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PREMIER SERMON
POUR
LE DIMANCHE DES RAMEAUX,
SUR L'HONNEUR DU MONDE (a).

 

Dicite filiae Sion : Ecce Rex tuus venit tibi mansuetus.

Dites à la fille de Sion : Voici ton Roi qui fait son entrée, plein de bonté et de douceur. (Paroles du prophète Zacharie, rapportées dons l'évangile de ce jour, Matth. XXI, 5.)

 

Parmi toutes les grandeurs du monde, il n'y a rien de si éclatant qu'un jour de triomphe; et j'ai appris de Tertullien que ces

 

(a) Exorde.— Honneur du monde : statue de Nabuchodonosor.

Premier point. — Vertu. Modestie de b vertu chrétienne.

Désirer les louanges, les craindre, périls: saint Augustin.

Ne recherchez pas la gloire, ne l'acceptez pas : Evangile.

On se rend indigne des louanges en les recherchant avec empressement.

Second point. — Vertu du monde. Quelle?

Vertu de la Cour, à l'intérêt près : saint Chrysostome. Exemples : Saül, Jéhu.

Le monde se connaît peu en vertu. Flatterie.

Troisième point. — Coeur de Dieu : Ezéchiel.

Il sied bien à Dieu d'être rempli de soi-même. L'amour de soi-même restreint les créatures; l'amour de soi-même étend pour ainsi dire le Créateur, parce que son être est de se communiquer.

Bonté.

Bizarreries des jugements humains en Jésus-Christ.

Jésus-Christ condamne les jugements humains par une nouvelle manière, eu laissant juger.

Pour détruire l'orgueil de l'homme qui se fait Dieu, Dieu se fait homme véritablement.

 

Prêché en 1660, dans le Carême des Minimes, devant François Bessin, Nicolas Barré, le P. de Saint-Gilles, Cossart, Giry, de la Noüe: tous poètes, écrivains ou prédicateurs distingués.

L'exorde du discours Indique manifestement le dimanche des Rameaux, et la vaine pompe des triomphes humains invitait l'orateur à parler du faux honneur du monde; mais signalons tout de suite un incident mémorable, qui se produisit au commencement du sermon.

Le prince de Condé, qui a voit suivi le parti de la Fronde, venait d'être reçu en grâce par le roi et de rentrer dans la capitale après huit années d'absence. Son cœur lui rappelant Bossuet, dont il avait honoré les épreuves scolaires par sa présence, il se rendit inopinément à l’église des Minimes. Comme le prédicateur allait « faire tomber sur l'idole de l'honneur la foudre de la vérité évangélique et l'abattre de tout son long devant la croix du Sauveur, » il reconnut parmi la foule le grand capitaine qui avait tout sacrifié à la gloire du monde, tout jusqu'au devoir. Au lieu de le déconcerter, ce contraste lui fournit un des plus beaux traits de l'éloquence humaine ; il adressa au héros de Rocroi cette célèbre allocution qui frappa son nombreux auditoire d'admiration. C est de cette allocution que Bossuet nous parlera dans une note marginale jointe au sermon, (a) Var. : Tant de pompe.— (b) De lui crier. — (c) J'ai plutôt envie, chrétiens, de le taire souvenir... — (d) Royaume. — (e) Effacé. — (f) Honorer.

 

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illustres triomphateurs de l'ancienne Rome marchaient au Capitule avec tant de gloire (a), que de peur qu'étant éblouis d'une telle magnificence ils ne s'élevassent enfin au-dessus de la condition humaine, un esclave qui les suivait avait charge de les avertir qu'ils étaient hommes : Respice post te, hominem memento te... Ils ne se fâchaient pas de ce reproche : « C'était là, dit Tertullien (1), le plus grand sujet de leur joie de se voir environné de tant de gloire, que l'on avait sujet de craindre pour eux qu'ils n'oubliassent qu'ils étaient mortels : » Hoc magis gaudet tantà se glorià coruscare, ut illi admonitio conditionis suœ sit necessaria.

Le triomphe de mon Sauveur est bien éloigné de cette pompe ; et quand je vois le pauvre équipage avec lequel il entre dans Jérusalem, au lieu de l'avertir (b) qu'il est homme, je trouverais bien plus à propos, chrétiens (c), de le faire souvenir qu'il est Dieu. Il semble en effet qu'il l'a oublié; le prophète et l'évangéliste concourent à nous montrer ce Roi d'Israël « monté, disent-ils, sur une ânesse : » Sedens super asinam (2). Ah! Messieurs, qui n'en rougirait? Est-ce là une entrée royale? Est-ce là un appareil de triomphe? Est-ce ainsi, ô Fils de David, que vous montez au trône de vos ancêtres et prenez possession de leur couronne (d) ?

Toutefois arrêtons, mes frères, et ne précipitons pas notre jugement. Ce Roi, que tout le peuple honore aujourd'hui par ses dis de réjouissance, ne vient pas pour s'élever au-dessus des hommes par l'éclat d'une vaine pompe, mais plutôt pour fouler aux pieds les grandeurs humaines ; et les sceptres rejetés, l'honneur méprisé (e), toute la gloire du monde anéantie, font le plus grand ornement de son triomphe. Donc pour admirer (f) cette entrée , accoutumons-nous avant toutes choses à la modestie et aux

 

1 Apolog., n. 33. — 2 Zachar., IX, 9; Matth., XXI, 5.

 

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abaissements glorieux (a) de l'humilité chrétienne, et tâchons de prendre ces sentiments aux pieds de la plus humble des créatures, en disant : Ave.

Aujourd'hui que notre Monarque fait son entrée dans Jérusalem, au milieu des applaudissements de tout le peuple, et que parmi cette pompe de peu de durée l'Eglise commence à s'occuper dans la pensée de sa passion ignominieuse, je me sens fortement pressé, chrétiens, de mettre aux pieds de notre Sauveur quelqu'un de ses ennemis capitaux, pour honorer tout ensemble et son triomphe et sa croix. Je n'ai pas de peine à choisir celui qui doit servir à ce spectacle : et le mystère d'ignominie que nous commençons de célébrer, et cette magnificence d'un jour que nous verrons bientôt changée tout d'un coup en un mépris si outrageux, me persuadent facilement que ce doit être l'honneur du monde.

L'honneur du monde, mes frères, c'est cette grande statue que Nabuchodonosor veut que l'on adore. Elle est d'une hauteur prodigieuse, altitudine cubitorum sexaginta, parce que rien ne paraît plus élevé que l'honneur du monde. « Elle est toute d'or, » dit l'Ecriture (1) : Fecit statuam auream, parce que rien ne semble ni plus riche , ni plus précieux (b). « Toutes les langues et tous les peuples adorent cette statue : » Omnes tribus et linguœ adoraverunt statuam auream (2); tout le monde sacrifie à l'honneur; et ces fifres, et ces trompettes, et ces hautbois (c), et ces tambours qui résonnent autour de la statue, n'est-ce pas le bruit de la renommée ? Ne sont-ce pas les applaudissements et les cris de joie qui composent ce que les hommes appellent la gloire? C'est donc, Messieurs, cette grande et superbe idole (d) que je veux abattre aujourd'hui aux pieds du Sauveur. Je ne me contente pas, chrétiens, de lui refuser de l'encens avec les trois enfants de Babylone, ni de lui dénier l'adoration que tous les peuples lui rendent : je veux faire tomber sur cette idole la foudre de la vérité

 

1 Dan., III, 1. — 2 Ibid., 7.

(a) Var. : Et à la bassesse — (b) Ne semble plus éclatant. — (c) Ces flûtes. — (d) Cette grande idole.

