DIMANCHE

LE  SAMEDI DANS L'OCTAVE DU SAINT-SACREMENT.

 

Christum regem adoremus dominantem gentibus, qui se manducantibus dat spiritus pinguedinem.

Adorons le Christ roi Seigneur des nations, engraissant l'âme de qui le prend en nourriture.

 

 

L’homme a vu s ouvrir devant lui les horizons désolés de la terre d'exil. L'arbre de vie n'est plus qu'un douloureux souvenir; fixé au sol fortuné qui l'a vu naître, il n'a point suivi l'homme pécheur dans sa migration vers la vallée des larmes. Il reste au Paradis; loin du séjour de la souffrance et du regard des hommes mortels, il demeure comme le témoin des premières intentions divines, toutes de paix, d'innocence et d'amour.

Nous le retrouverons plus tard : il doit faire l'ornement de la terre nouvelle où le Seigneur introduira ses élus, au jour de la grande Pâque et du rétablissement de toutes choses (1). Jour heureux auquel, dit l'Apôtre, aspire toute créature maintenant gémissante et soumise, pour une faute qui n'est point la sienne, à l'inconstance de changements sans fin ! Celui qui, contre le gré de la création, l'a soumise à cette servitude de corruption, lui conserve l'espoir qu'alors délivrée, elle-même en sa mesure participera de la glorieuse

 

1. Apoc. XXII, 2.

 

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liberté des enfants de Dieu (1). Car la gloire du nouveau Paradis sera plus grande que celle du premier. Ce n'est plus en effet sous l'ombre vide des symboles, ou dans un rapprochement fugitif, que doit s'y opérer l'union déifiante; mais la Sagesse s'y donnera substantiellement et sans voile à l'humanité dans un embrassement éternel.

C'est dans le temps toutefois, et sur la terre, que doit se contracter cette union dont la jouissance parfaite et stable est pour l'éternité. Car telle est l'économie du plan divin, qu'en toutes choses la vie future a ses racines dans la vie présente, et n'est que la révélation dans la lumière de gloire des ineffables réalités constituées ici-bas par la grâce. Quelles seront donc, après la chute, les conditions de l'alliance dont l'éternelle Sagesse ne s'est point départie ?

 

O profondeur des trésors de la Sagesse de Dieu (2) ! Fort comme la mort est son amour (3); mais non moins sublimes apparaîtront, à la suite du péché, les délicatesses infinies de cet amour même. Loin d'elle la mésalliance ! loin d'elle tout compromis avec la souillure d'une race coupable ! La miséricorde infinie suffisait à pardonner l'offense au seul désaveu du pécheur : en sa noblesse et dignité d'Epouse, elle ne veut point, pour l'homme, de ce pardon qui eût dissimulé sous le couvert de l'oubli divin sa faute inexpiée. Au défaut de son insuffisance, elle prétend solder elle même intégralement la dette du coupable, et le réhabiliter dans la justice, avant de l'épouser dans l'amour : «  Je t'épouserai dans la justice et le

 

1. Rom VIII 19-22. — 2. Ibid. XI, 33. — 3. Cant. VIII, 6.

 

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jugement (1) », dit Dieu à l'homme tombé, par le prophète Osée.

Et il ajoute : « Je t'épouserai dans la foi (2). » Car de même que l'entrée de la divine Sagesse en ce monde, qu'elle vient sauver de l'orgueil par l’humilité, sera sans gloire et sans apparence extérieure ; ainsi l'union divine s'opérera-t-elle dans le mystère des espèces sacrées du banquet nuptial, qui ne présenteront aux yeux que le pain et le vin des tables communes. Mais la foi percera le voile ; et l'ineffable dignité des fils des hommes, manifestée dans ce festin des cieux, rejaillira sur la création entière.

