LUNDI OCTAVE

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VENDREDI OCTAVE
III° DIMANCHE

LE LUNDI DANS L'OCTAVE DU SAINT-SACREMENT

 

Christum regem adoremus dominantem gentibus, qui se manducantibus dat spiritus pinguedinem.

Adorons le Christ roi Seigneur des nations, engraissant l'âme de qui le prend en nourriture.

 

« Le Seigneur l'a juré, et son serment sera sans repentir : Vous êtes Prêtre pour jamais selon l'Ordre de Melchisédech (1). » Ainsi chantaient au Messie attendu les fils de Lévi, dans le plus beau de leurs psaumes. Famille auguste et privilégiée, couronne de frères (2) rangée dans sa gloire autour de l'autel d'où s'élevait tout le jour la fumée des victimes, ils célébraient sur la harpe sacrée le sacerdoce des biens à venir, et proclamaient leur future déchéance. Ombre et figure, leur sacerdoce devait s'évanouir à la clarté des divines réalités du Calvaire. Ils avaient dû à l'égarement des nations d'être appelés à maintenir la religion du vrai Dieu dans son temple unique ; mais ce précaire honneur allait finir au temps de la réconciliation du monde. Fils de Juda par David, le Christ Pontife ne tient rien d'Aaron ; c'est par delà Moïse, avant la naissance des douze Patriarches et d'Israël leur père, que le chantre inspiré,

 

1. Psalm. CIX, 4. — 2. Eccli. L., 13.

 

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remontant les âges, salue le type d'un sacerdoce que ne limiteront plus l'espace ou la durée. Melchisédech reçoit dans Abraham les hommages de Lévi son fils ; le dépositaire de la promesse est béni par ce chef de nations incirconcises ; et cette bénédiction puissante, qui s'étend à la race entière du patriarche, tire sa vertu d'un sacrifice mystérieux : l'offrande pacifique du pain et du vin au Dieu Très-Haut (1).

Le sacerdoce du Roi de justice et de paix, qui précède en dignité comme par le temps celui d'Aaron, doit aussi lui survivre. C'est à l'heure même où Dieu, faisant alliance avec une famille séparée, semblait abandonner les nations et se disposait à constituer l'Ordre lévitique en dehors d'elles, que le roi-pontife de Salem, sans commencement ni fin marqués dans l'Ecriture (2), apparaît subitement comme la plus imposante image du Pontife éternel offrant le divin mémorial qui doit perpétuer sur terre le grand Sacrifice, et remplacer à jamais les immolations sanglantes du mosaïsme.

 

Le Sacrifice de la Croix domine les siècles et remplit l'éternité. Un seul jour néanmoins le vit offrir dans la série des âges, comme un seul lieu dans l'espace. Et toutefois en aucun lieu, en aucun temps, l'homme ne peut se passer du Sacrifice accompli sans cesse, renouvelé sans fin sous ses yeux; car, nous l'avons vu, le Sacrifice est le centre nécessaire de toute religion, et l'homme ne peut se passer de la religion qui le rattache à Dieu comme Seigneur suprême, et forme le premier des liens sociaux. De même donc que, pour répondre

 

1. Gen. XIV, 18-20. — 2. Heb. VII, 3

 

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à cette impérieuse nécessité dès l'origine, la Sagesse établit ces offrandes figuratives qui annonçaient Tunique Sacrifice et tiraient de lui leur valeur ; de même, l'oblation de la grande Victime une fois accomplie, doit-elle subvenir encore aux besoins des nations et pourvoir le monde d'un Sacrifice permanent : mémorial et non plus figure, vrai Sacrifice, qui, sans détruire l'unité de celui de la Croix, applique ses fruits chaque jour aux membres nouveaux des générations à venir.