 

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évangélique ; je veux l'abattre tout de son long devant la croix de mon Sauveur; je veux la briser et la mettre en pièces, et en faire un sacrifice à Jésus-Christ crucifié, avec le secours de sa grâce.

Parais donc ici, ô honneur du monde, vain fantôme des ambitieux et chimère des esprits superbes ; je t'appelle à un tribunal où ta condamnation est inévitable (a). Ce n'est pas devant les césars et les princes, ce n'est pas devant les héros et les capitaines que je t'oblige de comparaître : comme ils ont tous été tes adorateurs, ils prononceraient à ton avantage. Je t'appelle à un jugement où préside un Roi couronné d'épines, que l'on a revêtu de pourpre pour le tourner en ridicule, que l'on a attaché à une croix pour en faire un spectacle d'ignominie : c'est à ce tribunal que je te défère, c'est devant ce Roi que je t'accuse. De quels crimes l'accuserai-je, chrétiens ? Je vous le vais dire. Voici trois crimes capitaux dont j'accuse l'honneur du monde ; je vous prie de les bien entendre.

Je l'accuse premièrement de flatter la vertu et de la corrompre ; secondement de déguiser le vice et de lui donner du crédit ; enfin pour comble de ses attentats, d'attribuer aux hommes ce qui appartient à Dieu et de les enrichir, s'il pouvait, de ses dépouilles. Voilà les trois chefs principaux sur lesquels je prétends, Messieurs, qu'on fasse le procès à l'honneur du monde. (b) Dieu me veuille

 

(a) Var.: Bien assurée. — (b) Note marg. : Le jour que M. le Prince me vint entendre, je parlais du mépris de l'honneur du monde ; et sur cela, après avoir fait ma division, je lui dis qu'à la vérité je ne serais pas sans appréhension de condamner devant lui la gloire du monde dont je le voyais si environné, n'était que je savais qu'autant qu'il avait de grandes qualités pour la mériter, autant avait-il de lumières pour en connaître le faible; qu'il fût grand prince, grand génie, grand capitaine, digne de tous ces titres, et grand par-dessus tous ces titres, je le reconnaissais avec les autres; mais que toutes ces grandeurs qui avaient tant d'éclat devant les hommes devaient être anéanties devant Dieu ; que je ne pouvais cependant m'empêcher de lui dire que je voyais toute la France réjouie de recevoir tout ensemble la paix et son Altesse sérénissime, parce qu'elle avait dans l'une une tranquillité assurée et dans l'autre un rompait invincible ; et que nonobstant la surprise de sa présence imprévue, les paroles ne me manqueraient pas sur un sujet si auguste, n'était que me souvenant au nom de qui je parlais, j'aimais mieux abattre aux pieds de Jésus-Christ les grandeurs du monde que de les admirer plus longtemps en sa personne.

En finissant mon discours, le sujet m'ayant conduit à faire une forte réflexion sur les changements précipités de l'honneur et de la gloire du monde, je lui dis qu'encore que ces grandes révolutions menaçassent les fortunes les plus éminentes,

 

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aider par sa grâce à poursuivre vivement une accusation si importante, et à soutenir les opprobres et l'ignominie de la croix contre l'orgueil des hommes mondains.

 

PREMIER POINT.

 

Donc, mes frères, le premier crime dont j'accuse l'honneur du monde devant la croix de Jésus-Christ, c'est d'être le corrupteur de la vertu et de l'innocence. Ce n'est pas moi seul qui l'en accuse; j'ai pour témoin saint Jean Chrysostome, et dans un crime si atroce je suis bien aise de faire parler un si véhément accusateur. C'est dans l'homélie XVII sur la divine Epître aux Romains, que ce grand prédicateur nous apprend que la vertu qui aime les louanges et la vaine gloire, ressemble aune femme impudique qui s'abandonne à tous les passants. Ce sont les propres termes de ce saint évêque (1), encore parle-t-il bien plus fortement dans la liberté de sa langue ; mais la retenue de la nôtre ne me permet pas de traduire toutes ses paroles; tâchons néanmoins d'entendre sou sens et de pénétrer sa pensée. Pour cela je vous prie de considérer que la pudeur et la modestie ne s'opposent pas seulement aux actions déshonnêtes, mais encore à la vaine gloire et à l'amour désordonné des louanges. Jugez-en par l'expérience. Une personne honnête et bien élevée rougit d'une parole immodeste, un homme sage et modéré rougit de ses propres louanges ; en l'une et en

 

1 Homil. XVII in Epist. ad Rom., n. 4.

 

j'osais espérer néanmoins qu'elles ne regardaient ni la personne ni la maison de son Altesse; que Dieu regardait d'un œil trop propice le sang de nos rois et la postérité de saint Louis; que nous venions le jeune prince son fils croître avec la bénédiction de Dieu et des hommes; qu'il serait l'amour de son roi et les délices du peuple, pourvu que la piété crût avec lui et qu'il se souvint qu'il était sorti de saint Louis, non pour se glorifier de sa naissance, mais pour imiter l'exemple de sa sainte vie. Votre Altesse, dis-je alors à M. le Prince, ne manquera pas de l'y exciter el par ses paroles et par ses exemples; et il faut qu'il apprenne d'elle que les deux appuis des grands princes sont la piété et la justice. Je conclus enfin que se tenant fortement lui-même à ces deux appuis, je prévoyons qu'il serait désormais le bras droit de notre monarque, et que toute l’Europe le regarderait comme l'ornement de son siècle; mais néanmoins que médium en moi-même la fragilité des choses humaines, qu'il était si digne de sa grande une d'avoir toujours présente à l'esprit, je souhaitais à son Altesse une gloire plus solide que celle que les hommes admirent, une grandeur plus assurée que celle qui dépend de la fortune, une immortalité mieux établie que celle que nous promet l'histoire, et enfin une espérance mieux assurée que celle dont le monde nous flatte, qui est celle de la félicité éternelle.

 

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l'autre de ces rencontres la modestie fait baisser les yeux et monter la rougeur au front. Et d'où vient cela, chrétiens, sinon par un sentiment que la raison nous inspire, que comme le corps a sa chasteté que l'impudicité corrompt, il y a aussi une certaine intégrité de l’âme qui peut être violée par les louanges ? Toutefois il faut encore aller plus avant et rechercher jusqu'à l'origine d'où vient à une âme bien née cette honte des louanges. Je dis qu'elle est naturelle à la vertu, et je parle de la vertu chrétienne ; car nous n'en connaissons point d'autre en cette chaire. Il est donc de la nature de la vertu d'appréhender les louanges ; et si vous pesez attentivement avec quelles précautions le Fils de Dieu l'oblige à se cacher, vous n'aurez pas de peine à le comprendre. Attendite ne justitiam vestram faciatis coram hominibus, ut videamini ab eis (1). « Ne va point prier dans les coins des rues, afin que les hommes te voient ; retire-toi dans ton cabinet, ferme la porte sur toi et prie en secret devant ton Père : » Intra in cubiculum tuum, et clauso ostio ora Patrem tuum in abscondito (2). « Ne sonne pas de la trompette pour donner l'aumône ; je ne t'ordonne pas seulement de la cacher devant les hommes (a) ; mais lorsque la droite la distribue, que la gauche, s'il se peut, ne le sache pas : » Te autem faciente eleemosynam, nesciat sinistra tua quid faciat dextera tua (3).

