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PREMIER SERMON
POUR
LES TROIS DERNIERS JOURS
DE LA SEMAINE DE LA PASSION,
SUR L'EFFICACE DE LA PÉNITENCE (a).
Vides hanc mulierem?
Voyez-vous cette femme? Luc, VII, 44.
Madeleine, le parfait modèle de
toutes les âmes réconciliées, se présente à nous dans cette semaine, et on ne
peut la contempler
(a) Prêché en 1602, dans le Carême du Louvre, devant
la Cour. Nous lisons dès le commencement de ce sermon : « Madeleine, le parfait
modèle de toutes les âmes réconciliées, se présente à nous dans cette semaine,
et on ne peut la contempler aux pieds de Jésus sans penser en même temps à la
pénitence. C'est donc à la pénitence que ces trois discours seront consacrés. »
On voit que l'auteur, suivant l'histoire de Madeleine dans l'évangile, va faire
trois discours sur la pénitence ; et comme l'Eglise nous propose, dans la
célébration des mystères, cette histoire le jeudi de la semaine de la Passion,
c'est ce jour-là que le prédicateur prononcera le premier.
Il ajoute un peu plus loin : « Ces trois considérations
m'engagent à vous faire voir par trois discours l'efficace de la pénitence, qui
peut surmonter les plus grands obstacles ; l'ardeur de la pénitence, qui doit
vaincre tous les délais ; l'intégrité de la pénitence, qui doit anéantir tous
les crimes et n'en laisser aucun reste. Je commencerai aujourd'hui à établir
l'espérance des pécheurs par la possibilité de la conversion. » Voilà donc le
sujet de nos trois discouru : l'efficace de la pénitence, l'ardeur de la
pénitence, l'intégrité de la pénitence. Ces discours ont été prêchés devant le
même auditoire, car autrement ils n'auraient pas été complets; mais ils n'ont
pas été prêchés le même jour, puisque l'auteur dit: « Je commencerai aujourd'hui
à établir l'espérance des pécheurs par la possibilité de leur conversion ; »
d'ailleurs il répète souvent dans le deuxième et dans le troisième : « Comme je
l'ai dit hier, comme nous l'avons vu hier. » Cependant les éditeurs, pensant
qu'ils ont été prêches le même jour, les ont publiés tous les trois sous le
titre de Sermons pour le jeudi de la semaine de la Passion. Ce qui les a
trompés, c'est que l'évangile de sainte Madeleine se lit ce jour-là.
Mais où nos discours ont-ils été prononcés? L'auteur dit à
la fin du premier : « Renversez Ninive, renversez la Cour. O Cour vraiment
auguste et vraiment royale, que je puisse voir tomber par terre l'ambition qui
t'emporte, les jalousies qui te partagent, les médisances qui te déchirent... »
Nos discours ont été manifestement prêches devant la Cour.
A quelle époque ? Voici un passage qui nous l'apprendra.
L'auteur dit dans le troisième, vers la fin du dernier point : « Ces excès sont
Criminels eu tout temps...; mais les peut-on maintenant souffrir dans ces
extrêmes misères où le ciel et la terre fermant leurs trésors, ceux qui
subsistaient par leur travail sont réduits à la honte de mendier leur vie ; où
ne trouvant plus de secours dans les aumônes particulières, ils cherchent un
vain refuge dans les asiles publics de la pauvreté , je veux dire les hôpitaux,
où par la dureté de nos cœurs ils trouvent encore la faim et le désespoir. Dans
ces états déplorables peut-on songer à orner son corps, et ne tremble-t-on pas
de porter sur soi la subsistance, la vie, le patrimoine des pauvres? » — « O
ambition, dit Tertullien, que tu es forte, de pouvoir porter sur toi ce qui
pourrait faire subsister tant d'hommes mourants ! » Ces artisans contraints de «
mendier leur vie, » ces malheureux qui trouvent la faim jusque dans « les asiles
de la pauvreté, » ces « hommes mourants, » ces « extrêmes misères » nous mènent
droit à cette année malheureuse où « le ciel et la terre avaient fermé leurs
trésors, » à 1662. Mais qu'il me soit permis de le demander en passant , est-il
vrai que Bossuet n'a jamais prononcé une parole en faveur de la souffrance?
Ainsi trois sermons traitant la
même matière, prêches dans le Carême de 1662, les trois derniers jours de la
semaine de la Passion.
451
aux pieds de Jésus sans penser en même temps à la
pénitence. C'est donc à la pénitence que ces trois discours seront consacrés; et
je suis bien aise, Messieurs, d'en proposer le sujet pour y préparer les
esprits.
Je remarque trois sortes
d'hommes qui négligent la pénitence : les uns n'y pensent jamais, d'autres
diffèrent toujours, d'autres n'y travaillent que faiblement ; et voilà trois
obstacles à leur conversion (a). Plusieurs, endurcis dans leurs crimes,
regardent leur conversion comme une chose impossible, et dédaignent s'y
appliquer (b) ; plusieurs se la figurent trop facile, et ils la diffèrent
de jour en jour comme un ouvrage qui est en leurs mains, qu'ils feront quand il
leur plaira ; plusieurs étant convaincus du péril qui suit les remises (c),
commencent ; mais la commençant mollement (d), ils la laissent toujours
imparfaite. Voilà les trois défauts qu'il nous faut combattre par l'exemple de
Madeleine, qui enseigne à tous les pécheurs que leur conversion est possible et
qu'ils doivent l'entreprendre, que leur conversion est pressée et qu'ils ne
doivent point la remettre, enfin que leur conversion est un grand ouvrage et
qu'il ne faut point le faire à demi, mais s'y donner d'un cœur tout entier.
