LE SAINT JOUR DE LA PENTECÔTE.
Venez , ô Esprit-Saint,
remplissez les cœurs de vos fidèles, et allumez en eux le feu de votre
amour.
Venez , ô Esprit-Saint,
remplissez les cœurs de vos fidèles, et allumez en eux le feu de votre
amour. |
Veni Sancte Spiritus, reple tuorum
corda fidelium, et tui amoris in eis ignem accende. |
La grande journée qui consomme l'œuvre divine sur la race
humaine a lui enfin sur le monde. « Les jours de la Pentecôte, comme parle
saint Luc, sont accomplis (1). » Depuis la Pâque, nous avons vu se dérouler
sept semaines ; voici le jour qui fait suite et amène le nombre mystérieux de
cinquante. Ce jour est le Dimanche, consacré par les augustes souvenirs de la
création de la lumière et de la résurrection du Christ ; son dernier caractère
lui va être imposé, et par lui nous allons recevoir « la plénitude de Dieu (2)
».
Sous le règne des figures, le
Seigneur marqua déjà la gloire future du cinquantième jour. Israël avait opéré,
sous les auspices de l'agneau de la Pâque, son passage à travers les eaux de la
mer Rouge. Sept semaines s'écoulèrent dans ce désert qui devait conduire à la
terre promise, et le jour qui suivit les sept semaines fut celui où l'alliance
fut scellée entre Dieu et son peuple. La Pentecôte (le cinquantième jour) fut
marquée par la
265
promulgation des dix préceptes de
la loi divine, et ce grand souvenir resta dans Israël avec la commémoration
annuelle d'un tel événement. Mais ainsi que la Pâque, la Pentecôte était
prophétique : il devait y avoir une seconde Pentecôte pour tous les peuples, de
même qu'une seconde Pâque pour le rachat du genre humain. Au Fils de Dieu,
vainqueur de la mort, la Pâque avec tous ses triomphes; à l'Esprit-Saint,
la Pentecôte, qui le voit entrer comme législateur dans le monde placé
désormais sous sa loi.
Mais quelle dissemblance entre
les deux Pentecôtes ! La première sur les rochers sauvages de l'Arabie, au
milieu des éclairs et des tonnerres, intimant une loi gravée sur des tables de
pierre ; la seconde en Jérusalem, sur laquelle la malédiction n'a pas éclaté
encore, parce qu'elle contient dans son sein jusqu'à cette heure les prémices
du peuple nouveau sur lequel doit s'exercer l'empire de l'Esprit d'amour. En
cette seconde Pentecôte, le ciel ne s'assombrit pas, on n'entend pas le
roulement de la foudre; les cœurs des hommes ne sont pas glacés d'effroi comme
autour du Sinaï ; ils battent sous l'impression du repentir et de la
reconnaissance. Un feu divin s'est emparé d'eux, et ce feu embrasera la terre
entière. Jésus avait dit : « Je suis venu apporter le feu sur la terre, « et
quel est mon vœu, sinon de le voir s'éprendre (1) ? » L'heure est venue, et celui
qui en Dieu est l'Amour, la flamme éternelle et incréée, descend du ciel pour
remplir l'intention miséricordieuse de l'Emmanuel.
En ce moment où le recueillement
plane sur le Cénacle tout entier, Jérusalem est remplie de
267
pèlerins accourus de toutes les
régions de la gentilité, et quelque chose d'inconnu se remue au fond du cœur de
ces hommes. Ce sont des Juifs venus pour les fêtes de la Pâque et de la
Pentecôte de tous les lieux où Israël est allé établir ses synagogues. L'Asie, l'Afrique,
Rome elle-même, ont fourni leur contingent Mêlés à ces Juifs de pure race, on
aperçoit des gentils qu'un mouvement de piété a portés à embrasser la loi de
Moïse et ses pratiques : on les appelle Prosélytes. Cette population mobile qui
doit se disperser sous peu de jours, et que le seul désir d'accomplir la loi a
rassemblée dans Jérusalem, représente, par la diversité des langages, la
confusion de Babel ; mais ceux qui la composent sont moins influencés que les
habitants de la Judée par l'orgueil et les préjugés. Arrivés d'hier, ils n'ont
pas, comme ces derniers, connu et repoussé le Messie, ni blasphémé ses œuvres
qui rendaient témoignage de lui. S'ils ont crié devant Pilate avec les autres
Juifs pour demander que le Juste fût crucifié, c'est qu'ils étaient entraînés
par l'ascendant des prêtres et des magistrats de cette Jérusalem vers laquelle
leur piété et leur docilité à la loi les avaient amenés.
Mais l'heure est venue, l'heure
de Tierce, l'heure prédestinée de toute éternité, et le dessein des trois
divines personnes conçu et arrêté avant tous les temps se déclare et
s'accomplit. De même que le Père, sur l'heure de minuit,
envoya en ce monde pour y prendre chair au sein de Marie, son propre Fils qu'il
engendre éternellement : ainsi, le Père et le Fils envoient à cette heure de
Tierce sur la terre l'Esprit-Saint qui procède de
tous deux, pour y remplir jusqu'à la fin des temps la mission de former
l'Eglise épouse et empire
267
du Christ, de l'assister, de la
maintenir, de sauver et de sanctifier les âmes.
Soudain un vent violent qui
venait du ciel se fait entendre ; il mugit au dehors et remplit le Cénacle de
son souffle puissant. Au dehors il convoque autour de l'auguste édifice que
porte la montagne de Sion une foule d'habitants de Jérusalem et d'étrangers ;
au dedans il ébranle tout, il soulève les cent vingt disciples du Sauveur, et
montre que rien ne lui résiste. Jésus avait dit de lui : « C'est un vent qui
souffle où il veut, et vous entendez
retentir sa voix (1) » ; puissance invisible qui creuse jusqu'aux abîmes dans
les profondeurs de la mer, et lance les vagues jusqu'aux nues. Désormais ce
vent parcourra la terre en tous sens, et rien ne pourra l'arrêter dans son
domaine.
Cependant l'assemblée sainte qui
était assise tout entière dans l'extase de l'attente, a conservé la même
attitude. Passive sous l'effort du divin envoyé, elle s'abandonne à lui. Mais
le souffle n'a été qu'une préparation pour le dedans du Cénacle, en même temps
qu'il est un appel pour le dehors. Tout à coup une pluie silencieuse se répand
dans l'intérieur de l'édifice ; pluie de feu, dit la sainte Eglise, « qui
éclaire sans brûler, qui luit sans consumer (2) » ; des flocons enflammés avant
la forme de langues, viennent se poser sur la tête de chacun des cent vingt
disciples. C'est l'Esprit divin qui prend possession de l'assemblée dans chacun
de ses membres. L'Eglise n'est plus seulement en Marie ; elle est aussi dans
les cent vingt disciples. Tous sont maintenant à l'Esprit qui est descendu sur
eux ; son règne est
269
ouvert, il est déclaré, et de
nouvelles conquêtes se préparent.
Mais admirons le symbole sous
lequel une si divine révolution s'opère. Celui qui naguère se montra au
Jourdain sous la forme gracieuse d'une colombe, apparaît aujourd'hui sous celle
du feu. Dans l'essence divine il est amour; or, l'amour n'est pas tout entier
dans la douceur et la tendresse ; il est ardent comme le feu. Maintenant donc
que le monde est livré à l'Esprit-Saint, il faut qu'il
brûle, et l'incendie ne s'arrêtera plus. Et pourquoi cette forme de langues ? sinon parce que la parole sera le moyen par lequel se
propagera le divin incendie. Ces cent vingt disciples n'auront qu'à parler du
Fils de Dieu fait homme et rédempteur de tous, de l'Esprit-Saint
qui renouvelle les âmes, du Père céleste qui les aime et les adopte : leur
parole sera accueillie d'un grand nombre. Tous ceux qui l'auront reçue seront unis
dans une même foi, et l'ensemble qu'ils formeront s'appellera l'Eglise catholique,
universelle, répandue en tous les temps et en tous les lieux. Le Seigneur Jésus
avait dit : « Allez, enseignez toutes
les nations; » l'Esprit divin apporte du ciel sur la terre et la langue qui
fera retentir cette parole, et l'amour de Dieu et des hommes qui l'inspirera.
Cette langue et cet amour se sont arrêtés sur ces hommes, et par le secours de
l'Esprit divin, ces hommes les transmettront à d'autres jusqu'à la fin des
siècles.
Un obstacle cependant semble se
dresser à l'encontre d'une telle mission. Depuis Babel, le langage humain est
divisé, et la parole ne circule pas d'un peuple à l'autre. Comment donc la
parole pourra-t elle être l'instrument de la conquête de tant de nations, et
réunir en une seule
270
famille tant de races qui
s'ignorent? Ne craignez pas : le tout-puissant Esprit y a pourvu. Dans
l'ivresse sacrée qu'il inspire aux cent vingt disciples, il leur a conféré le
don d'entendre toutes langues et de se faire entendre eux-mêmes en toute
langue. A l'instant même, dans un transport sublime, ils s'essayent à parler
tous les idiomes de la terre, et leur langue, comme leur oreille, se prête non
seulement sans effort, mais avec délices, à cette plénitude de la parole qui va
rétablir la communion des hommes entre eux. L'Esprit d'amour a fait cesser en
un moment la séparation de Babel, et la fraternité première reparaît dans
l'unité du langage.
Que vous êtes belle, ô Eglise de
Dieu, rendue sensible dans cet auguste prodige de l'Esprit divin qui agit
désormais sans limites! Vous nous retracez le magnifique spectacle qu'offrait
la terre, lorsque la race humaine ne parlait qu'un seul langage. Et cette
merveille ne sera pas seulement pour la journée de la Pentecôte, et elle ne
durera pas seulement la vie de ceux en qui elle éclate en ce moment. Après la
prédication des Apôtres, la forme première du prodige s'effacera peu à peu,
parce qu'elle cessera d'être nécessaire ; mais jusqu'à la fin des siècles, ô
Eglise, vous continuerez de parler toutes les langues ; car vous ne serez pas
confinée dans un seul pays, mais vous habiterez tous les pays du monde. Partout
on entendra exprimer une même foi dans la langue de chaque peuple, et ainsi le
miracle de la Pentecôte, renouvelé et transformé, vous accompagnera toujours, ô
Eglise ! et demeurera l'un de vos principaux
caractères. C'est ce qui fait dire au grand docteur saint Augustin parlant aux fidèles,
ces paroles admirables : « L'Eglise répandue parmi les
271
nations parle toutes les langues. Qu'est cette Eglise, sinon le corps du Christ ? Dans ce
corps vous êtes un membre. Etant donc membre d'un corps qui parle toutes les
langues, vous avez droit de vous considérer vous-même comme participant au même
don (1). » Durant les siècles de foi, la sainte Eglise, source unique de tout
véritable progrès dans l'humanité, avait fait plus encore ; elle était parvenue
à réunir dans une même forme de langage les peuples qu'elle avait conquis. La
langue latine fut longtemps le lien du monde civilisé. En dépit des distances,
les relations de peuple à peuple, les communications de la science, les
affaires même des particuliers lui étaient confiées ; l'homme qui parlait cette
langue n'était étranger nulle part dans tout l'Occident et au delà. La grande
hérésie du XVIe siècle émancipa les nations de ce bienfait comme de tan; d'autres,
et l'Europe, scindée pour longtemps, cherche, sans le trouver, ce centre commun
que l'Eglise seule et sa langue pouvaient lui offrir. Mais retournons au
Cénacle dont les portes ne se sont pas encore ouvertes, et continuons à y
contempler les merveilles du divin Esprit.
Nos yeux tout d'abord cherchent
respectueusement Marie, Marie plus que jamais « pleine de grâce». Il eût
semblé qu'après les dons immenses qui lui furent prodigués dans sa conception
immaculée, après les trésors de sainteté que versa en elle la présence du Verbe
incarné durant les neuf mois qu'elle le posséda dans son sein, après les
secours spéciaux quelle reçut pour agir et souffrir en union avec son fils dans
l'œuvre de la Rédemption, après les faveurs dont Jésus la combla au
272
milieu des splendeurs de la
résurrection, le Ciel avait épuisé la mesure des dons qu'il avait à répandre
sur une simple créature, si élevée qu'elle pût être dans le plan éternel. Il n'en
est pas ainsi. Une nouvelle mission s'ouvre pour Marie : à cette heure, la
sainte Eglise est enfantée par elle ; Marie vient de mettre au jour l'Epouse de
son Fils, et de nouveaux devoirs l'appellent. Jésus est monté seul dans les
cieux ; il l'a laissée sur la terre, afin qu'elle prodigue à son tendre fruit
ses soins maternels. Qu'elle est touchante, mais aussi qu'elle est glorieuse
cette enfance de notre Eglise bien-aimée, reçue dans les bras de Marie,allaitée par elle, soutenue de son appui dès les premiers
pas de sa carrière en ce monde ! Il faut donc à la nouvelle Eve, à la véritable
« Mère des vivants », un surcroît de grâces pour répondre à une telle mission :
aussi est-elle l'objet premier des faveurs de l'Esprit-Saint.