C'est pourquoi, dit très-bien saint Jean Chrysostome (4), toutes les vertus chrétiennes sont un grand mystère. Qu'est-ce à dire? Mystère signifie un secret sacré. Autrefois quand on célébrait les divins mystères, comme il y avait des catéchumènes qui n'étaient pas encore initiés, c'est-à-dire qui n'étaient pas du corps de l'Eglise, qui n'étaient pas baptisés, on ne leur en parlait que par énigmes. Vous le savez, vous qui avez lu les homélies des saints Pères : ils étaient avec les fidèles pour entendre la prédication et le commencement des prières. Venait-on aux mystères sacrés, c'est-à-dire à l'action du sacrifice, le diacre mettait dehors les catéchumènes et fermait la porte de l'église. Pourquoi? C'était le

 

1 Matth., VI, 1. — 2 Ibid., 6. — 3 Ibid., 3. — 4 Homil. XIX in Matth., n. 3; Homil. LXXI in Matth., n. 4.

 

(a) Var. : De la cacher aux hommes.

 

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mystère. Ainsi des vertus chrétiennes. Voulez-vous prier, fermez votre porte : c'est un mystère que vous célébrez. Jeûnez-vous, « oignez votre face, de peur qu'il ne paraisse que vous jeûnez : » Unge caput tuum et faciem tuam lava (1) : c'est un mystère entre Dieu et vous; nul n'y doit être admis que par son ordre, ni voir votre vertu qu'autant qu'il lui plaira de la découvrir.

Selon cette doctrine de l'Evangile, je compare la vertu chrétienne à une fille chaste et pudique, élevée dans la maison paternelle dans une retenue incroyable; on ne la mène point aux théâtres, on ne la produit point dans les assemblées. Elle garde le logis et travaille sous la conduite, sous les yeux de son Père, qui est Dieu, qui se plait à la regarder dans ce secret, charmé principalement de sa retenue, videt in abscondito (2) ; qui lui destine un époux, c'est Jésus-Christ ; et qui veut qu'elle lui donne un cœur pur et qui n'ait point été corrompu par d'autres affections ; qui lui prépare un jour de grandes louanges, et qui ne veut pas en attendant qu'elle se laisse gâter par celles des hommes, ni cajoler par leurs douceurs. C'est pourquoi elle fuit leur compagnie, elle aime son secret et sa solitude. Que si elle paraît quelquefois, comme si un grand éclat ne peut pas demeurer toujours caché, il n'y a que sa simplicité qui la rende recommandable : elle ne veut point attirer les yeux ; tous ceux qui admirent sa beauté, elle les avertit par sa modestie de « glorifier son Père céleste : » Glorificent Patrem (3). Voilà quelle est la vertu chrétienne, c'est ainsi qu'elle est élevée : y a-t-il rien de plus sage ni de plus modeste ?

Que fait ici la vaine gloire? Cette impudente, dit saint Jean Chrysostome (4) vient corrompre cette bonne éducation. Elle entreprend de prostituer sa pudeur. Au lieu qu'elle n'était faite que pour Dieu, elle la tire de sa maison, elle lui apprend à rechercher les yeux des hommes : A thalamo paterno eam educit, cùmque pater jubeat eam ne sinistrae quidem apparere, notis ignotisque et obviis quibuscumque passim se ipsam ostentat ; elle lui enseigne (a) à se farder, à se contrefaire pour arrêter les spectateurs.

 

1 Matth., VI, 17. — 2 Ibid., 18. — 3 Ibid., X, 10. — 4 Homil.  LXXI in Matth., n. 3.

 

(a) Var. : Elle lui montre.

 

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« Ainsi cette fille si sage est sollicitée par cette impudente à des amours déshonnètes : » Sic à lenà corruptissimà ad turpes hominum amores impellitur. Vive Dieu ! infâme, cette innocente se gâterait entre tes mains. O Jésus crucifié, voilà le crime que je vous défère ; jugez aujourd'hui la vaine gloire ; condamnez aujourd'hui l'honneur du monde qui entreprend de corrompre la vertu, qui ose bien la vouloir vendre, et encore la vendre à si vil prix, pour des louanges; jugez, jugez, ô Seigneur, et condamnez en dernier ressort un crime si noir et si honteux.

Et pour vous, mes chers frères, vous qui écoutant cette accusation, apprenez qu'il y a une corruptrice qui s'efforce de ruiner tout ce qu'il y a de vertu en vous, au nom de Dieu veillez sur vous-mêmes ; au nom de Dieu prenez garde de ne point faire votre justice devant les hommes pour en être vus et admirés : Attendite, dit-il; remarquez ces termes : « Prenez garde. » Cet ennemi dont je vous parle ne viendra pas vous attaquer ouvertement ; il se glisse comme un serpent, il se coule sous des fleurs et de la verdure, il s'avance à l'ombre de la vertu pour faire mourir la vertu même : Attendite, attendue : « Prenez garde. » Ah ! qu'il est difficile aux hommes de mépriser la louange des hommes ! Etant nés pour la société, nous sommes nés en quelque sorte les uns pour les autres, et par conséquent qu'il est dangereux que nous ne nous laissions trop chatouiller aux louanges que nous donnent nos semblables !

Saint Augustin, Messieurs, nous représente excellemment ce péril dans le second livre qu'il a fait du Sermon de Notre-Seigneur sur la montagne. « Il est très-pernicieux, nous dit-il, de mal vivre. De bien vivre maintenant et ne vouloir pas que ceux qui nous voient nous en louent, c'est se déclarer leur ennemi, parce que les choses humaines ne sont jamais en un état plus pitoyable que lorsque la bonne vie n'est pas estimée : » Siquidem non rectè vivere, pemiciosum est : rectè autem vivere et nolle laudari, quid est aliud quàm inimicum esse rebus humanis, quœ utique tantò sunt miseriores, quantò minus placet recta via hominum (1) ? Jusqu’ici, Messieurs, la louange n'a rien que de beau; mais voyez la

 

1 De Serm. Domini, in mont., lib. II, n. 1.

 

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suite de ses paroles. « Donc, dit ce grand docteur, si les hommes ne vous louent pas quand vous faites bien, ils sont dans une grande erreur; et s'ils vous louent, vous êtes vous-même dans un grand péril : » Si ergo inter quos vivis te rectè viventem non laudaverint, illi in errore sunt; si autem laudaverint, tu in periculo (1). Vous êtes en effet dans un grand péril, parce que votre amour-propre vous fait aimer naturellement le bruit des louanges, et que votre cœur s'enfle sans y penser en les entendant. Mais vous êtes encore dans un grand péril, parce que non-seulement l'amour de vous-même, mais encore l'amour du prochain (a) vous oblige quelquefois , dit saint Augustin , à approuver les louanges que l'on vous donne. Vous faites une grande aumône, vous obligez le public par quelque service considérable ; ne vouloir pas qu'on vous loue de cette action, c'est vouloir qu'on soit aveugle ou méconnaissant ; la charité ne le permet pas. Vous devez donc souhaiter pour l'amour des autres qu'on loue les bonnes œuvres que Dieu fait en vous. Qui doute que vous ne le deviez, puisque vous devez désirer leur bien? Mais ce que vous devez désirer pour eux, vous devez le craindre pour vous-même; et c'est là qu'est le grand péril, en ce que devant désirer et craindre la même chose par différents motifs, chrétiens, qu'il est dangereux que vous ne preniez aisément le change ; qu'en pensant regarder les autres, vous ne vous arrêtiez en vous-mêmes ! Attendue : « Prenez garde » à vous ! O justes, voici votre péril; prenez garde que dans les œuvres de votre justice, les louanges du monde (b) ne vous plaisent trop et qu'elles ne corrompent en vous la vertu.