Ces trois considérations
m'engagent à vous faire voir par trois
(a) Var. : Et voilà trois empêchements de la
conversion véritable ; — tous trois méprisent la conversion véritable. — (b)
Plusieurs veulent croire qu'elle est impossible, et ne daignent s'y appliquer.—
(c) Le délai.— (d) Mais l'entreprenant mollement; — mais s'y
appliquant mollement.
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discours l'efficace de la pénitence, qui peut surmonter (a)
les plus grands obstacles; l'ardeur de la pénitence, qui doit vaincre tous les
délais; l'intégrité de la pénitence, qui doit anéantir tous les crimes et n'en
laisser aucun reste. Je commencerai aujourd'hui à établir l'espérance des
pécheurs par la possibilité de leur conversion, après avoir imploré le secours
d'en haut. Ave, Maria.
Les pécheurs aveugles et mal
avisés arrivent enfin par leurs désordres à l'extrémité de misère qui leur a été
souvent prédite. Ils ont été assez avertis qu'ils travaillaient à leurs chaînes
par l'usage licencieux de leur liberté ; qu'ils rendaient leurs passions
invincibles en les flattant, et qu'ils gémiraient quelque jour de s'être engagés
si avant dans la voie de perdition, qu'il ne leur serait (b) presque plus
possible de retourner sur leurs pas. Ils ont méprisé cet avis. Ce que nous
faisons librement et où notre seule volonté nous porte, nous nous imaginons
facilement que nous le pourrons aussi défaire sans peine. Ainsi une âme
craintive, qui commençant à s'éloigner de la loi (c) de Dieu, n'a pas
encore perdu la vue de ses jugements, se laisse emporter aux premiers péchés,
espérant de s'en retirer quand elle voudra; et très-assurée, à ce qu'elle pense,
d'avoir toujours en sa main sa conversion, elle croit en attendant qu'elle peut
donner quelque chose à son humeur. Cette espérance l'engage, et bientôt le
désespoir lui succède. Car l'inclination au bien sensible , déjà si puissante
par elle-même, étant fortifiée et enracinée par une longue habitude, cette âme
ne fait plus que de vains efforts pour se relever ; et retombant toujours sur
ses plaies, elle se sent si exténuée, que ce changement de ses mœurs et ce
retour à la droite voie qu'elle trouvait si facile, commence à lui paraître
impossible.
Cette impossibilité prétendue,
c'est, mes frères, le plus grand obstacle de sa conversion. Car quelle apparence
d'accomplir jamais ce que l'impuissance et le désespoir ne permet plus même de
tenter? Au contraire c'est alors, dit le saint Apôtre, que les pécheurs se
laissent aller et que « désespérant de leurs forces, ils se laissent
(a) Var. : L'efficace de la pénitence,
capable de surmonter.....— (b) Soit.— (c) De la voie.
453
emporter sans retenue à tous leurs désirs (a) : »
Desperantes semetipsos tradiderunt impudicitiœ, in operationem immunditiœ omnis
(1). Telle est, Messieurs, leur histoire (b) : l'espérance leur fait
faire les premiers pas, le désespoir les retient et les précipite au fond de
l'abîme.
Encore qu'ils y soient tombés
par leur faute, il ne faut pas toutefois les laisser périr; ayons pitié d'eux,
tendons-leur la main; et comme il faut qu'ils s'aident eux-mêmes par un grand
effort, s'ils veulent se relever de leur chute, pour leur en donner le courage,
ôtons-leur avant toutes choses cette fausse impression, qu'on ne peut vaincre
ses inclinations ni ses habitudes vicieuses : montrons-leur clairement par ce
discours que leur conversion est possible.
J'ai appris de saint Augustin
(2) qu'afin qu'une entreprise soit possible à l'homme, deux choses lui sont
nécessaires : il faut premièrement qu'il ait en lui-même une puissance, une
faculté, une vertu proportionnée à l'exécution ; et il faut secondement que
l'objet lui plaise, à cause que le cœur de l'homme ne pouvant agir sans quelque
attrait, on peut dire en un certain sens que ce qui ne lui plaît pas lui est
impossible. C'est aussi pour ces deux raisons que la plupart des pécheurs (c)
endurcis désespèrent de leur conversion, parce que leurs mauvaises habitudes, si
souvent victorieuses de leurs bons desseins (d), leur font croire qu'ils
n'ont point de force contre elles (e) ; et d'ailleurs quand même ils les
pourraient vaincre, cette vie sage et composée qu'on leur propose leur paraît
sans goût, sans attrait et sans aucune douceur ; de sorte qu'ils ne se sentent
pas assez (f) de courage pour la pouvoir embrasser.