Il la féconda autrefois pour être la mère du Fils de Dieu ; en ce moment il
forme en elle la mère des chrétiens. « Le fleuve de la grâce, comme parle le Roi-prophète, submerge de ses eaux cette Cité de Dieu qui
les reçoit avec délices (1) » ; l'Esprit d'amour accomplit à ce moment l'oracle
divin du Rédempteur mourant sur la croix. Il avait dit, en désignant l’homme: «
Femme, voilà votre fils »; l'heure est arrivée, et Marie a reçu avec une
plénitude merveilleuse cette grâce maternelle qu'elle commence à appliquer dès
aujourd'hui, et qui l'accompagnera jusque sur son trône de reine, lorsqu'enfin la sainte Eglise ayant pris un accroissement
suffisant,sa céleste nourrice pourra quitter la terre,
monter aux cieux et ceindre le diadème qui l'attend.
273
Contemplons cette nouvelle beauté qui éclate dans les traits
de celle en qui le Seigneur vient de déclarer une seconde maternité : cette
beauté est le chef-d'œuvre de l'Esprit-Saint en cette
journée. Un feu divin transporte Marie, un amour nouveau s'est allumé dans son
cœur; elle est tout entière à cette autre mission pour laquelle elle avait été
laissée ici-bas. La grâce apostolique est descendue en elle. La langue de feu
qu'elle a reçue ne parlera pas dans les prédications publiques; mais elle
parlera aux Apôtres, les dirigera, les consolera dans leurs labeurs. Elle
s'énoncera, cette langue bénie, avec autant de douceur que de force, à
l'oreille des fidèles qui sentiront l'attraction vers celle en qui le Seigneur
a fait l'essai de toutes ses merveilles. Comme un lait généreux, la parole
irrésistible de cette mère universelle donnera aux premiers enfants de l'Eglise
la vigueur qui les fera triompher des assauts de l'enfer; et c'est en partant
d'auprès d'elle qu'Etienne ira ouvrir la noble carrière des martyrs.
Regardons maintenant le collège
apostolique. Ces hommes que quarante jours de relations avec leur Maître
ressuscité avaient relevés, et que nous trouvions déjà si différents
d'eux-mêmes, que sont-ils devenus depuis l'instant où l'Esprit divin les a
saisis? Ne sentez-vous pas qu'ils sont transformés, qu'un feu divin éclate dans
leur poitrine, et que dans un moment ils vont s'élancer à la conquête du monde
? Tout ce que le Maître leur avait annoncé est accompli en eux; et c'est
véritablement la Vertu d'en haut qui est descendue pour les armer au combat. Où
sont-ils ceux qui tremblaient devant les ennemis de Jésus, ceux qui doutaient
de sa résurrection î La vérité que le Maître leur a enseignée brille aux
regards de leur
274
intelligence ; ils voient tout, ils
comprennent tout. L'Esprit-Saint leur a infus le don
de la foi dans un degré sublime, et leur cœur brûle du désir de répandre au
plus tôt cette foi dans le monde entier. Loin de craindre désormais, ils
n'aspirent qu'à affronter tous les périls en prêchant, comme Jésus le leur a
commandé, à toutes les nations son nom et sa gloire.
Contemplez Pierre. Vous le
reconnaissez aisément à cette majesté douce que tempère une
ineffable humilité. Hier son aspect était imposant mais tranquille ;
aujourd'hui, sans rien perdre de leur dignité, ses traits ont pris une
expression d'enthousiasme que nul n'avait encore vue en lui. L'Esprit divin
s'est emparé puissamment du Vicaire de Jésus ; car Pierre est le prince de la
parole et le maître de la doctrine. Près de Pierre, c'est André son frère aîné,
qui conçoit en ce moment cette passion ardente pour la croix qui sera son type
à jamais glorieux ; c'est Jean dont les traits semblaient naguère ne respirer
que la douceur, et qui subitement ont pris l'expression forte et inspirée du
prophète de Pathmos; à ses côtés, c'est Jacques son frère, l'autre « fils du
tonnerre », se dressant avec toute la vigueur du vaillant chevalier qui
s'élancera bientôt à la conquête de I'Ibérie. Le second Jacques, celui qui est
aimé sous le nom de « frère du Seigneur », puise dans la vertu du divin Esprit
qui le transporte, un nouveau degré de charme et de béatitude. Matthieu est
illuminé d'une splendeur qui fait pressentir en lui le premier des écrivains du
nouveau Testament. Thomas sent en son cœur la foi qu'il a reçue au contact des
membres de son Maître ressuscité, prendre un accroissement sans mesure: il est
prêt à partir pour ses laborieuses missions
275
dans l'extrême Orient ; tous, en un
mot, sont un hymne vivant à la gloire de l'Esprit tout-puissant, qui s'annonce
avec un tel empire dès les premiers instants de son arrivée.
Dans un rang inférieur
apparaissent les disciples, moins favorisés dans cette visite que les douze
princes du collège apostolique, mais pénétrés du même feu ; car eux aussi
marcheront à la conquête du monde et fonderont de nombreuses chrétientés. Le
groupe des saintes femmes n'a pas moins ressenti que le reste de l'assemblée la
descente du Dieu qui s'annonce sous l'emblème du feu. L'amour qui les retint au
pied de la croix de Jésus et qui les conduisit les premières à son sépulcre au
matin de la Pâque, s'est enflammé d'une ardeur nouvelle. La langue de feu s'est
arrêtée sur chacune d elles, et elles seront éloquentes à parler de leur Maître
aux Juifs et aux gentils. En vain la synagogue expulsera Madeleine et ses
compagnes ; la Gaule méridionale les écoutera à son tour, et ne sera pas
rebelle à leur parole.
Cependant, la foule des Juifs qui
avait entendu le bruit de la tempête annonçant la venue de l'Esprit divin,
s'est amassée en grand nombre autour du mystérieux Cénacle. Ce même Esprit qui
agit au dedans avec tant de magnificence, les pousse à faire le siège de cette
maison qui contient dans ses murs l'Eglise du Christ dont la naissance vient
d'éclater. Leurs clameurs retentissent, et bientôt le zèle apostolique qui
vient de naître pour ne plus s'éteindre, ne peut plus tenir dans de si étroites
limites. En un moment l'assemblée inspirée se précipite aux portes du Cénacle,
et se met en rapport avec cette multitude avide de connaître le nouveau prodige
que vient d'opérer le Dieu d'Israël.
276
Mais, ô merveille ! la foule composée de toutes les nations, qui s'attendait à
entendre le parler grossier des Galiléens, est tout à coup saisie de stupeur.
Ces Galiléens n'ont fait encore que s'énoncer en paroles confuses et
inarticulées, et chacun les entend parler dans sa propre langue. Le symbole de
l'unité apparaît dans toute sa splendeur. L'Eglise chrétienne est montrée à
tous les peuples représentés dans cette multitude. Elle sera une, cette Eglise;
car les barrières que Dieu plaça autrefois, dans sa justice, pour isoler les
nations, viennent de s'écrouler. Voici les messagers de la foi du Christ; ils
sont prêts, ils vont partir, leur parole fera le tour de la terre.
Dans la foule cependant, quelques
hommes, insensibles au prodige, se scandalisent de l'ivresse divine dans
laquelle ils voient les Apôtres : « Ces « hommes, disent-ils, sont pleins de
vin. » C'est le langage du rationalisme qui veut tout expliquer par des raisons
humaines. Et pourtant ces Galiléens prétendus ivres abattront à leurs pieds le
monde entier, et l'Esprit divin qui est en eux, ils le communiqueront avec son
ivresse à toutes les races du genre humain. Les saints Apôtres sentent que le
moment est venu ; il faut que la seconde Pentecôte soit proclamée en ce jour
anniversaire de la première. Mais dans cette proclamation de la loi de
miséricorde et d'amour qui vient remplacer la loi de la justice et de la
crainte, quel sera le Moïse? L'Emmanuel, avant de monter au ciel, l'avait
désigné: c'est Pierre, le fondement de l'Eglise. Il est temps que tout ce
peuple le voie et l'entende; le troupeau va se former, il est temps que le
pasteur se montre. Ecoutons l'Esprit-Saint qui va
s'énoncer par son principal organe, en présence de cette multitude ravie et
silencieuse;
277
chaque mot que va dire l'Apôtre qui
ne parle qu'une seule langue est compris de chacun des auditeurs, à quelque
idiome, à quelque pays de la terre qu'il appartienne. Un tel discours est à lui
seul la démonstration de la vérité et de la divinité de la loi nouvelle.
« Hommes juifs, s'écrie dans
la plus haute éloquence le pêcheur du lac de Génézareth,
hommes juifs et vous tous qui habitez en ce moment Jérusalem, apprenez ceci et
prêtez l'oreille à mes paroles. Non, ces hommes que vous voyez ne sont pas
ivres comme vous l'avez pensé ; car il n'est encore que l'heure de tierce; mais
en ce moment s'accomplit ce qu'avait prédit le prophète Joël : « Dans les
derniers temps, dit le Seigneur, je répandrai mon Esprit sur toute chair, et
vos fils et vos filles prophétiseront, et vos jeunes gens seront favorisés de
visions, et vos vieillards auront des songes prophétiques. Et dans ces jours,
je répandrai mon Esprit sur mes serviteurs et sur mes servantes, et ils
prophétiseront. » Hommes Israélites, écoutez ceci. Vous vous
rappelez Jésus de Nazareth, que Dieu même avait accrédité au milieu de vous par
les prodiges au moyen desquels il opérait par lui, ainsi que vous le savez
vous-mêmes. Or, ce Jésus, selon le décret divin résolu à l'avance, a été livré
à ses ennemis, et vous-mêmes vous l'avez fait mourir par la main des impies.
Mais Dieu l'a ressuscite, en l'arrachant à l'humiliation du tombeau qui ne
pouvait le retenir. David n'avait-il pas dit de lui: « Ma chair reposera dans
l'espérance; car vous ne permettrez pas, Seigneur, que celui qui est votre
Saint éprouve la corruption du tombeau » ? Ce n'était pas en son propre nom que
David parlait; car il est mort, et son sépulcre
278
est encore sous nos yeux ; mais il
annonçait la résurrection du Christ qui n'a point été laissé dans le tombeau,
et dont la chair n'a pas connu la corruption. Ce Jésus, Dieu lui-même l'a
ressuscité, et nous en sommes tous témoins. Elevé à la droite de Dieu, il a,
selon la promesse qu'en avait faite le Père, répandu sur la terre le
Saint-Esprit, ainsi que vous le voyez et l'entendez. Sachez donc, maison
d'Israël, et sachez-le avec toute certitude, que ce Jésus crucifié par vous,
Dieu en a fait le Seigneur et le Christ (1). »
Ainsi fut accomplie la
promulgation de la loi nouvelle par la bouche du nouveau Moïse. Comment les auditeurs
n'eussent-ils pas accueilli le don inestimable de cette seconde Pentecôte, qui
venait dissiper les ombres de l'ancienne et produire au grand jour les divines
réalités ? Dieu se révélait, et, comme toujours, il le faisait par les
miracles. Pierre rappelle les prodiges de Jésus dont la Synagogue n'a pas voulu
tenir compte, et qui rendaient témoignage de lui. Il annonce la descente de l'Esprit-Saint, et en preuve il allègue le prodige inouï que
les auditeurs ont sous les yeux, dans le don des langues départi aux habitants
du Cénacle.
Poursuivant son œuvre sublime, l'Esprit-Saint qui planait sur cette foule, féconde par son
action divine ces cœurs prédestinés. La foi naît et se développe tout d'un coup
dans ces disciples du Sinaï accourus de tous les points du monde pour une Pâque
et une Pentecôte désormais stériles. Saisis de crainte et de regret d'avoir
demandé la mort du Juste, dont ils confessent la résurrection et l’ascension au
ciel, ces Juifs de toute nation
279
poussent un cri pénétrant vers
Pierre et ses compagnons : « Qu'avons-nous donc à faire, ô vous qui êtes nos
frères ? » Admirable disposition pour recevoir la foi ! le
désir de croire, et le dessein arrêté de conformer ses actes à sa croyance.
Pierre reprend son discours : « Repentez-vous, leur dit-il, et que chacun de
vous soit baptisé au nom de Jésus-Christ, et vous aurez part, vous aussi, au
don du Saint-Esprit. La promesse a été faite pour vous et pour vos fils et
également pour ceux qui sont loin, c'est-à-dire les gentils : en un mot, pour
tous ceux qu'appelle le Seigneur notre Dieu. »
A chaque parole du nouveau Moïse,
la Pentecôte judaïque s'efface, et la Pentecôte chrétienne resplendit d'une
lumière toujours plus splendide à l'horizon. Le règne de l'Esprit divin est
inauguré dans Jérusalem, à la face du temple condamné à s'écrouler sur
lui-même. Pierre parla encore; mais le livre sacré des Actes n'a recueilli que
ces paroles qui retentirent comme le dernier appel au salut : « Sauvez-vous,
enfants d'Israël, sauvez-vous de cette génération perverse.»