Sous l'impression de l'attente universelle des créatures implorant, à leur manière, cette déclaration merveilleuse des fils de Dieu (3) qu'emporte de soi l'alliance avec la Sagesse du Père, le prophète continue dans un style plein d'enthousiasme : « En ce jour-là, dit le Seigneur, j'exaucerai les cieux, et ils exauceront la terre ; et la terre exaucera le froment, le vin et l'huile ; et ceux-ci exauceront Jezrahel, la race de Dieu (4) », lui donnant avec le froment et le vin la matière des Mystères, et par l'huile, le sacerdoce qui doit les transformer en la dot de l'alliance dans l'acte même du Sacrifice. Car c'est par le Sacrifice, et dans le sang, que doit se consommer cette alliance de justice et d'amour.

L'Ecriture rapporte que Moïse traversant un jour le désert, chargé d'une transgression légale, fut assailli par l'Ange du Seigneur qui l'eût exterminé, si Séphora, l'épouse du chef futur d'Israël, n'eût conjuré la vengeance divine par la circoncision

 

1. OSE. II, 19. — 2. Ibid. 20. — 3. Rom. VIII 19. — 4. Ose. 11, 21-22.

 

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violente et précipitée de son fils Eliézer ; et, teignant de ce sang du fruit de ses entrailles les pieds du coupable, elle s'écriait : « Vous m'êtes un époux de sang (1) ! » Ainsi, et bien mieux, peut s'écrier à l'humanité la divine Sagesse ; car elle ne sauvera l'homme, et n'arrivera jusqu'à lui, que dans le sang de ce fils de l'homme qui est elle-même.

Mais loin de l'ébranler, il semble que cette perspective, qui mettra son amour en plus vive lumière, ait encore augmenté son ardeur. « Je dois être baptisé d'un baptême, dira l'Homme-Dieu plus tard, et quelle est la violence de mon désir jusqu'à ce qu'il soit accompli (2) ! » Mais dès maintenant, et depuis que l'expiation est apparue comme la voie royale qui peut lui rendre i'humanité redevenue digne d'elle par l'effusion d'un sang divin sous le pressoir, la Sagesse n'a plus d'autre pensée. Aussi trompera-t-elle d'ici là son impatience, en préludant par mille essais figuratifs à l'immolation du Calvaire, et au banquet de la grande victime devenu le festin des noces.

Son jardin, le lieu de délices, n'est plus pour elle le Paradis, mais cette terre aride où plus que jamais l'homme a besoin de son amour. O Chérubin, sentinelle vigilante, inexorable au pécheur, protégez l'arbre de vie contre les retours de son désespoir : l'épée terrible, qui s'échappe de vos mains en jets de flamme, n'arrêtera point au Paradis l'adorable Sagesse. Elle rejoindra le genre humain dans son exil. Entendons-la, au livre de l'Ecclésiastique, chanter sa fuite miséricordieuse et célébrer ses expédients divins. Si elle était l'arbre, elle est de même le fleuve de vie. « Or, dit-elle,

 

1. Exod. IV, 24-26. — 2. LUC. XII, 5o.

 

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comme un filet d'eau , comme l'écoulement d'un grand fleuve, ruisseau sans apparence, je suis sortie du Paradis. J'ai dit : J'arroserai les plantes de mon jardin, j'enivrerai de fécondité ma prairie. Et voici que mon ruisseau a élargi a ses rives, et, devenu fleuve, il ressemble à une mer. Dès le point du jour, j'illumine tout de ma doctrine, et je la ferai retentir jusque dans le lointain des siècles. Je descendrai dans tous les abîmes, je visiterai tous ceux qui dorment, t j'éclairerai tous ceux qui espèrent dans le Seigneur (1). »

Cette vive lumière qui, dès le point du jour, illumine tout de la divine Sagesse, est l'enseignement varié des prophéties ou figures divinement ordonnées dans la série des siècles, et projetant jusqu'au point de départ du genre humain l'ombre imposante du Messie. Par ce multiple enseignement, la Sagesse se fait jour au milieu des nations chez les âmes saintes (2), réveille l'homme endormi dans le découragement (3), nourrit l'espérance en son coeur et tient ses regards tournés vers l'avenir.