Ils ne considèrent pas, Messieurs, la nature de la grâce
chrétienne qui opère dans la pénitence. Elle est forte, dit saint Augustin (3),
et capable de surmonter toutes nos faiblesses ; mais sa force,
1 Ephes., IX, 19. — 2 De Spirit. et litter.,
cap. III, n. 5.— 3 Ibid., cap. XXIX, n. 51.
(a) Var. : Que les pécheurs s'abandonnent et
que « désespérant d'eux-mêmes, ils se livrent sans retenue à tous leurs
désirs.»— (b) Leur aventure.— (c) Que les pécheurs. — (d)
De leurs bonnes résolutions. — (e) Qu’ils n’ont point de force pour les
surmonter.— (f) De sorte qu'ils n'ont pas assez...
454
dit le même Père, est dans sa douceur et dans une suavité
céleste qui surpasse tous les plaisirs que le monde vante. Madeleine abattue aux
pieds de Jésus, fait bien voir que cette grâce est assez puissante pour vaincre
les inclinations les plus engageantes (a) ; et les larmes qu'elle répand
pour l'avoir perdue, suffisent pour nous faire entendre la douceur qu'elle
trouve à la posséder. Ainsi nous pouvons montrer à tous les pécheurs par
l'exemple de cette sainte, que s'ils embrassent (b) avec foi et
soumission la grâce de la pénitence, ils y trouveront sans aucun doute et assez
de force pour les soutenir, et assez de suavité pour les attirer ; et c'est le
sujet de ce discours.
PREMIER POINT.
Il n'est que trop vrai,
Messieurs, qu'il n'y a point de coupable qui n'ait ses raisons ; les pécheurs
n'ont pas assez fait s'ils ne joignent l'audace d'excuser leur faute à celle de
la commettre ; et comme si c'était peu à l'iniquité de nous engager à la suivre,
elle nous engage encore à la défendre. Toujours ou quelqu'un nous a entraînés,
ou quelque rencontre imprévue nous a engagés contre notre gré; tout autre que
nous aurait fait de même. Que si nous ne trouvons pas hors de nous sur quoi
rejeter notre faute, nous cherchons quelque chose en nous qui ne vienne pas de
nous-mêmes, notre humeur, notre inclination, notre naturel. C'est le langage
ordinaire de tous les pécheurs, que le prophète Isaïe nous a exprimé bien
naïvement dans ces paroles qu'il leur fait dire (c) : « Nous sommes
tombés comme des feuilles, mais c'est que nos iniquités nous ont emportés comme
un vent : » Cecidimus quasi folium universi, et iniquitates nostrae quasi
ventus abstulerunt nos (1). Ce n'est jamais notre choix ni notre dépravation
volontaire ; c'est un vent impétueux qui est survenu, c'est une force majeure,
c'est une passion violente à laquelle , quand nous nous sommes laissé dominer (d)
longtemps, nous sommes bien aises de croire qu'elle est invincible. Ainsi nous
n'avons plus besoin
1 Isa., LXIV,
6.
(a) Var. : Les plus corrompues. — (b)
S'ils reçoivent. — (c) C'est le discours ordinaire de tous les pécheurs
que je reconnais exprimé bien naïvement dans ces paroles :.... — (d)
Maîtriser.
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de chercher d'excuse ; notre propre crime s'en sert à
lui-même, et nous ne trouvons point de moyen plus fort pour notre justification
que l'excès de notre malice.
Si pour détruire cette vaine
excuse, nous reprochons aux pécheurs qu'en donnant un si fort ascendant (a)
sur nos volontés à nos passions et à nos humeurs, ils ruinent la liberté de
l'esprit humain, ils détruisent (b) toute la morale, et que par un
étrange renversement ils justifient tous les crimes et condamnent toutes les
lois, cette preuve (c) quoique forte n'aura pas l'effet que nous
prétendons, parce que c'est peut-être ce qu'ils demandent, que la doctrine des
mœurs soit anéantie et que chacun n'ait de lois que ses désirs. Il faut donc les
convaincre par d'autres raisons, et voici celle de saint Chrysostome dans l'une
de ses Homélies sur la première Epître aux Corinthiens (1).
« Ce qui est absolument
impossible à l'homme, nul péril, nulle appréhension, nulle nécessité ne le rend
possible. » Qu'un ennemi vous poursuive avec un avantage si considérable que
vous soyez contraint de prendre la fuite, la crainte qui vous emporte peut bien
vous rendre léger et précipiter votre course ; mais quelque extrémité qui vous
presse, elle ne peut jamais vous donner des ailes dans lesquelles vous
trouveriez un secours présent pour vous dérober tout d'un coup à une poursuite
si violente ((d), parce que la nécessité peut bien aider nos puissances
et nos facultés naturelles, mais non pas en ajouter d'autres. Or est-il que dans
l'ardeur la plus insensée de nos passions, non-seulement une crainte extrême,
mais une circonspection modérée, mais la rencontre d'un homme sage, mais une
pensée survenue ou quelque autre dessein nous arrête et nous fait vaincre notre
inclination (e). Nous savons bien nous contraindre devant les personnes
de respect ; et certes sans recourir à la crainte, celui-là est bien malheureux,
qui ne connaît pas par expérience qu'il peut du moins modérer par la raison
l'instinct aveugle de son humeur. Mais ce qui se peut
1 Homil. II.
(a) Var. : Un tel ascendant. — (b) Ils
renversent. — (c) Cette raison.— (d) Elle ne peut jamais vous
donner des ailes, encore que vous y trouveriez un secours présent contre une
poursuite si violente. — (e) Ou quelque autre dessein peut bien nous
retenir, — nous arrêter.