Nous ne raconterons point ici la Cène du Seigneur et l'institution du nouveau sacerdoce, qui s'élève d'autant au-dessus de l'ancien que les promesses sur lesquelles il repose sont elles-mêmes plus élevées, et plus auguste l'alliance dont il forme la base (1). Le Jeudi saint nous a dit les détails de cette histoire d'amour. C'est alors qu'au terme enfin de ses aspirations éternelles, quum facta esset hora (2), à cette heure tant différée, la Sagesse s'assied au banquet de l'alliance avec ces douze hommes représentants de l'humanité tout entière. Fermant le cycle des figures dans une dernière immolation de l'Agneau pascal : « J'ai désiré d'un immense désir manger cette Pâque avec vous (3) », s'écrie-t-elle en l'Homme-Dieu, comme soulageant son cœur en ce moment suprême des longues vicissitudes qu'a subies son amour. Et soudain, prévenant les Juifs, elle immole sa victime, l'Agneau divin signifié par Abel, prédit par Isaïe, montré par Jean le Précurseur (4). Et, par une anticipation merveilleuse, déjà bouillonne dans la coupe sacrée le sang qui

 

1. Heb. VII, 19-22; VIII 6. — 2. LUC. XXII, 14. — 3. Ibid. 15. — 4. Greg. Moral, XXIX, 31.

 

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bientôt coulera sur le Calvaire ; déjà sa main divine présente aux disciples le pain changé au corps devenu la rançon du monde : « Mangez, buvez-en tous ; et, de même que pour vous en ce moment j'ai prévenu ma mort, quand j'aurai disparu de ce monde, faites ceci en mémoire de moi (1). »

L'alliance désormais est fondée. Scellé comme l'ancien dans le sang, le Testament nouveau se déclare ; et s'il ne vaut dès lors qu'en prévision de la mort réelle du testateur (2), c'est que le Christ, victime dévouée pour tous à la vengeance souveraine, est convenu, dans un pacte sublime avec le Père (3), de n'attacher la rédemption universelle qu'au drame terrible du lendemain. Chef de l'humanité coupable, et responsable à Dieu des crimes de sa race, il veut, pour détruire le péché, se conformer aux lois sévères de l'expiation, et manifester à la face du monde en ses tourments les droits de la justice éternelle (4). Mais déjà la terre est en possession du calice qui doit proclamer la mort du Seigneur jusqu'à ce qu'il vienne (5), en communiquant (6) à chaque membre du genre humain le vrai sang du Christ répandu pour ses péchés (7).

Et certes il convenait que de lui-même, et loin de tout cet appareil de violence extérieure qui devait bientôt donner le change aux disciples, notre Pontife adoré s'offrît au Père en un vrai Sacrifice, afin de manifester clairement la spontanéité de sa mort (8) , et d'écarter la pensée que la trahison, la violence ou l'iniquité de quelques

 

1. I Cor. XI, 24, 25. — 2. Heb. IX, 16-18. — 3. Ibid. XII, 2. — 4. Rom. III, 25, 26. — 5. I Cor. XI, 26. — 6. Ibid. X, 16. — 7. LUC. XXII, 20. — 8. JOHAN. X, 18.

 

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hommes pussent être le principe et la cause du salut commun (1).

C'est pourquoi, élevant les yeux vers son Père (2) et rendant grâces, il dit au présent, d'après la force du texte grec : « Ceci est mon corps livré pour vous; ceci est mon sang versé pour vous (3). » Ces paroles, qu'il lègue avec leur puissance aux dépositaires de son sacerdoce, opèrent en effet ce qu'elles signifient. Non seulement elles transforment le pain et le vin au corps et au sang du Christ; maisencore, glaive redoutable, elles vont à isoler efficacement sous la double espèce le corps et le sang du Seigneur: d'elles-mêmes, elles divisent, elles livrent séparément à la justice du Père et dans un véritable état d'immolation ce corps et ce sang précieux, qui ne demeurent unis que par la toute-puissante volonté de la Majesté souveraine amplement et pour jamais satisfaite au Calvaire.