Les sacrifices sanglants, établis au seuil de l'Eden comme expression rituelle de la religion du premier âge, poursuivront l'humanité de cette divine lumière jusque dans les abîmes où l'entraînera plus tard l'égarement du polythéisme. Grâce à eux, si le fleuve des traditions primitives, traversant le temps et l'espace, doit se charger de nombreux éléments étrangers et rouler bien des scories, on le verra néanmoins porter fidèlement jusqu'aux pieds du Christ lui-même les désirs et

 

1. Eccli. XXIV, 41-45. — 2. Sap. VII, 27. — 3. Psalm. CXVIII, 28.

 

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l'attente non interrompue des nations (1). Lors même en effet que le serpent usurpateur aura détourné vers ses autels impurs la fumée de ces sacrifices qui n'étaient dus qu'au seul vrai Dieu, il ne se peut que cette expiation figurative des fautes de l'homme par le sang d'une victime innocente et pure, substituée au coupable, ne réveille plus d'une fois, dans l'âme la plus distraite, quelque notion du Médiateur à venir. L'antique ennemi verra donc le culte des divinités de son invention prolonger lui-même en tous lieux, sur ce point important, les échos de la foi des patriarches. Représailles merveilleuses, et dignes en tout de l'éternelle Sagesse : comme au désert (2), la vue même du serpent, devenu pour le fils de Jessé le signe des peuples (3), aura guéri ceux qui s'étaient tournés vers lui de sa propre morsure ! Car chez les cœurs droits de la gentilité, la Sagesse achèvera dans l'amour l'œuvre de salut commencée par la puissance de ses divins rayons pénétrant ainsi jusqu'au sein de la nuit profonde. O racine de Jessé, racine de la Sagesse du Très-Haut, qui vous connaît ? qui pénétra jamais les artifices de votre amour (4) ? Vraiment l'emportez-vous sur la lumière ; car elle cède à la nuit, mais de vous ne triomphe point la noirceur du mal (5).

Impuissants à produire la grâce et le démontrant assez par leur multiplicité même (6), les sacrifices sanglants auront donc pour but de conserver dans l'humanité la conscience de la chute et l'attente du Sauveur, maintenant ainsi, dans l'esprit de tous, la base des actes surnaturels

 

1. Gen. XLIX, 10; Agg. II, 8. — 2. Num. XXI, 6-9. — 3. ISAI. XI, 10. — 4. Eccli. I, 6. — 5. Sap. VII, 29, 3o.  — 6. Heb. X, 1-4.

 

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nécessaires à la justification et au salut. Mais les sublimes retouches apportées au plan divin depuis la chute ne seront point seules représentées dans ce rite important ; l'union de Dieu et de sa créature, objet primitif et toujours principal des intentions du Créateur, l'union de l'homme et de la divine Sagesse au banquet dressé par elle-même, y trouvera son expression figurative dans le partage de la victime entre Dieu et l'homme, entre la divinité apaisée par l'effusion du sang et l’humanité réhabilitée, nourrie de cette chair innocente devenue pour elle désormais l'aliment d'une vie nouvelle et divine. Telle sera chez toutes les nations la règle générale des sacrifices, que dans le temps où montera vers le ciel par le feu la part divine, un repas commun, vrai signe de communion entre le Ciel et la Terre, devra ne faire plus qu'un des assistants eux-mêmes dans la consommation des restes de l'hostie.

Admirable harmonie ! Prophétie vivante, redite à tous les échos par les mille voix des victimes égorgées chaque jour en tous lieux ! En elles, l'Agneau divin qu'elles annoncent est immolé dès l'origine du monde (1) : appliqué par l'espérance et la foi, son sang déjà coule à flots sur les âmes, emportant les péchés des générations successives; et, tenue en éveil par les prescriptions inspirées de son rituel mystérieux, l'humanité se prépare dès lors au banquet des noces de l'Agneau (2).

Que la divine Sagesse exalte son triomphe ! Elle a fait naître au ciel une lumière qui ne s'éteint pas, enveloppé comme une nuée la terre entière ; elle a fait seule le tour des cieux, pénétré jusqu'au fond de l'abîme, traversé les mers,

 

1. Apoc. XIII, 8. — 2. Ibid. XIX, 7-9.

 

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parcouru le monde en souveraine ; sur tout peuple, sur toute nation elle a eu l'empire, foulant de ses pieds doucement victorieux les cœurs des puissants et des humbles (1).