Il fallait rompre, en effet, avec
les siens, mériter par le sacrifice les faveurs de la nouvelle Pentecôte,
passer de la Synagogue dans l'Eglise. Plus d'un combat se livra dans les cœurs
de ces hommes; mais le triomphe de l'Esprit-Saint fut
complet en ce premier jour. Trois mille personnes se déclarèrent disciples de
Jésus, et furent marquées aujourd'hui même du sceau de l'adoption. O Eglise du
Dieu vivant, qu'ils sont beaux vos progrès sous le souffle du divin Esprit !
D'abord vous avez résidé en Marie l'immaculée, pleine de grâce et mère de Dieu;
votre second pas vous a donné les cent vingt disciples du Cénacle ; et voici
que
280
le troisième vous dote de trois
mille écus, nos ancêtres, qui vont bientôt quitter Jérusalem la répudiée, et
porter dans les pays d'où ils sont partis les prémices du peuple nouveau.
Demain c'est au temple même que Pierre parlera, et à sa voix cinq mille
personnes se déchireront à leur tour disciples de Jésus de Nazareth. Salut
donc, ô Eglise, noble et dernière création de l'Esprit-Saint,
société immortelle qui militez ici-bas, en même temps que vous triomphez dans
les cieux. O Pentecôte, jour sacré de notre naissance, vous ouvrez avec gloire
la série des siècles que doit parcourir en ce monde l'Epouse de l'Emmanuel.
Vous nous donnez l'Esprit divin qui vient écrire, non plus sur la pierre, mais
dans nos cœurs, la loi qui régira les disciples de Jésus. O Pentecôte
promulguée dans Jérusalem, mais qui devez étendre vos bienfaits à ceux « qui
sont au loin », c'est-à-dire aux peuples de la gentilité, vous venez remplir
les espérances que nous fit concevoir le touchant mystère de l'Epiphanie. Les
mages venaient de l'Orient; nous les suivîmes au berceau de l'Entant divin, et
nous savions que notre tour viendrait. Votre grâce, ô Esprit-Saint,
les avait secrètement attirés à Bethléhem ; mais dans
cette Pentecôte qui déclare votre souverain empire avec tant d'énergie, vous
nous appelez tous ; l'étoile est transformée en langues de feu, et la face de
la terre va être renouvelée. Puissent nos cœurs conserver les dons que vous
nous apportez, ces dons que le Père et le Fils qui vous envoient nous ont
destinés !
L'importance du mystère de la Pentecôte étant si principale
dans l'économie du christianisme, on ne doit pas s'étonner que l'Eglise lui ait
assigné
281
dans la sainte Liturgie un rang
aussi distingué que celui qu'elle attribue à la Pâque elle-même. La Pâque est
le rachat de l'homme par la victoire du Christ : dans la Pentecôte l'Esprit-Saint prend possession de l'homme racheté ;
l'Ascension est le mystère intermédiaire. D'un côté, elle consomme la Pâque en
établissant l'Homme-Dieu, vainqueur de la mort et
chef de ses fidèles, à la droite du Père ; de l'autre, elle détermine l'envoi
de l'Esprit-Saint sur la terre. Cet envoi ne pouvait
avoir lieu avant la glorification de Jésus, comme nous dit saint Jean (1), et
de nombreuses raisons alléguées par les Pères nous aident à le comprendre. Il
fallait que le Fils de Dieu, qui avec le Père est le principe de la procession
du Saint-Esprit dans l'essence divine, envoyât personnellement aussi cet Esprit
sur la terre. La mission extérieure de l'une des divines personnes n'est qu'une
suite et une manifestation de la production mystérieuse et éternelle qui a lieu
au sein de la divinité. Ainsi le Père n'est envoyé ni par le Fils ni par le
Saint-Esprit, parce qu'il n'est pas produit par eux. Le Fils a été envoyé aux
hommes par le Père, étant engendré par lui éternellement. Le Saint-Esprit est
envoyé par le Père et par le Fils, parce qu'il procède de l'un et de l'autre.
Mais pour que la mission du Saint-Esprit s'accomplit de manière à donner plus
de gloire au Fils, il était juste qu'elle n'eût lieu qu'après l'intronisation
du Verbe incarné à la droite du Père, et il était souverainement glorieux pour
la nature humaine qu'au moment de cette mission elle fût indissolublement unie
à la nature divine dans la personne du Fils de Dieu, en sorte qu'il
282
fût vrai de dire que l'Homme-Dieu a envoyé le Saint-Esprit sur la terre.
Cette
auguste mission ne devait être donnée à L'Esprit divin que lorsque les hommes
auraient perdu la vue de l'humanité de Jésus. Ainsi que nous l'avons dit, il
fallait désormais que les yeux et les cœurs des fidèles poursuivissent le divin
absent d'un amour plus pur et tout spirituel. Or, à qui appartenait-il
d'apporter aux hommes cet amour nouveau, sinon à l'Esprit tout-puissant qui est
le lien du Père et du Fils dans un amour éternel ? Cet Esprit qui embrase et
qui unit est appelé dans les saintes Ecritures le « don de Dieu » ; et c'est
aujourd'hui que le Père et le Fils nous envoient ce don ineffable.
Rappelons-nous la parole de notre Emmanuel à la femme de Samarie, au bord du
puits de Sichar. « Oh ! si
tu connaissais le don de Dieu (1) ! » Il n'était pas descendu encore ; il ne se
manifestait jusqu'alors aux hommes que par des bienfaits partiels. A partir
d'aujourd'hui, c'est une inondation de feu qui couvre la terre: l'Esprit divin
anime tout, agit en tous lieux. Nous connaissons le don de Dieu ; nous n'avons
plus qu'à ''accepter, qu'à lui ouvrir l'entrée de nos cœurs, comme les trois
mille auditeurs fidèles que vient de rencontrer la parole de Pierre.
Mais voyez à quel moment de
l'année l'Esprit divin vient prendre possession de son domaine. Nous avons vu
notre Emmanuel, Soleil de justice, s'élever timidement du sein des ombres du
solstice d'hiver et monter d'une course lente à son zénith. Dans un sublime
contraste, l'Esprit du Père et du Fils a cherche d'autres harmonies. Il
283
est feu, feu qui consume (1) ; il
éclate sur le monde au moment où le soleil brille de toute sa splendeur, où cet
astre contemple couverte de fleurs et de fruits naissants la terre qu'il
caresse de ses rayons. Accueillons de même la chaleur vivifiante du divin
Esprit, et demandons humblement qu'elle ne se ralentisse plus en nous. A ce
moment de l'Année liturgique, nous sommes en pleine possession de la vérité par
le Verbe incarné ; veillons à entretenir fidèlement l'amour que l'Esprit-Saint vient nous apportera son tour.
Fondée sur un passé de quatre
mille ans quant aux figures, la Pentecôte chrétienne, le vrai quinquagénaire,
est du nombre des fêtes instituées par les Apôtres eux-mêmes. Nous avons vu
qu'elle partagea avec la Pâque, dans l'antiquité, l'honneur de conduire les
catéchumènes à la fontaine sacrée, et de les en ramener néophytes et régénérés.
Son Octave, comme celle de Pâques, ne dépasse pas le samedi par une raison
identique. Le baptême se conférait dans la nuit du samedi au dimanche, et pour
les néophytes la solennité de la Pentecôte s'ouvrait au moment même de leur
baptême. Comme ceux de la Pâque, ils revêtaient alors les habits blancs, et ils
les déposaient le samedi suivant, qui était compté pour le huitième jour.
Le moyen âge donna à la fête de
la Pentecôte le gracieux nom de Pâque des roses ; nous avons vu celui de
Dimanche des roses imposé dans les mêmes siècles de foi au Dimanche dans
l'Octave de l'Ascension. La couleur vermeille de la rose et son parfum
rappelaient à nos pères ces langues enflammées qui descendirent dans le Cénacle
sur
284
chacun des cent vingt disciples,
comme les pétales effeuillés de la rose divine qui répandait l'amour et la
plénitude de la grâce sur l'Eglise naissante. La sainte Liturgie est entrée
dans la même pensée en choisissant la couleur rouge pour le saint Sacrifice
durant toute l'Octave. Durand de Mende, dans son liational
si précieux pour la connaissance des usages liturgiques du moyen âge, nous
apprend qu'au treizième siècle, dans nos églises, à la Messe de la Pentecôte,
on lâchait des colombes qui voltigeaient au-dessus des fidèles en souvenir de
la première manifestation de l'Esprit-Saint au
Jourdain, et que l'on répandait de la voûte des étoupes enflammées et des
fleurs en souvenir de la seconde au Cénacle.
A Rome, la Station est dans la Basilique de Saint-Pierre. Il
était juste de rendre hommage au prince des Apôtres en ce jour où son éloquence
inspirée par l'Esprit-Saint conquit à l'Eglise les
trois mille chrétiens dont nous sommes les descendants. Actuellement, la
Station demeure toujours fixée à Saint-Pierre avec les indulgences qui s'y
rapportent ; mais le Souverain Pontife et le sacré Collège se rendent pour la
Fonction à la Basilique du Latran, Mère et Chef de toutes les églises de la
ville et du monde.
A TIERCE.
La sainte Eglise célèbre aujourd'hui l'heure de Tierce avec
une solennité particulière, afin de se maintenir dans un rapport plus intime
avec les heureux habitants du Cénacle. Elle a même choisi cette heure, dans
tout le cours de l'année, comme la plus propice pour l'offrande du saint Sacrifice, auquel préside l'Esprit-Saint
dans toute la puissance de son opération. Cette heure de Tierce, qui répond à
neuf heures du matin selon notre manière de compter, est remarquable chaque
jour par une invocation au Saint-Esprit formulée dans une Hymne de saint
Ambroise ; mais aujourd'hui ce n'est pas l'Hymne ordinaire de Tierce que
l'Eglise adresse au divin Paraclet ; c'est le cantique si mystérieux et si
grandiose que le ixe siècle nous a légué, en nous transmettant la tradition qui
donne Charlemagne pour auteur de cette œuvre sublime.
La pensée d'en enrichir l'Office
de Tierce au jour de la Pentecôte appartient à saint Hugues, abbé de Cluny au XI°
siècle ; et cette pratique a semblé si belle, que l'Eglise Romaine a fini par
l'adopter dans sa Liturgie. De là est
venu que dans les Eglises même où l'on ne célèbre pas l'Office
canonial, on chante du moins le Veni creator avant
la Messe du jour de la Pentecôte. A cette heure si solennelle, aux accents
inspirés de cette Hymne si tendre à la fois et si imposante, l'assemblée des
fidèles se recueille ; elle adore et appelle l'Esprit divin. A ce moment, il
plane sur tous les temples de la chrétienté, et descend invisiblement dans tous
les cœurs qui l'attendent avec ferveur. Exprimons-lui le besoin que nous
éprouvons de sa présence, le suppliant de demeurer en nous, et de ne jamais
s'en éloigner. Montrons-lui notre âme marquée de son sceau ineffaçable dans le
Baptême et dans la Confirmation ; prions-le de veiller sur son œuvre. Nous
sommes sa propriété ; qu'il daigne faire en nous ce que nous le prions d'y
accomplir; mais que notre bouche parle avec sincérité, et souvenons-nous que
pour recevoir et conserver l'Esprit-Saint, il faut
renoncer à l'esprit
286
du monde ; car le Seigneur a dit : «
Nul ne peut servir deux maîtres (1). »
La première strophe de cette
Hymne vénérable se chante toujours à genoux ; on se lève ensuite, el l'on
chante debout les strophes suivantes.
HYMNE.
Venez, Esprit créateur, visiter les âmes de vos fidèles, et
remplir de la grâce céleste les cœurs que vous avez créés.
Vous êtes appelé le Consolateur, le Don du Dieu Très-Haut,
la source d'eau vive, le feu, l'amour, l'onction spirituelle.
Versant sur nous vos sept dons, vous êtes le doigt de la
main du Père; promis solennellement par lui aux hommes, vous venez leur
apporter la puissance du langage.
Eclairez nos esprits de votre lumière, versez l'amour dans
nos cœurs; soutenez la faiblesse de notre corps par votre incessante énergie.
Repoussez l'ennemi loin de nous, hâtez-vous de nous donner
la paix; marchez devant nous comme notre chef, et nous éviterons tout mal.
Faites-nous connaître le Père et le Fils ; donnez-nous la
foi en vous qui procédez de l'un et de l'autre.
Gloire soit à Dieu le Père! Gloire soit au Fils ressuscité
des morts ! Gloire au Paraclet, dans les siècles des siècles !
Amen.
On continue ensuite les trois
Psaumes se trouvent ci-dessus page 50
Ant. L’Esprit du Seigneur a rempli
la terre entière, alleluia.