Chaque fois donc que sur le pain de froment et le vin de la vigne tomberont, d'une bouche autorisée, ces paroles comparables à celles qui tirèrent du néant l'univers, quelle que soit dans l'espace ou le temps la distance qui sépare le monde de la Croix, la terre se retrouvera en possession de l'auguste Victime. Une à la Cène et sur la Croix, elle demeure une dans l'oblation faite au Père, en tous lieux, par l'unique Pontife empruntant et faisant siennes les mains et la voix des prêtres choisis dans l'Esprit-Saint pour ce redoutable ministère

 

Qu'ils seront grands ces hommes tirés par

 

1. Greg. Nyss. Orat. I, in Chr. resurr. — 2. Canon. Miss. — 3. LUC. XXII, 19, 20.

 

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l'imposition des mains du milieu de leurs frères ! Nouveaux Christs identifiés au Fils de la Vierge très pure, ils seront les privilégiés de la divine Sagesse, étroitement unis dans l'amour à sa puissance, associés comme Jésus lui-même au grand œuvre qu'elle poursuit dans les siècles : l'immolation de la grande Victime, et le mélange du calice (1) où l'humanité, fondue avec son Chef en un même sacrifice, vient en même temps puiser l'amont et s'unir intimement à sa divinité.

Louange et gloire à Jésus, le Pontife suprême, en ces nobles fils de la race humaine, étonnement du ciel, orgueil de la terre ! Entouré d'eux comme le palmier de ses palmes de victoire, comme le cèdre de son incorruptible ramure (2), il s'avance, pareil encore à l'olivier poussant ses rejetons d'où noblesse, force et sainteté découlent à l'envi (3). La tige du cyprès élevant dans les airs la forêt de ses rameaux toujours verdoyants (4) disparaît sous leur épais ombrage : ainsi, voilant son action directe, et s'effaçant derrière les fils nombreux qui tirent de lui leur puissance et leur sève, le véritable Aaron les ramène tous à l'unité sur sa tige bénie.

Nuit fortunée, festin céleste, où, l'heure venue pour lui de glorifier son Père (5), et sur le point de franchir les degrés sanglants de cet autel de la Croix où doit se consommer la gloire souveraine (6), il fait dès maintenant briller aux yeux les rayons de son sacerdoce ! Sous les traits de Simon fils d'Onias posant les fondements du temple et délivrant son peuple de la mort (7), c'est Jésus que

 

1. Prov. IX, 2. — 2. Eccli. L, 13, 14. — 3. Ibid. 11. — 4. Ibid. — 5. JOHAN. XVII, 1. — 6. Eccli L, 11, 12. — 7. Ibid. 1-5.

 

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célébrait l'Esprit divin dans le chant sublime qui couronne le dernier des Livres consacrés à la Sagesse éternelle. Aux mains si débiles encore de ceux qu'il daigne appeler ses amis (1) et ses frères (2), le Christ confie l'oblation qui doit amplifier, en l'immortalisant, son Sacrifice au Roi des siècles. Sa noble main s'est étendue, offrant en libation du sang des raisins ; il le répand à la base de l'autel qui déjà s'élève, et l'odeur divine en est montée jusqu'au Prince Très-Haut. En ce moment, du Cénacle même, il a entendu dans l'avenir les chants de triomphe exaltant le divin mémorial, et la psalmodie sacrée remplissant la grande maison, l'Eglise, autour de lui d'une incessante et suave harmonie ; il a vu les peuples prosternés dans l'adoration du Seigneur leur Dieu en sa présence, et rendant au Tout-Puissant leur hommage devenu parfait désormais. Alors il s'est levé de la table du festin ; il est sorti dans sa force et dans son amour (3), pour étendre ses mains tout le jour en face de l'assemblée incrédule et ennemie des enfants d'Israël (4); il a renouvelé son oblation, consommé dans le sang son Sacrifice, voulant manifester par la Croix la vertu de Dieu (5).