Cependant les temps d'exil ont avancé dans leur cours ; la longue série des siècles d'attente est plus qu'à moitié parcourue. Moins éloignée désormais, la consommation de l'alliance va devenir chez plusieurs l'objet d'aspirations plus ardentes ; et, comme se recueillant elle-même, l'adorable Sagesse ambitionne le repos d'une préparation plus intime au grand œuvre qu'elle doit accomplir. Où s'arrêteront ses pas ? Le Créateur de toutes choses lui a fait entendre sa voix toujours obéie ; le Père très-haut, qui la destine à ses élus dès le commencement, a fixé sa tente ; il lui a dit: « Habite en Jacob, et qu'Israël soit ton héritage. » Ainsi prend-elle pied en Sion, pour se reposer dans la cité sainte et régner en Jérusalem (2): Jérusalem, ville de paix, théâtre prédestiné des merveilles de l'avenir, où déjà la douceur du fils de la promesse portant sur ses épaules le bois de l'immolation, et remplacé par le bélier mystérieux sous le glaive paternel, avait marqué la montagne du vrai Sacrifice ; cité bénie, qui, dans le même temps, avait pour chef le roi-pontife semblable au Fils de Dieu (3), Melchisédech offrant le pain et le vin de la future alliance, et révélant au Père des croyants, dont les regards inspirés plongeaient dans l'avenir, le grand jour du Christ son fils (4) !

C'est là qu'au moment où les foules égarées n'adressent plus qu'aux faux dieux l'hommage de

 

1. Eccli. XXIV, 6-11. — 2. Ibid. 11-15. — 3. Heb. VII, 3. — 4. JOHAN. VIII, 56.

 

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leurs sacrifices, la divine Sagesse se retire avec le peuple qui porte en ses veines le sang rédempteur. En lui du moins veut-elle maintenir les droits du Père, et garder toujours pure la lumière de l'espérance des nations. Par mille prodiges elle l'arrache au joug égyptien (1). Le festin de l'agneau pascal, égorgé le jour même où plus tard aura lieu la vraie Cène du Seigneur et l'immolation de l'Agneau divin, donne le signal de la délivrance et delà marche à travers les flots vers la montagne où se conclut, dans le sang des victimes, le pacte d'union qui fait de la maison de Jacob l'épouse de Dieu (2), la nation sainte et sacerdotale (3). Figure en toutes choses du vrai peuple élu traversant le désert du monde, Israël s'abreuve aux eaux divinement sorties de la pierre qui est le Christ (4) ; un pain tombé chaque jour des cieux soutient ses forces dans la fatigue de la route et des combats, et cette nourriture des Anges s'adapte à tous les besoins, se prête à tous les goûts (5). Dieu même habite avec lui sous la tente ; et sur l'unique autel élevé devant ce tabernacle qui rappelle l'exemplaire montré sur la montagne (6), une famille choisie doit seule offrir, sous la direction du pontife suprême, les différents sacrifices légaux redisant en un multiple langage les circonstances variées de l'unique Sacrifice signifié par eux tous.

De cet autel, où brûle un feu qui ne s'éteint pas, monte sans interruption vers le ciel la fumée de la chair et du sang des victimes égorgées. Elles implorent la venue de l'Hostie salutaire qui doit mettre fin à ces hécatombes ; tandis que les

 

1. Sap. X, 15. — 2. Ezech. XVI ; Ose. II, etc.— 3. Exod. XIX, 6. — 4. I Cor. X, 4, 11. — 5. Sap. XVI, 20-29. — 6. Exod. XXVI, 3o.

 

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offrandes de farine et de vin, nécessaire accompagnement de l'holocauste et de l'hostie pacifique, annoncent l'auguste Mémorial qui doit de même prolonger et parfaire le divin sacrifice de la Croix dans une application non sanglante. Rapprochement mystérieux: il est dès lors un sacrifice qui ne s'appelle pas autrement que de ce nom de mémorial, et c'est l'oblation isolée de la farine et des gâteaux ou pains de froment sans levain (1). Les douze pains de proposition toujours présents à l'intérieur du voile, comme chose sainte entre toutes, monument perpétuel de sacrifice et d'alliance (2), expriment aussi déjà non moins clairement la future présence eucharistique, maintenue dans l'Eglise sous les espèces sacrées, en dehors de la célébration des Mystères.