CAPITULE. (Act. II)
Les jours de la Pentecôte étant accomplis, et tous les
disciples se trouvant réunis dans un même lieu, il se fit tout à coup un grand
bruit, comme d un vent impétueux qui venait du ciel, et qui remplit toute la
maison où ils étaient assis.
On continue ensuite l'Office de Tierce, dont les trois
Psaumes se trouvent ci-dessus, page 5o.
R/. br. L’Esprit du Seigneur a
rempli la terre entière, alleluia.
V/. Et lui qui embrasse toutes choses possède la science du
langage. * Alléluia, alleluia.
Gloire au Père. L'Esprit du Seigneur.
V/. L'Esprit Paraclet, alleluia,
R/. Vous enseignera toutes choses, alleluia.
L'Oraison est la Collecte de la
Messe, page 289.
A LA MESSE.
Le moment de célébrer le saint
Sacrifice est arrivé. Remplie de l'Esprit divin, l'Eglise va payer le tribut
auguste de sa reconnaissance en offrant la victime qui nous a mérité un tel don
par son immolation. Déjà l'Introït retentit avec un éclat et une mélodie non
pareils. Le chant grégorien s'élève rarement à un tel enthousiasme. Les paroles
contiennent un oracle du livre de la Sagesse, qui reçoit son accomplissement
aujourd'hui. C'est l'Esprit divin se répandant sur le monde, et comme gage de
sa présence donnant aux saints Apôtres la science de la parole dont il est la
source.
INTROÏT.
L'Esprit du Seigneur a rempli la terre entière, alleluia ; et lui qui embrasse toutes choses, possède et
communique la science du langage, alleluia, alleluia, alleluia.
Ps. Que Dieu se lève, et
que ses ennemis soient dissipes; que ceux qui le
haïssent fuient devant sa face.
Gloire au Père. L'Esprit du Seigneur.
La Collecte nous fournit
l'expression de nos vœux pour un si grand jour. Elle nous avertit en même temps
que l'Esprit divin nous apporte deux dons principaux : le goût des choses
divines et la consolation du cœur; demandons que l'un et l'autre demeurent en
nous, afin que nous devenions parfaits chrétiens.
ORAISON.
O Dieu qui avez éclairé en ce jour les cœurs des fidèles par
la lumière du Saint-Esprit, accordez-nous par le même Esprit dégoûter ce qui
est bien et de jouir sans cesse de la consolation dont il est la source. Par
Jésus-Christ.
ÉPÎTRE.
Lecture des Actes des Apôtres. Chap. II.
Les jours de la
Pentecôte étant accomplis, et tous les disciples se trouvant réunis dans un
même lieu, il se fit tout à coup un grand bruit, comme d'un vent impétueux qui
venait du ciel, et qui remplit toute la maison où ils étaient assis. Et ils
virent apparaître comme des langues de feu qui se partagèrent, et s'arrêtèrent
sur chacun d'eux. Et ils furent tous remplis du Saint-Esprit, et commencèrent à
parler diverses langues, selon que le Saint-Esprit leur en mettait l'expression
dans la bouche. Or, il y avait à Jérusalem des Juifs remplis de religion, et appartenant
à toutes les nations qui sont sous le ciel. Le bruit de ce qui venait de se
passer s'étant répandu, il s'en rassembla un grand nombre, et ils furent très
étonnés de ce que chacun d'eux les entendait parler en sa propre langue. Ils en
étaient tous hors d'eux-mêmes, et dans leur étonnement, ils se disaient les uns
aux autres : Tous ces gens qui nous parlent ne sont-ils pas Galiléens? Comment donc
les entendons nous parler chacun la langue de notre pays? Parthes, Mèdes, Elamites,
ceux d'entre nous qui ha bitent la Mésopotamie, la Judée, la Cappadoce.le Pont et l'Asie, la Phrygie et la Pamphylie, l'Egypte
et la contrée de la Libye qui est proche de Cyrène ; et ceux d'entre nous qui
sont venus de Rome, Juifs et Prosélytes; Crétois et Arabes, nous les entendons
parler chacun en notre langue les merveilles de Dieu.
Quatre grands événements
signalent l'existence de la race humaine sur la terre, et tous les quatre
témoignent de la bonté infinie de Dieu envers nous. Le premier est la création
de l'homme et sa vocation à l'état surnaturel, qui lui donne pour fin dernière la vision et la possession
291
éternelle de Dieu. Le second est
l'incarnation du Verbe divin qui, unissant la nature humaine à la nature divine
dans le Christ, élevé l'être créé à la participation de la divinité, et fournit
en même temps la victime nécessaire pour racheter Adam et sa race de leur
prévarication. Le troisième événement est la descente du Saint-Esprit, dont
nous célébrons l'anniversaire en ce jour. Enfin le quatrième est le second
avènement du Fils de Dieu qui viendra délivrer l'Eglise son épouse, et
l'emmènera au ciel pour célébrer avec elle les noces éternelles. Ces quatre
opérations divines, dont la dernière n'est pas accomplie encore, sont la clef
de l'histoire humaine ; rien n'est en dehors d'elles ; mais l'homme animal ne
les voit même pas, il n'y songe pas. « La lumière a lui dans les ténèbres, et
les ténèbres ne l'ont pas comprise (1). »
Béni soit donc le Dieu de
miséricorde qui « nous a appelés des
ténèbres à l'admirable lumière de la foi (2). » Il nous a faits enfants de
cette génération « qui n'est ni de la chair et du sang, ni de la volonté de
l'homme, mais de Dieu (3). » Par cette grâce, nous voici aujourd'hui attentifs
à la troisième des opérations divines sur ce monde, à la descente de l'Esprit-Saint, et nous avons entendu le récit émouvant de sa
venue. Cette tempête mystérieuse, ce feu, ces langues, cette ivresse sacrée,
tout nous transporte au centre même des divins conseils, et nous nous écrions :
« Dieu a-t-il donc tant aimé ce monde? » Jésus, quand il était avec nous sur la
terre, nous le disait : « Oui, Dieu a tant aimé le monde qu'il lui a donné son
Fils unique (4). » Aujourd'hui
292
il nous faut compléter cette
sublime parole et dire : « Le Père et le Fils ont tant aimé le monde, qu'ils
lui ont donné leur Esprit-Saint. » Acceptons un tel
don, et comprenons enfin ce qu'est l'homme. Le rationalisme, le naturalisme,
prétendent le grandir en s'efforçant de le captiver sous le joug de l'orgueil
et de la sensualité ; la foi chrétienne nous impose l'humilité et le
renoncement ; mais pour prix elle nous montre Dieu lui-même se donnant à nous.
Le premier Verset alleluiatique
est formé des paroles de David où L'Esprit-Saint est
montré comme l'auteur d'une création nouvelle, comme le rénovateur de la terre.
Le second est la touchante prière par laquelle la sainte Eglise appelle sur ses
enfants l'Esprit d'amour. On la chante toujours à genoux.
Alleluia, alleluia.
V/. Envoyez votre Esprit, et une création nouvelle
s'opérera, et vous renouvellerez la face de la terre.
Alléluia.
R/. Venez, ô Esprit-Saint,
remplissez les cœurs de vos fidèles, et allumez en eux le feu de votre amour.
Vient ensuite la Séquence, œuvre
d'enthousiasme et en même temps d'une ineffable
tendresse pour celui qui vit et règne éternellement dans la société du Père et
du Fils, et qui va désormais établir son empire dans nos cœurs. Cette pièce est
de la fin du XII° siècle, et on l'attribue, avec vraisemblance, au grand Pape
Innocent III.
293
SÉQUENCE.
Venez, ô Esprit-Saint, et lancez
sur nous du haut du ciel un rayon de votre lumière.
Venez, père des pauvres ; venez, distributeur des dons ;
venez, lumière des âmes.
Vous êtes le consolateur rempli de bonté, l'hôte
bienveillant de nos âmes, leur aimable rafraîchissement.
Dans le labeur, vous êtes notre repos ; notre abri dans les
ardeurs brûlantes, notre consolation dans les pleurs.
O lumière heureuse et chérie, remplissez de vos clartés les
cœurs de vos fidèles jusqu'au plus intime.
Si votre divin secours n'arrive pas à l'homme, il n'est rien
en lui qui ne puisse lui devenir nuisible.
Lavez nos souillures, arrosez nos sécheresses, guérissez nos
blessures.
Pliez ce qui se roidit en nous, échauffez notre froideur,
redressez nos pas qui s'égarent.
Répandez vos sept Dons sur vos fidèles, qui mettent en vous
toute leur confiance.
Accordez-leur le mérite de la vertu, l'heureuse issue du
salut, et enfin les joies éternelles.
Amen. Alleluia.
ÉVANGILE.
La suite du saint Evangile selon saint Jean. Chap. XIV.
En ce temps-là, Jésus dit à ses disciples
: Si quelqu'un m'aime, il gardera ma parole ; et mon Père l'aimera, et nous
viendrons à lui, et nous ferons en lui notre demeure. Celui qui ne m'aime pas,
ne garde pas mes paroles ; et la parole que vous avez entendue n'est pas ma
parole, mais celle de mon Père qui m'a envoyé. Je vous ai dit ceci, demeurant encore
avec vous ; mais le Paraclet, l'Esprit-Saint que le Père
enverra en mon nom, vous enseignera toutes choses, et vous rappellera tout ce
que je vous ai dit. Je vous laisse la paix, je vous donne ma paix. Je vous la
donne, non comme le monde la donne. Que votre cœur ne se trouble point et ne s'effraie
point. Vous avez entendu que je vous ai dit : Je m'en vais, et je reviens à
vous. Si vous m'aimez, vous vous réjouirez de ce que je vais au Père, parce que
le Père est plus grand que moi. Je vous le dis maintenant, avant que cela
arrive, afin que quand ce sera arrivé, vous croyiez. Je ne vous parlerai plus
beaucoup ; car e Prince de ce monde vient, et il n'a rien en moi qui soit à lui
; mais c'est afin que le monde connaisse que j’aime le Père, et que, selon le
commandement que le Père m'a donné, ainsi je fais.
La venue de l'Esprit-Saint
n'est pas seulement un événement qui intéresse la race humaine considérée en
général ; chaque homme est appelé à recevoir cette même visite qui aujourd'hui
« renouvelle la face de la terre entière (1) ». Le dessein miséricordieux du
souverain Seigneur de toutes choses s'étend jusqu'à vouloir contracter une
alliance individuelle avec chacun de nous. Jésus ne demande de nous qu'une
seule chose : il veut que nous l'aimions et que nous gardions sa parole. A
cette condition, il nous promet que son Père nous aimera, et viendra avec lui
habiter notre âme. Mais ce n'est pas tout encore. Il nous annonce la venue de
l'Esprit-Saint, qui par sa présence complétera
l'habitation de Dieu en nous. L'auguste Trinité tout entière se fera comme un
nouveau ciel de cette humble demeure, en attendant que nous soyons transportés
après cette vie au séjour même où nous contemplerons l'hôte divin, Père, Fils
et Saint-Esprit, qui a tant aimé sa créature humaine.
Jésus nous enseigne encore dans
ce passage, tiré du discours qu'il adressa à ses disciples après la Cène, que
le divin Esprit qui descend sur nous
296
aujourd'hui est envoyé par le Père,
mais par le Père « au nom du Fils » ; de même que dans un autre endroit Jésus
dit que « c'est lui-même qui enverra l'Esprit-Saint (1)
». Ces diverses manières de s'exprimer ont pour but de nous révéler les
relations qui existent dans la Trinité divine entre les deux premières
personnes et le Saint-Esprit. Ce divin Esprit est du Père, mais il est aussi du
Fils ; c'est le Père qui l'envoie ; mais le Fils l'envoie aussi ; car il
procède de l'un et de l'autre comme d'un même principe. En ce grand jour de la
Pentecôte, notre reconnaissance doit donc être la même envers le Père qui est
la Puissance, et envers le Fils qui est la Sagesse ; car le don qui nous arrive
du ciel vient de tous les deux. Eternellement le Père a engendré son Fils, et
quand la plénitude des temps fut venue, il l'a donné aux hommes pour être dans
la nature humaine leur médiateur et leur sauveur ; éternellement le Père et le
Fils ont produit l'Esprit-Saint, et, à l'heure
marquée, ils l'ont envoyé ici-bas pour être dans les hommes le principe
d'amour, comme il l'est entre le Père et le Fils. Jésus nous enseigne que la
mission de l'Esprit est postérieure à la sienne, parce qu'il a fallu que les
hommes fussent d'abord initiés à la vérité par celui qui est la Sagesse. En
effet, ils n'auraient pu aimer ce qu'ils ne connaissaient pas. Mais lorsque
Jésus a consommé son œuvre tout entière, qu'il a fait asseoir son humanité sur
le trône de Dieu son Père, de concert avec le Père il envoie l'Esprit divin
pour conserver en nous cette parole qui est « esprit et vie (2) », et qui est
en nous la préparation de l'amour.