 

« Sacrifice du soir, dit saint Augustin, la Passion du Christ est devenue dans la Résurrection l'offrande du matin (6). » Déjà, sous la Loi, cette transformation du grand Sacrifice était mystérieusement annoncée par l'offrande solennelle de la gerbe des prémices, au troisième jour après l'immolation de l'Agneau pascal (7). Mais le temps

 

1. JOHAN. XV, 15. — 2. Ibid. XX, 17. — 3. Ibid. XIV, 31. — 4. ISAI. LXV, 2. — 5. Eccli. L, 15-23. — 6. In Psalm. CXL. — 7. Levit. XXIII, 10, 11.

 

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d'offrir le pain lui-même, le vrai froment des âmes, n'était pas venu encore, et la Loi ajoutait : « Vous compterez, depuis le jour où vous aurez offert la gerbe des prémices, sept semaines entières et le jour qui suivra, c'est-à-dire cinquante jours ; et alors vous offrirez au Seigneur un Sacrifice nouveau : des pains de froment de pure farine, qui seront les prémices du Seigneur (1). »

Cinquante jours en effet séparaient le monde de l'ouvrier divin qui pouvait seul transformer ces dons. Mais la glorieuse Pentecôte s'est levée enfin sous le souffle impétueux de l'Esprit créateur : la chair du Verbe, le sang divin qu'il a formés à l'origine, restés son domaine, attendaient, pour se reproduire dans les Mystères sacrés, l'opération incommunicable de celui dont ils sont le chef-d'œuvre glorieux. C'est de l'Esprit, feu éternel, que Marie a conçu (2), dit Rupert; c'est par lui que Jésus s'est offert, hostie vivante, au Dieu vivant (3) ; c'est du même feu qu'il brûle sur l'autel, car c'est par l'opération du Saint-Esprit que le pain se transforme en son corps (4). »

Aussi le disciple sublime du grand Apôtre, Denys l'Aréopagite, nous apprend-il (5) que Jésus, l'hiérarque suprême, lorsqu'il appela ses disciples en partage de son pontificat souverain, bien qu'étant Dieu il fût l'auteur de toute consécration, renvoya cependant à l'Esprit divin la consommation de leur sacerdoce. C'est pourquoi, montant au ciel, il leur recommande de ne point quitter Jérusalem, mais d'y attendre la promesse du Père,

 

1. Levit. XXIII, 15-17. —2. MATTH. I, 18, 20. — 3. Heb. IX, 14. — 4. Rup. in Exod. Lib. II, c. 10. — 5. De Eccl. hier. C. V, 3, § V.

 

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à savoir le baptême de l'Esprit qu'ils devaient recevoir sous peu de jours (1).

« Le Prêtre paraît, dit saint Jean Chrysostome, portant, non plus le feu comme sous la Loi, mais l'Esprit-Saint (2). C'est un homme qui parle, mais Dieu qui opère (3). »

« Comment cela se fera t-il ? » demande à l'Ange la Vierge-Mère; a car je ne connais point d'homme. » Et Gabriel répond : « L'Esprit-Saint surviendra en vous, et la vertu du Très-Haut vous couvrira de son ombre (4). » — Et maintenant tu me demandes, dit saint Jean Damascène : Comment le pain, comment le vin et l'eau deviennent-ils le corps et le sang du Christ ? Je te réponds moi aussi : L'Esprit-Saint couvre de son ombre l'Eglise et ses dons, et il opère ce Mystère au-dessus de la parole et de toute pensée (5). »

C'est pourquoi l'Eglise, conclut saint Fulgence, ne saurait mieux implorer la venue de l'Esprit divin qu'au temps de la célébration des Mystères. Car, explique-t-il, de même que, sous l'ombre de l'Esprit, dans le sein virginal, la Sagesse du Père s'unit à l'homme choisi par elle en un divin mariage, l'Eglise, dans le Sacrifice, adhère elle-même au Christ par l'Esprit-Saint comme l'épouse à son époux et le corps à son chef (6). » Aussi l'heure de Tierce, heure de l'arrivée en ce monde du divin Paraclet, est-elle désignée par l'Eglise, en chacune de ses fêtes, pour l'oblation solennelle du grand Sacrifice auquel il préside dans la toute-puissance de son opération.