De même qu'il n'y a qu'un autel en Jacob, pour ramener dans l'unité la pensée vers Celui qui doit être à la fois la victime et l'autel : ainsi n'y a-t-il qu'un seul lieu, le tabernacle et ses abords, et plus tard le temple et la ville sainte, où il soit permis de célébrer ces banquets sacrés de communion qui, chez tous les peuples, terminent le sacrifice dont ils font partie. « Vous n'offrirez point vos victimes indifféremment en tous lieux », dit Moïse à son peuple une dernière fois rassemblé sous ses yeux dans les plaines du Jourdain ; mais toutes vos offrandes en victimes, prémices, dîmes et oblations volontaires, seront apportées au lieu que le Seigneur aura choisi pour y manifester sa gloire. C'est là que vous célébrerez le sacré banquet, en présence du Seigneur votre Dieu, vous, vos fils et vos filles, vos serviteurs et vos servantes, et les lévites

 

1. Levit. II, 2, 9. — 2. Ibid. XXIV, 7-9.

 

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qui habitent vos cités ; et vous serez dans o la joie, et vous recueillerez les fruits des bénédictions du Seigneur votre Dieu (1). »

La prospérité matérielle promise au peuple juif comme récompense de sa fidélité à garder les prescriptions figuratives de la loi du Sinaï, n'était elle-même que la figure des bénédictions divines qui devaient transformer l'âme, et la préparer à l'avènement de la divine Sagesse en la chair. Mais Israël a peine à s'élever au dessus des sens. Il s'offre comme une proie facile à tous les scandales des nations ; si, maté par la verge, il comprend enfin que l'unique salut est pour lui dans sa loi, c'est pour s'y enfermer comme en désespéré dans la lettre même des préceptes rituels, et n'y plus voir le sens principal qui est celui de l'avenir et du monde des âmes.

Que de fois cependant Dieu l'avertit par ses prophètes, et cherche à le ramener à l'esprit de l'institution première ! Il se répand, dans les Psaumes, en remontrances où la douceur du père absorbe encore ineffablement l'amertume de la plainte : « Ecoute, ô mon peuple, et je te parlerai ; Israël, je t'instruirai de ma vraie pensée. Moi, ton Dieu, je ne te reprendrai point sur tes sacrifices , tes holocaustes sont toujours sous a mes yeux. Mais je n'ai besoin ni des veaux de ta maison, ni des boucs de tes troupeaux : toutes les bêtes de la forêt sont miennes, miens aussi les animaux des montagnes et les bœufs a des prairies. Si j'ai faim, je ne te le dirai point, a car l'univers est à moi et tout ce qu'il renferme ; mais mangerai-je donc la chair des taureaux, boirai-je le sang des boucs ? Elève-toi jusqu'au

 

1. Deut. XII, 7, 11-13.

 

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sacrifice de louange: c'est dans cette voie que je te montrerai le Christ salut de Dieu (1). »

Mais plus tard, devant cette race à la tête dure, aux oreilles et au coeur incirconcis (2), s'enfonçant toujours dans le formalisme étroit ou réside pour elle toute vertu, Dieu ne sait plus dissimuler le dégoût suprême que lui inspirent ces immolations auxquelles ne se rattache plus le sens prophétique, qui seul les relevait à ses yeux : « Qu'ai-je besoin de toutes vos victimes ! s'écrie-t-il par Isaïe. Elles me sont à nausée ; les holocaustes de vos béliers, la graisse de vos troupeaux, le sang des veaux, des agneaux et des boucs, je n'en veux plus. Qui vous a priés jamais d'en souiller mes parvis ? Ne m'offrez plus à l'avenir ces vains sacritices : votre encens m'est en abomination (3).»