297
L'Offertoire est formé des
paroles du Psaume i.XVII, où David prophétise
l'arrivée de l'Esprit dont la mission est de confirmer ce que Jésus a opéré. Le
Cénacle efface toutes les splendeurs du temple de Jérusalem : désormais il n'y
a plus que l'Eglise catholique qui recevra bientôt dans son sein les rois et
les peuples.
OFFERTOIRE.
Confirmez, ô Dieu, ce que vous avez opéré en nous ; dans
votre temple qui est à Jérusalem, les rois vous présenteront leurs offrandes, alleluia.
En présence des dons sacrés qui
vont être offerts et qui reposent sur l'autel, l'Eglise, dans la Secrète,
demande que la venue du divin Esprit soit pour les fidèles un feu qui consume
leurs souillures, et une lumière qui éclaire leur esprit par une plus complète
intelligence des enseignements du Fils de Dieu.
SECRÈTE.
Daignez, Seigneur, sanctifier les dons qui vous sont
offerts, et purifiez nos cœurs en leur envoyant la lumière du Saint-Esprit. Par
Jésus-Christ.
PRÉFACE.
Oui, c'est une chose digne et juste, équitable et salutaire,
que nous vous rendions grâces, toujours et en tous lieux, Seigneur saint, Père
tout-puissant, Dieu éternel ; par Jésus-Christ notre Seigneur : qui étant monté
au delà de tous les cieux et s'étant assis à votre droite, répand aujourd'hui
sur les enfants de l'adoption l'Esprit-Saint qu'il
avait promis. Sa venue excite un transport universel de joie, et la race
humaine se livre à l'allégresse sur toute la surface de la terre, en même temps
que les Vertus célestes et les Puissances angéliques chantent l'hymne à votre
gloire, répétant sans fin : Saint ! Saint ! Saint !
L'Antienne de la Communion célèbre
par les paroles du texte sacré le moment de l'avènement de l'Esprit divin. Le
Seigneur Jésus s'est donné à ses fidèles dans l'aliment eucharistique ; mais
c'est l'Esprit qui les a préparés à une telle faveur, lui qui a change sur
l'autel le pain et le vin en le corps et le sang de la victime sainte, lui qui
les aidera à conserver en eux l'aliment sacré qui garde les âmes pour la vie
éternelle.
COMMUNION.
Il se fit tout à coup un grand bruit, comme d'un vent
impétueux qui venait du ciel, dans le lieu où ils étaient assis, alleluia. Ils furent tous remplis du Saint-Esprit, et
publièrent les merveilles de Dieu, alleluia, alleluia.
Mise en possession de son Epoux
par le sacré Mystère, l'Eglise, dans la Postcommunion, implore pour ses fidèles
la permanence de l'Esprit-Saint dans leurs âmes, en même
temps qu'elle nous révèle une des prérogatives de ce divin Esprit, qui,
trouvant nos âmes arides et incapables de fructifier par elles-mêmes, se transforme
en rosée pour les féconder.
POSTCOMMUNION.
Faites, Seigneur, que l'Esprit-Saint
se répande dans nos cœurs, qu'il les purifie, et que les pénétrant de sa rosée
mystérieuse, il leur donne la fécondité. Par Jésus-Christ.
A SEXTE.
L’Hymne et les trois Psaumes dont se compose l'Office de
Sexte, se trouvent ci-dessus, page 54.
Ant. Ils furent tous remplis du
Saint-Esprit, et ils commencèrent à parler, alleluia.
CAPITULE. (Act. II.)
Le bruit de ce qui venait de se
passer s'étant répandu, il se rassembla un grand nombre de gens, et ils furent
très étonnés de ce que chacun d'eux les entendait parler en sa propre langue.
R/. br. L'Esprit Paraclet, *
Alléluia, alleluia. L'Esprit.
V/. Vous enseignera toutes choses.
* Alléluia, alleluia.
Gloire au Père. L'Esprit.
V/. Ils furent tous remplis du Saint-Esprit, alleluia.
R/. Et ils commencèrent à parler, alleluia.
L'Oraison est la Collecte de la
Messe, ci dessus, page 289.
A NONE.
L'Hymne et les Psaumes, ci-dessus, page 59.
Ant. Les Apôtres racontaient en diverses langues
les merveilles de Dieu, alleluia, alleluia,
alleluia.
CAPITULE. (Act. II.)
Juifs aussi et
prosélytes, Crétois et Arabes, nous les avons entendus raconter chacun en notre
langue les merveilles de Dieu.
R/. br. Ils furent tous remplis du Saint-Esprit, * Alléluia, alleluia. Ils furent tous remplis.
V/. Et ils commencèrent à parler. * Alléluia, alleluia.
Gloire au Père. Ils furent tous remplis.
V/. Les Apôtres racontaient en diverses langues, alleluia,
R/. Les merveilles de Dieu, alleluia.
L'Oraison ci-dessus, page
289.
A VÊPRES.
La grande journée avance dans son
cours, et remplis du Saint-Esprit comme nous l'avons été à l'heure de Tierce,
nous ne pouvons nous détacher du sublime spectacle dont Jérusalem est témoin Du
cœur des saints Apôtres le feu divin a passé dans la foule qui les entoure. Le
regret d'avoir crucifié « le Seigneur de gloire (1) » a dompté l'orgueil juif
dans ces hommes qui avaient accompagné la victime de leurs clameurs et de leurs
malédictions sur la Voie douloureuse. Que leur manque-t-il maintenant pour être
chrétiens? Connaître et croire, puis être baptisés. Du milieu du tourbillon de
l'Esprit-Saint qui les enveloppe, la voix de Pierre
et de ses frères retentit : « Celui qui a souffert sur la croix et qui est ressuscité
d'entre les morts est le propre Fils de Dieu engendre éternellement du Père ;
l'Esprit qui se manifeste en ce moment est la troisième personne dans l'unique
et divine essence. » La Trinité, l'Incarnation, la Rédemption, resplendissent
aux yeux de ces disciples de Moïse, les ombres s'effacent et font place au jour
radieux de la nouvelle alliance. Il est temps que s'accomplisse la parole de
Jean-Baptiste au bord du Jourdain, cette parole dont plusieurs des assistants
3o2
ont gardé mémoire, « Au milieu
de vous est quelqu'un que vous ne connaissez pas, dont je ne suis pas même digne
de délier la chaussure. Moi, je vous baptise dans l'eau ; mais lui vous
baptisera dans le Saint-Esprit et dans le feu (1). »
Toutefois ce baptême de feu,
c'est par l'eau qu'il doit s'administrer. L'Esprit qui est feu opère par l'eau,
et il est appelé lui-même « la fontaine d'eau vive ». L'antique prophète
Ezéchiel avait salué de loin cette heure solennelle, lorsqu'il rendait en ces
termes l'oracle divin : « Voici que je répandrai sur vous une eau pure, et vous
serez lavés de toutes vos souillures, et je vous purifierai de toutes vos
idoles. Et je vous donnerai un « cœur nouveau, et je placerai au milieu de vous
un esprit nouveau. Et j'ôterai de votre poitrine votre cœur de pierre, et je
vous donnerai un cœur de chair. Et je placerai mon Esprit au milieu de vous, et
je vous ferai marcher dans la voie de mes commandements. Et vous garderez ma
loi sainte ; et vous serez mon peuple, et je serai votre Dieu (2). »
La prophétie était claire, et
l'heure à laquelle l'Esprit arrivait était la même où l'eau allait couler. Cet
élément sur lequel planait l'Esprit divin à la première origine de ce monde,
nous l'avons vu, dans l'Epiphanie, recevoir au Jourdain le contact de la chair
sacrée du Verbe incarné, et la céleste colombe unir son action sanctifiante à
celle du Fils de Dieu. Récemment nous vîmes la main du Pontife, au Samedi
saint, dans la consécration de la fontaine baptismale, plonger le cierge, type
du Christ, dans les eaux, et nous l'entendîmes faire cette prière : « Qu'elle
descende
303
dans cette fontaine, la grâce et la
vertu de l'Esprit-Saint! » Aujourd'hui la source
purifiante répand ses eaux dans Jérusalem ; la main de Pierre et celles de ses
frères plongent dans l'élément sacré ces fils d'Israël, et trois mille hommes
ont relevé un front chrétien et régénéré. Qu'ils sont beaux, ces ancêtres de
notre foi, en qui nous vénérons les prémices de l'accomplissement des prophéties
! Plus beaux encore que les trois Mages que nous vîmes autrefois avec tant de
joie descendre de leurs chameaux et pénétrer dans l'étable, pour déposer aux
pieds du divin Roi des Juifs les offrandes mystiques de l'Orient. Maintenant
toute la série des mystères est accomplie ; nous sommes rachetés, Jésus est
assis à la droite de son Père, et l'Esprit divin, envoyé par lui, vient de nous
arriver, et il doit demeurer avec nous jusqu'à la fin des siècles. Voilà
pourquoi les sources des Sacrements sont ouvertes. A cette heure, l'Esprit du Père
et du Fils a levé le premier des sceaux, et l'eau baptismale coule pour ne plus
s'arrêter dans son cours, jusqu'à ce qu'elle ait régénéré le dernier des
chrétiens qui doit passer sur cette terre. Mais le divin Esprit est le « Don du
Dieu Très-Haut » ; les saints Apôtres sont en possession de ce don fait aux
hommes: ils ne doivent pas le retenir pour eux. Un second sceau est donc levé,
et le sacrement de Confirmation fait descendre sur les néophytes l'Esprit qui a
éclaté dans le Cénacle. Par la vertu qui est en eux, Pierre et ses frères,
pontifes de la loi nouvelle, communiquent à ces hommes, dans le Saint-Esprit,
la force divine qui leur sera désormais nécessaire pour confesser ce Jésus de
Nazareth dont ils sont pour jamais les heureux membres.
304
Mais ils ne sont pas assez
divinisés encore, ces nouveau-nés à la grâce céleste, marqués déjà d'un double
caractère; il leur reste à communier au Christ, au divin instituteur des
Sacrements, au médiateur et rédempteur qui a réuni Dieu et l'homme. Il faut
qu'un troisième sceau soit levé, que le sacerdoce nouveau agissant pour la
première lois par les Apôtres, produise Jésus, le Pain de vie, et que cette
multitude saintement affamée goûte cette manne qui ne nourrit pas seulement le
corps comme celle du désert, « mais qui donne la vie au monde (1). » L'auguste
Cénacle, tout embaumé encore du souvenir de la merveille que le Christ y opéra
la veille de sa Passion, revoit le sublime prodige dont il fut témoin. Entouré
de ses frères, Pierre consacre le pain et le vin par les paroles divines que sa
bouche n'avait pas prononcées encore, et l'opération de l'Esprit d'amour
produit entre ses mains le corps et le sang de Jésus. Le Sacrifice nouveau est
inauguré, et désormais il sera offert chaque jour jusqu'à la consommation des
siècles. Les néophytes s'approchent, et par les mains des saints Apôtres ils
entrent en possession de l'aliment céleste qui consomme leur union avec Dieu,
par Jésus Pontife éternel selon l'ordre de Melchisédech.
Mais n'oublions pas en ce grand
jour, à ce premier Sacrifice offert par Pierre, assisté de ses collègues dans
l'apostolat, la participation de Marie à cette chair divine dont son sein
virginal a été la source. Embrasée des feux de l'Esprit-Saint
qui est venu confirmer en elle cette maternité à l'égard des hommes que Jésus
lui confia sur la croix, elle s'unit dans le mystère d'amour à ce fils bien-aimé
3o5
qui s'en est allé aux cieux, et qui
l'a chargée de veiller sur son Eglise naissante. Désormais le Pain de vie lui
rendra son fils chaque jour, jusqu'à ce qu'elle-même soit enlevée à son tour
dans les cieux pour jouir éternellement de sa vue, recevoir ses caresses et lui
prodiguer les siennes.
Quel ne fut pas le bonheur de
ceux des néophytes auxquels il fut donné, en cette heureuse journée,
d'approcher d'une si auguste reine, de la Vierge-Mère,
à qui il avait été donné de porter dans ses chastes flancs celui qui était
l'espérance d'Israël ! Ils contemplèrent les traits de la nouvelle Eve, ils
entendirent sa voix, ils éprouvèrent le sentiment filial qu'elle inspire à tous
les disciples de Jésus. Dans une autre saison, la sainte Liturgie nous parlera
de ces hommes fortunés ; nous ne rappelons en ce moment leur bonheur que pour
montrer combien fut grande et complète cette journée qui vit le commencement de
la sainte Eglise. La hiérarchie sacrée apparut dans Pierre, Vicaire du Christ,
dans les Apôtres ses frères, dans les disciples choisis par Jésus lui-même. La
semence de la parole divine fut jetée dans la bonne terre, l'eau baptismale
régénéra l'élite des enfants d'Israël, l'Esprit-Saint
leur fut communiqué dans sa force, le Verbe divin les nourrit de sa chair qui
est vraiment une nourriture et de son sang qui est vraiment un breuvage (1), et
Marie les reçut à leur nouvelle naissance dans ses bras maternels.