Heure bénie du Sacrifice, où l'exil paraît moins

 

1. Act. I, 4. 5. — 2. De Sacerd. Lib. III, c. 4. — 3. Homil. de proditione Judae, 6. — 4. LUC. I, 34, 35. — 5. De fid. orthod. Lib. IV, c. 13. — 6. Ad Monim. Lib. II, c. 9, 10, 11.

 

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lourd à l'Epouse du Christ ! sur terre encore, elle honore Dieu d'un digne hommage, et voit affluer en son sein les trésors du ciel. Car la Messe en ce sens est son bien, sa dot d'Epouse; c'est à elle qu'il appartient d'en régler l'oblation, d'en p; cci-ser les formules et les rites, d'en percevoir les fruits. Le Prêtre est son ministre : elle prie; il immole la Victime, et donne à sa prière une puissance infinie. Le caractère éternel du sacerdoce, imprimé par Dieu même au front du Prêtre, le rend seul dépositaire du pouvoir divin et place au-dessus de toute force humaine la validité du Sacrifice offert par ses mains ; mais il ne peut accomplir légitimement cette oblation que dans l'Eglise et avec elle.

Cette mutuelle dépendance, union sans confusion du Prêtre et de l'Eglise dans les sacrés Mystères, avait frappé les premiers chrétiens. Le cimetière de Calliste, point central des catacombes romaines au III° siècle de notre ère, en garde encore sur ses parois la démonstration touchante. Près des tombes consacrées à la sépulture des Evêques de l'Eglise-mère, un ensemble de peintures, remontant à l'origine de la catacombe, rappelait symboliquement aux initiés le dogme eucharistique établi par Jésus comme base de la religion dont ses Pontifes avaient été, pendant leur vie, les gardiens fidèles. Le repas des sept disciples, auxquels Jésus lui-même a préparé pendant la pèche mystérieuse le pain et le poisson rôtis sur les charbons (1), occupe dans une des salles le milieu de la muraille faisant face à la porte d'entrée. Deux sujets moins étendus accompagnent de chaque côté cette peinture centrale : c'est, d'une part,

 

1 . JOHAN. XXI, 9.

 

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le Sacrifice d'Abraham à la signification bien connue; de l'autre, on voit une scène qui ne rappelle rien d'historique, mais dont la composition, en relation évidente avec le sujet en regard, représente le Sacrifice des chrétiens dans un symbolisme d'autant plus profond, qu'il dérobe plus soigneusement aux profanes le secret des Mystères. Sur une table est un pain dont le poisson, l’ichthus eucharistique, placé tout auprès, indique la vraie nature ; à droite du spectateur, une femme, debout et les bras étendus en orante, adresse au ciel de ferventes supplications : tandis qu'à gauche, couvert du simple pallium, vêtement habituel du clergé chrétien au second siècle, un homme plus jeune étend les mains avec autorité sur la table et ses dons. Qui ne reconnaîtrait l'Eglise, unie, dans la consécration, au Prêtre son minisire et son fils (1) ?

 

Avec quelle fidélité cette reine en deuil de l'Epoux observe le Testament qui lui légua dans le Sacrifice l'éternelle et vivante mémoire de sa mort, à la dernière Cène ! S'il se donne à elle tout entier dans le Mystère d'amour, l'état d'immolation où il se présente à ses yeux l'avertit qu'elle doit moins songer à jouir de sa douce présence, qu'à parfaire et continuer son œuvre en s'immolant avec lui. Sous l'autel, son lit nuptial, la femme forte (2) a placé les Martyrs : elle sait que la Passion du Christ appelle un complément dans ses membres (3). Née sur la Croix de son côté ouvert, elle l'a épousé dans la mort; et cette première étreinte qui, dès sa naissance, mit dans ses bras le corps sanglant de son Epoux, a fait passer dans l'âme de la

 

1. De Rossi, Rom. sott. II.—2. Prov. XXXI, 10.—3. Col. I, 24.

 

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nouvelle Eve l'ivresse de dévouement et d'amour au sein de laquelle l'Adam céleste s'endormit au Calvaire.