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modérer avec un effort médiocre, sans doute se pourrait
dompter si on ramassait toutes ses forces. Il y a donc en nos âmes une faculté
supérieure, qui étant mise en usage, pourrait réprimer nos inclinations; et si
elles sont invincibles, c'est parce qu'on ne se remue pas pour leur résister.
Mais sans chercher bien loin des
raisons, je ne veux que la vie de la Cour pour faire voir aux hommes qu'ils se
peuvent vaincre. Qu'est-ce que la vie de la Cour? faire céder toutes ses
passions au désir d'avancer (a) sa fortune. Qu'est-ce que la vie de la
Cour? dissimuler tout ce qui déplaît et souffrir tout ce qui offense, pour
agréer à qui nous voulons. Qu'est-ce encore que la vie de la Cour? étudier sans
cesse la volonté d'autrui et renoncer pour cela, s'i est nécessaire, à nos plus
chères inclinations. Qui ne le fait pas, ne sait point la Cour : qui ne se
façonne point à cette souplesse, c'est un esprit rude et maladroit, qui n'est
propre ni pour la fortune ni pour le grand monde. Chrétiens, après cette
expérience, saint Paul va vous proposer de la part de Dieu une condition bien
équitable : Sicut exhibuistis membra vestra servire immunditiœ et iniquitati
ad iniquitatem, ita nunc exhibete membra vestra servire justitiœ in
sanctificationem (1) : « Comme vous vous êtes rendus les esclaves de
l'iniquité et des désirs séculiers, en la même sorte rendez-vous esclaves de la
sainteté et de la justice. » Reconnaissez, chrétiens, combien on est éloigné
d'exiger de vous l'impossible, puisque vous voyez au contraire qu'on ne vous
demande que ce que vous faites. « Faites, dit-il, pour la justice ce que vous
faites pour la vanité, » pour la fortune : contraignez-vous pour la raison (b).
Vous vous êtes tant de fois surmontés vous-mêmes pour servir à l'ambition,
surmontez-vous quelquefois pour servir à la grâce et à l'Evangile (c).
C'est beaucoup se relâcher, pour un Dieu, de ne demander que l'égalité ;
toutefois il ne refuse pas ce tempérament, tout prêt à se relâcher beaucoup
au-dessous. Car quoi que vous entrepreniez pour son service, quand aurez-vous
1 Rom., VI, 19.
(a) Var.: De faire... — (b) ... pour
la vanité: » contraignez-vous pour la justice.— (c) Vous vous contraignez
pour la vanité, contraignez-vous pour la justice. Vous vous êtes tant de fois
surmontés vous-mêmes pour servir à l'ambition et à la fortune, surmontez-vous
quelquefois pour servir à Dieu et à la raison.
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égalé les peines de ceux que le besoin (a) engage au
travail, l'intérêt aux intrigues de la Cour, l'honneur aux emplois de la guerre,
l'amour à de longs mépris (b), le commerce à des voyages immenses et à un
exil perpétuel de leur patrie; et pour passer à des choses de nulle importance,
le divertissement et le jeu à des veilles, à des fatigues, à des inquiétudes
incroyables? Quoi donc! n'y au-ra-t-il que le nom de Dieu qui apporte des
obstacles invincibles à toutes les entreprises généreuses? Faut-il que tout
devienne impossible , quand il s'agit de cet Etre qui mérite tout, dont la
recherche au contraire devait être d'autant plus facile, qu'il est toujours
prompt à secourir ceux qui le désirent (c), toujours prêt à se donner à
ceux qui l'aiment?
Je n'ignore pas, chrétiens, ce
que les pécheurs nous répondent. Ils avouent qu'on se peut contraindre, et même
qu'on se peut vaincre dans l'ordre des choses sensibles, et que l’âme peut
faire, un effort pour détacher ses sens d'un objet, lorsqu'elle les rejette
aussitôt sur quelque autre bien qui les touche aussi et qui soit capable de les
soutenir; mais que de laisser comme suspendu cet amour né avec nous pour les
biens sensibles, sans lui donner aucun appui, et de détourner le cœur tout à
coup à une beauté, quoique ravissante , mais néanmoins invisible, c'est ce qui
n'est pas possible à notre faiblesse. Chrétiens, que vous répondrai-je? Il n'y a
rien de plus faible, mais il n'y a rien de plus fort que cette raison ; rien de
plus aisé à réfuter, mais rien de plus malaisé à vaincre. Je confesse qu'il est
étrange que ce que peut une passion sur une autre, la raison ne le puisse pas.