Unissons-nous maintenant à la
sainte Eglise, et chantons avec elle les louanges du divin Esprit qui, descendu
à l'heure de Tierce, a rempli
3o6
de tant de merveilles ce premier
jour où il débute dans sa divine mission.
L'Office des Vêpres s'ouvre par
la proclamation du nombre quinquagénaire qui réunit les deux Pentecôtes.
L'Antienne nous montre en même temps les disciples au Cénacle dans l'attente de
l'arrivée du Don promis.
Ant. Les tours de la Pentecôte
étaient accomplis, et tous les disciples se trouvaient réunis en un même lieu, alleluia.
Le Psaume que l'Eglise chante
sous cette Antienne représente le triomphe du Christ dans son Ascension. Il
s'assied à la droite du Père, et c'est de là que, Dieu et homme, il consolide
son règne sur la terre, en envoyant aujourd'hui son Esprit pour habiter avec
nous jusqu'à ce que lui-même redescende, vengeur de son Eglise, qu'il
affranchira du joug de ses ennemis, et emmènera avec lui dans la gloire
éternelle.
PSAUME CIX.
Celui qui est le Seigneur a dit à son Fils , mon Seigneur : Asseyez-vous à ma
droite et régnez avec moi :
Jusqu'à ce que, au jour de votre dernier avènement,
je fasse de vos ennemis l'escabeau de vos pieds.
O Christ ! le Seigneur votre
Père fera sortir de Sion le sceptre de votre force ; c'est de là que
vous partirez pour dominer au milieu de vos ennemis.
La principauté éclatera en vous, au jour de votre force, au
milieu des splendeurs des Saints ; car le Père vous a dit : Je vous ai
engendré de mon sein avant l'aurore.
Le Seigneur l'a juré, et sa parole est sans repentir ; il
a dit en vous parlant : Dieu-Homme , vous êtes
Prêtre à jamais, selon l'ordre de Melchisédech.
O Père ! le Seigneur votre
Fils est donc à votre droite : c'est lui qui, au jour de sa colère ,
viendra juger les rois.
Il jugera aussi les nations : dans cet avènement
terrible, il consommera la ruine du monde, et brisera contre terre la tête
de plusieurs.
Il s'est abaissé pour boire l'eau du torrent des
afflictions ; mais c'est pour cela même qu'au jour de son triomphe
il élèvera la tête.
Ant. Les jours de la Pentecôte
étaient accomplis, et tous les disciples se trouvaient réunis en un même lieu, alleluia.
L'attente des disciples a été
comblée, l'Esprit divin est descendu sur eux, mais il ne s'est pas borné à
visiter leurs âmes ; dès aujourd'hui, c'est le monde tout entier qu'il vient
conquérir.
Ant. L’Esprit du Seigneur a rempli
la terre entière, alleluia.
3o8
Le second Psaume célèbre les
bienfaits de Dieu envers son peuple : l'alliance promise, qui se consomme
aujourd'hui, la rédemption de l'homme et la fidélité du Seigneur à ses
promesses. La mission du Saint-Esprit avait été annoncée par les Prophètes et
par Jésus lui-même : le Seigneur a daigné dégager sa parole en ce jour.
PSAUME CX.
Je vous louerai, Seigneur, de toute la plénitude de mon
cœur, dans l'assemblée des justes.
Grandes sont les œuvres du Seigneur; elles ont été
concertées dans les desseins de sa sagesse.
Elles sont dignes de louanges et magnifiques; et la justice
de Dieu demeure dans les siècles des siècles.
Le Seigneur clément et miséricordieux nous a laissé un
mémorial de ses merveilles ; il est le Pain de vie, et il a donné une
nourriture à ceux qui le craignent.
Il se souviendra à jamais de son alliance arec les hommes;
il enverra son Esprit, et fera éclater aux yeux de son peuple la vertu de ses
œuvres.
Il donnera à son Eglise l'héritage des nations : tout ce
qu'il fait est justice et vérité.
Ses préceptes sont immuables et garantis par la succession
des siècles; ils sont fondés sur la vérité et la justice.
Il a envoyé à son peuple un Rédempteur; et par la mission
de l’Esprit divin il rend son alliance éternelle.
Son Nom est saint et terrible ; le commencement de la
sagesse est de craindre le Seigneur.
La lumière et l'intelligence sont pour celui qui agit selon
cette crainte : gloire et louange à Dieu dans les siècles des siècles !
Ant. L'Esprit du Seigneur a rempli
la terre entière, alleluia.
L'Esprit divin s'empare des disciples, il les rend aptes à
parler ; car c'est par la parole qu'ils feront la conquête du monde.
Ant. Ils furent tous remplis du
Saint-Esprit , et ils commencèrent à parler, alleluia, alleluia.
Le troisième Psaume chante la
félicité de l'homme juste et ses espérances. La lumière qui s'élance du sein
des ténèbres, c'est Jésus, le Fils éternel de Dieu ; c'est ensuite l'Esprit-Saint qui éclate tout à coup aujourd'hui. Le pécheur
qui s'irrite à la vue des dons de Dieu, c'est le Juif incrédule qui ferme les
yeux à la lumière et repousse le divin Esprit, comme il avait repoussé le Fils
du Père céleste.
PSAUME CXI.
Heureux l'homme qui craint le Seigneur, et qui met tout son
zèle à lui obéir.
Sa postérité sera puissante sur la terre : la race du juste
sera en bénédiction.
La gloire et la richesse sont dans sa maison, et sa justice
demeure dans les siècles des siècles.
Une lumière s'est levée sur les justes du milieu des
ténèbres : c'est le Seigneur, le Dieu miséricordieux, clément et juste ; l'Esprit
qui vient renouveler la terre.
Heureux alors l'homme qui a fait miséricorde, qui a prêté au
pauvre, qui a réglé jusqu'à ses paroles avec justice ! car
il ne sera point ébranlé
La mémoire du juste sera éternelle : s'il entend une
nouvelle fâcheuse, elle ne lui donnera point à craindre.
Son cœur est toujours prêt à espérer au Seigneur; son cœur
est en assurance : il ne sera point ému, et méprisera la rage de ses ennemis.
Il a répandu l'aumône avec profusion sur le pauvre : sa
justice demeurera à jamais, sa force sera élevée en gloire.
Le pécheur le verra, et il entrera en fureur; il grincera
des dents et séchera de colère : mais les désirs du pécheur périront.
Ant. Ils furent tous remplis du
Saint-Esprit, et ils commencèrent à parler, alleluia,
alleluia.
Dans son allégresse la pensée des
trois mille néophytes de ce jour, la sainte Eglise chante la fontaine d'eau
vive que l'Esprit divin a fait jaillir pour leur régénération ; elle nous les
montre comme d'heureux poissons qui s'agitent dans les ondes du salut.
Ant. Fontaines et vous tous qui vous
ébattez dans les eaux, chantez un cantique à Dieu, alleluia.
Le quatrième Psaume est un chant
de louange au Seigneur qui, du haut du ciel, a pris pitié de la nature humaine,
et qui, pour la relever de l'abaissement où elle languissait, lui a d'abord
envoyé son propre Fils, et aujourd'hui fait descendre vers elle son divin
Esprit.
PSAUME CXII.
Serviteurs du Seigneur, laites entendre ses louanges,
célébrez le Nom du Seigneur.
Que le Nom du Seigneur soit béni, aujourd'hui et jus que
dans l'éternité.
De l'aurore au couchant, le Nom du Seigneur doit être à
jamais célébré.
Le Seigneur est élevé au-dessus de toutes les nations, sa
gloire est par delà les cieux.
Qui est semblable au Seigneur notre Dieu, dont la demeure
est dans les hauteurs?
C'est de là qu'il abaisse ses regards sur les choses les
plus humbles dans le ciel et sur la terre.
C'est delà qu'il soulève de terre l'indigent ; qu'il
élève le pauvre de dessus son fumier où il languissait,
Pour le placer avec les princes, avec les princes mêmes de
son peuple.
C'est lui qui a fait habiter pleine de joie dans sa maison
celle qui longtemps fut stérile, et qui maintenant est mère de nombreux
enfants.
Ant. Fontaines et vous tous qui
vous ébattez dans les eaux, chantez un cantique à Dieu, alleluia.
En ce grand jour, l'Esprit-Saint a conquis le monde ; mais c'est par la parole
des Apôtres qu'il s'en est rendu le maître, cette parole d'une éloquence
miraculeuse qu'il a formée en eux, et à laquelle il a joint sa toute-puissance.
Ant. Les Apôtres parlaient en diverses
langues des merveilles de Dieu,alleluia,
alleluia, alleluia.
Le cinquième Psaume rappelle
d'abord la première Pâque, la sortie de l'Egypte et les prodiges qui
l'accompagnèrent et la suivirent. On y voit ensuite les nations devenues
esclaves de leurs idoles ; mais aujourd'hui le divin Esprit suscite des
conquérants qui abattront ces vains simulacres. La maison d'Israël et la maison
d'Aaron ne se vanteront plus d'être les seules à servir le vrai Dieu. Instruits
par les hommes à la langue de l'eu, tous les peuples acquerront la crainte du
Seigneur et espéreront en lui. Nous ne sommes plus au nombre de ces morts qui
ne louent pas Dieu ; mais nous vivons de la vie surnaturelle que le Fils de
Dieu a conquise pour nous par sa Passion et par sa Résurrection, et que l'Esprit-Saint fait pénétrer en nous par le divin mystère de
ce jour.
PSAUME CXIII.
Lorsque Israël sortit d'Egypte, et la maison de Jacob du
milieu d'un peuple barbare,
La nation juive fut consacrée à Dieu, Israël fut son
domaine.
La mer le vit et s'enfuit ; le Jourdain remonta vers sa
source.
Les montagnes bondirent comme des béliers, et les collines
comme des agneaux.
O mer, pourquoi fuyais tu ? Et toi, Jourdain, pourquoi
remontais-tu vers ta source ?
Montagnes , pourquoi
bondissiez-vous comme des béliers? Et vous, collines, comme des agneaux?
A la face du Seigneur, la terre a tremblé, à la face du Dieu
de Jacob,
Qui changea la pierre en torrents, et la roche en fontaines.
Non pas à nous, Seigneur, non pas à nous, mais à votre Nom
donnez la gloire,
A cause de votre miséricorde et de votre vérité, de peur que
les nations ne disent : Où est leur Dieu ?
Notre Dieu est au ciel : il a fait tout ce qu'il a voulu.
Les idoles des nations ne sont que de l'or et de l'arpent,
et l'ouvrage des mains des hommes.
Elles ont une bouche, et ne parlent point; des yeux, et ne
voient point.
Elles ont des oreilles, et n'entendent point ; des narines,
et ne sentent point.
Elles ont des mains, et ne peuvent rien toucher; des pieds,
et ne marchent point; un gosier, et ne peuvent se faire entendre.
Que ceux qui les font leur deviennent semblables, avec tous ceux
qui mettent en elles leur confiance.
La maison d'Israël a espéré dans le Seigneur: il est leur
appui et leur protecteur.
La maison d'Aaron a espéré dans le Seigneur : il est leur
appui et leur protecteur.
Ceux qui craignent le Seigneur ont espéré en lui : il est
leur appui et leur protecteur.
Le Seigneur s'est souvenu de nous, et il nous a bénis.
Il a béni la maison d'Israël : il a béni la maison d'Aaron.
Il a béni tous ceux qui craignent le Seigneur, grands et
petits.
Que le Seigneur ajoute encore à ses dons sur vous, sur vous
et sur vos enfants.
Bénis soyez-vous du Seigneur, qui a fait le ciel et la terre
!
Au Seigneur, les hauteurs du ciel; la terre est aux hommes par sa largesse.
Ce ne sont pas les morts qui vous loueront, ô Seigneur ! ni tous ceux qui descendent dans le sépulcre ;
Mais nous qui vivons, nous bénissons le Seigneur, aujourd'hui
et à jamais.
Ant. Les Apôtres parlaient en
diverses langues des merveilles de Dieu, alleluia, alleluia, alleluia.
CAPITULE (Act. II.)
Les jours de la Pentecôte étant accomplis, et tous les
disciples se trouvant réunis dans un même lieu, il se fit tout à coup un grand
bruit, comme d'un vent impétueux qui venait du ciel, et qui remplit toute la
maison où ils étaient assis.
L'Hymne est celle que nous avons
déjà chantée à Tierce, à l'heure même où le divin Esprit descendit dans le
Cénacle. La grandeur des pensées et l'onction du sentiment forment le caractère
de ce sublime cantique, toujours nouveau et toujours inépuisable.
HYMNE.
Venez, Esprit créateur, visiter les âmes de vos fidèles, et
remplir de la grâce céleste les cœurs
que vous avez crées.