Et ne me dites pas que vous sentez bien en vous-mêmes que vous ne recherchez pas les louanges, que ce n'est pas l'amour de la vaine gloire qui vous a fait entreprendre cette œuvre excellente : je veux bien le croire sur votre parole ; mais sachez que ce n'est pas là tout votre péril. « Il est assez aisé, dit saint Augustin, de se passer des louanges quand on les refuse, mais qu'il est difficile de ne s'y plaire pas quand on les donne ! » Et si cuiquam facile est laude carere dùm denegatur, difficile est eâ non delectari

 

1 S. August., De Serm. Domim. in mont., lib. II, n. 1. (a) Var. : La charité de vos frères. — (b) Des hommes.

 

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cùm offertur (1). Lorsque les louanges se présentent comme d'elles-mêmes, et que venant ainsi de bonne grâce, je ne sais quoi nous dit dans le cœur que nous les méritons d'autant plus que nous les avons moins recherchées, mes frères, qu'il est malaisé de n'être pas surpris par cet appât!

Mais peut-être que vous me direz que ce n'est pas aussi un si grand crime, que de se laisser charmer par ces douceurs innocentes. Qu'entends-je, chrétiens? que me dites-vous? Quoi! vous n'avez pas encore compris combien l'amour des louanges est contraire à l'amour de la vertu ? Si vous n'en avez pas cru l'Evangile, au moins croyez-en le monde même. Ne voyez-vous pas par expérience qu'on refuse les véritables louanges à ceux qui les recherchent avec trop d'ardeur? Pourquoi cela, Messieurs, si ce n'est par un certain sentiment que celui qui aime tant les louanges, n'aime pas assez la vertu; qu'il la met au rang des biens que la seule opinion fait valoir ; ou du moins qu'il n'en a pas l'estime qu'il doit, puisqu'il ne juge pas qu'elle lui suffise? Ainsi l'empressement qu'il a pour l'honneur fait croire qu'il n'aime pas la vertu, et ensuite le fait paraître indigne de l'honneur (a). Que si le monde même le croit de la sorte, quelle doit être la délicatesse d'un chrétien sur le plaisir des louanges ? Tremblez, tremblez, fidèles, et craignez cet ennemi qui vous flatte : ne croyez pas que ce soit assez de ne rechercher pas les louanges ; le monde même en a honte, les idolâtres mêmes de l'honneur n'osent pas témoigner qu'ils le recherchent.

Le chrétien, mes frères, doit aller plus loin ; c'est une vérité de l'Evangile. Le Fils de Dieu lui apprend que bien loin de le rechercher, il ne doit pas le recevoir quand on le lui offre. Ce n'est pas moi qui le dis; qu'il écoute parler Jésus-Christ lui-même. Il ne se contente pas de nous dire : Je ne recherche pas la gloire des hommes (b) ; mais il dit : « Je ne reçois pas la gloire des hommes : » Claritatem ab hominibus non accipio  (2). Et si vous trouvez peut-être que ce passage n'est pas assez décisif, en voici un autre qui

 

1 S. August., Epist. XXII, n. 8. — 2 Joan., V, 41.

 

(a) Var. ; N'estimant pas la vertu, on croit être bien fondé de lui refuser l'honneur. — (b) Jésus notre modèle et notre exemplaire ne s'est pas contenté de nous dire : Je ne demande pas la gloire...                                                      

 

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est plus pressant : Clarifica me tu, Pater (1) : « O Père, que ce soit vous qui me glorifiiez, » que ce soit vous, et non pas les hommes. Et s'il vous reste encore quelque doute, voici qui ne souffre point de réplique : Quomodo vos potestis credere, qui gloriam ab invicem accipitis, et gloriam quœ à solo Deo est non quœritis ? « Comment pouvez-vous croire, vous qui recevez de la gloire les uns des autres, et ne recherchez pas la gloire qui est de Dieu seul? » Ce n'est pas un crime médiocre, puisqu'il vous empêche de croire. Mais remarquez bien cette opposition : vous recevez la gloire qui vient des hommes, vous ne recherchez pas la gloire qui vient de Dieu. N'est-ce pas nous dire manifestement : Celle-ci doit être désirée, celle-là ne doit pas même être reçue; il faut rechercher celle-ci quand on ne l'a pas, et refuser l'autre quand on la donne. — Doctrine de l'Evangile, que tu es sévère ! Quoi ! il faut au milieu des louanges étouffer cette complaisance secrète qui flatte te cœur si doucement ! — Défendez-nous, ô Seigneur, de rechercher cet encens. — Mais comment le refuser quand on nous le donne; ? — Non, dit-il, ne recevez pas la gloire des hommes. — Mata puis-je m'empêcher de la recevoir? puis-je contraindre la langue de ceux (a) qui veulent parler en ma faveur ? — Laissons-les discourir à leur fantaisie; mais disons toujours avec Jésus-Christ : Claritatem non accipio. Non, non, je ne reçois pas la gloire des hommes, c'est-à-dire je ne la reçois pas en paiement, je ne me repais pas de cette fumée : Clarifica me tu, Pater : « Que ce soit vous, ô Père céleste. » Vaine gloire, qui sollicites mon cœur à écouter tes flatteries, je connais le danger où tu me veux mettre; tu veux me donner les yeux des hommes, mais c'est pour m'ôter les yeux de Dieu. Tu feins de vouloir me récompenser, mais c'est pour me faire perdre ma récompense. Je l'attends d'un bras plus puissant et d'une main plus opulente : corruptrice de la vertu, je ne reçois point tes fausses douceurs; ni tes applaudissements, ni ta vaine pompe ne peuvent pas payer mes travaux. In Domino laudabitur anima mea, audiant mansueti et lœtentur (3) : « Mon une sera louée en Notre-Seigneur ; que les gens de bien l'entendent et

 

1 Joan., XVII, 5. — 2 Ibid., V, 44. — 3 Psal. XXXIII, 3.

(a) Var. Des hommes.

 

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s'en réjouissent. » Je t'ai convaincue devant Jésus-Christ d'attenter sur l'intégrité de la vertu, c'est assez pour obtenir ta condamnation; mais je veux te convaincre encore de vouloir donner du crédit au vice, c'est ma seconde partie.

 

SECOND POINT.