Je dis : rien de plus aisé à réfuter; car comme il est ridicule dans une maison
de voir un serviteur insolent qui a plus de pouvoir sur ses compagnons que le
maître n'en a sur lui et sur eux, ainsi c'est une chose indigne que dans
l'homme, où les passions doivent être esclaves , une d'elles plus impérieuse
exerce plus d'autorité (d) sur les autres que la raison qui est la
maîtresse n'est capable d'en exercer sur toutes ensemble : cela est indigne,
mais cela est. Cette raison est devenue toute
(a) Var.: La nécessité.— (b) A de
longs services. — (c) A prêter la main à ceux qui le cherchent. — (d)
Une d'elles plus audacieuse ait plus d'autorité.
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sensuelle ; et s'il se réveille quelquefois en elle quelque
affection du bien éternel pour lequel elle était née, le. moindre souffle des
passions éteint cette flamme errante et volage et la replonge tout entière dans
le corps (a) dont elle est esclave. Que ne dirait ici la philosophie de
la force, de la puissance, de l'empire de la raison, qui est la reine de la vie
humaine, de la supériorité naturelle de cette fille du Ciel sur ces passions
tumultueuses, téméraires enfants de la terre, qui combattent contre Dieu et
contre ses lois? Mais que sert de représenter à cette reine dépouillée les
droits et les privilèges de sa couronne qu'elle a perdus, de son sceptre qu'elle
a laissé tomber de ses mains? Elle doit régner, qui ne le sait pas? Mais ne
perdez pas le temps (b), ô philosophes, à l'entretenir de ce qui doit
être ; il faut lui donner le moyen de remonter sur son trône et de dompter ses
sujets rebelles.
Chrétiens, suivons Madeleine,
allons aux pieds de Jésus; c'est de là qu'il découle sur nos cœurs infirmes une
vertu toute-puissante qui nous rend et la force et la liberté. Là se brise le
cœur ancien, là se forme le cœur nouveau. La source étant détournée, il faut
bien que le ruisseau prenne un autre cours : le cœur étant changé, il faut bien
que les désirs s'appliquent ailleurs. Que si la grâce peut vaincre
l'inclination, ne doutez pas, chrétiens, qu'elle ne surmonte aussi l'habitude.
Car qu'est-ce que l'habitude, sinon une inclination fortifiée ? Mais nulle force
ne peut égaler celle de l'Esprit qui nous pousse. S'il faut fondre de la glace,
il fera souffler son Esprit, lequel, comme le vent du midi, relâchera la rigueur
du froid, et du cœur le plus endurci sortiront les larmes de la pénitence :
Flabit Spiritus ejus et fluent aquœ (1). Que s'il faut faire encore un plus
grand effort, il enverra son Esprit de tourbillon qui pousse violemment les
murailles : Quasi turbo impellens parietem (2) ; son Esprit qui renverse
les montagnes et qui déracine les cèdres du Liban : Spiritus Domini
subvertens montes (3). Madeleine abattue aux pieds de Jésus par la force de
cet Esprit, n'ose plus lever cette tête qu'elle portait autrefois si haute pour
attirer les regards; elle renonce à ses funestes victoires qui la
1 Psal. CXLVII, 18. — 2 Isa., XXV, 4. — 3 III
Reg., XIX, 11.
(a) Var. : Dans la cliair. — (b) Mais
au lieu de perdre le temps...
459
mettaient dans les fers (a) : vaincue et captivée
elle-même, elle pose toutes ses armes aux pieds de celui qui l'a conquise; et
ces parfums précieux, et ces cheveux tant vantés, et même ces yeux qu'elle
rendait trop touchants, dont elle éteint tout le feu dans un déluge de larmes (b).
Jésus-Christ l'a vaincue, cette malheureuse conquérante; et parce qu'il l'a
vaincue, il la rend victorieuse d'elle-même et de toutes ses passions. Ceux qui
entendront cette vérité, au lieu d'accuser leur tempérament, auront recours à
Jésus, qui tourne les cœurs où il lui plaît; ils n'imputeront point leur
naufrage à la violence de la tempête; mais ils tendront les mains (c) à
celui dont le Psalmiste a chanté « qu'il bride la fureur de la mer, et qu'il
calme quand il veut ses flots agités : » Tu dominaris potestati maris, motum
autem fluctuum ejus tu mitigas (1).
Il se plaît d'assister les
hommes; et autant que sa grâce leur est nécessaire, autant coule-t-elle
volontiers sur eux. « Il a soif, dit saint Grégoire de Nazianze (2) ; mais il a
soif qu'on ait soif de lui. Recevoir de sa bonté , c'est lui bien faire ; exiger
de lui, c'est l'obliger; et il aime si fort à donner, que la demande même à son
égard tient lieu d'un présent (d). » Le moyen le plus assuré pour obtenir
son secours, c'est de croire qu'il ne nous manque pas; et j'ai appris de saint
Cyprien « qu'il donne toujours à ses serviteurs autant qu'ils croient recevoir,
» tant il est bon et magnifique : Dans credentibus tantùm quantum se crédit
accipere qui sumit (3).