Mère des vivants, l'immense famille humaine afflue vers elle avec ses misères de tout genre et ses besoins sans nombre. L'Eglise saura faire valoir le talent qui lui a été confié : la Messe répond à tous les besoins; l'Kglise suffit par elle à ses devoirs d'Epouse et de Mère. S'identifiant toujours plus chaque jour à la Victime universelle qui la revêt de son infinie dignité, elle adore la Majesté souveraine et lui rend grâces, implore le pardon des fautes anciennes et nouvelles de ses enfants, et demande pour eux les biens du temps et de l'éternité. De son autel, le sang divin rejaillit sur les âmes souffrantes, tempère la flamme expiatrice, et les conduit au lieu de rafraîchissement, de lumière et de paix (1).

Telle est la vertu merveilleuse du Sacrifice offert dans l'Eglise, que ces quatre fins dont la poursuite résume la religion entière : adoration, action de grâces, propitiation, impétration ; il les atteint de lui-même et, quanta l'effet principal, indépendamment des dispositions du Prêtre ou de ceux qui l'entourent. Car c'est l'hostie qui en fait la valeur ;et l'hostie sur l'autel est la même qu'au Calvaire, hostie divine égale au Père, s'offrant elle-même comme sur la Croix à ces mêmes fins dans une seule oblation.

Le Créateur de l'espace et du temps n'est point leur esclave, et il le montre en ce mystère : « De même qu'offert en plusieurs lieux, c'est un même corps et non plusieurs, dit saint Jean Chrysostome ;

 

1. Can. Miss.

 

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ainsi en est-il de l'unité du Sacrifice aux divers âges (1). » De l'autel à la Croix le mode seul est distinct. Sanglante sur la Croix, non sanglante à l'autel, l'oblation demeure une (2) en face de cette diversité dans l'application. L'immolation de l'auguste Victime apparut sur la Croix dans sa sublime horreur ; mais la violence des bourreaux voilait aux regards le Sacrifice offert à Dieu par le Verbe incarné dans la spontanéité de son amour. L'immolation se dérobe aux yeux à l'autel ; mais la religion du Sacrifice s'y révèle au grand jour, et s'y déploie dans sa splendeur. Le sang divin laissa sur la terre qui but ses flots au grand Vendredi la malédiction du déicide ; le calice de salut que l'Eglise tient en ses mains porte avec lui la bénédiction du monde.

O glorieuse condition de notre terre , d'où l'Agneau immolé, qui déjà reçoit sur le trône de Dieu les hommages dus à son triomphe (3), présente chaque jour au Père, en ses abaissements infinis, satisfaction entière pour les crimes du monde et gloire égale à sa Majesté sainte ! Les Anges admirent l'honneur de cet humble globe perdu dans l'espace au milieu des sphères brillantes des cieux, et tant aimé dès le commencement par l'éternelle Sagesse ; ils entourent tremblants cet autel de la terre en relation si intime avec celui du ciel, qu'un même Pontife y rend hommage au même Dieu dans une même offrande infinie. L'Enfer en frémit dans ses abîmes ; et sa rage contre Dieu, sa vengeance contre l'homme n'a pas d'objet plus en horreur. Combien d'efforts jamais lassés, combien d'essais toujours plus

 

1. In ep. ad Heb. Hom. 17. — 2. Heb. X, 14. — 3. Apoc. V, 6, 1 2.

 

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habiles, pour faire cesser sur terre ce Sacrifice odieux ! jusqu'à ce qu'enfin, au cœur même de la chrétienté, l'hérésie protestante renversât tant d'autels; jusqu'à cette révolution, gagnant toujours plus chaque jour, et dont le but avoué est de fermer les temples et de disperser les sacrificateurs !