Inutiles avertissements : l'orgueil croît, dans le J uif charnel, en proportion de l'étroitesse du cœur et des pensées. Il ne rêve plus qu'un Messie conquérant ; et ce Messie dont ses victimes lui prédisent sans cesse les divins caractères, il le reniera, parce qu'il leur sera trop semblable en effet dans la souffrance et la douceur.

Se tournant donc vers les nations qui, moins privilégiées qu'Israël, ont cependant conservé l'attente du Sauveur et le reconnaîtront avec amour, le dernier des Prophètes, Malachie, proclame au nom du ciel l'abrogation définitive de ce culte incompris, et son remplacement par le divin Mémorial qui, le même en tous lieux, réunira tous les peuples dans la puissante participation du grand Sacrifice. « Ma volonté n'est plus en vous, dit le Seigneur des armées ;

 

1. Psalm. XLIX, 7-14. 23. — 2. Act. VII, 51. — 3. ISAI. I, 11-13.

 

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je ne recevrai point vos présents. Car du lever du soleil à son couchant, mon Nom est grand chez les nations, et en tout lieu s'offre à mon Nom le sacrifice d'une oblation pure (1). »

Les temps sont accomplis. Maintenant donc, ô nations, bénissez le Seigneur (2). Trop longtemps, la vie n'a été pour vous que le songe creux d'une vision nocturne. Vous aviez faim du fruit de vie ; vous aviez soif de l'eau jaillissante. Mais comme l'affamé qui rêve, en dormant, d'un festin copieux, et n'arrive point à satisfaire la faim qui le dévore ; comme l'homme altéré qui boit en songe, et retrouve au réveil sa soif brûlante et le vide de son âme : ainsi étaient vos multitudes égarées (3). Mais voici que l'étendard de Jessé paraît enfin sur la montagne, et vient rallier les peuples. Gentils, étrangers autrefois, repaissez-vous en vos déserts devenus fertiles(4). L'eau du rocher déborde en vos terres arides. La gloire du Liban, la beauté du Carmel et de Saron couronnent vos montagnes et décorent vos plaines désolées ; la solitude tressaille et fleurit comme le lis, elle pousse et germe de toutes parts (5). La pluie ne manquera plus à vos semences ; délicieux va devenir le pain fourni par vos moissons (6). Le laboureur en effet labourera-t-il toujours ? Ne doit-il pas semer enfin ? Travaillera-t-il sans cesse à fendre et à sarcler sa terre ? Non sans doute; et le temps en est venu: lorsqu'elle est aplanie et broyée, il y jette la semence et distribue le froment dans les sillons. Or, c'est ici la conduite du Seigneur Dieu des armées sur les nations : conduite merveilleuse,

 

1. Malach. I, 10-11. — 2. Psalm. LXV, 8. — 3. ISAI. XXIX, 7, 8. — 4. Ibid. V, 17. — 5. Ibid. XXXV, 1-7. — 6. Ibid. XXX, 23.

 

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exaltant à la fois et la stabilité de ses divins conseils, et l'infinie magnificence de ses justices (1).

Non ; l'éternelle Sagesse n'avait point abandonné ses ineffables projets d'amour. Elle marchait avec le genre humain dans l'épreuve. Mais elle se devait à elle-même d'éprouver en effet l'homme coupable, de lui faire sentir, avant de l'en relever, la profondeur de sa chute. C'est pour cela qu'elle laisse fondre sur lui la nuit, la fraveur et l'angoisse ; elle-même l'exerce dans la souffrance, jusqu'à ce que, l'ayant amené à sonder l'abîme effrayant de sa misère native, elle puisse se confier derechef à son âme humiliée. Alors elle le redresse par le repentir, l'affermit dans l'espérance, et, revenant à lui toute joyeuse, lui découvre à nouveau sa ravissante beauté et entasse en lui les trésors de son amour (2).