Vous êtes appelé le Consolateur, le Don du Dieu très haut,
la source d'eau vive, le feu, l'amour, l'onction spirituelle.
Versant sur nous vos sept dons, vous êtes le doigt de la
main du Père ; promis solennellement par lui aux hommes, vous venez leur
apporter la puissance du langage.
Eclairez nos esprits de votre lumière, versez l'amour dans
nos cœurs ; soutenez !a faiblesse de notre corps par votre incessante énergie.
Repoussez l'ennemi loin de nous, hâtez-vous de nous donner
la paix ; marchez devant nous comme notre chef, et nous éviterons tout mal.
Faites-nous connaître le Père et le Fils ; donnez-nous la
foi en vous qui procédez de l'un et de l'autre.
Gloire soit à Dieu le Père ! Gloire soit au Fils ressuscité
des morts ! Gloire au Paraclet, dans les siècles des siècles !
Amen.
V/. Les Apôtres parlaient en diverses langues, alleluia,
R/. Des merveilles de Dieu, alleluia.
Vient ensuite le Cantique de
Marie, partie essentielle de l'Office du soir ,
accompagné du solennel encensement de l'autel. L'accent de cet hymne divin
s'est enrichi encore. Ce n'est plus seulement la Vierge portant en elle le Fils
éternel du Père que l'on entend épancher les émotions de son âme ; c'est la
Mère de Dieu inondée des feux de l'Esprit-Saint, et
préparée pour le nouveau ministère qui l'attend. Le cantique est harmonisé pour
la fête au moyen de la magnifique Antienne qui le précède.
Ant. Aujourd'hui sont accomplis
les jours de la Pentecôte, alleluia. Aujourd'hui l'Esprit-Saint a apparu aux disciples sous la forme du feu,
et il a répandu en eux les dons de ses grâces. Il les a envoyés dans le monde
entier prêcher et rendre témoignage. Celui qui croira et sera baptisé sera
sauvé, alleluia.
CANTIQUE DE MARIE.
Mon âme glorifie le Seigneur;
Et mon esprit tressaille en Dieu mon Sauveur, et en son
Esprit qui est descendu sur moi.
Car il a regardé la bassesse de sa servante ; et pour cela,
toutes les nations m'appelleront bienheureuse.
Il a fait en moi de grandes choses, il m'a associée à toutes
ses œuvres, celui qui est puissant et de qui le nom est Saint;
Et sa miséricorde s'étend de génération en génération sur
ceux qui le craignent.
Il a opéré puissamment par son bras, et dispersé ceux qui
suivaient les orgueilleuses pensées de leur cœur.
Il a mis à bas de leur trône les puissants, et il a élevé
les humbles.
Il a rempli de biens ceux qui avaient faim, et renvoyé vides
ceux qui étaient riches.
Il a reçu sous sa protection Israël son serviteur, se
souvenant de la miséricordieuse promesse
Qu'il fit autrefois à nos pères, à Abraham et à sa postérité
pour jamais.
Ant. Aujourd'hui sont accomplis
les jours de la Pentecôte, alleluia. Aujourd'hui l'Esprit-Saint a apparu aux disciples sous la forme du feu,
et il a répandu en eux les dons de ses grâces. Il les a envoyés dans le monde
entier prêcher et rendre témoignage. Celui qui croira et sera baptisé sera
sauvé, alleluia.
ORAISON.
O Dieu qui avez éclairé en ce jour les coeurs des fidèles par
la lumière du Saint-Esprit, accordez-nous par le même Esprit dégoûter ce qui est
bien, et de jouir sans cesse de la consolation dont il est la source. Par Jésus
Christ.
Selon notre usage, nous
achèverons une si sainte journée en réunissant, comme dans un concert, les voix
de toutes les Eglises célébrant le glorieux mystère de la Pentecôte chrétienne.
Nous nous sommes unis à la sainte Eglise Romaine dans
tous les cantiques de ce jour ; il nous faut entendre maintenant la voix de
l'Eglise grecque. Saint Jean Damascène est autour de l'Hymne qui suit, et que
nous empruntons au Pentecostarion.
HYMNE.
Au sortir du nuage divin, le prophète dont la langue était
tardive promulgua la loi écrite par le doigt de Dieu ; guéri de son infirmité,
il avait contemplé de l'œil de l'âme celui qui est, et il célébra dans de
sacres cantiques la science de l'Esprit qu'il avait reçu.
Le grave et auguste Maître avait dit à ses disciples : « Ne
vous séparez point, ô mes amis ! lorsque je serai
assis sur le trône sublime de mon Père, je répandrai la grâce infinie de
l'Esprit dans tout son éclat sur vous qui désirez la connaître. »
Sa carrière étant terminée, le Verbe, fidèle à sa promesse,
remplit leurs cœurs d'un doux recueillement. Ayant achevé son œuvre, il répand
sur ses amis d'abord un souffle violent, bientôt des langues enflammées ; lui
le Christ, il leur donne l'Esprit et dégage ainsi sa parole.
Le pouvoir divin dépasse toute borne ; de gens illettrés il
fait des orateurs, leur parole réduira les sophistes au silence, et semblable à
un éclair éblouissant, l'Esprit enlèvera à leur nuit profonde des peuples
innombrables.
Cet Esprit tout-puissant, splendide ,
incorruptible , procédait de la lumière incréée, de la substance que le Père
transmet au Fils ; aujourd'hui, langue de feu dans Sion, il manifeste aux
nations cette lumière qu'il puise dans la divinité.
Et toi, ô Fils de Dieu qui as réuni
deux natures, tu prépares le bain divin de la régénération ; l'eau d'un tel
bain s'est épanchée de ton côté, ô Verbe, et l'ardeur puissante de l'Esprit en
est le sceau.
Vous êtes les vrais serviteurs du Dieu souverain, vous qui
adorez l'essence trois lois lumineuse. Le Christ met aujourd'hui la dernière
main à son bienfait surnaturel, envoyant pour notre salut celui qu'exprime le
feu, versant sur nous la grâce universelle de l'Esprit.
Enfants de l'Eglise, fils de la lumière, recevez la rosée
enflammée de l'Esprit, et par elle la rémission et l'affranchissement de vos
péchés ; car aujourd'hui la loi est sortie de Sion, la grâce du Saint-Esprit,
sous a forme d'une langue de feu.
Autrefois on entendit un concert d'instruments qui conviait
les hommes à adorer la statue d'or inanimée; maintenant, c'est la grâce
lumineuse du Paraclet qui les rend dignes de s'écrier: O Trinité unique, égale
en pouvoir, sans commencement, nous te bénissons.
Oubliant l'oracle du Prophète, des insensés disaient que
l'ivresse des Apôtres était produite par le vin ; on entendait retentir tous
les langages étrangers ; pour nous, nous n'avons qu'un cri : Toi qui
renouvelles divinement l'univers, sois béni.
L'heure de Tierce fut choisie pour l'effusion d'une telle
grâce ; elle signifiait que l'on devait adorer trois personnes dans l'unité de
puissance ; en ce jour du Dimanche, le premier des jours, ô Père, o Fils, ô
Esprit, soyez béni.
L'Eglise arménienne mérite d’être
écoutée à son tour. Les strophes suivantes si majestueuses et si remplies de
mystère remontent au cinquième siècle. La tradition les attribue à Moïse de Khorène, ou à Jean Matagouni.
CANON PRIMAE DIEI.
La colombe envoyée aux hommes est descendue des cieux,
annoncée par un grand bruit ; voilée sous l'emblème d'une lumière éclatante,
elle a couvert d'une armure de feu, sans qu'ils en fussent brûlés, les
disciples qui étaient encore assis dans le sacré cénacle.
C'est la colombe immatérielle, insondable, qui pénètre les
profondeurs de Dieu, qui annonce le second et terrible avènement, qui procède
du Père, et que l'on nous enseigne lui être consubstantielle.
Gloire au plus haut des cieux, à l'Esprit-Saint
qui procède du Père ! Les Apôtres ont été enivrés à son calice immortel, et ils
ont invité la terre à s'unir au ciel.
Esprit divin et vivifiant, rempli de bonté pour les hommes,
tu as éclairé par les langues de feu ceux qui étaient rassemblés par le lien
d'un mutuel amour; c'est pourquoi nous célébrons aujourd'hui ton avènement sacré.
Les saints Apôtres ont été comblés de délices à ton arrivée
; en parlant diverses langues ils ont attiré des disciples qu'aucun lien
n'aurait réunis; c'est pourquoi nous célébrons aujourd’hui ton avènement sacré.
Tu t'es servi d'eux pour embellir, par le saint et spirituel
baptême, la terre entière; tu l'as couverte de
vêtements nouveaux d'une blancheur éclatante ; c'est pourquoi nous célébrons
aujourd'hui ton avènement sacré.
Toi qui reposes sur le char des chérubins, Esprit-Saint, tu es descendu aujourd'hui des cieux sur le
chœur apostolique : sois béni, roi immortel !
Toi qui t'avances sur l'aile des vents, Esprit-Saint,
tu t'es partagé en langues de feu, et tu t'es reposé sur les Apôtres : sois
béni, roi immortel !
Toi qui prends soin de toutes les créatures dans ta
providence, Esprit-Saint, tu es venu aujourd'hui pour
affermir ton Eglise : sois béni, roi immortel !
La Liturgie ambrosienne nous donne cette belle Préface qui,
dans sa concision, réunit tous les mystères de la Pentecôte.
PRÉFACE.
IL est juste et salutaire que nous nous laissions aller a la joie, en cette illustre solennité qui vient ajouter à
la Pâque sacrée le mystère des cinquante jours et compléter ainsi le nombre
mystique. C'est pareillement en ce jour que la division des langues, qui avait
été opérée autrefois pour humilier l'orgueil, fait place maintenant à leur
réunion par le Saint-Esprit. C'est aujourd'hui que les Apôtres, après avoir
entendu soudain un bruit qui venait du ciel, ont reçu le symbole de la foi
unique, et parlant diverses langues, ont révélé à toutes les nations la gloire
de votre Evangile. Par le Christ notre Seigneur.
L'Eglise gothique d'Espagne
procède avec son abondance et son enthousiasme accoutumés, dans cette
magnifique Illation que nous fournit son Missel
mozarabe.
ILLATIO.
IL est juste et raisonnable ô Dieu tout-puissant, que nous célébrions , dans la faiblesse de notre nature, vos dons et
vos bienfaits, et que chaque année nous honorions particulièrement la mémoire
de celui que vous avez daigné nous faire aujourd'hui pour notre éternel salut.
Qui oserait garder le silence sur l'arrivée de votre Esprit-Saint,
en ce jour où pas une seule langue des nations barbares n'est oubliée par vos
Apôtres ? Mais qui pourrait raconter dignement le mystère de ce feu qui descend
aujourd'hui, et les idiomes de tous les peuples inspirés aux disciples, en
sorte que le Latin et l'Hébreu, le Grec et l'Egyptien, le Scythe et l'Indien,
s'exprimant dans une langue qui leur était inconnue, n'altèrent en rien
l'idiome qui leur est étranger, et entendent parler sans altération celui qui
leur est propre ? Qui pourrait décrire e divin pouvoir qui vient à son gré
répandre sur ceux qui devront prêcher la vérité parlante par toute la terre, le
don d une doctrine céleste, une et indivisible ? Ni la science ainsi distribuée
dans la plus riche variété, ni la diversité merveilleuse des langages,
n'enlèvent rien à l'unité de la foi. Nous apprenons ici que la dissemblance des
idiomes n'arrête en rien la louange du Seigneur, et que peu importe la langue
dont on se sert, si le même Dieu est l'objet d'une même foi.
Nous vous supplions donc,
Seigneur, Père de la gloire,d'agréer notre confession
qui s'élève vers vous du cœur des enfants de la promesse. Daignez par
l'infusion du divin Esprit, bénir et sanctifier nos âmes, les rendant capables
d'espérer et de mériter la récompense que vous avez promise à vos fidèles. Dans
l'effusion que votre munificence pleine de gloire a faite pour notre salut,
entre les œuvres et les dons de votre Esprit-Saint,
nous ne voyons rien déplus sublime, à l'origine de l'Eglise, que la prédication
de votre Evangile accomplie par des bouches qui parlaient les langues de toutes
les nations Un tel prodige ne pouvait être produit que par la grâce de l'Esprit-Saint, qui est venu à nous sept semaines après la
glorieuse Résurrection de votre Fils, montrant ainsi que s'il est septiforme,
toutes ses puissances se concentrent dans une harmonieuse unité,et que de même
que sept est à part dans les nombres, ainsi sept se retrouve en chacun d'eux.
De là les sept degrés de votre temple par lesquels nous entrons au royaume des
deux. De là la cinquantième année, celle de la rémission si célèbre dans les
mystères de la loi. C'est le fruit de la moisson nouvelle qu'il nous est
commandé d'offrir aujourd'hui. Il est avant tous les siècles, il est éternel ; mais
pour nous il est devenu nouveau, quand il nous a apparu.