Ne doutez donc pas, chrétiens,
si votre conversion est possible. Dieu vous promet son secours : est-il rien, je
ne dis pas d'impossible , mais de difficile avec ce soutien ? Que si l'ouvrage
de votre salut (e) par la grâce de Dieu est entre vos mains, « pourquoi
voulez-vous périr, maison d'Israël? Et quare moriemini, domus Israël ? Nolo
mortem peccatoris. Convertissez-vous et vivez (1). » Ne dites pas toujours :
Je ne puis. — Il est vrai, tant que vous ne
1 Psal. LXXXVIII, 10. — 2 Orat.
XL., p. 657. — 3 Epist. VIII ad Martyr. et Confess., p. 17. — 4
Ezech., XVIII, 31, 32.
(a) Var. : Elle renonce à ses malheureuses
conquêtes, — à ses honteuses conquêtes, qui la chargeaient elle-même d'un joug
trop infâme.— (b) Et même ces yeux trop touchants, dont, elle éteint tout
le feu dans les larme. — (c) au lieu d'attribuer leur naufrage à la
violence de la tempête, ils tendront les mains à celui..... — (d) « Est
un présent. » — (e) Que s votre salut.
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ferez pas le premier pas, le second sera toujours
impossible. Quand vous donnerez tout à votre humeur et à votre pente naturelle,
vous ne pourrez vous soutenir contre le torrent, etc. — Mais que cela soit
possible, trouverai-je quelque douceur dans cette nouvelle vie dont vous me
parlez ? — C'est ce qui nous reste à considérer.
SECOND POINT.
Je n'ai pas de peine à
comprendre que les pécheurs en souffrent beaucoup quand il faut tout à fait se
donner à Dieu, s'attacher à un nouveau maître et commencer une vie nouvelle. Ce
sont des choses, Messieurs, que l'homme ne fait jamais sans quelque crainte ; et
si tous les changements nous étonnent, à plus forte raison le plus grand de
tous, qui est celui de la conversion. Laban pleure amèrement et ne peut se
consoler de ce qu'on lui a enlevé ses idoles : Cur furatus es deos meos
(1) ? Le peuple insensé s'est fait des dieux qui le précèdent, des dieux qui
touchent ses sens ; et il danse, et il les admire, et il court après, et il ne
peut souffrir qu'on les lui ôte. Ainsi l'homme sensuel voyant qu'on veut abattre
par un coup de foudre ces idoles pompeuses qu'il a élevées (a), rompre
ces attachements trop aimables, dissiper toutes ces pensées qui tiennent une si
grande place en son cœur malade, il se désole sans mesure (b) : dans un
si grand changement, il croit que rien ne demeure en son entier et qu'on lui ôte
même tout ce qu'on lui laisse. Car encore qu'on ne touche ni à ses richesses, ni
à sa puissance, ni à ses maisons superbes, ni à ses jardins délicieux, néanmoins
il croit perdre tout ce qu'il possède, quand on lui en prescrit un autre usage
que celui qui lui plaît depuis si longtemps. Comme un homme qui est assis à une
table délicate, encore que vous lui laissiez toutes les viandes, il croirait
toutefois perdre le festin, s'il perdait tout à coup le goût qu'il y trouve et
l'appétit qu'il y ressent : ainsi les pécheurs, accoutumés à se servir de leurs
biens pour contenter leur humeur et leurs passions, se persuadent que tout leur
échappe, si cet usage leur manque. Quoi !
1 Genes., XXXI, 30.
(a) Var.: Erigées. — (b) Il s'afflige
amèrement.
461
craindre ce qu'on aimait, n'aimer plus rien que pour Dieu!
Que deviendront ces douceurs et ces complaisances, et tout ce qu'il ne faut pas
penser en ce lieu et bien moins répéter en cette chaire ? Que ferons-nous donc?
que penserons-nous ? quel objet, quel plaisir, quelle occupation? Cette vie
réglée leur semble une mort, parce qu'ils n'y voient plus ces délices, cette
variété qui charme les sens, ces égarements agréables où ils semblent se
promener avec liberté, ni enfin toutes les autres choses sans lesquelles ils ne
trouvent pas la vie supportable.
Que dirai-je ici, chrétiens?
Comment ferais-je goûter aux mondains des douceurs qu'ils n'ont jamais
expérimentées? Les raisons en cette matière sont peu efficaces, parce que pour
discerner ce qui plaît, on ne connaît de maître que son propre goût, ni de
preuve que l'épreuve même (a). Que plût à Dieu, chrétiens, que les
pécheurs pussent se résoudre à goûter combien le Seigneur est doux ! Ils
reconnaîtraient par expérience qu'il est de tous ces désirs irréguliers qui
s'élèvent en la partie sensuelle comme des appétits de malades : tant que dure
la maladie, nulle raison ne les peut guérir; aussitôt qu'on se porte bien, sans
y employer de raison, la santé les dissipe par sa propre force et ramène la
nature à ses objets propres : Haec omnia desideria tollit sanitas (1).