Mais aussi le monde, qui autrefois se relevait après les tempêtes, se plaint d'une décadence universelle, où la force n'est plus qu'aux fléaux de Dieu. Il s'agite en vain sur lui même, sentant céder sous lui, à chaque pas, les bras de chair qui s'offrent à porter sa décrépitude. Le sang de l'Agneau, sa force antique, ne coule plus sur terre avec la même abondance. Et cependant le monde tient encore ; il tient par ce même Sacrifice qui, bien que méconnu et diminué, s'offre toujours en un grand nombre de lieux ; il tiendra jusqu'à ce qu'enfin, dans un dernier accès de démence furieuse, il ait égorgé le dernier des Prêtres et fait cesser ici-bas le Sacrifice éternel (1).

 

1. Dan. X, 311.

 

La formule mozarabe que voici résume admirablement quelques-unes des considérations oui précèdent.

 

POST NOMINA. (In Nativitate D. N. J.-Christi.)

 

Dans notre faiblesse et dignité, nous, vos prêtres et serviteurs, immolons à votre redoutable Majesté des victimes spirituelles; nous vous offrons, ô Dieu, l'hostie immaculée que le sein d'une mère a produite dans sa virginité inviolée, que la pudeur a conçue, la sainteté engendrée, l'intégrité mise au monde. Immolée, cette hostie vit toujours ; et vivante, elle est continuellement immolée : hostie qui seule peut plaire à Dieu, car elle est le Seigneur. Nous vous l'offrons, Père souverain, pour votre sainte Eglise, pour l'expiation des crimes du monde, pour la purification de nos âmes, pour la santé de tous les malades, pour le repos et le pardon des fidèles défunts : échangeant pour mieux leurs tristes demeures, qu'ils jouissent de la bienheureuse société des justes.

 

L'incommensurable portée du Sacrifice eucharistique, sa puissance universelle , apparaîtront dans ces belles prières, qui font suite à celles que nous avons déjà empruntées des Constitutions apostoliques.

 

CONSTITUTIO JACOBI.

 

Nous vous prions de regarder ces dons favorable- . ment, ô Dieu qui n'avez besoin d'aucune chose ; complaisez-vous en eux pour lhonneur de votre Christ ; envoyez sur ce Sacrifice votre Saint-Esprit, le témoin des souffrances du Seigneur Jésus : afin que ceux qui participeront à la victime soient affermis dans l'amour, absous des péchés, délivrés du diable et de ses mensonges, remplis du Saint-Esprit, rendus dignes de votre Christ, et qu'ils obtiennent la vie éternelle parleur réconciliation avec vous, Seigneur tout-puissant.

 

Nous vous prions encore, Seigneur, pour votre sainte Eglise qui s'étend d'un pôle à l'autre, que vous avez acquise par le sang précieux de votre Christ : gardez-la inébranlable et sans orage jusqu'à la consommation du siècle; de même pour tout l'épiscopat administrant et distribuant comme il convient la parole de vérité, pour tout le presbyterium, pour les diacres et tous les clercs : afin que vous leur donniez à tous la Sagesse, et les remplissiez du Saint-Esprit.

 

Nous vous prions encore, Seigneur, pour le roi et ceux qui sont en dignité, pour toute l'armée, pour que soit dans la paix ce qui nous concerne : afin que passant notre vie entière dans le calme et la concorde, nous vous rendions gloire par Jésus-Christ notre espérance.

 

Nous vous offrons encore le Sacrifice au nom de tous les saints qui depuis le commencement vous furent agréables : patriarches, prophètes, justes, apôtres, martyrs, confesseurs, évoques, prêtres, diacres, sous-diacres, lecteurs, chantres, vierges, veuves, laïques; et de tous ceux dont vous savez les noms.