En ce jour du samedi, saluons Marie devenue pour les nations le Siège de la Sagesse. C'est en son sein qu'a lieu la bénie rencontre, objet de l'attente des siècles. Son sang très pur a fourni la substance de ce corps sans tache, dans la splendeur duquel le plus beau des fils des hommes conclut l'indissoluble alliance de notre nature avec la Sagesse éternelle; et son âme ravie contemple l'ineffable mystère des noces divines accomplies dans ses chastes entrailles. Marie, jardin fermé, où, plus délicieusement qu'aux premiers jours dans l'orbe des cieux, la Sagesse se joue dans la lumière et l'amour; lit fleuri du Cantique (3), embaumé par l'Esprit des parfums les plus suaves ; tabernacle auguste de la Vierge-Mère, plus saint mille fois

 

1. ISAI. XXVIII, 24-29 — 2. Eccli. IV, 18-21. — 3. Cant. I, 15.

 

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que celui de Moïse ! C'est là, sous le voile immaculé de cette chair virginale, que, par l'ineffable embrassement des deux natures en l'unité du Fils unique, l'Esprit-Saint verse à flots l'onction qui fait à la fois l'Epoux et le Pontife à jamais selon l'Ordre de Melchisédech.

Que l'homme donc respire enfin : déjà le pain du ciel, le pain de l'alliance, est descendu en terre ; et si neuf mois nous séparent encore de la nuit fortunée qui doit le produire aux yeux de tous en Bethléhem, déjà le Pontife est à l'œuvre en son temple saint. « Vous n'avez point voulu des victimes et des oblations, dit-il au Père; mais vous m'avez formé un corps. Les holocaustes et les sacrifices pour le péché n'ont point su vous plaire. Alors j'ai dit : Voici que je viens, selon qu'il est écrit de moi en tête du Livre, pour faire, ô Dieu, votre volonté (1). »

 

1. Heb. X, 5-7.

 

Continuons de citer, en abrégeant, la Préface grandiose qui nous est fournie par la Liturgie du Livre VIIIe des Constitutions apostoliques.

 

CONSTITUTIO JACOBI.

 

Et non seulement, ô Dieu, vous avez usé de miséricorde envers l'homme tombé, après l'avoir châtié dans votre justice; mais ainsi encore, des fils sans nombre qu'il dut à votre bénédiction fécondante, vous avez glorifié les fidèles et puni les révoltés, recevant le sacrifice d'Abel innocent, rejetant les dons de Caïn l'impie fratricide.

 

Car vous êtes l'ouvrier du genre humain, le principe de la vie, la source des biens, l'auteur des lois, récompensant les soumis, terrible aux transgresseurs. Contre la multitude des impies vous lançâtes le déluge sur le monde, sauvant dans l'arche Noé le juste et huit âmes vivantes : fin du passé, point de départ de l'avenir. Embrassant du l'eu terrible les cinq villes coupables, vous délivrâtes de 1 incendie Loth innocent.

C'est vous qui, délivrant Abraham de l'erreur de ses pères, l'avez fait héritier du monde et lui avez montré votre Christ. Vous avez désigné Melchisédech comme pontife du culte divin. Vous avez fait d'Isaac le fils de la promesse. Vous avez conduit Jacob en Egypte.

 

Vous souvenant, Seigneur, des promesses faites à leurs pères, vous n'avez point abandonné les Hébreux sous le joug égyptien. Et lorsque les hommes, corrompant la loi naturelle, regardaient la création comme le produit du hasard, ou l'honoraient plus qu'il ne convient, vous n'avez point permis qu'ils fussent entraînés par l'erreur; mais, leur envoyant votre serviteur Moïse, vous avez donné par lui la loi écrite en aide à celle de nature ; vous avez montré que les créatures étaient votre ouvrage, et convaincu le polythéisme d'erreur.

 

Vous avez décoré de la dignité sacerdotale Aaron et ses descendants. Vous châtiiez les Hébreux coupables, et receviez leur repentir. Vous tiriez par dix plaies vengeance de l'Egypte ; vous divisiez la mer pour le passage des Israélites et engloutissiez les Egyptiens sous les flots. Vous adoucissiez par le bois l'eau arrière, et faisiez couler l'eau du rocher ; vous faisiez pleuvoir du ciel la manne, et leur ameniez par les airs des cailles pour nourriture ; vous les éclairiez la nuit par une colonne de feu, et les protégiez durant le jour contre la chaleur sous une colonne de nuée. Par Josué, qu'ils reçurent de vous pour chef, vous avez détruit sept nations, divisé le Jourdain, desséché les fleuves impétueux et renversé sans machines de guerre les remparts des cités.