 

Le second chef de l'accusation que j'intente contre l'honneur du monde, c'est de vouloir donner du crédit au vice en le déguisant aux yeux des hommes. Pour justifier cette accusation, je pose d'abord ce premier principe, que tous ceux qui sont dominés par l'honneur du monde sont toujours infailliblement vicieux. Il m'est bien aisé de vous en convaincre. Le vice, dit saint Thomas (1), vient d'un jugement déréglé : or je soutiens qu'il n'y a rien de plus déréglé que le jugement de ceux de qui nous parlons, puisque se proposant l'honneur pour leur but (a), il s'ensuit qu'ils le préfèrent à la vertu même, et jugez quel égarement (b). La vertu est un don de Dieu, et c'est de tous ses dons le plus précieux; l'honneur est un présent des hommes, encore n'est-ce pas le plus grand. Et vous préférez, ô superbe aveugle, ce médiocre présent des hommes à ce que Dieu donne de plus précieux (c) ! N'est-ce pas avoir le jugement plus que déréglé? N'y a-t-il pas du trouble et du renversement? Premièrement, ô honneur du monde, tu es convaincu sans réplique que tu ne peux engendrer que des vicieux.

Mais il faut remarquer en second lieu que les vicieux qu'il engendre, ne sont pas de ces vicieux abandonnés à toute sorte d'infamies. Un Achab, une Jézabel dans l'Histoire sainte; un Néron, un Domitien, un Héliogabale dans la profane, c'est folie de leur vouloir donner de la gloire : honorer le vice qui n'est que vice, qui montre toute sa laideur sans avoir la moindre teinture d'honnêteté, cela ne se peut (d). Les choses humaines ne sont pas encore si désespérées ; les vices que l'honneur du monde couronne, sont des vices plus honnêtes; ou plutôt, pour parler plus correctement, car quelle honnêteté dans les vices? ce sont des

 

1 IIa IIae, Quaest. LIII, art. 6.

 

(a) Var. : Leur fin dernière. — (b) Quel dérèglement. — (c) De plus excellent. (d) C'est une entreprise impossible.

 

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vices plus spécieux, il y a quelque apparence de la vertu ; l'honneur qui était destiné pour la servir, sait de quelle sorte elle s'habille, et il lui dérobe quelques-uns de ses ornements pour en parer le vice qu'il veut établir dans le monde. De quelle sorte cela se fait, quoiqu'il soit assez connu par expérience, je veux le rechercher jusqu'à l'origine et développer tout au long ce mystère d'iniquité.

Pour cela remarquez, Messieurs, qu'il y a deux sortes de vertus. L'une est la véritable et la chrétienne, sévère, constante, inflexible, toujours attachée à ses règles et incapable de s'en détourner pour quoi que ce soit. Ce n'est pas là la vertu du monde : il l'honore en passant, il lui donne quelques louanges pour la forme ; mais il ne la pousse pas dans les grands emplois, elle n'est pas propre aux affaires, il faut quelque chose de plus souple pour ménager la faveur des hommes : d'ailleurs elle est trop sérieuse et trop retirée ; et si elle ne s'embarque dans le monde par quelque intrigue, veut-elle qu'on l'aille chercher dans son cabinet? Ne parlez pas au monde de cette vertu.

Il s'en fait une autre à sa mode, plus accommodante et plus douce; une vertu ajustée non point à la règle, elle serait trop austère; mais à l'opinion, à l'humeur des hommes. C'est une vertu de commerce : elle prendra bien garde de ne manquer pas toujours de parole; mais il y aura des occasions où elle ne sera point scrupuleuse et saura bien faire sa cour aux dépens d'autrui. C'est la vertu des sages mondains, c'est-à-dire c'est la vertu de ceux qui n'en ont point, ou plutôt c'est le masque spécieux sous lequel ils cachent leurs vices. Saül donne sa fille Michol à David (1) : il l'a promise à celui qui tuerait le géant Goliath (2), il faut satisfaire le public et dégager sa parole ; mais il saura bien dans l'occasion trouver des prétextes pour la lui ôter (3). Il chasse les sorciers et les devins de toute l'étendue de son royaume (4) ; mais lui-même, qui les bannit en public, les consultera en secret dans la nécessité de ses affaires (5). Jéhu ayant détruit la maison d'Achab suivant le commandement du Seigneur, fait un sacrifice au Dieu

 

1 I Reg., XVIII, 27. — 2 Ibid., XVII, 25. — 3 Ibid., XXV, 44. — 4 Ibid., XXVIII, 3. — 5 Ibid., 8.

 

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vivant de l'idole de Baal, et de son temple, et de ses prêtres, et de ses prophètes; il n'en laisse, dit l'Ecriture (1), pas un seul en vie. Voilà une belle action : mais « il marcha néanmoins, dit l'Ecriture, dans toutes les voies de Jéroboam; il conserva les veaux d'or » que ce prince impie avait élevés : Non recessit à peccatis Jeroboam, qui peccare fecit Israël (2). Pourquoi ne les détruisait-il pas aussi bien que Baal et son temple? C'est que cela nuisoit à ses affaires, et il se souvenait de cette malheureuse politique de Jéroboam : « Si je laisse aller les peuples en Jérusalem pour sacrifier à Dieu dans son temple, ils retourneront aux rois de Juda, qui sont leurs légitimes seigneurs (3) » Je bâtirai ici un autel; je leur donnerai des dieux qu'ils adorent (a) sans sortir de mon royaume et mettre ma couronne en péril.

Telle est, Messieurs, la vertu du monde ; vertu trompeuse et falsifiée , qui n'a que la mine (b) et l'apparence. Pourquoi l'a-t-on inventée, puisqu'on veut être vicieux sans restriction (c) ? « C'est à cause, dit saint Chrysostome (4), que le mal ne peut subsister tout seul : il est ou trop malin ou trop faible, il faut qu'il soit soutenu par quelque bien, il faut qu'il ait quelque ornement ou quelque ombre de la vertu (d). » Qu'un homme fasse profession de tromper, il ne trompera personne ; que ce voleur tue ses compagnons pour les voler, on le fuira comme une bête farouche. De tels vicieux n'ont pas de crédit, mais il leur est bien aisé de s'en acquérir; pour cela il n'est pas nécessaire qu'ils se couvrent du masque de la vertu ni du fard de l'hypocrisie, le vice peut paraître vice; et pourvu qu'il y ait un peu de mélange, c'est assez pour lui attirer l'honneur du monde. Je veux bien que vous me démentiez, si je ne dis pas la vérité.