Ce n'est pas non plus sans
mystère qu'un tel don est répandu sur nous le dixième jour après l'Ascension de
votre Fils; nous y reconnaissons ce denier promis par le Père de famille aux
ouvriers de la vigne. Il nous fallait ce signe imposant de votre divine bonté
qui s'est montrée lorsque la forme des langues apparaissant en feu sur es têtes
des disciples, elle fit produire aux coeurs des croyants ces nouveaux accents
dans lesquels ne paraissait rien de dissonant ni de tiède. Prédicateurs de
votre Verbe, on les vit unanimes dans l'intelligence et embrasés de charité. O
feu qui brûles et fécondes en même temps ! toute
créature éclairée par le principe de vie confesse que ce feu est le Seigneur
tout-puissant. C'est lui dont l'ardeur embrase les Chérubins et les ardents
Séraphins désignés par son nom, et qui glorifiant avec transport l'égalité de
la sainteté divine et la toute-puissance de la Trinité, n'ont pas de repos, et
sans jamais se lasser chantent, adorent et glorifient dans une jubilation éternelle , disant en commun avec les choeurs des armées célestes
: Saint ! Saint ! Saint !
Le moyen âge des Eglises latines
a célébré le mystère de la Pentecôte dans de magnifiques Séquences. Nous en
insérons quelques-unes dans le cours de l'Octave. Aujourd'hui nous reproduisons
celle qui fut longtemps attribuée au pieux roi Robert.
Cette pièce intéressante, dont Notker est le véritable auteur, a disparu des
Missels romains-français au XVIIe siècle, et on l'y a
remplacée par la Séquence romaine, Veni, Sancte Spiritus. Nous avons
pensé que l'on ne devait pas laisser périr ce noble cantique dont parlent nos
anciens chroniqueurs, et que tous les historiens modernes confondent à l'envi
avec la Séquence du Missel romain, qui n'a dans sa composition et dans son
rythme aucun rapport avec les Séquences du XI° siècle.
SÉQUENCE.
Que la grâce de l'Esprit-Saint
daigne nous assister !
Qu'elle fasse de nos cœurs son habitation,
Qu'elle en expulse les vices de notre esprit.
O vous qui éclairez les hommes ,
Esprit plein de bonté,
Chassez les sombres ténèbres qui attristent notre âme.
Vous qui êtes l'ami des sages pensées, bon et saint,
Répandez votre onction dans nos âmes.
O Esprit, c'est vous qui nous purifiez de tous nos péchés.
Purifiez en nous l'œil de l'homme intérieur,
Afin que nous puissions un jour contempler le Père suprême,
Qu'il n'est donné de voir qu'à ceux qui ont le cœur pur.
C'est vous qui avez inspiré les Prophètes, et leur avez fait
célébrer d'avance les louanges du Christ.
Vous avez fortifie les Apôtres pour élever le trophée du
Christ par le monde entier.
Lorsque Dieu, par son Verbe, créa le ciel, la terre et la
mer,
Vous fîtes planer votre divinité sur les eaux pour les
féconder, ô Esprit !
Maintenant vous donnez à ces eaux la vertu de vivifier les
âmes.
Votre souffle rend les hommes spirituels.
Le monde divisé en diverses langues et en divers cultes,
vous l'avez réuni en un seul, ô Seigneur !
O Docteur rempli de bonté, c'est vous qui avez rappelé les
idolâtres au culte du vrai Dieu.
Daignez donc , Esprit-Saint,
exaucer nos supplications.
Sans vous toutes nos prières seraient vaines et indignes de
monter jusqu'à l'oreille de Dieu.
C'est vous qui, par vos divines caresses, avez instruit et
dirigé les saints dans tous les siècles, ô Esprit !
Décorant aujourd'hui les Apôtres de dons nouveaux et
inconnus aux âges précédents,
Vous avez rendu ce jour glorieux à jamais. Amen.
LES DONS DU SAINT-ESPRIT.
Nous devons exposer durant toute
cette semaine les divines opérations du Saint-Esprit dans l'Eglise et dans
l'âme du fidèle ; mais il est nécessaire d'anticiper dès aujourd'hui sur
l'enseignement que nous aurons à présenter. Sept journées nous sont données
pour étudier et connaître le Don suprême que le Père et le Fils ont daigné nous
envoyer, et l'Esprit qui procède des deux se manifeste en sept manières dans
les âmes. Il est donc juste que chacun des jours de cette heureuse semaine soit
consacré à honorer et à recueillir ce septénaire de bienfaits par lequel
doivent s'opérer notre salut et notre sanctification.
Les sept Dons du Saint-Esprit
sont sept énergies qu'il daigne déposer dans nos âmes, lorsqu'il y pénètre par
la grâce sanctifiante. Les grâces actuelles mettent en mouvement simultanément
ou séparément ces puissances divinement infuses en nous, et le bien surnaturel
et méritoire de la vie éternelle est produit avec l'acquiescement de notre
volonté.
Le prophète Isaïe, conduit par
l'inspiration divine, nous a fait connaître ces sept Dons dans le passage où
décrivant l'opération de l'Esprit-Saint sur l'âme du
Fils de Dieu fait homme, qu'il nous représente comme la fleur sortie de la
branche virginale issue du tronc de Jessé, il nous
dit :
« Sur lui reposera l'Esprit du
Seigneur, l'Esprit de Sagesse et d'Intelligence, l'Esprit de Conseil et de
Force, l'Esprit de Science et de Piété ; et l'Esprit de Crainte du Seigneur le
remplira (1). » Rien de plus mystérieux que ces paroles ; mais on sent que ce
qu'elles expriment n'est pas une simple énumération des caractères du divin
Esprit, mais bien la description des effets qu'il opère dans l'âme humaine.
Ainsi l'a compris la tradition chrétienne énoncée dans les écrits des anciens
Pères, et formulée par la théologie.
L'humanité sainte du Fils de Dieu
incarné est le type surnaturel de la nôtre, et ce que l'Esprit-Saint
a opère en elle pour la sanctifier doit en proportion avoir lieu en nous. Il a
déposé dans le fils de Marie les sept énergies que décrit le Prophète; les
mêmes Dons en même nombre sont préparés à l'homme régénéré. On doit remarquer
la progression qui se manifeste dans leur série. Isaïe énonce d'abord l'Esprit
de Sagesse, et s'arrête en descendant à l'Esprit de Crainte de Dieu. La Sagesse
est en effet, ainsi que nous le verrons, la plus haute des prérogatives à
laquelle puisse être élevée l'âme humaine, tandis que la Crainte de Dieu, selon
la profonde expression du Psalmiste, n'est que le commencement et l'ébauche de
cette divine qualité. On comprend aisément que l'âme de Jésus appelée à
contracter l'union personnelle avec le Verbe divin ait été traitée avec une
dignité particulière, en sorte que le Don de la Sagesse ait dû être infus en
elle d'une manière primordiale, et que le Don de la Crainte de Dieu, qualité
nécessaire à une nature créée, n'ait été mis en elle que comme un complément. Pour
333
nous au contraire, fragiles et
inconstants que nous sommes, la Crainte de Dieu est la base de tout l'édifice,
et c'est par elle que nous nous élevons de degré en degré jusqu'à cette Sagesse
qui unit à Dieu. C'est donc dans l'ordre inverse à celui qu'a posé Isaïe pour
le Fils de Dieu incarné, que l'homme monte à la perfection au moyen des Dons de
l'Esprit-Saint qui lui ont été conférés dans le
Baptême, et qui lui sont rendus dans le sacrement de la réconciliation, s'il a
eu le malheur de perdre la grâce sanctifiante parle péché mortel.
Admirons avec un profond respect
l'auguste septénaire qui se trouve empreint dans toute l'œuvre de notre salut
et de notre sanctification. Sept vertus rendent l'âme agréable à Dieu ; par ses
sept Dons, l'Esprit-Saint la conduit à sa fin ; sept
Sacrements lui communiquent les fruits de l'incarnation et de la rédemption de
Jésus-Christ ; enfin, c'est après sept semaines écoulées depuis la Pâque, que
le divin Esprit est envoyé sur la terre pour y établir et y consolider le règne
de Dieu. Nous ne nous étonnerons pas après cela que Satan ait cherché à
parodier sacrilègement l'œuvre divine, en lui
opposant l'affreux septénaire des péchés capitaux, par lesquels il s'efforce de
perdre l'homme que Dieu veut sauver.
LE DON DE CRAINTE.
L'obstacle au bien en nous est l'orgueil. C'est l'orgueil
qui nous porte à résister à Dieu, à mettre notre fin en nous-mêmes, en un mot à
nous perdre. L'humilité seule peut nous sauver d'un si grand péril. Qui nous
donnera l'humilité? l'Esprit-Saint, en répandant en nous le Don de la Crainte de Dieu.
Ce sentiment repose sur l'idée
que la foi nous donne de la majesté de Dieu, en présence duquel nous ne sommes
que néant, de sa sainteté infinie, devant laquelle nous ne sommes qu'indignité
et souillure, du jugement souverainement équitable qu'il doit exercer sur nous
au sortir de cette vie, et du danger d'une chute toujours possible, si nous manquons
à la grâce qui ne nous manque jamais, mais à laquelle nous pouvons résister.
Le salut de l'homme s'opère donc
« dans la crainte et le tremblement », comme l'enseigne l'Apôtre (1) ; mais
cette crainte, qui est un don de l'Esprit-Saint,
n'est pas un sentiment grossier qui se bornerait à nous jeter dans l'épouvante
à la pensée des châtiments éternels. Elle nous maintient dans la componction du
cœur, quand bien même nos péchés seraient depuis longtemps pardonnes; elle nous
empêche d'oublier que nous sommes pécheurs, que nous devons tout à la
miséricorde divine, et que nous ne sommes encore sauvés qu'en espérance (2).
Cette crainte de Dieu n'est donc
pas une crainte servile ; elle devient au contraire la source des sentiments
les plus délicats. Elle peut s'allier avec l'amour, n'étant plus qu'un
sentiment filial qui redoute le péché à cause de l'outrage qu'il fait à Dieu.
Inspirée par le respect de la majesté divine, parle sentiment de la sainteté
infinie, elle met la créature à sa vraie place, et saint Paul nous enseigne
qu'ainsi épurée, elle contribue à « l'achèvement de la sanctification (3) ».
Aussi entendons-nous ce grand Apôtre, qui avait été ravi jusqu'au troisième
ciel, confesser qu'il est rigoureux envers lui-même « afin de n'être pas
réprouvé (4)».
335
L'esprit d'indépendance et de
fausse liberté qui règne aujourd'hui contribue à rendre plus rare la crainte de
Dieu, et c'est là une des plaies de notre temps. La familiarité avec Dieu tient
trop souvent la place de cette disposition fondamentale de la vie chrétienne,
et dès lors tout progrès s'arrête, l'illusion s'introduit dans l'âme, et les
divins Sacrements, qui au moment d'un retour à Dieu avaient opéré avec tant de puissance,
deviennent à peu près stériles. C'est que le Don de Crainte a été étouffé sous
la vaine complaisance de l'âme en elle-même. L'humilité s'est éteinte; un
orgueil secret et universel est venu paralyser les mouvements de cette âme.
Elle arrive, sans s'en douter, à ne plus connaître Dieu, par cela même qu'elle
ne tremble plus devant lui.
Conservez donc en nous, ô divin
Esprit, le Don de la Crainte de Dieu que vous avez répandu en nous dans notre
baptême. Cette crainte salutaire assurera notre persévérance dans le bien, en
arrêtant les progrès de l'esprit d'orgueil. Qu'elle soit donc comme un trait
qui traverse notre âme de part en part, et qu'elle y reste toujours fixée comme
notre sauvegarde. Qu'elle abaisse nos hauteurs, qu'elle nous arrache à la mollesse,
en nous révélant sans cesse la grandeur et la sainteté de celui qui nous a
créés et qui doit nous juger.
Nous savons, ô divin Esprit, que
cette heureuse crainte n'étouffe pas l'amour; loin de là, elle enlève les
obstacles qui l'arrêteraient dans son développement. Les Puissances célestes
voient et aiment avec ardeur le souverain Bien, elles en sont enivrées pour
l'éternité ; cependant elles tremblent devant sa majesté redoutable, tremunt Potestates.
Et nous, couverts des cicatrices du péché, remplis d'imperfections, exposés à
mille pièges, obliges de limer contre tant d'ennemis, nous ne sentirions pas
qu'il nous faut stimuler par une crainte forte, et en même temps filiale, notre
volonté qui s'endort si aisément, notre esprit que tant de ténèbres assiègent !
Veillez sur votre œuvre, ô divin Esprit ! préservez en
nous le précieux don que vous avez daigné nous faire ; apprenez-nous à
concilier la paix et la joie du cœur avec la crainte de Dieu, selon cet
avertissement du Psalmiste : « Servez le Seigneur « avec crainte, et
tressaillez de bonheur en tremblant devant lui (1). »