Et toutefois, chrétiens, malgré
l'opiniâtreté de nos malades et malgré leur goût dépravé, tâchons de leur faire
entendre non point par des raisons humaines, mais par les principes de la foi,
qu'il y a des délices spirituelles qui surpassent les fausses douceurs de nos
sens et toutes leurs flatteries. Pour cela, sans user d'un grand circuit, il me
suffit de dire en un mot que Jésus-Christ est venu au monde. Si je ne me trompe,
Messieurs, nous vîmes (b) hier assez clairement qu'il y est venu pour se
faire aimer. Un Dieu qui descend parmi les éclairs et qui fait fumer de toutes
parts la montagne de Sinaï par le feu qui sort de sa face (c), a dessein
de se faire craindre ; mais un Dieu qui rabaisse sa grandeur et tempère sa
majesté pour s'accommoder à notre portée, un Dieu qui
1 S. August., Serm. CCLV, n. 7.
(a) Var. : Chacun ne connaît d'autre maître
que son propre goût; on ne veut point être persuadé par des arguments, mais
convaincu par l'épreuve même. (b) Nous fîmes voir... — (c) Qui
s'allume devant sa face.
462
se fait homme pour attirer l'homme par cette bonté
populaire dont hier nous admirions la condescendance, sans doute a dessein de se
faire aimer. Or est-il que quiconque se veut faire aimer, il est certain qu'il
veut plaire ; et si un Dieu nous veut plaire, qui ne voit qu'il n'est pas
possible que la vie soit ennuyeuse dans son service (à) ?
C'est, Messieurs, par ce beau
principe, que le grand saint Augustin a fort bien compris (1) que la grâce du
Nouveau- Testament, qui nous est donnée par Jésus-Christ, est une chaste
délectation, un agrément immortel, un plaisir spirituel et céleste qui gagne les
cœurs (b) : car puisque Jésus-Christ a dessein de plaire, il ne doit pas
venir sans son attrait. Nous ne sommes plus ce peuple esclave et plus dur (c)
que la pierre sur laquelle sa loi est écrite, que Dieu fait marcher dans un
chemin rude (d) à grands coups de foudre, si je puis parler de la sorte,
et par des terreurs continuelles ; nous sommes ses enfants bien-aimés auxquels
il a envoyé son Fils unique pour nous gagner par amour. Croyez-vous que celui
qui a fait vos cœurs manque de charmes pour les attirer, d'appas pour leur
plaire et de douceur pour les entretenir dans une sainte persévérance (e)
? Ah ! cessez ; ne soupirez plus désormais après les plaisirs de ce corps mortel
; cessez d'admirer cette eau trouble que vous voyez sortir (f) d'une
source si corrompue. Levez les yeux, chrétiens, voyez cette fontaine si claire
et si vive qui arrose, qui rafraîchit, qui enivre la Jérusalem céleste. Voyez la
liesse et le transport, les chants, les acclamations, les ravissements de cette
cité triomphante. C'est de là que Jésus-Christ nous a apporté un commencement de
sa gloire dans le bienfait de sa grâce, un essai de la vision dans la foi, une
partie de la félicité dans l'espérance : enfin un plaisir intime qui ne trouble
pas la volonté, mais qui la calme; qui ne surprend pas la raison , mais qui
l'éclairé; qui ne chatouille pas le cœur dans sa surface, mais
1 De Spirit. et litter., cap. XXXVIII, n. 49; De
Grat. Christ., cap. XXXV, n.
83, et alibi.
(a) Var. : Et si un Dieu vont plaire, par
conséquent il est impossible que la vie soit ennuyeuse..... — (b) Une
chaste délectation et un agrément céleste qui gagne..... — (c) Et plus
pesant — (d) Dans une voie dure. — (e) Pour les affermir dans son
saint amour. — (f) Ne buvez plus de cette eau trouble que vous voyez
découler...
463
qui l'attire tout entier à Dieu par son centre : Trahe
nos post te (1).
Si vous voulez voir par
expérience combien cet attrait est doux, considérez Madeleine. Quand vous voyez
un enfant attaché de toute sa force à la mamelle, qui suce avec ardeur et
empressement cette douce portion de sang que la nature lui sépare si adroitement
de toute la masse et lui assaisonne elle-même de ses propres mains, vous ne
demandez pas s'il y prend plaisir, ni si cette nourriture lui est agréable.
Jetez les yeux sur Madeleine, voyez comme elle court toute transportée à la
maison du Pharisien pour trouver celui qui l'attire. Elle n'a point de repos
jusqu'à ce qu'elle se soit jetée à ses pieds ; mais regardez comme elle les
baise, avec quelle ardeur elle les embrasse ; et après cela ne doutez jamais que
la joie de suivre Jésus ne passe toutes les joies du monde, non-seulement celles
qu'il donne, mais même celles qu'il promet, toujours plus grandes que celles
qu'il donne.
Que si vous êtes effrayés par
ses larmes, par ses sanglots, par l'amertume de sa pénitence, sachez, mes
frères, que cette amertume est plus douce que tous les plaisirs. Nous lisons
dans l'Histoire sainte, c'est au premier livre d’Esdras, que lorsque ce grand
prophète eut rebâti le temple de Jérusalem que l'armée assyrienne avait
renversé, le peuple mêlant tout ensemble et le triste souvenir de sa ruine et la
joie de la voir si bien réparée, tantôt élevait sa voix en des cris lugubres, et
tantôt poussait jusqu'au ciel des chants de réjouissance (a) ; en telle
sorte, dit l'auteur sacré, « qu'on ne pouvait distinguer les gémissements d'avec
les acclamations : » Nec poterat quisquam agnoscere vocem clamans laetantium
et vocem fletûs populi (2). C'est une image imparfaite de ce qui se fait
dans la pénitence. Cette âme contrite et repentante voit le temple de Dieu
renversé en elle, et l'autel et le sanctuaire si saintement consacré sous le
titre du Dieu vivant : hélas! ce ne sont point les Assyriens, c'est elle-même
qui a détruit cette sainte et magnifique structure, pour bâtir en sa place un
temple d'idoles ; et elle pleure, et elle gémit, et elle ne veut point recevoir
de consolation. Mais au milieu de ses pleurs elle voit que cette maison
1 Cant., I, 3. — 2 I Esdr.
III, 13
(a) Var. ; D'allégresse.