Cet homme s'est enrichi par des concussions épouvantables, et il vit dans une avarice sordide, tout le monde le méprise ; mais il tient bonne table à ses mines, à la ville et à la campagne; cela paraît libéralité, c'est un fort honnête homme, il fait belle

 

1 IV Reg., X, 17, 25, 26, 27. — 2 Ibid., 29. — 3 III Reg., XII, 26 et seq. —4 Homil. II in Act. Apost., n. 5.

 

(a) Var. : Faisons-leur ici un autel, donnons-leur des dieux... — (b) La couleur, (c) Que n’est-on vicieux sans restriction ? — (d) «Ou quelque teinture de la vertu. »

 

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dépense du bien d'autrui. Et vous, vous vous vengez par un assassinat, c'est une action indigne et honteuse, mais c'a été par un beau duel (a) ; quoique les lois vous condamnent, quoique l'Eglise vous excommunie, il y a quelque montre de courage, le monde vous applaudit et vous couronne malgré les lois et l'Eglise. Enfin y a-t-il aucun vice que l'honneur du monde ne mette en crédit, si peu qu'il ait de soin de se contrefaire? L'impudicité même, c'est-à-dire l'infamie et la honte même (b), que l'on appelle brutalité quand elle court ouvertement à la débauche, si peu qu'elle s'étudie à se ménager, à se couvrir des belles couleurs de fidélité, de discrétion, de douceur, de persévérance, ne va-t-elle pas la tête levée? Ne semble-t-elle pas digne des héros? Ne perd-elle pas son nom d'impudicité pour s'appeler gentillesse et galanterie (c)? Eh quoi ! cette légère teinture a imposé si facilement aux yeux des hommes ! Ne fallait-il que ce peu de mélange pour faire changer de nom aux choses, et mériter de l'honneur à ce qui est en effet si digne d'opprobre? Non, il n'en faut pas davantage. Je m'en étonnais au commencement ; mais ma surprise est bientôt cessée, après que j'ai .eu médité que ceux qui ne se connaissent point en pierreries sont trompés par le moindre éclat ; et que le monde se connaît si peu en vertu, que la moindre apparence éblouit sa vue : de sorte qu'il n'est rien de si aisé à l'honneur du monde, que de donner du crédit au vice.

Cependant le pécheur triomphe à son aise et jouit de la réputation publique. Que si troublé en sa conscience parles reproches (d) qu'elle lui fait, il se dénie à lui-même l'honneur que tout le monde lui donne à l'envi, voici un prompt remède à ce mal. Accourez ici, troupe de flatteurs, venez en foule à sa table, venez faire retentir à ses oreilles (e) le bruit de sa réputation si bien établie : voici le dernier effort de l'honneur pour donner du crédit au vice. Après avoir trompé tout le monde, il faut que le pécheur s'admire lui-même. Car ces flatteurs industrieux, aines vénales et prostituées, savent qu'il y a en lui un flatteur secret qui ne cesse

 

(a) Mais vous l'avez fait par un beau duel.— (b) La honte et l'infamie même. — (c) Ne quitte-t-elle pas son nom pour s'appeler politesse   et   galanterie? — (d) Que si sa conscience est troublée par les  reproches, — que si sa conscience le trouble. — (e) Accourez ici, troupe de flatteurs; venez faire retentir…

 

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de lui applaudir au dedans : ces flatteurs qui sont au dehors s'accordent avec celui qui parle au dedans et qui a le secret de se faire entendre à toute heure ; ils étudient ses sentiments et le prennent si dextrement par son faible, qu'ils le font demeurer d'accord de tout ce qu'ils disent (a). Ce pécheur ne se regarde plus dans sa conscience, où il voit trop clairement sa laideur ; il n'aime que ce miroir qui le flatte ; et pour parler avec saint Grégoire, « s'oubliant de ce qu'il est en lui-même, il se va chercher dans les discours des autres et s'imagine être tel que la flatterie le représente : » Oblitus sut in voces se spargit alienas, talemque se credit qualem se foris audit (1). Certainement Dieu s'en vengera, et voici quelle sera sa vengeance : il fera taire tous les flatteurs, et il abandonnera le pécheur superbe aux reproches de sa conscience. Jugez, jugez, Seigneur, l'honneur du monde, qui fait que le vice plaît aux autres, qui fait même que le vice se plaît à lui-même. Vous le ferez, je le sais bien. Il viendra le jour de son jugement. En ce jour il arrivera ce que dit le prophète Isaïe : Cessavit gaudium tympanorum, quievit sonitus laetantium, conticuit dulcedo citharœ (2) : enfin il est cessé le bruit de ces applaudissements ; ils se sont tus, ils se sont tus et ils sont devenus muets, ceux qui semblaient si joyeux en célébrant vos louanges, et dont les continuelles acclamations faisaient résonner à vos oreilles une musique si agréable. Quel sera ce changement, chrétiens; et combien se trouveront étonnés ces hommes accoutumés aux louanges, lorsqu'il n'y aura plus pour eux de flatteurs! l'Epoux paraîtra (b) inopinément; les cinq vierges qui ont de l'huile viendront avec leurs lampes allumées; leurs bonnes œuvres brilleront devant Dieu et devant les hommes ; et Jésus, en qui elles mettaient toute leur gloire, commencera à les louer devant son Père céleste. Que ferez-vous alors, vierges folles , qui n'avez point d'huile et qui en demandez aux autres, à qui il n'est point dû de louanges et qui en voulez avoir d'empruntées ? En vain vous vous écrierez : Eh !

 

1 Pastor., II part., cap. VI. — 2 Isa., XXIV, 8.

 

(a) Var. : Savent qu'il y a en lui un flatteur secret qui ne cesse de  l'applaudir au dedans: ils s'accordent avec lui, ils étudient ses sentiments et le prennent..... — (b) Viendra.

 

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« donnez-nous de votre huile : » Date nobis de oleo vestro (1); nous désirons aussi les louanges, nous voudrions bien aussi être célébrées par cette bouche divine qui vous loue avec tant de force. Et il vous sera répondu : Qui êtes-vous? « On ne vous connaît pas : » Nescio vos (2). — Mais je suis cet homme si chéri, auquel tout le grand monde applaudissait, et qui était si bien reçu dans toutes les compagnies.— On ne sait pas ici qui vous êtes ; et on se moquera de vous en disant : Ite, ite potiiis ad vendentes, et emite vobis (3) : Allez, allez-vous-en à vos flatteurs, à ces âmes (a) mercenaires qui vendent des louanges aux fous qui vous ont autrefois tant donné d'encens. Qu'ils vous en vendent encore! Quoi! ils ne parlent plus en votre faveur! Au contraire, se voyant justement damnés pour avoir autorisé vos crimes, ils s'élèvent maintenant contre vous. Vous-même qui étiez le premier de tous vos flatteurs, vous détestez votre vie, vous maudissez toutes vos actions, toute la honte de vos perfidies, toute l'injustice de vos rapines, toute l'infamie de vos adultères sera éternellement devant vos yeux. Qu'est donc devenu cet honneur du monde qui palliait si bien tous vos crimes? Il s'en est allé en fumée. Oh! que ton règne était court, ô honneur du monde! Que je me moque de ta vaine pompe et de ton triomphe d'un jour! Que tu sais mal déguiser les vices, puisque tu ne peux empêcher qu'ils ne soient bientôt reconnus à ce tribunal devant lequel je t'accuse ! Après avoir poursuivi mon accusation, je demande maintenant sentence. Tu n'auras point de faveur en ce jugement, parce qu'outre que tes crimes sont inexcusables, tu as encore entrepris sur les droits de celui qui y préside, pour en revêtir ses créatures : c'est ma dernière partie.

 

TROISIÈME POINT.

 

Comme tout le bien appartient à Dieu et que l'homme n'est rien de lui-même, il est assuré, chrétiens, qu'on ne peut rien aussi attribuer à l'homme, sans entreprendre sur les droits de Dieu et sur son domaine souverain. Cette seule proposition, dont la vérité est si connue, suffit pour justifier ce que j'avance, que le

 

1 Matth., XXV, 8. — 2 Ibid., 12. — 3 Ibid., 9.

 

(a) Var. : Langues.