 

Nous vous l'offrons aussi pour ce peuple : afin que vous en fassiez le sacerdoce royal, la nation sainte, à la gloire de votre Christ : pour ceux qui vivent en virginité et chasteté, pour les veuves de l'Eglise, pour ceux qui vivent en un chaste mariage, pour les enfants de votre peuple : afin que vous n'ayez à rejeter personne d entre nous.

 

Nous vous supplions aussi pour cet e ville et ses habitants ; pour les malades, les esclaves, les exilés, les proscrits, les navigateurs et voyageurs : soyez leur secours, aide et défense.

 

Nous vous prions encore pour ceux qui nous haïssent et nous persécutent à cause de votre Nom, pour ceux du dehors et de l'erreur : amenez-les au bien, calmez leurs fureurs.

 

Nous vous prions encore pour les catéchumènes de l'Eglise, les possédés, les pénitents nos frères : rendez tes premiers parfaits dans la foi, délivrez tes seconds des attaques du mauvais, recevez la pénitence des troisièmes, et donnez à nous tous le pardon des péchés.

 

Nous vous offrons aussi pour l'équilibre des saisons et l'abondance des fruits de la terre : afin que,recevant constamment les dons de votre libéralité, nous vous louions sans cesse , vous qui donnez à toute chair sa nourriture.

 

Nous vous prions aussi pour les absents retenus par une cause légitime : afin que, gardés par vous dans la religion, vous nous rassembliez tous, fermes, sans reproche et sans faute, dans le royaume de votre Christ, le Dieu de toute nature tombant sous l'intelligence ou les sens, et notre roi.

 

A vous toute gloire, vénération, action de grâces, honneur, adoration : Père, Eils et Saint-Esprit, maintenant, et toujours, et dans les siècles des siècles éternels et sans fin.

 

Et tout le peuple doit répondre : Amen.

 

Nous emprunterons la Séquence qu'on va lire au Thesaurus Hymnologicus de Daniel. A la différence d'un assez grand nombre de pièces liturgiques composées comme elle sur le divin Sacrement, dans les XIV° et XV° siècles, on y retrouve encore quelque reste de l'inspiration des grands lyriques chrétiens des temps antérieurs.

 

 

DE S. SACRAMENTO. (Infra Septuagesimam et Quadragesimam.)

 

Des divins sommets, l'éternelle Sophia descend au sein de la Vierge : le guide désiré du voyageur apparaît sur la terre; il naît de Marie, revêtant l'être humain.

 

Noble Fils d'une noble Mère, venu au monde par un mode admirable, il ôte les crimes du monde, chasse la souffrance, donne la santé, marche en tête des siens dans sa puissance et met en fuite les bataillons ennemis.

 

Devenu passible en son merveilleux amour, on le condamne à la croix ; le souverain auteur de l'ancienne Loi reçoit pour nous des blessures cruelles.

 

Agneau élevé sur la croix et pour nous immolé, il devient l'hostie du salut : réparateur de notre vie, restaurateur des vertus, il ouvre les portes du ciel.

 

Il dicte d'abord, au grand souper, ses volontés sacrées, connaissant bien les prochains événements ; offrant du pain, il le bénit : « Ceci est mon corps, dit-il ; que ce soit mon souvenir. »

 

Le vin de la coupe qu'il présente est béni par le Fils de Dieu; et cette bénédiction en fait à l'heure même le Sang du Verbe incarné.

 

Dieu seul pénètre ces mystères ; il faut les croire, les vénérer, sans chercher à comprendre. Que seul, dans sa simplicité, le juste s'en approche : — mais toi, n'aie garde, homme faussé par le vice.

 

Crains, Judas, ta condamnation ; approche, Pierre, pour ton salut : c'est le mets des fidèles. A cette table s'arme le juste, tandis que, mis à nu, le coupable devient la proie des ennemis.

 

Ce sont là, Christ, vos merveilles : de la colère du jugement gardez qui s'en approche ; parez-nous de la robe de grâce, défendez nous du supplice. Réparateur du salut, rendez-nous dignes de cette nourriture, remède des cieux.

 

 

 

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