 

Pour toutes ces choses gloire à vous, Seigneur tout-puissant.

 

Vous êtes adoré par les innombrables légions des Anges, des Archanges, des Trônes, des Dominations, des Principautés, des Puissances, des Vertus ; les Chérubins aussi vous adorent ; de même les Séraphins aux six ailes, de deux voilant leurs pieds, de deux voilant leurs têtes, et volant des deux autres. Sans cesse, avec les milliers nombreux des Archanges et les myriades sans fin des Anges, ils disent et proclament d'une voix éclatante et qui ne s'arrête jamais :

 

Saint, Saint, Saint le Seigneur des armées : les cieux et la terre sont remplis de sa gloire : béni soit-il dans les siècles ! Amen.

 

Empruntons comme hier au Missel ambrosien quelques-unes de ses Antiennes de Communion au Temps après la Pentecôte. La première est celle-là même de la fête du Corps du Seigneur.

 

TRANSITORIUM.

 

Nous vous louons, Seigneur, Tout-puissant , qui êtes assis sur les Chérubins et les Séraphins, que bénissent les Anges et les Archanges, que louent les Prophètes et les Apôtres. Nous vous louons dans la prière, Seigneur qui êtes venu dénouer les liens de nos péchés. Nous vous prions, grand Rédempteur envoyé par le Père comme Pasteur des brebis. Vous êtes le Christ Seigneur et Sauveur, qui êtes né de la Vierge Marie. Nous qui prenons ce Calice très saint, gardez-nous toujours de toute faute.

 

Recevez avec crainte le Sacrement des cieux, rassasiez-vous de la douceur du Christ. Le Seigneur nous a donné le Pain du ciel; l'homme a mangé le Pain des Anges. Alleluia, alleluia.

 

Aimons-nous mutuellement; car Dieu est amour. Celui qui aime son frère est né de Dieu, et il voit Dieu ; et la charité de Dieu est parfaite en lui. Or celui qui fait la volonté de Dieu demeure à jamais.

 

Approchez de l'Autel de Dieu ; purifiez vos cœurs, et soyez remplis de l'Esprit-Saint , pour recevoir le Corps et le Sang du Christ en rémission des péchés.

 

Seigneur, ô Père, donnez la paix aux Prêtres et aux Lévites qui rompent le Corps du Seigneur; donnez la paix à nos Rois et leur peuple recevant le Corps du Seigneur. Alleluia, alleluia, alleluia.

 

Rassemblés tous par le parfum du Christ, venez : rassasiez-vous de sa douceur.

 

Nous terminerons aujourd'hui nos emprunts à l'Office de la Bienheureuse Julienne par l'Hymne  suivante, assignée pour l'Office des Complies dans les anciens livres de l'Eglise Saint-Martin-au-Mont.

 

HYMNE.

 

Le Christ est vraiment notre nourriture , il est vraiment notre breuvage ; sa chair est pour nous un aliment réel, et son sang nous abreuve en vérité.

 

C'est sa vraie chair que nous recevons, cette chair qu'il a prise de la Vierge ; c'est son vrai sang que nous buvons, ce sang qu'il a versé pour l'homme.

 

Dans ce festin, c'est du Verbe fait chair que nous sommes nourris, du Verbe sur qui repose le culte de Dieu, du Verbe qui nous ouvre le ciel.

 

Ce pain renferme la plénitude de la douceur et de la grâce; c'est le Roi de l'éternelle gloire, celui que la Vierge porta dans son sein.

 

Engraissons-nous de la substance de ce pain angélique ; délectons-nous dans la douceur de ce miséricordieux viatique.

 

O festin céleste, ô gloire des rachetés, ô repos des cœurs humbles , conduis-nous aux joies éternelles.

 

Daigne, ô Père, par ton Fils, par ton Esprit puissant, conduire à la fin bienheureuse ceux auxquels ici-bas tu donnes un tel aliment.

 

Amen.

 

 

 

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