 

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plus grand attentat de l'honneur du monde, c'est de vouloir ôter à Dieu ce qui lui est dû pour en revêtir la créature. En effet si l'honneur du monde se contentoit seulement de nous représenter nos avantages, pour nous en glorifier en Notre-Seigneur et lui en rendre nos actions de grâces, nous ne l'appellerions pas l'honneur du monde et nous ne craindrions pas de lui donner place parmi les vertus chrétiennes. Mais l'homme qui veut qu'on le flatte, ne peut entrer dans ce sentiment ; il croit qu'on le dépouille de ses biens, quand on l'oblige de les attribuer à une autre cause ; et les louanges ne lui sont jamais assez agréables, s'il n'a de la complaisance en lui-même et s'il ne dit en son cœur : C'est moi qui l'ai fait.

Quoiqu'il ne soit pas possible d'exprimer assez combien cette entreprise est audacieuse, il nous en faut néanmoins former quelque idée par un raisonnement de saint Fulgence. Ce grand évêque nous dit que l'homme s'élève contre Dieu en deux manières : ou en faisant ce que Dieu condamne, ou en s'attribuant ce que Dieu donne. Vous faites ce que Dieu condamne, quand vous usez mal de ses créatures; vous vous attribuez ce que Dieu donne, quand vous présumez de vous-même (a). Sans doute ces deux entreprises sont bien criminelles; mais il est aisé de comprendre que la dernière est sans comparaison la plus insolente; et encore qu'en quelque manière que l'homme abuse des dons de son Dieu , on ne puisse assez blâmer son audace ; elle est néanmoins beaucoup plus extrême lorsqu'il s'en attribue la propriété (b), que lorsqu'il en corrompt seulement l'usage. C'est pourquoi saint Fulgence a raison de dire : Detestabilis est cordis humant superbia, quà facit homo quod Deus in hominibus damnât; sed longé detestabilior, quà sibi tribuit homo quod Deus hominibus donat (1) : « A la vérité, dit ce grand docteur (c), encore que ce soit un orgueil damnable de mépriser ce que Dieu commande, c'est une audace bien plus criminelle de s'attribuer ce que Dieu donne. » Pourquoi? Le premier

 

1 Epist. VI ad Theod., cap. VII.

 

(a) Var. : De vos propres forces.—(b) Elle est néanmoins beaucoup plus énorme lorsqu'il s'en attribue le domaine.— (c) «A la vérité, dit ce grand docteur, c'est un orgueil détestable à l'homme de faire ce que Dieu défend, mais c'est une audace beaucoup plus étrange de s'attribuer ce qu'il donne. »

 

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est une action d'un sujet rebelle qui désobéit à son souverain, et le second est un attentat contre sa personne et une entreprise sur son trône ; et si par le premier crime on tâche de se soustraire de son empire, on s'efforce par le second à se rendre en quelque façon son égal, en s'attribuant sa puissance.

Peut-être que vous croyez, chrétiens, qu'une entreprise si folle ne se rencontre que rarement parmi les hommes, et qu'ils ne sont pas encore si extravagants que de vouloir s'égaler à Dieu ; mais il faut aujourd'hui vous désabuser. Oui, oui, Messieurs, il le faut dire, que ce crime, à notre honte, n'est que trop commun. Depuis que nos premiers parents ont si volontiers prêté l'oreille à cette dangereuse flatterie : « Vous serez comme des dieux (1), » il n'est que trop véritable que nous voulons tous être de petits dieux, que nous nous attribuons tout à nous-mêmes, que nous tendons naturellement à l'indépendance. Ecoutez en effet, mes frères, en quels termes le Saint-Esprit parle au roi de Tyr, et en sa personne à tous les superbes ; voici ce qu'a dit le Seigneur : « Ton cœur s'est élevé et tu as dit : Je suis un Dieu : » Elevatum est cor tuum et dixisti : Deus ego sum (2). Est-il possible, Messieurs, qu'un homme s'oublie jusqu'à ce point et qu'il dise en lui-même : Je suis un Dieu? Non, cela ne se dit pas si ouvertement; nous voudrions bien le pouvoir dire, mais notre mortalité ne le permet pas. Comment donc disons-nous : Je suis un Dieu? Les paroles suivantes nous le font entendre : « C'est, dit-il, que tu as mis ton cœur comme le cœur d'un Dieu : » Dedisti cor tuum quasi cor Dei (3). Qu'il y a de sens dans cette parole, si nous le pouvions développer !

Tâchons de le faire , et disons que comme Dieu est le principe universel et le centre commun de toutes choses; comme il est, dit un ancien, le trésor de l'être , et possède tout en lui-même dans l'infinité de sa nature, il doit être plein de lui-même, il ne doit penser qu'à lui-même, il ne. doit s'occuper que de lui-même. Il vous sied bien, ô Roi des siècles, d'avoir ainsi le cœur rempli de vous-même, ô source de toutes choses, ô centre!... ; mais le cœur de la créature doit être composé d'une autre sorte. Elle n'est qu'un ruisseau qui doit remonter à sa source. Elle ne possède rien en

 

1 Genes., III, 5. — 2 Ezech., XXVIII, 2. — 3 Ibid.

 

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elle-même, et elle n'est riche que dans sa cause; elle n'est rien en elle-même, et elle ne se doit chercher que dans son principe. Superbe , tu ne peux entrer dans cette pensée ; tu n'es qu'une vile créature, et tu te fais le cœur d'un Dieu : Dedisti cor tuum quasi cor Dei; tu cherches ton honneur en toi, tu ne te remplis que de toi-même.

En effet jugeons-nous, Messieurs, et ne nous flattons point dans notre orgueil. Cet homme rare et éloquent, qui règne dans un conseil et ramène tous les esprits par ses discours, lorsqu'il ne remonte point à la cause et qu'il croit que son éloquence (a) et non la main de Dieu a tourné les cœurs, ne lui dit-il pas tacitement : « Nos lèvres sont de nous-mêmes : » Labia nostra à nobis (1) ? Et celui qui ayant achevé de grandes affaires, au milieu des applaudissements qui l'environnent, ne rend pas à Dieu l'honneur qu'il lui doit, ne dit-il pas en son cœur : « C'est ma main , c'est ma main, et non le Seigneur qui a fait cette œuvre : » Manus nostra excelsa, et non Dominus, fecit hœc omnia (2) ? Et celui qui par son adresse et par son intrigue a établi enfin sa fortune, et ne fait pas de réflexion sur la main de Dieu qui l'a conduit, ne dit-il pas avec Pharaon : Meus est fluvius et ego feci memetipsum (3) ; « Tout cela est à moi, c'est le fruit de mon industrie et je me suis fait moi-même ? » Voyez donc que l'honneur du monde nous fait tout attribuer à nous-mêmes et nous érige enfin en de petits dieux.