464
sacrée se relève ; bien plus, ce sont ses larmes et sa
douleur même qui redressent ses murailles abattues, érigent de nouveau cet autel
si indignement détruit, commencent à faire fumer dessus un encens agréable à
Dieu et un holocauste (a) qui l'apaise. Elle se réjouit parmi ses larmes;
elle voit qu'elle trouvera dans l'asile d'une bonne conscience une retraite
assurée , que nulle violence ne peut forcer (b), si bien qu'elle peut
sans crainte y retirer ses pensées, y déposer ses trésors, y reposer ses
inquiétudes ; et quand tout l'univers serait ébranlé, y vivre tranquille et
paisible sous les ailes du Dieu qui l'habite et y préside. Qu'en jugez-vous,
chrétiens? Une telle vie est-elle à charge? Cette âme à laquelle (c) sa
propre douleur procure une telle grâce, peut-elle regretter ses larmes? Ne se
croira-t-elle pas beaucoup plus heureuse de pleurer ses péchés aux pieds de
Jésus (d), que de rire avec le monde et se perdre parmi ses joies
dissolues? Et combien donc est agréable la vie chrétienne, « où les regrets
mêmes ont leurs plaisirs, où les larmes portent avec elles leur consolation! »
Ubi et fletus sine gaudio non est, dit saint Augustin (1).
Mais je prévois, chrétiens, une
dernière difficulté contre les saintes vérités que j'ai établies. Les pécheurs
étant convaincus par la force et par la douceur de la grâce de Jésus-Christ
qu'il n'est pas impossible de changer de vie, nous font une autre demande, si
cela se peut à la Cour et si l’âme y est en état de pouvoir goûter ces douceurs
célestes. Que cette question est embarrassante ! Si nous en croyons l'Evangile,
il n'y a rien de plus opposé que Jésus-Christ et le monde; et de ce inonde,
Messieurs, la partie la plus éclatante et par conséquent la plus dangereuse,
chacun sait assez que c'est la Coin. Comme elle est et le principe et le centre
de toutes les affaires du monde, l'ennemi du genre humain y jette tous ses
appâts, y étale toute sa pompe. Là se trouvent les passions les plus fines, les
intérêts les plus délicats, les espérances les plus engageantes. Quiconque a bu
de cette eau, il s'entête; il est tout changé par une espèce d'enchantement ;
c'est un breuvage
1 Enarr. in Psal. CXLV.
(a) Var. : Un sacrifice. — (b) Elle
voit qu'elle trouvera dans ce sanctuaire un asile et une retraite que nulle
violence..... (c) A qui. — (d) Combien aime-t-elle mieux pleurer ;
— combien trouve-t-elle plus doux de pleurer ses péchés.... !
465
charmé qui enivre les plus sobres, et la plupart de ceux
qui en ont goûté ne peuvent plus goûter autre chose; en sorte que Jésus-Christ
ni ses vérités (a) ne trouvent presque plus de place en leurs cœurs.
Et toutefois, chrétiens, pour ne
pas jeter dans le désespoir des âmes que le Fils de Dieu a rachetées, disons
qu'étant le Sauveur de tous, il n'y a point de condition ni d'état honnête qui
soit exclu du salut qu'il nous a donné par son sang. Puisqu'il a choisi quelques
rois pour être enfants de son Eglise, et qu'il a sanctifié quelques Cours par la
profession de son Evangile, il a regardé en pitié et les princes et leurs
courtisans; et ainsi il a préparé des préservatifs pour toutes leurs tentations,
des remèdes pour tous leurs dangers, des grâces pour tous leurs emplois. Mais
voici la loi qu'il leur impose : ils pourront faire leur salut, pourvu qu'ils
connaissent bien leurs périls; ils pourront arriver en sûreté, pourvu qu'ils
marchent toujours en crainte et qu'ils égalent leur vigilance à leurs besoins,
leurs précautions à leurs dangers, leur ferveur aux obstacles qui les
environnent : Tuta si sollicita, secura si attonita (1). Qu'on se fasse
violence ; cette douceur vient de la contrainte : renversez Ninive ; renversez
la Cour.
O Cour vraiment auguste et
vraiment royale, que je puisse voir tomber par terre l'ambition qui t'emporte,
les jalousies qui te partagent, les médisances qui te déchirent, les querelles
qui t'ensanglantent, les délices qui te corrompent, l'impiété qui te déshonore !
1 Tertull., De Idololat., n. 24.
(a) Var. : Ni son Evangile.
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