Eh bien, ô superbe, ô petit dieu, voici, voici le grand Dieu vivant qui s'abaisse pour te confondre. L'homme se fait Dieu par orgueil , Dieu se fait homme par humilité. L'homme s'attribue faussement ce qui est à Dieu, et Dieu pour lui apprendre à s'humilier prend véritablement ce qui est à l'homme. Voilà le remède de l'insolence, voilà la confusion de l'honneur du monde. Je l'ai accusé devant ce Dieu-Homme, devant ce Dieu humilié ; vous avez ouï l'accusation ; écoutez maintenant la sentence. Il ne la prononcera point par sa parole; c'est assez de le voir pour juger que l'honneur du monde a perdu sa cause. Désabusez-vous pour

 

1 Psal. XI, 5. — 2 Deuter., XXXII, 27. — 3 Ezech., XXIX. 3.

 

(a) Var.; Son raisonnement.

 

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toujours des hommes et de l'estime que vous faites de leur jugement, en voyant ce qu'ils ont jugé de Jésus-Christ. Il condamne le jugement des hommes ; nouvelle manière de les condamner. Jésus-Christ ne les condamne qu'en les laissant juger de lui-même ; et ayant rendu sur sa personne le plus inique jugement qui fut jamais, l'excès de cette iniquité a infirmé pour jamais toutes leurs sentences. Tout le monde généralement en a mal jugé : c'est-à-dire les grands et les petits, les Juifs et les Romains, le peuple de Dieu et les idolâtres, les savants et les ignorants, les prêtres et le peuple, ses amis et ses ennemis, ses persécuteurs et ses disciples. Tout ce qu'il peut jamais y avoir d'insensé et d'extravagant, de changeant et de variable, de malicieux et d'injuste, d'aveugle et de précipité dans les jugements les plus déréglés (a), Jésus-Christ l'a voulu subir; et pour vous désabuser à jamais de toutes les bizarreries de l'opinion, il ne s'en est épargné aucune.

Voulez-vous voir avant toutes choses la diversité prodigieuse des senti mens? Ecoutez tous les murmures du peuple dans un seul chapitre de l'Evangile de saint Jean (1). — C'est un prophète, ce n'en est pas un; c'est un homme de Dieu, c'est un séducteur ; c'est le Christ, il est possédé du malin esprit. Qui est cet homme ? D'où est-il venu? Où a-t-il appris tout ce qu'il nous dit?— Dissensio itaque facto, est in turbâ propter eum. O Jésus, Dieu de paix et de vérité, « il y eut sur votre sujet une grande dissension parmi le peuple. » Voulez-vous voir la bizarrerie qui ne se contente de rien? Jean-Baptiste est venu, retiré du monde, menant une vie rigoureuse, et on a dit : « C'est un démoniaque (2). » Le Fils de l'homme est venu, mangeant et conversant avec les hommes, et on a dit encore: « C'est un démoniaque (3). » Entreprenez de contenter ces esprits mal faits ! Voulez-vous voir, Messieurs, un désir opiniâtre de le contredire ? Quand il ne se dit pas le Fils de Dieu, ils le pressent violemment pour le dire : Si tu es Christus, die nobis palàm (4) ; et après qu'il le leur a dit, ils prennent

 

1 Joan., VII, 12 et seq. — 2 Matth., XI, 18. — 3 Joan., VIII, 48. — 4 Ibid., X,   24.

 

(a) Var. : Tout ce qu'il peut jamais y avoir de fol et d'extravagant, de changeant et de variable, de malicieux et de criminel, de dépravé et de corrompu dans les jugements les plus déréglés...

 

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des pierres pour le lapider (1). Malice obstinée, qui étant convaincue , ne veut pas se rendre : — Il est vrai, nous ne pouvons le nier, il chasse les malins esprits ; mais « c'est au nom de Béelzébub qui en est le prince (2). » — Une humeur fâcheuse et contrariante , qui cherche à reprendre dans les moindres choses : — Quel homme est ceci? « Ses disciples ne lavent pas leurs mains devant le repas (3); » — qui tourne les plus grandes en un mauvais sens : — « C'est un méchant qui ne garde pas le sabbat (4) ; » il a délivré un démoniaque, il a guéri un paralytique, il a éclairé un aveugle le jour du repos !

Mais ce que je vous prie le plus de considérer dans les jugements des hommes, c'est ce changement soudain et précipité qui les fait passer en si peu de temps aux extrémités opposées. Ils courent au-devant du Sauveur pour le saluer par des cris de réjouissance, ils courent après lui pour le charger d'imprécations. « Vive le Fils de David (5) ! » — « Qu'il meure, qu'il meure ! qu'on le crucifie (6) ! » — « Béni soit le Roi d'Israël (7) ! » — « Nous n'avons point de roi que César (8) ! » — Donnez des palmes et des rameaux verts, qu'on cherche des fleurs de tous côtés pour les semer sur son passage ! donnez des épines pour percer sa tête, et un bois infâme pour l'y attacher ! — Tout cela se fait en moins de huit jours ; et pour comble d'indignité, pour une marque éternelle du jugement dépravé des hommes, la comparaison la plus injuste, la préférence la plus aveugle : — « Lequel des deux voulez-vous, Jésus ou Barabbas (9), » le Sauveur ou un voleur, l'auteur de la vie ou un meurtrier? Et la préférence la plus injuste : — Non hunc, sed Barabbam. «Qu'on l'ôte! qu'on le crucifie! » nous voulons qu'on délivre le meurtrier, et qu'on mette à mort l'auteur de la vie !

Après cela, mes frères, entendrons-nous encore des chrétiens nous battre incessamment les oreilles par cette belle raison : Que dira le monde ? que deviendra ma réputation (a) ? On me méprisera, si je ne me venge; je veux soutenir mon honneur, il m'est plus cher que mes biens, il m'est plus cher même que ma vie.

 

1 Joan. X, 31. — 2 Luc, XI, 15. — 3 Matth., XV, 2. — 4 Joan., IX, 16. — 5 Matthi., XXI, 9. — 6 Joan., XIX, 15. —7 Ibid., XII, 13. — 8 Ibid. XIX, 15. — 9 Matth., XXVII, 17; Joan., XVIII, 40.

 

(a) Var. : .Mon honneur.

 

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Tous ces beaux raisonnements par lesquels vous croyez pallier vos crimes ne sont que de vaines subtilités, et rien ne nous est plus aisé que de les détruire ; mais je ne daignerais seulement les écouter. Venez, venez les dire au Fils de Dieu crucifié ; venez vanter votre honneur du monde à la face de ce Dieu rassasié , soûlé d'opprobres : osez lui soutenir qu'il a tort d'avoir pris si peu de soin de plaire aux hommes, ou qu'il a été bien malheureux de n'avoir pu mériter leur approbation ! C'est ce que nous avons à dire aux idolâtres de l'honneur du monde ; et si l'image de Jésus-Christ attaché à un bois infâme ne persuade pas leur orgueil, taisons-nous, taisons-nous, et n'espérons jamais de pouvoir persuader par nos discours ceux qui auront méprisé un si grand exemple. Que si nous croyons en Jésus-Christ, « sortons, sortons avec lui, portant sur nous-mêmes son opprobre : » Exeamus igitur cum illo extra castra improperium ejus portantes (1). Si le monde nous le refuse, donnons-nous-le à nous-mêmes; reprochons-nous à nous-mêmes nos dérèglements et la honte de notre vie, et participons comme nous pouvons à la honte de Jésus-Christ, pour participer à sa gloire. Amen.

 

1 Hebr., XIII, 13.

 

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